À travers ses yeux - Elif Dayal - E-Book

À travers ses yeux E-Book

Elif Dayal

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Beschreibung

Le regard exprime tant de choses, et n’est certainement pas anodin et sans conséquence.
Dans certaines cultures, le regard intense représente le sort (mauvais œil), dans d’autres fixer quelqu’un est offensant mais généralement il reste le moyen pour se connecter à l’autre et donc l’atout le plus puissant d’une personne.
Un regard profond envers quelqu’un est un acte intime qui communique le sentiment le plus profond de la personne envers l’autre. Il exprime son émotion et son intention du moment.
Combien de femmes ou d’hommes n’ont pas ressenti une gêne, de la peur, une détresse, de la honte, de l’humiliation, une satisfaction ou du plaisir uniquement à travers un regard ?
Dans ce polar, le regard est le commencement de la destruction des personnes, de leur amour et de leur dignité, Gabrielle sera la victime de ce jeu silencieux et pervers entre son mari et les autres femmes. Ces échanges révèleront également un secret, qui les mènera tous à leur perte.
Un mal-être silencieux et profond dont les conséquences seront terribles et qui mettra en lumière la fragilité psychique d’une personne privée d’attention et d’amour. Une injustice émotionnelle qui poussera la victime à sa perte.
Chaque protagoniste va le vivre différemment avec une conséquence sur lui-même et sur les autres passant de l’amour, de la manipulation, du dévouement, de la reconnaissance, de la détresse pour atteindre la folie meurtrière.
Un signe comportemental qui paraîtra discret et sans conséquences mais dont le livre montrera un aspect bien plus sournois et destructeur.
Ce regard qui pénètre vos entrailles, et qui révèle des secrets inavouables !


À PROPOS DE L'AUTEURE 

Avant la publication de son deuxième roman noir « A travers ses yeux », Elif Dayal, 42 ans, était dénicheuse de tendances, créatrice de mode, maman et artiste peintre.
Suisse d’origine turque, elle a publié son premier livre Incest Community qui dénonçait sous forme d’un thriller, l’injustice que subissent les victimes d’agressions sexuelles.
Engagée dans la condition humaine, il était logique de continuer l’aventure littéraire par la dénonciation de la pression que subissent les femmes par leurs semblables. « Mesdames réveillez-vous et indignez-vous ! » un pamphlet écrit de manière à réveiller les consciences tout en offrant un moment de réflexion sur soi-même et sur les autres.
Ce livre était pour elle un moyen d’associer sa passion pour les romans noirs avec son engagement humaniste envers toutes formes de détresses psychologique.
Une manière à elle d’expliquer de quelle manière l’indifférence de l’autre, l’humiliation à répétition peuvent avoir des conséquences sur le psychisme d’une personne jusqu’à la mener à sa perte. 

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Elif Dayal

À travers ses yeux

© 2022, Elif Dayal.

Reproduction et traduction, même partielles, interdites.Tous droits réservés pour tous les pays.

ISBN 9782940723515

Sa frange laissait entrevoir son regard anéanti, je la fixais avec le souffle intense qui m’obligeait à le propulser par des mouvements brusques et saccadés de mon torse, qui semblait devoir refouler ce trop-plein d’air, comme un gaz dangereux avant son explosion.

Mes veines semblaient vouloir s’extirper de mon corps comme les racines d’un arbre que l’on aurait déterrées. Le battement incontrôlable de mon cœur propulsait le sang aussi brutalement que les flashs de cette soirée devant mes yeux. Je ne pouvais plus bouger, mes muscles s’étaient transformés en pierre tombale, mon regard était figé comme retenu par une barre de fer reliée à ses orbites qui semblaient vouloir sortir pour ne laisser place qu’à un trou noir. Je me disais qu’elle l’avait bien mérité et qu’elle allait enfin retourner d’où elle était venue, du néant, de la noirceur, de là où les monstres bibliques croquent les âmes innocentes. Je réalisais que mon corps entier se glaçait, je n’arrivais plus à bouger le bout de mes doigts qui aspiraient la couleur de cette matière froide, il m’était impossible de déplacer physiquement comme mentalement cette main, accrochée à la barrière, collée même, de la même manière qu’une langue à la glace. J’avais la sensation qu’une force invisible me retenait à la vie, je devais rester en haut d’où provenait le bruit des humains. Ne pas lâcher prise pour ne pas tomber dans ces grands et interminables escaliers dont les marches en pierre donnaient l’impression d’un monstre avec la gueule bien ouverte, prêt à broyer tout sacrifice humain avec ses énormes dents. Le métal, qui me retenait aussi droite que glaciale, devenait comme des barres de prison auxquelles on s’agrippe pour ne pas s’abandonner à la mort et pour nous rappeler que la réalité et le rêve ne s’arrêtaient pas au moment souhaité.

