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"À travers les cicatrices" raconte le parcours de Jasmine, de l’enfance à l’âge adulte, marqué par des blessures invisibles et une entreprise familiale étouffante. En proie à la culpabilité, la remise en question et la colère, elle prend peu à peu conscience du poids du climat psychologique dans lequel elle a grandi. Cette prise de conscience devient le premier pas vers sa libération. Au fil du récit, Jasmine apprend à briser les chaînes de son passé, se reconstruisant lentement pour passer de l’ombre à la lumière. Une histoire émouvante de délivrance et de renaissance personnelle.
À PROPOS DE L'AUTRICE
La littérature a toujours été le recours de
Jasmine Lafleur pour exprimer tout haut ce qu’elle n’avait pas le droit de dire. Aujourd’hui, elle se livre et se met à nu au fil des pages, dans un processus personnel de guérison. L’écriture a été sa thérapie, cet ouvrage est son médicament.
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Seitenzahl: 347
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Jasmine Lafleur
À travers les cicatrices
© Lys Bleu Éditions – Jasmine Lafleur
ISBN : 979-10-422-6707-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À ma famille, si un jour vous lisez ce livre, sachez que je ne vous déteste pas, bien au contraire... Mon intention n’est pas de blâmer, mais de raconter. Ce récit est une manière pour moi de mettre des mots sur des maux, d’avancer et de guérir.
À mes amis, qui m’ont donné la force de croire en moi et d’oser poursuivre mes rêves.
Je tiens à remercier ma psychologue pour son aide précieuse ; grâce à elle, je récupère un peu de lumière chaque jour.
Et surtout, merci à Brice, pour son soutien indéfectible et son amour.
Cet ouvrage est une part de moi, une étape dans ma reconstruction.
Jasmine.
Cet ouvrage raconte l’histoire de Jasmine, un récit empreint de souffrances profondes et de résilience. Il aborde des thématiques sensibles et difficiles, telles que les violences psychologiques, les agressions sexuelles, le suicide, et l’automutilation. Ces sujets, bien qu’essentiels à évoquer, peuvent être troublants pour certains lecteurs.
Ce livre est par conséquent réservé à un public averti et strictement interdit aux moins de 18 ans.
Nous encourageons les lecteurs qui se sentent en détresse ou affectés par ces thèmes à ne pas hésiter à demander de l’aide. Voici quelques ressources disponibles pour vous accompagner :
Cet ouvrage est un témoignage, une voix portée sur des réalités souvent tues. Il vise à sensibiliser, à libérer la parole et à offrir une perspective de reconstruction et d’espoir. Si vous traversez des moments difficiles, sachez que vous n’êtes pas seul(e) et que de l’aide existe.
Prenez soin de vous, et bonne lecture.
Je suis née face à la mer, sur une magnifique île de la mer des Caraïbes. Dès mes premiers instants, le bruit des vagues et l’odeur salée de l’océan faisaient partie de moi. Cet amour de la mer ne m’a jamais quittée, ancré profondément dans mon être, un refuge de beauté et de liberté au milieu des tempêtes de ma vie. Je me souviens de mon enfance comme d’une mosaïque de souvenirs contrastés, où se mêlaient des moments de bonheur éclatant et d’ombres persistantes. En tant qu’aînée de trois enfants, avec une sœur, Eva, et un frère, Gauthier, j’avais très tôt ressenti un sens aigu des responsabilités. Nous sommes une famille de classe moyenne, et bien que mes parents aient espéré créer une famille unie et aimante, la réalité s’est avérée bien plus complexe.
Mes parents se sont rencontrés lors d’une fête chez des amis communs, un événement que ma mère évoquait souvent avec nostalgie. Elle racontait avec une certaine tendresse comment mon père était tombé éperdument amoureux d’elle, se vantant auprès de ses amis d’avoir conquis l’une des plus belles fleurs du champ. C’était l’une des rares histoires où je pouvais entrevoir un moment où mes parents avaient été réellement heureux ensemble. Mais cette idylle n’avait pas tardé à se fissurer sous la pression des réalités économiques et sociales.
Ma mère, Syvlie, n’est pas issue d’une famille aisée, un fait qui n’avait jamais cessé de susciter le mépris de ma grand-mère paternelle. Bien que celle-ci n’était elle-même pas particulièrement riche, elle cultivait l’image d’une femme de standing et traitait ma mère avec condescendance. Je me souviens des regards froids et des remarques dédaigneuses, des anniversaires de mes frères et sœurs et moi-même volontairement ignorés en comparaison de ceux de nos cousins. Ce favoritisme ostentatoire laissait en moi une colère silencieuse, et la sensation que ma famille se limitait à mes parents, mes frères et sœurs.
Mais avant même de rencontrer mon père, ma mère avait déjà connu un parcours semé d’épreuves. Elle n’avait pas eu une enfance heureuse. Elle avait perdu son père très jeune, une perte qui l’avait profondément marquée. Après cette tragédie, elle fut élevée par sa grand-mère paternelle, une figure bienveillante, mais vieillissante. Cette dernière, qui représentait un pilier de stabilité dans sa vie, décéda lorsqu’elle était encore adolescente, laissant ma mère seule.
