AQ2VB sur la piste du patient zéro - Gerard Perrotin - E-Book

AQ2VB sur la piste du patient zéro E-Book

Gerard Perrotin

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Beschreibung

Avec un regard « dans l’air du temps d’aujourd’hui », un commissaire de police pointilleux recherche dans la lecture de nos comportements passés… les signes de déviance… qui pourraient expliquer les bouleversements du présent. Sur la foi d’un témoignage tardif, sa recherche l’amène alors à s’intéresser à un ex-étudiant en architecture… aujourd’hui, monsieur tout le monde « architecte à la retraite » qui, à ses yeux, pourrait bien avoir été le patient zéro… de la pandémie des catastrophes actuelles.

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Après avoir obtenu son diplôme d’architecte, Gérard Perrotin décide de quitter le monde de l’indécision bureaucratique et de la réunionite… en reprenant l’entreprise familiale du travail de la pierre. Il peut retrouver alors l’univers des réalisations concrètes et des actions souveraines auxquelles il est très attaché, et garder sous la main le pinceau qui l’accompagne depuis toujours et jalonne sa vie de respirations artistiques.

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Gérard Perrotin

AQ2VB sur la piste du patient zéro

Roman

© Lys Bleu Éditions – Gérard Perrotin

ISBN : 979-10-422-0884-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Mathis,

digne héritier de l’atome initial de carbone

En fouillant la mémoire des années soixante-dix,

On peut voir,

Attablé dans un bar,

Avec son bonnet et ses skis…

Un homme attendre le lever du jour…

Alors que tombait la nuit.

Synopsis

Avec un regard « dans l’air du temps d’aujourd’hui »,

Un commissaire de police pointilleux

recherche dans la lecture de nos

comportements passés… les signes,

même les plus infimes de déviance

qui pourraient expliquer les bouleversements du présent.

Partant d’un fait avéré,

sa recherche

l’amène alors à s’intéresser

sur la foi d’un témoignage tardif,

à un ex-étudiant en architecture… aujourd’hui

Monsieur tout le monde « architecte à la retraite »

qui, à ses yeux, pourrait bien avoir été le patient zéro

de la pandémie des catastrophes actuelles.

***

Et pour ça, il en avait de la matière le commissaire !

Un témoignage de première main.

Tout d’abord par la force du témoignage en question, je dis bien la force de ce témoignage, d’habitude toujours présenté comme une partie faible ; sujette à caution.

On pourrait se poser la question…

Le délateur par ce témoignage n’aurait-il pas voulu régler de vieux différends ?

En s’attaquant à la vie paisible de cet homme honnête, bien sous tous rapports, n’aurait-il pas voulu finalement régler des comptes avec lui-même ?

Oui, sans doute ; et c’est justement ça qui fait la force de ce témoignage.

Parfait nœud de vipères gluant… où la jalousie, la convoitise, l’amertume de ne pas avoir été ce que les autres sont… de ne pas avoir eu ce que les autres ont, s’entremêlent, se répondent pour former un inextricable monde souterrain de noirceur.

Toutes ces rancœurs nauséabondes cuites et recuites patiemment à l’étouffée pendant des lustres. De longues années de mijotage clandestin, ne rien laisser transparaître… surtout en partageant si souvent la même table, jamais avare d’un compliment, sans en faire trop… et jamais de mots compromettants… parfait équilibre permanent, parfait poker face… des journées entières, une vie entière, jusqu’à la libération par ce témoignage tardif.

Enfin, pouvoir reprendre son souffle après une vie en apnée.

Enfin, pouvoir dire, cracher, se libérer de l’étouffant silence.

— Oui, Monsieur l’Inspecteur, je l’ai bien vu délirer des journées entières pour refaire le monde.

Oui, j’en suis sûr, c’est bien lui !

— Oui, Monsieur l’Inspecteur, je l’ai bien vu élaborer des projets aberrants.

Oui, j’en suis sûr, c’est bien lui !

