Un jeune poitevin et l’inconnue de la forêt - Annie Plait - E-Book

Un jeune poitevin et l’inconnue de la forêt E-Book

Annie Plait

0,0

Beschreibung

David Dubois, avocat à Poitiers, part faire une retraite chez les trappistes en Normandie, à mi-chemin faisant une pause en Sarthe dans la forêt de Bercé, il entend des hurlements et secourt une inconnue attaquée par un chien à moins que ce soit un loup… David veut-il rester avocat ou se faire moine ? A-t-il entendu un chien ou un loup ? La jeune fille inconnue est-elle une victime ou une fille facile ? Cette ténébreuse affaire dans l’univers mystérieux de la forêt de Bercé détermine David à rester quelques jours, David enquête, piétine, s’enfonce et s’investira malgré lui…


À PROPOS DE L'AUTEURE


D’une enfance heureuse à la campagne, Annie Plait, née à Blanzay au sud de la Vienne, d’un père charentais et d’une mère poitevine, a gardé le goût prononcé pour la nature, le merveilleux, les contes et légendes. Elle est professeur de lettres, a trois enfants et partage son temps entre l’écriture, la lecture et la promenade. Elle vit à Jupilles (72).

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 173

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



© 2022 – – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

Annie PLAIT

Un jeune poitevin et l'inconnue de la forêt

prologue

« Entre chien et loup », expression consacrée, lorsque le crépuscule atténue les couleurs et rend floues les formes, le langage français, depuis des siècles, a défini avec une amusante imagerie ce que l’on voit, ce que l’on croit voir, ce qui avec certitude est un chien, mais dont, finalement, on se demande si ce n’est pas un loup qui ressemble à s’y méprendre à un chien ! …

On est perplexe.

À une époque où le loup existait en France, on le craignait, on l’avait vu rôder près des habitations, il est toujours présent dans la mémoire et dans l’inconscient des gens.

I

Je m’appelle David, un prénom devenu assez commun en France et à la mode ; je l’aime bien, du moment que mes parents ne m’ont pas nommé Goliath. Je suis ou plutôt j’étais avocat, puis j’ai quitté le barreau parce qu’une autre vocation m’appelait. Je vais tenter d’expliquer cette démarche qui, petit à petit, m’a amené à ce qui m’est arrivé et que je m’apprête à raconter.

Mon nom entier est David Dubois, autrement dit D.D. C’est ainsi que mes copains m’appellent ; certains croient que c’est le diminutif d’André, Dédé, mais non.

Je suis né à Poitiers, j’y ai fait toutes mes études et Poitiers étant renommée pour les études de droit, c’est donc le droit que j’ai choisi. Puis j’ai passé le concours afin de devenir avocat. Au début, j’ai été totalement passionné par les débats, les positions à prendre et à défendre, je me suis senti utile, indispensable et justicier, puis assez vite, la routine aidant, je me suis rendu compte que, en de nombreux cas, je n’étais ni utile ni justicier mais malhabile et pas argumentateur. J’ai réalisé qu’un procès est une lutte à coup d’arguments : plus ils sont brillants, meilleurs ils sont – dans l’arène on ne cherche pas la vérité mais l’esprit – et, comme en parallèle et souterrainement une vocation d’aide humaine plus profonde, plus authentique me tracassait, me suivait depuis mon adolescence, le désir me tenaillait d’explorer cette voie plus totale : je donnai ma démission au cabinet d’avocats et me lançai dans des études de théologie ponctuées de nombreuses retraites dans de nombreux monastères.

Je les ai à peu près tous essayés, tous m’ont apporté une paix passagère bien réelle, cependant, d’en avoir visité beaucoup m’a conduit à l’embarras, l’embarras du choix le bien nommé :

J’ai d’abord opté pour « La Pierre qui vire » en Bourgogne, un site austère dans le massif granitique du Morvan ; la réputation intellectuelle de ce monastère m’avait fait le choisir pour un premier contact, une simple retraite. Le recrutement est impressionnant : d’anciens ingénieurs, d’anciens chercheurs du CNRS, autrement dit des savants.

Puis, parce que le climat rude et l’atmosphère rigide m’avaient transi, je suis allé aux îles de Lérins, dans l’île Saint-Honorat à quelques encablures de Cannes : là, c’est la Côte d’Azur, un climat idéal, un paysage marin à vous couper le souffle, une mer d’un bleu plus que bleu comme en Grèce et où le père abbé autorise ses moines à nager le soir, tard, lorsque les touristes sont partis. Ma retraite à Lérins était des vacances du club Med presque, car il y avait tout de même la règle monastique. J’ai compris que, dans un tel site, ma vocation ne tiendrait pas : la tentation du Carpe diem serait trop forte et trop quotidienne, alors je suis parti.