Après la mort de sa grand-mère, elle fut obligée de vivre avec sa mère et ses enfants, issus d’une autre union. C’est dans cet environnement que ma mère grandit, dans une précarité matérielle et émotionnelle. Sa mère la méprisait ouvertement devant ses demi-frères et demi-sœurs, la rabaissant sans cesse. Jalouse d’elle pour des raisons que ma mère n’a jamais totalement comprises, elle n’hésitait pas à l’humilier régulièrement. Dans cette famille recomposée, ma mère se sentait isolée, et mal-aimée. Elle dut se prendre en charge très jeune, apprenant à survivre sans soutien, à forger une indépendance dure et pragmatique qui la suivrait tout au long de sa vie.
Mon père, Anthony, a grandi au sein d’une famille nombreuse, où son père jonglait entre deux lits comme on joue à s’aventurer entre deux feux. Ainsi, malgré ses démonstrations publiques d’affection, mon père n’était pas un modèle de fidélité. Je me souviens très bien de ses départs pour la métropole, prétextant aller rendre visite à son frère, mais la réalité était toute autre : il y avait une autre femme, là-bas, qu’il voyait sous couvert de ces prétendues retrouvailles familiales. Pire encore, même sur notre île, il avait une maîtresse qui ne se gênait pas pour s’immiscer dans notre vie. Cette femme, sans vergogne, appelait régulièrement sur notre téléphone fixe, harcelant ma mère, cherchant à la ridiculiser. Ces appels étaient d’une cruauté sans nom, et je me souviens particulièrement d’une période où ma mère, enceinte de Gauthier, recevait ces coups de fil. La maîtresse la narguait, se moquant d’elle, sans égard pour la souffrance qu’elle infligeait à une femme enceinte. J’étais encore jeune, mais les larmes de ma mère et son silence résigné en disaient long sur la douleur qu’elle endurait.
Les jours sombres étaient nombreux dans mon enfance. Il me revient les disputes violentes entre mes parents, les cris et les bruits sourds qui résonnaient à travers les murs de notre maison. Je vois encore ma mère enfermée dans sa chambre pendant des jours, la porte close comme une barrière infranchissable contre la douleur. Ces moments de tension laissaient un vide glacial dans la maison, remplaçant la chaleur familiale par une obscurité oppressante.
Être l’aînée signifiait aussi devenir un modèle pour Eva et Gauthier. Mes parents, particulièrement exigeants, m’avaient imposé des règles strictes, s’attendant à ce que je donne l’exemple. Ce rôle me pesait, me forçant à grandir plus vite, à me montrer plus responsable que je ne l’étais peut-être prête à être. Je devenais, malgré moi, le patron mal taillé de cette fratrie, un chef d’orchestre malgré moi dans une symphonie dissonante.
Cependant, au milieu de cette toile de souvenirs sombres, il y avait malgré tout des moments de lumière. Je me souviens des rares jours de paix, où notre famille semblait entière et aimante. Les rires autour de la table du dîner, les promenades en famille, les histoires racontées par mon père –, ces moments étaient comme des pierres précieuses cachées dans le sable. Ils étaient rares, mais ils me donnaient l’espoir que tout pouvait s’améliorer.
Cependant, même ces instants de bonheur étaient empreints d’une fragilité omniprésente. Je n’avais pas encore les mots pour le formuler, mais je sentais que quelque chose n’allait pas, que l’amour et la sécurité que je ressentais parfois étaient ternis par les conflits et les non-dits. Je n’avais pas encore réalisé que je vivais dans un environnement toxique, où l’amour et la douleur coexistent de manière insidieuse.
Cette enfance douce-amère, faite de rires et de larmes, de joie et de peur, forgeait déjà en moi les premiers maillons des chaînes invisibles qui me suivraient toute ma vie. Des chaînes tissées d’obligations, de désirs non accomplis et de peurs profondes. Je sentais le poids de ces chaînes, même sans pouvoir encore les nommer. Ce premier chapitre de ma vie était déjà une lutte silencieuse pour comprendre et surmonter les défis qui m’entouraient, une lutte que je continuerais de mener en grandissant.
Le début du collège marqua une période particulièrement sombre pour moi. J’ai été intégrée dans une classe composée d’élèves en rupture avec le cadre scolaire, ce qui instaure un climat peu propice à l’apprentissage pour ceux qui souhaitent s’en sortir grâce à l’éducation. Ainsi, je me heurtais rapidement à l’hostilité de mes camarades, qui voyaient en moi une cible facile pour leur cruauté.
Les insultes sur mon physique étaient constantes. « Regardez, c’est le squelette qui arrive ! » disaient-ils en me voyant. « Tu devrais boire plus de lait, peut-être que ça te remplumerait ! » Ces moqueries acerbes étaient souvent accompagnées de gestes violents : on me poussait dans les couloirs, on me donnait des coups dans les jambes, se réjouissant de me voir tomber. « Ah, elle est encore plus légère que je ne pensais ! » riaient-ils à chaque chute. Ces humiliations quotidiennes transformaient chaque journée de cours en un véritable calvaire.
