Sexe, amour et société - Armand Lequeux - E-Book

Sexe, amour et société E-Book

Armand Lequeux

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Beschreibung

Tout, tout, tout sur la sexualité dans la sociétéL’auteur aborde les questions ou les sujets les plus variés tels que l’attente, la circoncision, le clitoris, le désir, les dysfonctions, l’envie, l’exclusivité, les fiançailles, les homofamilles, l’homosexualité, l’humour, l’injustice, Mars vs Vénus, la naissance, la panique, la pilule, les préludes, le pardon, la promesse, la psychologisation, le rêve, la sexologie, le temps, les vacances, la vérité et bien d’autres. À chaque fois, il donne un point de vue inattendu, souvent décapant, toujours décalé. L’humour est omniprésent. Tel un fil rouge entre les différents chapitres et thèmes abordés, l’auteur développe la richesse de nos manquements, de nos boiteries, de nos faiblesses, en amour, dans la sexualité et nos rapports sociaux. Le fil rouge, c’est aussi le lecteur et son désir, sinon de consommer, de connaître et de se servir...À PROPOS DE L'AUTEUR Armand Lequeux est docteur en médecine, gynécologue et sexologue. Il est professeur émérite de sexologie clinique en faculté de psychologie et faculté de médecine à l'Université de Louvain. Passionné par les relations amoureuses, le couple et la sexualité, pratiquant un ton impertinent parfois, mais juste et incisif, il publie régulièrement dans la presse des chroniques quelque peu décalées.EXTRAIT À quoi ça sert, en fait, la sexualité ? À faire des enfants, répondons-nous aux nôtres lorsque nous leur racontons l’histoire de la petite graine. Vous reconnaîtrez que c’est un peu court. Primo, les actes sexuels à visée procréative ne représentent qu’une fraction dérisoire des innombrables galipettes que nous pouvons faire dans notre vie, secundo nous pouvons, par des détours médicalement assistés, faire des enfants sans faire l’amour, et tertio la sexualité humaine ne se limite pas aux actes copulatoires. En amont et en aval, elle déborde de partout, telle une rivière en crue permanente.À la question de savoir pourquoi les humains ont des relations sexuelles, il y a la triple réponse classique : se reproduire, éprouver du plaisir et satisfaire un besoin. Un peu court, non ? On peut se douter que les motivations de nos contemporains sont quelque peu plus variées et, en effet, les études de terrain ne nous déçoivent pas. Cindy Meston (1), par exemple, a comptabilisé 237 raisons différentes d’avoir une relation sexuelle lors d’une enquête menée au Texas sur un large échantillon de personnes de 16 à 42 ans. Les motivations exprimées vont des plus basiques (tirer un coup ou profiter d’une opportunité) aux plus éthérées (vivre une expérience spirituelle ou se rapprocher de Dieu), des plus altruistes (rassurer mon partenaire ou lui procurer du plaisir) aux plus agressives (me venger de mon ex ou lui transmettre l’herpès ou le sida), des plus utilitaires (gagner une promotion, recevoir un cadeau, libérer mon stress ou améliorer ma réputation) aux plus romantiques (célébrer notre amour ou créer de l’intimité), en passant par les plus classiques (la curiosité, la preuve de mon pouvoir de séduction, le devoir conjugal, le souci de garder mon partenaire) et les plus sordides (le droit de cuissage, la force et la contrainte).

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L’auteur et les Éditions Mols remercient « La Libre Belgique » et « Psychologies Magazine » de les avoir autorisés à reproduire tout ou partie de certains chapitres du présent ouvrage.

AVANT-PROPOS

Boiter du sexe et danser ? Est-ce possible ? Je le crois. J’évoquerai pour vous en convaincre ces hommes, ces femmes et ces couples que j’ai pu rencontrer dans ma profession de sexologue et de médecin et qui souffrent dans leur sexualité dysfonctionnelle. Ils sont nombreux, j’en fus témoin, à danser et à construire, jour après jour, un amour qui se veut pérenne et qui leur donne joie. Jamais, ils ne m’ont jamais dit que l’épanouissement sexuel était un accessoire superflu de leur vie conjugale, mais ils m’ont aidé à comprendre que, d’une manière ou d’une autre, nous sommes tous boiteux et fêlés dans notre sexe. C’est peut-être en assumant cette faille que nous dansons le mieux !

