Vieillir, c'est vivre... - Dominique Marie Godfard - E-Book

Vieillir, c'est vivre... E-Book

Dominique Marie Godfard

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Beschreibung

Ces petites considérations sur la vieillesse émanent d’une octogénaire toute « fraîche » (elle vient de souffler ses quatre-vingt-une bougies) qui tente d’analyser ce qui lui arrive puisque le grand âge vous tombe dessus sans crier gare, malgré de nombreux signaux avant-coureurs ! C’est ainsi qu’on se voit, un jour, offrir une place assise dans le métro et qu’on s’en étonne fort…
« Quand donc arrêterons-nous d’être jugés et de nous juger nous-mêmes à l’aune de nos âges ? », interroge Dominique Marie Godfard dans son témoignage qu’elle veut le plus honnête possible mais non dénué d’humour. Son propos s’articule autour de trois parties principales : une sorte d’« état des vieux » sur les inexorables effets de l’âge, les quelques moyens et/ou parades susceptibles d’aider à affronter l’ultime combat en gardant tête haute et, enfin, les possibles bonheurs du grand âge à l’heure où survient « … une qualité de vie morale améliorée par le délestage des ambitions folles, des afféteries inutiles comme des remords excessifs. »


À PROPOS DE L'AUTEURE


Née à Casablanca, en 1941, Dominique Marie Godfard habite aujourd’hui Mortagne-au-Perche, dans l’Orne. D’abord nouvelliste, elle s’est tournée en 1999 vers le roman (LA PAMPA). Ses dernières publications : Le bus pour Drancy (roman, 2014), Une année percheronne (Journal, 2015), Le bonheur passait, il a fui ! (nouvelles, 2016), Variations sur le regard (billets, 2018), L’accourue en son jardin percheron (Journal, 2019) et Le conflit de l’an 2040 (roman, 2021).

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Dominique Godfard

Vieillir, c’est vivre…

Petites considérations sur les aspérités de la vieillesse

et ses paisibles bonheurs

 

 

Je ne connais pas les mains qui, les premières, m’ont lavée et je ne connaîtrai pas non plus les dernières, mais c’est à leurs tenants que je dédie ce livre.

 

« Pour ne pas penser à la mort, un seul remède : écrire un livre sur la mort. […] L’humour est la revanche de l’homme sur le mystère du destin. Dans la solitude et la déréliction, il nous reste cette dernière arme. »

 

Vladimir Jankélévitch.

Prologue

« Vivre, c’est vieillir, rien de plus », affirme Simone de Beauvoir. Or, on peut voir une opposition entre la vie et le vieillissement car ce dernier est étroitement associé au terminus dont nous nous rapprochons inexorablement et qui effraie tant en raison de sa nature totalement inconnue (comment ça se passe ? où va-t-on ?). D’ailleurs, je n’ai pas écrit le mot comme si l’innommé rendait acceptable la « condamnation à mort » à laquelle aucun être vivant n’échappe dès sa première goulée d’air, au jour de sa naissance. Et pourtant, du début du parcours à son terme, seule la vie domine nos destins qui ne seraient pas sans elle, même si, au fil d’un processus comparable à un phénomène d’érosion dû au temps, nos corps se transforment puis s’abîment sous le poids des années. Bien que différent d’un individu à l’autre, cet avatar s’applique à tous et à chaque instant. Tout au long de l’inévitable métamorphose, la vie entretient en nous une petite flamme increvable que l’on appelle l’« espoir », si nécessaire aux personnes âgées dont il sera question ici, et c’est le plus important. À noter que la formule inverse, « Vieillir, c’est vivre… », que l’on peut éventuellement agrémenter d’un « encore » ou sous la forme : « Vieillir, c’est continuer à vivre », s’avère tout aussi juste, et c’est pourquoi je l’ai adoptée comme titre.

 

Dans un premier jet, je m’étais concocté une phrase introductive à la Flaubert : « C’était à la Guetterie, faubourg de Mortagne-au-Perche, dans le jardin de Dominique… » Je la signale pour dire que… j’y renonce, énonçant ainsi ce qui pourrait bien être une figure de style, genre oxymore, à moins qu’il ne s’agisse d’une coquetterie d’écrivailleuse qui ne sait pas trop comment se présenter ? Je penche pour la seconde partie de l’alternative car cette formule indique qu’il s’agira d’une vieillesse campagnarde, en Normandie, racontée par une amoureuse des mots et de la littérature, mais pas seulement car j’aime le genre humain, les animaux, la nature… bref, la vie telle qu’elle se présente à moi.