Je redoutais particulièrement les cours de sport. Mes camarades redoublaient d’inventivité pour me tourmenter. Pendant les cours de natation, qui se déroulaient à la plage, puisque sur notre île il n’y avait pas de piscine, ils me jetaient du sable et parfois, un groupe se liguait pour m’immobiliser et me forcer à en manger. Les rires moqueurs résonnaient dans les vestiaires tandis que je tentais de reprendre mes esprits. Pire encore, mes vêtements, que je laissais soigneusement pliés dans le vestiaire, étaient souvent volés ou jetés à l’eau par mes persécuteurs. Cette humiliation me contraignait parfois à rentrer chez moi en tenue de sport, faisant de mon trajet un parcours de honte.
Les journées de boxe étaient également un supplice. Ce sport, censé être une activité physique bénéfique, devenait pour mes camarades un prétexte pour me frapper impunément. La professeure de sport, indifférente, n’intervenait jamais. « C’est pour ton bien, ça te renforcera, » me disait-elle parfois.
À la maison, les choses n’étaient guère meilleures. Les tensions au sein de ma famille se faisaient de plus en plus sentir. Mes parents, autrefois discrets quant à leurs disputes, laissaient désormais leurs conflits éclater devant nous, les enfants. En grandissant, je commençais à ressentir les pressions et les attentes implicites, surtout de la part de ma mère. Les disputes sur mon avenir, ma conduite et mes fréquentations se multipliaient, renforçant mon sentiment d’isolement.
Ce fut dans ce contexte que je fis l’expérience de mes premières règles, à douze ans, en classe de 5e. Ce passage obligé de l’adolescence, loin d’être une étape célébrée, fut pour moi une source de confusion et de honte. Pendant plusieurs jours, je souffrais de douleurs abdominales intenses, pensant que j’étais malade. Les taches de couleur marron que je trouvais dans mes culottes en fin de journée, que j’attribuais naïvement à des problèmes digestifs, n’étaient en réalité que du sang oxydé.
Un jour, alors que mon père faisait la lessive, il remarqua des taches sur mes sous-vêtements. « Jasmine, tu es malade ? » m’a-t-il demandé, un peu inquiet. À ce moment-là, une vague de honte m’a submergée. Je pensais que j’avais involontairement souillé mes vêtements, ce qui m’a plongée dans un profond malaise. Je n’osais pas en parler davantage, préférant ignorer la situation. Mais un matin, alors que je n’avais cours qu’à partir de dix heures, je me suis sentie mal et j’ai décidé d’aller aux toilettes. C’est là que j’ai découvert des traces de sang rouge vif dans la cuvette. Le choc m’a laissée désemparée.
Ne sachant pas quoi faire, j’ai appelé ma mère, d’une petite voix, depuis les toilettes. « Maman, regarde… » elle est arrivée, visiblement pressée mais inquiète. Je lui ai montré les taches de sang dans ma culotte. « Oh, ma chérie, ce sont tes règles, ça y est, » m’a-t-elle dit, un sourire rassurant sur le visage. Elle m’a ensuite expliqué comment utiliser une serviette hygiénique, un geste simple pour elle, mais terriblement intimidant pour moi. « Tu vois, tu enlèves la protection et tu la colles comme ça », m’a-t-elle montré en mimant le geste.
Remarquant ma douleur, ma mère m’a donné deux comprimés d’ibuprofène et deux de Spasfon. Je les ai avalés rapidement, espérant que la douleur s’estomperait bientôt. Cependant, ce moment d’intimité mère-fille a été rapidement gâché par un discours moralisateur : « Bon, maintenant que tu as tes règles, il va falloir faire attention. Je t’ai déjà dit de ne pas te donner aux garçons avant le mariage. Ils ne veulent qu’une chose, et après, ils ne s’intéresseront plus à toi. » J’ai baissé les yeux, murmurant un timide « Oui, je sais » en fixant mes pieds.
La matinée à l’école a été encore plus difficile que d’habitude. Les chuchotements et les ricanements me semblaient plus perçants, comme si tout le monde savait ce qui s’était passé. À midi, je suis rentrée chez moi pour le déjeuner, où toute la famille était déjà réunie. Ma mère avait préparé un festin : un gigot d’agneau rôti au four avec une purée de pommes de terre. L’odeur du thym embaumait la pièce, mais je n’avais que peu d’appétit.
Assise à table, j’espérais passer inaperçue, mais ma mère ne l’entendait pas ainsi. « Jasmine est devenue une femme aujourd’hui, » a-t-elle annoncé, le regard tourné vers mon père, Eva et Gauthier. « Maintenant, nous pourrons vérifier si elle fait des bêtises. » Sentant les regards sur moi, je me suis recroquevillée sur ma chaise, ma honte ne faisant que grandir.
Le reste du repas se déroula pour moi dans un silence pesant. Les yeux baissés, je jouais avec ma nourriture, incapable de savourer quoi que ce soit. Pour la plupart des filles, les premières règles sont perçues comme le début d’une nouvelle étape, un rite de passage vers l’adolescence. Mais pour moi, ce moment était tout autre. Mes premières règles étaient synonymes de douleur et de honte, un cocktail amer qui me nouait l’estomac. Mes parents m’avaient répété maintes fois que l’amour, sous toutes ses formes, était interdit à mon âge, une tentation dangereuse à éviter à tout prix. Mais malgré leurs mises en garde, je ne pouvais contrôler les sentiments qui bouillonnaient en moi.
