À trois, je vous aime - Tome 2 - LouGane Rose - E-Book

À trois, je vous aime - Tome 2 E-Book

LouGane Rose

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Beschreibung

De retour dans sa vie, elle devra apprendre à les partager.
C’est avec difficulté que Lilie tente de s’éloigner de Valentyn et Léandre afin de les préserver. La jeune femme fait tout pour lutter contre ses sentiments, taire ses désirs et ses besoins, mais son bonheur ne peut exister loin des deux hommes de sa vie. Surtout quand ces derniers refusent de respecter ses volontés et restent plus présents que jamais. Cependant, les règles du jeu semblent avoir changé, et il n’est plus question d’amitié entre les deux colocataires qui se considéraient pourtant comme des frères. Partager Lilie ? Plus jamais ! Dans cette lutte acharnée pour les faveurs de la belle, qui sait s’il peut vraiment y avoir un gagnant ? Vouloir tout avoir, c’est également prendre le risque de tout perdre...
LouGane Rose revient avec le deuxième tome de sa saga riche en émotions, promesse de bien des heures de délice, qui saura ravir les friands de romance !
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE 
"Les sentiments sont tellement forts, vivants, puissants, que le lecteur se retrouve également bousculé et emporté par ce trio improbable. La plume de l'auteure est fine et souple, l'histoire, quant à elle, se lit parfaitement bien et est agréable à découvrir." - prettypassionbooks"Un roman qui casse les codes avec un amour interdit, un amour pour lequel il faut se battre, dépasser ses limites et les préjugés," - carineetoilesdesbibliotheques
À PROPOS DE L'AUTEURE
LouGane Rose, auteure de romances, est passionnée de lecture. Après quelques années d'hésitation, elle écrit son premier livre A trois je vous aime..., publié en auto-édition d'abord, avant de l'envoyer à So Romance. Lougane aime avoir la tête dans les étoiles car quand elle n'écrit pas, elle travaille dans l'univers des hélicoptères.

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Prologue

Les couples autrefois faits et défaits n’existent plus. La page est blanche à nouveau et attend que j’y écrive un nouveau chapitre de notre histoire. Malgré la nuit passée, la Trinité n’est plus d’actualité…

Chapitre 1

Lilie

Mes mains tremblent. Il est là. Grand, beau, sublime, magnifique. Il n’a pas changé, à part une petite barbe de deux jours qui lui donne un air encore plus viril, et quelques sillons supplémentaires au coin de ses yeux bleus.

Annie se jette sur lui, brisant le silence devenu pesant qui a envahi la nef. Même Soan n’ose plus parler, et ça, ça n’arrive jamais !

— Valentyn, mon chéri, tu es en retard ! Il vient de Grande-Bretagne ! dit-elle à l’assemblée pour l’excuser.

Son rire forcé résonne dans l’église.

— C’est mon neveu… par alliance, enfin… ex ! Alliance, pas neveu… Bon, OK, viens par ici, Val.

Elle l’attrape par le bras et le conduit d’un pas vif vers la sortie.

Alors que mon sang se fige à l’idée de le voir déjà repartir, je sens les épaules de Mattias se détendre doucement. Peut-il réellement ne pas avoir compris ? Il me semble, en effet, que c’est le cas. Vraiment. Un soupir de soulagement glisse entre ses lèvres serrées, et la pression qu’exerçait sa main refermée sur mon bras depuis l’intervention de l’intrus se relâche doucement, elle aussi, permettant à mon sang de se remettre à circuler normalement.

Peut-il réellement avoir gobé le retard de Valentyn ? Un invité véritablement à la bourre pour ce genre d’événement pénétrerait-il ainsi, risquant d’interrompre la cérémonie ? Je reste interloquée un instant, un peu perplexe face à la crédulité de l’homme, supposé brillant, que je viens d’épouser.

Mais mon attention se tourne à nouveau vers les énormes portes qui ont fini par s’ouvrir sur mon amour passé, tel que je l’ai si ardemment souhaité, rêvé et espéré. Je me demande si son intervention inespérée n’est pas un second signe de la volonté du Divin d’accepter l’amour que je partageais avec mes deux amants. Le premier que j’ai interprété ainsi ayant été ma grossesse… Oui, je me cherche des excuses et alors ?

Annie et Valentyn semblent se disputer dans un coin, un peu à l’écart des invités qui se dirigent vers la sortie, curieux de comprendre le fin mot de cette étrange histoire de « neveu en retard ».

Mes yeux ne le quittent pas, terrifiée à l’idée qu’il disparaisse à nouveau au premier battement de cils. Mon cœur se remet à tambouriner dans ma poitrine et tout bon sens me quitte soudainement, au rythme de ses battements trop rapides. Il faut que je le rejoigne, c’est vital ; il est là, à quelques mètres seulement. Après quatre années passées à souffrir du manque qu’il a laissé dans ma vie, tout aspect rationnel, raisonnable ou responsable semble m’avoir désertée.

Et d’un bond, je m’élance en bas des marches qui remontent vers l’autel, lâchant la main de mon nouveau mari et l’abandonnant là où j’ai fait de lui le plus heureux des hommes quelques instants auparavant.

— Lilie !

Son cri me déchire le cœur et je me fige pour le regarder. Ses yeux humides tentent de chercher, au fond des miens, cette promesse d’amour que l’on vient de se faire. Celle que je lui ai jurée le jour où j’ai accepté de devenir son épouse, malgré le spectre de mon passé qui planerait toujours comme un voile, une ombre sur notre histoire fragile. Je tremble.

Val est là, peut-être aussi Léandre. Ma bouche est sèche, une boule commence à grossir, nichée au creux de mon ventre.

Ma raison et toutes les décisions que j’ai prises douloureusement ces quatre dernières années s’envolent en fumée. Plus rien ne compte.

Je dois les voir, j’en ai besoin, bien plus que de respirer.

Je soulève ma robe pour ne pas trébucher et reprends la descente de l’allée que j’ai remontée à peine une heure plus tôt. Mon cœur continue d’accélérer sa course, ma nuque est moite, ainsi que les paumes de mes mains. J’arrive dans le narthex, mais ils ne sont plus là. Je panique. Ils ont dû sortir, bien sûr, s’éloigner avant que Mattias arrive près d’eux !

Bon sang, je n’ai pas mon portable avec moi ! Je déteste ne pas l’avoir sur moi, mais où aurais-je pu le glisser ? Dans mon décolleté, mon porte-jarretelle ? Matt hurle une nouvelle fois mon prénom et la culpabilité m’envahit à nouveau, lorsque la réalité me percute au son de sa voix.

Je n’ai pas le droit de foutre en l’air cette journée, de l’humilier face à ses amis, sa famille, ses clients, son fils… Il m’a prise sous son aile, soignée et aimée. Il m’a protégée de mes démons lorsqu’ils n’ont plus été là pour le faire. Je ne peux maîtriser les caprices de mon cœur, mais je suis une adulte et je dois me comporter comme telle… au moins pendant quelques heures, en tout cas.

