Vagues de mystère sur Mimizan - Serge Tachon - E-Book

Vagues de mystère sur Mimizan E-Book

Serge Tachon

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Beschreibung

1969, à Mimizan dans les Landes, l’auteur de roman policier Pierre Baron est victime de plaisanteries douteuses qui pourraient bien le tuer : l’homme est malade du cœur.
Le docteur Julien Lacombe est invité à la villa Calliope par l’écrivain, pourra-t-il démasquer le dangereux farceur parmi les habitués du lieu ? En guise d’école buissonnière, le jeune homme visitera la papeterie de Mimizan, fleuron de l’économie locale. Mais bientôt, le ton change, la plaisanterie fait place au crime ! Comme si ce n’était pas suffisant, le spectre d’un ancien meurtre, commis dans la région mais jamais élucidé, va brutalement resurgir ! Une affaire insolite, qui vire au casse-tête : une femme a été assassinée dans une pièce de sa maison, pourtant verrouillée de l’intérieur. Et si l’on pouvait résoudre un meurtre bien réel en raisonnant comme un auteur qui passe son temps à en inventer ? Pourquoi pas ? Julien Lacombe ne risque rien à essayer !


À PROPOS DE L'AUTEUR

Serge Tachon est né en 1963 à Mont-de-Marsan dans les Landes. La lecture s’est imposée rapidement à lui comme moyen d’évasion. Après avoir essayé plusieurs genres, la finesse des énigmes du roman policier l’a captivé. Fervent admirateur des grands noms comme Agatha Christie, il en a découvert d’autres en la personne de John Dickson Carr, spécialiste des “crimes impossibles”. En France, Charles Exbrayat restera pour lui un auteur inégalé, pas seulement pour ses romans policiers ou d’espionnage, mais aussi pour le reste de sa production. Aujourd’hui correspondant local de presse pour le quotidien Sud Ouest, Serge Tachon raconte les histoires de son univers avec l’exigence de faire passer un moment agréable à ses lecteurs. Il vit à Mont-de-Marsan (40).

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Ce roman est une œuvre de fiction. Les personnages et les événements sont le fruit de l’imagination de l’auteur. Toute ressemblance avec des personnes réelles serait pure coïncidence.

© – 2023 – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

Serge Tachon

Vagues de mystère

sur mimizan

meurtres dans les landes

« Il s’agit de montrer comment un assassin peut entrer dans une pièce fermée à clef et en sortir ! »

La flèche peinte, John Dickson Carr

Prologue

Landes, Mimizan, 1964

Hector Laval, riche propriétaire terrien, rentre à la maison, enchanté. Il n’a pas roulé cinquante kilomètres jusqu’à Labouheyre pour rien ! Au contraire, il a découvert chez son antiquaire, de merveilleuses pendulettes, qu’il exhibera fièrement à ses amis, pas plus tard que ce soir, au cours du dîner auquel il les a conviés.

Les Laval possèdent une villa, ancienne, mais cossue, située route de Lespecier. Le domaine, immense, abrite un centre équestre. Sophie Laval, une femme un peu plus jeune que son époux, nourrit une passion pour le cheval depuis son plus jeune âge.

Pressé comme un enfant qui veut profiter de ses jouets, Hector ne parque pas sa voiture dans le garage. De toute manière, il doit ressortir, dans la journée. À bientôt midi, les bras chargés de ses emplettes, il pousse la porte de l’entrée, après avoir gravi les quelques marches menant au perron. Il demande à Solange, l’employée de maison, où se trouve Madame, car il désire lui présenter ses acquisitions. Solange répond que Madame est descendue à la bibliothèque, comme d’habitude.

La « bibliothèque » n’en est pas vraiment une. C’est une pièce du sous-sol. Pour une raison que le mari ne comprend toujours pas, Sophie la préfère à tous les endroits de la villa qui pourraient remplir une fonction identique, avec, de surcroît, un bien meilleur confort.

Hector a cessé de la convaincre et s’est plié à cette volonté, qui au fond, ne le gêne pas. Après avoir déballé ses paquets et contemplé ses deux pendulettes du xviiie siècle, il demande à Solange d’aller chercher Madame pour le déjeuner, ne supportant pas de ne pas manger à l’heure. L’employée s’exécute et réapparaît, quelques instants plus tard, essoufflée d’avoir descendu et remonté les escaliers au pas de course.

Solange, fort embêtée, affirme que Madame est enfermée dans sa « bibliothèque » et ne répond pas. Intrigué, Hector se rend sur les lieux, l’employée sur ses talons. Le sous-sol comprend un large espace pour garer les deux automobiles du couple. À droite, la buanderie. La « bibliothèque » lui fait face. À son tour, Hector frappe, appelle, sans succès. Il essaie d’ouvrir la porte, elle résiste. Effectivement, Sophie a donné un tour de clef.

L’homme, grand, les yeux perçants, a le port rigide des militaires, sans toutefois appartenir à leur corporation. Il manifeste rapidement son impatience, face à une situation qu’il ne peut maîtriser. Solange propose d’utiliser un double de la clef qui se trouve dans la table de chevet de Madame. Hector approuve l’idée et monte lui-même la chercher, ordonnant à son employée de garder l’entrée de la bibliothèque. Mais quand il redescend, il exprime un mauvais pressentiment. Et si quelque chose de grave s’était produit ? Il tente d’ouvrir la porte, mais n’y parvient pas. Non seulement Solange s’est enfermée, mais elle a laissé la clef dans la serrure.