Dans ma classe, Freddy avait attiré mon attention. Grand, avec des cheveux en bataille et un sourire facile, il était drôle, gentil, et toujours entouré d’amis. Je savais que je n’avais aucune chance de sortir avec lui, mais cela ne m’empêchait pas de confier mes sentiments à mon journal intime, chuchotant dans ses pages les mots que je ne pouvais dire à personne.
Chaque soir, dans le silence de ma chambre, j’écrivais. J’y consignais mes peines, mes rêves, mais aussi ma colère contre mes parents, générée par leur surprotection. Je savais que les élèves pouvaient être cruels, mais j’avais le sentiment que l’attitude étouffante de mes parents ne faisait qu’aggraver les choses.
Nous habitions à deux minutes à peine du collège, et pourtant, chaque matin, mes parents insistaient pour me déposer en voiture devant l’école. Cela faisait rire mes camarades, qui se demandaient pourquoi mes parents étaient si paranoïaques. Moi, je me sentais prête à affronter le monde toute seule, à prouver que je pouvais marcher ces deux minutes sans me perdre ni rencontrer un danger quelconque. Mais mes parents, obsédés par la crainte des garçons qu’ils imaginaient roder, refusaient de me laisser faire un pas sans surveillance.
Je repensais souvent au discours moralisateur que mes parents m’avaient tenu à l’aube de mon entrée au collège. « Bientôt tu seras au collège, Jasmine. Je ne veux pas que tu traînes dehors après les cours, comme ces filles qu’on voit se faire peloter derrière la bibliothèque », m’avait dit ma mère, le ton sévère. Mon père, qui travaillait non loin, avait ajouté d’une voix grave, pesant chaque mot comme une menace : « De toute façon, je suis dans le coin, je pourrais passer vérifier si tu es dehors ou pas. »
Ces mots résonnaient encore dans mon esprit. Ils me faisaient sentir que, dans mon jeune corps de femme, j’étais déjà perçue comme fautive, que j’allais inévitablement céder aux pires vices s’ils n’étaient pas là pour me surveiller. Je me sentais sale, indigne de leur confiance, et cette impression me rongeait.
Chaque soir, j’écrivais ma frustration dans mon journal, cherchant à expulser ce mal-être qui me hantait. « J’en ai marre, ils me traitent comme un bébé. Ils me déposent tous les jours devant le collège alors qu’on habite à deux pas », avais-je noté d’une écriture rageuse. Et pour cause : un jour, la voiture était tombée en panne. Au lieu de me laisser marcher seule pour une fois, mes parents avaient poussé le vice encore plus loin en venant me chercher à vélo, me forçant à monter à l’arrière, sous les rires moqueurs de mes camarades. Je me demandais pourquoi ils insistaient tant à me couver ainsi, pourquoi ils ne me faisaient pas confiance, ne serait-ce qu’un peu.
Ce soir-là, pour chasser la colère qui grondait en moi, je préférai penser à Freddy. J’ai écrit dans mon journal : « Aujourd’hui, Freddy m’a parlé. Il m’a demandé de lui passer un crayon. J’étais tellement contente ! Il est trop beau… je l’aime ! J’aimerais être sa copine. » Les mots jaillissaient de mon stylo simplement, exprimant mon premier émoi. Je me laissais porter par mes rêves, imaginant un avenir où Freddy m’aimerait en retour. Mes pensées se faisaient plus douces, m’entraînant progressivement vers le sommeil. « Je rêve que Freddy m’embr… » Mes songes furent brutalement interrompus par un bruit près de la porte. J’entendis les pas feutrés de ma mère monter les escaliers. Mon cœur s’emballa.
Trop tard pour feindre le sommeil. J’ai tenté de dissimuler mon journal sous mon oreiller, mais ma mère, qui m’observait en cachette depuis un moment déjà, n’était pas dupe. Je me sentais démasquée, prise en flagrant délit.
« Jasmine, qu’est-ce que tu fais ? Qu’est-ce que tu écris ?! » a-t-elle demandé en entrant dans la chambre, sa voix mêlant surprise et irritation.
La gorge serrée, j’ai senti les larmes monter. Je savais que je n’avais aucune chance de protéger mon secret. Ma mère monta les escaliers restants à grandes enjambées, le souffle court et l’esprit en ébullition. Arrivée en haut, elle se tourna vers ma chambre et cria, avec une urgence teintée d’indignation :
« Anthony ! Viens vite ! Jasmine écrit dans un journal intime au lieu de dormir ! »
Un frisson glacé parcourut mon corps. Je savais que je devais protéger mon journal à tout prix. C’était mon sanctuaire, le seul endroit où je pouvais exprimer mes pensées les plus secrètes sans crainte d’être jugée. Prise de panique, j’ai serré le petit livre contre ma poitrine, mes doigts blanchis par la pression, tandis que les larmes commençaient à couler sur mes joues. Ma peur s’est transformée en cris déchirants, réveillant Gauthier qui dormait paisiblement sur le lit d’à côté.
Essoufflée par mes sanglots, j’ai senti mes forces m’abandonner alors que ma mère, déterminée, tirait sur le journal avec une insistance implacable. Elle semblait animée d’une étrange satisfaction, comme si elle se réjouissait à l’idée de me démasquer. Convaincue que je cachais quelque chose, elle voulait à tout prix me prendre en faute. Dans un dernier sursaut de désespoir, j’ai tenté de retenir le carnet, mais ma poigne a faibli, et ma mère, d’un geste brusque, a arraché le journal de mes mains. Sans perdre une seconde, elle a dévalé les escaliers, s’assurant que je ne la suivrais pas.
