Atar-Gull - Eugène Sue - E-Book

Atar-Gull E-Book

Eugène Sue

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Atar-Gull est l'histoire d'un jeune Namaquois, déporté à la Jamaïque. Le héros, affectant un dévouement profond pour le colon auquel il a été vendu, le poursuit en fait d'une haine secrète et féroce, en particulier parce que son maître, Tom Wil a fait pendre son père, tout simplement parce que le vieil homme lui coûtait plus qu'il ne lui rapportait. Sa vengeance sera terrible, totale, implacable...

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Atar-Gull

Atar-GullÀ MONSIEUR FENIMORE COOPERLIVRE PREMIERLIVRE DEUXIÈMELIVRE TROISIÈMELIVRE QUATRIÈMELIVRE CINQUIÈMELIVRE SIXIÈMEPage de copyright

Atar-Gull

 Eugène Sue

À MONSIEUR FENIMORE COOPER

Paris, ce 15 mai 1831.

Me pardonnez-vous, monsieur, de répondre publiquement à la lettre si flatteuse que vous avez bien voulu m’écrire au sujet de mon premier ouvrage ?

Cette vanité de jeune homme impatient de mettre tout le monde dans la confidence de sa bonne fortune littéraire est sans doute blâmable ; mais, sentant le besoin de donner quelques explications sur ce nouveau livre, j’ai pensé qu’elles acquerraient bien plus d’importance et de valeur en vous étant adressées, à vous, monsieur, qui avez créé le roman maritime d’une manière si originale et si puissante, et qui partagez avec Gœthe et Scott le rare et précieux privilège d’être un des types de la littérature étrangère contemporaine.

Je suis persuadé comme vous, monsieur, que si l’esprit général de notre nation pouvait arriver peu à peu à comprendre tout ce qu’il y a de forces, de ressources, de moyens de défense ou de conquêtes commerciales dans la marine, la France pourrait devenir l’égale de toute puissance européenne sur l’Océan.

C’est aussi cette conviction profonde, monsieur, qui m’a donné le courage de publier quelques essais maritimes ; car, venant après vous, il fallait un tel mobile pour oser entreprendre une tâche aussi périlleuse.

J’ai longtemps agité la question de savoir si je ne devais pas choisir pour sujet de romans quelques-uns de ces merveilleux faits d’armes, si nombreux dans nos annales maritimes ; mais j’ai estimé qu’il était mieux de débuter modestement comme peintre de genre.

Et puis j’ai pensé aussi que le public, plus familiarisé avec l’idiome, la langue et les habitudes des marins par mes premières esquisses, pourrait prêter une attention moins distraite alors par l’étrangeté de ces mœurs à une fabulation tout historique, d’une portée plus large et d’un intérêt plus national.

Vous trouverez peut-être, monsieur, que j’ai bien abusé, dans Atar-Gull, de cette licence que vous nous accordez, de commettre des meurtres flagrants et atroces pour exciter la sensibilité du lecteur ; mais je me débattais en vain sous la fatale influence de l’effrayant sujet que j’avais embrassé, et, comme Macbeth de Shakespeare, ma férocité n’a pas eu de bornes, parce qu’un crime était la conséquence, la déduction logique d’un autre crime.

Aussi, monsieur, j’ai une terrible crainte de passer pour un homme abominable, faisant de l’horreur à plaisir.

Et pourtant, à la faveur de cette peinture trop exacte (je le crois) de la traite des noirs, de leur esclavage et de ses résultats, j’ai voulu, non élever une polémique bâtarde et usée sur des droits que plusieurs contestent, mais bien poser des faits, des chiffres, au moyen desquels chaque partie adverse pourra établir ses comptes. – L’addition seulement reste à faire.

Maintenant, monsieur, je vais vous soumettre le plan que j’ai cru devoir suivre pour parfaire ce livre.

Permettez-moi seulement une question.

Ne vous est-il pas souvent arrivé de rencontrer par hasard, dans le monde, un homme que vous ne connaissiez pas, et que vous regardiez pourtant avec une curieuse attention, tant sa physionomie vous frappait ?

La tournure originale, incisive de quelques phrases vous étonnait, et vous écoutiez avidement… – Alors, tombant sous le charme d’une conversation rapide, étincelante, animée, n’éprouviez-vous pas je ne sais quelle sympathie pour cet être si singulier qui, apparaissant là comme isolé au milieu de ce monde bruyant et tumultueux, semblait presque fantastique, tant il y avait d’imprévu, de charme et de mystère dans cette rencontre ?

Et puis, malheur, un importun vous frappait sur l’épaule, vous détourniez la tête avec humeur… et malheur… car l’inconnu était peut-être Byron, Chateaubriand, Bonaparte…

Et il avait disparu… et vous ne le revoyiez plus… plus jamais… Aussi y pensiez-vous toujours avec un sentiment de tristesse douce et de regret… En un mot, cette soirée, cette heure de conversation datait dans votre vie, n’est-ce pas ?