— Oui, Monsieur l’Inspecteur, je l’ai bien vu déranger sciemment l’ordre rassurant de la nature en confondant le jour et la nuit et y prendre un malin plaisir.

Oui, j’en suis sûr, c’est bien lui !

Oui, il en est sûr, c’est bien lui, c’est bien lui le patient zéro !

Qui d’autre ?

Je vais vous présenter le héros de cette histoire…

Attention, cet homme est dangereux, comme l’est un gaucher au tennis. Il peut vous prendre à contre-pied si vous vous méfiez des choses trop simples, formatés que vous êtes aux coups bas, simplement parce que lui, des coups bas, il n’en fait pas, ce n’est pas dans son jeu.

C’était le seul capable d’arroser avec compassion les fausses plantes en vrai plastique posées en décoration dans le bar !

Je vais aussi vous décrire ce fameux bar (le Jura), véritable bistrot de quartier aujourd’hui disparu qui fut une annexe de l’école d’archi de Grenoble, dans la strate des années 70 qui ici est fouillée et dans lequel notre héros a vécu une grande partie de ses aventures ; vous décrire le comptoir tout de suite à gauche en entrant, avec derrière les bouteilles un grand miroir. Tous les bars avaient un grand miroir en face des « consommateurs piliers » accrochés au comptoir, un grand miroir stratégiquement placé derrière les bouteilles… À l’époque, l’alcootest n’existait pas, et la police comptait sur une forme d’autodiscipline des conducteurs à l’avance condamnés à voir leur tête décomposée par les tournées de « 421 Pernod-Ricard », que leur renvoyait le grand miroir, devenu l’œil de leur conscience ; leur troisième œil examinant leur conscience là où bouillonnent les regrets, les rattrapages impossibles, les « si j’avais su… ».

Leur troisième œil… Alors qu’ils avaient déjà le plus grand mal à faire correctement fonctionner les deux autres.

Il en a sauvé des vies le grand miroir à cette époque où tout le monde roulait bourré !

En haut de ce grand miroir trônait un buste en pâte d’amande rose portant une perruque frisée jaune d’or, un visage anguleux avec un nez épaté, un regard bleu cristal, l’ensemble travaillé comme une œuvre du musée Grévin… Je ne peux pas en dire plus, car j’ai promis de « flouter » son visage pour lui éviter le harcèlement.

Oui, notre héros trônait là au sommet de la grande pyramide de l’alcool, au sommet de la grande pyramide de la création alcoolique. Il trônait là comme trône une icône religieuse.

À chaque coude levé bien haut pour ne pas perdre la dernière goutte, les gens du quotidien, les employés, le petit peuple, tous ceux qui ne vont même plus le dimanche à la messe pour voir le visage de Dieu voyaient le sien.

Sûr, ils le voyaient ; même parfois en fin d’une soirée bien arrosée ils le voyaient en double.

On peut dire que LUI a réussi là où tous les systèmes matérialistes ont échoué et à cause de cet échec sont devenus totalitaires par accumulation de désespoir :

Unifier ne serait-ce qu’un instant l’esprit et la matière, faire, qu’à chaque gorgée entre la pensée philosophique dans une simple partie de hasard qui, comme un office sacré, ponctuait les soirées de leur vie prosaïque…

Une partie de « 421 Pernod-Ricard ».

Avertissement

Attention, cet écrit est une fiction.

Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé est purement fortuite.

Afin d’éviter de possibles reconnaissances faciales et de couper court à de dangereux harcèlements, la description des visages sera « floutée » et le nom du personnage principal sera changé.

Comme toutes les histoires sérieuses, cette histoire commence un… premier avril.

1er avril 2021, 8 heures

Grenoble, hôtel de police

—Bonjour, je viens pour la convocation.

— Bonjour, quel est votre nom ?

— Jean Cruchet (nom changé), mais tout le monde m’appelle Jeannot.

— Je vous demande pardon ? vous avez dit Crochet ?

— Non, non, CrUchet avec un U comme Ursule.

— Un moment, attendez là, je vous prie…

— (voix basse à l’interphone) Monsieur Cruchet est là.

