Voyage en mer intérieure - Virginie Tyou - E-Book

Voyage en mer intérieure E-Book

Virginie Tyou

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Beschreibung

Une étonnante aventure d’introspection grâce à une méthode encore peu commune

Pendant près de trente ans, Virginie Tyou a été la patiente à complications, celle qui passait de spécialiste en spécialiste sans jamais trouver de soulagement. En la plongeant dans des douleurs pelviennes insupportables, la mise au monde de son premier enfant marque un tournant dans son parcours médical. Elle rencontre alors un chirurgien précurseur dans le domaine de l’hypnose thérapeutique. Avec lui, elle découvre le secret de sa propre naissance et guérit physiquement du jour au lendemain. Cette renaissance incite Virginie à partir en quête des pièces d’un mystérieux puzzle familial. De fil en aiguille, elle retrouve ses racines, les membres de sa famille et enfin, son géniteur.

Au terme de ce Voyage en mer intérieure, elle raconte comment, par une enquête tant consciente que rêvée, elle est devenue une femme bien dans sa peau et heureuse dans sa vie. La postface a été écrite par le Dr. Luc Bruyninx.

Un témoignage intrigant sur le soin par l’hypnose qui soulève des questionnements sur soi et sur les autres.

EXTRAIT

- Vous m’avez demandé mon avis, je vais vous le donner. Je pense que le geste chirurgical que l’on vous propose peut être postposé. Vous souffrez depuis des années et je ne suis pas convaincu que cette nouvelle opération soit la solution miracle. Et je pense que vous êtes venue me voir parce qu’au fond, vous aussi, vous doutez.
Ce propos est salvateur et sèche mes larmes. Il me rend la maîtrise d’événements devant lesquels, jusqu’à cette rencontre, je suis restée passive. Pour la première fois, je passe imperceptiblement du stade de malade en attente de soins à celui de malade en quête de guérison.
- Probablement… Il n’y a rien à faire, alors ?
- Si. Je voudrais vous proposer une méthode pour tenter de diminuer la douleur que vous ressentez. Avez-vous déjà entendu parler de l’autohypnose ?
- Autohypnose ? C’est quoi ce truc ?

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Cette expérience est riche d'enseignements qu'il fallait transmettre, coucher noir sur blanc. En tournant les pages de cet ouvrage nous découvrons ce « Voyage en mer intérieure » qui raconte quelle manière il est possible de surmonter des difficultés rendues presque insurmontables parce que inconscientes mais non reconnues comme telles. - Blog de Thierry Gaillard

À PROPOS DE L’AUTEUR

Virginie Tyou est diplômée en philologie germanique. D'abord professeur de langues modernes, elle a acquis une expertise en droit européen des télécommunications et des nouveaux médias en tant que conseillère en affaires réglementaires et publiques. Depuis 2008, elle travaille comme experte en réglementation européenne pour le compte d’une société de conseil internationale. Elle analyse les politiques européennes et françaises ayant trait à l'économie numérique. Virginie est maman de trois enfants. Son parcours personnel l’a amenée à s’intéresser à la psychologie et découvrir la psychogénéalogie.Virginie Tyou est également l'auteure de Cliky, l'énigme numérique, un roman jeunesse destiné à initier les enfants à Internet.

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À mes trois enfants

Que votre vie soit amour et lumière, à l’écoute de vous-même.

PREMIÈRE PARTIE : À L’ÉCOUTE DE MON CORPS ET DE MES RÊVES

La main tendue d’Hippocrate

De la rencontre naît le mouvement

Juin 2001. Il est presque seize heures. J’arpente patiemment les couloirs de l’hôpital. Chaque pas me rapproche du cabinet d’un spécialiste en chirurgie colorectale avec qui j’ai rendez-vous pour la deuxième fois. Je n’ai encore aucune idée de ce que mon corps tente désespérément de me faire comprendre depuis des années. Il est des attentes qui valent toute une vie.

Claude et moi sillonnons inlassablement les couloirs des cliniques de Belgique depuis plus de deux ans. Des centaines d’heures à errer mentalement face à des portes censées s’ouvrir sur une solution à mon problème de santé. Aujourd’hui, nous patientons devant la porte d’un docteur atypique, un médecin qui vous regarde dans les yeux lorsqu’il vous parle, un homme qui vous écoute avec bienveillance lorsque vous vous racontez. Il a une poignée de main franche et chaleureuse. Sa voix est rassurante.