Mon mari me rejoint et se tient derrière moi, entre les deux battants de la « fameuse » grande porte. Ses yeux noisette me transpercent, baignés de désespoir, emplis de tristesse. Ça y est, il semble avoir compris, mais ne dit rien. Sa bouche reste crispée en une longue ligne blanche et fine. Ses lèvres tremblent légèrement sous la pression qu’elles s’imposent. Je me demande un instant s’il va fondre en larmes ou me sauter à la gorge.

J’inspire un grand coup et tends la main dans sa direction pour qu’il la prenne, comme l’a fait mon amour, Valentyn, un peu plus tôt, à mon attention. Un sourire résigné se dessine alors sur son doux visage, masquant la tristesse viscérale qui le bouffe. Puis je mets le même sur mes lèvres. La mascarade doit continuer jusqu’à son final.

Ainsi nous sortons, main dans la main, sur le parvis de l’église sous les applaudissements de nos invités, les flashs et des flots de pétales blancs, comme je l’ai souhaité…

*

Valentyn

Je suis arrivé trop tard. Ils sont déjà mariés. Annie me tire par la main pour m’éloigner de ma belle.

Elle a sûrement peur que je fasse un esclandre. Les images se bousculent dans ma tête. Elle est si belle dans sa robe blanche, une vraie princesse, la mienne… Non, celle du mec à côté d’elle ! Il est grand et plutôt beau gosse, enfin non, je ne le trouve pas séduisant, mais il se tenait debout à ses côtés, près de l’autel, et vient de lui donner son nom pour la vie. J’ai envie de gerber. En fait, non. Non, j’ai envie de lui péter les dents pour avoir pris ma femme, mais comme je n’en ai pas le droit, je me contenterai de gerber… dès qu’Annie sera décidée à me lâcher, enfin !

Et puis il y a ce petit garçon qui m’a accueilli quand j’ai fait irruption dans l’église, il voulait que j’aille voir sa maman… Il a les yeux de…

Soudain, les rayons du soleil m’éblouissent et je manque de trébucher. Annie continue de me tirer derrière elle, sans ralentir le pas.

— Bordel, Annie, tu m’emmènes où ?! m’énervé-je. Annie, putain, stop !

— Tu ne peux pas faire ça, Val. C’est une erreur, je n’aurais pas dû te prévenir. Je suis désolée, tu ne peux pas tout gâcher.

— Mais c’est toi qui m’as laissé ce putain de message sur mon répondeur !

— Bon sang, je sais ! Mais c’était il y a trois semaines, Valentyn ! Trois semaines ! Tu ne crois pas que tu aurais pu intervenir avant ?!

— Je n’étais pas à Londres, j’étais dans mes bureaux de Los Angeles depuis trois mois. Je suis rentré hier seulement. Dès que j’ai entendu ton message, j’ai fait affréter le jet pour faire demi-tour et venir ici. Le temps de trouver où avait lieu la cérémonie, l’heure… Bref, je suis arrivé trop tard. Merde, fait chier !

Je glisse une main dans mes cheveux en pagaille. On est loin de l’image du businessman « propret » en costume trois-pièces que j’ai adoptée depuis que ma marque a explosé sur le territoire américain. Mon jean est crado, ma chemise blanche froissée, et ma barbe de trois jours finit le look. À ma décharge, je n’ai pas dormi dans un vrai lit depuis plus de soixante-douze heures.

— Je veux lui parler. Je ne repartirai pas sans lui avoir parlé, Annie, je ne plaisante pas.

— Eh bien, pas maintenant en tout cas ! Tu te tiens à carreau.

Elle s’est calmée et son ton s’est radouci, elle continue à m’expliquer :

— Elle est mariée à un autre, alors tu gardes ça à l’esprit.

— T’es gonflée quand même ! Dis-moi, Annie, depuis quatre ans qu’elle est partie tu n’aurais pas pu me contacter un peu plus tôt qu’à la veille de ses noces ? Et, au fait, pourquoi l’as-tu fait ? Elle est au courant ?

Elle lève sur moi ses grands yeux désolés et je retrouve « Annie la fouine ». Celle qui obtenait toujours de mon oncle Paul ce que je lui réclamais, quand j’étais ado et que je vivais chez eux à New York. Celle qui couvrait mes mensonges quand je sortais faire la bringue ou que je choisissais de manquer les cours. Celle qui a conduit sa nièce chez nous, six ans plus tôt, et qui est aujourd’hui responsable de ma présence ici…

— Non, bien sûr que non, elle ne le sait pas. Elle est si malheureuse… Elle a pris la décision de se marier alors que son cœur continuait de saigner. Si elle était restée avec lui sans aller aussi loin je n’aurais jamais rien fait, mais là c’est trop… Je pensais en laissant ce message que Léandre ou toi viendriez. J’ignorais que tu vivais à Los Angeles.

— Pas tout le temps. Lé est rentré chez lui en Suède, il y a longtemps…

Je continue de la regarder sévèrement, mais je ne lui en veux pas vraiment. Elle a péché par trop d’amour et j’en connais un bout sur le sujet, alors comment lui reprocher sa bêtise ? Au fond de moi, je suis heureux d’être là, près de Lilie, enfin… Même si la situation n’est pas idéale du tout ! Annie est la femme la plus douce et la plus généreuse que je connaisse et surtout elle est comme une mère pour Lilie, qui en a plus que tout besoin. Et pour ça, elle a tout mon respect.

Je me doutais, j’ai même espéré, qu’elle ait trouvé refuge chez elle après sa fuite de Londres, bien qu’Annie ait toujours refusé de nous l’avouer pour mieux la protéger, je suppose. J’ai prié pour qu’elle ne soit, surtout, jamais retournée au manoir, entre sa mère maniaco-dépressive et son père obnubilé par ses affaires au point de vendre sa propre fille à un bon parti. Nous avons cherché partout, que ce soit chez ses parents ou à New York, chez Annie, mais n’avons trouvé aucune trace d’elle. Enfin, quand je dis « nous », c’est l’un et l’autre, mais pas ensemble. Puis nous nous sommes résignés à respecter son choix, persuadés finalement que c’était la plus sage des décisions pour nous trois. C’est en tout cas ce que je me suis dit, avant de reprendre le cours de ma vie…

Mais bon sang, lorsque j’ai entendu ce foutu message qu’Annie a laissé sur mon répondeur, toutes mes convictions se sont envolées en fumée, comme ça, en un claquement de doigts. J’ai oublié les larmes et la douleur des mois qui ont précédé son départ violent. J’ai oublié ma colère envers elle, Léandre et moi-même. Les barrières sur mon cœur ont été pulvérisées au son de la voix d’Annie, qui nous suppliait de faire quelque chose rapidement avant que Lilie en épouse un autre. Sans réfléchir, j’ai sauté dans l’avion malgré la fatigue ou un planning saturé. Les questions ont tourné dans ma tête pendant tout le voyage, m’empêchant de fermer l’œil : qui était cet homme ? Pourquoi Annie ne souhaitait-elle pas qu’elle l’épouse ? Que dira Lilie en me voyant ? Et moi, que ressentirai-je ? J’ai, au moins, cette réponse : tout. L’amour, la douleur, le manque, tout est resté intact, absolument rien n’a changé.