D’autres monastères plus proches de ma région natale m’ont vu aussi, Saint-Benoît-sur-Loire et Fongombault. Décidément, les moines ont choisi de vivre dans des cadres idylliques : à Saint-Benoît, la Loire est là majestueuse, présente, immense, à Fongombault, dans le département de l’Indre, le cadre pittoresque, avec sa petite rivière et sa barque pour se rendre dans une petite chapelle, sortait tout droit d’un roman champêtre, genre George Sand, et comme Ligugé, fondé par saint Martin, est à ma porte, j’y suis allé aussi. Et comme Solesmes, de grande renommée, fait partie du même ordre, j’ai retraité au bord de la Sarthe et me suis essayé au chant grégorien, Solesmes, une abbaye imposante, impressionnante, austère.

Heureux, malheureux, satisfait, insatisfait avec cet élan constant vers un absolu que je ne trouvais nulle part.

II

Brusquement, l’idée m’est venue qu’il me fallait essayer la Trappe – des trappistes, il y en a encore en France – ainsi que le Carmel. D’être allé à Solesmes m’a fait songer que, un peu plus au nord, il y avait la Trappe située dans ce début de Normandie ou peut-être encore dans le Perche. La région m’attirait, le grand philosophe Alain n’était-il pas le fils d’un vétérinaire du Perche ? Les forêts, la monotonie des arbres, l’isolement de tout centre urbain… C’est décidé, je vais aller faire une retraite à la Trappe située très exactement dans la forêt du même nom, à peine au-dessus de la localité de Tourouvre.

J’aime conduire, ma voiture est une classique Peugeot qui m’a emmené du nord au midi lorsque je suis descendu aux îles de Lérins, et d’ouest en est lorsque j’ai séjourné en Bourgogne à la « La Pierre qui vire ».

Je quitte Poitiers un matin, tôt, et, par Saumur, me dirige vers la Normandie. J’ai un G.P.S. comme tout le monde, mais je suis d’humeur vagabonde et, après avoir franchi la Loire à Saumur sur le célèbre pont défendu âprement par le Cadre Noir lors de l’offensive allemande de 1940, je ne veux pas suivre la trajectoire normale par la ville de La Flèche pour atteindre Le Mans. J’ai envie de mieux comprendre cette France rurale et forestière, car, sitôt quitté les rives du fleuve, j’aperçois en face de moi un massif forestier qui me tente : ce ne sont qu’étendues de landes plantées de pins, puis, après la coquette agglomération du Lude où je déjeune au bord du Loir dans un sympathique restaurant dominant la rivière chantée par Ronsard, j’aborde la forêt de Bercé. Là, il ne s’agit plus de boisement de pins évoquant les bords de mer, mais d’une forêt compacte, digne et disciplinée, plantée de chênes et de hêtres, si je suis bon observateur de la nature comme je le pense, bien menée, cette forêt domaniale, aérée de loin en loin par des carrefours forestiers où d’anciens panneaux ouvragés datant du xixe siècle nous indiquent les directions locales.

Je m’arrête à un de ces carrefours dont je note le nom : « La croix Marconnay » qui commande en étoiles six allées forestières. C’est majestueux et très inusité pour moi. Je gare sagement ma voiture et décide de me dégourdir les jambes. Nous sommes en automne, on voit aux couleurs du ciel, un bleu zébré de gris qu’un soleil tenace éclaire. Je m’amuse à me demander si ce bleu finira pas gagner ou si le gris menaçant de l’ouest dominera. On voit, au feuillage des arbres, l’approche inéluctable de la morte saison : par touches délicates, les tons de rose ou rouge, de safran ou d’ocre, l’automne s’annonce.