Et nos amours ? Depuis la nuit des temps humains, dans les mythes, les contes et les légendes, à travers les arts et la littérature, toujours ils ont dansé, toujours ils ont boité. Sans relâche, jusqu’à nos jours. De quoi rêvent donc nos romans, nos films et nos séries télévisées ? Qui dope les ventes de la presse people ? Quel est le thème majeur de nos blogs et de nos forums sur internet ? Qui cherchons-nous sur les sites de rencontres et les soirées de speed dating ? Nous sommes très nombreux, quoi qu’on en dise, aujourd’hui encore, à vouloir danser… et à trébucher trop souvent au point d’encombrer les thérapeutes conjugaux, les notaires et les avocats. Plus rarement, les cours d’assises, les prisons et les soins intensifs ! Par l’amour nous pouvons recevoir et donner vie. Pour l’amour nous pouvons mourir et donner la mort.

Boitons-nous plus souvent ou plus douloureusement que nos parents ? Qui peut répondre ? Nous cachons sans doute moins nos boiteries. Nous osons claudiquer en public et proclamer haut et fort que l’amour fait mal. Nous sommes enfermés dans un sac de nœuds. L’exigence de notre épanouissement dans la réalisation de notre moi se fracasse contre notre besoin de sécurité et de reconnaissance qui passe par un attachement durable sans lequel nous ne sommes que fétus de paille emportés par le torrent de nos désirs et de nos sentiments. C’est bien cette opposition contemporaine entre liberté et attachement, entre autonomie et engagement, qui nourrit cet essai et qui – quelle prétention ! – pourrait aussi bien vous nourrir au passage par un peu de lecture. Alors à table ! Servez-vous. Venez découvrir dans cet ouvrage trois tables bien garnies. L’une vous propose du sexe, l’autre parle d’amour et la troisième un peu de tout, c’est-à-dire beaucoup de vous, un peu de moi et surtout de ce qui nous fait vibrer dans la vie.

Soyez gourmand ou gourmet, en carême ou boulimique, et prenez ce qu’il vous plaît, selon votre appétit. Servez-vous au buffet de la sexologie, des préludes et de la jouissance. Vous apprendrez que le clitoris n’est plus ce qu’il était, qu’il est peut-être urgent de sauver les prépuces de nos enfants et que le sexe fort n’est pas celui qu’on croit. Vous saurez pourquoi la sexualité humaine n’est jamais qu’un bricolage et comment, panique sous les couettes, le marché des dysfonctions sexuelles est si rentable.

Passez donc à la table de l’amour et servez-vous largement de rêve, d’humour et d’intuition, avant d’oser aborder les brisures et le pardon. Entre promesses et fiançailles, entre attentes et vérité, questionnez sans tabou la pérennité et l’exclusivité de vos liens amoureux.

Le troisième service vous ravira par son éclectisme : de la pilosité pubienne à la culture des choux, de la mère machine au besoin de vacances et au plaisir de la vacance. Faut-il dire Madame ou Mademoiselle ? Est-il encore Monseigneur celui qui condamne la pilule et abuse de ses neveux ? S’il convient de croire en Dieu, pourquoi pas à la pensée magique, à Mars et Vénus, ou encore au Père Noël ? Et si on essayait la psychologie positive ?

Chaque plat vous révélera un goût spécifique, une saveur particulière, tout en s’harmonisant avec ses voisins. Par quelle magie ? En toute modestie, par la grâce du cuisinier qui les a concoctés avec soin et à votre intention. Le lien entre ces rubriques ? Le fil rouge ? C’est vous, bien entendu ! Votre désir de découvrir une nouvelle épice, votre soif d’être surpris par un cépage inconnu. À consommer sans modération.

Bon appétit !

À quoi bon le sexe ?

À quoi ça sert, en fait, la sexualité ? À faire des enfants, répondons-nous aux nôtres lorsque nous leur racontons l’histoire de la petite graine. Vous reconnaîtrez que c’est un peu court. Primo, les actes sexuels à visée procréative ne représentent qu’une fraction dérisoire des innombrables galipettes que nous pouvons faire dans notre vie, secundo nous pouvons, par des détours médicalement assistés, faire des enfants sans faire l’amour, et tertio la sexualité humaine ne se limite pas aux actes copulatoires. En amont et en aval, elle déborde de partout, telle une rivière en crue permanente.