Il fonce à l’extérieur. Car la pièce possède une fenêtre qui donne sous les escaliers de l’entrée. Peut-être pourra-t-il voir quelque chose, au travers. Il revient quelques minutes plus tard, affolé. Il a aperçu un corps allongé, certainement Sophie, terrassée par un malaise.

Hector décide alors d’appeler les secours et la gendarmerie. Dans un état second, il redemande à Solange de garder la porte, le temps qu’il leur téléphone, car il ne faut toucher à rien. Surprise, parce que ne voyant pas qui pourrait forcer l’entrée, Solange obéit tout de même.

Les gendarmes arrivent, commandés par le capitaine Lefort, chef de la brigade de Mimizan. C’est un homme qui connaît son métier, capable de glacer un suspect par son ton autoritaire, comme de mettre à l’aise un témoin apeuré, lorsqu’il adopte une attitude cordiale. À son tour, le militaire essaie d’abord d’ouvrir la porte avec le double de la clef, sans plus de succès que le maître de maison.

En dernier recours, le gradé demande s’il peut enfoncer la porte, ce à quoi Hector consent de bonne grâce. Dans la pièce, peu de meubles : un bureau, un fauteuil, et sur la gauche, une bibliothèque recouvrant la cloison jusqu’en haut. Une échelle permet d’ailleurs d’accéder aux rayonnages les plus élevés.

L’ordre règne dans le lieu. Les choses sont rangées, aucun objet ne traîne à terre. L’échelle amovible de la bibliothèque est sagement placée sur ses rails, à gauche, près de la porte.

Sur le mur face à l’entrée, la seule fenêtre laisse passer la lumière naturelle du jour. L’ouverture a été percée en hauteur, certainement parce que cette pièce n’était pas destinée à un tel usage. Même en levant les bras au-dessus des épaules, on ne peut l’atteindre. Pour ce faire, on doit utiliser l’échelle de la bibliothèque.

La fenêtre est également fermée de l’intérieur. De toute manière, personne ne pourrait entrer par là. Des barreaux en fer forgé interdisent l’accès de l’extérieur.

Sophie Laval est allongée sur le dos, les yeux et la bouche ouverte. Sa tenue, aussi ordonnée que la pièce elle-même, déroute l’enquêteur. Cela accréditerait la thèse d’une attaque soudaine qui aurait cloué la victime, l’empêchant d’appeler à l’aide. Pourtant le capitaine n’y croit pas. Il voit bien les marques de strangulation sur le cou de la morte, imprimées par un garrot assassin. Comment expliquer ce paradoxe ?

Lefort n’est pas né de la dernière pluie. D’emblée, il suspecte le veuf, assez indifférent au meurtre de son épouse. Cette idée le taraude, tout au long des investigations. Il échafaude plusieurs hypothèses.

Le mari, en rentrant discrètement chez lui, se précipite au sous-sol et tue sa femme. Autre scénario : Hector Laval passe par le garage et gagne la « bibliothèque » où il tue sa femme. Dans les deux cas, il rejoint ensuite la bonne entrée, prend soin de se signaler à son employée, et lui joue la comédie.

Une autre idée germe dans l’esprit du militaire : c’est lorsqu’il est allé à la fenêtre voir ce qu’il se passait que le mari a tué sa femme. Cette théorie lui plaît, car Solange, bloquée derrière la porte fermée à clef, n’a rien vu de ce qu’il a fait à ce moment-là ! Son enthousiasme retombe rapidement.

Premièrement, les barreaux qui protègent la fenêtre permettent de passer une tête à l’intérieur, mais guère plus. Il n’a pas pu s’introduire dans la pièce. Deuxièmement, le gendarme a constaté, en examinant les lieux, que cette fenêtre était correctement fermée, la poignée tournée à fond. Même si, pour une raison quelconque, la fenêtre était ouverte, et que le mari ait profité de cette circonstance, comment l’aurait-il convenablement refermée de l’extérieur ? Impossible !

Ensuite, le capitaine se heurte aux faits. Le mobile, d’abord. Dans le couple, c’est Hector, le conjoint fortuné. Son épouse ne lui lègue aucun héritage. Une aventure ? S’il en entretient une, il se montre très discret, car la surveillance à laquelle l’enquêteur va le soumettre ne donne rien.

Mais l’objection majeure à la culpabilité du veuf est fournie par l’autopsie de Sophie Laval. L’examen prouve sans conteste qu’elle a été assassinée tôt dans la matinée, à l’heure où Hector Laval choisissait ses pendulettes chez l’antiquaire de Labouheyre. Il ne peut l’avoir tuée.

Solange, de son côté, persiste dans ses déclarations : personne n’a rendu visite à Madame. Certes, elle n’a pas quitté la cuisine, car Monsieur a invité des amis ce soir. Il l’a chargée de préparer un repas incluant plusieurs plats, longs à confectionner. Toutefois, si quelqu’un était entré dans la maison, elle l’aurait entendu. Quant à envisager la complicité de l’employée, Lefort y renonce très tôt, comprenant qu’elle n’a feint ni la stupéfaction ni la dévastation, suite à cet évènement.

En outre, elle se montre assez dure envers son patron, explique que depuis quelque temps, le couple se querellait plus qu’à son habitude. Elle ne serait pas étonnée que Monsieur ait quelque chose à voir dans cette affaire. Confirmant l’antagonisme qui règne entre ces deux personnes, Hector Laval renvoie Solange peu après le meurtre.