Un instant… porte qui s’ouvre… va-et-vient lumineux dans les verres « écran bleu » de la secrétaire… appel d’air.

—HA ! MONSIEUR CRUCHET enfin, VOUS VOILÀ !

Enchanté ! Rassurez-vous, il n’y a rien de grave, une simple formalité ; tout devrait finir par s’arranger.

Attendez… Nous allons nous installer dans ce bureau-là…

Voilà, nous serons plus tranquilles…

— Je laisse ouverte la fenêtre ; ce sont les dernières directives « covid » de la préfecture.

(grommelant d’une voix intérieure) :

— Qu’est-ce qu’on peut perdre comme temps avec ces directives !

Dites-moi, vous avez rapidement répondu à cette convocation, c’est bien ! Mais rassurez-vous, il n’y a rien de grave, je dirais que c’est même qu’une simple formalité.

Tout devrait finir par s’arranger.

—Avant de formaliser je voudrais vous parler de la situation dans laquelle nous sommes, et quand je dis nous, je veux dire, vous, moi, la France et le MONDE EN ENTIER !

Avec ce virus, nous sommes au bord d’un cataclysme !

Certains y voient la patte du pangolin, mais d’autres pensent que ce pauvre animal n’est qu’un bouc émissaire et que l’origine serait bien plus profonde et les forces à l’œuvre bien plus anciennes et bien plus perfides.

Et qu’en fait, ce chaos qui arrive a été sournoisement construit, écrit page après page au sein d’un « Grand Livre » que nous composons et avons composé tous ensemble jour après jour.

Alors si le pangolin n’est que le dernier maillon déclencheur fautif de l’histoire, ou plutôt le cochon de Chinois qui l’a mangé, il va falloir lui foutre la paix et fouiller plus avant pour en dérouler le fil.

Nous sommes avec un regard… « dans l’air du temps d’aujourd’hui », voyez-vous Monsieur Crochet ?

—Non ! pas Crochet… CrUchet avec un U.

— Oui, oui, comme Ursule… Il se racla la gorge… Cruchet, pardonnez-moi…

« CRUCHET ! » où en étais-je ?

Eh oui ! l’air du temps ! Qui nous force à relire toute notre histoire avec une nouvelle rigueur, un nouveau regard, de nouvelles valeurs, un nouveau langage, bref un récurage en règle…

Croyez-moi, ça barde à la préfecture… la société bascule dans la violence… ils sentent que la situation leur échappe.

La journée, vue des balcons, ce n’est que manifs dans les banlieues, violence dans les cités, affrontements de bandes, pillages de magasins, et le soir vu à la télé c’est le grand spectacle des incendies géants, de la banquise qui fond, des tempêtes de neige en été et des pâquerettes en plein hiver.

Pour les débordements, les violences urbaines, certains sociologues commencent à mettre en cause notre modèle architectural ; nos fameux « grands ensembles ».

En plus particulièrement ceux qui sont le produit des diplômes accordés à tout va dans la décennie 70/80.

Le vôtre, je crois savoir… date bien de ces années-là ?

Oh ! rassurez-vous Monsieur Cruchet, rassurez-vous, nous avons relu votre thèse, elle est très très bien, très très fouillée, très très documentée. La qualité de votre diplôme n’est pas ici en cause.

Mais cette décennie quand même est suspectée de laxisme… C’était la suite de la tourmente « soixante-huitarde », égalitarisme débridé.

Avant de commencer les études, on confectionnait une pancarte :

« On veut un diplôme pour tous ».

En ce qui vous concerne, je vous l’ai dit, j’ai personnellement relu votre thèse, c’est du grand art, un travail sérieux très documenté… ça aurait mérité une publication. Le seul petit mystère dans cette affaire, la seule petite question que je me pose est la suivante : pourquoi avoir présenté cette thèse en Latin ?

Non, non, ne me donnez pas de réponse tout de suite !

