12 minutes 13 dérobées à l'éternité - Fabrice Hérault - E-Book

12 minutes 13 dérobées à l'éternité E-Book

Fabrice Hérault

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Beschreibung

De son retour de Mars, la navette spatiale australienne capte d’étranges signaux en provenance de la face cachée de la Lune, ce qui aboutira à la découverte d’un obélisque.
Ramené sur Terre, il sera étudié par l’un des plus brillants scientifiques de l’époque, celui-ci mettra à jour un objet insolite dont il émane une énergie phénoménale. Par ailleurs, une rencontre inattendue avec une créature extraterrestre va entraîner le monde vers un paradoxe temporel, bouleversant toute l’humanité. Deux humains aux destins hors du commun, vont se croiser. Il en résultera un héritage permettant aux hommes de s’affranchir de leur propre autodestruction.




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FABRICE HÉRAULT

12MINUTES 13 DÉROBÉES À L’ÉTERNITÉ

La conscience de la mort est naturellement

présente en chacun de nous.

Elle angoisse ceux qui la craignent.

Pour les autres qui s’en inspirent insidieusement,

elle aura toujours mille raisons de les nourrir,

jusqu’à en devenir complices du mal.

PRÉAMBULE

Nous sommes le 17 décembre 2055 à Canberra en Australie, quelques jours avant le Nouvel An. Le Congrès mondial intercontinental des Hautes Sphères politiques de l’Environnement y siège, soit dix-huit pays de l’Union Mondiale. Cette nécessité impérative devrait amener les hommes à prendre les véritables mesures qui s’imposent pour sauver la Terre d’un tangible désastre écologique.

L’Europe n’est plus qu’un écosystème dévasté. Ce conflictuel désarroi menace l’humanité tout entière. L’industrie amazonienne n’a toujours pas signé les nouveaux accords écologiques pour stopper définitivement sa déforestation. Son défrichement met en péril le réchauffement climatique. Trop de profits sont en jeu.

Les effets de serre sont insupportables avec les conséquences qui en découlent. La pollution a atteint une telle ampleur que l’on construit des compresseurs géants à oxygène de deux cents mètres de haut, partout, dans toutes les grandes villes du monde, les régions reculées et les campagnes, soi-disant pour améliorer les conditions de vie. Ils ont beau être embellis pour se fondre dans le décor, ils n’en restent pas moins désolants.

La faune et la flore sont une catastrophe. Les animaux ne vivent quasiment plus à l’état sauvage. Quelques espèces subsistent encore uniquement dans des parcs nationaux clôturés, des zones protégées extrêmement surveillées par une milice au service de l’État, en vue de veiller jour et nuit sur ce qui reste du patrimoine animalier. N’est-ce pas consternant ?

C’est un triste bilan pour la moitié du monde composée d’hommes s’impliquant pour la paix universelle et le sauvetage de la planète. L’autre moitié œuvre toujours pour des enjeux colossaux et leurs propres intérêts, sans offrir aucune perspective de prospérité pour les générations futures. Ces derniers ne s’orientent pas vers une volonté de changer l’avenir.

Le manque d’hygiène alimentaire est préoccupant. Il reste à espérer qu’après avoir longuement débattu sur toutes ces conditions existentielles, une solution sera envisageable alors qu’aujourd’hui, l’Amérique et l’Europe partagent enfin une nouvelle monnaie universelle, le SED SHING. Sa valeur monétaire est la même partout dans le monde même si elle est encore contestée.

Les ambitions cosmologiques sont de retour après trois décennies d’abandon. Le projet Mars a bien eu lieu. L’humanité s’était préparée à l’idée de la coloniser, mais pour l’heure les humains se sont contentés de la visiter. C’est l’Australie qui a relancé l’ère spatiale en collaborant avec le Japon. Deux grandes entreprises de technologie ont subsisté (Trimax et Loquid América). Elles ont fusionné pour devenir la SNEP. (Society Nanotechnology Europe Protoyser) en mettant à jour des processeurs électroniques révolutionnaires dans notre société pour le textile synthétique, mais aussi pour la NASA NEVERY AUSTRALIA.

Au Japon, Trimax vient tout juste de terminer la réalisation d’un super télescope spatial. C’est une aubaine pour les scientifiques du monde entier, bien qu’il ait fallu près de quatorze années de recherches pour concevoir ETERNUZ et faire face au gouffre financier exorbitant dû à sa conception technologique.

Ce super télescope spatial sera capable d’interpréter l’invisible bien mieux que n’importe quel télescope actuel. Il fournira des informations plus approfondies sur notre univers, car il a été fabriqué pour une raison toute particulière : observer et comprendre la singularité d’un trou noir afin que la science comprenne mieux le lien avec cette fameuse énergie noire qui laisse toujours un grand vide dans la raison humaine.

Toutes les spéculations à son sujet vont bientôt disparaître du vocabulaire et laisser davantage de place à la réalité de cet ensemble structural de l’Univers caché.

Eternuz sera en relation permanente avec le Nevery Australia. Il sera connecté à son incroyable ordinateur quantique, unique au monde. C’est l’Australie qui l’a conçu en s’associant à la Société Ortonc Quantinium. Dans ce but, grâce à ce télescope, les scientifiques essaieront de mieux discerner, identifier cet étrange mécanisme qui reconstitue imperceptiblement l’expansion de l’Univers en s’étirant vers l’infini. Cette présence invisible, cette énergie noire, cache probablement le véritable secret de la Création. Saura-t-elle au final se montrer généreuse avec les hommes ?

Le vaisseau spatial australien possède un autre joyau de technologie, un compudermique tridimensionnel nucléique capable de dissocier toute forme de vie, notamment les molécules aminées dans les sédiments d’une planète à plusieurs dizaines de mètres de profondeur et à plus de trente années lumière de notre Terre.

Les ondulations plasmiques émises par le compudermique sont reliées avec l’ordinateur quantique du Nevery.

PREMIÈRE PARTIE

-1-LE RETOUR

C’est le retour sur Terre du vaisseau spatial modulaire « le Nevery Humanity Australia ». Huit mois, aller-retour, ont été nécessaires à la Fédération des Étoiles pour ramener sur Terre l’équipe d’astronautes de leur périlleux voyage.

La navette ramène plus de deux tonnes de roches et de glaces martiennes, enfermées sous vide dans de gros cylindres pressurisés afin de préserver les précieux échantillons de toute contamination.

Pendant le voyage, l’équipe de scientifiques effectue certaines analyses qui ne révèlent rien de concluant. Ce n’est pas surprenant puisque le satellite américain Éclipse avait déjà, par le passé, pratiqué des recherches similaires sur toute la surface de la planète pour y découvrir sa décevante stérilisation. Il reste pourtant le projet d’y installer une base scientifique, y faire vivre des biologistes dans l’année qui suit, mais dans quel but ? Qu’est-ce que cette planète peut bien encore avoir d’attractif ? Est-ce bien raisonnable tous ces voyages coûteux ?

Soudain, à l’approche de la Terre, un étrange signal inconnu provenant de la Lune, va bouleverser le cours de l’humanité.

–Ici Shirley. J’appelle le Centre de Contrôle de Canberra. Kurty, tu m’entends ? Je répète, j’appelle le centre d’Australia. Kurty, réponds s’il te plaît. Je me demande à quoi il s’occupe sur Terre, se dit-elle.

Deux minutes plus tard–

–Oui, bonjour Shirley, que fais-tu sur la fréquence 171 de ton transporteur satellite ? J’ai du mal à t’entendre. Il y a beaucoup de grésillement. Normalement, cette fréquence est réservée uniquement pour les codes d’urgence.

–C’est que je ne voulais parler qu’à toi pour l’instant. J’ai eu peur, tu sais. J’ai bien cru que tu donnerais l’alerte en sautant dejoie.

–J’ai failli, crois-moi, c’était moins une. Nous étions tous inquiets, sans nouvelle de vous ces deux dernières heures. Que s’est-il passé ? Explique-moi.

–Ne t’affole pas ! On a eu quelques petits soucis, mais rien de grave.

–Quel genre de problème ?

–Le compartiment trois, là où se trouve le ravitaillement en nourriture, ne se verrouillait plus à cause d’un simple disjoncteur. Le problème, c’est qu’il a déstabilisé le système thermique et provoqué en même temps une baisse d’oxygène entraînant automatiquement l’arrêt complet du compartiment. Heureusement que les stabilisateurs auxiliaires sont indépendants et n’affectent pas les autres circuits du module. Pour tout remettre en état, il nous a fallu replier momentanément la parabole externe de communication avec la Terre.