Rien ne permet au capitaine Lefort d’y voir plus clair dans cette affaire. Sera-t-elle la première de sa carrière qu’il n’arrivera pas à résoudre ? Une telle perspective le met hors de lui.

Chapitre 1

Landes, 1969

Pour Julien Lacombe, jeune médecin âgé de trente et un ans, la vie coule délicieusement, le comblant à plus d’un titre. Il vit et exerce à Villeneuve-de-Marsan, commune située à l’est du département des Landes.

Il trouve agréable et épanouissant le travail qui ne manque pourtant pas dans cette contrée, essentiellement rurale. En cette année 1969, Geneviève, la fiancée du praticien, de neuf ans sa cadette, s’est définitivement installée chez lui. Que pourrait-il demander de plus ?

Ce vendredi matin là, en prenant leur café, les amoureux envisagent un week-end de détente, une escapade, prétexte à une sortie romantique.

« Enfin, déclare Geneviève, en ouvrant ses yeux gris pétillants, si tu as envie de passer du temps avec moi, au lieu d’arrêter les meurtriers !

— Tu exagères ! » réplique Julien, faussement sérieux.

Il n’empêche que Geneviève a soulevé un point qui tracasse le jeune homme. Grâce à ses connaissances médicales, il a pu, il y a trois ans, démasquer un assassin au mode opératoire particulièrement ingénieux. Depuis, il s’est lié d’amitié avec le capitaine de gendarmerie Valentin Maurrin, et l’a aidé à résoudre des affaires atypiques1. C’est ainsi que, de temps à autre, son nom s’étale dans les journaux. Cela le met mal à l’aise, créant une notoriété non désirée, qui l’étouffe quelque peu. Ses patients lui parlent plus de ses « enquêtes » que du mal dont ils souffrent. Il ne peut plus les soigner convenablement. Il a donc décidé de ne plus autoriser la presse à le citer, dans l’éventualité où Valentin viendrait encore quérir ses prétendus dons de fin limier, statut qu’il ne revendique pas, mais que beaucoup s’évertuent à lui attribuer, à tort, selon son goût.

« Ne t’inquiète pas chérie, dit-il, je n’ai pas envie de jouer au gendarme et au voleur.

— Tu ne devrais pas dire ça ! prophétise-t-elle, amusée. C’est le meilleur moyen pour attirer un nouveau cas !

— Pas de risque, je ne suis pas superstitieux ! Alors, quelle sortie te ferait plaisir ?

— J’aimerais voir la mer. On pourrait aller à Capbreton !

— Bien sûr ! Il me semble que tu parlais l’autre jour du rocher de la Vierge, à Biarritz.

— Oui ! Ce serait une belle balade !

— Va pour Biarritz ! » décrète Julien à la manière d’un commissaire-priseur.

À ce moment, le timbre de la sonnette retentit, arrachant un fou rire à Geneviève, certaine que sa prédiction est sur le point de se réaliser. Elle ne se trompe pas. Julien ouvre à un Valentin qui se dandine, mal à l’aise, comme s’il avait été pris la main dans le pot de confiture. Il l’invite néanmoins à le suivre, en lui proposant un café que le gendarme accepte volontiers.

« Ne me dis pas que tu as hérité d’un nouveau cas biscornu ? fait le médecin, alarmé d’une telle visite matinale.

— On parlait justement de toi ! souligne la jeune femme.

— Non, rassure-toi, pas de meurtre ! répond le capitaine aux yeux bleus en scrutant son ami avec appréhension. Mais une étrange histoire ! J’ai pensé que tu apprécierais l’invitation de Pierre Baron, dans sa villa à Mimizan.

— Pierre Baron ? Qui est-ce ?

— Enfin ! Tu vis dans une grotte ? s’offusque Geneviève à l’énoncé d’une telle interrogation. Pierre Baron est un auteur de roman policier. Son nouveau titre, La théorie des cercles, fait un véritable malheur.

— Tu l’as lu ?

— Pas encore, mais je voulais l’acheter pour nos prochaines vacances, précisément !

— Et que lui arrive-t-il, à ton ami, pour que tu fasses appel à moi ? se renseigne le docteur auprès du militaire.

— Ce n’est pas mon ami ! se défend Valentin. C’est celui du commissaire Gariel, de Bordeaux. Une vieille connaissance. Il m’a contacté pour mener l’enquête incognito.

— Enquêter sur quoi ?

— Pierre Baron pense que quelqu’un cherche à le tuer.

— Une tentative de meurtre ? Attends Valentin, tu n’es pas sérieux ! s’emporte Julien. Ce n’est pas une mission pour moi ! S’il connaît le commissaire, il peut demander qu’un inspecteur le surveille ou lui serve de garde du corps !

— Avant de t’énerver, écoute-moi ! Ce n’est pas une tentative de meurtre ordinaire. Pour l’instant, on ne l’a ni agressé ni blessé.

— Dans ce cas, que se passe-t-il ?

— Il est victime de farces désagréables, déclare le gendarme avec le plus grand sérieux, laissant son interlocuteur bouche bée devant cette nouvelle dont il ne sait vraiment pas quoi penser.

— Ça m’a l’air bien tordu ! s’amuse Geneviève devant la mine déconfite de son amoureux.

— Imagine, poursuit Valentin, la semaine dernière, il a cru qu’il avait décroché cinq mille nouveaux francs à la Loterie nationale.