Laissons encore un temps planer ce petit mystère…

— Donc pour tenter de dérouler plus avant et revenir au Grand Livre que nous composons tous ensemble tous les jours, il faut se rendre à l’évidence ; vu la situation actuelle… le constat est clair.

Il a bien fallu qu’il y ait des individus qui le composent mal ce grand livre pour en arriver là !

Des individus au comportement déviant, si infime soit-il sans importance à l’unité, mais vous savez… comme on dit… « plus… plus ».

Des individus qui, à leur époque, n’attiraient aucun regard suspicieux sur eux alors qu’à la lecture de leurs actions passées revisitées « avec un regard dans l’air du temps d’aujourd’hui »…

Ils pourraient aujourd’hui nous apparaître suspects.

Par exemple des étudiants en architecture qui, alors que la société fournissait des efforts financiers conséquents pour rémunérer leurs professeurs ; jouaient toute la journée au poker et au tarot dans un bar que vous avez je crois savoir bien connu. Très bien connu…

Voyant Cruchet battre sa coulpe simplement en baissant les yeux, l’inspecteur d’un exemple choisi illustra son propos pour lui rafraîchir la mémoire…

—Et étaient capables sur un coup de tête…

En grand maître du suspense, il s’interrompit pour le plaisir… déguster ces quelques secondes d’attente silencieuse… délicieuse…

Son œil pétillait de malice juste en pensant à l’effet qu’allait avoir sa révélation sur son hôte.

Quelques petites secondes encore le temps de secouer la pochette surprise et tombe l’illustration tant redoutée.

— De se rendre à Pompéi, en pleine nuit, pour finir leur partie de tarot sur le forum ! Imaginez un peu ! À Pompéi ! Partir à Pompéi au cœur de la nuit pour jouer aux cartes !

Cruchet, qui perçut là l’évocation d’une de ses nombreuses frasques qu’il avait presque oubliée, prit alors conscience du sérieux de cette convocation et de la puissance de ce personnage.

Comment pouvait-il connaître cette histoire de tarot sur le forum ? Insignifiante blague, un pari entre étudiants à la dérive, entassés à 4 dans une 404 ; un pari de fin de soirée dans un bar que Cruchet avait effectivement très bien connu… rien de plus.

Sous le regard amusé de l’inspecteur Cruchet tentait désespérément de résoudre cette énigme, lorsque la conclusion officielle vint interrompre ses pensées comme un roulement de tambour avant une exécution.

—Eh bien voyez Monsieur Cro… pardon Cruchet, voyez-vous, ces individus qui composent mal ce grand livre aujourd’hui… ou qui ont…

Là, il leva son index à la verticale pour bien accentuer l’importance du propos à venir, et l’agitant comme une règle prête à frapper, en détachant chaque mot, il ajouta :

—Ou / qui / ont / mal / composé / ce / grand livre / par / le / passé…

Eh bien, l’ÉTAT m’a chargé de les identifier !

Au vu de la rétroactivité du propos, le sang de Cruchet se glaça dans ses veines. (Cette phrase est souvent reprise dans les romans policiers pour marquer un état de sidération touchant même les aventuriers les plus aguerris.)

Son interlocuteur reprit alors sur un ton genre « détendu-badin » ou inverse style « badin-détendu » sur le rythme chaloupé d’une comptine maternelle.

—Eh oui ! je sais bien qu’une vie est faite de jours lumineux et de jours sombres… d’ombre et de lumière, mais aujourd’hui vous savez, les jours lumineux ne comptent plus… Effacés qu’ils sont par les jours sombres qui se dressent face à eux comme des procureurs.

Il ne manquait que la musique…

Intarissable, il enchaînait les réflexions.

—Comme si toutes les pierres d’un jeu de go soudainement devenues noires, une partie vous était proposée… une partie entre les noires… et les noires ! Qui commence ? les noires ? ou les noires ? Mais je m’égare en réflexions philo…

Revenons aux choses essentielles :

TROU-VER… RE-TROU-VER CES INDIVIDUS !

Mais comment ?

