Vers une stratégie transatlantique alternative - Hall Gardner - E-Book

Vers une stratégie transatlantique alternative E-Book

Hall Gardner

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Il existe un risque réel que le système mondial se polarise en deux alliances rivales, l’une dirigée par les États-Unis, liés à l’OTAN et à l’UE, ainsi que le Japon et l’Australie, et l’autre dirigée par un axe eurasien Russie-Chine. Il existe un danger supplémentaire que le pacte Aukus ne pousse la Chine et la Russie à se rapprocher encore plus l’une de l’autre et ne conduise à une guerre entre grandes puissances.

La formulation d’une stratégie mondiale différente aurait pu éviter l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Sans oublier les défis que représentent la dissémination des technologies militaires, le terrorisme, les migrations massives et les réfugiés, la hausse des prix de l’énergie et de l’agriculture, l’instabilité financière et les inégalités sociales, ainsi que les questions soulevées par l’économie numérique et l’intelligence artificielle. Vers une stratégie transatlantique alternative aborde les grandes questions qui agitent notre Monde et propose une réflexion originale sur la nécessité d’une nouvelle gouvernance mondiale.

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Hall GARDNER

Vers une stratégietransatlantique alternativeBiden, l’UE et le “nouveau” multilatéralisme

Traduction française suivie du texte original

GINKGOéditeur

 

Maquette : David Dumand

 

© Fondation Prospective et Innovation, avril 2022

© Ginkgo Éditeur pour la présente édition

ISBN : 9782846795166

 

Ginkgo Éditeur

33, boulevard Arago

75013 Paris

www.ginkgo-editeur.fr

 

« Nous avons mis fin à vingt ans de conflit en Afghanistan, et alors que nous clôturons cette période de guerre sans fin, nous ouvrons une nouvelle ère de diplomatie opiniâtre, d’utilisation de la puissance de notre aide au développement pour investir dans de nouvelles façons de venir en aide aux populations du monde entier, de renouveler et de défendre la démocratie. »

Discours du président des États-Unis Joe Biden à l’Assemblée générale des Nations unies

(21 septembre 2021)

 

« Les institutions multilatérales se sont révélées trop faibles et trop fragmentées pour faire face aux défis et aux risques mondiaux actuels. En conséquence, nous risquons de connaître un avenir de grave instabilité et de chaos climatique... Notre objectif devrait être un multilatéralisme plus inclusif et en réseau pour naviguer dans ce paysage complexe et apporter des solutions efficaces. »

Remarques du Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, à l’Assemblée générale, présentant « Notre programme commun »

(10 septembre 2021)

 
 

La Fondation Prospective et Innovation

Créée en 1989 par René MONORY, ancien Président du Sénat et ancien ministre, et François DALLE, ancien Président de l’Oréal, reconnue d’utilité publique, la Fondation est aujourd’hui présidée par Jean-Pierre RAFFARIN, ancien Premier Ministre, Membre honoraire du Parlement.

Elle a pour objet de favoriser une prise de conscience et une réflexion prospective sur les transformations fondamentales du monde contemporain, afin d’aider les décideurs français, le gouvernement comme les entreprises ou les leaders d’opinion, à réagir en connaissance de cause.

Elle s’efforce d’apporter un éclairage international sur des sujets stratégiques. Elle facilite les contacts entre jeunes professionnels français et leurs homologues de pays émergents. Elle appuie les efforts des entreprises, notamment celles de taille moyenne ou intermédiaire, dans leurs efforts de pénétration des nouveaux grands marchés.

Elle réunit à cet effet spécialistes et responsables d’entreprises, intellectuels et décideurs politiques et administratifs de sensibilités différentes, dans des cadres de travail appropriés pour des propositions opérationnelles.

Son action se concentre sur trois domaines prioritaires :

- comprendre et évaluer l’impact de l’émergence de nouvelles puissances, des technologies de rupture.

- stimuler la compétitivité en éclairant et en accompagnant les entreprises, notamment les PME et ETI.

- participer à la conception d’une nouvelle gouvernance mondiale, nationale et locale.

La Fondation rend public ses travaux à travers des publications et un site internet : www.prospective-innovation.org

Tous les ans, la Fondation publie une synthèse de ses travaux dans son Almanach annuel, le SHERIF.

 

CHAPITRE I

 

Biden et le « nouveau » multilatéralisme

 

Reconstruire la légitimité

de la gouvernance multilatérale

 

Fin janvier 2021, lors d’appels téléphoniques au président français Emmanuel Macron et à la chancelière allemande Angela Merkel, ainsi qu’à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le président américain nouvellement élu Joe Biden a exprimé son intention de revitaliser l’alliance transatlantique, « notamment par le biais de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord) et avec l’Union européenne ».

Le multilatéralisme dirigé par Biden cherche à collaborer avec ses alliés et ses rivaux pour lutter contre le changement climatique et contenir la propagation de la pandémie de Covid-19, tout en poursuivant un redressement financier qui intégrerait des mesures visant à résoudre les différends entre les États-Unis et l’Union européenne en matière de commerce et de subventions, voire même à prévenir une nouvelle crise économique et financière mondiale. Sa stratégie représente une nouvelle « double contrainte »1 qui cherche à la fois à « contraindre » et à « coopérer », avec des pays comme la Russie et la Chine, là où les intérêts communs « se croisent ».

L’administration Biden a en conséquence pris les premières mesures en faveur d’une approche « multilatérale » plus globale de la diplomatie internationale dirigée par les États-Unis, en opposition apparente à quatre années de la doctrine unilatéraliste « America First » de Trump, qui s’était largement aliéné à la fois les rivaux et les alliés des États-Unis. La présidence de Trump avait non seulement attaqué l’efficacité mais aussi la légitimité même des organisations multilatérales et des accords internationaux – outre qu’elle sapait la compétence même du complexe et démocratique système américain des « checks and balances » (l’équilibre qui permet la séparation des pouvoirs au sein de la Constitution des États-Unis) en affirmant le pouvoir de l’exécutif. Sans oublier les efforts continus de propagande postprésidence de Trump pour délégitimer la victoire de Biden à l’élection présidentielle de 2020.

Dans un effort pour redonner une nouvelle chance à la diplomatie multilatérale et aux organisations internationales après Trump, Biden a donc espéré revitaliser la diplomatie américaine qui, selon lui, est « enracinée dans les valeurs démocratiques les plus chères à l’Amérique » – tout en essayant de réconcilier un État et une société très polarisés. L’intention de M. Biden de reconstruire la crédibilité et l’autorité morale des États-Unis à l’étranger est, du moins en partie, illustrée par ses efforts pour faire revivre le rôle du Département d’État (Affaires étrangères), qui a été gravement désavoué et dénigré par l’administration Trump. À cet égard, il était symboliquement très important que M. Biden s’exprime le 4 février 2021 sur « la place de l’Amérique dans le monde » depuis l’enceinte de ce ministère.

Rappelant la « diplomatie morale » de Jimmy Carter, la stratégie mondiale de Biden possède une composante hautement idéologique en faveur des « droits de l’homme » et de la « démocratie », tout en critiquant la nature « autoritaire » de la gouvernance en Russie, en Chine, en Iran, au Venezuela et en Corée du Nord, entre autres. Biden a donc espéré reconstruire « le muscle des alliances démocratiques qui se sont atrophiées au cours des dernières années de négligence et d’abus ». Ce faisant, Biden a espéré récupérer « la crédibilité et l’autorité morale, dont une grande partie a été perdue... Le leadership américain doit faire face à ce nouveau moment de progression de l’autoritarisme, y compris les ambitions croissantes de la Chine de rivaliser avec les États-Unis et la détermination de la Russie à endommager et à perturber notre démocratie ».