Elle était en bas, dans les abîmes, dans le silence de la mort. De l’autre côté de cette pièce sombre, la vie continuait avec les rires étouffés, qui me réveillaient, par intermittence, de cette paralysie. Des personnes invisibles semblaient me frôler en me chuchotant à l’oreille, mon globe oculaire se déplaçait d’un côté à l’autre, cherchant l’origine de ces mots imperceptibles. Une lumière qui semblait provenir des ténèbres mettait en scène le corps sans vie dont sa position rappelait le symbole celte à trois jambes. Je n’arrivais pas à détourner mes yeux de cette vision d’horreur irréelle mais qui, étrangement, me permettait de me sentir vivante. Plus les minutes passaient, plus ma haine s’estompait au rythme de l’opacité de sa cornée, la chaleur de mon corps se réchauffait à la vue de son sang qui se vidait autour de son corps. Ma douleur laissait place au soulagement en observant son corps raide, comme déformé par une possession démoniaque. Mon corps se réveillait, anesthésié par des années de trahison. J’étais devenue comme les racines que l’on voit sortir de l’enfer pour demander à la terre un peu de vie. Ma peau réagissait à l’émotion comme les racines à la goutte d’eau. Je tremblais de satisfaction et ressentais chaque organe se réveiller l’un après l’autre. Pour la première fois depuis des années, je me suis sentie vivante.

Je l’avais rencontré lorsque je venais d’obtenir mon diplôme universitaire en science politique, lui était grand, blond, avec de grands yeux bleus. Deux jeunes adultes réunis au même endroit par le hasard du destin. J’étais une femme très indépendante, au commencement de carrière très prometteur, je travaillais pour une organisation internationale, j’avais une bande d’amies très complices. Les jours se ressemblaient, avec le même élan d’enthousiasme, que cela soit professionnellement ou socialement. Le soir, nous avions l’habitude, entre copines d’université ainsi qu’entre collègues, de prendre un verre. Je venais d’acquérir mon premier appartement au cœur de la vieille ville, là où venait de s’étendre un quartier branché, avec des restaurants fusions et des bars à vins. J’avais une vie active et j’étais prête à découvrir chaque bar, chaque restaurant, chaque boutique du quartier qui se développaient à vue d’œil. Lui venait d’une grande famille réputée de la région. Il avait fait de grandes études bancaires et commençait sa carrière dans une société d’assurance, en tant que cadre supérieur. Il ressemblait à un mannequin nordique, grand, les cheveux parfaitement brossés, un style sophistiqué et une élégance naturelle.

C’était lors d’un besoin pressant que je suis rentrée dans ce café pendant que lui accompagnait un ami qui venait de se blesser.

En sortant des W.-C, je vis ce grand blond en compagnie d’un ami qui était en train de rouler un bandage autour du tibia. À la seconde où j’ai croisé son regard, je fus totalement électrocutée. Je compris à cet instant que le coup de foudre pouvait réellement exister, j’avais ressenti ce que la littérature pouvait décrire en des pages entières et le dictionnaire en quelques lignes. La sensation physique, émotionnelle et même divine.

Je ne voyais que lui, son regard me paralysait, je le trouvais grand, élégant et d’une beauté indescriptible.

Sa présence m’empêcha de bouger, de parler et, pourtant, je me disais que je devais faire quelque chose pour ne pas avoir l’air ridicule avec ma bouche entrouverte.

À ce moment, j’eus la sensation qu’une personne m’avait touchée à l’épaule en me soufflant à l’oreille ces mots : « C’est lui, et c’est maintenant ou jamais. »

Je me souviens de m’être retournée et d’avoir réalisé qu’il n’y avait personne derrière moi ; malgré cela, je suivais les conseils de cette voix qui paraissait venir de nulle part.

Je me forçais à débloquer chaque muscle qui paraissait avoir été électrocuté par le regard de ce Nordique.

J’avançai petit à petit et me fis violence pour lui adresser les premiers mots. Je marchais doucement dans sa direction comme si je devais éviter que ma présence fasse fuir un animal rare.

Mon ombre attira son attention, il tourna sa tête dans ma direction. Son regard me déstabilisa au point de me créer des effets dans le ventre. Mon cœur s’accéléra et je sentis que chaque corde vocale tremblotait par les vibrations causées dans mon corps. Je redoutai le son qui allait en sortir. Il me regarda des pieds à la tête et me remercia, avec un sourire à jalouser les publicités de dentifrice.

