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Au dix-septième siècle le mot Anatomie avait le sens général d'analyse, d'examen : c'est ce que se propose de faire ici le redoutable polémiste protestant Pierre Du Moulin (1568-1658), vis-à-vis de la Messe catholique, et plus précisément de passer au crible des Écritures bibliques et du témoignage des premiers écrivains chrétiens le dogme romain de la transsubstantiation. S'il avait dû composer aujourd'hui ce gros volume, nous aurions pu lui proposer de l'intituler plutôt : Autopsie de la Messe ; car la conscience populaire a évolué, et plus personne ne se pose certaines questions qu'il évoque, comme de savoir ce qu'il advient du corps de Christ quand une souris grignote l'hostie... Mais alors pourquoi le rééditer ? La visite de ce document historique reste un moyen de choix pour se rendre compte du niveau de superstition auquel un clergé corrompu a si longtemps réussi à abaisser les esprits ; par contraste, elle nous permet d'apprécier l'immense érudition qu'avait acquise ce héros protestant, dans un temps où n'existaient pas nos bibliothèques modernes. Enfin, profitant du recul des siècles, nous y redécouvrons encore une fois ce principe, que toute autorité humaine, tant spirituelle que temporelle, marche inévitablement à sa ruine, dès qu'elle prétend à l'infaillibilité. Cette numérisation ThéoTeX reproduit le texte de 1636.
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Seitenzahl: 719
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322462384
Auteur Pierre Du Moulin. Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.ThéoTEX
site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]Mademoiselle,
Dieu vous ayant donné une ferme confiance en ses promesses, n'a point voulu que cette foi fût sans exercice: car vous visitant d'afflictions cuisantes, il vous a mise pour un exemple de constance, et d'un esprit qui demeure en bonne assiette, et garde sa tranquillité parmi cette agitation. Les vicieux vivent en inquiétude au milieu de la prospérité, parce qu'ils sont mal avec eux-mêmes; mais ceux qui craignent Dieu jouissent d'un doux contentement parmi les afflictions, parce qu'ils sont bien avec Dieu. Ils prennent les plus rudes épreuves pour avertissement, comme si Dieu leur disait: Lève-toi, car ce n'est pas ici le lieu où il faut t'arrêter. Joint que Dieu ayant rempli votre esprit d'une grande connaissance en sa Parole, vous gardez au cabinet de votre cour multitude de remèdes, et avez l'emplâtre prêt avant le coup. Et le plaisir que vous prenez à vous entretenir avec Dieu par prières assidues, et à verser vos soupirs au sein de votre Père, tempère vos douleurs d'une douce consolation; et la grâce que Dieu vous fait de l'aimer ardemment, vous est un certain témoignage que Dieu vous a aimée. Car il plante son amour dans les cœurs de ceux qu'il aime; les ayant aimés, non pas parce qu'ils étaient bons, mais afin qu'ils le soient. De cette source vient ce zèle ardent qui vous consume; et ces vertus dignes d'un meilleur siècle que celui-ci: auquel la piété est devenue un crime, et la lumière de l'Évangile est offusquée par des ténèbres plus noires que celles d'Egypte. Mais Dieu n'abandonnera jamais sa cause; et bien que Satan travaille puissamment à saper les fondements de l'Église que Dieu a recueillie en ce lieu, si est-ce que j'espère que vos prières, et votre zèle et piété reculeront les mauvais jours, et attireront sur ce pauvre troupeau la bénédiction de Dieu. C'est ce qui m'a mû à vous dédier ce mien travail. Car étant fait pour la défense de la cause de Dieu, il est convenable qu'il porte sur le front le nom d'une personne qui brûle du zèle de sa maison. J'ai tâché d'y dépeindre de vives couleurs l'abus qui règne aujourd'hui au monde, et porter la lumière dans ces ténèbres, et ramener les esprits qui ne s'étudient point à ignorer, et ne se fourvoient point exprès, à la source de vérité, qui est l'institution du Seigneur. S'il ne sert à la principale fin pour laquelle je l'ai entrepris, peut-être que d'autres y profiteront, et y reconnaîtront l'évidence de la vérité. Au moins vous y aurez un témoignage du respect et honneur que je porte à votre qualité et à votre vertu.
Dieu qui tient en sa main les cœurs des princes et des peuples comme le décours des eaux, et les incline où il veut, veuille donner efficace à sa Parole, et exauçant vos saintes prières, vous conserver longtemps en toute prospérité!
A Sedan, ce 4 de mars 1636.
Monsieur, et très-honoré frère,
Je ne puis dédier plus justement mes labeurs, qu'à ceux desquels la vertu m'est en exemple, et l'amitié fraternelle en encouragement; entre lesquels si je vous mets des premiers, je n'estime pas qu'aucun y trouve à redire: vu que le zèle et l'aptitude avec lesquels vous vous employez au ministère de l'Évangile sont connus de tous; et qu'étant demeuré debout parmi les ruines et horribles désolations du troupeau qui vous est commis, Dieu se sert de vous pour consolider ses plaies, et tempérer les amertumes dont il nous a abreuvés: joint qu'entre personnes qui aiment Jésus-Christ, il n'y a point de lien d'amitié plus étroit que d'être compagnons d'œuvre en le servant, et soutenir ensemble son arche en passant ce Jourdain, pour entrer en l'héritage que Dieu nous a promis.
A ces considérations j'ajoute les offices de parfait ami dont vous m'obligez sans en être requis, et votre naturel officieux par lequel vous pensez recevoir des bienfaits quand vous en faites: tellement que votre bonté me réduit à être ingrat en m'accablant de dettes.