Parmi ses principaux engagements de campagne, Biden a mis en place un sommet virtuel pour la démocratie en décembre 2021, qui s’était concentré sur la lutte contre la corruption, la défense contre l’autoritarisme et la promotion des droits de l’homme à l’étranger.2 Le sommet a-t-il amélioré les démocraties et a-t-il réduit la corruption ? Ou a-t-il cherché principalement à renforcer le leadership démocratique face aux régimes autoritaires rivaux ? A-t-il abordé même la question cruciale de la meilleure façon pour les États démocratiques de s’adresser aux États autoritaires et « souverainistes » par le biais de la diplomatie afin d’atténuer les conflits internes, voire d’empêcher une guerre entre grandes puissances ?

 

L’Amérique est-elle « de retour » en tant que force positive ?

 

Biden a affirmé que « l’Amérique est de retour » mais sera-t-il capable de convaincre la plupart des Européens et une grande partie du monde que les États-Unis agiront comme une force véritablement positive à long terme ? Il existe des craintes légitimes de voir les États-Unis revenir à une forme d’unilatéralisme « trumpiste », d’isolationnisme de gauche ou de paralysie intérieure plutôt que de poursuivre un « multilatéralisme » véritablement concerté – qui intègre à la fois un multilatéralisme « en réseau » et « inclusif ».3

En septembre 2021, neuf mois seulement après le début de son premier mandat, Biden n’a pas semblé tenir ses propres promesses d’engagement dans les normes du multilatéralisme « concerté ». Cela a été illustré par l’affaire des sous-marins nucléaires par laquelle les États-Unis et l’Australie ont annulé un contrat franco-australien (estimé à 66 milliards de dollars pour l’achat de sous-marins diesel français) – en faveur de sous-marins américains à propulsion nucléaire – sans consultation avec la France. L’accord a également impliqué la formation d’une alliance de défense distincte entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie (Aukus) qui semble exclure les Européens, tout en fournissant à l’Australie un protectorat nucléaire anglo-américain.

Aukus (acronyme de l’anglais Australia, United Kingdom et United States) est une alliance militaire tripartite formée de l’Australie, des États-Unis et du Royaume-Uni. Rendue publique le 15 septembre 2021, elle vise à contrer l’expansionnisme chinois dans la zone Indo-Pacifique. Quelques semaines auparavant le retrait précipité des États-Unis d’Afghanistan en août 2021 – après une occupation coûteuse de vingt ans par les États-Unis et l’OTAN pour le « rétablissement » et le « maintien de la paix » dans le pays – était généralement considéré comme la première initiative unilatérale majeure de Biden. L’administration Biden n’a pas pris soin d’avertir suffisamment tôt ses alliés et les États, comme la Russie, de ce retrait, sans compter que Washington a également abandonné ses alliés en Afghanistan.

Ce retrait rapide a soulevé d’importantes questions sur l’avenir de la relation transatlantique entre les États-Unis, l’OTAN et l’UE et sur la légitimité du leadership et des directives américaines. Même après vingt ans de coopération interalliée impliquant plus de cinquante pays à différents moments, M. Biden a déclaré que l’intervention dirigée par les États-Unis en Afghanistan n’a jamais eu pour but la « construction d’une nation » qui n’envisageait pas la création d’une gouvernance locale plus décentralisée et inclusive parmi la population et les régions diversifiées de l’Afghanistan. Ironiquement, Biden lui-même a fortement soutenu la construction de la nation en Afghanistan, puis en Irak, entre 2001 et 20064 – à une époque où il disait que la construction de la nation était considérée comme un « gros mot » – avant de changer d’avis et de commencer à soutenir une GWOT « à distance » avec des frappes de missiles de croisière et de drones.

Non seulement le retrait des États-Unis et de l’OTAN de Kaboul pourrait enhardir les mouvements panislamistes et pan-nationalistes, mais il pourrait également encourager les rivaux des États-Unis – y compris la Chine, la Russie, la Corée du Nord et l’Iran – à tirer parti des faiblesses américaines perçues. Pékin et Moscou pourraient travailler davantage en coopération qu’en rivalité pour attirer l’Afghanistan (sous l’égide des talibans), le Pakistan et l’Iran, voire la Turquie, membre de l’OTAN, entre autres, dans un « axe » eurasien antiaméricain et antieuropéen plus fort. Dans le même temps, il reste à voir comment les Européens, l’Inde et le Japon, parmi d’autres amis et alliés des États-Unis, réagiront au retrait précipité des États-Unis d’Afghanistan, à la formation du pacte de défense Aukus et aux perspectives d’un axe eurasien.

Il existe un risque réel que le système mondial se polarise en deux alliances rivales, l’une dirigée par les États-Unis, liés à l’OTAN et à l’UE, plus le Japon, l’Inde et l’Australie, et l’autre dirigée par un axe eurasien Russie-Chine. Il existe un danger supplémentaire que le pacte Aukus ne pousse la Chine et la Russie à se rapprocher encore plus l’une de l’autre et ne conduise ensuite à une confrontation avec la Chine, voire la Russie.

 

Critique de la « Double Contrainte »

 

Comme on l’a vu, la nouvelle stratégie de « double contrainte » de Biden comporte des défis majeurs.

Le premier défi est que l’effort visant à trouver des intérêts communs avec des États rivaux s’inscrit dans un contexte géopolitique et économique dans lequel ces « intérêts se croisent » et sont essentiellement des priorités définies par les Américains et pas nécessairement des priorités majeures pour la Russie, la Chine ou d’autres États et alliés. Le fait que Washington espère faire pression sur la Russie pour qu’elle se retire pacifiquement de Crimée, par exemple, tout en cherchant à empêcher la Chine d’absorber Taïwan par la force, représente deux des principaux domaines où les intérêts des États-Unis, de la Russie et de la Chine semblent non pas « se croiser », mais entrer en collision.

Le deuxième défi est que cette nouvelle « double contrainte » multilatérale dirigée par les États-Unis a un impact et « contraint » également les politiques des alliés des États-Unis, en tentant de limiter autant que possible les relations européennes et japonaises avec certains États. À cet égard, M. Biden a espéré que les membres de l’OTAN et de l’UE, ainsi que le Dialogue quadrilatéral sur la sécurité réunissant les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde, travailleraient tous ensemble sur les priorités mondiales en matière de politique étrangère, une fois encore telles que définies par Washington par rapport à Moscou et Pékin, mais aussi par rapport à d’autres États rivaux, notamment l’Iran et la Corée du Nord. Sans oublier le leadership des États-Unis dans la « guerre mondiale contre le terrorisme » (GWOT) qui a « métastasé au-delà de l’Afghanistan »5, selon les termes de M. Biden. Pourtant, la question demeure de savoir comment les rivaux et les alliés des États-Unis réagiront à ce qui sont essentiellement des priorités définies par les États-Unis.

Le troisième défi est de savoir comment traiter avec les États autoritaires et « souverainistes » – qu’ils soient rivaux ou alliés – et comment gérer au mieux les mouvements sociopolitiques souverainistes au sein des États-Unis et de l’Union européenne. D’une part, les États-Unis et leurs alliés ont été accusés de faire deux poids deux mesures en menant la guerre mondiale contre le terrorisme (GWOT) tout en soutenant des alliés autoritaires qui peuvent être coupables de graves violations des droits de l’homme. D’autre part, il existe un risque majeur que le soutien des États-Unis et de l’Union européenne à la démocratisation et aux droits de l’homme crée un retour de bâton, en ce sens que les régimes autoritaires rivaux pourraient bien se militariser pour se prémunir contre d’éventuelles opérations de « changement de régime ».