— Comment ça, “il a cru” ? relève Julien, soupçonneux.

— Quelqu’un s’est acharné pour lui en donner l’illusion. Baron joue régulièrement. On pense qu’une personne lui a refilé un faux ticket. Quand il a voulu encaisser ses gains, on lui a dit que son bulletin n’était pas valable.

— Et c’est tout ? Bon, on lui a fait une blague, de mauvais goût, peut-être, mais enfin, je ne vois pas de raison suffisante pour alerter la police !

— Le souci, rétorque Valentin, la mine grave, c’est que les incidents se multiplient depuis un moment, et que de telles “blagues” pourraient bien lui être fatales ! Pierre Baron a des problèmes cardiaques. Son frère, qui souffrait du cœur lui aussi, en est mort il y a quelques années.

— Tu insinues qu’on cherche à le tuer sous couvert de mauvaises plaisanteries ?

— C’est ce que le commissaire Gariel pense. Il ne peut diligenter une enquête officielle, faute d’éléments probants, alors il a songé à une voie officieuse.

— Et naturellement, tu viens me voir ! tonne le praticien, mi-indigné, mi-amusé en constatant l’embarras de son ami, toujours gêné quand il sollicite son aide. Mais d’après ton histoire, la personne qui lui en veut fait partie de ses intimes. Qui d’autre aurait pu lui fournir un faux ticket gagnant ?

— C’est vrai. Le souci, c’est que Baron reçoit beaucoup. Sa maison ressemble à un hall de gare. D’où la difficulté à identifier ce mauvais plaisant qui, je te le rappelle, pourrait devenir un assassin, pour peu que son plan fonctionne !

— Merci pour l’invitation ! s’exclame Julien. Tu m’envoies au front sans états d’âme.

— Tu ne crains rien, puisque notre farceur mystérieux n’utilise pas d’armes ! Tu n’as qu’à t’infiltrer et observer ! Au besoin, mon collègue de la brigade de Mimizan est un ami. Si tu soupçonnes quelque chose, contacte-le de ma part. Il t’apportera son soutien logistique.

— Charmant ! Tu as vraiment pensé à tout ! Autant dire que tu me forces la main !

— Qu’est-ce que tu as ? s’inquiète Valentin. Je te trouve ronchon. Tu n’es pas d’accord ? demande-t-il à Geneviève qui se fait un plaisir d’abonder dans son sens.

— Il avait pris de nouvelles résolutions à propos des “enquêtes” que tu lui confies, explique-t-elle. Il ne pensait pas les mettre en application de sitôt ! »

La conversation s’achève néanmoins dans la bonne humeur. Julien retrouve le sourire pour écouter les détails que Valentin avait prévu de lui transmettre, dans le cas où il accepterait « l’affaire ». Quelques jours dans une luxueuse villa agrémentée d’une piscine géante ne sont pas pour déplaire à Geneviève. Quant à Julien, il ne lui en faut pas beaucoup pour céder à la tentation d’un mystère. Car s’il n’aime pas être considéré comme une vedette, le mécanisme complexe d’un meurtre, et tout ce qui s’y rattache, le fascine, bien qu’il ne lise que très rarement des romans policiers. Quand le crime s’invite régulièrement dans son quotidien, il n’est nul besoin de chercher le frisson avec une histoire née de l’imagination, pense-t-il.

1. Les quatre premières enquêtes de Julien Lacombe figurent dans Sombres nouvelles du Sud-Ouest, Geste Noir numéro 180.

Chapitre 2

Les amoureux ne mettent pas longtemps à boucler leurs valises. Peu avant treize heures, ils prennent la route dans la Mercedes 230 du praticien pour rallier Mimizan. Cette journée de juillet s’annonce chaude. Geneviève a revêtu un maillot de bain, par-dessus lequel elle a enfilé une robe légère. Une fois en dehors de l’agglomération, la jeune femme l’enlève pour bronzer pendant le voyage, sous le regard gourmand de Julien.

La radio, calée sur France Inter, revient sur l’élection de Richard Nixon à la présidence des États-Unis, en janvier. Le journaliste rappelle que le républicain, battu en 1962 par Kennedy, achève ainsi sa traversée du désert, et signe un bel exploit.

« Ce n’est pas cela qui arrangera l’économie française ! tempête Julien, inquiet des menaces de dévaluation du franc, écartées par le Premier ministre au cours du mois de novembre dernier.

— C’est vrai que t’es bougon ce matin ! déplore la jeune femme. S’il te plaît, chéri, tu ne vas pas nous gâcher cette belle journée avec la politique et le cours de la bourse ? Zut ! C’est encore trop tôt pour l’émission d’Annick Beauchamps, poursuit-elle en consultant sa montre. Cherchons autre chose, décide-t-elle en triturant la molette de réglage du poste pour s’arrêter sur Venus, des Shocking Blue.

— C’est nettement mieux ! sourit-elle en imitant Mariska Veres chanter en play-back. Allez, avec moi ! l’invite-t-elle en arrachant la main droite de Julien du volant, pour mimer la batterie.

— Tu vas nous faire atterrir dans le fossé, proteste Julien, amusé cependant par l’entrain de sa fiancée.

— Alors, on repart sur une nouvelle partie des gendarmes contre les voleurs ? lance Geneviève, mutine. Tu aimes vraiment ce jeu !

— Je ne vais arrêter personne ! Je ne suis qu’un simple observateur, se justifie-t-il en posant finalement les deux mains sur le volant, pour prévenir tout accident. Mais au fait, ça ne te dérange pas trop que nos projets soient ainsi contrariés ?