Le texte qui suit ce prologue sera composé d’une série de réflexions variées, au gré de mes souvenirs ou des événements dans lesquels j’ai essayé de répertorier des situations où les effets de l’âge prédominent. Elles débuteront sur des constats de ce que vieillir nous impose avant de proposer ou, parfois, d’imaginer les éventuels moyens et/ou parades qui permettraient de garder tête haute dans l’ultime combat ; puis elles se termineront sur les possibles bonheurs du grand âge.

 

La longévité a considérablement augmenté, ce qui entraîne des nuances sémantiques dans la manière de nommer les personnes âgées. D’abord le mot « senior » a été introduit ; s’il ratisse large et plutôt flou, selon les définitions adoptées, il a une connotation plus sympathique, plus jeune ? que le mot « vieux ». Une autre méthode consiste en la numérotation des âges et « troisième » me convient puisqu’il s’agit de personnes de 75 à 85 ans, restées autonomes mais dans un état plus ou moins dégradé : je vais vers mes 81 ans, me plains volontiers de tout un tas de maux sur lesquels j’ai tenté de mettre mes mots… C’est pourquoi ces quelques notes auront valeur de « témoignage » et ne prétendent aucunement au statut d’essai en raison de la spécificité de chaque vieillesse : on n’est pas vieux au même âge, on ne souffre pas des mêmes déficiences, on ne réagit pas de la même manière, etc.

 

Enfin, pour revenir à la citation en exergue de Vladimir Jankélévitch, où le mot « mort » pourrait être remplacé par celui de « vieillesse », elle m’incite à parler de la vieillesse comme de la mort de façon très spontanée et, de préférence, sans noircir le tableau. Avec légèreté ? Non, le plus honnêtement possible mais en n’omettant pas l’éclat de rire qui suit toute chute, si sévère soit-elle.

PREMIÈRE PARTIE

Rencontres entre des personnes âgées

Corinne et moi, sommes octogénaires. Hormis une courte rencontre dans un salon du livre en décembre dernier, nous ne nous sommes pas vues depuis un temps que nous ne cherchons pas à évaluer et qui se mesure à nos visages comme à d’infimes détails de nos expressions faciales… Oh ! pas un changement radical ni de détérioration irrémédiable, mais un léger empâtement au niveau de la gorge peut-être et une sorte d’adoucissement paisible dans la façon d’être : Corinne, une « fonceuse » dans l’âme, qui ne s’embarrasse pas de périphrases pour dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas – ô combien j’envie cette catégorie d’individus ! – me délivre aujourd’hui quelques-uns de ses avis d’un ton tout à fait modéré. J’avais constaté le même tropisme chez ma mère, une colérique absolue, qui, en fin de vie, modéra tant ses emportements que parfois je me demandais si je n’avais pas affaire à un clone maternel, version light. Cette observation me suggère que si le phénomène s’avère universel, ma personne doit dégager une charge soporifique de l’ordre de la morphine puisque j’ai toujours été quelqu’un de très effacé, à deux doigts de l’évanescence.

L’âge augmentant, on a tendance à mesurer la progression de son propre vieillissement dans le spectacle de celui de ses alter ego, avec la sympathie que confère l’appartenance à un « club » commun : on se sait embarqués dans la même galère ! Et cette fraternité partagée met rapidement terme au léger flottement qui préside à des retrouvailles de gens qui ne se sont pas vus depuis assez longtemps pour que le temps inscrive sa durée sur eux.

 

Les premiers mots qu’échangent deux personnes âgées qui ne se sont pas rencontrées durant un certain laps de temps, concernent leur santé, éventuellement leur famille et surtout leurs connaissances communes : comment vont nos amis ? Donner des nouvelles des amis du même âge, à quatre-vingts ans, revient à relater une rubrique nécrologique ou à décompter des entrées en Ehpad. Pour l’heure, Corinne et moi évoquons Colette, vaillante poétesse de grand talent, que la Grande Faucheuse a ravie au lendemain de ses quatre-vingt-dix ans, et Jean, vieux bougon volontiers égrillard, que « sa fille a placé en Ehpad », formule consacrée car on connaît peu de circonstances où ce choix découle de l’intéressé lui-même. Cela n’est guère réjouissant mais entre, malheureusement, dans une routine générationnelle car, entre ceux qui disparaissent et ceux que l’on perd de vue, on s’allège beaucoup au point de vue relationnel, quand on vieillit. De la même manière, des ados compareront des jeux sur leurs iPhone ou des trentenaires décriront leurs dernières rencontres amoureuses via Internet : à chaque tranche d’âge, ses centres d’intérêt.