— Évidemment, à l’époque, les caméras n’existaient pas, enfin, je parle de celles qui, aujourd’hui, nous filment le nombril… et aussi le reste. On ne peut pas non plus compter sur l’ADN…

Alors que faire ?

Et c’est là qu’un groupe de travail composé d’Énarques s’est réuni.

Levant les yeux vers le ciel, il ajouta sur le ton du remerciement à une puissance supérieure, assez bas pour assurer la discrétion d’un partage d’initiés et suffisamment haut pour quand même être entendu de son interlocuteur :

Dieu merci… juste avant leur dissolution…

Pour proposer une idée géniale : faire appel à la mémoire collective.

Ces individus qui ont, en leur temps, mal composé le grand livre dont on parle ont bien dû laisser des traces de leur action quelque part… et ces traces où sont-elles d’après vous ?

— ??? (Le profond silence du type qui n’a pas étudié la question.)

—Mais dans la mémoire collective voyons !

Tout y est ! il suffit de faire appel à cette fameuse mémoire et tout sera résolu !

Et c’est comme ça que vous êtes là devant moi aujourd’hui, pour éclaircir… mais je vous l’ai dit précédemment, rien de grave, une simple formalité. Tout devrait finir par s’arranger…

—Donc, quelqu’un ayant appel à sa mémoire avec une lecture des faits « dans l’air du temps d’aujourd’hui » s’est présenté à nos services…

— Un délateur ?

— Mais non comme vous y allez, voyons ! pas un délateur. Au contraire, je dirais même un ami.

— Un ami ? Quel ami ?

— Ha, ça malheureusement c’est secret défense, je ne peux pas vous le dire, mais je peux vous dire que c’est un ami qui vous veut du bien…

— Du bien ?

—Mais OUI DU BIEN ! pas simplement à vous d’ailleurs mais par extension À LA SOCIÉTÉ TOUT ENTIÈRE !

— (Se rapprochant sur le ton de la confidence complice) Entre nous, ce que vous prenez pour de la délation (un ton plus bas, un peu plus près), pour nous, ça reste une simple information… de plus, les dernières directives gouvernementales nous recommandent d’éviter d’employer le mot « délation ».

— (Presque au contact comme dans une bulle d’intimité.) Vous comprenez toutes ces histoires par le passé…

Reprenant ses distances… et d’un geste de la main… (ce type de geste s’effectue de haut en bas, paume de la main vers le sol, geste rapide… comme pour fermer un couvercle et enfermer les mauvaises histoires dont il ne faut plus parler, geste de lassitude, d’impuissance… d’abandon) ; le geste qui dit : « maintenant c’est du passé » « on s’en fout » « laissons tomber ! ».

— On ne peut pas juger, c’était la guerre. Qui sait… ce que nous aurions fait à ce moment-là… avec la peur… la faim…

On ne peut pas leur en vouloir ni les juger avec notre esprit « dans l’air du temps d’aujourd’hui ».

Une absolution collective en quelque sorte, assez large pour qu’il puisse en profiter lui-même… il ne manquait que le signe de croix… Son regard rond se fixa un instant sur son interlocuteur pour quémander un acquiescement… qui ne vint pas.

Et pour clore ce faux débat, il crut essentiel de mettre les choses au clair sous forme d’une proposition qui, bien que non démontrée, doit s’imposer à tous. Un axiome en quelque sorte.

—Ce que vous vous prenez, vous, pour de la délation, nous considérons, nous, être de l’information ! Point !

Un axiome ainsi asséné, c’est difficile à refuser.

N’oublions pas que dans cette pièce notre héros obéit à une convocation, il doit quand même répondre, s’expliquer… c’est pas simple…

Une convocation, on se demande toujours : « pourquoi ? »

À chacun de ses questionnements répondait distinctement la parole de sa chère épouse : Ne te fais pas de souci… Ce n’est rien, chéri… quand on est innocent… quand on n’a rien à se reprocher… on ne risque rien…

Parole rassurante de femme aimante… qui n’apaise pas vraiment. Peut-être était-elle encore plus inquiète que lui, mais que son affection protectrice lui interdisait alors de montrer toute faiblesse ?