À la question de savoir pourquoi les humains ont des relations sexuelles, il y a la triple réponse classique : se reproduire, éprouver du plaisir et satisfaire un besoin. Un peu court, non ? On peut se douter que les motivations de nos contemporains sont quelque peu plus variées et, en effet, les études de terrain ne nous déçoivent pas. Cindy Meston (1), par exemple, a comptabilisé 237 raisons différentes d’avoir une relation sexuelle lors d’une enquête menée au Texas sur un large échantillon de personnes de 16 à 42 ans. Les motivations exprimées vont des plus basiques (tirer un coup ou profiter d’une opportunité) aux plus éthérées (vivre une expérience spirituelle ou se rapprocher de Dieu), des plus altruistes (rassurer mon partenaire ou lui procurer du plaisir) aux plus agressives (me venger de mon ex ou lui transmettre l’herpès ou le sida), des plus utilitaires (gagner une promotion, recevoir un cadeau, libérer mon stress ou améliorer ma réputation) aux plus romantiques (célébrer notre amour ou créer de l’intimité), en passant par les plus classiques (la curiosité, la preuve de mon pouvoir de séduction, le devoir conjugal, le souci de garder mon partenaire) et les plus sordides (le droit de cuissage, la force et la contrainte).

La structure du questionnaire permettait d’avancer plusieurs raisons différentes et les participants ne se sont pas privés de révéler (anonymement bien entendu) à quel point leurs motivations à s’engager dans une relation sexuelle sont riches, multiples, changeantes et souvent contradictoires. Les enquêteurs ont pu établir des classifications de ces diverses motivations, mais ils ne sont pas parvenus à enfermer chaque personne dans une boîte préformée, comme si le profilage individuel échappait à la stricte logique. Ceci conforte, me semble-t-il, cette notion que la sexualité humaine ne poursuit pas un but précis qui nous serait imposé par notre nature. Ce qui ne signifie pas que nous sommes autorisés à en faire n’importe quoi. Notre sexualité n’est pas détachée de notre personne et de sa dignité. Notre sexe nous constitue, nous construit et, dans le même temps, nous déchire. Il nous ouvre en béance pour donner la vie.

Notre sexualité est libérée de l’instinct : pas de périodicité hormonale impérative, pas de comportement stéréotypé en réponse à un stimulus spécifique. Par ailleurs, elle n’a rien d’un besoin physiologique. Nous la sublimons plus aisément que la fonction digestive ou respiratoire. Alors quoi ? C’est une force aveugle, une pulsion, un moteur… Spontanément, naturellement, nous ne savons ni à quoi ça sert, ni comment on s’en sert. C’est diablement plus compliqué qu’un meuble Ikea. Nous devons bricoler quelque chose avec un bidule puissant qui n’a aucune fonction précise et aucun mode d’emploi. Vous étonnerez-vous qu’il y ait des dérapages et des accidents ?

L’espèce humaine a dû aménager des digues pour canaliser cet impétueux torrent. Pour gérer leurs comportements sexuels, nos lointains ancêtres ont établi des tabous et des obligations, des limites et des contraintes. Ils les ont justifiés en inventant des mythes et des dieux, des religions et des idéologies. Avec l’interdit de l’inceste, ils ont structuré la filiation. Avec la nécessité de faire alliance pour pouvoir coucher ailleurs, ils ont inventé la société. En créant du lien, ils ont créé la culture et voici que dorénavant notre nature consiste précisément à nous dégager toujours plus de notre nature pour gagner en liberté et en responsabilité !

Tout cela à partir de la pulsion sexuelle, c’est génial non ? Béni soit le sexe ! Mais aujourd’hui, alors que nous avons déconstruit les idéologies et les religions, comment cette pulsion peut-elle encore donner sens à nos vies individuelles et collectives ?

Sans doute avec des limites et du lien, puisque c’est la formule magique de nos ancêtres ! Le mariage à l’ancienne établissait d’abord le lien. La sexualité venait ensuite le confirmer et, même si elles étaient largement transgressées, les limites étaient claires : hors du mariage point de sexe. Il faut le reconnaître, le modèle a explosé. La disponibilité d’une contraception efficace, le féminisme et le combat pour l’égalité des genres, l’exigence d’authenticité, la quête d’une libre réalisation de soi : tous ces éléments se sont conjugués pour transformer radicalement notre rapport au sexe. Il suffit pour s’en convaincre de réaliser que la virginité, qui était encore une valeur précieuse dans nos contrées il y quelques dizaines d’années, est devenue un handicap, du moins à partir d’un certain âge. Autre exemple : le statut de la masturbation. Cette pratique a quitté le domaine de la honte, du vice et du péché pour devenir un signe de bonne santé sexuelle !