Ce livre donc, qui porte votre nom sur le front, servira de profession publique de l'honneur que je porte à votre vertu, et du cas que je fais de votre sainte amitié. La première partie de cet œuvre m'a engagé à entreprendre la seconde; à laquelle je n'ai pu travailler sans douleur, et sans mal de cœur, parce que j'y fais la dissection d'un corps qui fourmille de vers. Peut-être que quelque homme de gaie humeur y trouvera matière de risée; mais j'estime qu'il faut plutôt s'attrister quand on voit la religion chrétienne être défigurée, et la vérité divine être exposée en opprobre. Car il n'y a point d'effet plus évident de la colère de Dieu, que quand il frappe les peuples de tel étourdissement, qu'ils reçoivent pour oracles ce que de faux pasteurs ont inventé pour se moquer, comme se jouant avec Dieu; desquels j'ai de la peine à croire qu'ils aient espéré d'être crus.
Je soumets donc ce mien travail à votre jugement, duquel les censures me seront des bienfaits. Vous m'excuserez plus aisément quand vous considérerez qu'il m'a fallu passer par un chemin peu frayé; et où les abus sont tellement entassés que j'ai eu moins de peine à trouver les matières, qu'à les abréger et à les développer. Si mon labeur peut servir à l'édification de l'Église, et à ramener quelques-uns à la source, qui est l'institution du Seigneur, j'aurai atteint le but que je me suis proposé. Etant tantôt au bout de la carrière, et ayant le prix sous la main, la prière que je fais à Dieu est de finir ma course en le glorifiant, et laisser après moi plusieurs pasteurs qui vous ressemblent, sur le travail desquels il épande sa bénédiction laquelle ayant versée sur vous abondamment, il la continuera jusques à la fin. Sur ce souhait je demeurerai,
Monsieur, Votre très humble et très affectionné frère et serviteur,
De Sedan, ce 2 d'août 1639.
«Le saint Apôtre enseigne qu'il ne faut aucunement s'éloigner de ce qui nous est commandé en l'Évangile, et que les disciples doivent pratiquer et faire les mêmes choses que le Maître a enseignées et faites.»
«S'il faut écouter Jésus-Christ seul, nous ne devons point avoir égard à ce que quelqu'un avant nous a pensé devoir être fait; mais à ce que Jésus-Christ, lequel est avant tous, a fait le premier: car il ne faut ensuivre la coutume de l'homme, mais la volonté de Dieu.»
«L'Apôtre dit que celui-là est indigne du Seigneur qui célèbre autrement ce mystère qu'il n'a été célébré par lui. Car celui-là ne peut être dévot, qui présume de faire autrement qu'il nous a été donné par l'Auteur.»
J'ai reçu du Seigneur ce qu'aussi je vous ai donné: C'est que le Seigneur Jésus, la nuit qu'il fut trahi, prit du pain; et après avoir rendu grâces, il le rompit, et dit: Prenez, mangez: ceci est mon corps qui est rompu pour vous: faites ceci en mémoire de moi. De même aussi, après le souper, il prit coupe, en disant: Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang: faites ceci, toutes les fois que vous en boirez, en mémoire de moi. Car toutes les fois que vous mangerez de ce pain, et que vous boirez de cette coupe, vous annoncerez la mort du Seigneur, jusques à ce qu'il vienne. C'est pourquoi, quiconque mangera de ce pain, ou boira de la coupe du Seigneur indignement, sera coupable du corps et du sang du Seigneur.
Que chacun donc s'éprouve soi-même, et ainsi qu'il mange de ce pain, et qu'il boive de cette coupe; car celui qui en mange et qui en boit indignement, mange et boit sa condamnation, ne discernant point le corps du Seigneur.
S. Matthieu, chap. 26, vers. 29, ajoute ces mots du Seigneur: Or je vous dis, que, depuis cette heure, je ne boirai point de ce fruit de vigne, jusques au jour que je le boirai nouveau avec vous, dans le royaume de mon Père.
Et, au verset 27, il témoigne que Jésus-Christ, présentant le calice à ses disciples, a dit: Buvez-en tous.
Nul ne peut nier que Notre-Seigneur Jésus n'ait institué la sainte Cène comme il faut; et il y aurait de l'impiété à trouver à redire en son institution. Par conséquent, le plus court, voire le seul moyen de terminer tous nos différends, serait de revenir à l'institution de Jésus-Christ, et de parler comme lui, et faire comme il a fait. C'est ce que nous désirons, et demandons avec tant d'instance, et à quoi l'Église romaine ne se peut accorder. Car le concile de Trente, en la 22e session, dénonce anathème à tous ceux qui diront qu'au Canon de la messe il y a quelque erreur. Cependant il est évident que la messe n'est autre chose qu'un changement et défigurement de l'institution du Seigneur; dont nous donnerons quelques exemples.
1. Jésus-Christ, instituant la sainte Cène entre ses disciples, a parlé en langue intelligible aux assistants. Au contraire, le prêtre en la messe parle en langue que le peuple n'entend pas.
2. Jésus-Christ, présentant la coupe à ses disciples, a dit: Buvez-en tous. Et S. Paul, 1Cor.1.28, commande au peuple de Corinthe de boire de la coupe, disant: Que chacun s'éprouve soi-même, et ainsi qu'il mange de ce pain, et qu'il boive de cette coupe. Et, 1Cor.10.17: Nous participons tous d'un même pain, et d'un même calice; selon la version de l'Église romaine, seule autorisée par le concile de Trente.
3. Jésus-Christ, en célébrant l'eucharistie, n'a point parlé de sacrifier son corps, et n'a fait aucune offrande à Dieu, son Père. Au contraire, le prêtre en la messe prétend sacrifier le corps de Jésus-Christ, et l'offre à Dieu en sacrifice propitiatoire pour les vivants et pour les morts, sans charge, et sans que Dieu le lui ait commandé.
4. Jésus-Christ, en la sainte Cène, n'a fait aucune élévation d'hostie, comme aussi les apôtres n'ont point adoré le sacrement, mais sont demeurés assis à table. Au contraire, le prêtre en la messe élève l'hostie par-dessus sa tête, et la fait adorer au peuple.