–Je connais bien ces circuits auxiliaires. C’est une sécurité complémentaire, heureusement pour vous. C’est désagréable puisqu’il faut attendre quinze bonnes minutes avant leur déclenchement, mais au moins, cette sécurité protège tous les autres circuits d’une quelconque défaillance. Le principal, c’est que tout le monde aille bien. Dois-je l’annoncer ? Ils s’impatientent, tu sais !

–Non Kurty, ne dis rien pour l’instant. De toute façon, la Nevery Compagnie nous prend pour des touristes !

–Je ne pense pas comme toi, Shirley. Elle te paye correctement,non ?

–Peut-être bien, mais elle veut juste la cargaison et récupérer la navette. Pour le reste, l’entreprise se gausse pas mal de nous. Dis-moi, est-ce que Spencer est là, avectoi ?

–Il n’est pas près de moi, mais je le vois. Pourquoi ?

–Je parie qu’il est en train de manger !

–Tu as tapé dans le mille, Shirley !

–Une dernière chose. Dis-moi, Kurty, est-ce que les vingt-quatre membres de la Compagnie des Étoiles Spatiales sont déjà sur place, à nous attendre ?

–La Fédération ? Pas encore. Mais ne t’inquiète pas, vous serez là pour fêter Noël. Vous serez accueillis comme des stars, des héros de l’espace. Ah, une dernière chose. Faites-vous plaisir, vous avez huit heures d’avance sur l’horaire prévu. Profitez-en. Je te suggère d’aller faire un tour du côté de la Lune. La station spatiale Hyriotipo est magnifique. Je t’assure, elle vaut le coup d’œil.

–La station japonaise n’a pas bougé de son orbite lunaire ? On va y réfléchir.

–Shirley, dis à Kurty qu’E.T. est avec nous et qu’on le ramène sur terre.

–Qui parle ?

–Tu as entendu ? Laisse tomber Kurty, c’est Sullivan qui plaisante comme à son habitude. Avant de couper la communication, je veux te dire que nous sommes tous fiers de cet incroyable voyage !

À trois cent quatre-vingt mille kilomètres de la Terre, une colossale station japonaise fait de l’ombre à la Lune. Celle-ci orbite à soixante-dix kilomètres au-dessus de sa surface. Elle tournoie depuis sept mois en apportant sa contribution au développement interspatial. Extrêmement moderne, la station se déplace librement dans toutes les directions grâce à sa propulsion ionique. Elle pourrait facilement visiter les autres planètes de notre système solaire pour les étudier comme aussi bien prévenir la Terre d’éventuelles menaces d’intrusion d’astéroïdes susceptibles de venir la perturber ou même la percuter.

Shirley s’adresse à son équipage pour les informer de cet itinéraire de dernière minute, avant leur arrivée sur Terre. Sullivan programme la nouvelle trajectoire tandis que Lillio s’interroge sur le bien-fondé de ce détour, car la station japonaise n’a pas été informée de leur intention de s’approcher de laLune.

À peine deux heures plus tard, et à moins de deux milles, la station est apparente par les hublots de la navette, grandiose et magnifique. Tout l’équipage s’extasie en la contemplant.

Lorsque le contacteur d’alerte se déclenche, Shirley donne l’ordre à Sullivan de se rediriger vers la Terre pour éviter tout malentendu avec la Station. La navette spatiale passe de l’autre côté de la Lune pour reprendre de la vitesse quand soudain l’ordinateur de bord s’affole brusquement, sans raison apparente. Puis c’est au tour du compudermique d’émettre des signaux ondulatoires d’une fréquence presque inaudible. Resté branché pendant l’excursion, cet indicateur nucléique a détecté une infime activité provenant de la Lune. Sullivan s’interroge sur la nature de ce signal, tandis que Shirley le tranquillise et rappelle le Centre, sans obtenir de réponse. Elle réitère ses appels jusqu’à ce que Spencer finalement décroche.

–Shirley, c’est vous ? Heureux de vous entendre. Vous allez bien ?

–Oui, répond Shirley en hésitant un instant. Tout va bien. Où est Kurty ?

–Donne-moi ce combiné, Spencer. Ça va Shirley ? Vous avez de nouveaux problèmes ?

–Le compudermique s’est déclenché et a envoyé un curieux signal.

–Vas-y, je suis à ton écoute.

–Il était resté branché. Il a émis deux ondulations régulières à chacun des trois niveaux.

–Deux, dis-tu ?

–Oui, j’en suis certaine, Kurty. Je sais, c’est complètement dingue, mais c’est la vérité !

–Il doit y avoir un problème ! Cet appareil de très haute technologie est relié à ton ordinateur central. Ces fréquences ondulatoires ont-elles été enregistrées ?

–Malheureusement, non. Je ne m’y attendais pas. J’ai réagi troptard.

–Tu es seule dans ta cabine ?

–Elle est bizarre, ta question !!!

–C’est peut-être des interférences dues au champ terrestre !

–À quatre cent mille kilomètres de la Terre, franchement, tu plaisantes ! Écoute, nous avons encore du temps. Je te propose de refaire un autre passage puisque les deux ondulations étaient parfaitement régulières sur deux niveaux. C’est vraiment sérieux, Kurty, à quatre-vingt-dix-huit pourcent.

–OK, Shirley, garde ton calme. Combien de temps a duré la séquence d’émission ?

–Je ne sais plus, 10/20 secondes, peut-êtreplus.

–D’après toi, d’où proviendrait ce signal ?

–Côté nord, j’en suis certaine.

–L’océan des tempêtes vers le nord alors qu’il n’y a pas âme qui vive dans ce secteur ?

–Oui, ça se pourrait bien. Dis-moi, tu as l’air d’être bien renseigné. Écoute-moi, Kurty, je réitère ma demande. On s’éloigne, là. Décide-toi maintenant.

Shirley attend sa réponse, mais elle tarde à venir. Et pour cause, un homme, un gradé de l’armée américaine observe Kurty et lui fait des signes éloquents pour qu’il coupe immédiatement la communication, comprenant qu’il s’agit du Nevery Australia.

–Ce n’est pas possible, Kurty, réponds-moi, s’il te plaît !

–Excuse-moi. Navré, Shirley, mais vous devez vous diriger immédiatement vers la Terre.

–Il y a quelqu’un d’autre avec toi, Kurty, à part Spencer ?

–Cette décision ne dépend pas de moi. Sincèrement. Je vous souhaite un bon retour.

Déconcertée, Shirley coupe l’interrupteur du transpondeur. La navette reprend la direction de la Terre.

Le Nevery Australia rentre surterre

Environ neuf heures plus tard, la navette est en vue sur les grands écrans du Centre Spatial. Sur Terre, il est vingt heures cinquante. Il règne un silence de plomb. Tout le monde est parfaitement concentré et attend patiemment le retour de la navette.

–On entre bientôt dans la stratosphère, dans moins d’une minute, dit Lillio. On a un petit problème sur l’aile gauche, Shirley. Les voyants 94 et 106 clignotent. Il y a un risque d’ioniser la coque. Les protections thermiques vont mal le supporter.

–Le disjoncteur secondaire nous a encore lâchés, intervient Sullivan.

–Ce n’est pas important et soyez rassurés, on n’a plus besoin du module. Il est autonome. La Fédération contactera la station orbitale américaine. Elle aura un mois pour le récupérer dans l’espace avant qu’il ne devienne instable et se désagrège au contact de l’atmosphère terrestre. Sullivan, décroche-le. Tenez-vous bien. Nous allons être secoués.

Pendant ce temps-là, sur Terre, tout le monde s’inquiète un peu. Finalement, après dix longues minutes d’attente interminable… la navette finit par rétablir la communication. Shirley invite Kurty à préparer le champagne pour fêter leur retour sur Terre.

-2-LES PIEDS SURTERRE

Au Centre Spatial, le message de Shirley est entendu et tout le monde applaudit et crie sa joie. En définitive la navette spatiale se posera sans difficulté sur une piste aérienne spécialement dégagée pour leur grand retour tant attendu, après ces huit mois d’absence.

