Au crépuscule des songes - Jordan – Rafał Mądrzejewski – Carrio - E-Book

Au crépuscule des songes E-Book

Jordan – Rafał Mądrzejewski – Carrio

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Beschreibung

"Au crépuscule des songes" mêle poésie, sciences humaines et autobiographie dans une œuvre où la réflexion critique rencontre une sensibilité vibrante. Entre révolte et tendresse, l’auteur explore les complexités de l’être humain et de la société, invitant le lecteur à un profond questionnement. Le récit culmine avec des fragments autobiographiques révélant les forces intérieures qui ont nourri sa plume, offrant une lecture à la fois riche et inspirante.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Originaire de Pologne, Jordan – Rafał Mądrzejewski – Carrio arrive en France en 1991 à la suite d’une adoption et embrasse rapidement la langue et la littérature françaises. Ancien militaire et musicien, il entame en 2013 l’écriture de son premier ouvrage, nourri par ses voyages et ses expériences. Il vous propose dans cette œuvre une plongée dans le monde contemporain, empreinte de ses multiples vies.

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Seitenzahl: 213

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Jordan – Rafał Mądrzejewski – Carrio

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au crépuscule des songes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Jordan – Rafał Mądrzejewski – Carrio

ISBN : 979-10-422-5617-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Illustrations : Jordan – Rafał Mądrzejewski – Carrio

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À Małgorzata Mądrzejewska, née Kaminska

(30/03/1964 – 16/07/2000),

Ma maman, une idéaliste

À qui l’on vola ses enfants, mais pas sa dignité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Je souhaiterais que tu sois ma maman dans chacune de mes vies… éternellement. »

 

 

 

 

 

Préface

 

 

 

Je me suis vu confier la rédaction de la préface de cet ouvrage par Rafał, mon compagnon, avant même que le livre ne soit achevé, car il a vu en moi la personne de confiance la plus à même d’accomplir cette tâche. En effet, ce n’est pas seulement parce que je partage son quotidien que je lui ai semblé la personne la plus légitime, mais parce que son projet d’écriture, qu’il avait entamé bien avant de me connaître, a évolué en vivant à mes côtés. Si je suis en partie la cause de ce livre, dans sa forme actuelle, je crois qu’il m’incombe d’en expliquer la raison. Ainsi, à travers cette préface, qui était tout d’abord une commande de son auteur, j’ai voulu non seulement donner quelques indications sur la naissance du texte et sur le processus d’écriture, mais également livrer des clés de lecture qui, je l’espère, permettront au lecteur de mieux cerner l’auteur et de lui donner envie de découvrir ses écrits. La tâche est cependant ardue pour moi : j’ai l’impression de devoir me dédoubler afin de porter un regard critique sur cette production alors que je suis, par ailleurs, engagée dans l’intimité du travail de création. Il me faudra donc rester factuelle, objective, dans ma description du livre. Je tiens à préciser, de manière préliminaire, que je ne cherche cependant pas à tirer une quelconque gloire de ce qui est écrit ici. Il s’agit bien des écrits de Rafał, non des miens. Ce sont, paradoxalement, les fruits les plus amers et les plus suaves de son esprit rêveur, et pourtant lucide, qui sont portés devant vous.

 

Naissance du projet et son évolution

 

Quand j’ai rencontré Rafał en juin 2017, j’ai immédiatement su que je voulais garder cet être lumineux dans ma vie, car je devinais déjà que notre connivence intellectuelle donnerait naissance à une relation riche et précieuse. J’ignorais cependant le rôle que j’aurai à jouer, involontairement, dans la production du présent livre. C’est notre amour commun pour la Pologne qui nous a rapprochés tout d’abord, puis au fil des longues heures de discussion qui ont suivi, bien d’autres affinités se sont peu à peu révélées : un goût commun pour la musique, pour la langue française, une sensibilité à fleur de peau alliée à un esprit poétique avide de déployer son élan créateur via de multiples formes d’expression. Deux êtres de plume, deux esprits se nourrissant l’un l’autre, deux cœurs battant de concert, s’étaient trouvés fortuitement après bien des années de solitude. Si j’évoque en ces lignes notre rencontre, c’est qu’elle a eu une incidence sur l’écriture de Rafał. À cette époque, il avait depuis longtemps entamé l’écriture de ses mémoires intitulées Songes d’une vie oubliée. Ce titre est d’ailleurs paradoxal, car il a toujours refusé d’oublier son enfance en Pologne. Son projet initial était alors de raconter son histoire, si atypique, non pas pour répandre un pathos facile et nauséabond, mais pour dénoncer ce qu’il ressent comme une immense injustice dans sa vie personnelle : son adoption par une famille française qui lui a ôté son identité natale et ne lui a pas permis de préserver sa culture polonaise. Cette révolte d’enfant déraciné a perduré et s’est transformée, au fil des ans, en une indignation généralisée à l’encontre de toute forme d’injustice.