5. Jésus-Christ n'a point fait mettre d'os ni de reliques de saints sous la table sacrée, et n'a point demandé à Dieu la rémission des péchés par les mérites des saints, dont les reliques fussent sous la table. Au contraire, le prêtre en la messe, baisant l'autel, parle ainsi à Dieu: Nous te prions, Seigneur, par les mérites de tes saints, dont les reliques sont ici, que tu daignes me pardonner tous mes péchés. [Oramus te, Domine, per merita sanctorum tuorum, quorum reliquiæ hic sunt, et omnium sanctorum, ut indulgere digneris omnia peccata me.]
6. Jésus-Christ a dit à ses apôtres: Prenez, mangez. Au contraire, dans l'Église romaine se chantent tous les jours des messes privées en grand nombre à l'intention de ceux qui les payent, sans communiants et sans assistants, dans lesquelles le prêtre dit: Prenez, mangez. Mais il n'y a personne pour prendre et pour manger, même dans les messes publiques, souvent le prêtre mange et boit seul.
7. Trois évangélistes, savoir, S. Matthieu ch. 26, S. Marc ch. 14, et S. Luc ch. 22, et S. Paul au ch. 11 de la 1re aux Corinthiens, témoignent que Jésus-Christ a donné du pain à ses disciples, disant: Il prit du pain, le rompit et le donna. Or on ne donne point le sacrement qu'après la consécration. Jésus-Christ donc a donné du pain après la consécration. Et S. Paul, 1Cor.11.26-28, par trois fois dit que nous mangeons du pain. Et, 1Cor.10.16, il dit, que nous rompons du pain. Et, Actes.20.7, il est dit, que les disciples étaient assemblés pour rompre le pain. Au contraire, l'Église romaine enseigne qu'en l'eucharistie on ne mange point de pain, et qu'on ne rompt point de pain; mais que ce que le prêtre rompt en la messe est le corps de Jésus-Christ, lequel toutefois ne peut être rompu.
8. Jésus-Christ, donnant ce pain, a dit: Ceci est mon corps, déclarant que le pain qu'il donnait était son corps. Au contraire, l'Église romaine enseigne que le pain n'est pas le corps de Christ; elle enseigne que le pain n'est plus, et est transsubstantié au corps de Jésus-Christ. Or, comment le pain est le corps de Jésus-Christ, lui-même l'enseigne en ajoutant, que c'est sa commémoration. En même façon qu'au verset suivant il dit, que la coupe est la nouvelle alliance, parce que c'en est le signe et la commémoration; selon le style de l'Écriture, laquelle a accoutumé de donner aux signes et mémoriaux le nom de ce qu'ils représentent et signifient.
9. Jésus-Christ a appelé ce qui était dans le calice fruit de vigne, disant: Je ne boirai plus de ce fruit de vigne. Au contraire, l'Église romaine enseigne que ce qui est dans le calice n'est point fruit de vigne, mais du sang; et dit que dans le calice est non seulement le vrai sang de Jésus-Christ, mais aussi que son corps y est, et son âme, et sa divinité; et que le corps est tout entier en chaque goutte du calice. Dont s'ensuit (et l'Église romaine le croit ainsi) que Jésus-Christ a bu sa chair, et avalé son âme et son corps, et s'est mangé soi-même, et a eu sa tête dans sa bouche.
10. Les évangélistes témoignent que Jésus-Christ ayant pris du pain, le bénit. Mais selon la doctrine de l'Église romaine, qui abolit la substance du pain en l'eucharistie, Jésus-Christ n'a point bénit le pain; car détruire une chose et la réduire à rien, n'est pas la bénir.
11. Jésus-Christ, distribuant le pain et le rompant, a parlé au présent: Ceci est mon corps, qui est rompub pour vous. Dont appert que par son corps il entendait le sacrement ou la commémoration de son corps. Car le corps naturel de Jésus-Christ ne peut se rompre. Pour éviter la force de cet argument, la version latine de l'Église romaine a corrompu ce passage, et au lieu de ces mots, qui est rompu pour vous, a traduit, qui sera livré pour vous [Quod pro vobis tradetur, 1Cor.11.24], ayant mis livrer pour rompre, et le futur pour le présent. Et certes nos adversaires se trouvent fort empêchés à nous dire ce que c'est que le prêtre rompt en la messe. Rompt-il du pain? Mais ils disent que le pain n'est plus. Rompt-il le corps de Christ? Mais il ne peut être rompu; et eux-mêmes disent qu'il est tout entier dans la moindre miette de l'hostie, aussi gros et grand qu'il était sur la croix. Rompt-il les accidents du pain, que frauduleusement ils appellent espèces; savoir, le goût, la couleur et la rondeur de l'hostie? Mais ces choses ne sont point rompues pour nous. Et même ces accidents ne peuvent être rompus. Peut-on faire des pièces de goût, ou de blancheur? Il n'y a que les corps qui puissent être rompus.
12. L'apôtre S. Paul, se conformant à l'institution du Seigneur, 1Cor.10.16, dit, que le pain que nous rompons est la communion du corps de Christ. L'Église romaine contredit à chaque mot de cette sentence. L'apôtre dit que c'est du pain. L'Église romaine, au contraire, dit, que ce n'est pas du pain. L'apôtre dit, que c'est du pain que nous rompons. Au contraire, l'Église romaine dit, que c'est de la chair que nous ne rompons pas. L'apôtre dit, que ce pain est la communion du corps de Christ. Au contraire, l'Église romaine dit, que ce pain est le corps de Christ même. Voici donc une claire exposition de ces paroles, Ceci est mon corps, donnée par l'apôtre, savoir, Le pain que je romps est la communion de mon corps; et non pas celle que l'Église romaine donne, savoir, Ce qui est sous ces espèces est transsubstantié en mon corps.
13. Est grandement considérable, que le même apôtre, au même chapitre, verset 21, fait une opposition entre la table du Seigneur et la table des démons, disant: Vous ne pouvez être participants de la table du Seigneur, et de la table des démons. La raison de l'opposition montre clairement, que comme participer à la table des démons, n'est pas manger les démons, mais participer aux viandes consacrées aux démons; aussi participer à la table de Jésus-Christ, n'est pas manger Jésus-Christ, mais participer aux viandes consacrées par Jésus-Christ, en commémoration de Jésus-Christ et de sa mort.