Des journalistes, de pays différents, patientent dans les couloirs du Centre, prêts à bondir vers la piste pour assister à leur sortie et les prendre en photo. Nos astronautes vont être choyés comme des aventuriers de l’espace. Un médecin, des infirmiers, des brancardiers et deux scientifiques attendent déjà sur place, près de la piste, pour les accueillir dès leur arrivée. La chaîne Télé TVS T112 est présente également pour couvrir l’évènement.

À l’intérieur de la navette, Shirley, la Commandante de bord, va transmettre ses dernières instructions avant que chaque membre de l’équipage ne descende sur la terre ferme. Tout en coupant tous les systèmes de fonctionnement de la cabine de pilotage, Shirley les alerte sur les sensations physiques qui ne vont pas manquer de se produire au contact de la terre ferme.

Le sas de la navette s’ouvre. Nos astronautes sortent les uns derrière les autres. Ils sont visiblement affaiblis. Leurs regards semblent hagards. Les visages, un peu vieillis, sont amaigris, leur teint est blafard. Leurs silhouettes décharnées les font ressembler à des zombies venant d’ailleurs. Leurs jambes les soutiennent difficilement.

Les corps des astronautes doivent se réadapter à l’attraction terrestre qui leur a manqué pendant les huit mois de leur voyage dans l’espace !

L’une des membres de l’équipe, Lillio, marche en titubant puis s’effondre, probablement au contact de l’air. Deux infirmiers portant une civière se précipitent sur la piste pour lui porter secours. Ils la prennent en charge immédiatement. L’infirmier demande aux photographes de s’écarter afin que Lillio puisse respirer.

Shirley tente elle aussi de se maintenir debout, tant bien que mal quand l’infirmier lui demande de s’asseoir au sol en attendant que le médecin l’ausculte. Celui-ci arrive peu après et l’examine en lui demandant d’ouvrir les yeux et de le regarder. Il fait son rapide diagnostic sur son état de santé, en passant son stylet électronique de la taille d’un crayon sur son visage. Shirley le tranquillise en lui expliquant juste sa difficulté à respirer correctement. Le médecin, rassuré, s’éloigne d’elle pour s’occuper des autres.

–Spencer, SPENCER, dit Shirley, en se redressant avec difficulté, tentant de trouver son équilibre.

–Oui, je suis là, Shirley, comment te sens-tu ? (et Spencer remarque que Shirley a de nouvelles rides sur son visage). J’ai l’impression d’étouffer, c’est atroce. Je suis désorientée, complètement perdue.

–Où est-ce que tu vas ? Laisse-moi t’accompagner jusqu’à l’ambulance, tu tiens à peine debout.

–Où est Kurty, bon sang ! Il aurait dû être là pour nous accueillir.

–Je crois qu’il a quitté la salle de contrôle un peu avant votre arrivée. Je suis heureux que vous soyez tous de retour, sains et saufs, Shirley.

–Je te remercie, dit-elle en marchant légèrement de travers jusqu’au véhicule qui doit la conduire au Centre.

L’ambulance les dépose devant l’entrée du bâtiment.

Shirley déambule dans les couloirs complètement abrutie par les éclairages du Centre Spatial, mais aussi gênée par un autre groupe de photographes qui ne cesse de la flasher. Elle tente de rejoindre Kurty en le cherchant, tout en essayant de repousser les photographes qui s’approchent d’elle de tropprès.

Finalement, elle le trouve dans la salle où il a l’habitude de se rendre pour prendre soncafé.

–Ah, Shirley, ça va ? Vous allez tous bien ? Tu ne devrais pas te rendre en quarantaine ?

–Ne t’en inquiète pas. Et toi, comment vas-tu ?

–Très bien.

–On peut discuter cinq minutes ?

–Vas-y, je t’écoute.

–Qu’est-ce que ça veut dire ?

–Quoi donc ?

–Ne fais pas l’ignorant, Kurty.

–J’avais des ordres, voilàtout.

–Des ordres ? Mais dequi ?

Shirley n’a pas vu l’homme qui se tenait juste derrière son dos au moment où elle est entrée. Celui-ci pousse la porte doucement puis la claque. Surprise, Shirley se retourne.

–De moi, dit l’homme, avec sa tasse de café en main.

–Et qui êtes-vous, vous, demande Shirley ?

–D’abord, j’aimerais vous féliciter pour avoir mené à bien votre mission. Vous êtes une femme peu commune, Mme Bishop, remarquable, peut-être même exemplaire.

Lieutenant-colonel Croz Thinglander

–Qu’est-ce qui explique votre présenceici ?

–Je suis le Lieutenant-colonel Croz-Thinglander, de l’Armée de l’Air des États-Unis. Écoutez, comment vous dire, soyez intelligente, car cette histoire pourrait bien tous nous dépasser.

–Quelle histoire ?Si on me cache quelque chose, j’aimerais comprendre, dit-elle en regardant Kurty avec étonnement.

–Entendu, mais après quoi, j’aimerais que vous oubliiez cette excursion vers la Lune. Disons que je vous le conseille.

–Vous me le conseillez ? Enfin, Kurty, dis quelque chose !

Il se contente de hausser les épaules, en guise de réponse.

–En dehors de vous dans l’équipage, qui d’autre est au courant ? demandeCroz.

–OK. Bon, si j’ai bien compris, vous m’avez envoyée faire une petite promenade de santé du côté de la station. Si mes instruments de bord captaient quelque chose d’inhabituel, pour ne pas dire d’étrange, ils confirmeraient quelque chose que vous saviez déjà ?

–Quelle perspicacité de votre part, je suis impressionné, Mme Bishop.

–Depuis quand êtes-vous au courant de cet étrange phénomène ? Ne me mentez pas.

L’astronaute Shirley Bishop

–C’est moi qui suis supposé poser les questions, ici.

Forcé d’admettre l’implication de Shirley, qui n’est pas n’importe qui, le Lieutenant-colonel accepte de s’expliquer.

–Il y a environ un mois de cela, nos sondes Fusion et Étoile 2 ont découvert et analysé un étrange signal sur notre Lune. Après avoir essayé de le décrypter, il en est ressorti des fragments incohérents de données. Une énergie semble se propager dans un volume qui contiendrait peut-être des composants organiques inconnus !

–Un volume ?

–Oui, enfin, une masse si vous préférez, Mme Bishop. Nous pensons qu’une sorte de météorite pourrait s’être échouée sur cet astre avec des constituants de la vie, des extrêmophiles évolués, qui pourraient dater de plusieurs millions d’années, en provenance d’une autre planète !

–Rien que ça ! Qu’est-ce que l’Armée vient faire là-dedans ? C’est aux scientifiques de s’en occuper, vous ne croyezpas ?

–Tout simplement parce que cette énergie inconnue brouille nos instruments de navigation interstellaire. Elle semble se protéger intelligemment. Nous avons pris la décision de lui envoyer un message, un code d’ADN. Il nous a été retourné, modifié dans son agencement. Nous n’avons jamais eu affaire à un tel phénomène. C’est pourquoi nous pensons à une forme de vie très avancée.

–Et selon vous, il y aurait quoi là-bas ?

–Un je ne sais quoi de vivant, impossible à définir aujourd’hui !

–Vraiment, je n’en reviens pas ! Nous étudions la Lune depuis presque un siècle et nous n’avons jamais rien découvert.

–Rien en sa surface, je vous l’accorde. Remerciez votre compudermique, Madame Bishop, il est sensationnel. Il nous a aidés à nous fournir des informations capitales.

–Et si mon appareil s’était déclenché sur Mars ?

–Oui, cette éventualité était prévue. Nous devions être les premiers informés. C’est normal, compte tenu de notre positionnement stratégique au niveau mondial.

–Bien sûr, vous ne changerez pas. Vous avez l’air d’aimer tout contrôler, n’est-ce pas, vous les gradés de l’Armée américaine ! Les premiers en tout, pour tout, partout. Ça me rappelle des souvenirs. Vous vouliez marcher sur la Lune les premiers,non ?

–Vous et moi n’étions pas encore nés, il me semble. En ce qui nous concerne, cette histoire ne doit en aucun cas s’ébruiter. Vous me comprenez bien, cela doit rester confidentiel ! Bien, je vais vous laisser vous reposer. Vous l’avez grandement mérité.

–Attendez ! J’ai encore une question à vous poser. D’abord, j’ai l’impression que vous en faites une affaire personnelle. Qu’en pense le Gouvernement américain ?

