Afghanistan - Régis Koetschet - E-Book

Afghanistan E-Book

Régis Koetschet

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  • Herausgeber: Nevicata
  • Kategorie: Lebensstil
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2023
Beschreibung

L’obscurité est retombée sur le pays des seigneurs d’Aryana. La brutalité et l’ordre implacables des taleban sont désormais le lot quotidien des Afghans et surtout des Afghanes. Et pourtant ! Comment ne pas garder au cœur l’émotion profonde que l’Afghanistan suscite chez tous ceux qui découvrent ses paysages et ses lumières uniques. C’est ce pays de culture, de fierté et de traditions aujourd’hui confisqué par le fanatisme religieux que Régis Koetschet a, comme diplomate, parcouru et appris à aimer. L’âme afghane est indissociable de cette quête de liberté forgée par des siècles de résistance et de défiance vis-à-vis de l’étranger, qui ne peut qu’inspirer notre profond respect. Ce petit livre n’est pas un guide. Il nous conte avec passion et espoir cet Afghanistan où les cerfs-volants, au milieu des lourds nuages, n’ont pas dit leur dernier mot. Un grand récit suivi d’entretiens avec Raoul Delcorde (diplomate), Belgheis Jafari Alavi (universitaire et femme de lettres) et Shahir Zahine (journaliste).

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Seitenzahl: 86

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Couverture

Page de titre

Carte

AVANT-PROPOSPourquoi l’Afghanistan ?

Un dicton du Penjab dit que vouloir mettre des Afghans en rang, c’est comme s’illusionner à « peser des grenouilles », tant les intéressés, fiers de leurs traditions et de leur réputation, y mettent peu du leur. Alors, comme l’y invite cette collection, « décoder » l’Afghanistan, rechercher « l’âme de son peuple » sous ses voiles, ses turbans et ses pakols – la galette de laine beige immortalisée par le commandant Massoud – semble être une gageure ou, pour le moins, une aventure à l’issue incertaine.

Avec une solide documentation, mon vécu de diplomate à Islamabad puis à Kaboul, la bienveillance de quelques compagnons de route de l’amitié franco-afghane, familiers des cols de l’Hindou Kouch, des quatrains des poètes et des rudes réalités de la géopolitique, je me suis pourtant essayé à l’exercice, cherchant des clés de compréhension entre « barbes grises » faisant glisser leur chapelet au long d’interminables jirgas, les assemblées tribales, et stratèges américains guidant d’outre-Atlantique leurs engins supersoniques, entre archéologues s’émerveillant depuis un siècle des statues gréco-bouddhiques et turbans noirs les détruisant à la dynamite, entre une jeunesse afghane aux manettes d’un paysage audiovisuel un temps exemplaire et le silence ou l’exil auxquels elle est depuis contrainte. Dans le bleu muet des burqas et celui, immaculé et éternel, du ciel des miniatures, dans la beauté inatteignable des paysages et l’horreur d’une violence morbide.

L’Afghanistan aime garder ses mystères. Il ne se prête pas à une lecture en noir et blanc trop souvent utilisée dans le langage de la guerre froide et celui de l’islamisme des tâlebân. Il ne rentre pas dans les slides des états-majors de l’OTAN. Il pratique le temps long des sociétés – « l’homme était pressé, il mit un siècle à se venger » dit le proverbe – et raffole des chemins de traverse de la poésie. Il fascine et déconcerte le voyageur tant ce dernier y aura projeté un puissant imaginaire. André Malraux, qui le découvre en 1930, en quête de « la beauté suprême par la sagesse suprême » de l’art gréco-bouddhique du Gandhara, bute sur un Kaboul qu’il trouve « moche » et fait dire à l’un de ses personnages que l’Afghanistan est « fantomatique et absurde » voire « qu’il n’existe pas ».