Je marche sur un sol souple en évitant les feuilles mortes autant que possible, car mes pas, en les dérangeant produisent un froissement sec qui m’empêcherait d’écouter les bruits de la forêt, comme une faible brise ou l’appel d’un oiseau. Soudainement, je m’arrête, car j’ai perçu un cri, non pas celui d’un animal, mais un appel humain. Je me retourne, rien ! Je regarde entre les troncs, rien ! Puis, à nouveau, distinctement des cris étouffés. Je m’immobilise, on dirait que cela vient du carrefour que j’ai quitté tout à l’heure ! Alors, je rebrousse chemin en marchant rapidement et, tandis que je m’approche, j’entends des sortes de jappements qui ressemblent plutôt à des hurlements ! Arrivé sur les lieux, j’aperçois un tas de vêtements d’où proviennent ces plaintes ! Il s’agit d’un être humain prostré là ! Je m’approche encore : une jeune femme ou une jeune fille tente de se relever, son visage est pâle, elle a l’air effrayé ; d’une main, elle tente de repousser des mèches blondes retombées en désordre lors de sa chute, de l’autre, elle essaie de se relever. Sa main semble ensanglantée : je vois distinctement sur son vêtement, un imperméable beige, une tache rouge. On dirait du sang ! Je l’aide à se mettre debout et aussitôt lui propose de la déposer chez un médecin ou à un cabinet d’infirmières. Elle me fait signe que non.

— Ce n’est rien, je vais rentrer chez moi, c’est tout près.

— Je peux vous déposer alors ?

Mon air sérieux de jeune homme bien élevé a dû la décider à être secourue par moi malgré quelques hésitations.

Installée à mes côtés, je suis ses instructions jusqu’à un village proche situé dans cette forêt, mais, frayeur ou prudence, elle insiste pour que je la dépose avant les premières habitations. Cependant, j’ai le temps de lui demander ce qui a provoqué ses appels.

— Ce n’est rien, un chien que son maître ne maîtrisait pas…

Et elle rit.

Je vois que ses dents sont très blanches dans un visage hâlé bien qu'encore pâle.

— Vous êtes blessée, il vous a mordue, n’est-ce pas ?

Elle regarde sa main ensanglantée.

— Ce n’est rien, c’est superficiel.

J’insiste :

— J’ai entendu au loin des genres de hurlements comme ceux d’un loup !

Elle se trouble alors, me jette un coup d’œil, puis elle arrange ses cheveux qui sont longs et blonds et s’apprête à me quitter sans répondre.

En plaisantant, j’ajoute :

— Vous n’êtes pas le chaperon rouge et les loups n’existent plus !

Alors, à tout hasard, mû par une curiosité subite, je demande :

— J’ai sauvé qui ? Comment vous appelez-vous ?

Et tandis que je me gare à l’entrée du village comme elle me le demande expressément, elle me regarde d’un air étonné et me répond aussitôt tout en ouvrant la portière. À ce moment là, un tracteur bruyant et puant double ma voiture arrêtée : j’entends vaguement un nom, Léa, puis la jeune fille s’éloigne rapidement.

III

Bon ! je me dis, j’ai été un bon Samaritain. Je redémarre doucement, traverse une suite de villages proches les uns des autres. En réalité, distants de seulement trois ou quatre kilomètres mais séparés par la forêt omniprésente, ces agglomérations semblent perdues dans la nature. Je roule et réalise que je me suis égaré et beaucoup retardé, il n’est plus question que j’arrive ce soir à la Trappe, ni même au Mans !

Cet épisode m’a détourné de ma route. Je continue afin de sortir de cette forêt, et atteignant la petite ville de la Chartre-sur-le-Loir, car je vois son nom à l’entrée, je décide d’y faire étape. Sur la place principale, l’hôtel de France, coquet, attrayant, propose des chambres et des menus très appétissants.

La salle de ce restaurant est grande, les tables bien espacées, les couverts étincelants, les lustres au plafond également, finalement, après ce contretemps de cet incident où je me vante intérieurement d’avoir sauvé une belle inconnue, « Léa » a-t-elle dit, une Léa blonde et finalement vite rassurée ! Je hausse les épaules : comme toutes les filles que j’ai rencontrées, « des filles à manière », exagérant tout ou, au contraire, dans le milieu que je viens de quitter, trop sûres d’elles, décidées, impérieuses, impeccables et nous rejetant, nous les hommes, dans une catégorie inférieure… En tout cas, cet incident a eu du bon, je déguste un fin repas d’autant plus savoureux que je me doute que les menus à la Trappe n’auront ni cette recherche ni cette abondance durant ces huit ou dix jours que je me propose de passer chez les trappistes.

Bien que les tables soient espacées, les voix des convives sont celles de gens de la campagne habitués à parler normalement. À la table voisine, trois hommes discutent justement de la forêt que je viens de traverser. On sent des gens amis qui ont l’habitude de se voir régulièrement. L’un, on dirait un notaire ou un banquier, sa voix est posée, ses intonations mesurées.

— Le maire de Marigné-Laillé était pour, celui de Jupilles s’y opposait.