La sexualité de nos jours précède largement le nouage du lien conjugal. Elle est exploratoire et participe au processus de sélection du partenaire. L’épanouissement sexuel est un prérequis à l’engagement de nos jeunes contemporains dans une relation amoureuse qu’ils sont encore nombreux à souhaiter durable. Le drame survient lorsque cette harmonie sexuelle devient une condition du maintien du lien. Quand on sait à quel point notre sexualité est fondée sur une pulsion brute, versatile et insensée, on comprend que le lien conjugal soit devenu si fragile !

Alors ? Faut-il espérer (ou craindre ?) un retour du balancier vers des valeurs anciennes ? On assiste, il est vrai, ici et là à une tendance au retour à l’ordre moral, depuis les programmes plutôt naïfs et inefficaces de l’administration américaine qui prêche l’abstinence et la virginité prolongée jusqu’à certaines manifestations haineuses et intolérantes qu’on a pu observer dans le mouvement français opposé au mariage pour tous. Je préfère parier sur l’inventivité des jeunes générations. À travers des comportements qui peuvent nous paraître débridés, ils inventent des liens virtuels, ludiques, temporaires ou conditionnels qui ont l’avantage de l’authenticité et qui valent bien l’hypocrisie de certains contrats de mariage à l’ancienne. Ils ne perçoivent plus la sexualité en noir et blanc comme les générations précédentes pour qui elle était sainte dans le cadre du mariage et perverse partout ailleurs. Ils voient le sexe en technicolor. Il n’est sacré que lorsqu’ils le décident librement. Leurs limites ne sont plus des bornes en pierre au bord de routes bien tracées, ce sont des balises virtuelles qu’ils déplacent en deux clics de souris comme sur les écrans de leurs ordinateurs. Ils n’ont pas de plan et ils ne veulent plus d’architecte. Il leur faudra de l’audace et de l’imagination. Osons leur faire confiance. Leur goût de vivre et d’aimer vaut bien celui de leurs aînés.

Le certificat rose

Éros est l’ami d’Esculape, nous l’avons toujours su, mais c’est désormais officiel. La science médicale a fait l’inventaire des bénéfices d’une activité sexuelle régulière et soutenue. Le bilan est édifiant. D’abord au niveau du cerveau : l’excitation sexuelle et l’orgasme stimulent sa vascularisation et libèrent dopamine, sérotonine, endorphines et autres joyeux neurotransmetteurs. Par ailleurs, et un peu plus bas, le risque de cancer de la prostate pour un sujet donné est inversement proportionnel au nombre de ses éjaculations annuelles.

Le bénéfice féminin n’est pas négligeable lui non plus. En tonifiant le périnée, les galipettes réduisent les risques d’incontinence urinaire et, en libérant de l’ocytocine, elles seraient protectrices contre le cancer du sein. Soyons honnêtes, ce dernier point n’est pas formellement prouvé.

Le bénéfice principal est cardio-vasculaire, là il n’y a pas de doute. L’exercice copulatoire ouvre les coronaires et renforce le myocarde. Par ailleurs, les pannes érectiles masculines sont un excellent indicateur prédictif des accidents cardio-vasculaires et elles conduisent de plus en plus de nos contemporains à abandonner le tabac. Comme vous le savez, la nicotine et les goudrons des cigarettes s’attaquent avec prédilection aux artères génitales. À partir d’un certain âge, les fumeurs constatent avec désespoir que seules leurs articulations connaissent encore les raideurs matinales. B… ou fumer, à vous de décider, voici un slogan plus efficace que la peur du cancer du poumon ! Si vous êtes obèse, hypertendu et sédentaire, observez de près votre bandaison. Au premier fléchissement, vous comprendrez qu’il est urgent de modifier votre hygiène de vie en attendant l’infarctus ou l’accident vasculaire cérébral.

Allez, la messe est dite : le sexe est bon pour la santé. Notre gouvernement ne pouvait plus l’ignorer. En concertation avec les instances médicales et les caisses de la sécurité sociale, il lance le projet des certificats roses, copié sur le modèle des certificats verts bien connus des investisseurs en énergie éolienne et photovoltaïque. Le principe est simple. Ces certificats roses sont délivrés aux couples, hétéros ou homosexuels, qui s’engagent sur l’honneur à remplir leur quota de relations sexuelles hebdomadaires. Le minimum requis est quotidien entre 20 et 30 ans, puis diminue d’une unité par décade. Un simple calcul vous permettra de vous situer : quatre galipettes hebdomadaires entre 50 et 60 ans et un petit effort chaque semaine entre 80 et 90 ans… Les modalités de contrôle sont à l’étude de même que la cotation en bourse de ces certificats.

