Aimer durablement n'est pas plus naturel à l'Homme que la rose au jardin - Armand Lequeux - E-Book

Aimer durablement n'est pas plus naturel à l'Homme que la rose au jardin E-Book

Armand Lequeux

0,0

Beschreibung

Déjouer les pièges de la vie en couple pour durer !

Aimer durablement, s’engager aujourd’hui dans une relation amoureuse avec l’ambition qu’elle soit pérenne, c’est soit totalement ringard, soit complètement utopique. 
Et pourtant ! Nombreux sont les couples qui en rêvent en secret ou relèvent explicitement ce défi. Ils interrogent, puis rejettent les modèles des générations qui les ont précédés. Le prix que leurs grands-parents ont payé pour durer – les compromis, l’honneur et la réputation, le devoir et le sacrifice – leur paraît excessif et incompatible avec les valeurs contemporaines. Ils voient grimper les taux de divorces de la génération de leurs parents, qui a misé sur l’authenticité et la réalisation de soi. Alors ils savent qu’il leur revient d’inventer de nouveaux modèles.

Cet ouvrage ne donnera ni recettes ni mode d’emploi, mais proposera d’éviter quelques pièges. Il tentera de démonter certaines fausses évidences qui mènent trop de couples de bonne volonté au naufrage. Il posera la question de la fidélité et de l’érotisme au long cours. Il pourra suggérer de s’étonner, se séduire, se rechoisir, sans cacher que souvent le sentiment et l'amour durable ne sont pas plus naturels à l’homme et à la femme que la rose au jardin… 
Un livre idéal pour une relation stable et durable, et pour se sentir bien dans sa vie de couple.


EXTRAIT 
Elle a tant mis d’eau dans son vin, pour sauver son couple pendant cinquante ans, qu’Elisabeth ne partage plus qu’une vinasse sans saveur avec son vieux mari. Le jour des noces pourtant, le curé avait raconté une belle histoire d’eau changée en vin et elle y avait cru de toutes ses forces…

Le contrat d’amour durable à l’ancienne, celui qu’elle a signé il y a un demi-siècle, est un modèle qui fait naufrage. Il suffit de compter les divorces pour s’en persuader. Alimenté à l’énergie fossile du devoir, il était conçu pour naviguer peinard sur des voies bien tracées par les curés et les notaires, avec la honte et la réprobation sociale pour celles et ceux qui s’égaraient hors des balises. Le modèle ancien n’a pas résisté à l’appel des sirènes soixante-huitardes qui poussaient à jouir sans entraves, ni aux vents individualistes de l’impérieuse nécessité de la réalisation de soi.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 233

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



PRÉFACE

Seule une rose…

Peu importe ce que fait aujourd’hui la rose Ou ce qu’elle ne fait pas,

Peu m’importe tout cela Car maintenant je le sais bien,

Seule une rose peut faire grandir un poème Et le cœur d’un homme.

Yves NamurLes ennuagements du cœur

Vous tenez en main le livre d’un jardinier. Un horticulteur plus précisément. Car, de toute évidence, Armand Lequeux prend plaisir à cultiver ses roses. Et il sait les conditions d’une belle floraison, qu’il y faut du soleil, de la pluie, parfois de l’engrais (pas trop !), de la bouillie bordelaise si possible, des coups de sécateur de temps en temps… Attention : se méfier de l’oïdium ! Prendre patience aussi car on doit parfois engager des années de soins attentifs avant que de jeunes rosiers ne consentent à fleurir.

La rose pleure quelquefois. Comme nos amours. Elle peut se fatiguer, s’endormir. Et les pétales se fanent… Mais il lui arrive aussi d’« oublier le poids de l’abeille ». Elle se sent alors si légère qu’elle se met à danser.