— Voyons ! réfléchit-elle. Me la couler douce pendant quelques jours dans la baraque d’un type plein aux as, profiter de sa piscine, respirer l’air de l’océan ! Je devrais y survivre ! rit-elle de bon cœur.

— Un gars plein aux as, je ne sais pas ! En tout cas, ce n’est pas forcément le succès de son roman qui l’a enrichi. Valentin m’a appris que Pierre Baron s’est retiré des affaires. Il était propriétaire de la papeterie de Mimizan. Il l’a vendue.

— Comment va-t-il te présenter à ses amis ? s’enquiert soudain Geneviève en mordant à belles dents dans un sandwich que les tourtereaux ont préparé dans la cuisine en se chahutant pour mieux s’embrasser.

— C’est là que ça peut coincer ! reconnaît le jeune homme. J’ai peur de faire figure d’intrus. Le coup du vieux copain qui débarque ne me tente pas ! Trop voyant ! M’annoncer comme un médecin en consultation risque de vexer son toubib attitré. Baron ne se préoccupe pas vraiment de ce détail. Pour lui, notre arrivée n’éveillera aucun soupçon. Valentin nous a prévenus, il reçoit beaucoup. Espérons que ça passe !

— Quelle folle aventure ! » se moque-t-elle gentiment.

L’auto emprunte la départementale en direction de Morcenx. Finalement, après avoir dévoré son en-cas, Geneviève a incliné le dossier de son siège pour un petit somme. Pour ne pas la déranger, Julien a éteint la radio et se concentre sur la conduite. Du moins, c’est ce qu’il voudrait, car il doit bien admettre que le corps de la jeune femme à demi nue, si proche de lui, le perturbe quelque peu.

Sa poitrine, offerte à ses moindres désirs, se soulève au rythme tranquille de sa respiration. Un être à aimer rend l’existence bien plus belle ! pense-t-il, bousculant ses certitudes d’il n’y a encore pas si longtemps que cela ! Qui aurait dit que lui, Julien Lacombe, célibataire par vocation, se coulerait si facilement dans la vie de couple ! Ses préjugés de vieux garçon lui présentaient l’option comme les quatre murs d’une prison. Rien à voir ! admet-il silencieusement. Mais tout le monde n’a pas la chance de rencontrer Geneviève Boléa ! Une femme aussi intelligente que charmante, tellement exquise, que l’on envisage aisément l’avenir en sa compagnie !

Julien sifflote, captant ces instants fugaces de bonheur, qui, il le pense, dureront tant que Geneviève vivra à ses côtés. Il n’avait jamais vraiment réfléchi au futur, pris dans le tourbillon de son travail et du temps qui file à toute allure. Il se sent comblé d’avoir croisé la route d’un être aussi exceptionnel à ses yeux. Il en regretterait presque, à présent, d’avoir cédé à la demande de Valentin et, par là même, de ne pouvoir passer le week-end en tête à tête avec sa dulcinée. Je vais devoir apprendre à dire non plus souvent, se promet-il. Chose rassurante, Geneviève ne semble pas agacée par cette sortie improvisée à Mimizan. Encore une qualité que Julien attribue à sa fiancée : elle s’adapte et prend la vie du bon côté. Pas de risque que les années la transforment en mégère effrayante, armée du mythique rouleau à pâtisserie !

Le jeune homme profite du silence pour résumer ce qu’il sait. Avant de le quitter, Valentin, en fieffé organisateur de traquenard qui avait prévu sa réaction, s’était empressé de lui donner le numéro de téléphone de Pierre Baron.

« Appelle-le avant d’y aller, comme ça, vous pourrez mettre au point un scénario !

— Non, tu crois ? avait raillé Julien. Je pensais dire à tout le monde : “Je suis celui qui va démasquer le tueur de cette cambuse !”

— Très drôle ! » avait sèchement répondu le gendarme, néanmoins satisfait que sa demande ait abouti.

Pierre Baron est, du moins d’après la première impression que Julien perçoit, un homme affable, du style bon vivant. Ils ont parlé ensemble comme s’ils étaient de vieux amis. L’écrivain a dépassé la quarantaine, ce qui ne l’empêche pas de rire à ses propres blagues potaches. Il a éludé le problème soulevé par Geneviève : comment va-t-il présenter ce couple que personne ne connaît ? Il a préféré lui énumérer la distribution des principaux personnages présents.

Sandrine Baron, la belle-sœur, veuve de Nicolas, le frère de Pierre, demeure à la villa Calliope en permanence, tout comme Éric, le neveu, cadre à la papeterie. Parmi les amis proches figurent une certaine Dorothy et Yves Ballard, deux écrivains. Patrice Legrand, libraire à Mimizan, collabore depuis peu avec l’auteur, affublé du titre pompeux de « directeur de recherche ». Alain Darbos, journaliste, travaille à Paris pour la revue littéraire Le roman policier moderne. Il vient dans les Landes chaque fois qu’il le peut, accompagné d’Yves, lui aussi parisien. Les deux hommes sont amis. Ils seront là, ce week-end. Enfin, Augustine Delcour, fidèle employée de maison – gouvernante dirait-on dans un autre siècle –, sert les Baron depuis de nombreuses années. Elle a bien connu Nicolas, le frère aîné qui a succombé à une crise cardiaque, cinq ans auparavant.