En bas, mon père l’attendait déjà. En voyant ma mère avec le journal en main, il s’est mis à gronder, sa voix résonnant avec une autorité redoutable. Terrassée par la honte, j’ai souhaité disparaître sur-le-champ. Je savais que mes parents allaient maintenant fouiller dans mes pensées les plus intimes et, pire encore, les exposer à toute la famille. Gauthier avait tout entendu.
Tremblante, je me suis recroquevillée sous mon drap, pleurant en silence, redoutant le moment où la dernière once de ma vie privée serait déchirée. Depuis mon lit, j’entendais le froissement des pages tournées par ma mère, chaque bruit résonnant comme une sentence. Maman lisait à haute voix, son ton oscillant entre la colère et l’incrédulité :
« Mais n’importe quoi ! “On me traite comme un bébé…” Comment ça ?! »
Elle continuait de tourner les pages avec une frénésie croissante, jusqu’à ce que ses yeux tombent sur les passages mentionnant Freddy. Une expression de choc et de dégoût se dessina sur son visage.
« C’est ça, la confiance qu’on accorde à ses enfants ? Et voilà ce qu’ils font dans notre dos ! Jasmine me dégoûte ! » s’est-elle exclamée, la voix tremblante de colère.
Mon père se joignit à l’indignation de ma mère, sa voix éclatant avec force dans toute la maison :
« Je vais aller voir ce Freddy tout de suite ! Il n’a pas intérêt à s’approcher de Jasmine ! »
En entendant ces mots depuis l’étage, la panique monta en moi. Mon cœur battait à tout rompre alors que je me précipitai en bas des escaliers, criant, désespérée :
« Non, ne fais pas ça ! Il ne sait rien de tout ça, il ne s’intéresse même pas à moi ! »
Je savais que si mon père allait confronter Freddy, ce serait une humiliation totale. Non seulement Freddy découvrirait mes sentiments, mais cela deviendrait une nouvelle raison pour que mes camarades se moquent de moi. Mon père ne répondit pas à ma supplication, mais je voyais qu’il n’avait plus l’air de vouloir parler à Freddy, probablement par peur de créer un interdit qui me donnerait encore plus envie de le braver.
Cette nuit-là, je me suis sentie profondément humiliée par mes parents, qui, en violant mon intimité, m’ont transmis un message dégradant : que l’amour est impur. À seulement 12 ans, je me sentais tellement désespérée que je ne voulais plus continuer de vivre. Mes parents, continuaient à me lancer les mots qui leur passaient par la tête, sous l’effet de la colère. En rentrant dans ma chambre, les yeux pleins de larmes, je me suis retrouvée face à Gauthier, qui, lui aussi, me regardait avec jugement.
Je me suis réveillée après une nuit tourmentée, mon esprit encore encombré de rêves amers qui me laissaient dans un état de confusion et de tristesse profonde. Mes yeux étaient embués de larmes, gonflés et rougis, trahissant les heures passées à pleurer en silence sous la couverture. Le matin était à peine levé, et déjà, je sentais la lourdeur de la honte peser sur mes épaules, une honte née de l’exposition de mes pensées les plus secrètes, désormais connues de toute ma famille.
Le silence de la maison, habituellement apaisant, était devenu oppressant. Je savais que mes parents et mes frères et sœurs, déjà réveillés, n’avaient pas manqué de remarquer mon visage marqué par les larmes. Le sentiment d’être jugée par ceux que j’aimais me rongeait, et l’idée de devoir affronter leurs regards me donnait envie de me terrer sous mes draps pour toujours. Pourtant, je n’avais pas le choix, je devais me préparer pour aller en cours. Comme tous les matins, mon père devait me réveiller à six heures, une routine immuable que je redoutais particulièrement aujourd’hui.
À peine avais-je entendu les pas de mon père dans le couloir que mon cœur s’emballa, frappant douloureusement contre ma poitrine. La porte s’ouvrit avec une froideur inhabituelle, et la voix monocorde de mon père brisa le silence : « Jasmine, c’est l’heure. Réveille-toi. » Il ne prit pas la peine d’ajouter autre chose, se contentant de ce rappel mécanique, comme s’il ne voulait pas s’attarder plus longtemps dans cette chambre où tant de choses avaient changé en une seule nuit.
Malgré l’angoisse qui me paralysait, je me forçais à sortir de mon lit. Chaque geste me coûtait un effort immense, comme si mon corps tout entier s’opposait à l’idée de se lever et de faire face à la réalité. Je me traîne péniblement jusqu’à la salle de bain, où j’espérais que l’eau froide pourrait apaiser mon esprit en ébullition. Bien au contraire, une nausée envahissante monta en moi, accompagnée de la sensation persistante que mon corps était sale, que mes pensées étaient impures, et que mes désirs étaient honteux. Chaque goutte d’eau semblait glisser sur moi sans vraiment me toucher, comme si rien ne pouvait laver la souillure que je percevais en moi-même. Je me suis savonnée avec une ardeur presque désespérée, comme si je pouvais ainsi effacer la honte qui me remplissait.