Après avoir lu Aimer durablement, je me sens léger et joyeux. De cette joie rare qui nous rejoint quelquefois à la fin d’un poème. Mais le livre d’Armand Lequeux est un poème. Je veux dire qu’une parole le traverse, grave, exigeante, bouleversante parfois, donc une vraie parole, et c’est pour cela qu’il met le cœur en fête, même quand c’est difficile. Car le médecin-rosiériste qui a signé ces pages sait bien que le fleurissement du jardin conjugal suppose aussi d’accueillir le manque et la solitude. L’amour nous veut vivant répète l’auteur à plusieurs reprises, « il n’a pas l’obligation de nous rendre heureux ! »

Plus j’avançais dans la roseraie du docteur Lequeux et plus je sentais le jardin du Cantique des Cantiques venir jusqu’à moi. Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais moi, j’ai besoin de lire plusieurs livres à la fois. Souvent très différents. Ça me stimule. J’ai plaisir à les faire marcher l’un vers l’autre. Ainsi, je peux me trouver le même soir dans la Bible, dans un roman, un recueil de poésie et dans l’essai du professeur Lequeux ! Donc… Le Cantique accompagnait de plus en plus ma lecture, ce Poème desPoèmes qui sait si bien encourager les amants à se faire grandir l’un et l’autre :

Mon Bien-aimé élève la voix. Il me répond : Lève-toi, mon amie, ma belle ; va vers toi-même !

Car voici l’hiver est passé, les pluies ont séché.

Les fleurs se montrent à la terre… C’est la saison de chanter !

(Ct 2, 10-12)

Un Cantique qui chante aussi l’angoisse et l’inquiétude. Car il sait bien comme nous pouvons être boiteux, ce livre-là, et à quel point l’amour durable restera, jusqu’au bout, une audace et un étonnement. Une résistance aussi et une liberté comme en témoigne l’interprétation originale et peu conventionnelle de Marc Faessler et Francine Carrillo, qui voient dans le Cantique des Cantiques « un petit drame dans lequel Salomon, fort de son pouvoir royal, fait rechercher pour son harem les plus belles filles du pays ; ses émissaires repèrent ainsi une Sulamite pourtant déjà fiancée à un berger, mais qu’ils emmènent de force au palais royal, à Jérusalem ; toutefois la Sulamite résiste à Salomon, et son bien-aimé, rôdant autour du palais, finit par la rejoindre et l’enlever pour la ramener à Sulem1 », son village. J’aime bien cette hypothèse qui nous suggère qu’en distinguant trois personnages au lieu de deux – Salomon, la Sulamite et son amant de berger – le Cantique serait plutôt un drame prophétique à rapprocher d’Osée, de Jérémie et d’Ezéchiel. Un drame où Dieu n’est jamais là où on l’assigne, un drame où le risque d’idolâtrie se trouve à l’intérieur de la passion amoureuse elle-même, un drame subversif, surtout pour l’époque, puisque la femme va s’écarter du faux dieu du pouvoir pour rejoindre le vrai dieu de son désir…

Il me semble – je ne veux pas forcer mais, quand même, vous verrez – qu’Armand Lequeux, d’une certaine manière, nous raconte ce drame-là. Drame au sens étymologique, bien entendu, drama c’est-à-dire intrigue. C’est bien une intrigue que propose Aimer durablement, avec des tas de personnages, Manuela, John, Caroline, Vincent, Pierre, Françoise… qui nous confient de manière si juste un moment de leur histoire, avec du suspense, des retournements, des surprises, des rires et des pleurs, du désir, de la colère, des pourrissements et des fleurissements… comme dans la vie ordinaire.

Et puisque notre jardinier-sexologue nous propose des histoires – y compris un magnifique conte situé en pays Syldave ! Chuut, vous verrez… – sa façon si personnelle de parler de l’amour durable m’a entraîné vers une autre lecture encore du Cantique des Cantiques, mais du côté, cette fois, de la reine de Saba, celle qu’on appelle aussi la reine du Midi et que le poète Jean Grosjean choisit de nommer Balkis. Une relecture qui ne me paraît pas du tout étrangère aux propos d’Armand Lequeux. Voyez plutôt.