–Pour le moment, rien de spécial. Je m’engage personnellement, vous avez raison, à résoudre cette mystérieuse affaire, parce que, voyez-vous, nous sommes peut-être en présence d’une découverte majeure de la vie organique intelligente, ce qui serait la consécration cette fois-ci, croyez-moi !

–Ce n’est pas la première fois que l’on entend parler de ces histoires d’ovnis. Il y a vingt-trois ans, deux satellites russes ont fait une centaine de fois le tour de la Lune en prenant de nombreuses photos. Celles-ci n’ont rien montré que des ombres et des interprétations imaginaires.

–Effectivement, vous avez raison. Mais, comme je vous l’ai dit, tout se passe probablement à quelques dizaines de mètres de profondeur.

–Avez-vous pensé aux conséquences ?

–Disons que pour l’instant, les Japonais, là-haut, ne s’en préoccupent pas. Maintenant, je ne vais pas vous importuner plus longtemps. Je vais vous laisser vous reposer. Ceci dit, je trouve que vous avez encore bonne mine !

Shirley se retourne vers Kurty l’air interrogatif ! Mais Kurty demeure impassible.

–Attendez Colonel, ce message que contenait-il d’autre ?

–Comme je vous l’ai dit, l’introduction du génome humain mélangé à des molécules de végétaux terrestres. À peine dix minutes plus tard, notre code nous a été renvoyé séparé des autres molécules. C’est pourquoi nous croyons à une forme de vie active. Au revoir, Madame Bishop.

Passé le délai de la quarantaine, Shirley a visiblement perdu beaucoup de poids. Elle est toute pâlotte et très fatiguée, avec cette sensation d’avoir toujours l’impression d’étouffer. Elle s’est débarrassée de son épaisse et chaude combinaison pour ne garder qu’un léger vêtement qui met bien en évidence le logo de la Fédération.

Lorsqu’elle entre dans la Cafétéria du Centre, les enfants l’aperçoivent et se jettent littéralement sur elle, la bousculant. Leur mère puise en elle la force pour les serrer dans ses bras. Les chaleureuses retrouvailles sont réconfortantes. Shirley embrasse ses deux enfants et son mari Wesley. Ensemble, ils partagent cet instant de bonheur plein d’émotion. Ce moment, immortalisé par l’un des photographes encore présents sur le site, fera la une des journaux dans le monde entier.

-3-LES PLANS À LANCER

Le Lieutenant-colonel Croz-Thinglander a pourtant besoin du soutien de son gouvernement pour son projet Lune avant d’envisager son financement. Seul l’un de ses représentants, Cromwell ZAQUARIA accepte d’écouter son invraisemblable histoire de source d’origine lunaire.

Cromwell se demande si le colonel n’a pas perdu la tête à vouloir envoyer une mission de forage sur la Lune. Il pense que c’est absurde. Croz s’obstine à vouloir croire qu’il existe une source d’énergie enfouie sous une certaine profondeur, grâce à la détection des instruments de navigation interstellaire qui ont confirmé cette présence, sous forme d’émission de basses fréquences répétées. Le colonel précise même le lieu, situé sur la face nord, à proximité d’une fêlure près du cratère Aristarque, dans la vallée de Schröter. Il insiste sur la fiabilité de cette source, confirmée également par la technologie très pointue de la navette spatiale australienne lors de son retour vers la Terre. Le représentant du gouvernement s’interroge sur la fiabilité des instruments. Croz lui rappelle qu’il a pu écouter les enregistrements dont il parlait. Oui, mais ceux-ci ne l’ont pas convaincu !

D’autre part, le problème se poserait de financer une telle intervention sur la Lune, sans parler des liens et intérêts entre le Japon et l’Amérique, sans remettre en question les accords déjà conclus. La diplomatie entre les deux pays est suffisamment fragile pour ne pas ajouter des éléments plus ou moins crédibles. Croz, qui connaît bien le Commandant Igo-Lango de la Station Spatiale Hyriotipo, se propose de le contacter.

Le représentant du gouvernement refuse catégoriquement l’intervention du colonel. Après mûre réflexion cependant, le gouvernement prendra contact lui-même avec un collaborateur japonais, à qui il s’engage de faire écouter l’enregistrement. Il verra avec lui ce qu’il convient de faire, de contacter ou non la station japonaise installée à proximité de la Lune pour essayer de vérifier sur place l’émission de cette source.

Le représentant du gouvernement ne souhaite pas laisser de trace écrite de l’entretien et demande à Croz de faire attention à son attitude, qui frise presque l’insubordination. Il met fin à l’entrevue et l’invite à quitter son bureau, tout en lui recommandant de se tenir tranquille.

Le Lieutenant-colonel, non complètement satisfait par cette rencontre, va s’obstiner à chercher une autre solution.

Il se tournera vers une Compagnie de forage norvégienne, séjournant actuellement en Antarctique, sur une ancienne plateforme pétrolière.

Nous sommes le 9 février 2056, au beau milieu de nulle part. Une violente tempête fait rage. Des vents puissants soufflent par rafales à plus de cent soixante kilomètres-heure.

Elle malmène deux ouvriers censés terminer au plus vite des soudures importantes sur trois grosses canalisations défectueuses. Stempthon invite son équipe à accélérer la cadence, car le froid s’amplifie. Il demande à Wallas de faire attention au tuyau de gaz à proximité du lieu où ils soudent.

Quelques instants plus tard, les soudeurs sont obligés de battre en retraite. Le manque de visibilité et le froid glacial empêchent toute progression dans le travail. Les conditions météorologiques sont déplorables. Ils devront attendre que la météo devienne plus clémente pour terminer leur intervention.

Un peu plus tard, dans son bureau, Sanders, reçoit Wallas Bobinos qui a besoin de s’épancher sur ses problèmes personnels. Il aimerait bien rentrer chez lui, mais son patron est obligé de lui rappeler qu’il a signé un contrat d’un an et qu’il reste encore deux mois pour aller jusqu’au bout de son engagement. Dans deux mois, bien sûr qu’il pourra aller là où il le souhaite, pour rejoindre sa femme ou une maîtresse, peu lui importe, cependant Sanders essaie de comprendre pourquoi Bobinos souhaite partir.

Il l’interroge sur sa bonne intégration avec les autres membres de l’équipe. Visiblement, Wallas est l’objet de railleries de la part de ses camarades, très certainement à cause de son surpoids. En effet, il pèse plus de 135 kg et dans sa combinaison mal fermée, il fait peine à voir. Bobinos en profite pour réclamer une nouvelle combinaison, il n’arrive plus à fermer celle-ci, et avec le froid environnant cela accentue son mal-être. Son patron rechigne à lui en commander une nouvelle, devant les délais d’approvisionnement dans ce coin perdu du monde.

L’interphone de son bureau se met à sonner. Sanders décroche et parlemente avec Stempthon qui lui annonce qu’une lettre est arrivée à son intention. Même s’il ne souhaite pas être dérangé, il l’invite à venir la lui remettre ! Tout en se demandant qui a pu lui écrire personnellement, son attention se reporte sur Bobinos.

Profitant de cette diversion, celui-ci s’est dirigé vers la porte pour tenter de s’éclipser. Sanders le retient en lui ordonnant de rester, leur conversation n’étant pas encore terminée. Face au désarroi du bonhomme, il décide de l’envoyer se reposer et de le remplacer momentanément par Suko. Wallas le remercie avec effusion avant de prendre congé.

Quelques minutes plus tard, toujours dans le bureau, après l’arrivée de Stempthon.

–Qu’est-ce que vous attendez, ouvrez-moi cette fameuse lettre.

–En fait, elle dit seulement qu’un haut gradé de l’Armée de l’Air des États-Unis va vous rendre visite. Ce Lieutenant-colonel s’appelle Croz-Thinglander.

–Jamais entendu parler ! Quand est-ce qu’il débarque ici ?

–Demain, très tôt. C’est ce que dit la lettre, dans la nuit du 10 février vers 6 h 30 du matin.

–Comment se fait-il que nous ne soyons au courant qu’aujourd’hui ? Vous pouvez m’expliquer ?

–En fait, le courrier date déjà de huit jours.

–Et c’est maintenant que vous me le donnez ?

–Il n’y a pas encore de retard, Monsieur.

–Rien d’autre ?

–La lettre ne donne aucune explication sur sa visite, excepté qu’il viendra en hélicoptère, un Robinson R44.