Lorsque je sortis finalement de la salle de bain, mon estomac se noua à l’idée de croiser mes parents. Je poussais la porte avec hésitation, la tête baissée, fuyant le regard des autres, comme si j’espérais devenir invisible. J’ai préparé mes affaires pour les cours avec des gestes automatiques, vides de toute énergie. J’ai pris mon sac et j’ai murmuré à mon père : « Je suis prête. » Il ne me répondit pas, se contentant de hocher la tête sans même me regarder.
Dans la cuisine, ma mère préparait le petit déjeuner pour Eva et Gauthier. Chaque matin, c’était la même scène, mais aujourd’hui, tout me semblait différent, distant, comme si un gouffre s’était ouvert entre moi et le reste de ma famille. « À plus tard, Maman », dis-je, espérant au fond de moi une réponse, un signe d’affection, ou au moins un regard. Mais ma mère, les lèvres pincées, ne m’adressa même pas un mot, se contentant de me regarder en biais avant de retourner à ses tâches.
Ce silence glacial était pire que tous les sermons qu’elle aurait pu me faire. Je me rendais compte que ma famille m’a infligé une punition bien plus terrible : l’ignorance. Cette indifférence me broyait de l’intérieur, me laissant seule face à ma culpabilité et à mon regret. Le silence qui régnait dans la maison semblait amplifier chaque battement de mon cœur, chaque souffle que je prenais, rendant l’atmosphère presque insoutenable.
Avec cette chaleureuse ambiance, la journée au collège me paraissait plus agréable et plus rapide que d’habitude. Je n’avais absolument pas hâte de rentrer chez moi. J’avais l’esprit ailleurs et j’étais bien trop préoccupée pour suivre correctement les cours. À la fin de la journée, je me suis dirigée vers le portail du collège, le cœur serré à l’idée de retrouver ma mère. Mon père étant parti travailler, c’était elle qui venait me chercher. La peur me nouait la gorge, mais je me forçais à respirer profondément avant de monter dans la voiture.
« Bonjour, Maman », murmurai-je en m’installant. Mais elle resta silencieuse, les lèvres scellées, comme si elle n’avait pas entendu. Le trajet se déroula dans un silence absolu, chaque seconde plus lourde que la précédente. Je sentais l’oppression de cette ignorance calculée, cette punition qui semblait viser à me faire me refermer encore plus sur moi-même. Même Gauthier et Eva semblaient m’éviter. Je me sentais de plus en plus comme une étrangère dans ma propre maison.
Le regret d’avoir confié mes pensées à mon journal intime me rongeait, et la honte d’avoir osé tomber amoureuse encore plus. Dès que je rentrais chez moi, je montais directement dans ma chambre, évitant tout contact, même visuel, avec les autres. Je me suis plongée dans mes devoirs, cherchant désespérément à échapper à la réalité. Je ne descendais que pour manger, avalant mes repas rapidement avant de me retirer de nouveau dans le silence de ma chambre.
Les jours passèrent, chacun pareil au précédent, marqué par l’ignorance glaciale de ma famille. Pour moi, ce silence était plus douloureux que toutes les punitions physiques ou verbales. C’était comme si je n’existais plus, comme si j’étais devenue une ombre. Et chaque jour qui passait renforçait ce sentiment accablant que j’étais désormais seule, totalement seule.
Je m’étais progressivement habituée à la vie silencieuse de ma famille depuis que mes pensées les plus intimes avaient été exposées par ma mère. Pour m’adapter, je m’étais plongée dans mes études et mes devoirs, me concentrant davantage sur l’école. Malgré le harcèlement que je subissais au collège, j’avais tout de même réussi à tisser quelques liens d’amitié avec des camarades plus sympathiques que le reste de la classe. Pour moi, ces amitiés étaient essentielles, même si elles n’étaient pas profondes. Ce n’était pas le genre de relations qui durent toute une vie, mais plutôt des amitiés de circonstance, qui m’aidaient à supporter les moments difficiles et à briser la solitude.
Ces relations étaient presque comme des passe-temps pour moi. Je savais pertinemment que ces amitiés ne reposaient sur rien de solide, juste sur des rires partagés autour de bêtises. Par peur de devenir la cible des moqueries, je m’efforçais souvent de trouver des blagues, même si cela signifiait parfois me moquer des autres. Mais il arrivait que mes « amis » se retournent contre moi, me prenant pour cible. Rien n’était jamais vraiment acquis.
Je sentais aussi que certains de mes camarades se rapprochaient de moi par intérêt, notamment pour les travaux de groupe. Ils faisaient semblant de s’intéresser un peu plus à moi pour pouvoir travailler ensemble et profiter de mes bonnes notes et de mon travail. J’en étais parfaitement consciente, mais j’acceptais volontiers ce compromis, pourvu qu’on ne se moque plus de moi.
Pour en revenir à l’ambiance familiale, elle était toujours aussi tendue, surtout à mon égard. Mes parents continuaient à rire et à discuter entre eux, à plaisanter avec Eva et Gauthier, comme si de rien n’était. Pourtant, depuis qu’ils avaient découvert mon premier émoi, c’était comme si quelque chose s’était brisé entre nous. Ils semblaient désormais avoir peur de moi, comme s’ils se méfiaient, comme si je représentais soudainement un danger.