14. Jésus-Christ, en distribuant le pain et la coupe, a dit: Faites ceci en mémoire de moi. Ces paroles montrent clairement, que le prêtre ne fait point Jésus-Christ en la messe, et ne le sacrifie point. Car il est impossible de faire Jésus-Christ en mémoire de Jésus-Christ. Il est impossible de sacrifier Jésus-Christ en mémoire de Jésus-Christ. Peut-on faire une maison en mémoire de cette maison? Aaron sacrifiait-il un agneau en mémoire de cet agneau? Joint que la mémoire n'est que des choses absentes et passées, comme dit saint Augustin sur le Psaume 37: Nemo recordatur nisi quod in præsentia non est positum (Nul ne peut se souvenir sinon de ce qui n'est point présent). Le concile de Trente déclare même que Jésus-Christ, par ces mots, Faites ceci, a commandé qu'on le sacrifiât en la messe. Mais outre ce qu'on ne peut sacrifier Jésus-Christ en mémoire de Jésus-Christ, l'apôtre saint Paul incontinent après ces paroles, Faites ceci en mémoire de moi, ajoute l'explication, disant: Car toutes les fois que vous mangerez de ce pain, et que vous boirez de cette coupe, vous annoncerez la mort du Seigneur, jusques à ce qu'il vienne. Voulons-nous donc savoir ce que c'est que faire ceci? Saint Paul nous enseigne que c'est manger de ce pain et boire de cette coupe, pour annoncer la mémoire de la mort de Jésus-Christ.
15. Notre-Seigneur Jésus a rompu le pain avant de prononcer les paroles qu'on appelle consécrantes: Il prit le pain, et le bénit, et le rompit, et le donna, disant: Ceci est mon corps qui est rompu pour vous. D'où il s'ensuit par la doctrine de l'Église romaine, qu'il rompit du pain non consacré et non transsubstantié. Au contraire, dans l'Église romaine le prêtre rompt l'hostie après les paroles consécrantes, afin que le peuple croie qu'il rompt et sacrifie le vrai corps de Jésus-Christ. Nos adversaires donc confessent que le prêtre rompt autre chose que Jésus-Christ n'a rompu.
Quelques-uns, pour se parer contre l'apôtre, qui dit que le pain que nous rompons est la communion du corps de Christ, disent que saint Paul dit que nous rompons du pain, parce que, quand il administrait ce saint sacrement, il rompait avant de consacrer, en suivant l'exemple de Jésus-Christ; et par conséquent rompait du pain non consacré. Mais ceux qui disent cela, contrarient à l'Église romaine, laquelle ne croit pas que la fraction du pain non consacré soit la communion du corps de Christ.
16. Le même apôtre (1Cor.11.28) dit: Que chacun s'éprouve soi-même, et ainsi qu'il mange de ce pain; qui est la même façon de parler dont Jésus-Christ s'est servi, disant: Bibite ex eo omnes (πίετε ἐξ αὐτοῦ πάντες, buvez-en tous). L'apôtre nous commande de manger de ce pain, c'est-à-dire, d'en prendre chacun sa part; et Jésus-Christ, disant, Buvez-en tous, commande aux communiants de prendre leur part du calice. Cette façon de parler est devenue absurde dans l'Église romaine, laquelle par ce pain entend Jésus-Christ même. Car ils estimeraient insensé ou moqueur celui qui dirait, que nous mangeons de Jésus-Christ, ou prenons chacun sa part du corps de Jésus-Christ.
17. Jésus-Christ, présentant la coupe à ses disciples, a dit, au présent, que c'était son sang qui se répand pour plusieurs; où manifestement il parle d'une effusion sacramentelle, et non réelle. Car nos adversaires confessent qu'en la messe le sang de Jésus-Christ ne s'épand point hors du corps, et ne sort point des veines. Il parle donc d'une effusion sacramentelle, qui est respective à l'effusion réelle qui s'est faite en la croix. Nous demandons donc, si le prêtre en la messe boit le sang de Jésus-Christ, qui est sorti de son côté et de ses plaies en la croix. S'ils répondent que le prêtre ne boit pas ce sang du Seigneur qui est sorti de son corps en la croix, mais celui qui est demeuré dans le corps, et y est encore, par là ils confessent que le prêtre ne boit pas le même sang que Jésus-Christ veut que nous buvions. Car il commande expressément que nous buvions le sang répandu pour nous. Mais s'ils répondent que le prêtre boit le même sang que le Seigneur a répandu en la croix, alors ils présupposent témérairement, et sans parole de Dieu, que ce sang qui est sorti du corps du Seigneur y est rentré. Tout cet abus leur vient pour ne pas considérer qu'en la sainte Cène le corps de Jésus-Christ nous est représenté, et présenté à notre foi, comme souffrant, et rompu, et mourant, et mort pour nous, et son sang comme épandu et sorti de son corps. Au lieu que l'Église romaine s'imagine recevoir le corps de Jésus-Christ spirituel et glorieux, et son sang enclos dans le corps et dans les veines.
18. L'apôtre saint Paul (1Cor. ch. 11) et saint Luc (ch. 22) témoignent que Jésus-Christ a dit: Cette coupe est la nouvelle alliance (ou le nouveau testament) en mon sang. Si par ce mot de coupe il faut entendre le sang, le sens de ces paroles sera: Ce sang est la nouvelle alliance en mon sang. Par ce moyen voilà deux sortes de sang de Jésus-Christ, dont l'on sera en l'autre.
