Suis-moi et ne dis rien - Nicole Nonin Grau - E-Book

Suis-moi et ne dis rien E-Book

Nicole Nonin Grau

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Beschreibung

L’histoire évolue entre Clermont, le Berry et Paris. Lorsque Gauthier rencontrera Chloé, il en tombera fou amoureux et Amandine naitra de leur union.
Une année plus tard, Renaud revient du Canada et découvre en France une situation compliquée. Ce dernier se rapprochera de Chloé qui n’a plus de nouvelles de Gauthier depuis un an. Elle se sent trahie et entend le retrouver.
Mais le drame est déjà là. Le temps passera mais fera-t-il suffisamment son œuvre ? L’aurore s’ouvrira-t-elle sur un autre destin ?


À PROPOS DE L'AUTEURE


L’écriture est pour Nicole Nonin Grau une thérapie : oui, mais pas seulement. Car, sans pouvoir l’expliquer, son parcours restera jalonné d’une foule d’écrits tant personnels que professionnels. « Petits ou grands, nos pas nous entrainent là où le destin nous attend » est une citation parue dans : « Pour que tu deviennes grand ». Au fil des rencontres, elle trempe sa plume dans le vécu. Son style est poétique qu’elle définit par ces mots : « Je raconte au féminin. » Editée depuis 2013, elle remporte le prix Maestro avec : « Mon grand-père : ce héros » : le récit tragique de son grand-père né à proximité de la demeure de George Sand. Une dizaine d’ouvrages suivront et sa principale source d’inspiration est et restera la terre de ses ancêtres : le Berry.

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Nicole NONIN-GRAU

SUIS-MOI ET NE DIS RIEN

Du même auteur

– Mon grand-père ce héros (essai)

– Le poilu dans la tranchée (nouvelle)

– Pour que tu deviennes grand (roman)

– Les étincelles de l’instant (recueil de nouvelles)

– Prince Kita (nouvelle)

– Les Françaises ont le regard triste (roman)

– Voyages à Malaga (roman)

– George Sand : Par la plume et pour le peuple

(nouvelle)

 

« Petits ou grands les pas vous entraînent là où le destin vous attend ! » (Pour que tu deviennes grand)

Préface

Dès les premières lignes, j’ai été prise par la poésie qui se dégage du texte. L’écriture amène le lecteur dans l’aventure du récit comme je l’ai été moi-même. Celui-ci est porté par l’amour : celui d’une mère préoccupée pour son enfant, celui d’une autre mère attentive aux soins apportés à son fils et c’est aussi l’amour qui enflamme les protagonistes du récit.

L’histoire trace le parcours de deux enfants devenus hommes. Le rythme d’écriture s’accélère, on sort de l’enfance, le mystère s’épaissit et le lecteur ne lâche plus le livre : il veut tout savoir et aller jusqu’au bout. Les rebondissements surprennent à la croisée des chapitres.

Hier, enfants et aujourd’hui hommes : la lecture interroge. Par quel lien et quel secret sont-ils unis ? Les énigmes se succèdent et le fil de l’écriture véhicule la peur autant que l’espoir et la mort autant que la vie. En filigrane, la personnalité effacée de l’héroïne est émouvante : une retenue qui marque sa présence.

L’ouvrage est féminin et les mots sont poésie. Alors, dans cette rivière de mots, coule l’amour et c’est, tout simplement, un hymne en forme d’allégorie.

 

Michelle Marie Bodin Bougelot

Jongleur de mots et d’images

Prologue

La feuille qui vient de se poser au sol marque le début d’un automne. En ce lieu, le rythme des saisons demeure. C’est ainsi que les gens y vivent. Que le vent se soulève et la feuille s’en ira pour s’échouer ailleurs sur un autre tas. Elle passera le relais à une autre feuille qui tourbillonnera pour se perdre ailleurs avec les autres. Les saisons sont ainsi conformes aux mentalités du lieu. Bien longtemps, les femmes, habituées au labeur, ont porté des seaux et pour compléter leur prénom on y ajoutait un article : une sorte de particule pour faire savoir d’où l’on venait. Même si les temps ont changé, les durs travaux sont toujours en mémoire.