 

Le changement de typologie de son projet d’écriture n’a néanmoins pas été immédiat. Une première évolution a eu lieu lors de notre premier voyage estival en août 2017. Rafał a repris l’écriture pour tenter de saisir toute la saveur des merveilleux instants vécus ensemble en montagne. Une façon de tourner le dos au passé et de célébrer le présent. Écrire son amour pour la nature et la contemplation de la beauté a redonné un souffle de joie et d’exaltation à son ouvrage. Même s’il y a eu un changement de thème, de temporalité plutôt, ses écrits restaient encore l’expression de son expérience personnelle : une œuvre autobiographique parcellaire.

 

Le tournant radical a eu lieu quand je lui ai offert Aurore de Nietzsche. C’est la première fois que Rafał ouvrait un livre de philosophie et le coup de foudre a été instantané. J’emploie cette expression si souvent usitée du « coup de foudre », car oui il y a eu amour, mais surtout parce que j’y vois une métaphore intéressante. Cet ouvrage a été comme un éclat dans les ténèbres, une lumière violente, un saisissant sursaut, un choc frontal, en somme, la source d’une remise en question profonde. Rafał, qui a vu en ces lignes tout ce qu’il y a de plus abject et de plus beau en chaque être humain, s’est alors mis en quête de nouveaux sujets d’écriture. Le point n’était dès lors plus de relater un vécu individuel, mais de porter sa réflexion sur l’activité humaine en général et ses conséquences sur son environnement. Ainsi, l’abandon du titre primitif, du moins en partie, est révélateur du déplacement et de l’élargissement du projet initial. De simples mémoires, l’ouvrage a désormais pour objectif de se faire le témoin critique du monde contemporain. De prime abord, le nouveau titre Au crépuscule des songes peut sembler sublime et incompréhensible à la fois ; du moins c’est le sentiment que j’ai éprouvé à son annonce. Outre la beauté purement phonétique des mots choisis, ce titre possède un sens profond et révélateur du travail réflexif à l’œuvre dans les pages qui suivent. Rafał est un idéaliste doublé d’un esprit réaliste. Or la pensée et l’action ne peuvent naître que là où s’estompent les rêves. Son livre a donc une visée pragmatique, c’est une invitation à l’éveil, une incitation à penser, à se mettre à l’œuvre. L’idéal n’est fécond que s’il débouche sur l’action concrète.

 

Objectifs du livre

 

Pourquoi un écrivain écrit-il ? Si je cite Rafał, c’est, selon lui, « pour coucher sur le papier le bordel que j’ai dans la tête ». Par-là, il faut comprendre non pas que ses idées sont désordonnées ou incohérentes, mais que Rafał est un être assailli par un flot continu de pensées arborescentes : réflexions, images, souvenirs, vers, rythmes… Écrire, pour un être qui pense perpétuellement, c’est avant tout une tentative pour saisir l’insaisissable, pour figer le mouvement incessant de son esprit prolifique. La profusion des thématiques abordées dans les aphorismes montre sa grande curiosité intellectuelle, sa faculté à porter son regard sur tout ce qui touche à l’humain : histoire, actualité politique, sciences humaines, art… Tous les terreaux sont fructueux pour analyser nos contemporains et expliquer le monde actuel. Si Rafał partage ses pensées, c’est pour plusieurs raisons.