Elle a toujours très bien tenu son rôle de « femme aimante »… qui « n’apaise pas vraiment ».

Elle l’avait toujours soutenu même dans les périodes les plus noires de son aventure professionnelle si souvent ballottée de surprises en tourments.

Quand parfois en pleine nuit, il lui arrivait de tomber du lit en sueur, bousculé par d’affreux cauchemars.

Ce n’est rien, chéri, tu dois encore rêver à cette histoire d’immeuble qui s’est écroulé le jour de son inauguration. Mais tu ne pouvais pas savoir que les études B.A. étaient bidonnées, que le chef de chantier ne respectait pas les dosages, et que le promoteur était parti avec la caisse… quand on est innocent… quand on n’a rien à se reprocher… on ne risque rien…

Ce n’est rien, chéri, rendors-toi…

***

— Tiens ! voilà le taxi UBER !

Prends ton écharpe et ton bonnet… il fait froid !

Et n’oublie pas ton passeport sanitaire !

Que ferait-on sans elles

Bien sûr, il était présumé innocent aux yeux de la loi, mais l’était-il vraiment sous le regard biaiseux de la secrétaire à l’accueil ?

Derrière ses lunettes « écran bleu » sur lesquelles se reflétait le constat de la dernière garde à vue renvoyé par l’ordinateur.

Et sur lesquelles aussi il pouvait lire son nom en écriture miroir sur un bandeau « rouge alerte », clignotant comme un gyrophare :

Jean Cruchet 1er avril, 8 h.

Et l’est-il complètement aux yeux de ce Frankenstein des états d’âme, qui le questionne ?

Qui insinue, qui en sait plus qu’il n’en dit, qui en dit plus qu’il n’en sait… qui pèse, soupèse, suppose… balance le pour, pour mieux garder le contre ; qui isole les éléments d’un système, les tripatouille pour en recomposer, en bricoler un autre… dans la noirceur maléfique de son cerveau… à sa façon.

Et le… allez, courage du chauffeur VTC, lui ouvrant la porte du taxi au bas des marches, une main dans le dos très « cour d’honneur de l’Élysée »… dans sa livrée UBER impec…

Marches qu’il semblait d’ailleurs avoir lui-même aussi montées… un jour… pour entendre un claironnant :

— AH ! monsieur le chauffeur du taxi UBER enfin, vous voilà !

Enchanté… rassurez-vous rien de grave, une simple formalité…

Tout devrait finir par s’arranger…

Oui, dans cette pièce, notre héros est le faible.

Ah ! si vous pouviez le voir ! …une triste image « racornie-jaunie »… avec toute la responsabilité du malheur du monde sur ses épaules.

***

Mais auparavant, interrompons cette scène

pour faire un retour en arrière

(one flashback to be trendy).

***

Reprenons cette triste image « racornie-jaunie »…

Posons-la dans un bain de produit révélateur pour photos oubliées ou pour photos perdues (c’est sensiblement le même produit, et une seule goutte suffit)… remuons pour produire une onde à sa surface… et voilà la triste image « racornie-jaunie » d’un coup « floutée »… accompagnons cette opération d’un fond sonore qu’on peut entendre avant chaque apparition d’une figure fantomatique dans les mauvaises séries télé :

La « casserole/phonie »… par exemple de gost aventure.

Et voilà que la magie opère !

La triste image « racornie-jaunie » en train de s’effacer…

Et une autre à l’instant vient pour la remplacer !

Mais oui, maintenant, vous pouvez LE voir tel qu’il apparaît en majesté solaire dans la strate « années 70 » : grand, droit, d’allure sûre et ouverte, regard bleu (non, Mesdames, non, pas « bleu acier ») non… bleu… disons plutôt… « bleu Gauloise » tiens !

D’ailleurs, il en fumait tellement…

… Ah il en a fait chavirer des cœurs ! comme autant de gibiers ligotés dans la lumière d’un phare !