Le temps d’hier a fait d’elles ce qu’elles sont aujourd’hui. Elles aiment, existent et meurent avec la même âpreté. On n’y vit pas pour être là mais parce qu’on est d’ici. Certains partent mais leur retour s’accompagne d’un fort malaise qui les empoigne du fond de leurs entrailles. Les femmes d’aujourd’hui font comme toutes les autres femmes : elles rêvent, aiment et s’installent. C’est ainsi, parce qu’on ne prévoit que les bonnes choses. Alors lorsqu’une de ces feuilles fait échec au bonheur : c’est l’affliction.

Le destin est une ombre omniprésente qui ne se devine pas. Il a pour seul compagnon de route : le temps. Deux personnages qui se fondent dans cet univers commun et qui ne se satisfont que fort modestement de nos procédés séculiers. Ils demeurent en deçà et nous renvoient à notre triste situation : à charge pour nous de trouver la solution appropriée. Ainsi, nous sommes faits pour le bonheur et le malheur n’est jamais attendu. Les feuilles à leur mort sont destinées à s’éparpiller pour aller s’échouer ailleurs : un peu plus loin.

Chloé, l’héroïne, n’échappe pas à cette règle. Elle circulera entre ombre et lumière ne sachant pas toujours ce qui lui appartient de faire : perdue qu’elle sera dans un tourbillon obscur. Avant ou après les ordonnances de son destin, elle aura à décider ou à modifier sa propre copie. Car, après la tourmente, il y aura un destin dans le destin puisqu’aimer est l’essence même de la vie. Les plaies se cicatriseront, se guériront et lui donneront une autre chance. Un autre amour pourra naître : telle la feuille agonisante qui tombe pour faire naître une autre feuille.

Barbeyrat

La brume de l’automne ennuage imperceptiblement ce village où une nature immobile se laisse observer. Novembre est arrivé et la fraîcheur envahit subtilement l’espace de ses jours. La Voueize coule et creuse son lit au milieu de cette verdure sans limites. Çà et là, des formes géométriques découpent en vert foncé le vert plus clair des pâturages. À différentes altitudes paissent tranquillement quelques vaches aux allures de santons. Là, en ce milieu, serpente la route du hameau. Sinueuse, elle se fraye un chemin pour coexister avec cette rivière qui lézarde une terre sauvage toujours intacte. Elle dessert deux hameaux dont les maisons de pierre s’organisent tantôt en îlots tantôt à l’unité. Les champs et les boqueteaux qui les sertissent, témoignent ici de leur utilité pour certaines d’entre elles.

Chloé a un pied-à-terre, en ce lieu. La voiture connaît bien le chemin qu’elle emprunte aujourd’hui ; elle frôle la rivière. Le soleil irradie et ses rayons miroitent entre les feuilles. Elles forment une ombrelle où l’on perçoit, par endroits, des prairies à symétrie variable. Elles se déclinent en diverses nuances de vert et ainsi contribuent à ambiancer l’environnement. Elle contourne cet ensemble et croise parfois des vaches, champs, cultivateurs… Ici la route se hausse fièrement pour se séparer de la rivière. La voiture poursuit seule cette voie qui laisse entrevoir, à l’entrée du village, quelques anciennes bâtisses faites de pierres. Le moteur ralentit pour laisser la place à une poule miniature qui s’effraie puis s’ébat et, pour finir, court, tête baissée, pour se réfugier en toute hâte, sous un grillage. Sa peur est passée et ses ailes colorées se sont rabaissées. Elle se redresse et, glorieuse, reprend fièrement une démarche saccadée tandis qu’elle becquette, de part et d’autre, une bien maigre nourriture qu’elle est la seule à voir.