–C’est pour les bidasses, ces vieux zincs ! Je me demande pourquoi il vient mettre son nez ici, dans ce trou perdu du monde ! Qu’est-ce que ça cache ? Bref ! Il va devoir se poser avec cette satanée tempête !

–Les météorologues annoncent une amélioration du temps dans la nuit, annonce Stempthon avant de prendre congé.

Comme prévu, dans la nuit, le vent s’est calmé. L’hélicoptère arrive à l’heure et se pose doucement sur la grande plateforme pétrolière, parfaitement éclairée par quatre gros spots lumineux très puissants, à quelques mètres seulement des baraquements. On voit bien les flocons de neige qui tombent continuellement et qui tapissent le sol verglacé.

Il est 6 h 15 du matin. Le Lieutenant-colonel Croz frappe et entre dans le bureau du patron, avec hésitation.

–Bonjour, Lieutenant. Je vous en prie, installez-vous. Nous vous attendions.

–Vous n’êtes pas Sanders ?

–Exact, c’est vrai. En fait, je suis Stempthon, le superviseur des opérations sur ce chantier. Le patron va arriver. Asseyez-vous, je vous enprie.

–Je ne suis pas fatigué, dit-il en tapotant son béret pour retirer les petites chapelures de neige collées dessus.

Sanders entre à son tour dans le bureau.

–Bonjour Lieutenant. Comment allez-vous ? Vous avez fait un bon voyage ? Laissez-nous, Stempthon, s’il vous plaît.

–Un peu froid !

–Pardon ?

–J’ai dit le déplacement était un peu froid !

–Sûrement, comme vous dites. Dites-moi, Colonel, quel bon vent vous amène ici ? Soyez le bienvenu. Nous sommes la CFN, c’est-à-dire la Compagnie de Forage de Norvège. En quoi puis-je vous être utile ?

–Je me suis renseigné sur votre compagnie minière. J’ai quelques informations la concernant.

–Je vois. Vous voulez peut-être une part du gâteau ? Excusez-moi, je plaisante.

–À vrai dire, je ne m’intéresse pas à votre gaz, ni même au pétrole.

–Alors, pourquoi êtes-vouslà ?

–Je suis ici pour recruter quelques membres de votre équipe.

–J’avoue que je ne vous suis pas du tout. Que diable voulez-vous faire avec mes gars ?

–Je suis au courant que vous possédez deux nouvelles foreuses manuelles à percussion rapide, de forte puissance.

–Je ne vous le cache pas, elles ne sont pas ici avec moi. Vous êtes venu pour me les acheter, c’est ça ?

–Non, pas exactement.

–Me les louer, alors ?

–Laissons-les de côté, pour l’instant, voulez-vous ?

–J’ai du mal à vous suivre. Nous sommes ici à la demande du gouvernement pour extraire du gaz, réparer les vieilles canalisations, et récupérer ce qui reste à prélever de ce vieux gisement, car il y a encore de l’argent à se faire ici. Que voulez-vous, exactement ?

–C’est assez délicat à expliquer.

–Eh bien, comment vous dire, prenez votre temps. De toute façon, vous n’êtes sûrement pas pressé de repartir, avec cette météo capricieuse et ce froid de canard qui nous engourdit les genoux. Voulez-vous un café, Colonel ?

–Je veux bien, merci. Il y a quelques mois de cela, nos satellites d’exploration américaine ont détecté la présence d’une étrange source d’énergie inconnue sur la Lune. Probablement est-elle restée prisonnière de la croûte lunaire pendant sa formation. C’est une hypothèse.

–Je vois, se dit-il en se grattant la joue. Pourquoi vous êtes-vous orienté vers notre compagnie ?

–Je n’ai pas de preuves solides concernant cette histoire. Il est possible que nous ayons affaire à quelque chose d’intelligent, d’une éventuelle technologie extraterrestre ! Mon gouvernement refuse d’ouvrir les yeux pour le moment. Pour vérifier l’exactitude de cette conjecture, j’ai besoin d’aller voir sur place. Il me faut une équipe de mineurs pour m’accompagner.

–J’entends bien ! Je ne voudrais pas être insultant envers vous, êtes-vous certain que votre cervelle n’a pas gelé pendant le voyage ?

–Je ne pense pas m’être tapé une heure d’hélico en pleine mer glacée pour arriver jusqu’ici en déraillant complètement !

–Bien envoyé ! Pour nous, quel intérêt ?

–Certaines banques me sont accessibles. J’ai des comptes un peu partout. Je sais où me procurer les fonds nécessaires pour cette entreprise. Je pourrais payer les mineurs plus que ce qu’ils gagnent ici en sixmois.

–Intéressant ! Dites-moi, Colonel, voulez-vous voir les gars ?

–Il est peut-être encore un peu tôt, vous ne pensezpas ?

–Ne vous en faites pas pour sipeu.

Pendant le court trajet qui sépare le bureau du dortoir, en passant par des couloirs intérieurs :

–Dites-moi, Colonel, même si votre histoire est vraie, vous vous rendez compte des difficultés ?

–J’en ai pleinement conscience.

–Vous auriez pu attendre le Nevery et vous adresser à eux. Leur compagnie prépare justement un projet de forage sur Mars dans l’année qui vient.

–Le projet est pour Mars, et mon objectif est d’aller sur la Lune. Et je souhaite garder la maîtrise de l’opération.

–C’est à vous de voir ! Voilà, nous y sommes.

Ils entrent dans une grande pièce où sont installés des lits métalliques superposés. Environ vingt ouvriers vivent et dorment dans ce dortoir. Les ouvriers sont brusquement réveillés, surpris par le bruit du bouton de l’interrupteur et la lumière qui se diffuse. Sanders invite son équipe à se réveiller et à se lever. Il leur donne cinq minutes pour le faire.

Ils ronchonnent tous et se demandent ce qui se passe, en se levant les uns après les autres. Wallas Bobinos se prend malencontreusement le pied sur le bord du lit de son voisin. Pris de douleur, il se tient la cheville d’une main, et de l’autre il cherche un appui sur l’épaule du camarade le plus proche. Finalement, il perd l’équilibre et s’écroule au sol. En aparté, Sanders déconseille d’introduire Wallas dans le choix des hommes pour son expédition. Croz lui précise qu’il recherche des ouvriers compétents, connaissant bien leur boulot même s’ils n’ont pas inventé la poudre.

–Bon, les gars. Je vous invite à saluer le Lieutenant-colonel Croz-Thinglander.

–Bonjour à vous tous. Je suis désolé de vous déranger à pareille heure. J’aimerais vous faire part d’un projet audacieux qui n’a jamais été tenté jusqu’ici, d’une mission spéciale qui pourrait éventuellement s’avérer délicate.

–Où est-ce que vous voulez nous emmener ? dit Monroe, en se frottant lesyeux.

–Sur laLune.

Tout le monde est visiblement interloqué par ces propos.

–Il est complètement cinglé ce type, dit Monroe à ses camarades, en chuchotant. Dites, c’est sympa comme balade, mais vous savez, on travaille pour une compagnie de forage, on n’est pas des astronautes.

–Écoutez au moins ce qu’il a à vous dire, répond Sanders.

–Sur la Lune, il s’agit de procéder à des fouilles souterraines et vos compétences m’intéressent pour cette partie du projet. Bien sûr, en premier lieu, vous seriez pris en main par une équipe spécialisée pour vous préparer à un entraînement de base afin de réunir les aptitudes nécessaires à votre adaptation aux conditions de l’espace. Moi-même, j’y serai soumis.

Cela consiste en une série de tests, une formation d’environ trois semaines. Quelques examens complémentaires seront nécessaires au préalable pour vérifier votre bon état de santé. J’ai seulement besoin de huit volontaires. Ensuite, si tout se passe bien, je n’en garderai quecinq.

–Qu’est-ce qu’on y gagne, d’aller là-bas, intervient Monroe ?

–Croyez-moi, vous serez indemnisés en conséquence, je vous le garantis, répondCroz.

–Pensez-y, les gars, c’est l’occasion, renchérit Sanders.

–Il y a quoi là-bas, demande Brages ? Si vous nous disiez les véritables raisons de votre expédition ?

–Pour l’instant, je ne peux rien vous dire de plus. Mais croyez-moi, j’ai de solides raisons de vous y envoyer.