J’ai compris le message au sein du message et j’ai accouru. Pour elle, pour je ne sais trop quelle raison, en fait… Lui dire de ne pas se marier ? La récupérer ? Lui demander de reprendre notre vie ensemble ? Quoi qu’il en soit, il est trop tard, je suis arrivé trop tard.

Annie me tire de mes réflexions :

— Écoute, de toute façon elle t’a vu, elle sait que tu es là. Alors, comporte-toi comme un invité normal, discute un peu, fais-toi discret et elle viendra à toi dès qu’elle le pourra, j’en suis persuadée. C’est bien que tu sois venu quand même, Valentyn, ça compte… Tu m’accompagneras à la réception, on prendra ma voiture… En plus, tu tombes bien, je n’ai pas de cavalier !

Et après m’avoir lancé un clin d’œil amusé, elle s’éloigne saluer deux dames d’un certain âge, affublées d’énormes chapeaux d’où semblent sortir d’affreux oiseaux morts.

Mon attention se reporte sur Lilie. Sa longue chevelure est à présent blonde comme les blés. C’est étrange de la voir sans ses immenses cheveux de jais. J’aimais tellement y plonger mon visage, les caresser… Ses hanches sont un peu plus larges, conséquence évidente de sa grossesse, lui procurant une silhouette encore plus féminine et sexy. Bon sang, est-ce possible ? En outre, je reconnais parfaitement la courbe de ses épaules que j’aimais mordiller. La ligne de son cou, sur laquelle je faisais courir ma langue lorsque je la couvrais de baisers, éveillant à chaque fois, sur sa peau, une nuée de frissons, et sa bouche si sensuelle que j’ai dégustée et dévorée tant de fois.

Je me souviens de tout : de son goût, son parfum, la douceur de sa peau, la mélodie de ses éclats de rire. Cette femme est la mienne et un bout de papier n’y changera rien. Si j’ai eu des doutes sur mes sentiments pour elle, ils se sont envolés à l’instant où je me suis trouvé sur le parvis de cette foutue église. La savoir à l’intérieur, à quelques mètres seulement de moi, pour la première fois depuis presque quatre ans, a fait exploser mon cœur.

Soudain je l’aperçois, le signe, celui dont j’ai besoin pour me battre, celui qui va m’autoriser à foutre en l’air la vie de cet homme, qui ne sait peut-être même pas qui je suis. Celui qui me laisse espérer que j’ai encore une place dans son cœur et dans sa vie.

Là, le jour de son mariage, elle nous porte toujours autour de son annulaire droit, notre anneau, le symbole de notre histoire, de notre amour, la Trinité.

Une évidence : il n’est pas plongé au fond d’un tiroir avec son passé, et c’est la preuve d’un amour toujours vivant. Nous le lui avions offert lors d’un Noël douloureux passé dans sa famille, au manoir. Notre dernier Noël ensemble.

Mon cœur gonfle. Qu’elle est belle. Je veux la toucher, comme tous ces gens qui viennent la féliciter pour son union, qui l’embrassent, l’étreignent dans leurs bras, son mari sur les talons. Les hommes donnent à ce dernier des petites tapes dans le dos, comme pour le congratuler d’avoir tiré le bon numéro… La bile remonte, acide, dans ma gorge, et l’envie de dégueuler me saisit à nouveau.

Je m’apprête à m’éloigner pour me soulager, lorsque soudain je les vois, ses beaux yeux bleus, scruter la foule, la balayer, la fouiller. Elle me cherche, putain, elle me cherche ! Je le vois à l’urgence qu’elle y met. Elle a peur que je reparte sans lui avoir parlé ou, en tout cas, sans m’être manifesté. Elle panique et tente de le masquer sous son sourire parfait de façade, mais moi je sais, je la connais trop bien… Et puis il y a cette tristesse au fond de son regard, la même que ce soir-là, celui où elle a compris qu’elle allait devoir faire un choix… Ils ne pétillent plus comme avant. L’éclat a disparu cette fameuse nuit où elle a préféré nous abandonner derrière elle, nous laissant juste un bout de papier pour nous larguer. Trop blessée pour nous affronter en face… Son départ précipité et son manque de confiance en nous m’a laissé un goût d’amertume. Je lui en ai tellement voulu !

Puis soudain, en moins d’une seconde, d’un coup de baguette magique elle disparaît, cette brume triste qui voilait ses yeux, envolée ! Paniqué, je cherche ce qui a pu retourner la situation en si peu de temps. Ce n’est pas son mari, car il se trouve à l’opposé de son regard… Soulagement.

Et je le vois, son rayon de soleil, sa poussière de fée. Le petit bonhomme de l’église, celui qui voulait me conduire jusqu’à elle. Sa mère lui tend l’enfant à bout de bras… Bon sang, qu’est-ce qu’elle fait là, cette vieille folle ?! Et son connard de père, j’espère ne pas le croiser, sinon je ne suis pas certain d’arriver à me contrôler, même quatre ans plus tard !

Mais mon attention ne s’attarde pas sur ces vieux fous et revient vite sur l’enfant. Il a la même étincelle de joie pleine de vie au fond du regard, celle que Lilie avait aussi dans mes souvenirs, quand elle était heureuse… Il lui ressemble tant. Merde ! C’est le sien, sans aucun doute. Est-ce pour ça que son visage me semble si familier ? Ce sont ses yeux… L’étincelle, c’est bien Lilie, mais la forme et la couleur me font penser à… putain, Léandre petit ! Non, et ces boucles brunes, comme… moi ! Ce n’est pas possible, je suis en plein délire, la fatigue, soixante-douze heures sans repos, le stress du voyage, le choc de la retrouver… mariée. Seule certitude, cependant, il ne ressemble pas au gars près d’elle. Il me faut des réponses. Je me précipite dans la foule, bousculant quelques invités au passage, mais au point où j’en suis, je n’en ai rien à foutre qu’on me regarde un peu plus de travers !

— Annie !

— Valentyn, ne t’ai-je pas demandé de te tenir tranquille un moment ?

Elle me fait les gros yeux malgré son sourire forcé.

— Annie, il faut que je te parle, tout de suite !

— Non, Valentyn, quoi que tu aies à me demander, ça peut attendre et si ça concerne Lilie, de n’importe quelle façon que ce soit, c’est à elle de te donner des réponses, pas à moi.