Il ne s’agit pas de négliger la nécessité pour les États-Unis et l’UE de gérer plus efficacement le défi souverainiste post-Trump et post-Brexit en s’engageant dans une coopération politico-économique plus étroite par le biais d’un nouvel accord commercial, par exemple, tout en renforçant le partage du pouvoir interétatique au sein de l’UE ellemême. L’éventuelle désintégration de l’UE risque d’ouvrir une Europe éclatée à une influence russe et chinoise encore plus grande – et en rivalité, et non en coopération, avec les États-Unis.

Le quatrième défi consiste à trouver une solution aux écarts croissants de richesse et de pouvoir, qui aggravent les problèmes sociaux liés à la pauvreté, à la criminalité et aux migrations, et qui pourraient également intensifier les différends et les conflits politiques tant entre les États et les sociétés qu’au sein de ceux-ci, tout en favorisant les actes de terrorisme commis par différents groupes idéologiques. D’ici la fin de l’année 2022, le revenu par habitant pourrait chuter de 18 % pour les pays à faible revenu et de 22 % pour les pays émergents et en développement par rapport aux projections établies avant la pandémie. En d’autres termes, la pandémie mondiale qui sévit depuis 2019 pourrait faire basculer au moins 55 à 63 millions de personnes dans l’extrême pauvreté. Parallèlement, les 2 365 milliardaires du monde entier ont vu leur fortune augmenter de 4 000 milliards de dollars au cours de la première année de la pandémie, soit une hausse de 54 %.6

Enfin, le cinquième défi consiste pour les États-Unis, l’Union européenne, ainsi que les pays du G7 et du G20, à mieux coordonner leurs politiques environnementales afin de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré Celsius d’ici 2040. En effet, des températures moyennes plus élevées entraîneront soit des sécheresses extrêmes et des incendies de forêt, ainsi que des pénuries de nourriture et d’eau, dans certaines régions, soit des inondations et des tempêtes tropicales plus puissantes, entre autres catastrophes naturelles, dans d’autres régions. Sans oublier la nécessité d’assainir la pollution qui menace la vie et de mieux se préparer aux futures pandémies et maladies causées par le bouleversement de l’environnement, ainsi que de s’efforcer d’empêcher l’extinction de nombreuses espèces nécessaires au maintien de la vie animale et humaine, afin de passer d’une « mondialisation » inhumaine à une « planétisation » plus humaine.7

 

La question de l’hyperextension

 

Tous ces défis se déroulent dans un contexte de déclin de l’hégémonie américaine et de l’hyperextension géoéconomique qui pourrait avoir un impact sur la capacité des États-Unis à maintenir leur leadership et leur hégémonie dans le monde. L’administration Biden a publiquement admis que la volonté des États-Unis d’intervenir militairement à l’étranger s’était affaiblie. Avant le retrait précipité des États-Unis d’Afghanistan en août 2021, le secrétaire d’État Antony Blinken a reconnu l’hyperextension des États-Unis en mars 2021 lorsqu’il a affirmé que les États-Unis s’engageraient à l’avenir dans une politique étrangère et de défense « plus judicieuse » : « Les États-Unis feront un usage judicieux de leur puissance, en particulier de leur puissance militaire, pour régler les conflits à l’étranger. Nous éviterons les déséquilibres entre nos ambitions de principe et les risques que nous sommes prêts à prendre pour les réaliser, en grande partie parce que lorsque nous sommes trop étendus, nous entravons notre capacité à nous concentrer sur d’autres défis qui peuvent avoir le plus grand impact sur la vie du peuple américain. »8

La détermination de l’administration Biden à s’engager dans une stratégie mondiale « plus judicieuse » est due en grande partie aux coûts à long terme de la guerre mondiale contre le terrorisme (GWOT) menée par les États-Unis et soutenue par l’ONU, qui a été provoquée par les attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center et le Pentagone. Les coûts globaux depuis 2001 (y compris pour le nation building) pour les seuls États-Unis (sans compter l’aide des alliés américains) en Afghanistan, en Irak, au nord du Pakistan et en Syrie, plus les opérations antiterroristes américaines dans au moins quatre-vingt cinq pays au total, ont atteint au moins 8 000 milliards de dollars (en y incluant les obligations pour les anciens combattants au cours des trente prochaines années). Quant aux dépenses globales du Pentagone, elles ont atteint plus de 14 000 milliards de dollars depuis 2001, y compris le programme de modernisation de la triade nucléaire d’Obama, d’un montant supérieur à 1 000 milliards de dollars sur trente ans – dont un tiers de la moitié du montant total est alloué aux contractants du complexe militaro-industriel.9

Compte tenu de l’impossibilité de gagner les « guerres sans fin », de leur coût et de la montée en puissance de la Russie et de la Chine en tant que « menaces » militaires potentielles, le président Trump a commencé à modifier la stratégie mondiale américaine en s’éloignant de la GWOT et de la contre-insurrection pour s’orienter vers la « compétition entre grandes puissances », à un coût énorme. L’administration Trump a ajouté un montant officiel de 100 milliards de dollars au budget du Pentagone au cours des quatre années de son mandat.

Dès le départ, Biden a promis de réévaluer les politiques de défense de Trump dans le cadre d’un examen global de toutes les dépenses de défense des États-Unis afin de déterminer si les capacités militaires américaines peuvent répondre à leurs priorités. Néanmoins, la proposition de 753 milliards de dollars de Biden pour la Loi d’Autorisation de la Défense Nationale (NDAA) de l’exercice 2022 était supérieure de 13 milliards de dollars au dernier budget de défense de Trump. Et après les critiques des Démocrates et des Républicains du Congrès, le budget de la défense a encore été augmenté de près de 25 milliards de dollars, malgré un amendement visant à le réduire de 10 %.10

Alors que le Congrès américain, très polarisé (qui ne l’est pas autant lorsqu’il s’agit de dépenses de défense), souhaite réduire les coûts financiers et humains des « guerres sans fin », il semble néanmoins tout à fait disposé à dépenser davantage pour la défense afin de contrer les avancées militaires russes, et en particulier chinoises, grâce à l’accent mis par le projet de loi sur la défense du Pacifique et ce qu’on a appelé le prétendu « Moment Spoutnik » hypersonique.11 Le budget du ministère de la Défense est d’environ 1 250 milliards de dollars si l’on inclut également les budgets de la sécurité intérieure, des anciens combattants, des activités liées à la défense, de l’administration nationale de la sécurité nucléaire, entre autres agences, et la part de la défense dans la dette nationale, au budget officiel du Pentagone. Ironiquement, les Républicains et les Démocrates peuvent être très polarisés en ce qui concerne les questions sociales, de bien-être et environnementales, mais le Congrès n’est pas du tout polarisé lorsqu’il s’agit d’augmenter les dépenses de défense.

(L’auteur fait ici référence au récent essai chinois d’un missile hypersonique, qui inquiète les autorités américaines comme le fit le lancement du Spoutnik par les Russes en 1957 : le fameux « Moment Spoutnik ».) En plus des dépenses pour la défense et la sécurité à l’étranger, les États-Unis doivent mobiliser des fonds pour faire face à la crise sanitaire intérieure et œuvrer à la reconstruction de l’économie américaine, ainsi que d’autres dépenses nécessaires.