Donc… Salomon réussit à faire venir dans son palais cette reine très admirée dans sa région d’Arabie du Sud. D’autres sources prétendent que c’est elle qui veut consulter ce roi dont la réputation de sagesse dépasse les frontières. Patience. Il ne sait pas encore à qui il a affaire. Elle non plus d’ailleurs ! Et comme sa capacité de séduction n’est pas qu’imaginaire… elle s’est « vêtue de soie rose sombre pour pouvoir rougir à visage découvert2 ». Je passe sur les préliminaires et vous entraîne directement dans le vif d’une conversation au jardin, après quelques années déjà, d’aventure conjugale :

Balkis : Avec toi, on ne peut jamais discuter. Il faut toujours que tu trouves des raisons à tout. Est-ce que tes réponses ne sont pas une façon de me fuir ?

Salomon : Ou de t’aimer mieux que tu ne m’aimes. Balkis : Vantard.

Salomon s’est éclairé d’un long sourire. Il aimait les insurrections de la Sabéenne. Il avait été heureux d’être aimé au lieu d’être adoré. Balkis l’avait guéri des courtisans. Au lieu de se dominer pour dominer les êtres, il apprenait à être livré. Elle était une intervention du ciel, mais elle ne le savait pas. Elle était cause d’une conversion qu’elle ne voyait pas. Et à mesure que Salomon se simplifiait, elle le trouvait plus mystérieux3.

Quel magnifique chemin : se simplifier ! Mais n’est-ce pas aussi la plus belle rose de l’amour durable ? D’ailleurs, autant vous le dire, les roses que moi je préfère sont plutôt de la famille des églantines. Il me semble qu’au-delà de ses nombreuses observations si pertinentes, l’auteur nous entraîne surtout vers le dépouillement de la simplification.

Ce matin-là, Balkis – puisque je ne la quitte pas ! – s’est assise sur le banc du poirier. Habillée en jeune homme, elle dit à son amoureux de Salomon :

Balkis : Si tu devais changer…

Salomon : Comment changer ?

Balkis : Vieillir.

Salomon : Ach.

Balkis : Tu crois que je me serais intéressée à toi ? Salomon : Tu as le mot pour rire.

Balkis : On ne peut jamais parler avec toi.

Salomon : Ni chanter. Tu vois que l’oiseau s’est tu. Balkis : Écoute-moi donc.

Salomon : Moi, je vais te dire.

Balkis : Oui ?

Salomon : On ne peut jamais parler avec toi.

Balkis : C’est tout ?

Salomon : Tu vois.

Balkis : Mais quoi encore ?

Salomon : Je sais ce que tu voulais. On peut même le dire en disant le contraire.

Balkis : Dis.

Salomon : Si tu ne devais pas vieillir (c’est toi qui parles), je ne me serais pas encombrée de ton cœur.

Bakis : C’est vrai aussi. Tu sais bien que j’ai préféré ta fragilité d’homme à la perfection des dieux4.

N’est-ce pas pour cela, finalement, que le livre d’Armand Lequeux me touche tant ? Tout son texte est un plaidoyer pour la fragilité, contre la perfection.

Salomon ne parlait plus guère. Son amoureuse, plus amoureuse que jamais, restait à son chevet et « relisait le cantique en tenant la main du moribond. Elle voyait les paroles se dissocier des doigts qui les avaient inscrites.

Mais à mesure qu’elle sentait s’écarter d’elle son camarade, elle sentait le langage qu’il laissait lui brûler le cœur. Le camarade la désertait mais elle était submergée par l’écriture :

Je te suivrai si tu m’attends mais si tu n’en as pas le temps laisse-moi te lire à ta flamme5.

L’oraison funèbre de la reine d’Armand Lequeux, la reine de Syldavie, me paraît si proche de l’oraison de la reine de Saba.

La première dit :

Je suis vivante. Merci à toi.

Et la seconde :

Les jours dont tu fus la clarté et les nuits dont tu fus les songes ont été ma vie que ne rangent ni le temps ni l’éternité6.