Elle sait évidemment ce qui m’intrigue. Mes yeux retournent se poser sur elle. J’ai rêvé cent fois de la voir dans une robe blanche. Eh ouais, même les mecs peuvent rêver de bague au doigt ! Mais aujourd’hui, la regarder ainsi me brise le cœur. L’enfant est retourné dans les bras de sa grand-mère, et dans un geste possessif son époux l’entraîne, sa main emprisonnée dans la sienne, vers une limousine noire qui les attend un peu plus loin. Mes poings se serrent, je dois lui parler sinon je vais tout casser, et surtout la gueule du marié. Sans les quitter des yeux, je gronde, les lèvres pincées, à l’attention de ma tante de cœur :

— En route.

Chapitre 2

Lilie

— Matt, ralentis, s’il te plaît, ma robe est trop longue et je vais me casser la figure !

Une fois confortablement installés dans la voiture, Matt me surprend par son attitude, agissant comme si de rien n’était :

— Désolé, chérie, mais on est en retard pour les photos. Ta mère nous rejoint dans le parc avec Soan.

— Je… Attends, non, je dois d’abord passer au château pour me rafraîchir.

Je suis un peu perdue, croit-il que nous allons poursuivre la comédie comme prévu ?

— On a dit qu’on ferait les photos dans la roseraie près de la fontaine directement après la messe, c’est à l’autre bout du parc… Tu es superbe, pas besoin de te rafraîchir.

— Mais si ! Je te dis que j’en ai besoin, tu…

Je pousse un long soupir de désarroi.

— Et mon portable, bon sang ! J’aurais dû garder mon portable, pourquoi est-ce que j’écoute toujours tout le monde ?!

— Peut-être parce que les gens qui t’entourent sont de bons conseils et modèrent ton côté impulsif.

Son reproche claque sur moi comme une gifle. C’est la première fois qu’il me parle si abruptement.

— Pardon ?! Mon côté impulsif… Pff, je n’en reviens pas ! Moi, moi ?! Impulsive, non mais n’importe quoi ! Je veux aller au château, maintenant ! Appelle maman et dis-lui qu’il n’y aura pas de photos ! Pour l’instant… Il n’y aura pas de photos, c’est tout !

Il me regarde, troublé. Il semble furieux. Sa peau a pris une couleur pourpre, mais ses yeux ne bougent pas, pas le moindre clignement de paupières en vue. Il arbore une expression glaciale que je ne lui connais pas. C’est effrayant. Vraiment. Je soupire à nouveau et tente de me calmer un peu.

— Bon, tu as compris que l’homme qui est arrivé à la fin de la cérémonie est Valentyn, le papa de Soan, hein ?

Oui, je dois faire simple ! Je parierais voir de la fumée sortir de ses oreilles, mais je continue quand même :

— Je ne sais pas ce qu’il fait là, je te le jure. Je n’ai plus de nouvelles depuis des années, depuis que je les ai quittés…

— Les ?

— Oui, depuis que j’ai quitté les lieux… à Londres. Bref. Je dois savoir, comprendre pourquoi il est venu. J’en ai besoin. Au moins pour Soan…

— Pour Soan, hein…

Il ne décolère pas, mais je comprends.

Je tape contre la vitre qui nous sépare du chauffeur. Je ne sais pas comment on la baisse et n’ai pas le temps de chercher. Je crie fort, pour être sûre que ce dernier m’entende bien :

— Monsieur, s’il vous plaît, conduisez-nous au château et non à la roseraie ! Merci !

Puis je me tourne à nouveau vers Matt et ajoute :

— Préviens-la, préviens maman.

Gênée et nerveuse, je trépigne d’impatience sur mon siège. Cette robe commence à m’entraver et elle me tient trop chaud. Le voile gratte mes épaules. Et cette voiture ! Une idée de Mattias, « une limousine c’est pratique pour la robe et ça en fout plein la vue aux invités », mais l’inconvénient c’est que ça n’avance pas !

Les immenses grilles en fer forgé du château que nous avons réservé pour le week-end sont grandes ouvertes pour accueillir nos hôtes. Ils dorment tous sur place, dans des chambres somptueuses. Matt m’offre un mariage de princesse, il a fait les choses en grand. Tout aurait dû être si parfait…

Dès que nous sommes enfin arrêtés, je saute, tant bien que mal, hors du véhicule, toujours emprisonnée dans des mètres de soie et de dentelle qui m’enveloppent comme un gros paquet cadeau. Après avoir enfin tout ramassé au creux de mes bras, sans grâce aucune, je me précipite dans le grand hall. Un boudoir aménagé pour l’occasion m’y attend afin que je puisse me changer, me remaquiller ou encore souffler un instant. J’espère n’y trouver personne.

À l’abri des regards, la porte enfin fermée, je m’y adosse, essoufflée, épuisée et surtout angoissée. Que dois-je faire ? Val est là. Merde, vraiment là. Soudain j’ai envie de sourire, il est là ! Puis un fou rire monte, incontrôlable, et je me mets à rire si fort que l’on m’entend probablement à l’autre bout du jardin, il est vraiment, vraiment là ! Les larmes coulent sur mes joues. Joie, peine, mélancolie, démence, je n’ai pas le temps d’y réfléchir car quelqu’un cogne dans mon dos. Mon corps se met tout à coup à trembler comme une feuille. Qui est-ce ? Matt ? Maman ? Je ne veux pas y retourner, et je ne veux pas voir Valentyn non plus, devoir lui expliquer le terrible secret que j’ai emporté avec moi, lui avouer ce que je lui ai volé. Ces quatre années qu’il ne revivra jamais… Peut-être que si je reste cachée ici, pour toujours, on finira par m’oublier…

— Lil’, c’est Annie, ouvre, chérie, dit-elle doucement.

— Je ne peux pas, Nini.

— Qu’est-ce que tu racontes ? Ouvre, ma belle.

— Je dois partir… en douce. Tu peux m’aider ?

— Pour quoi faire ? Tu ne peux pas te sauver à chaque fois que quelque chose ne se passe comme tu le veux. Allez ouvre-moi, c’est un ordre !

Disciplinée comme on me l’a si bien enseigné enfant, j’obéis, et après un pas en arrière, je laisse ma tante entrer. Mon corps tremble toujours. Mais lorsque je l’aperçois derrière elle pénétrer dans le boudoir, je me ressaisis immédiatement. Il me fait toujours le même effet, il est ma force. Ils le sont tous les deux, Léandre et lui. Dès que mes yeux se posent sur Valentyn, la peur s’évanouit.

Annie s’adresse à moi, mais mon regard ne le quitte pas, lui. Il est si beau, encore plus qu’avant, plus mûr, plus sûr de lui. Son regard est calme et posé. Il semble épuisé, mais il n’en est que plus canon. Mon corps frémit.

— Merci d’avoir ouvert, Lilie, ton mari tourne en rond comme un lion en cage à deux pas d’ici, et je n’ai pas trop envie qu’ils se croisent tous les deux.

