Voyages à Malaga - Nicole Nonin-Grau - E-Book

Voyages à Malaga E-Book

Nicole Nonin Grau

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Beschreibung

Portée par les rêves d'Aurélia, la lumière arrivera à poindre à travers le sombre.

Aurélia est une pensive qui rêve sa vie. Son enfance porte très tôt l’empreinte d’un destin déjà bien marqué. Dans ce parcours fait de fêlures, elle arrive avec force à construire les premières bases de son futur. Elle s’y tient, se maintient puis force le destin à agir en sa faveur. Les liens familiaux sont aussi compliqués que le seront ses engagements. Mais, portée par ses rêves, la lumière arrive à poindre à travers le sombre.
Ce lourd passé familial et conjugal forme le terreau de son histoire.

Découvrez le destin d'une jeune femme pensive qui, malgré un parcours fait de fêlures, parvient avec force à construire les bases de son futur et force le destin à agir en sa faveur.

EXTRAIT

L’homme tient toujours la porte de la sortie et elle, de son côté, sort après un bref signe de tête. Elle feint l’indifférence tout en jonglant avec son émoi. L’air frais et sec la cingle et stoppe quelques secondes les idées qui commençaient à se bousculer. Les images du photographe tournent en spirale : son élégance, son sourire, sa silhouette… Elle se sent un peu plus légère et instinctivement reconsidère le stylo qu’il avait détenu et cela lui renvoie un plaisir insoupçonné.
Ces instants lui appartiennent et seront un doux souvenir à garder. Il y a déjà un peu d’elle et un peu de lui sur cet objet, mais est-ce cela qui organisera une possible suite ?
Elle a souhaité cette rencontre improbable pour être au cœur d’une décision qui n’appartiendrait qu’à elle et c’est nouveau ! Avec ce trop-plein de rêves et si peu de temps pour les réaliser alors qu’elle ne peut compter que sur elle-même…
Un autre raisonnement traverse son esprit : « Le destin est un jeu de quilles sur lequel la réalité s’amuse à lancer des boules. » Elle n’attendra rien des autres et peut-être que c’est une autre voie qui s’ouvrira devant elle et pour elle. Elle repense à Christian et à toutes ces années à vouloir à elle seul le bonheur et pour lui et pour elle.
Qu’en reste-t-il ?
Que faut-il en attendre ?
« Être aimée sans réticence et aimer sans exigence » : est-ce la seule véritable conduite à tenir ?
Il fera peut-être ce qu’il veut, mais elle le fera également. Elle respire intensément puis, par bravade, esquisse un sourire au stylo qu’elle tient toujours dans la main !
Ces moments prennent leur place et la lettre de Tatiana se perd momentanément dans le lointain. Sa seule évocation provoquerait les mêmes contractions viscérales qui sont totalement imprévisibles.
Cela suffira-t-il pour enrayer cet enchaînement de rancœurs qui la mortifie autant qu’il se perpétue ?
De retour au loft, le scepticisme fait un retour en force ce qui provoque chez Aurélia, l’arrivée de nouvelles idées brutales : « Je vais faire une coupure et partir pendant quelques mois, sans écrire, sans téléphoner… »
Elle est prête.
Elle est.
Elle vit.
Elle décide.
Elle partira trois mois !

À PROPOS DE L'AUTEUR

L’auteure se consacre à l’écriture et c’est sa thérapie. Mon grand-père ce héros est le fruit d’une introspection personnelle. L’ouvrage a reçu en 2014 le prix Maestro. D’autres ont suivi :  Pour que tu deviennes grandLes étincelles de l’instant,  Les françaises ont le regard triste
L’écriture est enrichie par une mise en lumière du passé et cette distance nourrit sa créativité. Elle trempe sa plume « dans ce vécu » qui est son encre et sa signature est toujours poétique.