Et laissez-moi, monsieur, citer à l’appui de ceci deux faits personnels : il ne s’agit ni de Byron, ni de Chateaubriand, ni de Bonaparte, mais d’hommes qui ne manquaient pas de supériorité.

Un jour, j’étais à Saint-Pierre (Martinique) et, comme notre frégate devait mettre à la voile, j’allai le soir faire mes adieux à une excellente et digne famille, dont les soins touchants et empressés m’avaient arraché à une mort cruelle. – J’arrivai, et après quelques moments d’une causerie amicale, on annonça le curé de ***.

Figurez-vous, monsieur, un homme jeune encore, pâle, le front saillant, des yeux vifs et noirs, une parole brusque, brève, et l’air, le ton de la meilleure compagnie.

On parla politique. – Je m’attendais à une discussion étroite et hargneuse, ou à un dédaigneux mutisme de la part du prêtre. – Point : le prêtre causa longtemps, et sa conversation âpre et nerveuse, ses idées claires, fortes et neuves, m’étonnèrent à un point extrême.

On parla beaux-arts, musique, peinture : même supériorité, même science, toujours naïve, saine et vigoureuse… Et je me souviens qu’il nous fit, entre autres choses, une curieuse et poétique dissertation sur l’influence du polythéisme et du christianisme dans les arts, tout à l’avantage de la dernière croyance.

On parla statistique, géométrie, mécanique ; il en raisonna comme un habile praticien, et le colon chez lequel je me trouvais lui demanda même pourquoi il ne faisait pas exécuter en grand l’admirable moulin à sucre qu’il avait inventé.

Enfin, monsieur, vaincu par les sollicitations de mon hôte, qui jouissait de ma stupéfaction, nous allâmes au presbytère. Il était, je crois, minuit.

Ici, le prêtre nous chanta de sa musique, nous montra de sa peinture, voulut bien nous lire un de ses livres, un manuscrit remarquable sur la liberté des cultes, nous expliqua ses machines à moudre les cannes, singulièrement simplifiées.

Que vous dirai-je, monsieur ? ce prêtre résumait en lui tous les prodiges de l’intelligence et du savoir : simple, pauvre et bon, d’une infatigable activité d’esprit, ne dormant presque pas, et passant sa vie à fouiller les racines de l’arbre de la science ; en un mot, c’était presque un Faust, à la damnation près (je le suppose du moins).

Enfin, monsieur, ces heures rapides passèrent ; je restai sous le charme jusqu’à trois heures du matin ; à cinq heures j’étais en route pour la Jamaïque, et je ne devais plus revoir ce prêtre singulier, je ne l’ai plus revu ; peut-être a-t-il fini ses jours sous le ciel brûlant des tropiques, car sa santé était faible et usée par l’étude… peut-être ce génie ardent et inconnu est enseveli sous une pierre obscure.

Une autre fois, en Grèce, quelques jours avant le combat de Navarin, je vis pendant une heure, à Anti-Paros, un descendant du célèbre Panajotti, favori du vizir Kropoli ; cet intrépide vieillard avait puissamment contribué au soulèvement de son pays, connu Byron et égalé Canaris ; d’une finesse d’esprit exquise, d’un jugement droit et éprouvé, il me parla longuement de la Grèce, et jamais la position vraie de ce malheureux pays, son avenir, ses ressources, n’ont été plus poétiquement exposés que par ce vieux Grec à longs cheveux blancs, au costume pittoresque, assis sur un fragment de marbre aux sculptures effacées, prophétisant l’avenir de cette nation, qui fut toujours un prétexte dans les mains des puissances européennes.

Je quittai, et ne vis plus qu’une fois cet homme extraordinaire : ce fut le lendemain du combat du 20 octobre ; il passait rapidement dans un canot le long de notre vaisseau, et se rendait, je crois, auprès de l’amiral, comme envoyé du gouvernement grec.

Cette longue et fatigante digression, monsieur, tend à établir ceci, que souvent des êtres tantôt remarquables par une grande puissance d’organisation, tantôt par des vices ou des vertus portés à l’excès… mais toujours frappants, saillants, d’une espèce à part, traversent notre existence, rapides et éphémères, comme ces météores que nous ne voyons qu’un moment, et qui s’éteignent pour toujours.