 

L’un des objectifs de ce livre est de faire le portrait de l’humanité, de tendre un miroir à nos congénères. Saurez-vous regarder attentivement votre reflet ? Saurez-vous contempler vos pires défauts et choisir de faire mieux ? Saurez-vous laisser votre conscience s’exprimer et oser penser à votre tour ? Ce livre n’aura peut-être pas une grande portée, car il sera sans doute moins populaire ou moins lucratif que des mémoires larmoyants. Cependant, Rafał ne cherche pas la flatterie ni le consensus. Il cherche davantage à dénoncer les manipulations, les injustices relatives à l’exercice du pouvoir, les travers de notre société qui se veut fille du « progrès ». C’est avant tout un pamphlet contre l’hypocrite autosatisfaction de la modernité. Ces réflexions sont empreintes de lucidité et appellent à un éveil des consciences. Malgré les nombreux désastres, il reste néanmoins un espoir selon lui. C’est en auteur optimiste qu’il engage son travail de révélation : il n’est peut-être pas trop tard pour améliorer notre condition. En effet, la pensée peut être dangereuse, sulfureuse, mais sa clarté seule peut nous tirer des ténèbres de la croyance et de la résignation. Est-ce pour autant un appel à la révolte ? En quelque sorte, oui, mais au sens où la révolution actualiserait un rêve d’évolution. Rafal pourrait passer pour un sombre misanthrope aigri par des expériences douloureuses ; or c’est absolument l’inverse qui est vrai. Il est un humaniste avec l’intime conviction que l’humanité est capable de grandes et belles choses et qu’il suffirait de nous extirper de notre dormance de consommateurs pour façonner un environnement plus propice à notre épanouissement à tous. Réveillez-vous donc avant que ce monde ne s’écroule et ne sombre à nouveau dans le totalitarisme ! Est-ce une vague chimère, une naïve utopie qu’il espère ? Peut-être, mais le monde a besoin d’idéalistes et de leurs idées nouvelles pour changer. Rafał croit en tout cas que son livre porte en lui une bombe : qu’éclatent donc l’esprit et l’avenir !

 

En parallèle au grand « Oui à la Terre et à l’humain », l’objectif initial du projet reste intact dans le dernier chapitre de ce livre « Retour aux sources ». À travers la narration de ses souvenirs, c’est un cri d’amour qui se fait entendre, amour pour son pays natal et pour sa famille polonaise maternelle qu’il souhaite réhabiliter. En rétablissant la vérité de son histoire personnelle, Rafał a voulu secouer le joug du secret imposé par sa famille d’adoption. C’est en août 2018 qu’il a pu retourner en Pologne et retrouver, après plus de 25 ans, sa famille maternelle. Sa mère, malheureusement, n’est plus de ce monde et ne peut dire elle-même à quel point cette séparation non voulue l’a terrassée. Maintenant que les pièces principales du puzzle ont été rassemblées, l’hypothèse d’une adoption illégale s’est imposée à Rafał comme une évidence et a alimenté son besoin de dénoncer la Justice qui a autorisé une telle adoption. Comme il est, à ce jour, dans l’incapacité d’obtenir réparation pour cette immense blessure, il écrit, il pointe du doigt les « complices » de cette adoption non régulière. Ce livre aurait alors une vertu cathartique ? Sans doute, mais pas seulement. Par-delà l’indignation vis-à-vis des institutions qu’il juge coupables, cet ultime chapitre est davantage un hommage à sa mère, un dernier acte pour réaffirmer sa filiation et son identité originelles. S’il veut laisser une trace dans l’histoire c’est par devoir de mémoire et pour pouvoir enfin signer une œuvre de son nom véritable, qui est aussi son nom de plume : Rafał Mądrzejewski. Voilà qui sera la réparation ! Son témoignage pourra également être utile aux nombreux autres enfants d’Europe de l’Est qui ont été adoptés dans des circonstances similaires durant les années 80.

 

Pourquoi ce titre de « Retour aux sources » ? Il faut comprendre le mot « source » dans ses deux acceptions : il s’agit bien entendu de rappeler ses origines afin de montrer les expériences qui ont forgé son esprit de révolte, mais bien plus que la source de la contestation, son histoire est surtout ce qui alimente sa force mentale. Ce chapitre autobiographique est positionné en fin comme un « Ecce homo », comme un autoportrait final, accompagné d’ailleurs du cliché photographique de l’auteur. Il marque surtout l’achèvement de sa quête d’identité, quête qui a occupé toute son adolescence et le début de sa vie d’adulte. Aujourd’hui, le voyageur réconcilié avec son ombre peut viser une nouvelle destination. Si Rafał nous livre une partie de son histoire intime, il reste toutefois réservé et sa pudeur lui défend de livrer à un voyeurisme malsain les détails de son enfance qui ne serviraient pas son but de dénonciation. Malgré le caractère douloureux de son passé, Rafał reste « digne et droit » et enjoint les humains à suivre son exemple, à ne pas laisser les complaintes nombrilistes freiner leur envol. S’il est en notre pouvoir de donner un sens à la vie alors il est de notre responsabilité de briser nos chaînes, de sauver le monde et l’humain qui se meurent.