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Voyages à Malaga

Du même auteur

– Mon grand-père ce héros (essai)

– Le poilu dans la tranchée (nouvelle)

– Pour que tu deviennes grand (roman)

– Les étincelles de l’instant (recueil)

– Pince Kita (nouvelle)

– Les Françaises ont le regard triste (roman)

Nicole Nonin Grau

Voyages à Malaga

 

À Aurélia, Anastasia

Préface

Une petite-fille, pour une grand-mère, est un cadeau du ciel, une opportunité de prolonger son enfance, son adolescence et sa vie d’adulte. L’on met, dans cet enfant, l’espoir des réussites qu’on n’a pas côtoyées. Occupée à éduquer sa propre fille, la maman croit ne pas lui avoir donné assez. Inconsciemment, elle estime rattraper son rôle de mère en aimant davantage.

 

Devenir mamy lui remémore les heureux moments partagés avec celle qui fut la sienne et parfois les embellit. Elle romance l’histoire au fil des jours et l’amour, le bonheur, les cadeaux qu’elle offre à sa petite-fille, ne s’en gratifie-t-elle pas elle-même ?

 

Quand, devenue grande, la petite-fille marche dans les pas de sa mère et de sa grand-mère et reçoit de la vie les mêmes bonheurs mais aussi les mêmes épreuves, mamy n’est pas surprise. C’est la génétique qui œuvre.

 

Pourquoi Aurélia donne-t-elle rendez-vous à Tatiana à Malaga, en ce pays où au même âge que l’adolescente elle a rencontré l’amour ? Pourquoi l’entraîne-t-elle dans ce pèlerinage, si ce n’est pour l’initier, lui confier les clés de la descendance ?

 

La complicité entre les deux femmes est si complète que la grand-mère, tente une escapade sans la précarité d’une fugueuse – Aurélia s’octroie des folies – manque de commettre une énorme bévue, ressent des émotions et vivra peut-être un nouvel amour.

 

Par une écriture fluide et un style transformant les images en poésie, Nicole Nonin Grau, en troubadour, nous conte une romance qu’il serait agréable d’écouter assise sur un tapis dans la lueur d’un feu de cheminée.

 

Maryse Bouzet

Auteure creusoise

Prologue

Accéder à l’amour c’est tendre les bras vers les nuages où siège l’univers des rêves :

Là où la musique est douce à entendre.

Là où le chant vous caresse la peau.

Là où la bienveillance vous envahit de toute part.

Alors nourri de ces agapès, vous partez à la recherche de l’autre : cet autre moi qui est toujours vous. Cette recherche trace le chemin vers lui et vous entraîne vers l’aventure.

Ce cheminement est celui d’une porteuse de rêves : Aurélia. Elle est la colonne vertébrale de l’histoire qu’elle sustente jusqu’à son terme. Elle a pour seul statut : celui d’être femme et de vouloir l’être toujours.

Tatiana est sa petite-fille qu’elle retrouve après vingt ans de silence. Aurélia se cherche en même temps que le lien se tisse entre les femmes.

Ces destins se croisent, coexistent et finissent par charrier des amours insensés qui surgissent de nulle part.

La porteuse de rêves

Elle marche avec une précaution aristocratique sur la plage de Malaga. Indifférente, malgré ce sable qui lui brûle la plante des pieds ; elle fait balancer, nonchalamment, ses tongs en les maintenant par la bride.

Le soleil arrogant et agressif occupe tout l’espace. Septembre n’amène pas de fraîcheur et il lui semble que tout le monde attend sur la plage ou dans les bars que le soir tombe pour avoir un peu moins de chaleur.

Aurélia Desclairier regarde un peu plus loin, pensive, elle se penche pour s’essuyer avant de remettre ses tongs. Elle se retourne, une dernière fois, du côté mer, puis se dirige vers le parking. Une corpulence ni grosse ni maigre et une taille tout aussi commune, mais l’ensemble ne suffit pourtant pas à la rendre ordinaire. Un regard difficile à soutenir et dont la profondeur se charge de mille questions. Il hameçonne l’autre et y pêche de précieuses informations : une réserve de solutions pour pallier d’éventuels problèmes.