Mais continuons à l’explorer dans le détail : coiffure ondulée façon perruque « grand siècle » coordonnée d’un « marron jaune » indéfini, nuance… « jaune nicotine pisseux »… pommettes hautes, mandibule marquée, un masque d’indien des grandes plaines, surtout de profil…

Et le débit d’une voix ronde et sensuelle, profonde, le roulé sans à coup d’une vague polissant un galet.

Le « petit-courbé-cassé » racorni aujourd’hui dans le fauteuil avait donc fière allure en ce temps-là !

En ce temps-là, face à son interlocuTEUR·TRICE, c’était un Mozart de la parole. Pas un thème ne lui échappait, pas de sujet orphelin d’une idée, pas de question d’une réponse…

Face au « TEUR », il pouvait parler, s’affirmer, argumenter avec passion pendant des heures jusqu’au bout de la nuit…

IN-TA-RI-SSA-BLE.

Face à la « TRICE », un tout autre registre, il n’avait même plus besoin de parler… comment vous dire ?

C’était, illustré là sous nos yeux, l’insondable alchimie de la séduction. Pour un simple profane, pour un non initié, ça reste indéchiffrable.

Planté au bar dès l’aube, à l’odeur du café, il valait mieux le rencontrer le soir à l’odeur de l’anis… disons le créneau 18/19 h.

Là, la vague polissant le galet prenait son tempo pendant des heures… des heures…

En fait, non ! deux suffiront, juste de quoi arriver au dîner…

Reste tous ces points de suspension (…) à éclaircir.

Et tous ces points d’exclamation (!!!) à prolonger.

Et tous ces points d’interrogation (???) à préciser.

Sans compter cette petite fringale qui monte.

On se retrouve vite fait au restaurant ; bien sûr, l’indien des grandes plaines y est L’INVITÉ D’HONNEUR !

Et la vague recommence à rouler… par une vague violente qui tabasse la falaise pour la faire tomber, non celle qui vient se coucher sur la grève à vos pieds.

Pas un seul mot au-dessus de l’autre, rien que du sérieux, des faits, des idées.

Comprenez, il ne s’agit pas de convaincre quiconque… qui a raison, qui a tort dans cette affaire ? De toute façon, on s’en fout !

À la fin de notre misérable temps, arrivé au bord de la fosse, qui avait finalement raison lors de ces interminables discussions lors des repas de famille, entre deux rots de dinde aux marrons ?

On s’en fout !

Bannir le théâtre d’ombres, déserter les certitudes qui vous y enferment, place aux interrogations, place à la souplesse, place à l’ouverture, à l’aventure.

PLACE AUX GRANDS ESPACES.

PLACE AUX GRANDES PLAINES OÙ SOUFFLE LE VENT DE LA PENSÉE.

Et ainsi tenir jusqu’au pousse…

Au fond, que gagnerait-il à se fâcher ?

Rien ! Et sûrement pas une prochaine invitation pour un prochain repas. Alors la prudence de Sioux s’impose.

IN-TA-RI-SSA-BLE !

Des nuits entières !

Pour l’arrêter, il fallait claironner un solide « ON FERME » ou alors, retournant la bouteille, l’amener à constater… que la dernière goutte, appelée la « goutte du Prophète » étant maintenant tombée… comme la nuit d’ailleurs… il était temps de rentrer.

— Où vas-tu ?

— Par là !

— Je t’accompagne…

Chaque jour, l’indien des grandes plaines avait deux choses à assurer :

1/ le couvert (ça, c’est fait) ;

2/ le gîte, le bivouac.

Un gîte est un lieu aménagé, où l’on peut se loger pour une courte durée (week-end, quelques jours, voire semaines).

***

Un bivouac est un campement sommaire, temporaire et léger qui permet à une personne de passer la nuit dans un milieu sauvage (forêt, montagne, désert…) éloigné des infrastructures hôtelières…

À la lecture de ces définitions si éloignées, toujours il choisissait LE GÎTE.

— Allons-y…

Il faut dire que Cruchet avait de nombreuses relations.