Or, monsieur, je me suis demandé pourquoi, dans les romans maritimes surtout, dont le cercle est immense, dont les scènes sont souvent séparées entre elles par des milliers de lieues, on ne tenterait pas de jeter cet imprévu, ces apparitions soudaines qui brillent un instant et s’effacent pour ne plus reparaître ;

Pourquoi, au lieu de suivre cette sévère unité d’intérêt distribué sur un nombre voulu de personnages qui, partant du commencement du livre, doivent, bon gré mal gré, arriver à la fin pour contribuer au dénouement chacun pour sa quote-part ;

Pourquoi, dis-je, en admettant une idée philosophique ou un fait historique qui traverserait tout le livre, on ne grouperait pas autour des personnages qui, ne servant pas de cortège obligé à l’abstraction morale qui serait le pivot de l’ouvrage, pourraient être abandonnés en route suivant l’opportunité ou l’exigeante logique des événements.

Alors, monsieur, le lecteur éprouverait peut-être cette impression que j’ai tâché de rendre sensible, cette impression qui résulte de la subite apparition d’un homme extraordinaire que l’on ne voit qu’une fois et dont on se souvient toujours.

Je sais, monsieur, qu’il faudrait un prodigieux talent pour arriver à ce résultat, d’attacher l’intérêt du lecteur sur un personnage pendant le tiers de l’action, je suppose, puis de faire disparaître ce personnage et de reverser l’intérêt sur celui qui le remplace, enfin d’arriver ainsi au dénouement de l’ouvrage.

Mais s’il était possible de réussir, je crois qu’on aurait surmonté l’écueil inévitable que les romans maritimes semblent offrir par les distances et les événements qui doivent nécessairement rendre l’unité d’intérêt et de lieu au moins bien difficile.

Car enfin, monsieur, un navire est en route ; avant d’arriver à sa destination, il touche dans dix pays différents : là, des mœurs étrangères, insolites, qui n’offrent aucun rapport entre elles, et peut-être là dix actions, dix puissants motifs d’intérêt, de quoi faire un beau livre ; le vaisseau part, et on ne se revoit plus, les amitiés commençantes sont brisées, l’amour brusquement tranché à sa première phase. Adieu l’unité d’intérêt.

Somme toute, ainsi qu’on l’a déjà dit, n’est-ce pas aussi une unité d’intérêt qu’un fait ou une idée morale, qui, traversant tout un livre, sert de pivot, de lien, aux événements ou aux personnages qui gravitent autour ?

Et le roman de marine surtout, ne peut-il pas vivre d’épisodes qui seraient déplacés dans tout autre genre de composition ?

Je sais qu’il était donné à un talent tel que le vôtre, monsieur, d’encadrer, de resserrer dans le cycle de l’unité les scènes immenses que vous avez décrites, et de résoudre un problème insoluble pour tout autre ; mais c’est parce que je reconnais l’impossibilité d’atteindre à cette hauteur que je tâche de faire excuser le système contraire que j’ai adopté.

J’ose croire, monsieur, que vous ne verrez pas dans tout ceci la moindre idée de fonder, d’établir une théorie quelconque ; je vais seulement au-devant de la critique qui pourrait, à juste titre, me reprocher d’avoir essayé de mettre en relief dans le livre trois personnages au lieu d’un, sur lequel toute l’attention du lecteur devait être concentrée.

Je ne terminerai pas cette trop longue lettre, monsieur, sans vous exprimer encore toute ma reconnaissance pour les encouragements que vous avez daigné donner à des ébauches bien imparfaites sans doute.

EUGÈNE SUE.

LIVRE PREMIER

CHAPITRE I LA CATHERINE

Jamais d’enfants, jamais d’épouse !

Nul cœur près du mien n’a battu ;

Jamais une bouche jalouse

Ne m’a demandé : « D’où viens-tu ? »

VICTOR HUGO – Ode XXI, t. 2.

Voyez ce brick ; il glisse bien timidement sur la mer des Tropiques, car c’est à peine si cette brise légère et folle peut gonfler ses larges voiles grises.

Écoutez le murmure sourd et mélancolique de l’Océan ; on dirait le bruit confus d’une grande cité qui s’éveille : voyez comme les vagues se soulèvent à de longs intervalles et déroulent avec calme leurs immenses anneaux ; quelquefois une mousse blanche et frémissante jaillit du sommet diaphane des deux lames qui se rencontrent, se heurtent, s’élèvent ensemble et retombent en poussière humide après un léger choc.

Oh ! qu’elle est scintillante et nacrée, cette frange d’écume qui se découpe sur les flancs bruns du navire ! comme le cuivre de la carène étincelle en reflets d’or au milieu de ces eaux vertes et limpides ! que le soleil brille doucement au travers de ces voiles arrondies qui projettent au loin leurs ombres tremblantes !

Et par l’ange de saint Pierre, c’est un vaillant brick que celui-ci, qui, mollement bercé sur une mer paresseuse, semble s’y jouer comme une dorade par un beau temps.

Au souffle de cette brise, il continue honnêtement son chemin vers le sud-est, arrivant sans doute d’Europe, où il se sera défait de toute sa cargaison, car il navigue sur son lest, et montre presque deux pieds de cuivre hors de l’eau.