19. Jésus-Christ, en célébrant la sainte Cène, a dit: Faites ceci en mémoire de moi. Et saint Paul nous a dit ci-dessus, qu'en mangeant ce pain nous annonçons sa mort. Au contraire, le prêtre en la messe dit qu'il célèbre en premier lieu la mémoire de la Vierge Marie, disant: Communicantes et memoriam venerantes imprimis gloriosæ semperque Virginis Mariæ (Communiant et vénérant en premier lieu la mémoire de la glorieuse Vierge Marie); laissant Jésus-Christ en arrière. Comme dit Gabriel Biel, en la 32e leçon du Canon de la messe: «On fait commémoration premièrement et principalement de la béatissime Vierge Marie, parce qu'elle est, dit-il, le très sûr asile de nos calamités, et a été l'administratrice et la dispensatrice très libérale de ce sacrifice, et toute la raison de notre espérance.»
20. Dans toute l'institution de l'eucharistie il n'est fait aucune mention des saints, et il n'y a nul commandement de prier les saints; nulle mention de l'intercession des anges. Au contraire, le prêtre, au Confiteor de la messe, prie Michel l'archange, Jean-Baptiste, et tous les saints de prier pour lui. Il y a des messes où se récite la Litanie, qui n'est qu'une longue suite de prières aux saints. En la messe, on bénit l'encens par l'intercession de Michel l'archange. Le prêtre demande à Dieu, qu'il commande à son ange de prendre l'hostie consacrée et de l'emporter au ciel. Et pour comble d'abus, en l'offertoire de la messe, le prêtre dit qu'il fait cette oblation en l'honneur de la Vierge Marie et des saints; comme si la sainte Cène était instituée en l'honneur des créatures. Cela certes est mettre les saints par-dessus Jésus-Christ; comme quand on donne l'aumône en l'honneur de Dieu, on présuppose que Dieu est plus excellent que l'aumône.
21. Saint Jean témoigne qu'en l'action de la sainte Cène le diable entra en Judas (Jean.13.27). Or nos adversaires, avec la plupart des Pères, tiennent que Judas a participé à l'eucharistie avec les autres disciples. Ils veulent donc que Jésus-Christ et le diable soient entrés ensemble en Judas. Ainsi ils donnent à Jésus-Christ un compagnon mal sortable, et certes le Fils de Dieu et le diable eussent été fort mal logés ensemble.
22. Nous sommes d'accord en ce point avec nos adversaires, que Jésus-Christ a mangé et bu avec ses disciples, et a participé au saint sacrement. Lui-même le montre assez, quand, ayant donné la coupe, il a dit: Je ne boirai plus de ce fruit de vigne. De là s'ensuit que, selon la doctrine de l'Église romaine, Jésus-Christ s'est mangé soi-même, et a avalé son corps et son âme, et a eu tout son corps en sa bouche et en son estomac. Par ce moyen le corps de Jésus-Christ passible a dévoré l'impassible. Sur quoi il serait bon de savoir, ce que faisait le corps de Jésus-Christ dans le corps de Jésus-Christ, et comment l'âme de Jésus-Christ a pu entrer dans le corps de Jésus-Christ, vu qu'elle y était déjà. Et, puisque ce qui contient et ce qui est contenu sont choses diverses, et que rien ne se contient soi-même, par cette doctrine il est évident qu'on fait à Jésus-Christ deux corps, dont l'un était contenu dans l'autre. Et, puisque se manger soi-même est une chose plus admirable que la création du monde, il n'est pas croyable que Jésus-Christ se soit mangé soi-même sans qu'il en revienne quelque grand profit pour notre salut. Cependant nos adversaires n'en produisent aucun.
Nos adversaires, pour appuyer une doctrine tant extravagante, et qui expose en risée la religion chrétienne, allèguent un passage de saint Augustin sur le Psaume 33, où il dit, qu'en ce sacrement Jésus-Christ se portait soi-même entre ses mains. Mais saint Augustin ne dit pas seulement qu'il se portait soi-même entre ses mains; mais il dit: Ipse se portabat quodam modo cum diceret: Hoc est corpus meum (Il se portait soi-même en quelque façon quand il disait: Ceci est mon corps). Ainsi un homme qui porte son portrait en ses mains, se porte soi-même en quelque façon. Tout ainsi que ce serait parler sans raison, que de dire que la lune est la lune en quelque façon, aussi si ce que Jésus-Christ portait entre ses mains était son vrai corps, ce serait un grand abus de dire, que c'était son corps en quelque façon. Car, quant au sens de ces mots, Ceci est mon corps, saint Augustin les expose assez clairement, au 12e chapitre du livre contre Adimantus, disant: «Le Seigneur n'a point fait de difficulté de dire: Ceci est mon corps, quand il donnait le signe de son corps.»
23. Notre-Seigneur Jésus était assis à table, ayant la face tournée vers les assistants. Au contraire, le prêtre en la messe est debout devant un autel, tournant le dos au peuple.
24. Jésus-Christ a donné à chacun des assistants un morceau de pain qu'il avait rompu de ses mains, lequel pain les disciples ont reçu de la main; comme aussi en l'ancienne Église chrétienne tant hommes que femmes recevaient de la main le sacrement sous les deux espèces. Le contraire de tout cela se fait en la messe, en laquelle le prêtre fourre dans la bouche des communiants une oublie ronde, sans la rompre. Si une femme avait touché de la main, je ne dis point l'hostie, mais seulement les linges, ou la patène, ou le calice, cela serait estimé un grand crime, et une profanation des choses sacrées.
25. Notre-Seigneur Jésus a institué ce sacrement pour servir à la rémission des péchés, et pour annoncer sa mort (Matt.26.28; 1Cor.11.26). Au contraire, en l'Église romaine on chante des messes pour le soulagement des malades, pour le succès d'un voyage, pour garantir les vignes de la gelée blanche, pour la guérison d'un cheval, etc. En tout cela les prêtres y gagnent; car celui à l'intention duquel se chante la messe, doit la payer.