Ce foisonnement intérieur lui donne un aspect impénétrable et ce qui serait un désagrément pour d’autres représentait un avantage pour elle. Cette personnalité sans âge se dirige d’instinct par la voix secrète de sa perception interne.

La voix, la sienne justement, a un spectre d’intonations harmonieusement variées et elle en joue : un jeu aux règles indétectables par quiconque hormis elle. Ce système, bien rodé, la déloge de situations les plus difficiles. Elle possède en cela un charisme des plus impénétrable qui fait d’elle un personnage à part.

Avec de tels atouts mis à son service, cette « débrouillarde » se sent hors d’atteinte et ses prouesses la font sourire. Parfois un malveillant s’approche d’un peu trop près, gagne du terrain, et s’enhardit, mais, au final, c’est elle qui obtient la victoire à l’arraché. Cette réserve, mise en sauvegarde, avec autant d’histoires à son actif, la gratifie d’un courage exceptionnel.

Ces acquits sont contenus dans une mémoire aux souvenirs cachetée par une ouverture cryptée. Sa propriétaire, en la circonstance, conscientise la force considérable d’une transmission héréditaire qu’elle a placée en son pouvoir : une valeur ajoutée. Cette évocation lui renvoie le visage lisse de sa propre grand-mère au sourire éternel.

Elle s’appuie sur le principe même que ses analyses sont, pour ainsi dire, sans faille et ce qui parait être du registre de l’aventure ne l’est pas forcément.

Elle avait mis ce voyage en Espagne au titre des retrouvailles avec sa petite-fille : Tatiana. Cette jeune fille de vingt-trois ans est en rupture avec sa mère qui n’est autre que la propre fille d’Aurélia Desclairier. L’histoire familiale se répète inexorablement. Petite-fille et grand-mère étaient restées des lustres sans se voir, empêchées qu’elles étaient par l’interdiction formelle d’une mère impitoyable prise dans une décision de rupture à tout prix. Ce traumatisme héréditaire fera partie du message à transmettre à moins qu’il ne se résolve ?

Puis un jour : « Bonjour, c’est Tatiana ! » Les mots sonnèrent et se raccrochèrent à cette voix enfantine qui, instantanément, résonnait de cette mémoire enfermée au fond d’une malle. Vingt ans d’absence n’avaient pas altéré l’affection qu’elle vouait à cette enfant, mais, bien au contraire, l’avaient sublimée : une absence en forme de surprise.

Ce voyage en Espagne elle le jugeait indispensable à la reconstruction d’une relation avec cette enfant. Elle ferait ce qu’elle savait faire de mieux : l’aider d’une façon générale, mais aussi plus particulièrement pour ce qui concerne la cicatrisation de la rupture d’avec sa mère. Dans deux jours, elle serait là, avec elle, à Malaga. Elle en était étourdie et une jouissance extrême la faisait trépigner comme une enfant.

Ce nécessaire tête-à-tête était programmé pour dissiper la gêne engendrée par une aussi longue séparation. En cet instant, cette perspective la grise et ce plaisir lui décrispe les traits.

L’exotisme du lieu favorisera l’écart nécessaire à la reconstruction de l’attache. Il lui avait suffi d’acheter les billets d’avion à Nantes pour être aujourd’hui en Espagne. Cette opération peu coûteuse la satisfaisait : elle aime bien faire de bonnes affaires pour joindre l’utile à l’agréable.

Elle a une carte à jouer et doit s’arroger une revanche, car elle aussi a un compte à régler avec l’Espagne : un contentieux de toujours. Ce pays qu’elle a connu en un autre temps, en un autre lieu et avec une autre personne.