Comme pour ne pas décrocher de ce moment si précieux qui renfermait le début d’une nouvelle aventure, je lui posai une question en espérant que la réponse permettrait de prolonger cette rencontre.

Ma voix tremblotait et elle était plus aiguë qu’à son habitude, je lui proposai de les ramener en voiture étant donné que son ami s’était bien blessé.

Il le regarda et lui demanda s’il se sentait capable de prendre les transports en commun.

Son ami fit non de la tête, ce qui fut pour moi le plus beau des refus.

Depuis ce moment, nous ne nous sommes plus quittés et je ne pouvais plus me le défaire de mes pensées.

Dès la première seconde que nos regards s’étaient croisés, j’avais su, du plus profond de mon âme, qu’il était ma moitié, de la même manière que j’allais devoir me retrousser les manches pour en ressentir les bienfaits.

J’avais, en un instant, compris que si le destin m’offrait ce cadeau, j’allais devoir faire mes preuves pour lui prouver que j’en ai été à la hauteur.

Je réalisais aussi très vite que l’autre devait avoir la même humilité et la même reconnaissance face à ce cadeau de la vie. C’est avec le temps et les événements que j’ai compris que la longévité du couple passe par le respect de l’autre et que rien ne doit déroger à la règle. Je comprendrais également plus tard que, lorsque l’on pardonne les paroles et comportements abusifs de la personne aimée, on ne lui prouve pas son amour ou sa compréhension, au contraire, on confirme chez l’autre son rôle dominant et son statut d’intouchable.

Son comportement romantique s’estompa très vite pour laisser place à celui d’un homme froid et distant. Par exemple, il trouvait que je passais trop de temps avec mes copines, puis il trouvait des défauts chez certaines jusqu’à insister de me méfier de mes amies.

Petit à petit, il éliminait les personnes autour de moi pour m’isoler, alors ses paroles commençaient à avoir beaucoup d’impact sur moi.

Sans le savoir, sans le réaliser, je devenais dépendante de lui car je n’avais plus que lui.

Pour le satisfaire, chaque limite était toujours plus repoussée selon ses demandes contradictoires.

Je ne devais être ni maquillée ni trop apprêtée, alors je laissais dans le tiroir tous mes accessoires de beauté, je devenais la fille sans artifices pour satisfaire l’homme de ma vie, pendant qu’il me reprochait, lui, de ne pas être assez coquette en me comparant aux femmes qui l’entouraient.

J’excusais des comportements déplacés en rejetant la faute sur son enfance trop gâtée, sur ses pressions professionnelles ou provenant d’une fragilité intérieure. Il était, à ce moment, impossible pour moi d’ébranler l’image sublimée de notre couple et de ses valeurs que j’avais projetée.

Je ne pouvais pas assumer que la personne que j’aimais tant avait disparu pour laisser place à un étranger désabusé par son ego. Je m’accrochais tant que je pouvais à l’image d’un homme élégant, beau et fortuné, que les autres me rabâchaient sans cesse. Ce même entourage qui avait transformé mon conjoint en larbin auprès de ses collègues et amis, qui avaient très bien compris sa faiblesse et sa malléabilité.

Pour Karl, il était primordial de plaire aux autres au détriment de sa femme et de sa dignité. À l’extérieur, il était doux, gentil, prévenant mais, en privé, il devenait une personne froide, insensible, distante et méprisante. Il faisait aussi des choses avec les autres, qu’il détestait faire en privé, comme danser, faire du vélo. Il ne supportait pas non plus lorsqu’une personne était tactile avec lui, à part si les mains appartenaient à des étrangères.

C’était une telle torture d’observer la personne que j’aimais se comporter totalement différemment avec moi.

Je pleurais de l’intérieur, mes yeux et tout mon corps imploraient un geste d’affection et d’amour de sa part, je me demandais pourquoi, s’il pouvait exprimer de l’amour auprès de n’importe quelle inconnue, il ne pouvait pas le montrer à sa femme.

Pourtant j’étais désirée des autres hommes et mon dévouement, défiant tous les vœux religieux, provoquait de la jalousie chez les autres, alors pourquoi ne montrait-il aucune affection ?

En plein doute, je lui demandais ce qu’il y avait en moi qui l’avait charmé, et sa réponse restait la même : j’étais différente des autres, alors je restais perplexe et me demandais pour quelle raison il avait toujours le besoin de me torturer émotionnellement. voulait-il que je l’abandonne ?