–Génial ! Si j’annonce à ma femme ma sélection pour partir sur la Lune et les gains que je vais en tirer, elle ne va pas me croire. Elle me dit tout le temps « tu ne gagnes pas assez dans ton boulot », dit Wallas.

–Tu n’iras pas, toi, répond Eilrick.

–Et pourquoi, je n’iraispas ?

Monroe écoute la conversation derrière lui, il se retourne et s’adresse à Wallas.

–Tu y es déjà allé, imbécile !

–Ce n’est pas vrai !

–T’as pas compris Boubis ? T’es toujours dans la lune ! lui lance Mikael, le Norvégien.

Les autres gars ont tendu l’oreille et se moquent de lui en ricanant sournoisement.

–Bon, ça suffit. Vous avez des questions ? demande Sanders.

–La formation se fera au Centre Spatial Australia, près de Canberra, informe Croz, pour rompre le silence qui s’est installé.

Sanders encourage son équipe à se décider pour ou contre. Quelques-uns d’entre eux semblent intéressés et lèvent le doigt. Croz va vers chacun d’eux pour prendre leurs noms et coordonnées complètes. Il les informe qu’il viendra les chercher à la fin de leur contrat actuel, soit dans un délai de deux mois. Croz prend congé de l’équipe et de Sanders qui le raccompagne jusqu’à l’hélicoptère. En effet, Croz doit impérativement s’en retourner sur le Navy Transatlantique, un cargo de marchandises plus au sud, pour rendre l’hélicoptère dans les meilleurs délais.

Aux couchettes, les langues vont bon train après le départ du Lieutenant-colonel et de Sanders. Wallas s’interroge sur le type de gisement découvert sur la lune, et tout de suite il imagine une mine d’or ! Monroe le tourne en dérision, comme d’habitude. Brages souligne le trop-plein d’imagination de Bobinos et met l’accent sur l’embarras manifesté par le Lieutenant-colonel pour ne pas donner de plus amples précisions sur l’objectif du projet. Monroe se demande pourquoi Brages est amené à avoir eu une telle pensée. Un haut gradé de l’armée, tel que le Lieutenant-colonel ne peut être simplement motivé par l’argent, souligne Brages. Pour Monroe, du moment qu’il y a de l’argent à se faire, il est partant…

De retour au pays, Thinglander sillonne les États-Unis, à la recherche de ses compagnons d’autrefois pour tenter de reprendre contact. C’est dans une ancienne base militaire qu’il va renouer avec eux, à cent kilomètres de la frontière mexicaine.

Wilson et Anderson sont en train de réparer un vieux moteur sous une carlingue d’avion lorsqu’ils voient, avec surprise, arriver un véhicule. Thinglander déboule à toute allure en jeep et se gare à l’intérieur du hangar resté à demi ouvert, un immense entrepôt où sont entassés des restes de vieux avions à moitié désossés.

–Salut, les gars, content de vous revoir, dit-il à Wilson et Anderson, en leur serrant la main, tour àtour.

–T’es toujours dans l’armée, à ce que je vois ? dit Wilson

–Plus pour longtemps !

–Bordel, ça fait un bail ! Où t’étais passé, mon vieux Thinglander ? Combien ? Au moins cinq ans, lui dit Anderson, en posant ses deux grosses mains sales et rugueuses sur le haut de ses épaules, en les tapotant énergiquement !

Celui-ci n’apprécie guère ce geste désinvolte et les mains graisseuses de cet ancien compagnon qui lui manifeste sa joie, mais il fait comme si de rien n’était.

–Oui, à peu près cinq ans. Ça me fait sacrément plaisir de vous revoir les gars ! Dites-moi, comment va le borgne ?

–Boxter ? Il est mort peu de temps après ton départ, et sa femme à sa suite, répond Wilson.

–Désolé, je ne savais pas. C’était un bon pilote, chevronné celui-là ! On lui avait donné un sacré surnom ! C’était un drôle de gars, mais super sympa. Vous avez mes sincères condoléances !

–Tu te souviens de Dixon ? Ajoute Wilson. Eh bien, il a fini par se marier !

–C’est drôle. Dire qu’on pensait tous de lui qu’il finirait vieux garçon ! Et celui-là, qui c’est ? dit-il à ses camarades en hochant la tête en direction d’une troisième personne.

–C’est un Russe, mais il n’est pas très causant. Il s’appelle Dietrisko. Il bricole un peu avec nous depuis deux mois. Lui aussi, comme Boxter, c’est un ancien pilote de l’armée russe. Il n’a plus de licence pour voler, il est un peu comme dans une sorte de retraite anticipée !

–Qu’est-ce que vous bidouillez,ici ?

–On répare, mais surtout, on récupère des pièces électroniques sur des appareils bons pour la casse. Ensuite, on revend. On se débrouille, quoi !

–Je vois que vous avez un drone-scarting, et au fond du hangar, ne serait-ce pas un Cesna Corvalis TTX, ce fameux avion de tourisme ?

–C’est exact.

–Dites-moi, les gars, le Mongomery est-il toujourslà ?

–Il n’a pas bougé depuis cinq ans. Il est plein de poussière et de toiles d’araignées. Pourquoi ?

–Je craignais que vous l’ayez désossé !

–Mis en pièces ? Certainement pas, cet avion est incroyable ! On l’a gardé ici. Un hommage, quoi ! Malheureusement, sa propulsion nucléaire est HS depuis des années. Ce n’est pas notre boulot, ces engins-là, répond Anderson.

–Le Mongomery est un avion hypersonique capable de voyager très au-dessus de la stratosphère. Il me semble qu’il est équipé d’une gravité artificielle, sous réserve que celle-ci fonctionne encore ! Admettons que l’on puisse le remettre en état et lui apporter quelques modifications, comme plus de puissance, serait-il capable de s’arracher à l’attraction terrestre ?

–Hum, ouais, c’est envisageable. Ce n’est pas une navette spatiale, mais il en serait capable avec une bonne remise à neuf. Tu voudrais aller où, exactement, mon Lieutenant-colonel ? demande Anderson.

–Pour tout vous avouer, assez loin d’ici !

–Écoute, ce zinc est si rapide que sa coque subit des déformations extrêmes pendant ses déplacements, même avec son bouclier de protection qui le recouvre entièrement. Il laisse derrière lui une traînée lumineuse, brillante. Il atteint le mur du son après le décollage en moins de dix secondes ! Autant dire qu’il décoiffe. On a l’impression de voir une boule de feu rougeâtre fendre l’espace. Il est phénoménal ! Une vraie météorite. Il peut te faire faire le tour de la Terre en un clin d’œil.

–D’accord. Et ce Russe, ce Dietrisko, il parle américain ?

–Il n’est pas très bavard, faudrait lui demander, Colonel, intervient Wilson.

–J’ai deux ou trois affaires à régler. Je reviens vous voir très rapidement, lesamis.

–J’espère bien, car on a beaucoup de choses à se raconter ! disent de concert Wilson et Anderson.

-4-UN VOYAGE EXPRESS

Trois mois plus tard, comme prévu, ceux qui ont été sélectionnés au Centre Spatial pour la mission sont enfin prêts. Cinq gaillards, bien costauds, lourdement équipés, accompagnés du Lieutenant-colonel, sont de retour du Mexique (et non de Canberra comme initialement prévu). La mission devant être tenue secrète du grand public, Thinglander les a fait préparer à proximité de la frontière mexicaine, près du lieu où est entreposé le Mongomery. Les hommes attendent ses instructions devant l’entrée du hangar, excités comme des puces, ne tenant plus en place.

Le toit du hangar s’ouvre en glissant et met à l’air libre l’hypersonique américain.

Durant ces trois mois, les anciens compagnons de Croz, Wilson et Anderson, aidés de deux techniciens de la combustion à réaction, ont réussi à remettre en état l’appareil volant, en y passant plus d’une nuit blanche. Dietrisko en a pris le commandement.

L’hypersonique va leur faire vivre une croisière pour le moins originale en les envoyant sur la Lune.

Quelques jours avant d’embarquer, le Lieutenant a reçu un appel téléphonique de la part de l’autorité gouvernementale américaine, pour l’encourager dans sa mission. Suite à l’intervention du représentant auprès de son homologue japonais, il a été convenu que ce voyage pouvait représenter un intérêt commun pour les deux nations. Cela avait finalement bien simplifié les démarches du Colonel, tant pour les autorisations à circuler dans l’espace que pour le financement de l’expédition.