Aujourd’hui, c’est le cadet de la famille qui risque une fin identique, mais celle-là, sciemment provoquée. Le décès de Nicolas aurait-il donné des idées à quelqu’un pour se débarrasser de Pierre ? Julien ne voit pas trop la raison de cette entreprise puisque l’homme lui a bien confirmé sa retraite des affaires avec la vente de la papeterie depuis quatre ans. Il l’avait héritée de son frère, mais, se sentant très vite mal à l’aise pour gérer un tel « paquebot », il avait préféré la céder à bon prix – certains disaient même à très bon prix, sous-entendant une escroquerie – pour placer l’argent et spéculer, domaine dans lequel il excelle. Seule condition, non négociable à cette opération, qui trouva de nombreux candidats, pas effrayés par le montant à plusieurs zéros : qu’un poste de choix soit attribué à vie à Éric, le neveu, qui venait d’achever ses études d’ingénieur. Cela figurait au contrat, noir sur blanc, et demeurait obligatoire y compris en cas de revente, une manière de pérenniser la carrière du jeune garçon, pour qui Pierre Baron ressent une réelle tendresse.

Un pourcentage conséquent sur la transaction a été reversé à la veuve. L’écrivain a ainsi assuré à la belle-sœur et à son fils, un train de vie confortable. Une telle prévenance doit, dans l’esprit de Julien, inciter à la reconnaissance et aux bons sentiments. Qui donc aurait des raisons d’en vouloir à Pierre Baron ? Ce dernier se montra ferme. Inutile, d’après lui, de chercher le « farceur » parmi le repreneur de la papeterie. Même si le prix demandé se situait dans la fourchette haute, l’investissement se révèle, après coup, une aubaine. Pas de quoi nourrir un quelconque ressentiment, l’acheteur aurait volontiers payé plus cher ! Quant à Sandrine et son fils, ils n’ont pas à craindre l’avenir. Leurs vieux jours sont assurés ! Ils n’ont été lésés en rien par l’opération, au contraire.

« Alors quoi ? demanda brutalement Julien au terme de la longue conversation téléphonique avec la “victime potentielle”. Qui donc pourrait s’en prendre à vous ?

— Avez-vous lu mon roman ?

— Non, dut reconnaître le médecin.

— Ça vient de là, affirma l’auteur qui ne plaisantait plus. On m’en veut à cause de ce que j’ai écrit !

— Pour un bouquin ? Vous rigolez !

— J’ai profané le sacré ! chuchota Baron, prétextant une visite inopinée pour couper court. Je vous expliquerai ! »

J’ai l’impression de tomber chez les fous ! pense Julien, alors qu’il quitte Bias. Quelques kilomètres plus loin, il ne peut s’empêcher de consentir un crochet pour passer devant la papeterie.

Fière, elle se dresse à sa gauche, supplantée par les gros nuages crachés par ses cheminées. Les riverains, coutumiers de ces nuées blanches parfois malodorantes, ne leur prêtent plus guère attention. L’usine emploie mille deux cents personnes environ.

Julien, après avoir contemplé l’édifice quelques minutes, opère un demi-tour sur le parking. Pour rejoindre la villa Calliope, il prend la direction de la plage, route de Lespecier.

« Chérie, murmure Julien en direction de sa fiancée, tu devrais songer à te rhabiller. Tu risques d’affoler les mâles qui vivent ici !

— Quoi ? balbutie-t-elle en se redressant. M’habiller ? répète-t-elle, se rendant compte qu’elle est toujours en maillot de bain. Ah d’accord ! sourit-elle en enfilant rapidement sa robe d’été après une gymnastique loin de déplaire au jeune homme. Tu as dû te rincer l’œil pendant tout le trajet ! plaisante-t-elle, complètement réveillée.

— Plutôt deux fois qu’une ! Je te confirme ! 

— On est arrivé ?

— Oui, regarde ! »

Proche de la mer, perdue au milieu des pins des Landes, la maison se fond dans un décor idyllique. Calme, nature, autant d’éléments pour inspirer un auteur, s’avise Julien qui ne comprend pas que l’on puisse imaginer des crimes dans un tel cadre. Le couple descend de la voiture que Julien a garée dans l’allée de gravier.

Un large escalier d’une dizaine de marches conduit à une esplanade où l’on a érigé la vaste demeure. À sa droite, un espace vert entretenu précède la piscine qui séduit tant Geneviève. Au fond, on entrevoit une étendue boisée qui se mêle à la forêt landaise pour ne faire qu’un. Julien se munit du heurtoir installé sur la solide porte d’entrée.

« Attention ! susurre ironiquement le jeune homme en frappant trois coups, nous voici dans un repaire de tueurs sans pitié ! »

Chapitre 3

Des pas précipités répondent immédiatement à l’appel de Julien. On ne badine pas avec l’étiquette ! s’amuse-t-il. Une femme extrêmement souriante, au visage ridé, encadré de courts cheveux gris, ouvre. C’est l’incarnation de la « mamie gâteau », jamais épuisée pour rendre service, une personne dévouée à ses patrons, et qui regrette certainement que des enfants en bas âge ne prennent pas d’assaut les couloirs avec des cris d’Indiens et de cow-boys, pour égayer cette demeure trop silencieuse.

C’est fou tout ce que l’on peut lire dans les yeux, songe le médecin, qui, s’il n’est pas enquêteur, possède de solides notions de la psychologie humaine, à force de la côtoyer dans l’exercice de sa profession. Il rend son sourire à Augustine, l’employée de maison, facilement reconnaissable à son tablier blanc qui ne la quitte probablement jamais.