— Comment allez-vous ? me demande-t-il en souriant.

— Toujours la même chose, Docteur, je n’arrive pas à m’asseoir. J’ai des décharges électriques entre les cuisses après quelques pas. Je suis toujours en incapacité de travail.

— Rappelez-moi votre métier ?

— Je suis conseillère en réglementation européenne des télécommunications.

— Le travail vous manque ?

— Terriblement. C’était un poste passionnant, valorisant et me voilà au crochet de la sécurité sociale. Et la seule solution qu’on me propose est un poste sur une chaîne de fabrication de pâtisserie industrielle… Je vis un cauchemar, Docteur.

— Je comprends. Depuis votre première visite, j’ai pris le temps d’analyser les détails de votre dossier. Si cela vous convient, je vais résumer l’ensemble de ce que vous m’avez raconté et vous me direz si j’ai oublié quelque chose. Cela risque de vous sembler technique, mais je pense qu’il est temps d’établir un bilan clair de l’état de votre plancher pelvien.

Plancher pelvien… Quel nom raffiné pour éviter de nommer l’intime, le honteux… derrière. Un problème au derrière, quelle histoire ! Une descente aux enfers.

Le sourire du docteur me rend courage, il communique avec moi, à mon rythme, sans précipitation.

— Vous avez trente-deux ans et vos douleurs périnéales se sont manifestées il y a quatre ans, immédiatement après la mise au monde de votre fils. Vous avez consulté de nombreux spécialistes et suivi divers traitements médicamenteux et physiothérapeutiques afin d’essayer de contrôler ces douleurs, mais rien n’a été efficace jusqu’à présent. En 1999, vous avez subi une résection du coccyx, car celui-ci était resté mobile à la suite de votre accouchement, ce qui pourrait être une cause de votre phénomène algique. Cette opération a nettement atténué vos douleurs en postopératoire, mais ces dernières ont récidivé un mois plus tard. En mai 2001, vous me consultez pour un avis à propos d’une neurolyse des nerfs pudendaux qu’un chirurgien vous a proposé de réaliser. Ai-je oublié quelque chose ?

— Non, Docteur… c’est un résumé clair de mes ennuis.

J’apprécie le tact dont sont empreints les mots de ce médecin. Si la douleur physique est pénible à vivre, elle devient mortifiante lorsqu’elle est honteuse. Et quelles souffrances plus déshonorantes que des élancements ano-périnéaux dus à l’atteinte du nerf pudendal, le fameux nerf honteux ? Je souffre d’une douleur invisible, honteuse, et donc muette. Il est des douleurs inconvenantes qu’il est impossible de partager avec son entourage. Mais aujourd’hui, pour la première fois, un médecin ne semble pas surpris par cette douleur inexplicablement récalcitrante. Au contraire, il poursuit son anamnèse.

— Bien… Cette douleur qui vous empêche de vous asseoir a-t-elle une couleur, une forme ? Varie-t-elle en intensité ? Et dans ce cas, avez-vous pu identifier la période ou les conditions qui favoriseraient ces variations ?

Quelle étonnante question !

— Je vous sens surprise. Prenez votre temps avant de répondre.

Je ferme les yeux et me concentre… Là, en ce moment précis, quelle forme ma douleur pourrait-elle avoir ?

— Pour ce qui est de la forme, je dirais qu’elle a la forme de la pointe d’un objet tranchant.

— Une pointe de couteau ?

— Non, plutôt un objet en bois.

— Bien. Une couleur, peut-être ?

— Rouge, rouge vif qui devient de plus en plus foncé au fur et à mesure que la pointe s’enfonce dans mon derrière.

— Une température ? C’est froid, c’est chaud ?

— C’est brûlant… Dites, ça veut dire quoi, tout ce que je vous dis ?

— Comme cela, pas encore grand-chose, mais c’est intéressant que vous puissiez identifier votre douleur, la ressentir autrement, mettre des mots sur ce qui vous fait si mal.