Il fait à bord une chaleur excessive, et le soleil ardent de l’équateur calcine le pont, malgré la double tente qui couvre la dunette.

Dans ce navire, tout était propre, luisant, frotté ; il y régnait un ordre admirable, un arrangement minutieux des plus petits détails, on eût dit un de ces comptoirs d’acajou soigneusement cirés, qui font la gloire et le bonheur d’un respectable fabricant de bonneteries.

Les fenêtres, ouvertes à la brise, laissaient pénétrer dans la dunette un courant d’air vif et frais qui soulevait de jolis rideaux de toile de Perse, et une vaste moustiquaire dont les plis légers entouraient un lit suspendu.

L’ameublement de cette petite cabine était fort simple : deux chaises, quelques instruments de mathématiques, un porte-voix, une malle, une table à roulis, et sur la table deux verres et une cruche de genièvre.

Au-dessus, le portrait d’une femme grasse et rebondie, souriant à un gros enfant joufflu qui lui offrait une rose, je crois ; et dans le fond du tableau, un chat angora, l’œil vif, la patte en l’air, jouant avec une bobine de coton.

Quel portrait ! quelle femme ! quel enfant ! quelle rose ! quel chat !

Tout cela fade et blanc, faux et lourd, laid, guindé, plâtré, pourtant on y trouvait je ne sais quelle naïveté d’expression qui n’était pas sans charmes : on reconnaissait dans cette peinture informe une bonne nature de femme heureuse et gaie ; et jusqu’à ce gros enfant, rouge comme sa rose, tout semblait respirer le bonheur et la joie. Et puis au-dessus du tableau pendait, soigneusement accrochée à un clou, une vieille couronne de bleuets toute fanée.

L’équipage du brick, accablé par la chaleur, s’était sans doute retiré dans le faux pont, et tout dormait à bord, excepté le matelot du gouvernail et trois autres marins couchés au pied du grand mât.

Le timonier fit alors tinter huit fois une petite cloche placée près de lui, et cria d’une voix forte : « Allons, vous autres, relevez le quart. »

Le bruit causé par cette manœuvre réveilla sans doute l’habitant de la dunette, car la moustiquaire s’agita, on entendit tousser, remuer, grogner, et un homme en sortit après s’être frotté vingt fois les yeux en bâillant d’une étrange manière.

C’était M. Benoît (Claude-Borromée-Martial), capitaine et propriétaire du brick la Catherine, de trois cents tonneaux, doublé et chevillé en cuivre (le brick).

M. Benoît (Claude-Borromée-Martial) était court, replet, fortement coloré, un peu chauve, avait le nez gros et rouge, les lèvres épaisses, le menton rentré, les joues pleines et lisses, et de petits yeux d’un bleu clair qui exprimaient une parfaite quiétude ; en somme, c’était bien la plus honnête physionomie du monde. Une veste et un pantalon de toile rayée composaient toute sa toilette, et lorsque, après avoir entouré son cou d’un madras, couvert sa tête grisonnante d’un grand chapeau de paille, il sortit de sa dunette, la figure calme et reposée, l’air souriant, satisfait, les mains croisées derrière le dos… vrai, n’eussent été les feux dévorants de l’équateur qui faisaient étinceler l’Océan comme un miroir au soleil, la chaleur étouffante et le plancher mobile du brick… on eût pris M. Benoît pour un campagnard, humant l’air parfumé du matin dans son bosquet, de tilleuls fleuris, et allant s’asseoir sur le frais gazon pour respirer à son aise la bonne odeur de ses jasmins tout brillants des gouttes de rosée.

– Eh bien, garçon, dit-il au timonier en lui pinçant joyeusement l’oreille, la Catherine file donc devant la brise comme une demoiselle respectueuse devant sa mère ? (Car les comparaisons de M. Benoît étaient toujours chastes.)

– Oui, capitaine ; mais elle se tortille comme une déhanchée, la vilaine. Tenez… quel coup de roulis… et cet autre…

– Ah ! dame, mon garçon, si nous avions quelques quintaux de fer dans notre cale, elle serait appuyée, cette pauvre Catherine ; mais arrive notre chargement, et tu la verras ne pas plus broncher que l’armoire à linge que j’ai à Nantes dans ma petite salle à manger où je reçois mes amis, disait naïvement le bon capitaine en étouffant un soupir de regret.

À ce moment, un grand homme, brun et décharné, descendit des haubans de misaine et sauta sur le pont.

– Je ne l’ai plus revue, dit-il au capitaine Benoît en lui rendant sa lunette, il faut qu’elle soit cachée dans la brume, car elle épaissit diablement, la brume ; et le soleil, hein… est-il foncé ?

– Le fait est, monsieur Simon, que le soleil a l’air du four de campagne que Catherine faisait rougir au feu pour dorer le macaroni que j’aimais tant… (Ici nouveau soupir.) Mais, dis-moi, cette goélette… elle me tracasse.