26. L'apôtre saint Paul (1Cor.11.20) appelle ce saint sacrement la Cène du Seigneur. De laquelle nous n'en trouvons qu'une sorte. Mais l'Église romaine a inventé mille sortes de messes. Il y a la messe du Saint-Esprit, la messe de saint Gilles, celle du pape Linus, celle de saint François, etc. Il y a, entre autres messes, celle de sainte Catherine, et celle de sainte Marguerite, qui sont saintes qui n'ont jamais été au monde, non plus que sainte Ursule, saint Longis, saint Christophe, et plusieurs autres saints, qu'on a mis au ciel sans qu'ils aient jamais été en terre. Il y a des messes hautes et des basses; des grandes messes et des petites; des messes sèches; des messes épiscopales; des messes en blanc, et d'autres en vert, et d'autres en violet.
27. Jésus-Christ, en la sainte Cène, n'a fait aucune prière pour les morts. Au contraire, en la messe il y a une prière pour les morts, par laquelle le prêtre prie pour les trépassés, qui dorment en un sommeil paisible (Qui dormiunt in somno pacis.); chose qui doit être soigneusement remarquée. Car cela montre que quand cette prière a été ajoutée à la messe, on ne croyait pas encore au purgatoire: car ceux qui sont brûlés pendant plusieurs siècles en une fournaise ardente, ne dorment point paisiblement.
28. Aussi la confession que fait le prêtre en la messe au Confiteor est grandement éloignée de l'institution du Seigneur. Car en celle-ci le prêtre confesse ses péchés à Dieu, à la Vierge Marie, à Jean-Baptiste, à Pierre et à Paul, et à tous les saints. Il n'y a que Jésus-Christ qui y soit omis.
29. En la messe du vendredi avant Pâques, on adore l'image de la croix d'une adoration souveraine, qu'on appelle latrie, laquelle est due à Dieu seul, en disant: Voici le bois de la croix; venez, adorons. Là aussi se chante l'antienne, qui dit: Nous adorons ta croix, ô Seigneur! Et en parlant à la croix: Croix fidèle, seule noble entre les arbres, etc. Cela est parler à une chose inanimée et qui n'entend pas.
30. Sur l'autel il y a des images, comme aussi en tous les endroits des églises, desquelles l'adoration est commandée sous peine d'anathème, par le second concile de Nicée, et par le concile de Constantinople, qu'on appelle le huitième universel, et par plusieurs papes, et enseignée généralement par les jésuites.
31. Jésus-Christ a célébré la sainte Cène avec toute simplicité. Mais les prêtres de l'Église romaine chantent la messe avec habits allégoriques et pleins de mystères, avec mille tours et gesticulations indécentes à la sainteté de cette action. On amuse les yeux du peuple, parce que ses oreilles lui sont inutiles.
32. Au Canon de la messe il y a un mensonge évident. Car le prêtre dit, que le Seigneur ayant pris le calice en ses mains a dit: C'est ici le calice en mon sang du nouveau et éternel testament, mystère de la foi; contre le témoignage des évangélistes, où ces paroles ne se trouvent point. Le pape Innocent, au chapitre Cum Marthæ, de Celebratione missarum, dit que l'Église tient cela de la tradition; laquelle il veut qu'on croie, quoiqu'elle soit contraire à l'Évangile.
33. Tout ce que Jésus-Christ a dit en célébrant ce sacrement, il l'a prononcé tout haut et d'une voix intelligible. Il n'a point murmuré tout bas les paroles qu'on appelle consécrantes, comme fait l'Église romaine de ce temps, laquelle en ce point, comme en plusieurs autres, est différente des Églises grecques et orientales, lesquelles prononcent les paroles consécrantes à haute voix. Le pape Innocent III, au 3e livre des Mystères de la messe, chapitre Ier; et Durant, au 4e livre du Rational, chapitre xxxv, rendent la raison de ce changement; savoir, qu'un jour il arriva que des bergers ayant appris les paroles consécrantes, les prononcèrent sur le pain de leur repas, lequel fut incontinent transmué en chair; dont Dieu irrité envoya du feu du ciel qui les brûla. Toutefois ils récitent diversement cette fable, et ne disent point où et quand cela est arrivé, et n'amènent aucun témoin; et ne s'accordent pas au récit de cette histoire.
34. Après que les disciples du Seigneur eurent pris le sacrement, Jésus-Christ n'a pas commandé que les restes fussent enfermés dans une boîte, et gardés pour être portés en pompe et promenés par les rues, comme il se fait en l'Église romaine, au jour de la Fête-Dieu et en ses octaves. Cette fête a été instituée par le pape Urbain IV, en l'an du Seigneur 1264, comme témoigne le pape Clément V, au 3e livre des Clémentines, titre 16, où l'épître d'Urbain par laquelle il a institué cette fête est insérée, en laquelle il dit qu'il a été porté à ce faire, par une révélation faite à quelques personnes catholiques. Par lesquelles personnes catholiques il entend une recluse de Liège nommée Eve, laquelle il avait connue lorsqu'il était archidiacre de Liège. Cette femme disait que Dieu lui avait révélé, qu'il ne trouvait pas bon que les saints avaient chacun sa fête, et que Dieu n'en avait pointc. Toutefois cette fête eût été éteinte, si Clément V ne l'eût derechef instituée quelque quarante ans depuis.
Ce changement et dépravation si horrible de l'institution du Seigneur a aboli entièrement la nature du sacrement; car les sacrements sont signes sacrés. Non seulement les anciens, mais aussi tous les docteurs de l'Église romaine définissent ainsi le sacrement, disant que Sacramentum est sacrum signum. Ainsi au baptême l'eau est le signe, et le sang de Jésus-Christ est la chose signifiée; et en la sainte Cène le pain et le vin sont signes, mais le corps et le sang de Jésus-Christ sont les choses signifiées. Tout ainsi donc que si l'on avait ôté l'eau du baptême, ce ne serait plus un sacrement, ni un baptême; ainsi l'eucharistie en l'Église romaine n'est plus sacrement, puisque les signes, savoir, le pain et le vin, sont abolis; au lieu desquels on met le corps et le sang naturel de Jésus-Christ, lequel on appelle le Sacrement. Pourtant le concile de Trente (Sess, xiii, c. v.) ordonne que le sacrement soit adoré. Par ce moyen en la messe Jésus-Christ est la figure et le signe de soi-même, comme enseigne Bellarmin avec les autresa; comme qui dirait qu'un homme est le portrait de soi-même!