Sous ses enfermements, l’Afghanistan témoigne de la vie du monde. Ce qui s’y déroule bien souvent le dépasse. L’écrivaine suisse Annemarie Schwarzenbach l’avait observé lors de son voyage jusqu’à Kaboul, à la veille de la Seconde Guerre mondiale : « Ainsi l’Afghanistan est-il à la fois un centre nerveux très sensible de la politique internationale et un État très éloigné et très isolé du monde. » Il est situé au cœur d’une région en profonde mutation. À l’été 2021, les conditions chaotiques du retrait américain entraînant celui des Européens montrent que le temps des certitudes occidentales est révolu. Le golfe Persique s’émancipe. L’Inde affiche un « suprémacisme » décomplexé. Les nouvelles routes chinoises de la soie, les ports et les gazoducs dessinent une cartographie du vingt et unième siècle. L’historien René Grousset voyait dans la fièvre des conquérants de l’Asie centrale jusqu’aux extrémités du Vieux monde « les battements de cœur de l’Histoire universelle ». Qui eût cru que c’est autour de cette Tartarie des confins afghans que s’articule aujourd’hui le « pivot asiatique » de la diplomatie américaine ou « eurasiatique » de Vladimir Poutine ?

Pour la deuxième fois, le 15 août 2021, les tâlebân ont accédé au pouvoir – sans doute assez durablement tant leur contrôle du pays est complet. Ils apparaissent comme les « vainqueurs » d’une guerre sans fin, gagnée par la brutalité terroriste et le jet de l’éponge des Américains lors des conversations de Doha. Ils entendent mettre en œuvre une politique fondée sur une application stricte de la chari’a et qui, dans ses premières décisions, restreint jusqu’à la démesure les droits des femmes et des jeunes filles. Il se dit que ce serait le prix de la « paix » si longtemps espérée par une population épuisée par près d’un demi-siècle de violences de toutes sortes, depuis le coup d’État communiste de l’année 1978 – la révolution de Saur – et l’invasion soviétique qui s’était ensuivie, à la fin de l’année 1979.

L’Afghanistan est un pays important – pas simplement sur le plan de la géopolitique – et chercher à mieux le comprendre dans ses ressorts intérieurs a, sans doute, été coupablement négligé par ladite communauté internationale, dans son intervention militaire et politique au lendemain des attaques des tours jumelles à New York, le 11 septembre 2001. Elle était soucieuse de parer au plus pressé et convaincue de ses valeurs et de son savoir-faire. Son départ massif, vingt ans plus tard, tourne la dernière page d’une expérience en demi-teinte, avec des progrès tangibles en matière d’éducation, d’accès aux soins, d’infrastructures, de libertés publiques et de développement institutionnel – concomitant d’une incompréhension mutuelle qui s’est creusée au fil du temps. On qualifie aujourd’hui de « désastre » cet engagement et son issue piteuse, inévitable ou pas.

Le bouzkachi est le sport emblématique de l’Afghanistan. Il a été mis à l’honneur par Joseph Kessel dans son roman Les Cavaliers. Certains y voient une métaphore de l’Afghanistan sinon du monde, dans sa course aux grands espaces, sa violence et ses ruses, ses renversements d’alliance, son aspiration presque mystique vers une sorte d’infini. Sport équestre, il se joue en groupe, parfois en équipe. Le cavalier, appelé tchapendaz, doit s’emparer d’une carcasse d’animal lestée de sable, posée au sol, se dégager puis affronter la mêlée, contourner au loin un mât et revenir laisser choir le trophée dans un cercle dessiné à la chaux, appelé « cercle de justice ». La cavalcade sera heurtée, brutale, farouche, mais aussi élégante et ritualisée. On la savoure sans toujours la comprendre.

Pour tenter de « décoder » l’Afghanistan, il faudra se frotter à une géographie des extrêmes, une histoire qui remonte loin vers les grands mythes fondateurs, une actualité où les turbans noirs et les étendards blancs des tâlebân semblent vouloir écrire une nouvelle page au service de Dieu, une population dure à la tâche, qui cultive un déconcertant « égalitarisme », ne supporte pas la soumission et dit tuer, par respect, ses ennemis plutôt que les asservir. Tout en gardant en poche les poètes qui constituent, au bout du compte, les seuls maîtres spirituels de ces Afghans, dans leurs rêves, leurs combats et leurs souffrances.

Alors en route ! « Pain et oignon, front ouvert » dit le proverbe, c’est-à-dire en disponibilité et curiosité.