« Pierre m’avait bien dit qu’il attendait des invités ! Entrez, je vous prie, les enjoint-elle dans une esquisse de révérence désuète. Il est occupé avec… quelqu’un, se reprend-elle, soudainement soucieuse du devoir de réserve envers des inconnus. Je vais le prévenir que vous êtes arrivés. Vous voudrez bien patienter ici… fait-elle en désignant une pièce sur la droite qui fait face aux escaliers menant à l’étage. Je peux vous proposer une boisson ? Un jus de fruits, ou peut-être, préférez-vous un café ?

— Je boirai volontiers un café, accepte Julien, tandis que Geneviève opte pour une orangeade rafraîchissante.

— Installez-vous, je n’en ai pas pour très longtemps » invite Augustine en indiquant une table et trois confortables fauteuils près d’une fenêtre ouverte, laissant entrer la chaleur estivale.

Pendant cette courte conversation, l’employée de maison tournait le dos aux escaliers. Elle ne pouvait donc voir un homme qui en descendait, un livre à la main, et qui gigotait en fixant Julien. Ses gestes voulaient dire « non ». Ils redoublèrent d’intensité à la proposition d’un café. Et l’individu se tordait de rire en silence, prenant garde de ne pas être aperçu par Augustine.

Sans aucune hésitation, Julien identifia le nouveau venu à Pierre Baron. Le numéro de clown auquel ce dernier venait de se prêter correspondait tout à fait au ton blagueur perçu au téléphone. D’ailleurs, avec un grand sourire, il se présente dans une cordiale salutation pour le médecin et un langoureux baisemain à l’attention d’une Geneviève rougissante, peu habituée à de telles effusions.

« Quelque chose ne va pas ? demande Julien, dès qu’il peut interrompre l’écrivain, s’épanchant un peu trop longuement sur la rare beauté des yeux de la jeune femme.

— Mon ami, déclame Baron, vous venez de commettre la première erreur de votre visite ! Mais vous avez péché par ignorance, aussi vous sera-t-il largement pardonné ! rassure-t-il en imitant la bénédiction d’un prêtre, avant d’éclater de rire. Vous avez accepté un café d’Augustine. C’est une grave imprudence ! Personne, ici, ne boit un tel breuvage préparé de ses mains. Dans mon bureau, je dispose de ma propre cafetière. C’est probablement ce qui m’a permis de vivre jusqu’à ce jour !

— Allons ! rétorque le médecin sous l’œil amusé de Geneviève. Vous exagérez ! Et puis, j’ai l’habitude. Les clients que je visite à domicile pensent me faire plaisir en me servant parfois une infâme lavasse !

— Je vous aurais prévenu ! » articule sentencieusement l’hôte, tandis qu’Augustine revient, les bras chargés d’un plateau qu’elle pose sur la petite table, sans se départir de son sourire.

Le médecin, peu impressionné par l’avertissement, met un sucre dans sa tasse qu’il porte à ses lèvres après avoir mélangé la mixture qui, soudain, lui paraît suspecte. L’autosuggestion, certainement ! veut-il croire. Il éprouve cependant un malaise, accentué par les regards lourds qui pèsent sur lui. Non seulement l’homme l’observe de la manière la plus indélicate qui soit, mais sa fiancée, qui entre allègrement dans le jeu, l’épie en buvant son orangeade, prête à exploser de rire. L’occasion lui en est donnée sur-le-champ.

Après avoir goûté une bonne gorgée, Julien sursaute d’écœurement.

« Elle le prépare avec des grains d’orge ? » peste-t-il en se rappelant les récits de guerre de son père.

Avisant la fenêtre toute proche, il jette le contenu au-dehors, pour s’en débarrasser dans la plus grande discrétion. Malheureusement, sous l’impulsion violente de son geste, non seulement le liquide gicle à l’extérieur, mais la tasse suit la même trajectoire. Il ne reste plus que l’anse au bout des doigts de Julien. Surpris de cet envol, le jeune homme ouvre les yeux comme des billes, incapable de prononcer un mot. Pierre Baron éclate de rire, imité par Geneviève, qui regrette alors d’avoir laissé l’appareil photo dans la voiture. Elle aurait volontiers immortalisé la mine déconfite du médecin.

« Désolé, s’excuse finalement ce dernier, avec un ton digne qui accentue le fou rire de l’écrivain. Heureusement, votre employée n’a pas vu la scène. Elle ne sera pas vexée. Je vais récupérer la tasse, ajoute-t-il en déposant l’anse sur le plateau.

— Laissez ! l’en dissuade Baron, en se calmant un peu. Ce genre d’incident survient fréquemment. Parlons de choses sérieuses. J’ai trouvé un moyen de vous présenter à mes amis. Vous serez mon nouveau consultant pour les questions médicales. Je vous ai invité pour préparer mon prochain roman. Ainsi, personne ne sera surpris qu’un docteur passe quelques jours chez nous. J’ai eu le temps de lancer l’information avant votre arrivée !

— Votre médecin traitant aurait pu vous rendre ce service !

— Non ! Philippe Caléta, que tout le monde connaît ici, est très gentil. Mais c’est un vieux garçon qui n’aime pas s’éterniser auprès de ses clients. Je lui ai déjà demandé quelques renseignements, il m’a envoyé balader ! Ça ajoutera donc une touche d’authenticité.