Aucun de ses amis n’aurait songé à prendre un appart’ sans qu’il y soit prévu, en plus des sempiternelles « chambre-kitchenette » un petit coin, voire recoin suffisamment grand pour que puisse y tenir un homme confortablement allongé, mais pas trop grand quand même pour ne pas alourdir démesurément le loyer. Une attention louable pour accueillir un ami dans le besoin… un ami de passage (pas trop long si possible), en quelque sorte…

— J’ai deux offres à vous faire, sensiblement de même surface, mais l’une a un petit débarras en plus.

— Je prends.

— Elle est un peu plus chère aussi…

— Aucune importance, pourvus qu’on…

Pardon, je veux dire… qu’IL puisse y dormir.

Bénie soit l’entraide estudiantine.

Cruchet avait plusieurs gîtes à sa disposition.

Pour les désigner, il usait d’une terminologie empruntée au monde du parachutisme : « point de chute ».

Ce terme lui plaisait, car il donnait à sa vie une image de « vie d’aventure », une image bien sûr complètement détachée du réel, mais qui, à ses yeux, compensait largement, sans avoir eu à prendre le moindre risque, le fait de ne jamais en avoir réellement vécu une… avec ses réels dangers…

Ces parachutages aléatoires lui évitaient l’épreuve de l’ouverture quotidienne de cette boîte dans laquelle est déposé le courrier.

D’ailleurs aucun facteur n’étant en mesure de le localiser, quelle utilité d’en avoir une ?

Sans compter que ce genre de boîte, dont d’ailleurs il aurait sans doute perdu la clef, renferme trop souvent des nouvelles qui font « tache » dans une vie d’aventurier.

Factures, rappel… 2° rappel… 3° rappel… recommandé…

Mise en demeure… et j’en passe !

Ça sent le saut par la fenêtre à l’arrivée de l’huissier !

… Un S.D.F de luxe ?

NON ! Plutôt un A.D.P.F ce qui pourrait se traduire comme « avec domicile pas fixe ».

Ainsi, au gré des jours et des nuits, de ses humeurs, de ses envies, ou plus prosaïquement du fait d’avoir été foutu (ça peut rimer avec coup de pied au cul), parfois avec fracas à la porte du précédent… il changeait de « point de chute ».

Une parade contre la lassitude que ne manquerait pas d’engendrer une trop longue présence et les sempiternelles discussions butées « choc de caractère » qui l’accompagnent et qui se radicalisent avec le temps.

Pratique de balader quelques fringues et une vieille brosse à dents racornie au fond d’un sac pour, quittant la ronchonerie d’une rencontre sur la fin, n’avoir que quelques rues à traverser pour retrouver le calme.

Son sac aussi connu que sa personne avait une forme de banane à porter en bandoulière, pour ajouter à son look cool, un brin de déambulation soixante-huitarde… avec un arc-en-ciel à l’envers comme un sourire épanoui, floqué Peace and love des deux côtés ; le tout en autant de couleurs nécessaires au rayonnement communicatif de la joie.

Son coup de sonnette très caractéristique reprenait le tempo « 5e symphonie » du « POM POM POM POM… » des heures sombres de la guerre à l’écoute de radio Londres, avec la stridulation d’un… « Dring Dring Dring Dring » évocateur… Et lorsqu’il était reparti pas plus tard que le matin même ! Un petit coup d’œil s’avérait indispensable pour s’assurer que le facteur ne l’avait pas plagié. Mais non ! Peace and love, un sésame, un « laissez entrer » exposé bien en évidence devant le judas ne laissait malheureusement plus de place pour le doute ! Pas possible !

Peace and love est déjà de retour ! À peine le temps de réapprovisionner le frigo et de ventiler l’appart !

C’était bien LUI ! IL est de retour ! panique à bord…

MERDE !/ DÉJÀ ? / ENFIN ! du coup, on ne savait plus…

Il avait une manière de bousculer le temps en segments élastiques qui aurait fait grand plaisir à Einstein lui-même, tant était là démontré en évidence la théorie de la relativité.