Ses yeux ne me quittent pas non plus, sombres. Ils me scrutent, m’analysent, me déshabillent, tout à la fois ; il a envie de moi. Je réalise que je porte une robe de mariée, celle d’un autre, et soudain le voile sur mes épaules se remet à me démanger. Je dois l’ôter, vite !

— Enlève-moi ça, Annie, s’il te plaît… Vite, ça me brûle !

Je me tortille dans tous les sens, impatiente d’être débarrassée de ce costume ridicule. Je ne veux pas que l’homme que j’aime toujours me regarde plus longtemps dans cette tenue qui lui rappelle que je ne suis plus à lui.

— Ça me brûle, je te dis !

— Calme-toi, bon sang ! Ça y est, ça y est, il n’est plus là.

Elle pose l’étoffe sur un petit canapé en velours mauve, loin de moi.

— Merci, Nini.

— Bon, ça va aller, Lilie ?

Je lui réponds d’un petit hochement de tête.

— OK, je vais vous laisser discuter tous les deux, mais fermez à clé, d’accord ? Tout le monde va s’apercevoir de ton absence, si ce n’est pas déjà fait, et ta mère va certainement venir te chercher. Dépêchez-vous !

La porte franchie par ma tante, Valentyn tourne la clé dans la serrure et le silence envahit la petite pièce aux odeurs de renfermé.

— Tu es magnifique.

Il sourit. Par où commencer ? Et pour dire quoi ? Je reste figée face à l’homme de ma vie. J’ai envie de me jeter dans ses bras, de l’enlacer et le couvrir de baisers. Reprendre notre histoire là où elle s’est arrêtée, effacer le temps et la douleur qui nous ont éloignés. Lui faire oublier le goût que d’autres femmes ont laissé sur sa bouche et qui m’ont remplacée dans ses bras. Puis le rassurer, lui dire que personne n’a jamais pris leur place dans mon cœur, malgré les apparences… Mais je reste muette.

— Mariée, hein ? continue-t-il.

— Tu es venu… Pourquoi, comment ?

— Tu ne devines pas ? Annie. Elle a laissé un message sur mon répondeur il y a plusieurs semaines. Je ne l’ai entendu qu’hier ou avant-hier, je ne sais plus trop…

Son sourire est timide et adorable.

— Annie ?! Mais pourquoi ? Elle adore Matt et…

Je souris à mon tour, elle a vu mon tourment. Je sais qu’elle n’était pas d’accord pour que je m’engage avec mon docteur, elle trouvait le mariage trop « lourd » pour une femme amoureuse de son passé. Elle a essayé de m’éviter la catastrophe… Trop tard !

— Elle ne voulait pas que j’épouse Matt. Au fond elle sav…

Il fait un pas vers moi. Je veux qu’il s’approche encore, qu’il me touche. Mais il maintient un espace de sécurité entre nous.

— Elle savait quoi, Lil’ ?

— Elle savait que je ne l’aimais pas… comme ça.

Ma voix n’est plus qu’un filet.

— Comment ?

Il avance d’un autre pas.

— Comme toi…

En un instant, il franchit les quelques mètres qui finissent de nous séparer et m’enlace enfin dans ses bras. Alors, un poids aussi lourd qu’une chape de béton s’envole de mes épaules, comme ça, en un claquement de doigts. Je me sens apaisée pour la première fois depuis plus de quatre ans. Je suis chez moi, je suis enfin chez moi, là, au creux de ses bras solides. Tout devient évident, et je n’ai plus peur de rien. Mon visage est calé contre son cou et je n’ose plus bouger, de peur de me réveiller et qu’il disparaisse, comme cela arrive à chacun de mes réveils depuis plus de quatre ans.

Je sens ses longs doigts glisser sous mon menton et ses yeux accrocher les miens. Sans un mot, ses jolies lèvres sexy se posent délicatement sur les miennes dans une douce caresse. Il ne les embrasse pas, les effleure à peine. Une main dans le creux de mes reins et l’autre enroulée autour de ma nuque, il resserre son étreinte pour me coller un peu plus près de lui, comme s’il souhaitait que nous ne fassions plus qu’un. Il écrase enfin mes lèvres mais n’approfondit pas son baiser, et malgré la faim qui me dévore, je ne le fais pas non plus. J’attends, tremblante. J’ai peur que le moindre geste brusque ne le fasse fuir et qu’il me quitte à son tour. Tout ceci est irréel, si fragile. Sa bouche quitte trop vite mes lèvres, et dans un soupir de soulagement, son front vient s’appuyer sur le mien.

— Je t’ai retrouvée, enfin.

— Tu m’as cherchée ? demandé-je, surprise.

— Évidemment. J’ai merdé ce soir-là, à cause de ma jalousie maladive, et j’ai voulu rattraper les choses. Mais ceux qui t’aiment ont bien compris le message, et ont su faire barrage pour te protéger… Annie, ta sœur, j’ai même appelé ta mère, tu vois à quel point j’étais désespéré !

Un sourire collé aux lèvres, j’ose déposer un timide baiser sur ses lèvres charnues. Cette fois, le feu nous emporte. Il s’empare de ma bouche avec fougue, et le baiser devient plus intense. Nous y mettons tous nos sentiments si longtemps refoulés. Je sens le désespoir qu’il me transmet à travers ses lèvres, et l’espoir aussi… Ses doigts se referment sur mes cheveux, pour m’empêcher de m’éloigner à nouveau. Puis enfin sa langue vient caresser la mienne, s’enrouler autour d’elle, dans une danse sensuelle et voluptueuse. Je m’alanguis dans ses bras, et toutes les images de son corps nu sur le mien, que j’avais enfermées dans un coin de ma mémoire, me reviennent par flots. Sa bouche abreuve ma soif de lui, et cette dernière est comme un puits sans fond. Mon rythme cardiaque accélère sa course, nos dents s’entrechoquent dans la précipitation. Mes doigts agrippent ses épaules pour le retenir, ou peut-être empêcher mes mains de le déshabiller, ici, alors que mon mari m’attend, quelque part derrière cette porte. Je le veux, je le désire tant que je risque d’en perdre la tête. J’en oublie Matt et nos promesses échangées, seulement une heure plus tôt. Je dois me faire violence pour me ressaisir et réussir à le repousser.

— Merde, qu’est-ce qu’on est en train de faire là ? Je viens de me marier, Val, c’est trop tard !

— Non, rien n’est trop tard, princesse… On a toujours le choix. Dis-moi ce que tu veux et j’obéirai.

Il prend ma main entre les siennes et y dépose de doux baisers alors que ses yeux ne me lâchent pas, attendant une réponse dans un silence étouffant. C’est vrai, il faut que je décide maintenant : soit je choisis Matt et notre jolie vie douce et tranquille, soit je choisis Valentyn et Léandre pour une vie compliquée, pleine d’embûches, d’aventures, de passions et… d’amour.