Ajoutez à cela que les sacrements ne sont pas institués pour faire descendre Jésus-Christ à nous, mais pour élever nos cœurs à lui; ni pour manger Jésus-Christ à belles dents, mais pour nourrir nos âmes et fortifier notre foi.
Qui plus est, par la transsubstantiation la consécration du sacrement est abolie; et il n'y a rien en la messe qui soit consacré. Le pain n'y est point consacré: car on tient qu'il n'est plus. Le corps de Christ n'y est point consacré: car Jésus-Christ ne peut être consacré par les hommes. Les accidents du pain et du vin ne peuvent non plus être consacrés: car des lignes, des couleurs et du goût ne sont pas l'offrande qu'on prétend offrir à Dieu. N'y ayant donc rien de consacré, il n'y a point de consécration; et n'y ayant point de consécration, il n'y a point de sacrement.
Ce changement est venu si avant, que la nature humaine de Jésus-Christ par la transsubstantiation est entièrement détruite et abolie. Car l'Écriture, parlant de la nature humaine de Jésus-Christ, dit qu'il est semblable à nous en toutes choses, excepté le péché (Héb.2.17; 4.15). Mais l'Église romaine donne à Jésus-Christ un corps qui n'a rien de semblable aux nôtres: dont s'ensuit qu'il n'est plus notre frère; tellement que toute la gloire des fidèles, qui consiste à avoir un frère qui est le Fils éternel de Dieu, est entièrement abolie.
Car l'Église romaine forge à Jésus-Christ un corps qui est en plusieurs et divers lieux en même temps, qui est au ciel et sur divers autels, mais n'est pas en l'espace qui est entre-deux: dont s'ensuit que le corps de Jésus-Christ est séparé d'avec soi-même, et loin de soi-même, et plus haut et plus bas que soi-même. Il n'y a pas moins d'absurdité à vouloir qu'un corps humain soit en même temps en divers lieux éloignés, qu'à vouloir qu'un homme au même moment soit en deux diverses années, et ainsi soit jeune et vieux en même temps, et survive à soi-même.
Cette même doctrine donne à Jésus-Christ un corps humain qui est tout entier dans chaque miette de l'hostie, et qui a les pieds et la tête en même endroit, et les deux yeux sous un même point. Peut-on dire qu'un corps, duquel les parties ne sont pas l'une hors de l'autre, et ne sont pas différentes de situation, et qui n'occupe aucun lieu, et qui est plus spirituel que les esprits, soit un vrai corps humain? Et c'est pourquoi les prêtres de l'Église romaine rasent ou tiennent courte la barbe d'en haut; car elle croit que si un prêtre trempait sa moustache dans le calice, le corps de Jésus-Christ demeurerait tout entier pendu à chaque poil.
Cette même doctrine forge à Jésus-Christ deux corps de nature contraire, et auxquels choses contradictoires sont attribuées. Car le corps de Jésus-Christ qui était à table célébrant l'eucharistie, parlait et remuait les mains; mais celui qui était dans les bouches et dans les estomacs des apôtres, ne parlait point et ne remuait point les mains. L'âme de Jésus-Christ assis à table, était angoissée; mais celle qui était dans les bouches des apôtres, ne souffrait aucune douleur. Jésus-Christ levé de table et étant entré au jardin, suait des grumeaux de sang; mais celui qui était dans les estomacs des apôtres, ne suait point des grumeaux de sang. Lequel de ces deux est notre Sauveur? Ou si c'est le même Jésus-Christ, comment est-il contraire à soi-même?
Qui plus est, par cette doctrine toute l'histoire de la vie de Jésus-Christ est rendue ridicule et tournée en fable. Car si le corps de Jésus-Christ peut être en divers lieux éloignés en même temps, on pourra dire que pendant qu'il était au ventre de la Vierge, peut-être qu'il était en d'autres ventres; et que pendant qu'il était en croix, il se promenait en Espagne. De là aussi s'ensuit que tous les voyages que Jésus-Christ a faits, allant et venant de Galilée en Judée, ont été inutiles. Car pourquoi allait-il de Galilée en Judée, s'il pouvait être en l'un et en l'autre lieu en même temps, et pouvait se trouver en Judée sans bouger de Galilée?
Quoi! dit-on, Dieu n'est-il pas tout-puissant pour ce faire? Je réponds, que sans doute Dieu pourrait faire toutes ces choses, s'il le voulait. Mais je dis qu'il est impossible que Dieu veuille ces choses; car il n'est pas menteur, et ne peut se, contredire à soi-même. Or il se contredirait à soi-même, s'il voulait qu'en même temps un homme parlât et ne parlât point, se remuât et ne se remuât point, fût souffrant et ne souffrant point, et fût loin de soi-même et séparé d'avec soi-même. Il veut que le corps de Jésus-Christ soit un vrai corps humain. Dieu ne veut point une chose tant absurde et contradictoire, par laquelle on veut qu'en l'hostie il y ait des accidents sans sujet, et (comme enseigne le pape Innocent III) qu'il y ait en l'hostie de la grandeur et rien de grand, de la couleur et rien de coloréb; comme qui voudrait qu'il y eût une éclipse de soleil sans soleil, un clochement de jambe et point de jambe, une maladie sans malade! Au surplus, la toute-puissance de Dieu n'est pas la règle de notre foi, mais sa volonté. Par ce moyen on pourrait défendre toutes les fables du Coran, en disant que Dieu est puissant pour ce faire. Joint que Dieu ne fait rien que sagement. Pourtant il n'assujettira jamais Jésus-Christ à des hommes pécheurs, maintenant qu'il est glorifié, et aux opprobres qu'on lui fait souffrir tous les jours, dont il sera parlé ci-après.