– Disparue, capitaine, disparue ; j’avais d’abord craint que ce fût une goélette de guerre, mais non ; un gréement tenu comme la tignasse d’un mousse malpropre, des mâts de hune et des flèches de perroquet à faire chavirer le bon Dieu, s’il s’embarquait à bord… et…

– Simon… Simon… tu recommences, je n’aime pas à t’entendre blasphémer comme un païen ; tu fais le philosophe, et ça te jouera un tour… tu verras.

– Allons, bon, motus, mais, je vous le dis, cette goélette n’est point un bâtiment de guerre pour sûr ; d’ailleurs, les croiseurs anglais ou français ne visitent jamais ce côté de la ligne ; ainsi ne craignez rien.

– Je ne crains rien non plus ; j’ai exprès choisi ce côté de la ligne, parce que je n’ai pas de concurrents ; mes affaires n’en vont pas plus mal ; encore un ou deux jours, et nous verrons le père Van-Hop… Il devient retors en diable, par exemple, le bois d’ébène[1] renchérit. Ah ! il est passé, ce bon temps où, pour quelques caisses de quincailleries, j’en chargeais mon brick à ne savoir où mettre les pieds…

– Alors, dit Simon, on ne se moquait pas mal du déchet.

– Un tiers, Simon, toujours un tiers de déchet, parce qu’il faut, vois-tu, que le bois d’ébène fasse son jeu dans le faux pont, à cause de l’humidité et de la chaleur.

– Aussi, capitaine, ce qui reste est fameux ! et on peut le vendre à la Jamaïque pour en faire des pioches et des chariots, sans crainte qu’il éclate, répondit Simon en riant.

– Farceur… et pourtant c’est une partie toujours très demandée par ces messieurs des colonies.

– Cordieu ! capitaine, si vous croyez qu’il ne faut pas plus de temps au chanvre pour pousser que pour s’user une fois qu’il est tressé en cordages… et que le bon Dieu n’a qu’à souffler pour…

– Ah çà, Simon, encore ! tu ne veux donc pas finir ?… Silence donc, tu vas nous attirer quelque chose de là-haut ; tais-toi ; viens plutôt causer de Catherine et boire une gorgée de gyn.

Le capitaine et son second entrèrent dans la dunette et s’attablèrent.

– Tiens, Simon, dit Benoît en montrant le portrait qui ornait sa petite chambre, vois donc, on croirait que Catherine nous regarde ; et Thomas, donc… est-il ressemblant ! Jusqu’à Moumouth qui a l’air de me reconnaître avec sa patte levée ; et puis c’est cette couronne-là qu’ils m’ont donnée le jour de ma fête… à la Saint-Claude… Pauvres chers amours ! allez… je pense à vous.

Et il soupira profondément, le digne homme !…

– Le fait est, capitaine, que vous pouvez vous vanter de faire un crâne père de famille, dit l’autre avec l’accent d’une intime conviction.

– Aussi, une fois cette campagne finie, reprit Benoît, je plante mes choux ; car, après tout, qu’est-ce que je veux, moi ? je n’ai pas d’ambition. Ah ! mon Dieu ! une petite maison blanche, des volets verts et un rond d’acacias sous lequel on dîne avec une paire d’amis et sa chère Catherine… sa chère épouse.

Et les yeux du capitaine Benoît pétillaient de plaisir en contemplant avec joie le portrait de ce qu’il appelait son épouse.

– C’est qu’aussi, capitaine, votre épouse… Ah ! votre épouse est digne d’être aimée… elle a, sacredieu ! une paire de bossoirs que…

– Simon ! ah ! Simon…

– Pardon, capitaine ; c’est le gyn, il est fameux, et ça monte ; à propos du gyn, capitaine… Mais voyez donc quel calme, quel beau temps ! ça réjouit le cœur. À propos du gyn, on dit, et j’en suis sûr, qu’il n’y a rien de bon pour la santé comme de faire bouillir dans du tafia une pomme de pin piquée d’une douzaine de piments enragés, et gros comme le poing de poivre de Cayenne ; on mêle ça avec le rhum ou le genièvre, et mordieu, capitaine, c’est à regretter de n’avoir pas le gosier large, large comme une manche à vent, pour s’en abreuver à flots.

– Bigre, ça doit gratter un peu, dit Benoît en hochant la tête.

Pardonnez-lui ce juron (bigre), c’était le seul qu’il se permît.

– Du tout, capitaine, c’est un velours, c’est doux comme le duvet d’une jeune mouette, un baume pour l’estomac… J’ai connu un quartier-maître voilier, un nommé Bequet, qui s’est guéri avec ça d’un affreux catarrhe qu’il avait pris à Terre-Neuve sur un banc de glace.