Comme il fallait s’y attendre, ce projet ne fait pas l’unanimité. L’union des asexuels et celle des onanistes célibataires, la société protectrice du libertinage et la ligue de défense des aventuriers extraconjugaux s’y opposent. Ces associations dénoncent la discrimination qui porte préjudice à leurs membres qui ne peuvent de facto bénéficier de ces certificats roses réservés aux couples officiellement déclarés comme tels devant la loi. La cour des contes est interpellée et rendra son avis incessamment sous peu. À suivre donc.

Vous avez évidemment compris qu’il s’agit d’une plaisanterie. Elle pourrait d’ailleurs resservir pour un faux reportage lors d’un prochain premier avril. Au-delà du sourire que provoque cette innocente moquerie, nous pouvons aussi nous interroger sur le caractère obligatoire que prend trop souvent la sexualité de nos jours. Jouissez, c’est obligé ! Le plaisir sexuel serait donc devenu une exigence, une contrainte ? Faudrait-il prendre son pied à tout âge avec au moins autant d’intensité multiorgasmique que les autres et avec une fréquence digne de celle qui nous est proposée par les statistiques relayées par les médias et les experts en baisologie ? Cette nouvelle norme risque de provoquer d’inutiles et injustifiés sentiments d’insécurité et un manque d’estime de soi liés à d’humiliantes comparaisons réelles ou virtuelles. On y répond malheureusement aussi bien (je devrais dire aussi mal !) par une inhibition et des blocages que par de la violence et des passages à l’acte.

La circoncision, une exception culturelle ?

Soyons optimistes : malgré ses aléas, la conscience morale de notre humanité évolue positivement. Nous tendons à nous accorder de plus en plus de respect les uns aux autres, en particulier en faveur des femmes et des enfants. Je pense ici aux mutilations génitales féminines. Les défenseurs d’une exception culturelle, qui justifient les excisions du clitoris au nom d’une tradition ancestrale identitaire, sont largement dépassés par les tenants d’une conception universaliste des droits de l’homme. L’ONU et la convention internationale relative aux droits de l’enfant condamnent sans équivoque ces mutilations. La position de l’Université d’al-Azhar du Caire, référence majeure dans le monde musulman, reste par contre très ambiguë : elle a condamné cette pratique en 2006 pour la réhabiliter partiellement en 2008 ! On sait trop peu que 96 % des Égyptiennes sont excisées. Faut-il rappeler que les législations européennes interdisent formellement ces pratiques et font obligation aux soignants de les dénoncer ?

Ce quasi-consensus contre les mutilations génitales féminines honore notre humanité et conduit à poser la question, ô combien délicate, de savoir s’il n’est pas temps de reconsidérer le bien-fondé des circoncisions pratiquées sans raison médicale sur des enfants. Il convient d’aborder ce thème avec respect, car un tiers de la population masculine mondiale a subi une circoncision rituelle et l’immense majorité de ces hommes ne vivent pas cette pratique comme une mutilation, mais comme une nécessité, une évidence. Notre conscience morale cependant évolue et ose poser la question de la justification de cette amputation pratiquée sur des enfants qui n’ont évidemment pas donné leur consentement avant de la subir.

Ce sujet est très délicat, car il a des implications politiques, culturelles, religieuses, juridiques et sanitaires. Nous n’allons faire que l’évoquer ici, sans prendre parti, sans chercher la polémique, mais en ne feignant pas de croire que cette question ne se pose pas. Je suis persuadé, au contraire, que ce thème reviendra de plus en plus souvent et plus intensément audevant de la scène médiatique dans les années à venir.

Des voix s’élèvent et se regroupent sous la bannière de l’intactivisme – un mouvement qui exige de conserver intacts les organes génitaux de nos enfants – surtout aux États-Unis et au Canada. En Europe, le président de la société allemande de chirurgie pédiatrique, le professeur Ulrich Hoffmann, invite explicitement ses pairs à la prudence depuis 2011. Les circoncisions sans raison médicale pourraient faire l’objet de poursuites pénales ! En juin 2012, un tribunal de Cologne a considéré qu’on pouvait assimiler l’ablation du prépuce chez un enfant à une mutilation irréversible, avant que la cour fédérale allemande ne se voie contrainte de calmer la tempête devant le tollé provoqué par cette décision dans les communautés juives et musulmanes !