Près de Val, là maintenant, je me sens vibrer, je me sens vivante. Pour la première fois en quatre ans, mon cœur cogne dans ma poitrine, comme un sourd, et surtout je n’ai plus peur. Non, je n’ai pas peur de le choisir, de prendre sa main et de voir ce que l’avenir me réserve à ses côtés. Plus que tout, j’en ai envie.

— Je te choisis… toi. Je nous choisis nous.

Ma voix tremble, mais les étoiles qui brillent dans ses yeux et qui illuminent son sourire divin me donnent la foi. On n’a pas su, la première fois, on s’est plantés en beauté, c’est vrai. Mais on en est toujours là… Nous n’avons pas su avancer l’un sans l’autre, puisqu’aujourd’hui nous semblons prêts à recommencer les mêmes erreurs… Alors, pourquoi lutter ? Ma solution n’a clairement pas été la bonne, nous en trouverons une autre, j’en ai la certitude. Nous prendrons le temps de la découvrir, ensemble.

— Qu’est-ce qu’on fait, alors ? demande Valentyn, empressé.

— Je ne peux pas partir comme ça, je dois parler à Matt. S’il veut que nous jouions la comédie jusqu’à ce soir, nous devrons le faire, je lui dois au moins ça. Bon sang ! J’ai le chic pour les situations inextricables, hein ?

Val me sourit, mais ne répond rien.

— Dis donc, tu pourrais au moins reconnaître une petite part de responsabilité, jeune homme…

— J’espérais bien m’en tirer à bon compte…

— Gros malin !

— Ma princesse…

Il me serre à nouveau contre son cœur, plus fort, puis ajoute :

— Je t’aime tant, tu m’as tellement manqué.

Je lutte contre les larmes de soulagement qui veulent déborder sur mes joues en entendant ces trois petits mots que je n’ai jamais été capable de dire à Mattias. Lui, il me les a répétés en boucle, pourtant ils ne m’ont jamais fait le même effet que lorsqu’ils étaient prononcés par Léandre ou Valentyn…

— Je dois y aller, Val, je dois lui parler.

— Je vais trouver un hôtel. Donne-moi ton numéro de portable et je t’enverrai l’adresse pour que tu me rejoignes, ou je viendrai te chercher, comme tu préfères. J’attendrai tes instructions…

— OK, je dois juste le récupérer, c’est Annie qui l’a. Tiens.

Je lui tends le petit bout de papier sur lequel j’ai gribouillé les dix chiffres. Je le regarde déjà s’éloigner de moi, doucement. Le froid et l’angoisse commencent à envelopper mes épaules de leur manteau oppressant. Et s’il ne revenait pas, s’il ne m’appelait pas ? Si finalement il retournait à Londres en réalisant qu’au fond il s’est accroché à des souvenirs faussés par le temps, et que je ne suis plus aussi belle, plus si précieuse…

— Val !

Mon cri est plus déchirant que je ne l’aurais voulu. Nos regards se harponnent un instant, et j’y lis la promesse dont j’ai besoin. C’est pour de vrai, il ne me laissera pas tomber. Un soupir détend mon corps nerveux, et dès qu’il franchit la porte, je me mets à réfléchir à la meilleure façon d’annoncer à Matt que je vais le détruire… Je suis pathétique ! Pour la seconde fois de ma vie, je vais briser le cœur d’un homme qui m’aime profondément, et le jour de notre mariage en plus. Je pense que je vais sacrément le payer dans une prochaine vie ; être autant aimée et faire autant de mal aura un prix, c’est certain !

Je commence par ôter cette robe qui m’oppresse et m’empêche de respirer librement. Non, je sais bien que ça ne vient pas de la robe mais de ma culpabilité, cependant, il faut que je l’enlève vite. Heureusement, j’en ai prévu une autre, plus légère et plus fluide, je devais la porter lors de la soirée, une robe qui m’aurait permis de danser et de m’amuser. Bien sûr je n’aurais dû l’enfiler qu’un peu plus tard dans la soirée, après le cocktail, mais je ne peux attendre plus longtemps. J’ai l’impression qu’en ôtant le costume, peut-être la mascarade cessera aussi, du moins cela m’aidera à y mettre fin plus vite.

Bon sang, je n’arrive pas à remonter cette satanée fermeture éclair, j’ai beau me dandiner dans tous les sens, impossible de fermer les dix derniers centimètres qu’il me reste à glisser. J’entrouvre doucement la porte de la loge et, coup de chance, Annie est juste devant. Ma marraine la fée.

— Qu’est-ce que tu fais là ? lui demandé-je, étonnée qu’elle ne soit pas en train de boire une coupe de Dom Pérignon bien frais dans le parc, avec les convives.

— Comment veux-tu que je m’amuse alors qu’une tempête, que dis-je, un cataclysme, se prépare dans cette jolie petite tête ?

— Comment le sais-tu ? la questionné-je d’une petite voix innocente.

— Oh je t’en prie, épargne-moi ta comédie, Lilie ! me gronde-t-elle gentiment. Si j’ai essayé de joindre les garçons, c’est que je savais que tu avais besoin d’eux.

Tout à coup mes yeux s’écarquillent, pleins d’espoir :

— Tu as eu Léandre aussi ? Comment va-t-il ? Il ne voulait plus entendre parler de moi, c’est ça…

En entendant mes propres mots franchir ma bouche, mon cœur se serre. Léandre doit m’en avoir voulu encore plus que Valentyn. Notre relation a toujours été basée sur la communication, elle était peut-être plus sincère ; pas d’un point de vue sentimental car je les aimais de manière égale, mais je me suis toujours confiée à lui sur mes doutes et mes peurs de les perdre tous les deux… Ma fuite et ma lâcheté l’ont certainement bien plus blessé que son ami.

— Écoute, je ne lui ai pas parlé, j’ai juste laissé un message sur le répondeur de leur appartement de Londres, en me disant que l’un des deux l’entendrait certainement. C’était il y a trois semaines, ma chérie, alors je ne pense pas que Léandre vive encore là-bas…

— Val était bien en voyage, pourquoi pas Lé ?

— Peut-être, mais ce n’est pas important pour le moment. Que vas-tu faire ?

— Repartir avec Val.

— Waouh, comme ça ! Tu es sûre de toi ?

— On ne peut plus sûre. Écoute, je sais que c’est fou, mais je n’ai jamais tourné la page. Ils sont ma vie ou peut-être qu’ils ne le sont pas tous les deux, on verra bien, mais cette fois je ne passe pas mon tour, même si je dois finir par prendre la décision que j’ai refusé de prendre il y a quatre ans. Pour Valentyn, je le fais. Il est mon choix aujourd’hui, il est venu, tu comprends Annie, il est mon choix… Il faut que je parle à Matt !

Tout en finissant ma phrase, je contourne ma tante et me dirige d’un pas pressé vers la porte du boudoir.

— Attends, ma chérie !

— N’essaie pas de m’en empêcher, s’il te plaît. Tu sais, toi, combien je les aime.

Je la supplie presque, lui faisant mes yeux du chat dans Shrek. Elle me sourit.