C’est l’esprit libre que Croz invite les mineurs à prendre place dans l’avion. Chacun d’eux s’installe, s’attache et attend le décollage. Croz s’inquiète de la fiabilité de l’avion, car le Mongomery n’est pas conçu sur le modèle d’une navette. Dietrisko le rassure.

–J’ai parlé à Anderson, le mécanicien, au sujet de certains soucis que nous pourrions avoir. Le bouclier fonctionne en absorbant l’énergie subatomique due au frottement de l’air contre la coque, ce qui est normal. En ce qui concerne le Mongomery, nous avons un avantage, car l’absorption des particules subatomiques engendre un espace vide, d’une épaisseur de cinq centimètres, tout autour de lui. Ce phénomène physique qui l’enveloppe est dû précisément à la conception particulière de sa coque. Mais il y a une condition à cet effet, ne pas descendre en dessous de Mach 23,7, et cela même en l’absence de résistance dans l’espace. De ce fait, nous resterons protégés des rayonnements cosmiques et des résidus d’astéroïdes.

D’autre part, il fallait des pièces de rechange pour réparer ses deux rétrofusées nucléaires. Les deux turbos propulseurs ioniques étaient eux aussi en triste état. Anderson a demandé également que les sièges soient renforcés pour plus de sécurité. Modifier complètement le Mongomery n’a pas été simple, avec tous les paramètres à ajuster au tableau de bord. L’hypersonique a maintenant deux fois plus de puissance. On lui a rajouté un propulseur à fusion subatomique. Il n’a pas été facile à dénicher. Il va seulement falloir le faire grimper au maximum de la stratosphère, rien qu’en poussée latérale. Ensuite, il faudra mettre la gomme et lui faire sortir tout ce qu’il a dans le ventre ! L’angle de sortie vers l’espace sera un peu délicat. Si on le manque, on risque d’avoir des problèmes, Colonel !

–C’est vous l’expert, alors, prions Boxter, pour que tout se déroule sans accroc, réponditCroz.

Le Mongomery décolle du sol à la verticale. Lentement, il monte sur une centaine de mètres. Le pilote enclenche les réacteurs rétrofusées nucléaires. Immédiatement, cela provoque une poussée sous le vaisseau. Celui-ci est propulsé violemment pour tenter d’échapper à l’attraction terrestre et atteindre la stratosphère. Les hommes, à l’arrière, sont collés sur leurs sièges, écrasés sous le poids de l’accélération qui les malmène.

–Dites-moi, Dietrisko, encore une chose, je n’aimerais pas trop faire le voyage la tête en bas, vous comprenez ?

–Ne vous inquiétez pas. Nous avons réparé la gravitation. Nos combinaisons, spécialement conçues pour ce type d’engin, sont parsemées de stries remplies de métal, ainsi que les bottes que vous avez aux pieds. Tout cela fonctionne comme un aimant magnétique. Retirez-les et vous vous retrouverez au plafond !

–Merci, mais pour l’instant, j’aimerais encore les garder aux pieds.

Soudain, le vaisseau perd de sa puissance, se déstabilise, une perte de contrôle due à l’accélération et au manque de résistance de l’air dans l’atmosphère, une situation que Dietrisko va gérer comme un professionnel aguerri et serein.

–Ouf, c’était juste, dit-il, avec le sourire ! J’enclenche la turbopropulsion ionique. Nous atteindrons l’hyper vitesse dans huit minutes.

–Impressionnant !

Le Mongomery Australia

–Moi ou l’engin ?

–Les deux. Vous ne manquez pas d’assurance !

–J’espère que vous êtes bien installés dit Croz en s’adressant aux mineurs. Nous atteindrons la station orbitale dans une vingtaine d’heures environ. Reposez-vousbien.

Soudain, Thinglander regarde anxieusement le pilote qui semble avoir des difficultés à sortir de la mésosphère. L’altimètre indique quatre-vingt-dix kilomètres d’altitude. Dietrisko grimace un peu. Il se cramponne avec ses mains aux deux manches stabilisateurs, prêt à en découdre, en murmurant « allez monte, allez, vas-y encore un peu ».

–On n’y arrivera pas, on va se disloquer ! ditCroz.

–C’est ainsi que vous envisagez la vie, Lieutenant-colonel, en noir et blanc ? Moi, c’est en couleur que je la vois. Je vous garantis qu’on va arriver à propulser ce gros joujou sur la Lune.

Finalement, le Mongomery finira par s’extirper de justesse de l’attraction terrestre et foncera à toute allure vers cet astre si convoité, à plus de vingt-trois mille kilomètres-heure.

–Bravo !

–Vous souriez, Colonel, quel plaisir. Le retour sera une autre paire de manches…

Les hommes regardent à travers les hublots de l’hypersonique. Ils voient, avec émotion, distinctement et progressivement se dessiner la courbure de la Terre, celle-ci devenant de plus en plus petite au fur et à mesure que l’on s’en éloigne en direction de laLune.

L’abandon provisoire de la seule et unique Terre accueillante laisse dans le cœur de ces hommes un peu d’amertume et de nostalgie.

Suko, allongé sur la couchette, contemple la photo de son fils, Mathias, qui va avoir vingt ans d’ici quelques jours. Il montre la photo à Eilrik et lui explique son projet de l’accompagner financièrement pour qu’il puisse entreprendre les études choisies. Chacun rêve d’investir le salaire promis d’une façon ou d’une autre, comme le fait remarquer Monroe. De même, comme rien n’échappe à celui-ci, il remarque la chaîne que porte autour du cou Eilrik. Est-ce un porte-bonheur, un signe d’appartenance à une religion ? La discussion s’engage entre eux jusqu’au moment où Brages y met fin en les ramenant à la situation présente et la nécessité de se reposer avant le débarquement sur la Lune.

Quelque vingt heures plus tard, la Lune est toute proche. Ses impressionnants cratères montrent qu’il y a eu, par le passé, une forte activité cataclysmique. Malgré tout, elle reste familière, suspendue dans ce vide interstellaire. Elle n’en est pas moins captivante. Sans elle, notre monde tel que nous le connaissons serait sûrement différent.

À l’approche de la station, Dietrisko réduit la puissance des moteurs de quatre-vingts pour cent. Croz lui demande également de passer en pilotage automatique pour s’entretenir seul à seul avec le Commandant de la station Igo-Lango.

–Ici, le Lieutenant-colonel Croz-Thinglander de l’Armée de l’Air des États-Unis. J’appelle la station HYRIOTIPO. Répondez…

–Bonjour, Lieutenant-colonel Croz. Quel plaisir de vous entendre ! Votre gouvernement m’a prévenu de votre visite amicale. Vous avez l’autorisation de vous amarrer à ma station. À tout de suite, Lieutenant-colonelCroz.

Croz coupe le communicateur et va immédiatement donner quelques consignes à l’équipe des cinq ouvriers avant de quitter l’appareil. Il leur rappelle qu’ils sont invités à se tenir correctement auprès de leurs hôtes.

Le Mongomery n’est pas facile à manœuvrer. Il demande du savoir-faire, de la dextérité. Dietrisko s’en sort magnifiquement.

L’appareil replie latéralement ses ailerons, coupe ses propulseurs ioniques, puis les deux rétrofusées nucléaires, sous la navette, prennent le relais. L’angle d’approche est un peu délicat. Le Mongomery mesure à peu près quarante-huit mètres delong.

Le pilote aperçoit trois énormes bras mécaniques qui se déploient avec, à leur extrémité, des pinces qui s’apprêtent à crocheter l’appareil pour l’immobiliser. Cette manœuvre oblige Dietrisko à s’insérer lentement entre les deux énormes roues circulaires de la station, dans le même sens. C’est avec succès qu’il réussit sa manœuvre. Croz félicite le pilote tout en lui indiquant que leur séjour sur la Lune pourra durer 24 à 48 heures, au mieux.

Près du sas principal, les hommes attendent le déclenchement d’ouverture de la porte qui va leur donner l’accès direct aux couloirs de la station. Les mineurs sont un peu nerveux à l’idée de monter dans la station et de cohabiter avec leurs membres, ces étrangers dont ils ne parlent pas la langue, à des milliers de kilomètres de la Terre.

Enfin le sas de la navette s’ouvre. Les six hommes s’engouffrent le long du couloir capitonné de la station. Ils sont précédés et guidés par un Japonais qui les conduit vers un compartiment mieux éclairé, plus espacé. Monroe est surpris par le côté « classe » dulieu.