– Ça, c’est vrai comme Catherine n’a qu’un œil. Simon, à ta santé, mon garçon.

– Ne me croyez pas si vous voulez… À la vôtre, capitaine. Mais voyez donc quel temps !

– Au fait, Simon, quel joli calme ! il fait presque frais. Oh !… le beau soleil !… À ta santé… Un temps comme celui-là, vois-tu, ça donne envie de boire.

– Capitaine, ceci est physique… Mettez une éponge imbibée au soleil, et vous verrez la chose. À la vôtre.

– Ah ! Simon, c’est toi qui me fais l’effet de l’éponge, car tu t’imbibes joliment, répondit maître Benoît, qui commençait à être fort gai, très gai, on ne peut pas plus gai. Dis donc, Simon…

– Capitaine…

– Si tu es raisonnable et que le père Van-Hop ne m’écorche pas trop en revenant de la Jamaïque… nous relâcherons quelque part.

Et en parlant de parcourir ainsi presque le quart du globe, le bonhomme n’y mettait pas plus d’importance que s’il eût dit : « En revenant du faubourg, si j’ai fait un bon marché, nous entrerons prendre quelque chose dans une taverne. »

– Vrai… bien vrai ?

– Foi d’homme, Simon ; et alors… deux ou trois bonnes journées… des farces, dit à voix basse et mystérieusement Benoît en couvrant à moitié sa bouche avec sa main gauche.

– C’est ça, capitaine, des folies ; nous rirons, je dépense ma solde en deux jours ; allez donc : des voitures, des femmes, des oranges, des gants, des bas, des chaînes de montres, un castor en poil et des bretelles ! Allez donc… tout le tremblement à la voile !

– Et c’est vrai, et allez donc, répétait Benoît à moitié gris, en frappant sur la table avec son gobelet de fer blanc.

– Et allez donc… nous nous amuserons joliment… Quel beau temps ! Ah ! ouf ! mais il ne faudra pas que Catherine sache… bigre ! ! !

– Pardieu… capitaine… je le crois bien… à sa santé… Nous relâcherons à Cadix… Ah ! capitaine… capitaine, je vous vois déjà sur la place San-Antonio… Tonnerre du diable… c’est là qu’il y a des femmes ! des yeux grands comme les écubiers d’une frégate, des dents… comme des râteliers de tournage, et puis comme dit la chanson :

Y una popa,

Caramba.

Como un bergantin.

Ah ! bah, faut jouir de la vie ; au bout du mât de misaine la culbute, dit Simon, d’un jour à l’autre on peut avaler sa gaffe[2]… et, bigre, on a raison de…

À ce moment, le capitaine fut interrompu par un bruit infernal, et le brick donna une telle bande sur bâbord, que les bouts-dehors des basses vergues plongèrent d’un pied dans l’eau.

Benoît et Simon s’attendaient si peu à cette effroyable secousse, qu’ils furent jetés sur la cloison.

– C’est une saute de vent[3], cria Benoît tout à fait dégrisé et se précipitant hors de la dunette.

– Ce qui nous annonce un ouragan… Ainsi, nous allons rire, dit Simon en suivant son capitaine.

L’OURAGAN

Heureux matelot ! ta vie est accidentée d’une manière si piquante ! tout à l’heure du calme, du soleil, un balancement doux comme celui qu’une jeune Indienne imprime à l’érable rouge festonné de guirlandes d’apios qui cache parmi ses fleurs le berceau de son fils.

Alors l’insouciance, la molle paresse, une causerie sans suite, capricieuse et vagabonde ; alors tes gais souvenirs de terre, le vieux chant de ton pays et une bouteille de ce genièvre poivré qui réjouit tant le cœur et y verse la poésie à flots ; car ta poésie, à toi, bon marin, c’est l’espérance !… L’espérance de voir dans l’avenir des combats dont tu sors vainqueur, une grosse orgie, un ancrage sûr où ton navire puisse dormir pendant que tu sèmes à terre les piastres, les gourdes, les onces, les moïdors, que sais-je, moi ? car, en vérité, tu as des monnaies de toutes sortes, brave homme ; le ciel sait où tu les prends… Enfin, le genièvre te montre tout cela à travers son prisme jaune et brillant comme la topaze. Tu poignardes ton ennemi, tu serres ton or, tu baises les joues d’une joyeuse fille… Tiens, des sequins ; tiens, des peziques… en voici, cordieu, en voici : achète des robes à falbalas, comme la femme d’un amiral fais-toi belle, et donne-moi le bras…

Mais tout à coup le ciel se couvre, l’Océan mugit, le vent gronde, laisse là ton verre à moitié plein, n’achève ni ton projet, ni ta chanson, ni ton sourire, plisse ton front et brave la mort, car elle est menaçante…

Or, aussi à bord de la Catherine, on était généralement d’avis qu’elle menaçait.