Le moteur a stoppé devant un portillon vert pénétré d’une grosse serrure sombre qui vient d’avaler une clé aussi noire qu’elle est énorme. Elle fait grincer ses gonds et s’ouvre. Amandine sort à toute vitesse : une habitude, sans doute. Elle galope sur le chemin de la cour pour aller percuter la porte d’entrée de la maison. Une fois ouverte, elle prend possession directement de sa chambre bleue puis déballe les jouets du coffre. De la grille, sa mère lance, un : « Viens m’aider ! » Les petites jambes courent dans l’autre sens et, à la volée, l’enfant se saisit d’un « vanity » et d’un sac en plastique puis repart dans l’autre sens. Les volets s’ouvrent. La maison se remplit. La vie s’installe. Les affaires se déballent et se rangent : ainsi un week-end champêtre démarre. Elles sont à la campagne. Une grande pièce à vivre sert d’entrée et distribue deux chambres et la cuisine. Les rayons d’un soleil automnal un peu tombant, éclaircissent la salle et dessinent au sol un fractionnement lumineux. Ils composent un kaléidoscope de formes géométriques ébauchées sur les tomettes.

Dans la courette, une balançoire attend sous un chêne parsemé de quelques feuilles roussies par ces étés de plus en plus chauds qui grignotent le printemps et mangent l’automne. En contre-jour, dans l’encablure de la fenêtre, une ombre secoue la grande nappe jaune. Ici, la maison s’anime sous l’action de ces présences. Puis, le feu de la cheminée est allumé. Il s’emballe et crépite déjà en incandescences désordonnées. L’atmosphère se réchauffe. Les ustensiles de la cuisine « concertisent », résonnent et un : « moi, les assiettes » espiègle jaillit de la chambre bleue. Une tête bouclée, à peine plus haute que la table, pose avec grande concentration, une assiette puis une autre. Un « oui, oui » aussi tardif que machinal s’échappe dans l’entrebâillement de la cuisine. Par ces mots, Chloé sort ainsi de ces pensées devenues persistantes depuis la disparition de Gauthier. « Mon Dieu, comme elle lui ressemble », se dit-elle.

Cette maison présente ses particularités qui tranchent sur les autres bâtis : les éléments du passé coexistent avec le contemporain : ici un vieux modèle de tricycle, là une télévision avec écran grand angle. Ils voisinent en harmonie dans un décor bucolique habité par bien des souvenirs qui ont pris bonne place et où, déjà, quelques fleurs du jardin se redressent dans un vase aux couleurs criardes.

Mais, la fin de l’automne suivra et les volets se fermeront jusqu’au prochain printemps : c’est ainsi et il est temps de s’y préparer. Chloé s’y attèle. Elle nettoie, organise et range : une habitude de toujours. Ce sera vite fait : l’habitat est élémentaire et les habitudes prises. Le décor est rudimentaire : un souhait voulu qui dénote une volonté délibérée dès le départ. Le dénominateur commun pour cette maison et l’appartement de Clermont Ferrand est l’organisation : une détermination pour l’ensemble des deux habitats. Demain, il faudra rejoindre la RN 145, en sens inverse, calfeutrer la maison pour l’hiver et rejoindre l’appartement guidé par l’aiguille noire de la cathédrale de Clermont qui pointe vers le ciel.

Quelques dossiers demeurent toujours sur l’autre table de la plus grande pièce. Une main en saisit quelques autres sur lesquels vient s’ajouter un simple cahier numéroté dont le sens a, semble-t-il, valeur de gravité. Il est le dernier d’une série sur lequel les dernières pages qui sont calligraphiées au stylo bleu semblent détenir de secrètes pensées. Elles sont écrites, selon les apparences, uniquement pour elle-même car c’est son destin qu’elle apostrophe : une invitation qui prend la forme d’une lettre et elle la commence par ces mots :

« Il m’a fallu me heurter, m’agripper et me reprendre mille et une fois sans te voir ni te comprendre, mieux encore, j’ignorais jusqu’à ton existence. Je ne savais pas que tu étais si près de moi. Doucement bercée par un vent juvénile qui berçait mes jeunes années, j’étais dans cette suffisance du temps qui passe. Je continuais à marcher le nez en l’air ne sachant pas du tout que ces moments de vie allaient s’empiler et leurs échos me reviendraient tel un boomerang : peut-être un jour, une fois ou jamais…