M. Biden a donc proposé 1 900 milliards de dollars pour son American Rescue Plan (Plan de Sauvetage américain) visant à faire face à la pandémie de Covid et 1 200 milliards de dollars pour son Bipartisan Infrastructure Framework, sans compter son cadre budgétaire initial de 3 500 milliards de dollars pour la loi Build Back Better d’un montant qui a été ramené à 1 750 milliards de dollars si toutefois accepté par le Congrès, dont environ 555 milliards de dollars pour la protection de l’environnement.

En raison de la polarisation du Sénat, qui compte 48 Démocrates et 2 indépendants (qui s’alignent généralement sur les Démocrates) contre 50 Républicains, le vice-président votant en cas d’égalité des voix, le dilemme est que les Républicains du Sénat et un très petit groupe de Démocrates conservateurs du Sénat se sont opposés aux propositions de Biden visant à taxer les revenus personnels de plus de 400 000 dollars. Il est donc très difficile de trouver des fonds supplémentaires pour faire passer des lois sociales et écologiques plus progressistes. Comme tous les Démocrates ne soutiennent pas les politiques plus progressistes de Biden, ce dernier n’a pas été en mesure de faire passer ses mesures environnementales, telles que le Clean Electricity Payment Program (Programme pour une électricité propre), considérées comme opposées aux intérêts des entreprises du charbon, du pétrole et du gaz. M. Biden n’a pas non plus réussi à faire adopter une législation permettant de consacrer des sommes aussi importantes à l’enseignement préscolaire universel, aux services de garde d’enfants, aux prescriptions de médicaments moins chers parmi d’autres préoccupations en matière de bien-être social et de soins de santé, comme l’espéraient de nombreux progressistes.

En même temps, il existe des défis au sein de l’hémisphère américain qui pourraient éventuellement limiter l’attention et le financement des États-Unis pour des préoccupations majeures lointaines et qui pourraient conduire les États-Unis à faire davantage pression sur leurs alliés pour qu’ils assument le fardeau de la défense et de la sécurité mondiales. Dès le premier jour de son mandat,

M. Biden a signé des décrets visant à réorienter la politique américaine vers la frontière entre les États-Unis et le Mexique et les causes profondes de l’immigration non autorisée en provenance d’Amérique centrale, tout en prenant des mesures pour renforcer les voies légales d’immigration aux États-Unis.

Pourtant, les promesses de Biden de mettre en œuvre une stratégie multilatérale et régionale de 4 milliards de dollars sur quatre ans, impliquant le Mexique, le Canada et d’autres partenaires d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, qui s’attaquerait aux causes profondes de la migration, lutterait contre la corruption et chercherait à développer la région, semblent insuffisantes pour traiter efficacement et humainement la crise économique de cette partie du continent et les quelques 10,5 millions de migrants non autorisés qui vivent déjà aux États-Unis – et dans une situation où un nombre record de migrants tentent de traverser le territoire américain tous les mois depuis l’arrivée de Biden au pouvoir. Sans parler d’une autre crise qui se prépare en raison des tensions croissantes entre les États-Unis, la Colombie et le Brésil, d’une part, et le Venezuela soutenu par la Russie et la Chine, d’autre part, dans une situation grave où plus de 5 millions de Vénézuéliens ont fui leur pays à la suite de la crise financière de 2008.

 

Le défi à venir

 

En raison de l’aggravation de la crise financière, sociale, sanitaire et écologique au niveau national, ainsi que des préoccupations hémisphériques, les États-Unis devront bientôt mettre de l’ordre dans leurs affaires en cette période de « stagflation »12 [La stagflation décrit une situation économique dans laquelle se conjuguent la stagnation de l’activité économique (faible croissance économique et chômage élevé) et la hausse des prix (inflation)] et alors que la dette fédérale s’élève en moyenne à plus de 100 % de son PIB depuis 2015, sans compter les dettes publiques, locales et privées qui ne cessent de croître. Ces dépenses et ces dettes croissantes sont autant de signes avant-coureurs d’une prochaine « plus Grande dépression »13 si l’économie ne prend pas rapidement un virage à la hausse comme l’administration Biden l’attend – ou l’espère vraiment.

Toutefois, comme nous le verrons, une éventuelle « plus Grande dépression » devient moins probable si les États-Unis et l’UE parviennent à stimuler la croissance de leurs économies respectives grâce à une coopération renforcée dans la mise en œuvre des nouvelles infrastructures technologiques numériques et vertes et grâce à un nouvel accord commercial – après la création d’un nouveau Conseil du commerce et de la technologie, comme annoncé lors du sommet États-Unis-UE de juin 2021. En effet, la question de savoir si l’économie mondiale entrera bientôt dans une nouvelle période de dépression majeure, et combien de temps cette phase pourrait durer, dépendra dans une certaine mesure de la question de savoir si les innovations révolutionnaires des nouvelles infrastructures en matière de technologie numérique, de robotique et d’intelligence artificielle s’avéreront plus « créatrices » ou plus « destructrices », conformément au concept de « destruction créatrice » de Schumpeter.

En outre, plus les États-Unis et l’Union européenne parviendront à renforcer leur coopération politique, économique, environnementale et en matière d’infrastructures, tout en réformant leurs différents systèmes de gouvernance démocratique, plus ils seront en mesure de gérer les défis posés par les États « souverainistes » et les différents mouvements d’opposition sociopolitiques. Enfin, les États-Unis et l’UE devront s’engager dans une nouvelle stratégie mondiale alternative à l’égard de Moscou et de Pékin, entre autres États autoritaires, afin de mieux gérer les rivalités politico-économiques mondiales dans la quête de ressources, de marchés et de ventes d’armes, ce qui pourrait augmenter les risques de guerre entre grandes puissances.

L’importance de ces questions exige que les États-Unis, l’OTAN et l’UE commencent à surmonter leurs importants différends et s’engagent dans une réévaluation complète de la stratégie globale et des objectifs diplomatiques des États-Unis, de l’OTAN et de l’UE. Les États-Unis et l’UE devront également trouver des moyens de renforcer la coopération interétatique et de sauvegarder leurs démocraties respectives, qui ont grandement besoin de réformes majeures, en trouvant des moyens de s’engager dans des systèmes plus inclusifs de gouvernance démocratique dans les secteurs public et privé, et pas seulement par le biais de la fiscalité.

Au lieu de poursuivre une politique de « double contrainte » dirigée par les États-Unis – dans laquelle les « intérêts croisés » entre les États-Unis, la Russie et la Chine sont largement définis par les priorités de Washington – les États-Unis et l’UE devraient essayer d’éloigner Moscou de Pékin en cherchant un compromis avec Moscou sur les revendications russes d’une sphère d’influence sur la Crimée, qui est l’une des principales priorités de la Russie, parmi d’autres préoccupations, comme les sanctions. En même temps, les États-Unis et l’UE – avec l’aide diplomatique russe si possible – devraient chercher un nouveau rapprochement avec la Chine afin de convaincre Pékin de ne pas tenter de s’unifier de force avec Taipei.

En résumé, cet ouvrage cherche à articuler une stratégie mondiale alternative des États-Unis et de l’UE à l’égard de la Russie et de la Chine, qui collabore avec les pays du G7 et du G20 dans le but de s’attaquer plus efficacement à la catastrophe imminente du réchauffement climatique, de concilier les inégalités socio-économiques croissantes, d’atténuer les différends et les conflits intra et interétatiques et de repousser le réel spectre d’une « plus Grande dépression » menant à une guerre entre grandes puissances, en encourageant l’établissement, à l’échelle mondiale, de communautés régionales de paix et de développement durable.