Je me retrouvais donc là, plusieurs jours durant, dans cette situation inconfortable, ne sachant plus vraiment comment me comporter ni quoi leur dire. C’était comme marcher sur des œufs, un entre-deux permanent où je me sentais de plus en plus isolée. Finalement, mon père daigna faire le premier pas. Il ne chercha même pas à reparler du sujet délicat ; pour lui, c’était déjà du passé. Du passé, certes, mais pas oublié.
Le plus difficile, c’était ma mère. Elle, toujours si rancunière, semblait avoir du mal à tourner la page. Mais on dit que le cœur d’une mère ne peut rester fâché indéfiniment contre son enfant, peu importe la gravité des actes, et il paraît que c’est vrai. Un jour, elle finit par faire un pas vers moi. En me déposant à l’école, elle décida d’aborder LE sujet… Oui, nous allions avoir LA CONVERSATION. Celle qui vous donne envie de disparaître, de trouver une télécommande pour avancer le temps, juste pour en finir avec ce profond malaise.
Ce jour-là, ma mère était curieusement de bonne humeur. Elle se remit à me parler normalement, mais avec une étrange douceur que je lui reconnais bien, celle qui apparaît après nos disputes, quand elle se sent coupable. C’était sa façon à elle de demander pardon, à défaut de le dire expressément.
— Tu sais, je comprends que cela puisse arriver ; j’ai eu ton âge moi aussi, je sais ce qui se passe dans la tête à cet âge-là… C’est normal, tu sais. Mais j’aimerais t’avertir que les garçons ne sont là que pour profiter des jeunes filles. Ils vont te faire croire qu’ils t’aiment, ils vont te prendre ta virginité puis te quitter. Ils raconteront tout à leurs amis en prime, en disant « elle est bonne vas-y, à ton tour ». Tu dois absolument faire de tes études une priorité. Les garçons peuvent attendre. Pour l’instant, concentre-toi sur ton avenir. Préserve ta virginité jusqu’au mariage, car sinon, le jour où tu trouveras l’homme que tu aimes vraiment, celui avec qui tu voudras passer ta vie, tu n’auras plus rien de précieux à lui offrir. Tu seras un panier percé…
Je ne savais plus où me mettre après avoir entendu ma mère me dire tout ça. Je me contentais de hocher la tête, nerveuse, le silence pesant lourdement entre nous. Sur ces paroles gênantes, je descendis de la voiture et me dirigeais vers le collège… ce fut donc la fin de l’épisode « Freddy » pour moi. Cette conversation m’avait tellement bouleversée que je m’interdis d’adresser la parole à Freddy. Je l’évitais autant que possible, son prénom résonnant en moi comme une sentence honteuse, même encore aujourd’hui, dans ma vie d’adulte. D’ailleurs, j’évitais de prononcer son prénom dès que je le pouvais, afin de ne pas réveiller les moqueries de Gauthier, qui ne ratait jamais une occasion de raviver cet incident devant mes parents. Et chaque fois que ce sujet revenait sur le tapis, mes parents ne manquaient pas d’ajouter à quel point, en plus, Freddy était laid…
Le début du collège a marqué pour moi l’entrée dans le monde de la musique et de la composition. Si l’amour m’était interdit, je suis tombée éperdument amoureuse de la musique. En classe de 5e, j’ai commencé à composer mes premiers morceaux sur mon clavier. Inutile de dire à quel point les paroles de mes chansons, écrites par une fille de 12 ans, étaient naïves et parfois ridicules. Mais qu’importe, l’écriture me faisait du bien ! J’ai d’abord écrit en français, mais influencée par mes goûts musicaux, je me suis rapidement mise à chanter en anglais. Je trouvais que chanter en anglais me donnait une certaine liberté, comme si peu de gens pouvaient décoder ce que je ressentais. J’avais aussi l’impression que ma voix se prêtait mieux à l’anglais, même si je ne saurais expliquer pourquoi. Pourtant, j’aime beaucoup la variété française, mais le chant en français semblait convenir davantage aux autres qu’à moi.
À cette époque, la génération des années 90-2000 était bercée par les sitcoms et films de Disney Channel, où la musique jouait un rôle central : Camp Rock, Genius, les Jonas Brothers, Hannah Montana, et bien d’autres. Nous étions persuadés de vivre les mêmes délires que nos idoles, même si cela pouvait paraître ridicule rétrospectivement. Cette influence a indéniablement marqué mes premières compositions.
Je me souviens encore du Noël 2009, où j’ai reçu en cadeau un DVD de Camp Rock, avec des bonus incluant des karaokés et des chorégraphies. Je passais des heures à essayer de chanter comme Demi Lovato, l’actrice principale incarnant Mitchie, en répétant sans relâche « This is real, this is me... ». En y repensant, je me rends compte du vacarme que je faisais, et je me demande combien de voisins, passants, et même les employés de l’entreprise située juste en dessous de notre appartement ont dû me prendre pour une folle et se moquer de moi. Rien qu’à y penser, je ressens encore une gêne profonde.
Quoi qu’il en soit, j’ai commencé le piano à l’âge de 10 ans, un peu tard selon les puristes. Gauthier et moi avons commencé nos cours avec une religieuse de notre école primaire catholique. Elle était sévère et n’hésitait pas à employer les grands moyens pour que nous assimilions les leçons, allant jusqu’à frapper nos poignets avec un bâton en bois ou à nous infliger de légers pincements. Pour une religieuse, elle avait un caractère bien trempé, et il était clair que pendant ses cours, nous devions nous tenir à carreau, surtout pendant les leçons de solfège, que je détestais.