 

L’écriture : le processus, le style, la construction du livre

 

Les humains tiennent souvent la création pour un acte relevant du mystère. M’est-il alors permis de lever le voile sur le processus d’écriture de ce livre ? Je ne pourrais en tout cas donner que des détails très factuels qui n’expliquent en rien le travail intellectuel à proprement parler. Je souhaitais cependant faire remarquer son style si particulier. Particulier tout d’abord dans sa forme : l’aphorisme. On pourrait reprocher à cette façon de présenter ses pensées d’être une forme d’écriture obscure, laconique, voire paresseuse. Nous pouvons évidemment sentir l’influence de l’écriture nietzschéenne dans ce choix. Toutefois, cette ressemblance s’explique sans doute par le fait que Rafał, lui aussi, écrit la plupart du temps en marchant dans la nature. En effet, c’est lors de ses pérégrinations méditatives que lui viennent des fulgurances qu’il couche sur des carnets qui le suivent partout depuis l’été 2017. Cependant, le travail d’écriture ne s’arrête pas là. Le fait d’écrire des notes sur des carnets demande ensuite un travail de relecture, de recopiage, de correction, de réécriture afin de préciser sa pensée, d’approfondir une problématique ou tout simplement de trouver une formulation plus adéquate. Ce que vous pouvez lire ici est le produit d’un travail long et construit, ce n’est donc en rien le fruit de la paresse. Quant au caractère ramassé et synthétique de certains aphorismes, il est voulu par l’auteur qui y voit la retranscription du fonctionnement de l’esprit. Il y a peut-être une plus grande probité intellectuelle ou un plus grand respect de l’élan poétique dans l’aphorisme que dans la dissertation, forme d’écriture plus conventionnelle et plus artificielle. Pris séparément, les aphorismes peuvent donner un sentiment d’écriture fragmentaire, voire de pensée superficielle. Cependant, l’œuvre possède une certaine cohérence d’ensemble, non seulement par la récurrence des sujets abordés, mais aussi par l’harmonie de sa palette chromatique. Je définirais la composition de cet ouvrage comme le fruit d’une écriture en mosaïque. Cette forme, plus habituelle chez les auteurs antiques, les essayistes ou les poètes, est assez inattendue chez un écrivain contemporain. Rien de novateur dans la forme et pourtant son utilisation rompt avec le style lisse auquel les lecteurs sont confrontés dans la presse et la littérature grand public. Les différents niveaux de langue employés peuvent surprendre également, Rafał écrit tantôt comme il parle, le vocabulaire argotique permettant de rendre de façon spontanée son indignation sans le filtre du langage écrit soutenu, tantôt dans une langue plus recherchée, voire métaphorique, laissant la beauté du texte poétique primer sur l’effort d’intelligibilité. Si la compréhension peut ne pas être immédiate à la lecture de certaines maximes, l’écriture appelle le lecteur à la contemplation, à la méditation, à une compréhension du monde qui déborde le cadre de la logique rationnelle. La multiplicité des interprétations est non seulement permise, mais voulue par cet auteur qui tente de saisir le caractère paradoxal des phénomènes, de traduire en mots la coïncidence des contraires qui anime le réel. C’est peut-être aussi par pudeur qu’il ne soulève pas complètement le voile couvrant ce qu’il examine, ou par humilité, car il est tout à fait conscient que l’esprit humain ne possède pas toujours les outils ni la compétence pour saisir la vérité. L’écriture est une tentative supplémentaire de dire la quintessence des êtres, mais elle n’est en rien suffisante, car la vue synoptique nous est refusée.