L’équipage monta sur le pont, triste, silencieux, car on n’était pas encore au fort du péril : on l’attendait, on le voyait arriver, et cette conscience d’un danger prochain, inévitable, avait assombri toutes les figures.

Le brick s’était fièrement redressé, quoiqu’il eût perdu son petit mât de hune dans la bourrasque. Mais les vagues commencèrent à s’enfler, et le ciel se couvrit de vapeurs glauques et rougeâtres comme la fumée d’un incendie, qui, se reflétant sur les eaux, voilèrent d’une teinte grise et lugubre cet Océan tantôt si frais et si bleu.

– C’est un échantillon de ce que le vent nous promet, et il tiendra, avait dit Benoît qui s’y connaissait.

Aussi à peine les huniers étaient-ils amenés qu’un mugissement sourd se fit entendre, et une large zone de nuages sombres, noirs, qui semblait unir le ciel et la mer, s’avança rapidement du nord-ouest en chassant devant elle un banc d’écume bouillonnante, effroyable preuve de la fureur des vagues qui accouraient avec la tempête…

Benoît et Simon se serrèrent la main en échangeant un coup d’œil sublime.

Ces physionomies, naguère insignifiantes comme la brise folle qui se jouait dans les cordages du vaisseau, parurent sortir d’un sommeil léthargique ; ces hommes vulgaires, ces nains, pendant le calme, grandirent… avec l’ouragan et se dressèrent, géants intrépides, au premier choc de la tempête.

Ce qu’il y avait de mesquin et de plat dans la figure du capitaine disparut ; ce front tout à l’heure stupide se releva brillant d’une incroyable audace qui semblait défier le ciel ! Ce regard terne devint éclatant, et un sourire de dédain et de supériorité donna une admirable expression à cette bouche si niaise.

C’est qu’aussi, en présence de ces instants décisifs, de ces imminentes questions de vie ou de mort, les petits détails de beauté conventionnelle s’effacent, l’âme seule se reflète sur le visage, et si, au moment du péril, cette âme s’est réveillée puissante et vigoureuse, elle imprimera toujours un caractère noble et grandiose aux traits de l’homme qui osera lutter contre la nature en furie.

– Enfants, cria le capitaine, car déjà l’ouragan hurlait plus fort que le tonnerre ; enfants, ne craignez rien, ce n’est que de l’eau et du vent ; dépassez le mât de hune qui nous reste. Toi, Simon, cours à l’avant, nous essayerons de tenir la cape avec la grand-voile au bas ris, tâche de la faire amurer… et toi, timonier, la barre dessous ; mettez-vous deux, trois, s’il le faut, pour gouverner ; car je crois que le vent va s’entêter contre le brick, comme un enfant mutin contre son père… Aussi, mes garçons, ne lui cédons pas… c’est d’un mauvais exemple.

À peine Benoît achevait-il ces mots, que l’ouragan tombait à bord.

La Catherine tourbillonna longtemps sur des lames affreuses qui se brisaient entre elles, et disparut même au milieu d’une pluie d’écume soulevée par la violence de la tempête qui sifflait dans les manœuvres, pendant que les craquements de la membrure se succédaient, secs et précipités, comme le bruit d’un marteau sur une enclume ; inondé par d’énormes masses d’eau qui, s’abattant sur le pont avec un horrible fracas, le balayaient dans toute sa longueur ; soulevé sur le dos monstrueux des vagues et lancé dans un abîme sans fond, le malheureux brick semblait vouloir s’engloutir à chaque instant.

– Tenez-vous aux haubans et aux râteliers, criait Benoît, ce n’est rien, ça rafraîchit, il fait si chaud !… et puis la propreté de Catherine sera faite pour demain… et vous, la barre sous le vent… lofez… lofez… ou sinon…

Il ne put achever, une montagne d’eau qui s’élevait à la hauteur des hunes, déferlant contre la dunette, se déroula sur le pont, le couvrit de débris et se retira par la proue en emportant deux hommes qui disparurent au milieu des flots. Ces deux hommes venaient, je crois, d’épouser les deux sœurs, deux Nantaises fraîches et roses ; ils s’aimaient beaucoup, une forte amitié de matelots ; toujours de quart ensemble, toujours ivres ensemble, toujours se battant ensemble, l’un s’était marié pour faire comme l’autre, l’autre se jeta à l’eau pour sauver son ami ou faire comme lui, se noyer. Or, ils finirent ainsi qu’ils avaient commencé : ensemble !

Simon était fortement accroché à une drisse ; quand la vague fut écoulée, il se releva fièrement, le front intrépide, ruisselant d’eau, ses cheveux collés sur ses joues.

Un matelot, jeté violemment sur la drôme par cette dernière lame, s’était cassé le bras et hurlait très fort.

– Veux-tu fermer la bouche, braillard, lui dit Simon, ou tu avaleras la première baleine[4] qui tombera à bord !