Je me disais que la raison de son comportement devait provenir de son enfance baignée d’abondance. Depuis bébé, il était habitué à tout avoir et à être admiré par tout le monde. Il était le fils chéri de sa maman, un enfant protégé et choyé par tout son entourage.

Karl recelait toutes les qualités d’un prince de conte de fées, beau, riche, intelligent, admiré et très aimé. Sauf que, au lieu de devenir une personne reconnaissante et généreuse, il se transforma en adulte arrogant et ingrat qui ne reconnaissait ni la gentillesse ni les efforts des personnes car la générosité et le beau avaient toujours fait partie de la normalité de son quotidien.

Mes efforts surhumains, mes gestes d’affection hors normes le touchaient les premiers jours de notre couple, puis, très vite, ils furent normalisés et même rejetés comme un déchet placé sur un sol de marbre trop beau, trop clinquant. Je devenais une tache dans le nouveau paysage qu’il souhaitait explorer, je commençais à lui gâcher la beauté superficielle d’un monde mis en place par des personnes opportunistes. Un univers avec des interdits sous-jacents qui attisaient sa curiosité et son intérêt, mais qui, surtout, lui révélait un sentiment d’excitation qu’il n’avait pas encore connu.

Je réalisais après des années que l’emprise émotionnelle s’était installée dès la lune de miel. Cet homme jouait de mes émotions en rejetant mes gestes d’affection avec la fierté d’affirmer qu’il n’y avait que mon physique qui lui plaisait, ce qui correspondait à de la torture car, comme il ne me désirait pas, cela signifiait que je n’étais bonne à rien.

Les relations intimes étaient également inexistantes et les premiers signes ont commencé dès la préparation du mariage, chaque câlin devenait une épreuve de tentation devant une personne empaillée, sans réaction physique, sans sentiment, sans expression de bonheur.

Après le contrôle de notre vie intime, Karl avait main mise sur notre couple à l’extérieur.

Au départ, cela commençait par un refus d’embrasser publiquement, même si je le faisais sur ses joues, puis par rejeter publiquement tous mes signes d’affection et, lorsqu’il y avait une tentative de ma part, il m’arrêtait brusquement par un geste de rejet ou par son éloignement physique soudain.

Lorsqu’on avait atteint ce niveau de refus, il se poursuivait également dans la vie privée. Il me disait que j’étais trop maquillée, trop vulgaire, qu’il n’aimait pas mes sous-vêtements, que j’étais trop entreprenante ou que je ne savais pas y faire, bref n’importe quelle excuse pour rejeter chaque moment ou geste tendre. Jusqu’au jour où il me demanda de cesser toute tentative de séduction car cela provoquait en lui un blocage immédiat. Depuis cette demande ferme, je cessai aussitôt toute démonstration affective.

Après avoir pris le contrôle de notre vie intime, il prit possession de ma personne.

J’étais devenue une coquille joliment décorée mais totalement vide à l’intérieur. Je n’étais pas estimée mais continuellement sous-évaluée par la personne que j’aimais le plus au monde. Mes sentiments n’avaient aucune importance, mes désirs devenaient un fardeau à ses yeux. Je travaillais très dur pour arriver à une réussite professionnelle en espérant provoquer le semblant d’admiration que je n’obtenais pas.

Je m’obstinais à vouloir quelque chose qui était impossible, j’essayais de me surpasser dans tous les domaines pour le surprendre en espérant obtenir un petit signe d’attachement de sa part. Et lorsque je n’obtenais rien, je retournais la responsabilité sur moi, en me persuadant que je n’étais pas assez bien et que je ne serais jamais assez bien aux yeux d’un homme trop parfait pour moi.

Je réalisais également que je devenais dépendante de sa reconnaissance, je voulais absolument avoir ce que je ne pouvais pas obtenir. J’étais devenue une superwoman, belle, sexy, intelligente, parfaite femme au foyer, fidèle, généreuse et essayant d’être la plus surprenante, mais cela ne lui suffisait pas.

J’étais comme un enfant abandonné qui implorait l’amour de ses parents. Une petite fille assoiffée de tendresse, qui exhibait toutes ses capacités pour percevoir de l’amour à travers un regard.

Notre couple aussi en prenait un coup et, malheureusement, je n’étais pas une héroïne aux pouvoirs surnaturels pour avancer seule. Dans un couple, les deux doivent regarder dans la même direction et, pour l’instant, mon regard à moi était brouillé par les larmes, celui de mon époux, dirigé par ceux des autres.