Je pouvais m’arrêter ici… puisque je souhaitais surtout vous faire entendre – un peu ! – le son d’Aimer durablement. N’est-ce pas le plus important ? J’y ajoute quand même quelques mots qui viennent caresser le sens. Pour dire que c’est un texte remarquable de pédagogie. La vraie ! Celle qui entraîne comme y invite l’étymologie du mot : le voyage des enfants. Et les amoureux ne sont-ils pas des enfants en voyage ? Un texte qui analyse, il ne faut pas s’y tromper. Et qui analyse au-delà de la vie du couple. Car c’est toute une société qui se raconte ici à travers les trois générations que l’auteur met en scène. Et chaque détail sonne si vrai. Un texte audacieux, jusques et y compris – et ça se discutera, tant mieux ! – dans sa volonté d’encourager un nouveau type de contrat conjugal que l’auteur appelle « contrat de bienveillance mutuelle inconditionnelle ». Un texte qui fait honneur à l’écriture, plein d’imagination, où les flèches rencontrent la cible – et où la parabole, dans son raccourci, permet de creuser plus profond. Un texte surtout, habité par un humour constant et parfois décapant. J’ai vraiment beaucoup ri et mieux compris encore à quel point l’humour et l’amour devraient le plus souvent possible se donner la main.

Je suis sûr d’une chose : ce livre va vous fleurir. C’est déjà bien. Mais son ambition est plus forte : il va vous faire fleurir. Ce n’est pas rien. Surtout si l’on en croit Hölderlin quand il affirme que notre floraison hâte la floraison du ciel ! Hâtons-nous lentement… Armand Lequeux, justement, ne veut rien précipiter. Je le soupçonne même de penser que le ciel est ici, quand je te rechoisis. Et que seule une rose peut faire grandir le poème de l’amour durable.

Gabriel Ringlet

1. Marc Faessler et Francine Carrillo, L’alliance du désir. Le Cantique des Cantiques revisité, Genève, Labor et Fides, 1995, p. 5.

2. Jean Grosjean, La reine de Saba, Paris, Gallimard, NRF, 1987, p. 31

3. Op. cit., p. 41.

4. Jean Grosjean, La reine de Saba, op. cit., pp. 84-85.

5. Jean Grosjean, La reine de Saba, op. cit., pp. 113-114.

6. Op. cit., p. 121.

1 Les préliminaires

Le spectacle insolent d’un couple qui se connaît à vingt ans, s’aime, se le répète et meurt heureux remplit d’aigreur la plupart des gens.

Michel Déon

Elle a tant mis d’eau dans son vin, pour sauver son couple pendant cinquante ans, qu’Elisabeth ne partage plus qu’une vinasse sans saveur avec son vieux mari. Le jour des noces pourtant, le curé avait raconté une belle histoire d’eau changée en vin et elle y avait cru de toutes ses forces… Le contrat d’amour durable à l’ancienne, celui qu’elle a signé il y a un demi-siècle, est un modèle qui fait naufrage. Il suffit de compter les divorces pour s’en persuader. Alimenté à l’énergie fossile du devoir, il était conçu pour naviguer peinard sur des voies bien tracées par les curés et les notaires, avec la honte et la réprobation sociale pour celles et ceux qui s’égaraient hors des balises. Le modèle ancien n’a pas résisté à l’appel des sirènes soixante-huitardes qui poussaient à jouir sans entraves, ni aux vents individualistes de l’impérieuse nécessité de la réalisation de soi.

Marianne, sa fille, n’a jamais voulu boire à cette coupe du devoir avant tout, des sacrifices, des compromis, des collusions névrotiques. Elle a préféré le vin fort et capiteux de l’amour à mort, celui qui fait tourner les têtes folles et donne la gueule de bois. L’amour face nord ! Elle a souvent dévissé. Elle a divorcé deux fois et vit seule désormais. Son chirurgien plasticien lui a remodelé les seins et raboté les cuisses. Ses amants de passage ne s’attardent guère sur ses cicatrices… Le modèle d’amour jetable qui a dirigé sa vie sentimentale et sexuelle navigue toujours, mais il rejette sur les récifs et les bancs de sable une grande quantité de passagers qui paient d’une totale solitude le prix de leur liberté.