— Oui, dit un autre convive qui a l’aspect d’un homme vivant en plein air, peut-être un ingénieur de l’ONF, je me dis…

— Oui, mais la superficie n’a pas été jugée suffisante : c’est que, pour les loups, six mille hectares de forêt, ce n’est pas suffisant.

Je dresse l’oreille, les loups !

— Et, ajoute le troisième convive, Saint-Mars- d’Outillé et ici pouvaient donner leur avis.

Celui que je prends pour un notaire rétorque :

— Non, pas La Chartre mais Chahaignes qui est à l’orée de la forêt…

Celui que je suppose être un forestier continue :

— La forêt n’a pas été jugée assez grande, c’est peut-être dommage.

— Oh non ! rétorque le troisième, les loups sont à la mode, mais leur présence aurait chassé les touristes.

S’ensuit une discussion assez animée sur un sujet que j’entends souvent débattu.

— Les loups ne s’attaquent pas à l’homme, c’est une légende, dit le supposé forestier.

Le troisième convive va protester lorsque maître Martin, car la patronne vient d’employer ce terme, dit d’un ton légèrement persifleur :

— N’oublions pas que c’est à Jupilles à la fin du xixe siècle qu’on a tué le dernier loup, il avait attaqué une petite fille, les faits ont été avérés.

Je réfléchis que j’ai glané involontairement beaucoup de noms de lieux-dits, de villages et de petites villes comme celle-ci. Je vais dormir, on m’apprend qu’il y a une tour ici, du nom de Jeanne-d’Arc, l’a-t-elle défendue ? Est-elle passée par cette région ? Nul ne le sait.

Le sommeil me gagne. Lorsque je m’endors enfin, je rêve qu’un loup, gros et très vivant, m’attaque au moment où je sors de mon auto.

IV

La Trappe, un lieu étrange avec le hameau voisin et une forêt proche que je trouve moins imposante que celle traversée hier et qui est la forêt de Bercé dont le nom m’enchante.

Ce monastère de la Trappe, c’est aussi et surtout un lieu d’absolue sérénité. Je ne trouve pas la sévérité de Solesmes ni, bien entendu, le cadre tentateur de Lérins qui entraînerait un certain relâchement de l’esprit ; ici tout est dans le rythme gentiment lent, détendu de l’organisation monacale. On prie bien sûr, on arpente les longs couloirs dans une forme de joie simple quotidienne, on se sent loin des exigences hautaines de saint Bernard, on serait tout près plutôt de saint François d’Assise ou de Pierre le Vénérable, ce moine de Cluny qui sut accueillir Abelard et l’apaiser ainsi qu’Héloïse, son ex-amante.

Je ne cherche même plus à savoir où est ma voie : revenir aux lois et redevenir avocat ? Ou bien professeur de théologie ou encore me faire moine ?

L’anxiété n’a plus cours ici, une tranquille assurance que tout ira pour le mieux me pénètre, le moine organiste joue de l’orgue pieds nus, les villageois viennent s’approvisionner à l’eau d’une source dans l’enceinte du monastère, je suis ou non les offices, les bâtiments monastiques ne sont ni grandioses ni austères, ils sont comme les trappistes ici qui semblent vivre sereinement.

La proximité de la forêt me fait songer à celle découverte il y a quelques jours où il était question d’introduire ou non des loups, et à la jeune fille « Léa » terrorisée par un chien… un chien qui l’a mordue, tout de même ! J’aurais dû l’emmener voir une infirmière : piqûre nécessaire et obligatoire, je connais les lois, j’ai manqué à mon devoir, à mon métier.

J’aide un peu, par goût et par désir d’activité, aux cuisines, au potager et surtout dans la bibliothèque pour ranger par catégories. Je lis, je médite et je prie à ma façon qui est, en mon âme et conscience, de m’interroger sur ce que je cherche. Jusqu’ici, j’ai eu une existence confortable, des études que j’ai aimées, un métier prestigieux que j’ai peut-être quitté trop vite, que j’avais choisi parce que je désirais aider mon prochain.

Alors, me retirer dans un cloître ? Je ne sais pas, après cette retraite paisible, bénéfique, non, je choisis de ne rien choisir pour le moment.

Alençon – Le Mans, la route du retour est toute tracée, puis ce sera Le Mans – Saumur où j’atteindrai la Loire. Je serai, somme toute, vite arrivé à Poitiers, chez moi et près de ma famille : mes parents habitent à dix kilomètres, à Saint-Benoît, mon frère et sa femme à Angoulême. J’ai hâte de les revoir, je sais qu’ils s’interrogent et s’inquiètent un peu pour moi.