Le seul élément pouvant me remonter le moral était de savoir que j’avais un homme qui ne me tromperait jamais. En fait, j’essayais de me persuader que la fidélité était une valeur qui continuerait à nous lier.

Ce commandement était un peu la béquille qui me permettait de continuer d’y croire, malgré la sensation d’avoir totalement perdu mon chemin.

Je me sentais de plus en plus vulnérable, et mon corps commençait à se nécroser par les années de commentaires, d’ignorance et de mépris.

Mes larmes ne le touchaient plus depuis bien longtemps, alors je pleurais, seule presque toujours. Étant donné qu’il n’y avait pas de réconfort de sa part pour me prouver son amour, j’essayais alors de le déceler autrement. Je tentais le tout pour le tout pour décrocher le petit signe d’affection.

Ma gentillesse exagérée finissait même par m’exacerber car elle était irréelle dans la vie de tous les jours. Je ressemblais de plus en plus à une marionnette qui gesticulait ses yeux et sa bouche espérant une réaction positive de l’autre, devenu également le baromètre de mon comportement, et fatalement, de mon humeur.

Je réalisais, avec les mois et les années qui passaient, que cet homme si brillant, avec la tête sur les épaules, devenait paradoxalement une personne totalement absurde, manipulable, sans aucun sens des réalités.

Il pensait réellement que les flatteries, les félicitations et les regards langoureux étaient sincères, et non uniquement engendrés par l’hypocrisie, l’opportunisme et la manipulation des autres. La vie normale avec une conversation réelle ne lui convenait plus. Le bouffon se devait d’être admiré. Un commentaire sur un film, un repas pas parfaitement exécuté, une lettre de l’administration, une discussion sur les prochaines vacances, bref n’importe quel sujet rapporté de la vie de tous les jours, avec ses hauts, ses bas et ses obligations que nous devions jours après jours remplir, l’insupportait et le ramenait à son mutisme.

Il ne réalisait pas que ces personnes n’avaient qu’un seul but, leur unique satisfaction personnelle, et ceci, principalement au détriment de Karl lui-même et de sa famille.

Ce sentiment de solitude devenait de plus en plus intense, la peur de l’abandon prenait ses marques dans tous mes organes. Je ne voulais pas et ne pouvais pas le perdre. Mon amour pour lui était aussi fort que destructeur. Mon identité se perdait au fil et à mesure que je m’investissais, et plus je faisais preuve d’altruisme, plus il comprenait mon attachement, et plus je perdais un bout de moi pour lui donner la confiance de son emprise sur moi jusqu’à se permettre des paroles, des comportements envers moi qu’il n’aurait lui-même jamais toléré voir chez un homme.

Sortir générait un stress permanent, je ne savais pas s’il allait m’ignorer, si j’allais découvrir un secret, si sa collègue allait me révéler des détails compromettants, s’il allait dévisager d’autres femmes ou m’ignorer pour passer la soirée avec elles.

Je prenais tout sur moi, tout le temps, pour ne pas lui montrer ma peur, mes peines, ma souffrance, d’autant que mes commentaires devenaient une source de disputes, et mes larmes, une ignorance totale de sa part.

Cette obligation de taire mes souffrances avait provoqué une multitude de kystes sur tout mon corps. J’étais persuadée que j’avais un cancer généralisé, mais le spécialiste, qui avait analysé mon état de santé, avait tristement convenu que cela venait uniquement de mon niveau de stress beaucoup trop élevé pour que le corps puisse l’assumer. Il m’avait prévenu que je devais absolument m’extraire de l’environnement qui générait autant de symptômes.

Par moments, je me remettais à avoir de l’espoir pour notre couple lors des sorties qui pouvaient être agréables si une présence féminine ne venait pas tout gâcher.

Ce stress, cette angoisse permanente avaient pris une ampleur incontrôlable après la révélation de Lola.

C’était le 11 mai 2015, j’étais venue chercher mon époux à son travail. Pendant que j’attendais Karl, cette femme, une collègue de service, s’était dirigée vers moi et avait commencé à faire l’éloge de mon mari, tout en le regardant de loin, éblouie, de la même manière qu’une femme devant le gros diamant d’une copine. Et, comme si elle ne réalisait pas ce qu’elle faisait, elle exprima à haute voix ce qu’elle pensait érotiquement de Karl. Puis, elle conclut son monologue en me dévisageant de haut en bas : « Un homme de cette envergure a besoin de plus qu’une simple ménagère. » Sa conclusion confirmait que cet élan de folie, que je pensais être, était au contraire prémédité.