La démarche est prise. Elle engrangera, sur place, un maximum de connaissances locales. Elle arpentera les rues, visitera les églises, s’imprégnera d’un tout et ce sera la nourriture du moment. C’est ainsi que l’inoccupé se comble et que le tourment s’anesthésie. Des moments que l’on s’approprie pour s’attribuer un peu de répit !

Cette reconstruction entretiendra le lien de la transmission. Elle imagine déjà sa petite-fille boire ses paroles, assise sur le bord de son lit comme elle le faisait en compagnie de sa propre grand-mère. Elle lui servira de guide, lui parlera du musée Picasso… Et, pour clore, lui lira le poème d’Aragon en hommage à Frédérico Garcia Lorca : poète tué sous le régime de Franco en 1936.

Les vers de : un jour, un jour, égrènent leur poésie silencieuse :

Tout ce que l’homme fut de grand et de sublime

Sa protestation ses chants et ses héros

Au-dessus de ce corps et contre ses bourreaux

À Grenade aujourd’hui surgit devant le crime

Et cette bouche absente et Lorca qui s’est tu

Emplissant tout à coup l’univers de silence

Contre les violents tourne la violence

Dieu le fracas que fait un poète qu’on tue…

Elle peine un peu pour remonter la ruelle qui la mène à la maison d’hôte : une casita, (c’est le nom qu’elle lui donne). Le soir tombe et, de loin, elle entend les sanglots d’une musique arabo-andalouse qui envahit la ruelle dès les premières plaintes. L’exotisme est ici ambiant et véhicule différents courants : historiques, artistiques… Différentes cultures y sont également entremêlées.

Après avoir refermé, elle dispose sur le lit les différents prospectus qu’elle a ramassés. Un éventail de couleurs sur papier glacé qui forme un kaléidoscope à plat sur le lit. Il y a là tout ce qui fait honneur à l’Andalousie avec invitation aux musées et sites à ne pas manquer : Picasso, Velázquez, Dali en sont les figures emblématiques. Une autre revue accroche les news de stars. Son œil s’attarde sur un titre sous lequel figure : Miguel Delgado, l’acteur du moment. Il est en compagnie d’une blonde alors qu’il est à peine divorcé ; le scandale y est souligné !

Ce comédien fait la une des journaux à chacun de ses déplacements. Il est une pure représentation hispanique de l’hidalgo : fruit d’une actrice italienne et d’un ingénieur Malagais ! Il a une propriété dans un village à quelques kilomètres de Malaga. Son regard noir perce l’écran et pénètre jusqu’aux entrailles ce qui le rend irrésistible aux yeux de la gent féminine. Une sensualité à fleur de peau qui fait frémir ce même public féminin dès le premier regard ! Ses cheveux couleur geai, longs et parfois lissés au gel, appartiennent à la plus pure tradition espagnole. Un charmeur sans nul doute, mais qui connaît des déboires sentimentaux que la presse people s’empresse d’en noircir ses propres colonnes.

Aurélia se prépare à accueillir sa princesse russe comme elle le dit ! Une jeune fille pas très grande, voire menue, avec d’immenses yeux translucides qui lui mangent la figure et une bouche charnue. Elle se réjouit d’avance de sa visite. Elle jouera à l’éducatrice, la mamy, la conseillère et un peu l’amie. Elle l’étouffait déjà de son affection et récupérait ainsi toutes les années perdues.

Elle saisit un prospectus au hasard, qui titre : « Le caminito del rey ». La photo du dépliant montre un chemin en surplomb qui paraît être suspendu à une montagne. « Diable ! », se dit-elle, « j’ai le vertige ». Elle se ressaisit : « Une princesse russe ça vaut bien ça ! » Elle ira et se mettra en danger : qu’importe après tout !