CHAPITRE II

 

Les décrets de Biden : Santé mondiale, environnement et droits de l’homme

 

L’OMS et la géopolitique

 

Le président Biden a immédiatement signé deux décrets importants afin que les États-Unis puissent réintégrer l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’accord de Paris sur le climat COP-21, après que Donald Trump eut ordonné au gouvernement américain de se retirer de ces deux instances internationales de l’ONU.14 Réintégrer l’OMS, faire face à la pandémie, faire progresser la sécurité sanitaire mondiale et la préparation biologique étaient les principaux objectifs du premier mémorandum de sécurité nationale de Biden.

De nombreuses mesures prises par Biden pour réengager les États-Unis dans les organisations internationales, y compris l’OMS, après que Trump eut vicieusement attaqué le multilatéralisme en général, ont été destinées, du moins en partie, à contrebalancer l’influence croissante de la Chine à l’ONU et dans d’autres OIG (organisations intergouvernementales). Pékin, deuxième plus grand pays donateur des Nations Unies après les États-Unis, est connu pour inonder le Secrétariat et les agences de l’ONU de ses diplomates.

En réintégrant l’OMS, l’administration Biden a espéré travailler avec l’OMS et la Chine pour mieux gérer la pandémie de Covid et pour prévenir, si possible, de futures épidémies. Même si Pékin a été considéré comme entravant l’enquête de l’OMS sur les origines de la pandémie, M. Biden a tenté (sans grand succès) de calmer la guerre de propagande entre les États-Unis et la Chine. Il a exhorté Pékin à reconnaître sa responsabilité dans la propagation initiale du virus, qui a été imputée, du moins en partie, aux efforts déployés par les responsables provinciaux pour dissimuler la propagation rapide de la maladie. Il a également été allégué que le président Xi Jinping avait exhorté le directeur général de l’OMS, Tedros Ghebreyesus, lors d’un appel téléphonique du 21 janvier 2021, à ne pas divulguer les informations relatives à la transmission de personne à personne et à retarder ainsi l’émission d’une alerte à la pandémie – une allégation fermement démentie par l’OMS. Si cela est vrai, cela pourrait avoir coûté quatre à six semaines de temps pour combattre le virus dans le monde entier.15

Cependant, le fait est que, bien que la pandémie de Covid-19 soit née en Chine, et bien que les autorités chinoises eussent pu avertir le monde beaucoup plus tôt de ses caractéristiques de transmissibilité, les Américains, les Européens, ainsi que les Chinois, partagent les mêmes responsabilités concernant une « recherche virale » potentiellement dangereuse.16

Un autre aspect géopolitique de la pandémie est la relation peu claire de Taïwan avec l’OMS. Comme Pékin s’oppose à ce qu’un État ou une organisation internationale reconnaisse officiellement la « province renégate », Pékin a refusé d’admettre Taïwan, ne serait-ce qu’en tant qu’observateur indépendant, aux réunions de l’OMS et à d’autres activités de l’ONU ou d’autres OIG, malgré la nécessité d’une coopération mondiale pour mettre fin à la pandémie.

Les origines de la pandémie de Covid-19, les causes de sa propagation, ainsi que les problèmes liés aux vaccins et au processus de vaccination, restent évidemment controversés. Alors que M. Biden a espéré que les États-Unis et la Chine seraient en mesure de coopérer au sein de l’OMS et d’autres OIG, certains signes inquiétants montrent que la discorde entre les États-Unis, l’Union européenne, la Chine et Taïwan pourrait continuer à prendre le pas sur la nécessité d’une collaboration plus étroite.

 

L’accord de Paris sur le climat

 

En avril 2021, après avoir rejoint la Conférence des Nations Unies sur le Changement Climatique,

M. Biden a invité quarante dirigeants mondiaux à participer au Sommet Virtuel des Dirigeants sur le Climat. Il a également participé à la Conférence sur le Changement Climatique (COP26) à Glasgow en novembre 2021.

En opposition aux politiques de protection de la faune et de la flore et des terres de l’un de ses héros proclamés, Teddy Roosevelt, le président Trump avait commencé à détricoter les contrôles fédéraux sur les ressources de nombreux parcs nationaux que Roosevelt avait précédemment établis. Sous sa présidence, Trump avait cherché à maximiser la production américaine de pétrole, de gaz et de charbon en supprimant les réglementations de l’Agence de Protection de l’Environnement, et en assouplissant les contrôles environnementaux. Trump a agi avec cynisme au nom du « charbon propre » – que la plupart des entreprises énergétiques ne considèrent pas comme économiquement viable étant donné le coût élevé des processus techniques nécessaires pour rendre « le charbon propre » – mais qui n’aboutit toujours pas à des émissions de carbone nulles.17

En réaction à Trump, Biden a signé un certain nombre de décrets visant à lutter contre le changement climatique. Parmi ces derniers, citons un ordre visant à mettre un terme à l’octroi de nouvelles concessions pétrolières et gazières pour l’exploitation des terres fédérales, ainsi qu’un ordre visant à réduire les subventions accordées aux entreprises énergétiques pour les combustibles fossiles. Dans la lignée du rapport Global 2000 Report to the President (1980) de Jimmy Carter18, Biden a donc voulu renforcer « l’économie verte », même si ce n’est pas de manière aussi poussée que le réclame la « gauche » progressiste du parti démocrate.

L’une des principales préoccupations de l’administration Biden est que l’extraction de combustibles fossiles sur les terres et les eaux publiques – qui peut avoir un impact sur l’accès à l’air pur et à l’eau tout en menaçant la faune et les sites culturels et sacrés – représente près d’un quart de toutes les émissions de gaz à effet de serre des États-Unis.19 Biden a donc prévu un moratoire sur les nouvelles autorisations de « fracturation » sur les terres publiques.20

Dans ce qui semble être inspiré par les travaux publics du New Deal de Franklin D. Roosevelt (1933-39), M. Biden prévoit également de créer une nouvelle Climate Conservation Corps Initiative. En mettant des Américains au travail pour conserver et restaurer les terres et les eaux publiques, l’objectif est d’accroître la reforestation et la réduction du carbone dans le secteur agricole, tout en protégeant la biodiversité, en améliorant l’accès aux loisirs et en cherchant à mieux gérer le changement climatique. Parallèlement, M. Biden a promis de rechercher des opportunités qui « stimuleront l’innovation, la commercialisation et le déploiement de technologies énergétiques propres ».21 Dans sa lutte contre la fracturation des gisements de gaz et de pétrole de schiste soutenue par M. Trump, M. Biden a l’intention d’investir dans la production d’énergie propre et les systèmes de transport, la restauration des terres, le nettoyage des mines abandonnées, l’efficacité énergétique, la fabrication avancée et l’agriculture durable.

En termes de politique intérieure, Biden a tenté de gagner les faveurs des électeurs essentiellement ruraux qui avaient soutenu Trump en grand nombre dans les États du Midwest, en partie parce que leurs emplois étaient liés aux industries des combustibles fossiles. En promettant de fournir des millions d’emplois « familiaux », Biden a espéré rapprocher les partisans de Trump des Démocrates en stimulant l’emploi.