Lorsque les premiers retours sur image sont apparus, tu as été présent : permanent, solide et toujours immobile. Des clins d’œil qui bousculent l’esprit et marquent ta présence. « Je suis là » : me disais-tu et, dans un silence plombé, ma voix juvénile a subitement tinté ramenant, dans mon esprit, les pensées de l’instant. La révélation des mots mettait en place le vécu d’unescène tandis que la révélation de l’expérience suggérait un retour sur moi-même. L’inopiné de la circonstance faisait fi d’une éventualité qu’elle soit malheureuse ou heureuse. Là, n’était pas le propos. Cela compterait seulement pour les registres de ma vie comme les strates de la terre ou les chapitres d’un livre. Un itinéraire était déjà là et il se traçait tantôt linéaire tantôt mouvementé.

J’ai poursuivi ma route ou changé de cap et ce voyage, semé d’embûches, m’a poussée plus loin. J’ai compris, par ce biais, qu’il était difficile d’être soi alors, peu à peu, j’ai déposé ces atours dont on se pare pour être comme l’autre : celle que l’on rencontre ou celle que l’on voit en couverture de magazine. Ma crinière s’est lissée au fil du temps. J’ai quitté le carcan des apparences et fait de nouveaux choix. J’ai privilégié l’utile laissant les perfectionnements sur le bas-côté.

Dans la sobriété, j’ai commencé, sans doute, à exister. Aujourd’hui, je te guette. Parfois je te pressens mais souvent je te perds. Ainsi, lorsque les souvenirs remontent à la surface, ils émergent au milieu d’un fatras de choses à faire alors ce voyage est malaisé. Mille fois je me suis trompée et me suis heurtée à tes soudaines apparitions. L’itinéraire n’était pas le bon mais il fallait attendre ou bifurquer. Tout ce travail, encore une fois, pour rien. C’est là, au milieu de ce doute, qu’apparut l’ombre nocturne du néant qui alimente la peur tant sidérale que mystique. Une chute, un accroc, une microscopique chose et je sais que tu es là. Je ne te vois pas et je ne t’entends pas et pourtant tu es là : un fidèle compagnon parfois magistral, parfois facétieux. Cela générait une ambiance peu propice aux bonnes nouvelles et pourtant… Une fois ou un jour le merveilleux est arrivé :

Une rencontre formidable qui enchanta tellement ma vie et qui ne me fera rien regretter malgré tout. Elle a tout bousculé. Lui, les yeux rieurs, la démarche simple et allurée : il s’est avancé. Il a aussitôt plongé son regard dans le mien et nous avons communié soudainement, de concert et dans l’instant : l’amour avait pris pied… Puis, j’ai su que rien ne serait pareil et rien ne l’a été. Étourdie et dans une quiétude sidérante, nous nous promettions l’un à l’autre parce que nous étions faits l’un pour l’autre : une évidence sans équivoque. Ce bonheur inespéré, partagé et insensé s’est établi ce jour-là et pour toujours. Il nous a pris tout entier et ce tout ne faisait plus qu’un de nous deux : l’un était l’autre et vice et versa. Le désarroi est arrivé après quelques années, puis :

Il s’est envolé ! Un arrachement imprévisible !

 

Aujourd’hui, tu es aussi aphasique que paralysé mais tout est silencieux et inerte autour de moi. Des oppressantes interrogations tournent en boucle depuis cet instant mauvais. Ces lignes me consolent. Dis-moi. Aide-moi…

Où est-il ?

Que fait-il ?

Que me dis-tu ?

Où dois-je chercher désormais ?

Parlons, conversons, rassurons-nous. Je me sens solitaire au milieu de cette béance, sans un signe et sans savoir quel chemin prendre. J’ai tellement cherché.