Dans la file des visiteurs, il n’y a guère de monde ce jour-là. Elle se dit que la démarche est peut-être risquée, mais il n’y a que peu de vent et la température est douce. Elle passe à l’accueil et se dirige, confiante, en direction du Caminito. Des montagnes abruptes se présentent à elle : une vision qu’elle met de côté. Elle entame le cheminement en évitant de regarder en bas. Il lui semble marcher à côté de la montagne et rester en suspens par la magie d’une volonté divine. Elle poursuit, malgré l’angoisse, et ses pas la conduisent vers une passerelle qui ne s’arrête nulle part. Elle l’emprunte et se cramponne à la rambarde. Le paysage vertigineux dévoile effrontément une perspective à 180°.

Est-ce que la passerelle a bougé ou bien est-ce elle qui l’a secouée ?

Elle ne sait pas ou ne sait plus, mais elle fait corps avec l’élément, bloquant tout passage. Les mains sont solidement amarrées à la passerelle alors que son regard se tourne instinctivement vers l’abîme. Elle vacille, les montagnes dansent et les visiteurs aussi.

Ses mains agrippent toujours les cordes et ses yeux se ferment. Sa respiration se bloque. Elle n’entend pas. Elle ne voit pas. Elle serre les dents. Elle est livide. Elle va chuter c’est certain et la béance l’attire de plus en plus. Saisie d’un mal de mer en plein ciel, elle ne sait plus où elle est ni qui elle est. Le gong des secondes est assourdissant. L’horloge prend son temps et s’amuse à lui faire peur.

Derrière elle quelqu’un chante : « Señora, señora ! » ; une main la saisit. Du tréfonds de ses entrailles s’éjecte un laborieux appel au secours à peine audible : « soy francesa, soy francesa » (je suis française).

L’instant s’est stoppé net. D’entre les cils, elle aperçoit une chevelure noire et son oreille distingue des consonances tantôt espagnoles tantôt anglaises. Devant, deux mains ont saisi, avec force ses poignets. La rigidité qui l’a solidifiée l’empêche de progresser ; elle fait toujours corps avec cette versatile passerelle. Deux autres bras, forts eux aussi, l’ont agrippée par la taille.

Elle est d’une extrême blancheur. Elle ressent une poussée et fait mécaniquement quelques pas bien malgré elle. Combien, elle ne sait pas, mais elle perçoit des voix d’hommes et de femmes qui l’entourent et communiquent au-dessus d’elle. Ils se parlent en continu et la dirigent. Les voix sont rauques, mais le ton est confiant. Il lui reste encore quelques mètres. L’homme de devant doit avoir une bonne quarantaine peut-être ? L’autre a une sorte d’uniforme et pilote les opérations.

Au sortir de la passerelle, elle se récupère, tente encore quelques pas puis réussit à s’asseoir sur une grosse pierre. L’homme à la casquette se veut réconfortant : « Ça va Madame ; ça va, Madame ». Il demeure à ses côtés tandis qu’un homme brun et distingué, accompagné d’une jolie femme assortie à sa voiture, prononce quelques mots : quelques mots en espagnol ou peut-être en anglais. Elle est dans un brouhaha interne qui l’empêche de voir et d’entendre comme il le faudrait.

L’homme en uniforme acquiesce avec considération. L’attroupement qui s’était formé se disperse. Le distingué prend rapidement congé, se retourne une dernière fois et s’engouffre dans sa rutilante voiture sombre. Les portières claquent et ce véhicule s’estompe, peu à peu, laissant le panorama reconquérir ses emplacements derrière le véhicule qui vrombit de soulagement.