Cependant, Biden a été confronté à une opposition conservatrice au sein du parti Démocrate en plus de celle des Républicains. Le sénateur démocrate de la Virginie-Occidentale, une région riche en charbon, dont le vote est crucial pour l’adoption de la législation Build Back Better, s’est par exemple fermement opposé au cadre budgétaire de 3 500 milliards de dollars proposé par Biden pour remplacer rapidement les centrales électriques au charbon et au gaz par de l’énergie éolienne, solaire et nucléaire – ce qui a obligé les Démocrates à modifier cette législation portant sur les préoccupations environnementales et sociales, ce qui a réduit significativement la facture à 1 750 milliards.22

Dès le premier jour de son mandat, Biden a annulé le permis du projet de pipeline Keystone XL auquel s’opposaient les Amérindiens dont les sites culturels et sacrés du Midwest (et du Canada) avaient été menacés par un certain nombre de projets de fracturation et d’énergie. Bien que les Républicains et quelques Démocrates s’y soient opposés, arguant que le gazoduc assurerait « l’indépendance énergétique » des États-Unis, l’annulation du gazoduc Keystone XL en juin 2021 a été considérée comme une victoire pour les Amérindiens, les Démocrates progressistes et les écologistes, car le gazoduc symbolisait la dépendance continue des États-Unis et du Canada à l’égard des combustibles fossiles, avec un impact négatif sur le climat mondial.

Un des moyens pour Biden de mettre en œuvre l’économie verte est de forger une alliance entre les États et le Gouvernement fédéral avec les vingtcinq gouverneurs de l’US Climate Alliance. Cette association a été formée en 2017 après que le président Trump eut retiré les États-Unis de l’accord de Paris COP21. Ce groupe d’États, qui représente environ 55 % de la population et 60 % du PIB des États-Unis, pourrait jouer un rôle clé pour aider les États-Unis à atteindre les objectifs des accords de la COP21 et COP26.23

En travaillant avec les gouverneurs américains qui ont fait pression sur leurs États pour qu’ils s’engagent dans l’économie verte, M. Biden a espéré établir une plus grande crédibilité auprès des Européens, entre autres pays, qui craignent que les États-Unis ne soient pas à la hauteur de leur engagement envers les objectifs verts. Cette crainte est fondée sur le fait que les États-Unis sont le deuxième plus grand émetteur de carbone au monde après la Chine, même si la population américaine (331 millions d’habitants en 2020) est 4,35 fois inférieure à celle de la Chine (environ 1,44 milliard).

 

L’environnement comme enjeu de sécurité nationale

 

Afin de relever le défi environnemental mondial, Biden a nommé l’ancien secrétaire d’État John Kerry comme premier envoyé spécial du président des États-Unis pour le climat. Kerry a fait valoir que le changement climatique représente une menace existentielle et qu’il doit être au centre du processus décisionnel des États-Unis en matière de sécurité nationale et de politique étrangère.24 Biden et les chefs d’état-major américains ont été informés que la principale menace à laquelle l’Amérique est confrontée est le réchauffement climatique.25 Pourtant, les efforts de Kerry sont entravés car il n’est pas nécessairement informé des grandes décisions en matière de sécurité nationale qui pourraient avoir un impact sur ses efforts de négociation avec la Russie et la Chine, par exemple.

Lors du Sommet des leaders sur le climat d’avril 2020, M. Biden a reconduit le Forum des économies majeures sur l’énergie et le climat, dirigé par les États-Unis. M. Biden s’est engagé à réduire de 50 à 52 % la pollution par les gaz à effet de serre aux États-Unis d’ici à 2030. Selon M. Kerry, plus de la moitié de l’économie mondiale s’est maintenant engagée à prendre des mesures pour diminuer le réchauffement de 1,5 degré Celsius – objectif fixé par l’accord de Paris de 2015 –, cependant les écologistes affirment que les gouvernements n’agissent pas assez vite.

Comme l’a signalé le rapport 2021 du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat en août 2021, il reste encore beaucoup à faire pour limiter les dommages causés à l’environnement mondial par les émissions de carbone et le réchauffement de la planète. La grande majorité des pays ne sont pas près d’atteindre une réduction de 50 % des émissions de carbone d’ici à 2030.26 Le rapport du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) sur le déficit d’émissions d’octobre 2021 a révélé que « les contributions déterminées au niveau national mises à jour ne réduisent que de 7,5 % les émissions prévues pour 2030, alors que 55 % sont nécessaires pour atteindre l’objectif de 1,5°C fixé à Paris » et que seuls « les engagements nets zéro pourraient réduire encore de 0,5°C... si les promesses pour 2030 étaient cohérentes avec les engagements nets zéro ».27

La crise environnementale risque de provoquer la propagation de nouvelles pandémies, ainsi que des guerres pour l’eau, les ressources, les terres pour une agriculture viable, entre autres préoccupations sociales et géoéconomiques. Le fait que le ministère de la défense soit le plus grand consommateur d’énergie aux États-Unis et le plus grand consommateur institutionnel de pétrole au monde n’incite guère à l’optimisme.28

Et si l’on ajoute l’utilisation de l’énergie par les complexes militaro-industriels des alliés et des rivaux, ainsi que les émissions de carbone des grandes compagnies pétrolières, la situation devient encore plus déconcertante.29 Et le fait que la production et les sous-produits agricoles, ainsi que les modifications de l’utilisation des sols, représentent, selon les estimations, entre 24 % et 51 % des émissions de carbone, rend la situation encore plus sombre.30

La question de l’abandon des combustibles carbonés est encore compliquée du fait de l’augmentation générale de la demande d’énergie. C’est ainsi que M. Biden a fait pression sur les États du Golfe pour qu’ils augmentent leur production d’énergie en août 2021, tandis que l’Allemagne s’est tournée vers le projet russe Nordstream 2 et que la Chine, l’Inde et l’Australie se sont tournées vers une production accrue de charbon.

Sur le plan intérieur, le dilemme est de savoir comment maintenir les coûts de la nouvelle transition environnementale au minimum voire de trouver des moyens de compenser les dépenses supplémentaires par des subventions, afin de réduire le risque de déstabilisation et l’escalade des protestations sociales, tels les gilets jaunes en France ou les mouvements trumpistes aux États-Unis.

Tout cela rend plus difficile pour les États-Unis, l’UE, le G7 et le G20 de discuter des moyens de réduire l’empreinte carbone du complexe militaroindustriel (qui a demandé des exemptions), ainsi que celle de l’agro-industrie, tout en réduisant de manière significative les subventions accordées aux grandes entreprises qui produisent des énergies fossiles. Néanmoins, la coopération sur les questions susmentionnées ainsi qu’une plus grande coopération technologique entre les États-Unis et l’UE pour aider au développement et à la mise en œuvre des énergies et des technologies vertes pourraient être réalisées, en partie, par la formation d’un Conseil du Commerce et de la Technologie entre les États-Unis et l’UE, comme cela a été proposé lors du sommet États-Unis-UE de juin 2021, soutenu par une nouvelle stratégie transatlantique à l’égard de Moscou et de Pékin.

 

Biden, l’UE et l’Amazonie

 

En novembre 2021, le sommet de la COP26 a promis de tenir l’engagement de 100 milliards de dollars de la COP21 pour les pays en développement de 2021 à 2025. La COP26 a annoncé de nouvelles initiatives environnementales concernant l’agriculture, la foresterie, la gestion des terres, la pollution aérienne et navale, les technologies vertes, ainsi que la transition vers une énergie propre loin du charbon. À cet égard, pour aider les pays en développement, les pays du G7 doivent encore respecter leur promesse de 100 milliards de dollars dans le cadre de l’accord de Paris des Nations unies.

Pour sa part, l’administration Biden a proposé de consacrer 2,5 milliards de dollars au total aux programmes internationaux visant à ralentir le changement climatique, soit quatre fois les dépenses actuelles des États-Unis. Ce montant comprendrait 1,2 milliard de dollars pour le Green Climate Fund (Fonds Vert pour le Climat) destiné aux pays en développement. Pour sa part, le président de la Commission européenne a promis un financement de 1 milliard d’euros pour le Global Forests Finance. En outre, une initiative conjointe UE-États-Unis viserait à mobiliser plus de 100 pays pour réduire leurs émissions collectives de méthane d’au moins 30 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2020. Ce ne sont là que quelques-unes des initiatives.