Des cerfs-volants dans la nuit

« Les clefs d’un royaume ». Cette expression est tirée du Babur nama, les mémoires de l’empereur Babour, fondateur de la dynastie moghole. Amoureux de l’Afghanistan où il a souhaité être inhumé, il sera un guide hors pair pour aborder la géographie physique et humaine de ce pays, conjuguant centralité et extrêmes, avec les conséquences contraignantes qui en découlent sur son positionnement géopolitique et les conditions de vie de ses populations. L’écrivain-voyageur suisse Nicolas Bouvier, auteur du livre culte L’Usage du monde, a ramassé ce constat dans une brillante formule : « Lorsque le voyageur venu du sud aperçoit Kaboul, sa ceinture de peupliers, ses montagnes mauves où fume une fine couche de neige, et les cerfs-volants qui vibrent dans le ciel d’automne au-dessus du bazar, il se flatte d’être arrivé au bout du monde. Il en est au centre. »

Du haut d’une carte, on voit en effet que l’Afghanistan n’appartient ni au Moyen-Orient qui achoppe sur le Khorasan, le « Soleil levant » des Perses, ni à l’Asie centrale qui s’étend à l’infini au-delà de l’Amou Daria, l’Oxus des Grecs, ni au sous-continent indien qu’ouvre la passe de Khyber, ni à l’empire du Milieu tutoyé dans les altitudes des Pâmirs, ni au golfe Persique dont il dépend pour ses approvisionnements. Il est pourtant au « centre » de ces régions majeures et, à sa manière propre, en absorbe et répercute les énergies, les contradictions et les dérives.

Attaché à cette centralité afghane, le grand botaniste français Jean-Marie Pelt situe dans la vallée de la Kunar, à l’est de Kaboul, le « centre de ce centre du monde ». Il y observera des flores d’origine à la fois méditerranéenne, asiatique, de l’Afrique sèche et de l’Himalaya humide. Dans son Carnet de voyage d’un botaniste, il s’enthousiasme : « Comment ne pas admirer l’ordre merveilleux de la nature qui a organisé une coexistence si subtile entre végétaux d’origine si diverse », ajoutant malicieusement « on se prend à rêver que les Afghans s’inspirent de cet étonnant modèle ». Terre hospitalière, l’Afghanistan l’est aussi pour le passage des oiseaux migrateurs, cigognes, aigrettes, pélicans et flamants qui, chaque printemps, remontent du Sud de l’Inde vers la Sibérie et le Caucase. Mais plus largement, note Sophie Makariou, ancienne présidente du Musée national des arts asiatiques Guimet : « L’Afghanistan est un œil sombre qui concentre énormément des tourments du monde ».

La géographie physique de l’Afghanistan, d’une superficie équivalente à celle de la France, saturée de contrastes et de ruptures, est exigeante. Elle impose une résilience. La montagne occupe une grande partie du pays. L’appareil principal est constitué par les chaînes de l’Hindou Kouch, derniers contreforts de l’Himalaya, qui se divisent en deux branches, celle qui descend du Pâmir et va se perdre en bordure de la frontière iranienne, celle plus centrale du Koh-I Baba. Toutes deux forment une barrière entre l’Afghanistan septentrional bordant les steppes de l’Asie centrale et l’Afghanistan méridional aux espaces minéraux et désertiques jusqu’à la frontière contestée avec le Pakistan. Ces massifs, dont les sommets atteignent 7 485 m pour le Nowshak et plus de 6 000 m pour une dizaine d’entre eux, sont habités à des altitudes élevées : la vallée de Bâmiyân se situe à 2 500 m, le col-tunnel du Salang à 3 363 m, Kaboul à 1 500 m.

Géométrie de vallées qui s’enfoncent dans la montagne, l’Afghanistan, pour le diplomate Pierre Lafrance, est un espace géopolitique « défini par ses cols qui font communiquer entre eux de vastes bassins fluviaux, parfois des hauts plateaux, et qui représentent autant d’aires culturelles différenciées mais intercommunicantes ». On peut considérer, ajoute-t-il, qu’il y a des « sociétés afghanes » au pluriel mais qu’elles s’inscrivent dans une géographie qui, pour chaotique et extrême qu’elle soit, n’est pas centrifuge et se vit au singulier. Les Afghans se sentent appartenir à un territoire même si les contours de ce dernier restent parfois « imprécis », psychologiquement et juridiquement.

Kaboul, éternel carrefour

Parcourir l’Afghanistan avec le Babur nama