Lorsque la religieuse a déménagé, à mon entrée en 6e, mes parents ont dû nous trouver un autre professeur, cette fois au centre de loisirs de notre commune. J’ai adoré mon nouveau professeur, Monsieur Langlois. Il était beaucoup plus sympathique, doté d’un sens de l’humour, et très pédagogue. Ce que j’aimais chez lui, c’est qu’il nous faisait découvrir la musique avec un grand « M » : la musique dans toute sa diversité, et pas seulement limitée à la musique classique, bien que très enrichissante. Nous avons exploré le jazz, le blues, la mazurka, la biguine, et bien d’autres styles encore. Avec lui, les cours de piano sont devenus un véritable plaisir, une parenthèse agréable loin de la rigueur des débuts.
Cela contrastait fortement avec mes cours de danse, que j’avais commencés à l’âge de huit ans : je me suis ridiculisée en oubliant les mouvements sur scène. La foule a éclaté de rire, et je suis partie en courant vers les coulisses, honteuse. Terrible souvenir.
En revanche, avec la musique, j’avais enfin l’impression d’avoir trouvé ma voie. C’était un moyen pour moi de dire tout haut, en chantant, ce que je ne pouvais dire à personne. Le collège proposait des ateliers musicaux tous les vendredis après-midi, et c’était un moment que j’attendais avec impatience. C’était l’occasion de rencontrer d’autres musiciens et de partager une partie de ma personnalité. Parfois, même le CPE et un professeur de sport, eux-mêmes musiciens, se sont joints à nous.
En repensant à mon amour pour la musique, je réalise qu’il m’a été transmis par ma mère. Elle passait des après-midi entiers avec moi à écouter de la musique sur YouTube, notamment des morceaux qui avaient bercé son enfance et sa jeunesse. C’est ainsi que j’ai découvert Dalida, France Gall, Zouk Machine, Kassav, Patrick Saint-Eloi, et bien d’autres. J’ai rapidement compris que, bien que j’apprécie la pop actuelle, j’aimais presque autant les musiques rétro, qui me faisaient voyager dans une autre époque. Ces moments de complicité avec ma mère étaient précieux. Nous analysions les paroles, échangions nos impressions, et improvisions même des karaokés. La musique, dans ma famille, a toujours été un lien fort, un moyen de passer du temps ensemble sous couvert de notre amour commun pour cet art. Cela me permettait de vivre des moments de légèreté, même lorsque le contexte était parfois difficile.
Depuis que je suis toute petite, j’ai toujours ressenti cet appel vers l’ailleurs, une attirance irrésistible pour d’autres horizons. Ce désir, presque vertigineux pour une enfant grandissant sur une petite île, m’accompagnait constamment. J’ai toujours voulu voyager, mais sans en faire une obsession maladive. Mon île, avec ses eaux turquoise étincelantes et ses vents d’alizé caressants, m’offrait déjà un cadre de vie qui me comblait pleinement. En grandissant, avec le recul de l’âge adulte, je réalise à quel point cette terre est mon point d’ancrage, même en vivant loin d’elle.
Pourtant, cette soif d’ailleurs ne m’a jamais quittée. Depuis mon plus jeune âge, j’avais envie de partir à la découverte du monde, de me perdre dans l’effervescence des grandes villes, de voir de mes yeux ce que notre créateur avait sculpté dans sa magnificence. Toutefois, avec mes parents, nous partions rarement en vacances. Ce n’était pas que mes parents ne pouvaient pas prendre de congés pendant l’été, mais généralement, nous restions sur l’île pendant les grandes vacances scolaires. Nous profitions alors de la campagne, passant des journées à jardiner, à nous occuper des animaux, à explorer les forêts à la recherche de « grenn bwa1 ». Il y avait aussi les promenades en voiture, les sorties à la pêche, les journées passées à la plage et bien sûr, les fêtes communales qui étaient en pleine effervescence.
Ah, les fêtes communales ! Quelle joie elles m’inspirent encore aujourd’hui ! Mes parents nous emmenaient, Gauthier et moi, faire un tour de manège, et nous étions littéralement fascinés par tant de couleurs et d’émerveillement. Ce manège classique, avec ses petites navettes en forme de fusées tourbillonnant dans les airs, nous faisait rêver d’aventures lointaines. Je me surprenais à imaginer que j’étais dans un avion à réaction, prête à m’envoler vers une destination inconnue. Même si nous ne partions pas en vacances, repenser à ces étés passés sur mon île me remplit d’une douce mélancolie. Et ce que j’aimais plus que tout, c’était la mer.
Ses reflets d’azur et l’odeur de sel sec sur ma peau m’enivraient. Je me laissais transporter par le bleu du ciel qui se confondait avec celui des flots. J’adorais observer les petits poissons sautillant autour de mes pieds lorsque je plongeais dans l’eau, et partir pêcher des mollusques avec ma mère, Eva et Gauthier. Nous allions récolter des oursins, qui abondaient alors, accrochés aux algues près du rivage. Je les dévorais sur place, brisant leur coque piquante pour révéler leur chair sucrée-salée, d’un orange vif. Quel délice !