Aide-moi enfin et dis-moi : où est-il ? »

Elle referme le cahier aussi vite qu’il est possible et vient s’adosser à la fenêtre. Tout est figé. Dans ce lointain, on ne distingue aucun mouvement, ni aucun bruit : la ligne d’horizon est désespérément linéaire. Elle s’étire d’est en ouest, sans plus. Un peu plus près, cette même poule naine, qui, peu avant, avait repris ses quartiers, s’aventure au dehors. Elle picore là tout près et à toute vitesse ce qui anime, un court instant, la quiétude du trottoir. Chloé, perdue dans ses pensées, sourit et se dit qu’elle ira voir la voisine avec Amandine pour donner des nouvelles. Elle attend surement. La visite est quasi traditionnelle. Jeanne est la mémoire du village et elle a les clés de la maison. Parce qu’elle aime bien les enfants, après la visite, toutes d’eux sortiront main dans la main enrichies de quelques gâteaux. Sur le chemin du retour, elles repartiront et Amandine courra jusqu’à la maison, comme à son habitude.

Chloé est à la fenêtre, l’œil toujours fixé au loin, pour ne distinguer que l’horizon. Elle va rentrer, sauf que… là-bas, peut-être… Elle tressaute. Elle scrute de nouveau et cherche dans cet espace. Non, ce n’est pas possible. Il y a un homme là-bas. Mais, si… Mais si… Elle refuse de croire à ce qu’elle voit ; l’évidence est certaine pourtant, cette silhouette est bien celle d’un homme perdu dans le paysage. Que fait-il là ? Qui est-ce ? Est-ce bien un homme ? C’est peut-être lui : oui, non ? Son regard confirme ; oui, c’est lui. C’est sûrement lui. Elle veut que ce soit lui. Ça ne peut être que lui assurément. Ses lèvres tremblent. Cette apparence : c’est inhabituel ici. Une chemise claire et un pantalon sombre, lui sont familiers. Elle se dit : « Mais, c’est lui ». Oui, c’est lui ou quelqu’un qui lui ressemble… Elle ne peut pas se tromper : cela lui parait impossible. Sa vision exclut toute espèce de doute. Les minutes prennent leur temps. Instinctivement, elle se rapproche et, tel un automate, fait quelques pas hésitants dans la ruelle : l’œil fixé en direction de la vision. Elle blêmit et son cœur s’affole. Ses jambes tremblent et son corps impulse un mouvement qui va des pieds jusqu’à la tête. La stupeur la solidifie. Mais, de très loin, l’homme se retourne et fixe longuement dans sa direction. Elle ne se trompe pas. Elle ne distingue pas son visage qui est masqué par l’ombre des feuillages. Il est venu à propos : elle en est persuadée. Une curieuse sensation l’étreint et l’interpelle. Magnétisée, elle vacille et son regard ébahi fixe toujours l’endroit de l’apparition au-delà du possible.

À quelques pas, le capot sombre d’une voiture à l’arrêt reluit faiblement dans la pénombre naissante. Le vert ambiant s’assombrit. La voiture s’approche lentement de la silhouette et presque sans bruit. Brusquement, l’ombre se met à filer pour s’y engouffrer, une portière claque et, simultanément, le moteur démarre à toute vitesse. Chloé comprend. Elle est sortie mais, c’est trop tard. Elle veut courir mais n’y arrive pas. Sa mine vire au blanc, ses lèvres frémissent et elle balbutie quelques mots inaudibles puis, par automatisme, se met à courir en direction de cette apparence. Son cœur frappe dans la poitrine à tout rompre et ses battements explosent ses tympans. Elle s’arrête : le souffle court. Elle baisse la tête et se courbe. Ses mains prennent appui sur les genoux. Il est trop tard, beaucoup trop tard. Encore haletante, elle se penche délibérément pour mieux recouvrer sa respiration. Lorsqu’elle se redresse enfin, c’est pour fixer cet horizon sans vie.

La pénombre s’épaissit graduellement et la nuit suit le mouvement. Amandine est là : à ses côtés. Elle l’a rejointe. Sa mère ne l’a pas vue. L’enfant, tête levée à son maximum, lui tire, par saccades, le bas du pull. Elle implore :

– Maman, maman !

– Ce n’est rien, ce n’est rien.

– Papa, papa !

– Non, c’est fini, on rentre. Allez viens. Viens vite. Ce n’est rien. C’est personne.