Jusqu’à la prochaine plainte ? On voit mal comment les codes juridiques des pays européens vont pouvoir continuer à justifier une sévère répression des mutilations génitales lorsqu’elles sont pratiquées sur des sujets de sexe féminin et ne pas évoquer les mutilations masculines aussi bénignes soientelles ! Cette bénignité est d’ailleurs relative, puisque les complications existent comme pour tout acte chirurgical (hémorragies, infections, douleurs, sténoses, etc.) La question du coût de ces interventions de convenance est également de plus en plus ouvertement évoquée. En Belgique, on compte près de 20 000 circoncisions médicalisées par an, dont coût environ 20 millions d’euros selon les relevés de la sécurité sociale. On considère généralement que moins de 10 % de ces interventions pratiquées à l’hôpital sont médicalement justifiées par un prépuce trop étroit (phimosis).

Le débat est ouvert. Pour certains, la circoncision ne peut absolument pas être comparée aux excisions féminines. Alors que cette dernière implique des risques sérieux pour la santé (hémorragies, infections, complications obstétricales) et porte gravement atteinte à l’épanouissement sexuel féminin, être débarrassé de son prépuce est un acte simple et hygiénique. Il diminuerait la transmission du virus HIV et n’aurait aucune répercussion sur la fonction sexuelle.

D’autres, par contre, mettent en évidence que, faute d’études objectives, les conséquences d’un tel geste irréversible ne sont pas assez prises en compte (2). Ils considèrent que sans raison médicale une telle atteinte à l’intégrité corporelle des enfants ne se justifie pas et que les motivations hygiéniques, rituelles ou religieuses qui les soutiennent relèvent d’un archaïsme qu’il est temps de remettre en question. Il n’est sans doute pas nécessaire de se faire une opinion définitive sur un sujet aussi délicat et controversé, mais il est bon, me semblet-il, de nous informer et de réfléchir ensemble dans le respect mutuel.

Le clitoris cet inconnu

On croyait tout connaître de nos anatomies, en particulier génitales, mais voici que l’exploration scientifique du clitoris commence à peine et qu’on se rend compte qu’il était moins bien connu que la face cachée de la lune… La médecine a longtemps négligé cet organe qui ne sert « que » au plaisir des femmes et ne joue aucun rôle dans la reproduction. Il a fallu attendre la fin du XXe siècle pour que des victimes d’excision rituelle osent demander à la médecine occidentale de leur venir en aide pour supprimer les douleurs résiduelles fréquentes au niveau des cicatrices et de leur rendre la sensibilité de leur zone clitoridienne, avec autant que possible accès à l’orgasme par sa stimulation. Les premières tentatives de réparation chirurgicale de ces mutilations, par Pierre Foldès (3) en France, furent accompagnées d’explorations scientifiques avec du matériel d’imagerie médicale de pointe. Les premières images complètes du clitoris en résonance magnétique datent de 2006 et ce n’est qu’en 2010 que paraissent les premières descriptions détaillées de ses modifications échographiques au cours d’un coït (4).

Résultats ? Le clitoris est bien plus important que le bouton magique qui, plus ou moins dissimulé sous son capuchon, se pointe à la jonction des petites lèvres vulvaires. L’essentiel de sa structure est interne : une double arche érectile enserre latéralement l’entrée du vagin et s’enfonce en profondeur dans le bassin. Elle n’est visible par imagerie médicale qu’en état d’excitation et de vasodilatation. Il faut que ça bande pour que ça se voie. L’expression est vulgaire, mais elle a le mérite d’être claire !

Voici qui explique, au moins partiellement, l’exquise sensibilité du point G que connaissent certaines femmes. Une stimulation de la paroi antérieure du premier tiers du vagin peut exciter à la fois des structures de type prostatique autour de l’urètre et des structures clitoridiennes. Voici qui prouve que le clitoris, par sa partie interne, peut être stimulé par le va-et-vient du coït. Voici qui met en évidence l’importance pour la fonction sexuelle d’une revalidation du plancher pelvien par la kinésithérapie après un accouchement. Voici qui encourage les femmes à explorer leur sensibilité vaginale. Il ne suffit peut-être pas de recevoir passivement le pénis de son partenaire, mais aussi de pouvoir le prendre et l’entourer activement. Prendre son pied est une expression qui rejoint ici une vérité sexologique : il ne suffit pas de recevoir, il s’agit aussi de prendre !