Le silence s’installe. Claude me regarde de toute sa triste bienveillance. Il sait à quel point je souffre depuis le jour de mon accouchement, le plus beau jour de ma vie, mais le plus terrible aussi. Le début d’une nouvelle vie, avec un bébé, un petit garçon magnifique doté d’une sensibilité hors du commun. Adrien n’est pas un enfant comme les autres, il est rêveur et vit dans son imaginaire. Il dit qu’il veut être fermier et ne joue qu’avec des tracteurs… à quatre ans ! On me dit qu’il est mon portrait craché. Il a mon front, des cheveux blonds et de grands yeux bleus, c’est vrai. Mais il a les mains de son père, tendres et rebondies. Je l’adore, il est mon rempart contre la souffrance physique qui s’est emparée de mon corps depuis sa naissance.

Je tiens pour unique responsable de mon calvaire la gynécologue qui a été contrainte d’utiliser les forceps à cause de son arrivée tardive en salle d’accouchement. Dix-huit heures de travail sans une visite. Elle a surveillé mon travail à distance, par téléphone, depuis son cabinet. J’ignore s’il s’agit de la procédure habituelle, mais le résultat est là : bassin disloqué, coccyx brisé et nerf honteux électrifié ! Je suis tellement en colère contre cette femme ! Les larmes me montent aux yeux.

— C’est difficile, n’est-ce pas toute cette souffrance et cette colère…

— Terriblement…

Je sanglote. C’est la première fois que je m’autorise à pleurer face à un médecin. Je me sens suffisamment respectée pour être moi-même et partager ma souffrance.

— Vous m’avez demandé mon avis, je vais vous le donner. Je pense que le geste chirurgical que l’on vous propose peut être postposé. Vous souffrez depuis des années et je ne suis pas convaincu que cette nouvelle opération soit la solution miracle. Et je pense que vous êtes venue me voir parce qu’au fond, vous aussi, vous doutez.

Ce propos est salvateur et sèche mes larmes. Il me rend la maîtrise d’événements devant lesquels, jusqu’à cette rencontre, je suis restée passive. Pour la première fois, je passe imperceptiblement du stade de malade en attente de soins à celui de malade en quête de guérison.

— Probablement… Il n’y a rien à faire, alors ?

— Si. Je voudrais vous proposer une méthode pour tenter de diminuer la douleur que vous ressentez. Avez-vous déjà entendu parler de l’autohypnose ?

Autohypnose ? C’est quoi ce truc ? !

— Je vous vois sourire ! Il ne s’agit pas d’un numéro de cirque. C’est une méthode qui a fait ses preuves, mais qui exige un investissement personnel de la part du patient.

— Comment cela se passe-t-il ? C’est vous qui vous occuperiez de moi ?

— Oui, ce serait avec moi. Le déroulement n’a rien de compliqué : j’entame une conversation avec vous et je vous demande de vous souvenir d’une expérience agréable, un bon souvenir de vacances, par exemple. Au fil de la discussion, je vous amène progressivement à ce que l’on appelle un état modifié de la conscience. Un peu comme quand vous vous sentez dans la lune, si vous voulez.

— Dans sa bulle ?

— Exactement. Et c’est cet état de plénitude lié à une expérience agréable qui pourrait nous permettre de déconnecter ensemble le fusible de la douleur.

— Ce que vous me dites à propos de cet état de conscience modifié, je crois que je peux y arriver : depuis toujours, on me reproche d’être un peu trop dans ma bulle !

— Eh bien, cette fois, cette capacité ne sera plus un défaut, si tant est qu’être capable de se protéger puisse être considéré comme un défaut !

— Ah, la bulle est un outil d’autoprotection ?

— Sans aucun doute. À ce propos, l’autohypnose n’a qu’un défaut, mais il est de taille. En ouvrant votre conscience, vous aurez accès à un tas de tiroirs, conscients et inconscients. Certains de ces tiroirs peuvent contenir des éléments perturbants, dérangeants, peut-être même des souvenirs que vous pensiez effacés. Certaines personnes arrivent même à retrouver des sensations qui remontent à l’époque intra-utérine… C’est dire si certains tiroirs sont profonds !

— C’est le genre de choses qui ne m’effraie pas : j’ai vécu une enfance merveilleuse. Mes parents sont adorables et très présents, pas de crainte à avoir.

Je suis tellement soulagée. Enfin une méthode qui va m’aider, j’en suis certaine !