De toutes les paroles dont le Seigneur s'est servi en l'institution de l'eucharistie, il n'y en a point qui grèvent plus nos adversaires que celles qu'il a prononcées en donnant la coupe, disant: Cette coupe est le nouveau testament (ou la nouvelle alliance), et celles par lesquelles il a appelé fruit de vigne ce qui était dans la coupe. Car ils sont contraints (comme nous verrons ci-après) de reconnaître en ces mots, Ce calice est le nouveau testament, une figure semblable à celle qui est en ces mots, Ceci est mon corps, et de confesser que le calice est appelé le Testament, parce que c'en est le signe et la commémoration. Joint que vouloir que Jésus-Christ ait appelé son sang fruit de vigne, est chose hors de toute apparence.
Contre ces paroles du Seigneur, Ce calice est le nouveau testament, rapportées par saint Luc et par saint Paul, le jésuite Maldonat se forcène, et s'émeut avec une audace pleine d'impiété, et parle de ces deux organes de l'Esprit de Dieu comme de menteurs, et qui n'ont point rapporté les paroles da Seigneur selon la vérité; et veut qu'on ajoute foi au témoignage de saint Matthieu, qui a dit: Ceci est mon sang, et non aux paroles de saint Paul et de saint Luc, qui témoignent que le Seigneur a dit: Ce calice est le nouveau testament. Voici ses mots sur Matth.26.28:
«Il n'est point besoin de beaucoup de paroles. Je nie que Christ ait dit ces paroles: car vu que Matthieu qui était présent, et Marc qui l'avait appris de saint Matthieu, écrivent que Christ a donné son sang en ces mots: Ceci est mon sang du nouveau testament, il est raisonnable de croire que Christ s'est servi plutôt des paroles de Matthieu et de Marc, que de celles de Luc et de Paul [Nec multis opus est verbis. Nego Christum hæc verba dixisse. Cum enim Matthæus qui aderat, et Marcus qui ex Matthæo didicerat, scribant Christum his verbis sanguinem suum tradidisse, Hoc est sanguis meus novi testamenti, æquum est credere Matthæi potius et Marci, quam Lucæ et Pauli verbis usum esse, etc.].»
Et peu après, soutenant que l'intention de Jésus-Christ a été de donner son propre sang, il parle de saint Luc et de saint Paul, comme n'ayant point compris son intention, disant: «Luc et Paul semblent parler en sorte, comme si Christ avait cela principalement pour but, de déclarer qu'il donnait le nouveau testament plutôt que son sang.» Et peu après: «Quand même nous voudrions feindre que Christ ait parlé comme il est écrit en Luc et en Paul,» etc.
Certes cette outrecuidance est intolérable, d'oser ainsi contredire à un évangéliste et à un apôtre, à saint Luc et à saint Paul, en disant: Je nie que Christ ait dit ces paroles; et se rendre juge de la fidélité des apôtres, en disant, que celui-ci est plus croyable que celui-là, et estimer que pour excuser saint Luc et saint Paul, il faille feindre et présupposer ce qui n'est point.
Tout homme qui aura quelque reste de modestie et de crainte de Dieu, aimera mieux croire que tous les évangélistes et apôtres sont également croyables, et que tous ont dit la vérité. Car si nous croyons qu'ils aient faussement rapporté quelque chose, tout le reste de l'Écriture devient suspect et incertain. Et quand même nous accorderions que saint Luc et saint Paul aient apporté quelque changement aux paroles du Seigneur, si est-ce que nous serions obligés à croire qu'ils ont été poussés par le Saint-Esprit à parler ainsi pour éclaircir les paroles de Jésus-Christ, et détourner les esprits des pensées grossières, et ôter à l'esprit d'erreur les occasions de forger une transsubstantiation.
Ce jésuite ayant ainsi maltraité saint Paul et saint Luc, peu après sur ces mots, Je ne boirai plus de ce fruit de vigne, se range du côté de saint Luc contre saint Matthieu et saint Marc, et veut que Jésus-Christ ait dit ces mots, Je ne boirai plus de ce fruit de vigne, touchant le calice de la pâque, contre le témoignage de saint Matthieu et de saint Marc, qui rapportent que Jésus-Christ a dit ces paroles sur la coupe de la sainte Cène. En quoi certes il fait Jésus-Christ menteur: car après la coupe de la pâque, il a bu le calice de l'eucharistie, où il y avait du vin. Le Seigneur eût parlé contre la vérité, si en buvant en la coupe de l'agneau pascal, il eût dit qu'il ne boirait plus de vin, puisqu'il en a bu peu après. Joint que saint Matthieu et saint Marc ne font aucune mention du calice pascal: par conséquent ils n'appellent point fruit de vigne, ce qui était dans un calice dont ils ne parlent point.
En cela Maldonat a l'antiquité, les papes, les conciles et les jésuites même pour contraires, qui soutiennent que ces paroles, Je ne boirai plus de ce fruit de vigne, doivent être entendues du calice de la sainte Cène. Saint Cyprien, en l'Epître 63:
«Le Seigneur a dit: Je vous dis, je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusques au jour où je le boive avec vous nouveau au règne de mon Père. En quoi nous trouvons que c'était un calice mêlé que le Seigneur a offert, et que ce qu'il a appelé son sang était du vin [Dico vobis, non bibam amodo, etc.. Qua in parte invenimus calicem mixtum fuisse quem Dominus obtulit apostolis, et vinum fuisse quod sanguinem suum dixit.]»
Le Concile de Worms, au ive chapitre:
«C'était du vin au mystère de notre rédemption, quand le Seigneur dit: Je ne boirai plus du fruit de la vigne. [Apud Ivonem, parte 2, fol. 65: Vinum fuit in redemptionis nostræ mysterio, cum dixit, Non bibam de genimine, etc.]
Le pape Innocent III, au 4e livre des Mystères de la messe, chapitre 27:
«Or que ç'a été du vin que Jésus-Christ a consacré au calice, il appert, parce qu'il ajoute: Je ne boirai plus du fruit de cette vigne. [Quod autem vinum in calice consecraverit, patet ex eo quod ipse subjunxit etc.]»