J’étais totalement choquée par le culot de cette femme et chaque moyen d’expression et de réflexion qui pouvait émaner de moi était en total black-out. Je vivais la scène la plus stéréotypée qui soit, ridicule et improbable, tirée d’un téléfilm dramatique à l’eau de rose.

J’avais la sensation de me dépersonnaliser, je me visualisais depuis le plafond, moi, debout, immobile, le regard face au mur qui semblait alors s’approcher de moi comme une prison de béton. Les chaises vides autour semblaient se multiplier au fur et à mesure que mon regard se posait dessus.

Lola était la méduse, qui, par l’unique mot de la fin, l’unique regard, avait jeté son sort mortel.

Je me décomposais sur place. Je ne voyais plus rien, je n’entendais plus rien, mes pieds étaient connectés au sol comme une plante artificielle. La vie venait de déserter mon corps.

Lorsque je vis mon époux de loin, la sensation de gifle me réveilla de ma dissociation psychique.

Je me dirigeai vers lui avec une grande difficulté. Mes jambes semblaient peser des tonnes. Le sol en vinyle paraissait brûlant à faire fondre mes semelles, j’avais l’impression d’avoir marché sur un énorme chewing-gum dont les filaments ressemblaient à des mains sortant de l’enfer pour m’agripper la jambe.

Mon visage était blafard, mon regard le suppliait de s’avancer vers moi pour arrêter mon supplice.

Karl se dirigea finalement vers moi après avoir pris sa veste et sa sacoche. Il m’informa que nous pouvions partir car il avait enfin fini son travail.

Je touchais son bras comme pour le stopper dans son élan. Je lui informai de ce que sa collègue Lola m’avait révélé, avec autant de difficultés que si je sortais d’une anesthésie générale. J’attendais impatiemment une réaction de mécontentement, d’indignation de sa part qui réconforterait l’hypothèse de fabulation de cette personne.

Malheureusement, j’ai eu la réaction que jamais je n’aurais pu imaginer.

L’homme avec qui je partageais ma vie depuis des années, qui ne supportait aucun compliment en public, aucune démonstration affective, justifia et défendit avec véhémence les propos scandaleux de Lola, puis il se mit dans une colère noire contre moi.

Il ne comprenait pas ma réaction, il en avait marre que je voie le mal partout, et surtout que j’aie une réaction ridicule et qu’il n’y avait aucune raison de me mettre dans cet état, étant donné qu’il n’avait rien à se reprocher, puis, pour conclure, que c’était moi la folle et personne d’autre.

Sa réaction me paraissait comme une immense gifle, la trahison absolue, avec la sensation que je m’enfonçais dans la poitrine, aussi lentement que douloureusement, un sabre de samouraï.

Ma dignité, mon honneur même éclatèrent comme le cœur en contact de cette lame.

Il enfila sa veste et partit sans un mot devant, avec un pas énervé. J’étais derrière lui, immobile, comme assommée par tant d’injustice, tant de mépris. C’était officiel, je n’étais plus rien à ses yeux.

Une envie de nausée me prit violemment, je courus, dépassant Karl, pour rentrer dans les W.-C. se trouvant sur la droite, avant l’accès aux ascenseurs.

Je me suis accroupie sur le sol, ma tête dans la cuvette des toilettes fraîchement désinfectées, et j’extirpai la colère, l’incompréhension et la trahison qui brûlaient mon estomac.

Mon corps se vida physiquement et émotionnellement, je m’écroulai sur le sol et pleurai toutes les larmes de mon corps. J’étais comme un animal enragé contre ceux qui venaient de me torturer.

J’avais ce besoin bestial de hurler, d’extirper cette peine enfouie dans mes tripes avant son implosion.

Karl semblait gêné de mes pleurs qui traversaient les portes épaisses des W.-C. et m’ordonna de me calmer pour ne pas le donner, lui, en spectacle.

Je n’arrivais pas à me calmer et commençai à donner des coups contre la porte du cabinet J’étais une cocotte-minute qui devait laisser échapper la pression pour ne pas exploser.

Karl rentra dans les W.-C. et me força à sortir pour ne pas provoquer un scandale. Il me souleva et me prit contre lui, pour accéder rapidement au garage. Malgré un objectif égoïste de sa part, je profitais du seul contact de sa peau que je n’avais pas ressentie depuis longtemps, pour me calmer. L’odeur de sa veste et le contact de sa peau sur la mienne me soulageaient d’une douleur aiguë au cœur qui envahissait bientôt toute ma poitrine, comme un poids que l’on aurait posé sur moi, m’empêchant de respirer. Le besoin de réconfort était tellement criant que, même si c’était pour éviter la honte qu’il m’agrippa le bras, j’en ressentais malgré tout un bien-être.