Le Brésil, par exemple, a demandé au moins un milliard de dollars d’investissements américains pour l’aider à réduire la déforestation de 40 %. Fin septembre 2021, le président brésilien Jair Bolsonaro a promis à l’Assemblée générale des Nations Unies qu’il ferait pression pour que le Brésil atteigne la neutralité climatique d’ici 2050, que le Brésil avait, de manière discutable, commencé à ralentir la déforestation en août 2021, qu’il engagerait le Brésil dans « les énergies renouvelables, l’agriculture durable, l’industrie à faibles émissions, l’assainissement de base, le traitement des déchets et le tourisme vert ». Le problème, cependant, c’est que le discours de Bolsonaro à l’Assemblée générale de l’ONU ne reflète pas la réalité du refus du Brésil de s’attaquer à la crise environnementale malgré l’insistance des investisseurs financiers et des grandes entreprises brésiliennes31 – au risque d’un désastre – car l’Amazonie représente le poumon de la planète.

L’administration Biden et l’UE ont donc été invitées à ne pas conclure d’accords environnementaux bilatéraux avec le gouvernement brésilien pour réduire la déforestation de l’Amazonie – qui s’est accélérée depuis l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir – à moins que les ONG, les entreprises, les sociétés financières, ainsi que les OIG et les agences des Nations unies, qui sont réellement intéressées par la protection de l’Amazonie et par des projets de développement durable, ne participent à l’accord de manière transparente et plus inclusive. À l’heure de la COP26, le Bezos Earth Fund a promis 2 milliards de dollars (1,72 milliard d’euros) pour la restauration des paysages et la transformation des systèmes agricoles, tandis que la Glasgow Financial Alliance for Net Zero a promis un montant massif de 130 000 milliards de dollars. Le dilemme est que ces institutions ne sont pas nécessairement obligées de cesser de financer l’expansion des combustibles fossiles. Depuis l’accord de Paris de la COP21, les banques mondiales ont injecté 4 000 milliards de dollars dans le pétrole, le gaz et le charbon. Pour sa part, le Brésil a certes signé la déclaration sur l’utilisation des forêts et des terres de la COP26, mais il lui faut encore une législation nationale pour rendre illégal le fait que les entreprises et les institutions financières alimentent la déforestation.32

 

Coopération du G20 sur les émissions de carbone

 

La coopération des États du G20 est absolument nécessaire si l’on veut progresser pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, contre 2,4 °C selon les objectifs nationaux actuels. À l’heure actuelle, les engagements pris par le G20 en vue de réduire les émissions de carbone d’ici 2030 et d’atteindre des objectifs nets nuls d’ici le milieu du siècle ne sont pas encore à la hauteur des besoins.33 Et ni Poutine ni Xi ne sont venus au sommet sur le climat de Glasgow COP26 de novembre 2021, alors que la Russie et la Chine produisent 32 % des émissions mondiales de CO2.

Parmi les pays du G20, Vladimir Poutine a affirmé que les émissions nettes totales de gaz à effet de serre de la Russie pourraient être inférieures à celles de l’Union européenne au cours des trente prochaines années. Pourtant, les émissions de gaz à effet de serre de la Russie ne représentent qu’environ la moitié du total des vingt-sept pays de l’UE, qui ensemble représentent plus de trois fois la population russe. Moscou s’est également inquiétée de l’impact environnemental des émissions de méthane qui proviennent en partie de la fonte de la toundra dans l’Arctique et en Eurasie.34 Pourtant, compte tenu de sa forte dépendance économique vis-à-vis des exportations de gaz et de pétrole et de son refus de réformer son économie, Moscou n’a pas pris de mesures significatives pour réduire ses émissions de carbone. Dans le même temps, Poutine a cherché à obtenir un allègement des sanctions américaines et européennes en échange d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre.

La Chine, membre du G20, constituera un défi encore plus grand. Pékin a déclaré qu’elle ne réduirait pas ses émissions avant 2030 et qu’elle tenterait d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2060. En 2018, Pékin était responsable de 28,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit plus que celles de tous les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Et comme Moscou, Pékin a demandé un allègement des sanctions en échange d’une réduction des émissions de carbone. De son côté, l’Inde, qui, comme la Chine, est un gros consommateur de charbon, a également présenté de nouveaux objectifs d’ici 2060. Pékin et Delhi font tous deux valoir qu’en tant que pays en développement, ils sont confrontés à des obstacles plus importants que les États-Unis et d’autres pays occidentaux pour contrôler les émissions de carbone, compte tenu de l’importance de leur population.

Parmi les pays du G20, l’inquiétude vient du fait que l’Inde, la Russie, la Chine et l’Australie, qui sont responsables de 77 % de la production mondiale de charbon, ont prévu d’augmenter massivement leurs investissements dans le charbon.35 Bien qu’elle ait promis de ne pas exporter de centrales au charbon en septembre 2021, la Chine, ainsi que ces derniers pays, ont envisagé de développer la production nationale de gaz naturel synthétique dérivé du charbon selon un processus qui élimine la pollution toxique, mais qui peut augmenter considérablement les émissions de CO2, dans le cadre d’une politique du « charbon propre » à la Trump.36 Pour sa part, la Russie prévoit d’accroître ses exportations de charbon vers la Chine en raison des différends commerciaux sino-australiens. Dans ses relations avec la Chine, l’envoyé spécial du président américain pour le climat, John Kerry, a tenté de séparer les intérêts « croisés » des États-Unis et de la Chine, tels que la dépendance excessive de la Chine vis-à-vis du charbon, des questions relatives aux droits de l’homme et de la question des sanctions américaines prises contre elle. Pourtant, cet effort est problématique. D’une part, Kerry n’a pas été en mesure d’argumenter contre la formation de l’alliance Aukus, qui a eu un impact significatif sur les relations des États-Unis avec la Chine – au moment même où Kerry essayait de faire pression sur Pékin pour qu’il réduise davantage ses émissions de carbone d’ici 2050. D’autre part, il est très difficile pour les États-Unis et l’UE de coopérer avec la Chine sur des intérêts environnementaux « croisés » s’il est vrai que les panneaux solaires sont fabriqués par le travail forcé des Ouïgours en violation des droits de l’homme (et des règles de l’OMC) – une accusation qui, selon Pékin, est destinée à saper les avancées de la Chine dans la production d’énergie solaire.

 

La Chine est-elle encore

un « pays en développement » ?

 

L’une des mesures nécessaires pour faire face à la crise de la pandémie consiste à augmenter les dons à l’Association Internationale de Développement des Nations unies. Les militants ont ainsi réclamé jusqu’à 3 000 milliards de dollars d’aide au développement.37 C’est bien plus que les propositions du G7 de 500 milliards d’euros de droits de tirage spéciaux par le biais du FMI pour aider les pays à faible revenu touchés par la pandémie.

Pourtant, de nombreux membres du Congrès américain soutiennent que même un montant aussi élevé que 500 milliards d’euros servira principalement les intérêts de gouvernements corrompus, en plus de financer les rivaux américains, la Chine, la Russie, l’Iran, entre autres « dictatures » – dans la mesure où l’on ne sait pas exactement comment et à qui l’argent sera distribué. Comment diriger un financement transparent important et une aide au développement durable génératrice d’emplois vers les populations qui en ont réellement besoin reste un dilemme majeur.