— Écoutez Docteur, je suis partante. Je n’ai rien à perdre. D’autant que, comme je vous le disais, dans ma famille, il n’y a pas de cadavre dans le placard !

— Dans ce cas, rendez-vous le mois prochain ? La première fois, je propose que vous veniez accompagnée de votre mari, car vous serez sans doute un peu chamboulée, surtout si vous réussissez à monter dans votre bulle.

Pour la première fois depuis deux ans, Claude et moi quittons un hôpital avec une vraie bonne nouvelle, la perspective d’une guérison sans intrusion dans mon corps. Je suis rassurée, j’ai confiance en la perspective d’un rétablissement en mode actif, avec moi aux commandes.

Mise au monde

Donner naissance renvoie naturellement à sa propre naissance.

Dans la nuit qui suit cette rencontre éclairante, un sommeil profond m’emporte dans le cours du temps. Retour au 11 mars 1997. Il est précisément deux heures du matin.

Je pénètre dans la lumière blafarde du hall de la maternité. Flanquée d’une élégante serviette de bain entre les jambes, j’avance péniblement vers le guichet d’accueil. Le gardien de nuit vient à ma rencontre. Nous échangeons quelques banalités en attendant l’arrivée d’une infirmière. Parler, émettre des sons, histoire de relâcher la pression qui monte. J’ai la tête en feu et l’eau qui s’écoule encore entre mes jambes n’améliore pas la situation.

Claude me rejoint avec la valise. Cette valise ! Va-t-elle enfin servir ? Elle a déjà deux allers-retours à son actif, sans résultat probant, la faute à des contractions de tension.

Une femme en blouse blanche apparaît et nous guide vers une salle d’examen. Je me hisse sur la table qui trône au centre de la pièce. Je pose mes pieds dans les étriers. J’ai du mal à respirer, j’ai peur. Détends-toi Virginie, détends-toi…

Une nouvelle femme en blanc entre dans le local.

— Vous avez des contractions ? demande-t-elle en préparant ses gants d’examen.

— Pas vraiment, mais je perds de l’eau par petites quantités depuis deux heures environ.

L’infirmière gantée s’approche de mes jambes et les écarte fermement. Elle est entre mes genoux, à quelques centimètres de mon visage, mais elle ne me regarde pas.

— Allez-y doucement, s’il vous plaît… Je suis assez sensible, j’ai toujours eu peur de ce type d’examens…

J’ai la voix suppliante, je suis affreusement gênée de devoir avouer que j’ai une trouille bleue de l’examen gynécologique. Depuis le début de ma « carrière » de femme, chaque toucher vaginal s’apparente à une torture physique. Je suis rouge comme une pivoine, ma peau picote du sang qui afflue de tous les côtés. Calme-toi, Virginie, tu n’es pas la première qui accouche…

— Il va falloir se détendre ! beugle l’infirmière. Je n’arrive pas à voir le col et je dois mesurer à combien de centimètres vous êtes !

Me détendre, elle en a de bonnes, celle-là ! En quelques secondes, je suis devenue un utérus ouvert à un centimètre et demi. Un centimètre et demi… et dire que je devrai être examinée jusqu’au dixième, dernière étape avant la délivrance. L’infirmière relâche enfin sa pression dans mon corps, mes jambes peuvent se rejoindre. Ouf…

Après l’utérus, elle me prend le bras pour mesurer ma tension. De l’antipathie, elle passe à la colère.

— Vous avez une tension à plus de dix-huit. Il va falloir se calmer, sinon vous allez avoir un sérieux problème, sans compter que c’est très mauvais pour le bébé !

Que croit-elle, au juste ? Que je m’amuse à me faire peur ? Je ne suis pas tendue, je suis terrorisée. J’ai envie de pleurer. J’ai vingt-sept ans et depuis ma naissance, je suis déstabilisée par toute nouveauté. C’est d’ailleurs un trait de caractère que mes parents aiment souligner, surtout mon père. Sa voix résonne dans ma tête. Tu as toujours été une froussarde ! Qu’est-ce que tu as pu nous emmerder à pleurer pour un oui ou pour un non… Chaque découverte était un drame, on avait systématiquement droit à la fontaine ! Dans le désordre, me reviennent le vélo à deux roues, les patins à roulettes, en passant par ma première rentrée des classes, mon premier plongeon ou ma première tentative de ski nautique, sa passion. Cette nuit, il l’avait annoncée : Qu’est-ce que ce sera lorsque tu accoucheras !