L’enfant saute dans les bras maternels et elles reprennent ainsi le chemin de la maison : une distance nécessaire pour récupérer son souffle et faire face une fois de plus au bouleversement. La fatigue gagne du terrain et chasse l’angoisse. Amandine s’est réfugiée dans le creux de l’épaule de Chloé qui lui caresse doucement le dos en témoignage d’apaisement. Elle n’aura pas de réponse aujourd’hui encore : pourtant une certitude s’intensifiera au fur et à mesure que passera la soirée !

Lorsqu’elle dépose Amandine devant le portail, l’enfant, comme à son habitude, court à toutes jambes jusqu’à la porte d’entrée. Sa mère suit le mouvement en faisant semblant de la rattraper. Elles arrivent toutes les deux en même temps et Chloé lui dit : « Tu as gagné ». L’enfant rit, à gorge déployée, et pour mieux lui faire savoir courbe la tête en arrière. Elle tape des mains. C’est une accalmie, de bon augure, et, ainsi réunies, elles ne se questionnent plus. L’interrogation du moment reste suspendue au-dessus d’elles. La nuit venant, il faudra bien calmer le flot de ces nouvelles supputations qui viendront grossir le lot des précédentes. La maison sera fermée à clé et les volets seront clos. La nuit tombera et floutera la ligne d’horizon pour que ladite silhouette ne réapparaisse plus. Mais, elle reviendra dans les tourments de la nuit et deviendra ombre pour prendre place tout près d’elle.

La nuit s’annoncera aussi douce que les tourments seront violents. Il sera difficile d’y faire face. Il faudra laisser la fatigue prendre du terrain pour être dans l’apaisement.

Pour l’heure, Chloé s’affaire car il faut oublier et tenir bon. Là, elle range la vaisselle, là, elle empile quelques documents et ainsi le temps passe. Elle occupe chaque moment intensément et cela équivaut au temps qu’il reste à Amandine pour s’endormir. Elle glisse de temps à autre un œil dans l’entrebâillement de la porte. La veilleuse « brumise » une faible clarté dans la petite chambre bleue où un peu de désordre règne encore. En posant son regard de côté, elle s’aperçoit que l’enfant a empilé, sur la commode, quelques morceaux de feuilles de papier, qui sont pliés, pour jouer à la grande : ce sont ses « dossiers » à elle. C’est une marque de coopération qui l’unit à sa mère. Chloé sourit ; elle est amusée. Un avenir chamboulé et incertain s’annonce pour elles. Tous les projets établis sont autant de copies à revoir : un bouleversement qui contraste avec cet espace où tout semble tellement bien ordonnancé. Doucement, elle referme la porte de la petite chambre et s’oriente, sans bruit, près de la commode où sont posés les petits papiers. Puis, se saisit de son agenda et note avec une application contrainte la troublante mésaventure du soir.

L’enfant viendra, dans la nuit, se blottir pour être dans ces draps réchauffés où il fait bon être parce qu’on est meurtri et c’est seulement ainsi qu’on peut se rassurer. C’est ça, être malheureux à 3 ans. Chloé, de son côté, ira puiser dans le merveilleux de ses espérances pour modérer l’instant d’avant. Derrière ses paupières closes, des images se présentent et se laissent filmer. Elle visualise le bonheur à deux : une main que l’on prend, une lèvre qu’on effleure. Toutes les premières fois défilent, derrière ces paupières, à toute vitesse. Il faut les revivre là et maintenant car la blessure est trop grande. Le silence a pris place depuis trop longtemps et n’a pas fait taire les colères. Ainsi, comme la première fois, celui qui n’est pas là anime son rêve : chemise claire et pantalon sombre.

C’était un jour comme un autre et il est arrivé comme ça tout simplement. Son regard l’a foudroyée instantanément. Mon Dieu, elle n’était pas prête ; tant pis il fallait affronter. Entourée de ses amis, elle riait : une bien maigre contenance au regard de cette silhouette confiante qui se rapprochait inévitablement d’elle. Elle se sentait ridicule mais déjà, il était là, face à elle et, le sourire assuré, il s’annonçait aussi naturellement qu’il est possible : « Gauthier Mauthieron ». Elle était muette et se laissait pénétrer par son invite. « Puis-je », avait-il dit avec aplomb. Ainsi il entra dans sa vie et ne devait plus la quitter.