Arrivés dans le garage, on rentra dans la voiture, lui, toujours emmuré dans son silence habituel.

On parcourut le parking sous-terrain en remontant les étages en colimaçon, l’obscurité coupée par des lumières artificielles qui me faisaient mal aux yeux.

J’avais un besoin physique de voir la lumière du jour, je ne supportais plus de me trouver sous terre. L’enfer ne me quittait toujours pas et cette noirceur m’empêchait de respirer.

Je me suis soudain mise à crier : « Je veux sortir, je ne peux plus respirer, je veux la lumière ! »

On arriva devant la barrière, la lumière m’appelait, je devais ressentir sa chaleur sur ma peau, j’avais besoin d’être en contact avec la vie. Je ne pouvais pas attendre que le conducteur de la voiture devant nous insère son ticket dans la machine, j’ouvris la porte et courus vers la sortie.

Je prenais ma respiration très fortement, comme une personne qui serait ressortie à la surface après une plongée en apnée.

Il se gara devant moi, baissa la vitre passager, me demanda de rentrer dans la voiture et de cesser ce cirque.

Son regard provoqua en moi une nouvelle coulée de larmes. J’étais comme assommée par sa froideur, mais, pour la première fois, la tristesse qui envahissait mon corps n’arrivait pas à se mettre sous silence.

Sur le chemin de retour, Karl ne prononçait pas un mot, pendant que moi, je sanglotais, le regard perdu dans le paysage qui passait aussi vite que les souvenirs du drame.

On arriva enfin chez nous. Il y avait un grand portail marron que j’avais peint récemment, et un magnifique jardin entouré d’arbustes que j’avais taillés le matin même. La maison se trouvait à l’arrière de ce terrain d’à peu près 1 800 m. Il se gara à l’arrière de la maison, je me précipitai pour ouvrir la porte et marchai doucement en direction du jardin, en contemplant notre belle maison, le magnifique jardin, et la discrétion qui donnait l’impression d’un havre de paix. La haie imposante et les arbres, qui habillaient le terrain, nous coupaient du regard extérieur.

Je marchais doucement sur le chemin goudronné reliant l’arrière de la maison au portail, et regardais chaque élément avec une pause comme lors d’un arrêt sur image. Mes larmes coulaient sur ma joue, qui avaient déjà laissé une empreinte de passage. Je me disais que tout ce qu’on avait construit provenait principalement de mes espoirs, j’espérais tant que, un jour, il réalise tout ce que nous avions de beau, de sincère et d’unique. J’espérais qu’il se réveille très vite de cette fièvre d’ego et d’arrogance pour revenir à l’homme que j’avais connu. Je voulais tant qu’il reconnaisse le fruit de notre travail.

Je m’arrêtai au milieu de ce chemin et regardai au loin avec un sourire mélancolique, en me rappelant qu’à chaque fois que j’observais le jardin, je visualisais le petit enfant que nous aurions pu avoir, plein de vie, roulant avec sa petite voiture électrique, ou courant dans notre jardin empli de fleurs, avec un rire qui me rappellerait à quel point la vie pouvait être belle.

Nous avions un magnifique cerisier, grand et fier, face à la maison. Je m’approchai de cet arbre qui me projetait souvent l’image d’un petit enfant aux joues bien rouges, assis à ses pieds en train de manger des cerises qu’il aurait cueillies dans les magnifiques branches habillées de feuilles se balançant au rythme du vent. Je m’écroulai contre l’écorce de cette force de la vie, qui semblait pourtant avoir bien lutté contre toute forme d’agression extérieure. J’étais fatiguée de constater que chaque vision de bonheur disparaissait une par une. Je caressai cette surface rigide, dont les rides sinueuses formées par des années de larmes me rappelaient celle de ma peau. Comme une boîte noire renfermant chaque douleur vécue. Chacun des trains serait un fil qui remonterait le temps, la mémoire du passé, d’un combat, d’une attaque, d’une maladie avec une profondeur en adéquation avec la souffrance vécue. Je posai ma tête contre cette peau épaisse et frottai ma joue contre elle, comme pour nous soulager mutuellement des difficultés que la vie nous imposait. Je regardais dans le ciel et contemplais les magnifiques branches soutenir avec assurance et liberté les feuilles translucides, si fines, qui ondulaient dans le rythme du vent. Leurs danses invitaient par intermittence les rayons du soleil, éblouir la nature comme des confettis dorés.