Delphine est vaccinée. Le sacrifice plaintif de sa grand-mère et les alternances d’exaltation romantique et de dépressions réactionnelles de sa mère, elle n’en veut pas. Amour toujours ? Elle en rêve en secret, mais ses petits amis s’enfuient et ses copines rigolent quand elle ose en parler. Elle aime du bout des lèvres, au jour le jour, entre Red Bull et Bacardi Breezer. Autour d’elle, ce n’est que paradoxe et contresens : une quête effrénée d’amour tout en le redoutant, un désir de liberté totale et un rêve d’engagement à mort… Elle attend la sortie d’un nouveau modèle d’amour. C’est encore flou, mais elle voudrait quelque chose de souple et solide à la fois, malléable et résilient, totalement fiable et inaltérable, mais toujours risqué et perpétuellement renouvelé, parfaitement libre et solidement ancré… Elle rêve ? Et pourtant, avec sa génération, c’est elle qui inventera la recette du nouvel amour durable. Ce livre ne fera qu’en suggérer quelques ingrédients. Aimer durablement n’est plus une obligation sociale ni un devoir moral, c’est devenu un choix qui, si l’on en croit les enquêtes1, n’est pas aussi ringard qu’on pourrait le penser. Dans la pochette de la liberté toute neuve qui est à la disposition de la génération de Delphine, le mode d’emploi est encore un brouillon. Elle devra le compléter, l’amender et le rédiger comme un modèle évolutif et personnalisable par chaque couple.

Il conviendra aussi de donner sens à cette ambition d’aimer durablement. Pourquoi ? Pour qui ? Au nom de quelles valeurs ? Elisabeth avait des réponses toutes prêtes (le devoir, la réputation, la dépendance économique, l’éducation des enfants, le respect de la parole donnée, etc.), Marianne ne voulait plus y croire. Delphine devra se montrer inventive ! Nos besoins fondamentaux ne changent guère (se percevoir en sécurité, se sentir aimé, se croire utile, être considéré à la fois comme un sujet autonome et comme un maillon du tissu social, etc.), mais leurs formes d’expression et leur importance respective évoluent. Face à notre solitude existentielle, qui reste une constante, le couple garde (mythe ou réalité ?) sa réputation d’être un puissant antidote. La recette du couple nouveau mijote dans des casseroles neuves avec les ingrédients de toujours. Seules changent les proportions : une bonne dose de tendresse avec une pincée de passion, beaucoup d’humour, de l’érotisme et de l’attachement… Nous oserons dans cet essai proposer quelques contre-vérités, dénoncer des erreurs culinaires qui risqueraient de rendre la vie à deux trop indigeste. Nous réfléchirons au type d’énergie renouvelable qui pourrait faire bouillir durablement les marmites de l’amour…

À propos d’énergie, il est peut-être temps que je précise ici l’origine de celle qui m’anime et alimente mes réflexions. Elle est triple en réalité. Il y a d’abord les rencontres innombrables et les confidences qui me furent offertes dans l’exercice de ma profession de médecin gynécologue et sexologue. Viennent ensuite les lectures et les colloques, les discussions avec mes collègues et nos étudiants, dans le cadre de mon enseignement à l’Université de Louvain, en Belgique. Enfin, une source jaillit de ma vie privée, dont vous ne saurez rien, bien entendu !