Puis ils arrivent devant une grande porte coulissante qui s’ouvre instantanément. Là, devant eux, se tient un autre petit bonhomme souriant. Il donne à chacun d’eux une forte et chaleureuse poignée de main, tout en leur souhaitant la bienvenue. Croz présente chacun, Mikaël, Brages, Eilrik les Norvégiens, Suko l’Ukrainien, et Monroe, l’Américain comme lui. Igo-Lango se présente et leur demande si le voyage a été satisfaisant, tout en les invitant à le suivre pour prendre l’ascenseur.

Le contraste est saisissant entre le groupe et Igo-Lango. Les mineurs mesurent tous plus d’un mètre quatre-vingts, alors que le commandant, du haut de son mètre soixante, gouverne et commande avec autorité une station spatiale à trois milliards de Sed Shing.

Igo-Lango explique à Croz leur activité, pour satisfaire sa curiosité. Les échantillons lunaires prélevés sont étudiés, analysés sur place. Tous les secrets de la Lune sont loin d’être dévoilés,la moitié des images qui l’illustrent sont encore spéculatives, voire erronées, de nos jours.La plupart de nos concitoyens terriens ne s’y intéressent plus. Malgré tout, elle a encore beaucoup à leur apprendre. Vus de près, ses cratères d’astéroïdes sont surprenants. Igo-Lango demande à Croz si la Lune le fascine aussi. À quoi il répond affirmativement, mais pour d’autres motifs, en soulignant que chacun a ses motivations.

Puis l’ascenseur monte à grande vitesse jusqu’à l’étage où l’équipe de mineurs pourra déposer le matériel à proximité d’un lieu de repos.

Monroe, avec son large gabarit, se sent à l’étroit et ne peut s’empêcher de chuchoter son mal-être à l’un de ses collègues.

Une fois arrivés à destination, Igo-Lango les invite à déposer leurs affaires et leur montre la salle de repos. Puis il prie Croz de bien vouloir le suivre afin de lui faire visiter la totalité de la station. Igo-Lango en tête à tête, lui demande sans détour ce qu’il pense découvrir dans le secteur nord. Croz n’en sait rien encore, il lui indique seulement qu’il a toutes les raisons du monde de penser qu’une source mystérieuse d’émission serait présente, sans toutefois en connaître la nature. Igo-Lango l’assure de son soutien pour poursuivre ses investigations et lui accorde tout le temps dont il aura besoin pour résoudre cette énigme. Enfin, il lui fait part de la présence d’une base implantée à proximité de la vallée deSchröter. Croz en est très surpris, il ne s’attendait pas à une telle révélation.

Pendant ce temps, l’équipe de mineurs se familiarise avec la salle de repos où les couchettes sont adaptées à la taille des Japonais. Monroe est toujours le premier à s’en plaindre. Il cherche à localiser les toilettes et arrive, par gestes, à dialoguer auprès du Japonais qu’il croise dans les couloirs de la station capitonnée. Celui-ci ne comprend pas un seul mot de l’américain, mais devine aisément ce qu’il lui demande. Il l’y conduit gentiment.

Quand Monroe en revient, il relate son aventure à ses camarades et leur indique que les toilettes sont incroyablement conçues et inconfortables. L’un de ses collègues, Eilrik, lui précise qu’ici tout est sens dessus dessous. Chacun s’empresse d’y aller à tour derôle.

Dans la salle de contrôle de la station.

–Voyez-vous, Lieutenant-colonel Croz, c’est là que nous dirigeons et contrôlons toute la technicité de notre station, dit Igo-Lango.

–C’est immense ! La vue sur l’espace est magnifique.

La station japonaise Hyriotipo

–Je suis sûr que Tamashi-To Hyriotipo, notre ancêtre astronome, mort en 1434, aurait apprécié, tout comme vous, cette splendide vue panoramique sur l’Univers !

–En effet, je suis d’accord avecvous.

–Comme vous êtes mon invité, vous pouvez compter sur mon soutien. Nous allons stopper notre activité géologique provisoirement sur le site numéro trois, c’est-à-dire celui qui est à proximité du cratère. Wong-Li, le pilote de la mini navette, se fera un plaisir de vous accompagner là-bas. Je vais prévenir aussi Hitori-To, le responsable sur ce site, de votre arrivée.

–Je vous remercie, je ne sais pas comment j’aurai pu envisager la situation sans votre soutien.

Le Lieutenant-colonel Thinglander n’est pas encore au bout de ses surprises. Une heure plus tard, la mini navette arrive. Elle va les conduire en direction du cratère de Prinz. Les mineurs vont transporter avec eux leurs deux gros caissons métalliques protégeant le matériel de forage. Croz les invite à s’équiper avant de prendre place dans la mini navette. Chacun enfile sa combinaison et se munit de son casque.

Wong-Li, le pilote, se décroche de la station et fonce à toute allure en direction de la Lune, vers le nord. Le voyage sera de courte durée, six minutes seulement pour franchir les soixante-dix kilomètres qui les séparent de leur objectif.

–Dites, mon Colonel, à ce qu’il paraît, sur la Lune, on rebondit comme des ballons ?

–Oui, c’est le cas, Monroe.

–Comme une grosse baudruche ! J’espère que tu as bien lacé tes pompes, sinon tu risquerais de t’envoler ! répond Eilrik.

–Lâche-moi un peu, tu veux ! lui répond Monroe.

–Bientôt arrivés, Lieutenant-colonel, dit Wong Li, qui avec son accent japonais, parlait assez mal l’américain.

–Ils ne chôment pas, ces Japonais, regardez ces dômes qu’ils ont construits ! On dirait qu’ils sont tous reliés les uns aux autres ! Il y en a même de plusieurs tailles, s’étonne Brages.

–Moi, reçu des ordres. Moi vous déposer ici et repartir, dit Wong Li, toujours avec son accent insupportable. Moi, pas pouvoir atterrir plus près, petits cratères trop profonds, sol très rocailleux, dit-il à Thinglander, sans être rassuré par la présence des autres passagers.

–Qu’est-ce qu’il veut dire, mon Colonel ? demande Monroe.

–Il veut simplement nous expliquer que nous allons devoir franchir les quelques centaines de mètres qu’il nous reste à faire, à pied, répondCroz.

–Il estfou !

–Attends, Monroe, (Eilrik en le bousculant à l’épaule). Un balaise comme toi ? T’as pas la trouille, quand même !

–Reste à ta place Eilrik, et ne viens pas entraver mon chemin !

Le comportement de Monroe inquiète quelque peu Thinglander, mais il garde son calme.

–Bon, ça suffit. On va se préparer à descendre. Surtout, restez bien groupés, ne vous attardez pas en chemin avec les caissons. Je ne veux pas de dispersion, c’est bien clair ?

Wong Li stabilise la navette à trois mètres au-dessus du sol. Une échelle télescopique se déploie pour les relier à la terre lunaire. Chacun d’eux va descendre lentement. Ils vont être pris d’une ivresse joyeuse au moment de poser le pied sur la Lune. Ils sautilleront et bondiront comme des enfants qui s’amusent. Cette sensation euphorique d’être placé face à l’immensité de l’Univers les enivre. Cette émotion particulière qui les traverse leur donne le vertige.

Finalement, ils parcourent assez aisément les centaines de mètres, portant les caisses jusqu’à l’entrée du dôme. À cet instant, devant eux, une immense porte, très épaisse, s’ouvre. Ils s’engouffrent à l’intérieur et sont à nouveau accueillis par un autre Japonais, toujours aussi souriant que ses précédents congénères, à la différence près qu’il parle couramment américain.

–C’est vous, Hitori-To ? lui demande Thinglander, après avoir retiré son casque.

–Oui, Lieutenant-colonel. Vous êtes les bienvenus, citoyens américains. Je vous attendais. Vous pouvez déposer votre matériel dans cette salle.

–Dites-moi, que supervisez-vous,ici ?

–Nous récoltons des échantillons à une certaine profondeur, car nous avons découvert la présence de lave sous la croûte lunaire. Aussi, nous étudions son activité à l’aide d’instruments spécialement conçus.

–Alors, vous allez peut-être pouvoir nous aider et vous rendre utiles, avec vos instruments ultra-sensibles, si je peux me permettre !