 

Au mois de décembre 2021, un rai de lumière vint dégager les lourds nuages de la pandémie du Covid 19 puisque le Salon des auteurs du Perche, où j’habite depuis une douzaine d’années, se tint sous certaines conditions sanitaires, agrémentant ce partage avec les livres de la joie des retrouvailles pour quelques écrivains fidèles au rendez-vous. Certes, nous devions montrer patte blanche sous la forme du pass vaccinal et masques porter, mais on avait le regard pétillant qui va avec un grand sourire dissimulé sous les masques. Les élus, car moult candidatures avaient dû être refusées, se trouvaient à distance respectable les uns des autres, faisant zigzaguer les dernières nouvelles d’une table à l’autre. Derrière moi, j’aperçois le dos de Marie-Claire qui, je l’ai lu dans le journal local « Le Perche », a perdu dernièrement son compagnon, Jean-Paul. Je m’approche d’elle pour lui délivrer une de ces formules toutes faites, censée réconforter l’âme en peine qui reste. Elle approuve d’un constat désabusé sur le défunt : « Surtout que ce sera le dernier… » Je m’apprête à récuser quand, levant les yeux, m’apparaît une triste évidence sous la forme de trois absences définitives. Le compagnon de Marie-Claire donc, mais aussi Colette déjà citée plus haut et… Jacques ! Je me souviens d’un salon passé où placée juste à côté de cet écrivain disert, je m’étais dit in petto que l’adage selon lequel « les femmes sont bavardes » pourrait être étendu à la gent masculine sans aucun problème ! Je pense que c’est la première fois que je me livre à si lugubre décompte qui, à bien y réfléchir, n’a rien d’étonnant puisque les uns et les autres nous soufflons chaque année un nombre de plus en plus grand de bougies… jusqu’au dernier souffle, comme aurait dit Monsieur de La Palisse. Dans cette progression vers la mort sous la houlette du temps, règne la logique de l’usure des corps, comparable à celle des objets mais en plus délétère puisqu’une chose ancienne, en art ou pour certaines denrées comme le vin par exemple, prend a contrario importance et valeur marchande au fil des années. Résultat : pendant que des choses se « bonifient » ou atteignent des prix exorbitants, le vivant s’étiole progressivement jusqu’à sa fin programmée.

 

Penchons-nous sur l’usure la plus détestable, l’humaine si inhumaine, qui nous frappe dès le berceau pour nous grignoter petit à petit, et toujours davantage ! Que dis-je ? Nous écimer, le grand âge venu, en s’attaquant volontiers à nos bobines chenues et à quelques-uns de nos sens indispensables au bien-être comme la vue, l’ouïe, etc.

Ma mère, morte à quelques encablures de son centenaire – ce qui l’a sans doute beaucoup contrariée car elle faisait de ses cent ans un défi à relever – plaisantait sur les maux du grand âge, affirmant avec un esprit transhumaniste d’avant-garde : « Tu ne trouves pas que ce serait bien d’inventer des têtes de rechange, on te dévisserait la tienne au niveau du cou par exemple et on t’en mettrait une toute neuve à la place ?… » Et la boutade mérite qu’on s’y arrête car en général c’est bien au niveau de la tête, siège de quatre de nos cinq sens, que se situent les « outrages » les plus invalidants.

La vue et l’ouïe

La vue se trouve en pole position dans la course que nous menons à préserver nos sens en bon état, le plus longtemps possible, car la menace de sa perte terrorise ! On devrait renoncer à tant de choses qui deviennent de plus en plus indispensables à l’âge où les déambulations se font poussives, voire interdites. Je pense à la joie de voir nos aimés, la lecture, les distractions télévisuelles et les jeux, la contemplation de la nature… La menace de la cécité peut aller jusqu’à se faire mortifère. C’est le cas de Henry de Montherlant qui, dans sa dernière lettre avant de se suicider, à 77 ans, signale : « Je deviens aveugle. » C’est la seule raison invoquée pour expliquer son geste et donc la cause immédiate de son suicide.