Comme vous le savez, en amour, les préliminaires sont importants. Il faut d’abord que je vous précise les limites de cet ouvrage. Elles sont nombreuses ! Ce livre n’aborde guère l’interculturalité qui caractérise pourtant de plus en plus nos cités modernes, ensuite il considère trop souvent le couple comme un système clos alors que la conjugalité baigne évidemment dans une société qui l’influence et qu’il construit… Par ailleurs, alors que je semble écrire pour Delphine, je la connais en réalité fort peu, ainsi que son amoureux que nous appellerons Bruno ! Mon âge, ma vie relationnelle et mes choix professionnels m’ont conduit à fréquenter plus souvent Elisabeth et Marianne. Ce biais n’est peut-être pas un vice rédhibitoire si, comme je le conçois, cet ouvrage consiste surtout à critiquer les anciens modèles de couples et à faire des propositions ouvertes sur un futur qui ne m’appartient pas.

Enfin, pour clore ce prélude, croyez bien que les considérations qui vont suivre se veulent dépourvues de jugement sur quiconque. Certains passages de cet essai pourraient mettre mal à l’aise ceux qui ont ramé ferme pour tenir leur couple à flot et qui l’ont vu sombrer, alors qu’ils rêvaient d’amour insubmersible. Ils sont peut-être en train de lever les voiles d’un nouvel esquif, avec une nouvelle compagne, un nouveau compagnon de voyage, et je leur souhaite bon vent, long vent. Sont-ils restés sur la grève à se laisser bercer tristement par le murmure des vagues qui viennent mourir à leurs pieds ? Peut-être sont-ils très heureux de se balancer dans un hamac en solitaire, la tête dans les nuages et les doigts de pied en éventail, au grand soleil… Solitaires et malgré tout solidaires de tous les couples qui les entourent.

Alors quel sera le fil rouge de ce livre ? Vous souvenez-vous de ces démonstrations de mathématique qui prouvaient par l’absurde que, dans une alternative binaire, une proposition était forcément vraie si l’autre était fausse ? Notre vie relationnelle est un système beaucoup plus complexe et mes connaissances mathématiques sont si rudimentaires que je ne m’aventurerai pas plus avant dans la métaphore, mais je vous propose cependant de la conserver en arrière-fond de nos réflexions. Nous partirons de poncifs et de représentations qui me paraissent incompatibles avec un modèle de nouvel amour durable électif et nous les critiquerons pour les transformer en propositions positives. Je tordrai donc le cou à certaines évidences. Rassurez-vous, vous n’êtes pas obligés d’être d’accord avec la liste qui suit !

Non, les amours cassées ne sont pas irréparables…

Non, bien communiquer n’est pas la clé de l’amour durable…

Non, l’amour n’est pas seulement fait de sentiments et d’émotions…

Non, l’amour ne rend pas transparent et il n’a pas l’obligation de nous rendre heureux…

Non, l’amour ne naît pas nécessairement d’un coup de foudre et il n’en meurt pas toujours…

Non, l’amour n’interrompt pas la nécessité de choisir, ni de séduire…

Non, la sexualité n’est pas un besoin, elle est un désir…

Non, l’épanouissement sexuel n’est ni nécessaire ni suffisant pour bâtir un couple durable…

Non, la fidélité ne commence pas en dessous de la ceinture…

Non, l’amour d’un enfant ne soude pas le couple parental…

Non, l’amour ne cesse jamais de s’étonner et il n’a pas pour vocation de changer l’autre…

Non, l’amour n’est pas interdit aux clones…

Non, l’amour n’empêche nullement la solitude existentielle…, il n’est pas là pour nous rendre heureux, mais vivants ! Est-il plus fort que la mort ? Là vous répondrez vous-même… si vous avez eu le courage de me lire plus avant.

Mais d’où surgissent ces évidences que je vous propose de contester ensemble ? Derrière ces truismes à géométrie variable, il y a, je crois, une puissante et dominante représentation sociale de la relation amoureuse qui est devenue un mythe actuel : celui de l’AMOUR NATUREL ! Les contemporains de Marianne ont rejeté les contraintes externes (normes sociales, religion, réputation…) sous l’impulsion soixante-huitarde et sa célèbre interdiction d’interdire. Cette génération semble cependant n’avoir pas mieux toléré la liberté que les précédentes, car elle s’est empressée de s’imposer à elle-même une puissante norme intériorisée : sois toi-même et prends ton pied ! Cette exigence n’étant accompagnée d’aucun mode d’emploi, l’idéologie qui en naquit a cherché sa justification dans la nature (les intellos partent élever des chèvres dans le Massif Central et l’écologie politique fait ses premiers pas) et dans le naturel.