Mais enfin, me direz-vous, les femmes savent cela depuis toujours ! Elles n’ont pas attendu les progrès de la science pour découvrir leur jouissance et la connaissance détaillée de l’anatomie du clitoris n’est ni nécessaire ni suffisante pour vivre de somptueux orgasmes ! C’est exact…, mais pas pour toutes les femmes. Elles sont encore nombreuses à témoigner que ce n’est pas évident pour elles. C’est ainsi que selon la dernière grande enquête sur la sexualité en France (5), 24 % des femmes interrogées n’ont pas atteint l’orgasme lors de leur dernier rapport sexuel. Ce qui ne signifie pas qu’un rapport sexuel sans orgasme soit nécessairement vécu comme un désastre, mais celles qui ne l’atteignent que rarement sont nombreuses à souhaiter que ça leur arrive plus souvent !

On peut se poser des questions en observant que la science médicale et sexologique accuse un tel retard dans l’exploration de la génitalité féminine qui n’est pas en lien direct avec la reproduction. Faut-il aller jusqu’à oser penser que notre civilisation pratique l’excision symbolique du clitoris ? La jouissance féminine dérange-t-elle l’ordre androcentrique du monde ? Ce qu’il est convenu d’appeler la libération de la femme n’aurait donc modifié la situation que superficiellement ? Il suffit de remarquer que le clitoris reste absent ou à peine cité dans les ouvrages pédagogiques et les documents d’information utilisés pour l’éducation affective et sexuelle, y compris auprès des adolescents et jeunes adultes. Tabou persistant ? Ignorance délibérément entretenue ?

Et les hommes dans tout ça ? La plupart, dans notre société occidentale, ont appris à connaître et reconnaître cette exquise zone érogène qui permet à leur partenaire de s’envoyer joyeusement en l’air. Qui s’en plaindra ? Une ombre cependant sur cette évolution si positive : le mythe du Prince charmant est toujours bien vivant. On pouvait se croire très éloigné de la représentation du noble mâle qui réveille la princesse endormie, mais une part non négligeable de nos contemporaines considère encore que c’est l’homme qui est responsable, s’il y consent, de leur éveil sexuel et de leur plaisir. Une récente étude en milieu universitaire (ESFA/UCL, 2012) montre qu’un tiers seulement des étudiantes en psychologie et en sexologie, qui ont répondu à un questionnaire anonyme, osent demander explicitement à leur partenaire de stimuler leur clitoris, alors qu’elles le souhaitent… Qui a dit que la libération sexuelle n’avait pas encore eu lieu ?

La boucle du désir

Savez-vous pourquoi les femmes baissent les yeux quand on leur parle d’amour ? En fait, elles vérifient la véracité de la déclaration ! D’accord, la plaisanterie n’est pas de haut niveau, mais elle rejoint une autre caricature : demandez à un homme de décrire son désir sexuel, il vous parlera de son sexe. Parfois à la troisième personne du singulier. Il, mon pénis, a envie, il veut, il a des besoins… La boucle désirante (je suis excité, donc je désire, donc je suis excité) tourne vite et bien chez les hommes en bonne santé et c’est tant mieux, pour autant qu’ils évitent deux écueils, celui de l’excès et celui du manque.

Dans la dérive du trop, on rencontre des hommes qui interprètent la moindre de leurs érections comme un désir impérieux, un besoin à satisfaire. C’est la voie royale vers l’impérialisme machiste, l’abus, la violence, l’addiction. C’est le malheur de l’un qui fait le malheur des autres.

À l’opposé de cette pathologie de l’excès, il y a celle du trop peu. Il n’est pas exceptionnel, lors de consultations de sexologie, d’entendre une femme décrire sa souffrance de n’être plus désirée par son partenaire, qui reconnaît que sa libido est éteinte. Une écoute attentive permettra parfois de mettre en évidence que ce sont, en réalité, des troubles érectiles qui ont conduit cet homme à mettre ainsi son désir en berne. L’humiliation de la panne fut si puissante que la libido s’est éteinte. N’en déduisez pas trop vite que l’on soigne toutes les insuffisances de désir masculin avec du Viagra, mais cette option n’est pas totalement invraisemblable !

Tout en évitant la caricature Mars/Vénus, il faut reconnaître que cette boucle excitation-désir est souvent moins active chez les femmes. La plupart d’entre elles sont évidemment parfaitement conscientes des manifestations génitales de leur excitation sexuelle, mais ces réactions ne s’imposent pas avec l’évidence d’une érection phallique. Certaines femmes, qui souffrent d’insuffisance de libido, sont sans doute trop peu attentives à leur désir d’en bas, ce qui accentue les pannes du désir d’en haut.