 

Peut-être suis-je particulièrement sensible aux problèmes de la vue car, affublée d’une très forte myopie, j’ai subi les inconvénients de l’anomalie de mon cristallin tout au long de mon existence. Dans ma toute petite enfance et sous forme animale, je n’aurais sans doute pas survécu ; âgée de 20 ans en 1961 et si j’avais été un homme, je n’aurais pas fait de service militaire… N’étant ni bête ni garçon, j’évitai la mort comme d’être réformée et mon handicap fut corrigé d’abord par des lunettes puis par le port de verres de contact rigides que j’achetai juste après mon mariage. C’est ainsi que durant près d’un demi-siècle, je tremblais à la pensée de laisser choir une lentille, cette minuscule coupelle transparente d’à peine un centimètre de diamètre, aussi difficile à retrouver qu’une aiguille dans une meule de foin !

À l’aube de mes soixante-dix ans, je récupérai la bonne vieille paire de lunettes car, peu à peu, le port des verres de contact, que j’avais eu tant de mal à supporter au lendemain de mes épousailles, redevenait inconfortable et, une fois de plus, je ressentis ce sentiment de « boucle se bouclant », qui devient si prégnant avec l’âge et que je n’ai pas fini de citer tant il imprime son sceau sur les fins de vie !

 

Ma grand-mère prétendait se débrouiller grâce aux « yeux qu’elle avait au bout des doigts ». L’expression aujourd’hui est reprise par des associations dédiées aux malvoyants et une innovation appelée EyeRing, qui consiste en une bague-caméra capable de décrire vocalement l’environnement de la personne qui la porte… Ma grand-mère en serait restée baba ! Tout comme, aujourd’hui, je m’émerveille à la pensée que les bigleux sont opérables grâce aux magnifiques progrès de la chirurgie oculaire. Jeune, je me serais évidemment fait opérer. Même s’il est trop tard pour moi, la réalisation d’un tel miracle m’éblouit et, pour le moins, me réconcilie avec le monde contemporain dont nous, les vieux, avons tendance à dire pis que pendre.

 

Des yeux aux oreilles, il n’y a qu’une tempe à franchir pour nous mener à la presbyacousie, le nom savant pour désigner la perte progressive de l’ouïe. La surdité appartient-elle au lot des héritages génétiques désagréables ? Je l’ignore même si mon premier appareillage assez précoce, à 64 ans, suggère un legs maternel puisque maman, à peine cinquantenaire, ne s’entendait pas hurler et qu’il fallut bien conclure à une défaillance prématurée de son ouïe. Ses propensions à piquer des colères jupitériennes, n’arrangeaient rien au phénomène d’autant que je n’osais lui demander de parler « plus doucement ». Au contraire, elle s’exaspérait contre moi, affirmant : « Je n’entends pas ce que tu dis, tu as une voix de massepain ! Parle plus fort ! » Après son appareillage, nous entrâmes dans une ère dominée par un nouveau cri : « Où sont mes piles ? » Il faut savoir que le porteur d’audioprothèses voit le degré de son audition faiblir au moment précis où il lui est indispensable de bien entendre et, surcroît de malchance ! il ne sait plus où se trouvent les sources d’énergie nécessaires à son appareil, à moins qu’il n’ait oublié de s’en réapprovisionner. J’ai le souvenir qu’alors secrétaire d’un anthropologue qui donnait d’importantes conférences, j’ai dû m’astreindre régulièrement à piquer des canters jusqu’à la pharmacie la plus proche, juste avant qu’il ne réponde aux questions d’un auditoire impatient d’intervenir.

 

Puis ce fut mon tour. Je faisais répéter de plus en plus souvent, d’une voix chevrotante car la démarche comporte le risque de ne pas entendre davantage au bis… pas plus qu’au ter ! Va-t-on oser une quatrième demande, sous la forme d’une prière susurrée du bout des lèvres ? En général, non. On hausse la tête d’un air entendu ou l’on change de sujet de conversation comme on se jetterait dans une issue de secours. Dans d’autres cas, on a plus ou moins bien suivi une discussion animée quand soudain, on aimerait se jeter dans la joute verbale sauf qu’une incertitude plane sur le bien-fondé d’une intervention dans la mesure où on a peut-être « sauté » quelques mots fondamentaux. Bref, la surdité sape toute impulsion et, à la longue, isole l’individu comme si on l’avait puni, le mettant au coin d’un silence profond dont il n’ose pas sortir de crainte d’agacer les autres ou de commettre des bévues… et pire encore, si l’on songe à combien doit être douloureuse la perte de l’ouïe pour des musiciens ou des mélomanes !