Comme l’éducation des enfants, l’amour devient naturel, toute contrainte et tout effort sont proscrits, tout va de soi. Les amoureux s’éprennent l’un de l’autre par affinité naturelle, par le jeu subtil des phéromones et de l’attirance sexuelle, des sentiments et des émotions. Ils s’engagent à fond, avec authenticité – c’est la qualité essentielle exigée – sur cette fondation naturelle et structurellement fragile. En effet, sauf exception, la passion amoureuse spontanée ne dure que quelques années, la base s’effondre, l’engagement est caduc et on se sépare !

Pour répéter le scénario à l’identique avec un nouveau partenaire ? Pourquoi pas, mais à quel prix et jusques à quand ? Ou pour en tirer les leçons et abandonner ce mythe de l’amour naturel ? Il y a là comme un deuil du paradis perdu et l’acceptation de la nécessité du travail ! L’amour se construit, s’élabore comme le chef-d’œuvre d’une vie… Le voici donc dégagé de sa pelote de laine notre fil rouge : à part l’intuition créatrice du début, un chef-d’œuvre relève moins de la spontanéité que de la persévérance, il y faut de la sueur et des larmes… Reconnaissons que ce n’est guère tendance, que nous n’allons pas nous caresser dans le sens du poil. Vous suivez toujours ? Aimer durablement n’est pas plus naturel à l’homme et à la femme que la rose au jardin…

1. Sondage BVA/Psychologies, 2009 : 74 % des 18-24 ans espèrent vivre un amour durable et fidèle.

2 Non, les amours cassées ne sont pas irréparables…

La question la plus actuelle posée aux histoires d’amour ne semble plus de savoir pourquoi elles finissent, mais pourquoi certaines ne finissent pas…

Pascal DuretLe couple face au temps Armand Colin, Paris, 2007

On devrait faire le procès posthume de Marcel Bich et exiger de ses héritiers qu’ils financent des centres de coaching conjugal gratuits et accessibles au plus grand nombre. Après avoir acheté à Lazlo Biro le brevet du stylo à bille, le baron Bich a inventé en 1950 le concept du jetable, en mettant sur le marché le premier objet de consommation de masse à usage unique, le célèbre Bic. Il fut suivi par tant d’autres, et avec un tel succès, qu’il n’est actuellement plus nécessaire d’indiquer jetable sur votre four à micro-ondes ou votre téléphone portable. À la première panne, vous comprendrez vite qu’il est préférable d’en acheter un neuf plutôt que de vous obstiner à vouloir le faire réparer. Les départements des ressources humaines de nos entreprises ont suivi le mouvement : on n’adapte plus le travail aux employés, on jette ceux qui sont cassés en les faisant ainsi participer au processus de dégraissage. J’ai longtemps cru que ce terme n’était applicable qu’au bouillon de poule et au filet de porc, mais il est pourtant classiquement reconnu comme favorable aux cotations boursières de nos entreprises !

Quand on voit l’inflation des séparations conjugales et la réduction drastique de la durée de vie des couples actuels (statistiquement1 la moitié de celles et ceux qui se marient ou fondent un couple à vocation durable aujourd’hui vont divorcer et cinquante pour cent d’entre eux le feront dans les dix premières années de leur vie commune), on peut raisonnablement se demander si l’économie amoureuse de nos contrées n’a pas été entraînée dans le mouvement. Quand l’amour est cassé, on le jette. Ce modèle Kleenex a sans doute des avantages, mais il induit manifestement beaucoup de souffrances chez ses adeptes et plus encore sans doute chez leurs enfants. Alors avant de jeter, on pourrait se poser quelques questions… Après l’amour durable à énergie fossile, quelle place pour un amour durable à énergie renouvelable ?