Ce voyage de retour n’est pas comme à l’aller où il faisait plutôt beau, car la pluie annoncée commence.

J’arrive au péage de l’autoroute un peu avant Le Mans : encore payer, encore un ticket, je passe, ma voiture toussote, j’embraye brutalement, elle repart, puis, dix mètres plus loin, cale ! Le temps de me garer sur sa lancée, j’appuie sur le démarreur… rien, j’insiste, j’insiste… cela ne m’est jamais arrivé de tomber en panne avec cette voiture.

La chance est qu’un garagiste accepte de venir puisque je suis à une aire de repos, un brave gars, ennuyé autant que moi.

— Non, monsieur, je ne peux pas vous la redémarrer comme ça.

— J’ai fait un plein à Alençon avant de prendre l’autoroute.

— Alors c’est peut-être une poussière dans le carburateur, les carburants de nos jours ! …

Le garagiste me ramène ainsi que ma voiture sur sa remorque, dans une banlieue du Mans où il habite.

Je demande :

— La Chartre-sur le-Loir, c’est loin d’ici ?

— La Chartre, vous dites, monsieur ? Oh ! c’est à quoi… une quarantaine de kilomètres tout au plus… Oui, je peux vous prêter une voiture, bien sûr.

Je me retrouve au retour comme à l’aller à La Chartre-sur-le-Loir, à l’hôtel de France où on me reconnaît, j’ai la même chambre et, ce soir, j’aurai le choix du même menu ou d’un autre : croustade de Saint-Jacques ou quenelles de brochet ou pintade farcie.

— Le vin, monsieur ? Je vous recommande le vin d’ici comme l’autre jour.

— C’était un vin sarthois ?

— Mais parfaitement, monsieur, comme l’autre jour, le coteau-du-Loir, produit à côté d’ici.

— Ah ! je l’ai trouvé bon.

— Ou bien, meilleur encore, le jasnières, le vignoble est à Lhomme, à seulement dix kilomètres.

En attendant ces agapes, je vais flâner et m’amuser à redécouvrir ces simples commerces que je ne vois plus à Poitiers, une petite quincaillerie, un bazar, un bourrelier. Naturellement, on trouve toutes ces marchandises dans les super et hypermarchés, mais les voir individuellement m’évoque le passé.

Le cinéma ? Non, je dois me coucher tôt pour récupérer demain ma voiture, je téléphonerai à mon dépanneur à la première heure, il aura eu le temps, cette après-midi, de réparer mon auto.

V

Sans attendre, tôt le lendemain, je remonte vers Le Mans pour récupérer ma voiture et rendre celle prêtée par le garagiste.

De La Chartre-sur-le-Loir, je remarque que je passe près de ce village de Lhomme qui fait un si délicieux vin, je traverse deux agglomérations qui ont presque le même nom : Saint-Pierre-du-Lorouër et Saint-Vincent-du-Lorouër, drôles de noms ! Je remarque aussi que j’ai quitté la forêt domaniale, mais qu’elle est là, sur ma gauche, tandis que je remonte vers Le Mans ; elle borde cette nationale sur des kilomètre ; d’ailleurs, des panneaux touristiques indiquent « Forêt de Bercé ». Elle est là, présente aussi dans mon esprit, de même que je n’arrive pas à m’arracher à l’impression que cette jeune fille, « Léa », m’a faite, sauvage, courageuse, jolie mais évasive et pressée de me quitter !

Au garage, ma voiture est au beau milieu de l’atelier, capot du moteur ouvert, manifestement pas prête. Les explications du brave garagiste sont précises et très techniques : le résumé est qu’il attend une pièce importante et indispensable pour remplacer celle endommagée lors de ma panne. Et moi qui croyais les Peugeot infaillibles !

Rentrer à Poitiers avec une voiture louée ? Je n’y tiens pas, et, au fond de moi, j’avoue que je ne suis pas tellement fâché de cette panne qui se prolonge : rester dans cette région une huitaine de jours est même pour moi une aubaine me permettant de prolonger cette pause qu’est toute retraite avant de reprendre éventuellement mon métier d’avocat, peut-être aussi de retrouver cette jeune fille, mais dans quel village ? Ils se ressemblent tous ! Me renseigner, comment ? Et auprès de qui ? J’ai son prénom, « Léa », une jeune fille blonde qui se nomme Léa, c’est déjà un début, et pour retrouver cette suite de villages forestiers, le plus simple est de refaire le trajet comme il y a quinze jours lorsque j’étais parti du Lude, je verrai bien !