Les cris redoublaient.

– Après tout, je m’en moque, dit Simon, fais la pompe si ça t’amuse…

Il fallait bien tâcher de consoler et d’égayer ce pauvre blessé.

– Et toi, mon bon Caiot, disait le capitaine Benoît au timonier, la barre sous le vent… attention…

– Oh ! capitaine, répondait celui-ci en s’essuyant le front, tant que le navire gouvernera, n’y a pas de soin, ça balance, c’est, sauf respect, comme le tape-cul qui est à Nantes au Panier Fleuri, autant jouer à ça qu’à autre chose, et on n’a pas à craindre les plats-dos…

– Défiez-vous… défiez-vous, capitaine, cria Simon, car il vit arriver avec fracas une énorme lame qui, se dressant menaçante, resta immobile pendant cet espace si court où le sommet est tenu en équilibre sur sa base… mais la violence du vent la fit pencher ; elle plia sur elle-même, se déroula pesamment en poussant devant elle une nappe d’eau blanchissante, vint s’abattre avec fracas sur l’arrière du brick, et il disparut encore sous cette vague qui tonnait comme la foudre…

La commotion fut si violente, que le safran du gouvernail, heurté par le travers, donna une affreuse secousse à la barre ; les trois hommes qui la tenaient furent renversés sur le pont, et, par suite de ce malheureux accident, le brick venant au vent, la grande voile vacilla et fut masquée en grand.

Benoît sortait alors de dessous la vague qui venait de se retirer, et tenait embrassé le portrait de sa femme qu’il avait repêché au milieu des débris de la dunette.

– Je ne laisse pas comme cela enlever Catherine, disait-il, car ma pauvre épouse…

Il ne put achever en voyant la position critique du navire.

– Nous sommes perdus ! s’écria-t-il.

Et d’un bond il se précipita sur la barre pour laisser arriver et tâcher de démasquer. Impossible… il était trop tard…

Le grand mât résista à peine deux secondes, plia… se rompit avec un bruit éclatant, brisa le gréement qui se tenait du côté du vent, tomba sur le bastingage du bâbord… et de là dans la mer, en entraînant les haubans qui l’attachaient toujours au navire.

Ce qu’il y avait d’horrible dans cette position c’est que ce mât, poussé par les lames furieuses, allait et revenait contre le brick, auquel il tenait encore par une partie de ses manœuvres, et, agissant comme un bélier sur ses flancs, menaçait d’y faire une trouée qui l’eût coulé à fond. Une seule chose restait à faire : c’était de couper les cordages qui liaient cette poutre au brick[5].

– Il n’y a pas à balancer, c’est dangereux, mais il y va de notre peau, dit Benoît en s’amarrant aussitôt au bout d’une manœuvre ; et d’un saut il fut à cheval sur le bastingage, sa hache à la main.

– Catherine et Thomas, dit le brave homme en enjambant le plat-bord, c’est pour vous.

Il s’élança… Mais une main de fer saisit la corde au moment où il allait sauter, et le digne Benoît fut un instant suspendu en l’air, puis halé à bord par son ami Simon.

– Ah ! gredin ! s’écria Benoît, tu veux donc faire sombrer le brick ?

Et il dirigea sa hache sur Simon, qui évita le coup…

– Diable ! vous devenez vif, capitaine ; je voulais vous dire que ce n’est pas là votre place. Pour cette besogne, vous ne verriez pas assez clair : Catherine et Thomas vous brouilleraient la vue.

Et il sauta sur le bastingage.

– Mon bon Simon, dit Benoît en l’arrêtant par la jambe, jure-moi…

– Sacré mille tonnerres ! mille millions de diables ! voulez-vous me lâcher ! sacré…

– Ce n’est pas comme ça que je voulais te faire jurer, mais amarre-toi, pour l’amour de Dieu, amarre-toi…

Simon ne l’entendait plus, il s’était déjà jeté à la mer, afin d’atteindre le mât et de s’y cramponner pour le débarrasser de son gréement. Le vent se calmait, mais la houle était toujours très forte.

– Pauvre Simon ! il est cuit, dit Benoît en voyant son second tâchant de se tenir à cheval sur cette poutre ronde qui roulait à chaque lame et s’avançait vers le flanc du brick.

La position de Simon était horriblement dangereuse, car il risquait à tout moment d’être écrasé contre le navire.

– Encore un coup de hache, Simon, criait Benoît, et nous sommes parés. Ah ! mon Dieu ! Simon, Simon… défie la vague… à la mer… jette-toi à la mer… tu vas… Simon, Ah !…

Et le capitaine poussa un cri affreux en mettant la main devant ses yeux.

Simon avait eu la tête broyée entre le mât et le brick, mais aussi, grâce à son intrépide sang-froid, le navire était sauvé d’une position bien critique, je vous assure.