Toujours assise, elle recouvre peu à peu sa conscience. L’homme à la casquette se gratte le front et lui tend une petite bouteille d’eau. Les mots sortent de la bouche d’Aurélia. Ils se débitent à la vitesse mécanique d’un métronome : « Je viens de voir Miguel Delgado ! », dit-elle dans un souffle. Ce dernier répond en souriant : « Si, señora, es Miguel Delgado », bien content que cette dernière ait retrouvé ses sens. Aurélia fixe le lointain et il lui semble avoir vu partir un ovni. L’homme à la casquette sourit et souffle de satisfaction. Elle se relève enfin et le gardien, toujours à ses côtés, la questionne à nouveau : « Ça va Madame, ça va Madame ? » Elle répond et interroge : « Oui, ça va bien. C’est Miguel Delgado qui m’a secourue ? » L’homme retire, une nouvelle fois, sa casquette, comprend et rabaisse la poitrine en soufflant : « Si señora, si ». Il lui fait signe d’attendre, répond à son portable, puis finalement la laisse partir en direction du parking avant de soupirer à nouveau. Elle lui adresse un salut amical. Elle sait qu’elle ne viendra plus au Caminito del Rey, mais elle a rencontré la super star qui n’est autre que : « Miguel Delgado », une star incontestée en Europe et aux États-Unis ! Elle a pris le risque et la visite touristique a été tentée : étourdissante, vertigineuse, dangereuse, pittoresque… Puis s’adressant à elle-même : « Que va penser de moi Tatiana ? »

La soirée qui suivra sera réparatrice, mais la nuit lui fera revivre la scène dans sa démesure onirique. Dans cet espace éthéré du rêve, le sommeil joue au yo-yo. Pas moyen d’entamer un repos récupérateur ! Tant pis ! Elle met son casque, branche son portable et choisit une musique de circonstance : le concerto d’Aranjuez. Les premières notes égrènent des trémolos, ses pensées voyagent et visitent d’autres périodes et d’autres lieux.

Elle ne saura pas à quel moment elle s’est endormie. Mais, dans son rêve, elle vole agréablement au milieu des montagnes. Des hommes à la chevelure noir geai s’amusent et ne la voient pas. Elle va choir et s’engouffrer dans le néant ; elle le pressent avec certitude. Ce pressentiment la fait hurler silencieusement, mais personne n’y prête attention tant occupés qu’ils sont à faire n’importe quoi d’inintéressant. Elle regarde en bas dans ce trou forcément désert et complètement noir. La chute n’a pas de fin alors elle se laisse absorber par cet abîme vertigineux tout entière sans que quiconque n’y prête attention.

La peur l’a réveillée. Assise sur son lit et le cheveu hirsute, elle sent une légère odeur de musc : un parfum plutôt masculin. Elle se lève et ôte son oreillette. Elle cherche, l’effluve est toujours là aussi léger que persistant. Elle est tout près, machinalement elle approche les narines de son avant-bras. Le parfum y persiste malgré l’eau et le gel de la douche du soir. Le flash de sa pensée lui dévoile un nom : Miguel Delgado. Un trouble contenu s’installe. Elle le chasse de son esprit ainsi que le nom de son célèbre propriétaire. Finalement elle se douche une fois de plus et elle fera place nette. Elle continuera de faire ce qu’elle a entrepris et l’aventure du Caminito Del Rey n’existera définitivement plus.

Septembre est beau. Elle aime les mois de transition ceux qui finissent une saison et en commencent une autre. Elle irait ce soir au bord de la plage marcher tantôt sur le mouillé tantôt sur le sec et n’en fera pas plus. La Méditerranée, en cet endroit et en cette période, subit un courant froid en provenance des Canaries qui fait baisser la température de la mer.

Le lendemain elle visitera le musée Picasso et continuera à jouer les touristes. La petite princesse russe arrivera le lendemain et elle sera prête à l’accueillir. Elle est fébrile et s’emploie à arranger la « casita » : une manière comme une autre de tromper l’attente. Elle a préparé deux repas froids, a acheté des boissons fraîches et a disposé un minuscule bouquet de fleurs sur la table. Il lui reste encore du temps à employer.

Elle se connecte et saisit « Miguel Delgado » dans le navigateur. Sans plus de réflexion, elle fait défiler les photos puis les interviews… Elle déroule une vidéo au hasard et entend sa voix : « oui, c’est bien la sienne ! », se dit-elle. Elle reste un long moment, dubitative, avant de déconnecter l’ordinateur.