6 h 30. Je m’habitue à mon statut d’utérus en mutation. Le calme revient alors qu’une perfusion se charge d’activer les contractions. L’infirmière-ours est partie se coucher. Sa remplaçante est un jeune infirmier sage-femme nettement plus avenant. Il ne regarde pas mes grimaces de travers lorsqu’il glisse la main sous les draps.

Sept heures, le jour se lève. Claude quitte la chambre quelques instants afin de prévenir maman que je suis en salle de travail. Maman assistera à mon accouchement, je le lui ai promis. Je veux entendre son premier cri, m’a-t-elle dit.

7 h 35. Nous sommes désormais quatre dans la chambre de travail. Les contractions se rapprochent et deviennent douloureuses. Maman et Claude se relaient pour éponger mon front. Je suis concentrée sur ma douleur.

9 h 00. La péridurale est posée. Je me détends, j’ai envie de dormir. On frappe à la porte. Surprise ! Mon père vient s’ajouter à mes deux accompagnateurs. J’ai l’impression d’être dans un salon de thé. Mes parents sont étonnés de me voir apparemment si calme. Je suis heureuse de les voir heureux.

Tic tac, tic tac. Le temps s’égrène et ne semble pas avoir d’effet sur la dilatation de mon utérus. Mon corps se contracte, mais son travail n’est pas efficace. Le personnel infirmier me conseille de bouger le plus possible dans mon lit. J’obéis tant et si bien que l’aiguille de la péridurale bouge aussi. J’ai à nouveau très mal au ventre et dans le bas du dos. Le salon de thé se transforme en vraie salle de travail. Je ne parle plus et je ne veux plus qu’on me parle. Le stagiaire vient me dire au revoir et me présente l’infirmière qui se chargera désormais de moi. Elle me propose immédiatement d’écarter maman de la chambre. Je m’y oppose.

15 h 30. Seconde péridurale et enfin, mon col s’ouvre. Une angoisse terrible me prend à la gorge.

— Et si mon enfant n’était pas normal ?

— Et alors ? me répond l’infirmière. Un enfant est toujours un enfant.

Malgré l’absence de douleur, j’angoisse de plus en plus. L’infirmière revient dans la chambre et demande à maman et Claude de me laisser seule. Pas question ! J’ai besoin de mon mari et je n’ai pas le droit de faire de la peine à ma mère. Tout le monde rentre !

16 h 00. J’ai la bizarre sensation de devoir aller à selle. J’appelle l’infirmière qui sonne le branle-bas de combat. Le bébé arrive ! En route pour la salle d’accouchement.

Je suis accompagnée par mon mari. Maman n’est plus à mes côtés, elle a été refoulée dans le couloir par ma gynécologue. Il fait chaud. La lumière fait scintiller le vert des carrelages qui recouvre les murs de la pièce. Claude est devenu tout vert aussi. Par-delà mon ventre, j’aperçois les longs cheveux bruns de ma gynéco. Je pousse de toutes mes forces, deux infirmières sont debout de chaque côté de la table. Elles me hurlent dessus et se jettent sur mon ventre. Entre chaque effort, je regarde les cheveux de ma gynéco et j’ose l’interpeller.

— Vous voyez sa tête ? Il arrive ?

Il n’arrive pas. J’inspire, expire, pousse, pousse encore, mais pas de bébé.

J’aperçois enfin les yeux de ma gynéco !

— Virginie, nous allons le sortir toutes les deux, d’accord ? Vous allez pousser de toutes vos forces quand je vous le dirai ! On est d’accord ?

Mes yeux acquiescent, mais elle n’est déjà plus avec moi. Je la vois jeter un regard entendu à la troisième infirmière qui se tient à côté d’elle. Je pousse, j’expire un hurlement et en un tour de pinces à barbecue, mon bébé voit le jour.

— Oh, quelle belle petite tête ! s’exclame mon docteur en le déposant sur mon ventre.

Vide intellectuel, néant d’un instant. Il a une face de grenouille et ses yeux sont fermés. À qui ressemble-t-il ? Ce petit bonhomme ne me laisse pas le temps de répondre. Il rampe sur mon ventre et se jette vigoureusement sur mon sein.