Ce paysage féerique me redonna la force de me remettre sur les jambes, j’essuyai la dernière larme sur ma peau réchauffée.

Je me dirigeai dans la maison et l’intérieur ne m’avait jamais paru aussi froid. Karl était dans son bureau, avec la porte fermée.

Je rentrai doucement dans la pièce dans laquelle ma présence n’était clairement pas souhaitée. Je me tenais debout en train de le regarder visionner un tournoi de golf.

Il ne bougea pas et ne m’adressa pas la parole bien qu’il ait pris connaissance de ma présence. Je le regardais et commençais à m’enfoncer dans le sol par des bombardements de déception.

Il se tourna soudainement et, assis dans sa chaise pivotante, il me regarda froidement avec toujours ce même air de mépris depuis que nous avions quitté son lieu professionnel.

« Il faut que tu arrêtes de tout prendre mal ! Elle n’a rien dit de mal pour que tu te mettes dans cet état ! T’es une hystérique totalement folle qui voit le mal partout ! »

J’étais estomaquée par sa réaction que je ne pensais pas exister chez une personne saine d’esprit.

Je lui répondis en hurlant, tout en le fixant des yeux : « Elle a détaillé ton anatomie et a parlé de toi comme d’une femme qui parle de son amant avec qui elle a passé une nuit torride ! Est-ce que cela te paraît normal qu’une collègue de travail parle ainsi de toi à la première personne qui, de plus, est ta femme ? Comment est-ce possible que toi, l’homme qui ne supporte aucun geste tendre, aucun commentaire positif de ta femme, tu puisses ne pas avoir de réaction face à des commentaires aussi graves ? Je n’avais rien demandé, je suis venue te chercher comme tu me l’avais demandé, je connais cette femme de vue et, selon tes dires, tu ne côtoyais aucune femme de ton travail, alors, explique-moi, comment cette femme peut se permettre de parler ainsi sans que tu sois en colère, choqué, indigné par ses propos ? Au lieu de cela, tu m’insultes, moi, tu es en colère contre moi, et tu défends cette personne qui attaque ta femme, ton couple ! Comment peux-tu tomber si bas ? »

Il me regarda et sembla prendre conscience de la logique de mes propos, puis il changea de stratégie en se positionnant en victime. Il me hurla dessus à son tour : « Je ne t’ai jamais trompé, je n’ai jamais couché avec Lola ! »

Je le regardai, dépitée par ce tour de passe-passe : « Ce n’est pas toi qui devrais hurler sur moi et ni toi qui devrais être outré, mais le contraire. Tu devrais retourner cette colère contre ta collègue et exiger d’elle une explication sur les raisons de ce soi-disant mensonge Je suis ta femme, si une étrangère raconte des mensonges, tu n’insultes pas ton épouse, non ? Si une étrangère révèle une liaison, tu te fais petit, tu t’excuses, mais, à aucun moment, tu donnes le coup fatal à ta compagne par des insultes, des cris alors qu’elle est déjà en train de souffrir le martyre ! »

Je quittai la pièce en claquant la porte aussi fort que je le pouvais. Cet échange m’avait épuisé, mon corps ne supportait plus autant d’émotions intenses. Je remontai les escaliers avec beaucoup de difficulté et me laissai tomber sur le lit. Après de longues minutes de sanglots, je m’endormis comme un bébé, mes fonctions en arrêt, comme si on m’avait ôté la batterie qui m’empêchait de penser, de réagir ou de bouger.

Notre relation, après ce 11 avril 2015, changea complètement. J’étais totalement perdue, tout ce qui m’entourait avait à présent une autre esthétique, je n’arrivais plus à me supporter. Je réalisai que je m’étais battue pour rien, que je m’étais investie pour rien et, surtout, que j’avais calqué ma personnalité sur ses envies jusqu’à devenir une simple ombre, son ombre.

Je ne savais plus qui j’étais et comment je pouvais m’en sortir. J’étais déjà dépendante émotionnellement et vivais uniquement pour son bonheur jusqu’à renier amis, famille et carrière.

Les mains posées sur le lavabo, je me regardai dans le miroir et réalisai que je ne reconnaissais pas ce que je voyais. J’étais devenue une loque qui avait, durant une partie de sa vie, construit beaucoup de projets, seule, qui avait cru dans un couple, seule, et qui pleurait à présent, seule. Je regardai la grosse larme s’écraser dans l’évier comme une ombre se donnant la mort. Mon regard, à cet instant, se vida de tout espoir, il n’y avait plus de lueur mais uniquement de la tristesse.