— Je veux juste…

Elle s’approche de moi et, dans un geste maternel, fait remonter la fermeture de ma robe en dentelle blanche.

— Voilà, tu peux y aller.

— Merci, murmuré-je, merci pour tout.

Après un rapide câlin, je m’élance dans le hall à la recherche de mon futur « ex-époux ». Ma tante me stoppe à nouveau, elle s’apprête à ouvrir la bouche. Encore. Je soupire exagérément.

— Ne souffle pas comme ça, petite chipie mal élevée !

Elle éclate de rire avant d’ajouter :

— Heureusement que ta mère ne t’a pas entendue ! Bon, tiens ton portable, je crois que tu as reçu un message de ton Don Juan.

— J’allais encore l’oublier. Merci !

Et je repars en serrant l’appareil sur mon cœur, telle une furie. Je virevolte au milieu des invités intrigués, qui tentent de me parler pour me féliciter ou… Je n’en ai rien à faire. Mais bon sang, où se cache mon satané mari ?! C’est vraiment bizarre de l’appeler comme ça, surtout que ce n’est que pour quelques heures seulement, quelques jours tout au plus.

Soudain je l’aperçois, de dos, il discute avec son frère Tom, et vu le visage de ce dernier, je suis prête à parier que je suis le sujet de leur conversation. Il ne m’a jamais appréciée malgré l’amour que me porte son petit frère. Le fait que j’étais enceinte lorsque nous nous sommes rencontrés, Matt et moi, a attisé sa méfiance. Il a probablement vu ce que son frère a refusé de voir…

Je m’approche lentement à petits pas, la boule au ventre. Je n’ai pas le choix, je ne vais pas fuir encore une fois, même si les raisons qui m’ont poussée à le faire par le passé étaient bien différentes. Je dois me comporter en adulte, j’ai mûri. Soan m’a fait grandir. Et par-dessus tout, je le dois à Mattias. Je vais le briser, pour qu’il puisse s’en remettre un jour, se reconstruire. Je dois faire les choses le plus correctement possible… même s’il n’y a absolument rien de correct à quitter un homme le jour de son mariage pour s’enfuir avec celui grâce auquel je l’ai rencontré. C’est vrai, si je n’avais pas été enceinte du bébé de Valentyn, Mattias n’aurait sûrement jamais fait partie de ma vie. Foutu destin.

Je tape de l’index sur son épaule, comme une enfant, pour attirer tout doucement son attention. Il se retourne lentement et plonge ses yeux, d’une infinie tristesse, au fond des miens, cherchant une réponse à ses questions. Il comprend vite que je ne lui apporterai pas celle qu’il souhaite.

Son frère ouvre la bouche pour dire quelque chose, ou peut-être me mordre… En tous cas il est directement interrompu, d’un geste de la main, par son cadet.

— Tu peux nous laisser un instant, Tom, s’il te plaît ? J’aimerais parler à ma femme.

Ce dernier s’éloigne sans mot dire, me fusillant de son regard noir et froid. Un frisson désagréable fait trembler mes épaules. Matt prend ma main dans la sienne et m’entraîne à l’écart du buffet et des oreilles indiscrètes qui nous entourent.

— Vas-y, je t’écoute.

Il ne dit rien de plus. Les crampes dans mon ventre ne cessent de croître. Ma main se pose sur mon abdomen comme pour apaiser la douleur. J’inspire profondément puis me jette à l’eau :

— L’homme dans l’église, c’est… Valentyn, le papa de Soan. Je te l’ai déjà dit, je crois…

Il hoche la tête en signe d’acquiescement et son regard glacial m’ordonne d’en venir au fait.

— Annie a cru bien faire en le prévenant, tu sais, pour le mariage…

Cette fois, il tique.

— Tu peux répéter ? Ta tante a fait quoi ?! Bon sang, pourquoi a-t-elle eu besoin de le prévenir ? Je croyais qu’elle approuvait notre union !

— Elle l’approuve, bien sûr, mais elle sait aussi que je n’ai pas vraiment tourné la page et que tout ceci me torture encore. Je suis désolée, Matt, c’est lui que j’aime, ça a toujours été lui…, expliqué-je en occultant volontairement la réalité. Je l’ai quitté pour certaines raisons et je n’ai jamais regardé en arrière, mais il est revenu. C’est lui qui est revenu et, comment l’expliquer… je n’y arriverai pas une seconde fois. J’ai besoin de lui… et Soan aussi.

— Soan ?! Il ne le connaît même pas !

— C’est son père !

— Je suis son père, Lilie ! Tu as fait de moi son père ! Tu n’as pas le droit de me le reprendre sous prétexte que tu es complètement inconséquente et instable !

Ces derniers mots brisent mon cœur si fort que je vois les morceaux s’éparpiller sur son visage distordu par la douleur. Soan est son point faible, non seulement il perd sa femme – qu’il n’aura aucun mal à remplacer –, mais il perd aussi et surtout son enfant, et rien ne viendra jamais combler ce vide. Il ne lui a pas donné son sang, certes, mais son cœur lui est tout entier dévoué depuis le jour de sa naissance.

Il tremble de tout son être, ses yeux sont rouges et je pleure comme une madeleine, mais il n’y a pas retour possible. Ce n’est pas lui, ça ne l’a jamais été…

— Alors, tu me quittes le jour de notre mariage ?

— Je ne sais pas comment faire les choses, Matt… Je peux… On peut faire semblant jusqu’à ce soir… Ou…

— Faire semblant ? Faire semblant ! Mais tu me prends pour qui, hein ? Je t’inspire quoi ? De la pitié !

— Non je… j’essaie juste de faire au mieux pour toi.

— Tu te fous de ma gueule là, Lilie, c’est ça ?!

Sa voix gronde comme l’orage dans ses yeux et mon corps tremble face à sa colère.

— Comment peux-tu seulement le suggérer ?! Tu me prends pour un enfant ? Mais l’enfant ici, c’est toi, Amelia ! Toi et toi seule ! Pourquoi tu fous en l’air tout ce qu’on a construit ensemble pour un homme qui t’a brisé le cœur il y a quoi, quatre ans et demi ?! Soudain, il réapparaît le jour de ton mariage, parce que ta dingo de tante s’est encore sentie obligée de se mêler de ce qui ne la regardait pas – comme à son habitude soit dit en passant –, et toi tu laisses tout tomber et abandonnes notre vie merveilleuse, pour lui ?!

La colère enfle en moi, malgré la honte et le chagrin. Le silence nous entoure, comme les regards des invités, mais je m’en fous et explose :

— Ne parle pas comme ça d’Annie ! Elle est tout pour moi et tu le sais. Je suis vraiment, vraiment désolée de ce que je te fais subir aujourd’hui. Ce n’était pas prémédité et si j’avais eu la moindre idée que cela pouvait arriver je n’aurais jamais accepté de t’épou…

Au secours, je m’enfonce !