Il peut s’avérer utile pour celles qui sont ainsi en souffrance par manque de désir d’apprendre (6) à se recentrer sur leurs sensations corporelles – relaxation, sophrologie, yoga, massages, etc. – et à focaliser leur attention sur les manifestations génitales qui accompagnent un stimulus sexuel, comme une lecture érotique ou la reprise progressive d’une intimité corporelle avec leur partenaire.

Pas question de Viagra cette fois, mais d’une réconciliation avec notre corps avec lequel nous entretenons si souvent une relation ambiguë, d’amour et de mépris, de respect et de honte. Encore une fois, c’est sans doute plus vrai chez les femmes. Elles sont plus nombreuses que leurs compagnons à souffrir de pathologies de leur image corporelle (anorexie, dysmorphophobie, recours déraisonnable aux produits dits de beauté et à la chirurgie esthétique, etc.).

Cette première boucle qui unit l’excitation et le désir ne serait rien sans la deuxième qui relie le désir partagé des deux partenaires amoureux. Ce que nous offrons de plus précieux à l’autre c’est notre propre désir et ce que désirons en lui c’est son désir pour nous. Quand nous le repérons, nous sommes comme un pétard qui n’attend plus qu’une allumette pour paraphraser Alain Bashung, le grand poète du désir.

Facile à dire ?

Vous connaissez bien entendu l’expression selon laquelle c’est plus facile à dire qu’à faire. Nous l’utilisons volontiers pour nous défendre des conseils de notre entourage lorsqu’il nous assaille de Tu devrais et autres Tu n’as qu’à, alors que nous sommes dans l’embarras ! Et bien à propos de notre sexualité, nous pouvons sans doute renverser cette phrase. Il est, je pense, plus facile de faire l’amour que d’en parler !

Une relation sexuelle est parfaitement possible dans l’anonymat, comme dans un cadre purement ludique ou commercial, mais dire en vérité ce que l’on vit à propos de sa sexualité exige confiance, ouverture et bienveillance. Ce sont des qualités plus précieuses et plus rares que la faculté de mettre à disposition mutuelle nos organes génitaux respectifs !

Il ne suffit pas évidemment que ce soit rare et précieux pour que ce soit utile… Quel peut donc être l’intérêt d’échanger verbalement à propos de notre intimité sexuelle ?

Sans verser dans la zoophilie, je me permettrai de sauter du coq à l’âne. J’ai toujours aimé le vin, mais depuis que des amis passionnés m’ont appris à le flairer, le humer, le goûter en y mettant des mots et en décrivant subtilement ses caractéristiques, j’en bois deux fois moins et j’en jouis dix fois plus ! Il en va de même, je crois, pour la fonction sexuelle. Si nous apprenons à percevoir, définir, nuancer et nommer nos sensations, nous pouvons décupler notre plaisir. En plus, et c’est peut-être le plus important, il peut s’agir là d’un lieu de rencontre spécifique d’une grande richesse entre conjoints ou partenaires qui ne souhaitent pas limiter leur sexualité à des échanges de fluides, aussi agréables soient-ils.

Te dire mon excitation, à travers ma pudeur et ma réserve, c’est te confier ma virilité ou ma féminité, ma fierté et mes peurs, ma force et ma faiblesse ! Te décrire mon plaisir, c’est te convier à la fête de mes sens, au partage de mes vibrations les plus intimes. Te parler de mon désir, c’est exprimer ce qui habite le creux de mon être, c’est jouer avec mes fantasmes sans devoir les mettre en œuvre et c’est entrouvrir, juste un peu, mon jardin secret. C’est aussi prendre le risque d’être incompris ou jugé, en pariant que tu pourras m’accueillir avec mes ombres et mes lumières.

Entendre ton désir, c’est accepter de déstabiliser la représentation rassurante que je me suis faite de toi, c’est reconnaître que je ne saurai jamais vraiment qui tu es ! C’est t’encourager à devenir de plus en plus toi-même, donc différent de mes projections sur toi. C’est aussi reconnaître que jamais je ne pourrai combler ce désir qui te creuse, qui te déchire.

Il ne s’agit pas de transformer notre lit conjugal en divan psychanalytique ni notre chambre en café philo. Il y a un temps pour agir et un temps pour parler, un temps pour vivre