— C’est un bébé vorace, rit l’infirmière.

Je suis chahutée par la brutalité de ce petit être avide de vie. Je le caresse doucement.

Quelques heures plus tard, je quitte le bloc d’accouchement. Le lit roule à travers différents couloirs et s’arrête devant la porte qui s’ouvre sur ma chambre. Enfin, le calme…

Surprise ! La pièce est déjà occupée. Ma grand-mère est assise dans le fauteuil et ma mère s’agite autour de mon lit. Je suis épuisée. Mes yeux se ferment, mais je dois renoncer à me laisser aller. Ma grand-mère et ma mère veulent voir Adrien, ce merveilleux bébé, mon bébé !

Les heures d’apesanteur qui suivent mêlent bonheur extrême et premières douleurs épouvantables. Dès ma première tentative pour me lever, je comprends que quelque chose de grave s’est passé en moi. Impossible de m’asseoir : ma respiration se coupe d’une douleur électrique fulgurante dans le derrière. Avec l’aide de Claude, je réussis péniblement à m’extirper du lit, mais des larmes de douleur coulent. J’ai entendu tellement de témoignages au sujet des douleurs post-partum que je ne me tracasse guère : un premier accouchement ne se passe pas sans traumatismes.

Enfin debout, j’ai le sentiment que mon bassin va se décrocher et tomber par terre. Je m’accroche à la rambarde du lit. J’ai peur de bouger, mais je n’ose pas appeler l’infirmière. Il m’est impossible de faire un pas sans l’aide de mon mari. Pas à pas, sur son épaule, je réussis à gagner la salle de bains. En posant mes fesses sur les toilettes, je ressens à nouveau cette terrible déflagration Et puis, je m’évanouis de cette douleur qui me dépasse complètement.

Je reprends conscience dans les bras de l’infirmière.

— Vous avez probablement le coccyx déplacé. On vous amène de la glace. Ne vous inquiétez pas, il va se remettre tout seul.

Je reste finalement dix jours en clinique. Aucune radio, aucun examen complémentaire. J’ai cette impression qu’à nouveau, je suis trop douillette. Je décide donc de me taire, de souffrir en silence. Je ne fais encore aucun lien entre ces douleurs effroyables et celles, plus sourdes et discrètes, que j’ai toujours ressenties lors de mes rapports intimes. Comme si j’étais fermée de l’intérieur. Pourtant, j’y ai pensé lorsque j’ai annoncé à ma grand-mère que j’étais enceinte.

— C’est magnifique d’être enceinte, ma petite fille. Mais ce sera une autre paire de manches lorsque l’enfant devra sortir !

Elle avait raison. La mise au monde d’Adrien a fait sauter physiquement mon verrou intérieur, disloquant entièrement mon bassin. La marche est devenue un calvaire, la station assise, une posture insoutenable. Dans les mois qui suivent mon accouchement, un étau douloureux prend possession de ma vie quotidienne. Les examens médicaux confirment mon handicap, sans apporter de solution. Une chaise roulante s’impose au fond du coffre de la voiture. À la maison, je ne me déplace plus qu’à l’aide d’une canne, d’un coussin ergonomique à l’autre. Je passe l’essentiel de mes journées allongée à plat ventre sur un matelas installé au milieu du salon. Je ravale mes larmes et m’efforce de garder le sourire afin de ne pas effrayer mon fils qui grandit chaque jour en beauté et en sagesse. Tous les matins, ma belle-mère relaie Claude qui part travailler. Elle a pris en main l’intendance de notre foyer. De son côté, maman m’offre les services de sa femme de ménage.

Pendant toute cette période, je mesurerai chaque jour la chance que j’ai d’être entourée par ma famille et par mon mari en particulier. Son amour infini à mon égard sera un rempart infaillible contre toute forme de dépression.

Premier rendez-vous sur la plage

Le pouvoir d’être simultanément ici et ailleurs.

Juillet 2001. Le docteur m’invite à m’installer. Je choisis de m’allonger confortablement sur un fauteuil médical. Le docteur s’assied à ma gauche, sur un tabouret. Aucun regard possible, pas de pendule ni de musique douce. Juste le silence et les rayons du soleil qui filtrent à travers la fenêtre du cabinet. Dehors, il fait aussi beau que le jour de mon accouchement.