Une question connexe est que de nombreux Républicains et Démocrates considèrent désormais la Chine comme un pays « avancé » et non plus comme un pays « en développement » qui peut obtenir des faveurs spéciales dans les organisations multilatérales, telles que l’ONU, le FMI, la Banque mondiale et l’OMC, ainsi que pour les questions énergétiques et l’Accord de Paris sur le climat.38 Si la Chine n’est plus désignée comme un pays « en développement », elle ne pourrait plus être autorisée par les règles commerciales de l’OMC à augmenter les droits de douane, de manière à restreindre les importations et à s’engager dans des subventions à l’exportation, par exemple. Il reste à voir comment cette question sera résolue, si elle le sera. D’une part, l’élite des régions côtières de la Chine « qui gère le commerce international, les banques et les investissements, ou qui fait partie de la structure militaro-industrielle » tend à être aussi riche que celle des pays les plus riches. D’autre part, les populations du cœur de la Chine peuvent être comparées à celles des pays les plus pauvres de la planète.39 Cette réalité permet aux élites chinoises de jouer un double jeu – en tant que pays « avancé » mais aussi « arriéré ».

 

Biden, le Conseil des Droits de l’Homme et la Cour Pénale Internationale

 

À l’instar de Jimmy Carter, Biden place la question des droits de l’homme au premier plan de son « nouveau multilatéralisme », au risque de provoquer une réaction brutale parmi les États « rivaux » qui sont cités de manière sélective pour leurs violations des droits de l’homme, tandis que les violations des droits de l’homme commises par les États-Unis et leurs alliés sont généralement, mais pas toujours, minimisées ou ignorées.

En ce qui concerne les organisations internationales qui traitent des questions humanitaires et des droits de l’homme, M. Biden a choisi de rembourser le Fonds des Nations unies pour la Population (UNPF) qui fournit des aides aux femmes et aux enfants pauvres. M. Biden a également réintégré le Pacte Mondial des Nations unies sur les Migrations (UNGCP), qui traite de la crise croissante des réfugiés, et l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA), pour lequel il a promis 150 millions de dollars.

L’administration Biden a envisagé de rejoindre le controversé Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU dans le but de le réformer. En effet, Biden a espéré contrer l’influence de la Chine, de la Russie, de l’Arabie saoudite, entre autres États accusés de graves violations des droits de l’homme, au sein du CDH (Conseil des droits de l’homme). Pourtant, les États-Unis ne sont pas toujours d’accord, même avec d’autres démocraties, sur le concept de droits « humains » et « égaux ». Par exemple, la loi américaine de 1964 sur les droits civils était, du moins en partie, fondée sur la « clause de commerce » qui interdit la discrimination dans les logements publics sur la base du « libre commerce », et non sur la base des « droits inaliénables » de l’homme.

D’autre part, même si le Congrès n’a pas réussi à faire passer l’amendement qui garantirait l’égalité des droits pour les femmes (l’Equal Rights Amendment), le Congrès a proposé de voter une loi permettant d’enrôler les hommes et les femmes à parité dans les services des armées. Une décision qui pourrait accroître les tensions sociales. Cette mesure induirait également une augmentation du personnel militaire et pourrait être considérée comme une préparation à la guerre.40

Pour s’opposer à l’adhésion des États-Unis au CDH, les membres du Congrès ont accusé le Conseil d’être trop critique envers Israël et pas assez envers la Corée du Nord, la Syrie et l’Iran. Les Républicains ont également contesté les griefs du CDH à l’égard des questions des droits de l’homme aux États-Unis même. Cette prise de position généralement républicaine n’a pas pris en compte les préoccupations soulevées par le mouvement Black Lives Matter (parmi d’autres mouvements de défense des droits civiques), le meurtre de George Floyd par la police (parmi de nombreuses actions de brutalité policière), l’absence de contrôle des armes à feu, le refus de vingt-cinq des cinquante États d’interdire la peine de mort et d’améliorer l’état misérable du système carcéral américain qui est en train de se dégrader ; un système pénitentiaire qui résulte en partie du soutien de l’ancien sénateur Biden à la loi de 1994 sur le contrôle des crimes violents et à l’application de la loi, mais que Biden a par la suite tenté de rectifier – sans toutefois satisfaire entièrement les Démocrates progressistes.41

Signe d’une démarche (avancée) positive après des décennies de débat, en octobre 2021, le CDH a adopté une nouvelle résolution juridiquement non contraignante reconnaissant l’accès à un environnement sain et durable comme un droit universel. La Chine, l’Inde, le Japon et la Russie se sont tous abstenus, et les États-Unis n’ont pas voté car ils ne sont pas encore membres du CDH. Il reste à voir dans quelle mesure cette législation aura un impact sur le comportement des États, compte tenu des craintes de poursuites judiciaires liées à la pollution de l’environnement, par exemple, mais elle représente un grand pas en avant.

Biden cherchera également à réassocier les États-Unis à la Cour pénale internationale qui n’est pas une organisation de l’ONU. En revenant sur le décret exécutif de Trump, le président Biden a levé les sanctions et les restrictions de visa sur les fonctionnaires de la CPI (Cour Pénale Internationale) qui ont été impliqués dans l’examen des violations des droits de l’homme en Afghanistan et en Palestine. Il semble néanmoins douteux que Biden rejoigne la Cour en tant que membre à part entière, de peur que celle-ci ne pointe du doigt les crimes de guerre présumés des États-Unis en Afghanistan, en Irak et dans d’autres interventions militaires menées par ce pays après la guerre froide. Confronté aux lois internationales sur les droits de l’homme, le Congrès américain a cherché à protéger les Américains accusés de crimes de guerre et d’autres violations des droits de l’homme en adoptant en 2002 une mesure nationaliste : l’American ServiceMembers’ Protection Act (également connue sous le nom de The Hague Invasion Act).42

Le dilemme politique réside dans le fait que les États-Unis, parmi d’autres États, ne veulent pas risquer l’embarras politique que tout procès, national ou international, pourrait créer en révélant les actions illicites de responsables militaires et gouvernementaux – même si un procès national équitable ne conduirait pas à un jugement par la CPI. Et l’on craint également que de tels procès ne sapent la volonté des hommes et des femmes de servir dans les forces armées.

Un autre problème est celui des doubles standards. D’un côté, l’administration Biden a fortement désapprouvé les efforts de la CPI pour s’engager dans des enquêtes sur les droits de l’homme concernant les actions des États-Unis et de l’OTAN en Afghanistan et les actions israéliennes en Palestine. Pour autant, l’administration Biden a dénoncé les graves violations des droits de l’homme en Turquie, depuis au moins 2016 et des « génocides » en 1915-17. Biden accuse également la Chine de se livrer actuellement à un « génocide » contre les musulmans ouïgours dans la province du Xinjiang.

Pourtant, le fait que les États-Unis, la Russie, l’Inde, Israël, la Turquie, ainsi que la Chine, ne soient pas membres de la CPI rend encore plus difficile l’engagement de poursuites contre l’un ou l’autre de ces pays.43 Non seulement les États-Unis ont été accusés d’ignorer les violations des droits de l’homme commises par leurs amis et alliés, tels qu’Israël, le Brésil, l’Arabie saoudite, l’Inde, les Philippines, la Thaïlande et bien d’autres, tant pendant la Guerre Froide qu’après, mais ils ont également été accusés de crimes de guerre en Irak et en Afghanistan, et ailleurs. Les États-Unis ont maintenu des installations de torture à Guantanamo Bay – que Biden a promis de fermer, après l’échec d’Obama.

Le dilemme est que les accusations de deux poids deux mesures ont pour effet de saper le leadership et l’autorité morale des États-Unis – en particulier si les propres actions de l’Amérique et celles de ses alliés ne peuvent être examinées par la CPI.