— Monsieur Baron ! l’interpelle Julien, rassuré que son interlocuteur ait repris un ton de conversation normal, vous soupçonnez que ces “farces” soient causées par la sortie de votre roman. Pour ma part, j’ai du mal à le croire.

— Vous ne l’avez pas lu, donc vous ne pouvez pas comprendre !

— Moi, j’avais l’intention de l’acheter ! souligne Geneviève. Je n’en ai pas eu le temps.

— N’en faites rien ! répond l’auteur. Je vous en offrirai un exemplaire à chacun. Vous pourrez ainsi tirer les bonnes conclusions. Pour l’instant, venez ! Il y a, dans l’autre pièce, une protagoniste de votre nouvelle affaire. Vous savez, j’ai suivi vos exploits dans la presse. Comme Hercule Poirot, vous vous posez là !

— C’est très exagéré, tempère le médecin. C’est votre livre ? demande-t-il en montrant l’ouvrage qui n’a pas quitté les mains de l’homme pendant tout l’épisode.

— Ça ? Non ! C’est un Dickson Carr que je vais prêter.

— Qui ? intervient Geneviève.

— John Dickson Carr. Mon auteur favori.

— Connais pas ! admet la jeune femme.

— Apparemment, je ne suis pas le seul à vivre dans une grotte ! se venge Julien, atténuant la remarque par une bise sur la joue de sa fiancée, pas vexée pour un sou.

— Comme c’est mignon ! » se moque à son tour Baron, toujours ému devant le spectacle d’amoureux jamais fatigués de se témoigner leur tendresse.

Il les invite à le suivre en ouvrant la porte donnant sur la pièce d’à côté. C’est un vaste salon doublé d’une salle à manger. À droite, une porte-fenêtre débouche sur un grand jardin. Dans ce dernier a été creusée une piscine aux dimensions impressionnantes, devant laquelle Geneviève s’extasie. Elle ne s’ennuiera pas durant leur séjour ! Elle s’imagine déjà lézarder au soleil en lisant un roman policier !

« Eh bien, chéri ! Où étais-tu ? Ah, pardon, tu reçois du monde ! lance une voix au timbre assez désagréable.

— Effectivement, je reçois quelqu’un indique l’auteur, soudainement agacé. Les amis dont je t’avais parlé. Julien Lacombe et Geneviève. Je vous présente, ajoute-t-il à leur intention, Yvo… je veux dire Dorothy…

— Dorothy Peeperley, précise la femme au visage plutôt gracieux, mais à l’éloquence irritante. J’écris aussi des romans policiers. Pierre vous a certainement expliqué qui je suis !

— Ils viennent d’arriver ! coupe Baron. Laisse-les se poser quelques minutes. Tiens, le livre que je t’avais promis.

— Je n’ai pas encore fini le premier que tu m’as passé.

— Pas grave. Tu auras des réserves. Il faut toujours avoir une lecture en prévision !

— Bien, je dois partir ! se résout brusquement Dorothy, que l’on sent vexée par cette intrusion qui a probablement interrompu une conversation à caractère privé. Nous reparlerons de notre affaire, n’est-ce pas, chéri ?

— On peut en rediscuter autant de fois que tu veux, ce sera encore non ! assène l’écrivain, énervé par l’épithète “chéri”.

— Oui, oui, on verra ! » gazouille Dorothy, comme si elle n’avait rien entendu.

Elle quitte la pièce, tête haute, sourire figé, non sans avoir embrassé Pierre Baron sur la joue plus tendrement qu’il ne l’aurait souhaité, vu la grimace qu’il dessine sur son visage, une fois Dorothy partie.

« Votre fiancée ? taquine Geneviève, au diapason de l’humour ambiant.

— Je préfère mourir ! s’esclaffe le romancier. Tiens ! C’est peut-être elle qui essaie de me tuer !

— Elle aurait un mobile ? questionne Julien plus sérieusement.

— Pas vraiment ! C’est moi qui aurais envie qu’elle disparaisse.

— Qu’elle disparaisse ? répète Geneviève, qui a pourtant parfaitement saisi.

— Vous avez vu ? s’irrite Baron. En une minute, elle m’appelle “chéri”, m’embrasse comme si on marchait vers l’autel et ne tient aucun compte de ce que je lui dis !

— L’épouse personnifiée, non ? plaisante la jeune femme, déclenchant l’hilarité de l’auteur.

— Ah ! Elle me plaît, votre fiancée ! s’exclame ce dernier, profitant de l’occasion pour se livrer à une nouvelle séance de baisemain.

— Une chose m’étonne, relève Julien, qui aurait préféré “qu’elle lui plaise un peu moins”, découvrant les désagréables démangeaisons de la jalousie. Vous avez hésité en nous la présentant.

— Observateur ! complimente-t-il. C’est exact. Elle utilise son pseudonyme : Dorothy Peeperley. Pour l’état civil, c’est Yvonne Dufour. Beaucoup moins clinquant !

— Je me disais que ce nom sonnait bizarrement, note le médecin.

— Les auteurs et leurs lubies ! soupire l’homme de lettres, comme s’il n’en avait pas lui-même. Que voulez-vous ? Pour ma part, je trouve ça stupide ! Je m’appelle Pierre Baron. Vous m’imaginez signer mes livres Peter ou Mike Machin-Chose ? Absurde ! Non contente de se ridiculiser, elle me tanne pour que je fasse de même !

— Je suppose qu’il y a plus que ça ? s’inquiète le médecin.