Première question. En fait, qu’est-ce qui est cassé ? Si ce sont les illusions narcissiques de la fusion, c’est plutôt une bonne nouvelle et une chance d’accéder à une relation qui autonomise les personnes et favorise les échanges dans le respect des différences. Si ce qui s’effondre, c’est l’espoir de voir nos besoins mutuels comblés l’un par l’autre, voici une belle ouverture pour l’air frais du désir qui se nourrit du manque. Si c’est le jeu pervers de l’emprise et du chantage affectif qui a mal tourné, c’est l’occasion d’en changer les règles. Si l’ancien contrat est obsolète, signons-en un tout neuf !

Ensuite si c’est vraiment cassé, on pourrait d’abord essayer de réparer avant de jeter. L’amour se répare ? L’ignoriez-vous ? Nous eûmes, pour la grande majorité d’entre nous, l’occasion de l’expérimenter maintes fois pendant notre enfance, dans notre relation à nos parents. Quand maman et/ou papa mettaient des limites à notre ego surdimensionné, quand ils nous empêchaient d’avoir tout, d’être tout, nous étions en quelques secondes profondément seuls et malheureux, vraiment persuadés que l’amour était cassé, irréparable… Et puis voilà que, comme un soleil d’avril entre les giboulées, l’amour revenait, chaque fois incroyablement neuf. C’est ainsi que mûrissent les petits des humains, mais les enseignants et les psychologues nous disent qu’ils voient de plus en plus d’enfants-tyrans, déstructurés, qui n’ont pas reçu les balises, les limites de leurs parents. Ceux-ci avaient sans doute trop peur de n’être plus aimés et d’être jetés… Plus tard ces enfants risquent de manquer d’entraînement pour réparer leurs amours cassées.

Ce n’est pas la faute à Rousseau. Il disait que, si l’homme possède d’instinct les vertus nécessaires à sa socialisation, il doit être éduqué, guidé comme une plante par un tuteur. Ce n’est pas la faute à Freud. Il répétait que le degré de maturité d’un individu se mesure à sa capacité d’assumer la frustration. Ce n’est pas la faute à Dolto. Elle nous a appris que l’enfant était une personne, pas un roi sans limites. C’est bien la faute au baron Bich, vous l’aviez compris !

Comme le propose Serge Hefez2, nous devrions cesser de confondre le lien (ce qui nous unit) avec la relation (l’amour et/ou la haine, l’intimité, l’intersubjectivité). Contrairement à ce que nous pourrions penser, ces deux termes ne sont pas synonymes. La solidité de la corde qui relie et sécurise des alpinistes ne dépend pas de la qualité des relations qu’ils vivent entre eux. Quand bien même ils se détesteraient, cette corde leur apportera toujours une sécurité bien supérieure à toute entente cordiale non encordée ! Le lien est l’élément stable alors que la relation fluctue. Il en est ainsi pour la filiation comme pour le couple. Le lien qui relie un parent et son enfant est a priori indéfectible, incassable, jamais périmé. L’amour parental et filial, par contre, peut fluctuer selon les circonstances. Il peut s’absenter et renaître, un jour ou jamais. Sauf reniement explicite et exceptionnel, je serai toujours le fils de mes parents et le père de mes enfants, quel que soit par ailleurs l’état de nos relations.

Il en est de même dans un couple à vocation durable pour qui le changement de perspective par rapport aux anciennes générations est radical. Alors qu’il fallait naguère officialiser le lien avant de “consommer” la relation, il convient de nos jours de créer d’abord une relation, y compris au niveau sexuel, avant d’envisager de nouer un lien, ce qui ne va pas sans angoisses et tergiversations. Lorsque le couple est formé, c’est la qualité de la relation qui prime sur la valeur du lien. Quand les alpinistes ne s’apprécient plus, ils se désencordent et prennent des voies divergentes, à leurs risques et périls. Il y a sans doute là aussi un équilibre à rechercher entre un lien qui rassure sans entraver et une relation qu’il ne faut pas