— Ce que je veux dire, c’est je ne souhaitais pas te blesser… Notre vie est peut-être merveilleuse à tes yeux, mais je…

— Va-t’en ! hurle-t-il. Va-t’en, je ne veux plus entendre un son sortir de ta bouche, Lilie !

L’effroi fait trembler mon échine. Je n’ai jamais vu autant de haine dans les yeux d’un homme. Et ce regard m’est destiné. Je suis tétanisée, incapable du moindre mouvement. Je me sens vexée et humiliée face à son rejet. Pourtant c’est lui qui souffre la mort. Au fond ce n’est pas tellement étonnant de ma part, je n’ai toujours été qu’une égoïste, et je peux ajouter une victime de plus à mon palmarès des cœurs brisés.

Il reprend, de sa voix froide comme de la glace :

— Amelia, récupère ton fils, tes affaires et barre-toi vite d’ici, avant que je ne dise ou fasse quelque chose que je pourrais regretter… VITE !

Son cri me fait sursauter et me tire de ma pétrification. Sous les regards indignés et aussi quelques insultes, je quitte les lieux rapidement, sur le long chemin de la honte, ma mère et ma tante dans mon sillage, accompagnées de mon petit homme inquiet.

Une fois hors du château, je souffle enfin, le plus dur est passé… presque : il me reste juste à avouer à Valentyn l’existence de Soan. Ouais, je ne suis pas encore sortie de l’auberge !

— Annie, garde Soan chez toi ce soir, s’il te plaît. Maman, ferme-la !

Celle-ci referme immédiatement la bouche qu’elle venait d’ouvrir pour dire quelque chose de très certainement inapproprié.

— Prends un avion et retourne dans ton manoir. Je t’ai invitée par politesse uniquement, je ne pouvais envisager de me marier sans que l’un de mes parents soit présent. Mais je refuse d’entendre ton opinion sur la situation, et je n’ai toujours pas pardonné votre folie, à papa et toi, alors pars et ne m’appelle pas. Souviens-toi que ton avis et ton jugement sont le cadet de mes soucis… Merci quand même d’être venue, ajouté-je en adoucissant le ton, c’était important pour Soan de te rencontrer au moins une fois.

Je suis dure, je le sais, mais c’est papa et elle qui m’ont rendue ainsi. Ils m’ont bien appris et reçoivent, aujourd’hui, la monnaie de leur pièce.

Alors que je lève le bras face à la route, pour héler un taxi, Annie attrape ma main.

— Tu vas le rejoindre ?

— Oui.

— OK, tiens-moi au courant de la suite des événements, d’accord ?

— Bien sûr.

Je m’agenouille sur le trottoir sale, toujours dans ma jolie robe de cocktail en dentelle blanche, pour parler à mon fils, les yeux dans les yeux.

— Soan, bébé, tout va bien, d’accord ? Je dois aller voir un ami, c’est très important. Tu vas rester avec Annie ce soir, et je te rejoindrai demain matin. Tout va bien, mon cœur. Maman n’est pas triste. Papa a crié fort, mais il t’aime plus que tout. Et moi aussi, je t’aime « de tout l’univers et au-delà », hein ?

— Ze t’aime plus, maman.

— Moi plus.

— Moi « pluz de l’univers » !

Je ris, les larmes au coin des yeux.

— D’accord, bébé. Tu seras sage avec Annie, tu me promets ?

Il me répond d’un signe de tête et s’éloigne, tout sourire, entre sa tante et sa grand-mère. Ai-je pris la bonne décision ? Ai-je vraiment pris la meilleure décision pour lui… ou juste pour moi ?

Chapitre 3

Lilie

Mon corps étendu sur le lit semble flotter sur du coton. Celui de Val l’a vidé de la moindre étincelle de vie ou plutôt non, c’est l’inverse, il lui a insufflé la vie. Il s’est enfin réveillé d’une longue léthargie, d’un profond sommeil, entre ses mains expertes. Comme s’il avait attendu patiemment de vibrer à nouveau, sous ses doigts. Si Mattias me donnait du plaisir ? Bien sûr que oui, évidemment… Enfin, pas comme Val ou Léandre, mais c’était bien, pas mal quoi… Enfin bref, ce n’est pas le sujet.

Après être passée récupérer mes affaires et celles de Soan à la maison – du moins le nécessaire, pour le reste on verra plus tard –, j’ai rejoint mon amoureux dans sa luxueuse suite du Lotte.

À peine ai-je franchi la porte de la chambre que nos corps se sont retrouvés aimantés, attirés l’un par l’autre, excités de s’être enfin reconnus. Nos peaux n’ont pas eu besoin de temps pour s’apprivoiser, et nous nous sommes aimés comme des fous durant les heures qui ont suivi nos retrouvailles passionnées. Comme si nous ne nous étions jamais quittés, avec pourtant, les stigmates du désespoir que nos peaux portent en elles à cause de cette trop longue et trop violente absence.

— Tu as faim ?

— De toi…, dis-je en l’embrassant à pleine bouche, toujours.

— OK, je commande une pizza quatre fromages.

Je souris discrètement en constatant qu’il se souvient de petits détails comme ça… Je sors du grand lit pendant qu’il est au téléphone avec la réception et me dirige vers la salle de bain pour prendre une douche. J’aperçois du coin de l’œil son regard qui suit le moindre mouvement de mon corps nu, plein d’envie et de désir… Encore ?! Je lève un sourcil, amusée par sa demande silencieuse, et referme la porte derrière moi.

Là, face au miroir, j’observe mon visage : il y a définitivement une lueur pétillante qui est réapparue dans mes yeux, mais mes traits sont tirés, des cernes sombres les soulignent, quelques sillons de plus semblent creuser mon front.

Je me sens lasse, si fatiguée. Est-ce la préparation du mariage ? Le stress engendré par celui-ci ? Ou bien la bataille que je mène contre moi-même depuis la naissance de Soan ? Soan… Je dois lui en parler. Je n’ai pas le choix. Bon sang ! Quatre ans que je garde ce secret, il va me haïr !

La douche est réconfortante, mais elle ne réussit pas à effacer mon angoisse profonde quant à la suite des événements. Lorsque je retourne près de mon amant, je le trouve toujours assis au salon. La pizza devant lui, coupée en parts égales, sent divinement bon. J’ai enfilé un grand t-shirt piqué dans sa valise, comme avant… J’adorais me glisser dans leurs fringues, avec peut-être une petite préférence pour celles de Léandre qui, même si elles étaient encore plus immenses que celles de son ami, avaient quelque chose en plus dont je ne pensais pas arriver à me passer un jour : son odeur. À cette pensée, ma salive se bloque dans ma gorge et je peine à déglutir. Je veux le revoir lui aussi, je vais bientôt pouvoir… J’ai tellement hâte !

— Ça sent trop bon ! m’exclamé-je en le rejoignant sur le canapé du salon.

— La pizza, c’est toujours ton péché mignon, on dirait.