 

J’ai déjà évoqué le fait que la pensée de Rafał se développait lors de ses promenades, mais ce n’est pas le seul lieu stimulant pour son esprit. Toutes les expériences, même lointaines ou futiles, sont des occasions de penser. Le dialogue est, bien entendu, un moment privilégié de construction, de formulation et de conceptualisation. C’est là que j’apporte modestement ma contribution à son travail. Nos discussions, nourries par notre vécu et nos bagages universitaires respectifs, portent aussi bien sur l’actualité que sur nos centres d’intérêt propres : lectures, musique, sciences humaines… Nous commentons, tentons d’expliquer, confrontons nos avis, débattons de nos idées, argumentons nos points de vue, formulons des objections… Si nos positions ne convergent pas toujours, nos débats sont toujours source de réflexions. Rafał me cite d’ailleurs quelques fois dans ce livre : cela me touche et m’amuse d’être sa muse. Nos discussions ne s’arrêtent pas une fois que les méditations de Rafał sont couchées sur le papier : il me lit ses aphorismes et le dialogue reprend de plus belle. Mon esprit sceptique et pointilleux me rend intransigeante quant au bon usage du vocabulaire, ce qui peut être agaçant, j’en conviens, mais c’est par goût des nuances que je suis aussi intraitable. Le travail de correction que je fournis parfois ne touche néanmoins en rien le fond de ce qu’il a écrit, je ne cherche qu’à le comprendre et rendre sa pensée plus précise et plus intelligible. Bien qu’il ait appris le français à l’âge de dix ans, il éprouve un profond respect pour cette langue et écrit sans faire aucune faute d’orthographe. Certaines de ses phrases sont cependant déroutantes, car construites, c’est mon hypothèse, sur le modèle de sa langue maternelle. Pour ne pas trop gêner la lisibilité, il nous faut trouver le juste milieu entre l’orthodoxie syntaxique et l’originalité stylistique de Rafał. Mon rôle s’arrête ici et je tiens à rappeler qu’il s’agit de son œuvre : parfois naïve, mais toujours honnête ; à la fois pertinente et impertinente. Une œuvre « sans prétention », bigarrée et surprenante, comme peut l’être la vie elle-même.

 

Les thèmes récurrents

 

Au crépuscule des songes, témoignage d’un polonais déraciné, peut s’apparenter aux Lettres Persanes dans lesquelles Montesquieu met en scène un étranger s’étonnant des us et coutumes français. Le choc des cultures crée tout d’abord la stupéfaction, puis vient la comparaison des différents modes de fonctionnement. Il est plus facile d’adopter un point de vue critique sur le pays dans lequel on vit quand notre façon d’appréhender le monde n’est pas engluée par les habitudes ou les valeurs incorporées par ses habitants au fil des générations. Rafał porte donc un regard extérieur et assez tranché sur la France. Tour à tour ému par le sort de ses contemporains, moquant l’absurdité des croyances aveugles et des lieux communs d’une nation qui se croit éclairée, implacable avec les institutions qu’il juge liberticides, Rafał écrit comme pour défier les convenances, l’autorité illégitime, la bonne conscience de ces humains qui ne se remettent pas en question. Si l’indignation amène cet esprit incisif à rendre quelques fois des jugements sans appel, il n’est cependant pas exempt de tendresse ou de tolérance, notamment envers les plus démunis, les minorités marginalisées. En parfait idéaliste, Rafał possède non seulement un goût exacerbé pour la vérité, mais aussi le sens des valeurs et de l’honneur. Son expérience militaire lui a appris le respect des braves tombés au combat pour la liberté. Il est donc important pour lui d’exposer, en préambule à ses réflexions, les faits historiques qui ont créé les conditions d’émergence de notre société moderne. Ce goût pour l’Histoire, propre aux Polonais, permet à la fois de comprendre le présent et de tirer des leçons des tragédies passées. Si l’Histoire ne se répète jamais, son étude met au jour des schémas qui, eux, reviennent. Rafał se décrit lui-même comme un « gardien du temps » : il replace ainsi les événements dans leur enchaînement historique et en profite pour nous mettre en garde. Il est en effet inquiet vis-à-vis de la politique sécuritaire actuelle, de la montée des nationalismes, du regain du religieux, du musellement de la presse, de l’abandon des masses dans la mollesse née d’un consumérisme à outrance doublée d’une volonté d’ignorance… Tous ces phénomènes sont autant d’entraves à la liberté individuelle et collective, à la libre pensée, à l’épanouissement personnel et à l’évolution de notre espèce. Les chapitres « Aurore » et « Société » sont les plus longs et les plus mordants de ce livre. Rafał, espiègle et moqueur, ne prend pas de gants lorsqu’il veut montrer l’humain sous ses aspects les plus absurdes ou les plus vils. La critique de la bêtise et de l’aveuglement est la tâche principale qu’il s’est assignée, elle n’est pas seulement à l’œuvre dans le cœur de cet ouvrage que représentent ces deux chapitres, elle parcourt tout le texte. En cours d’écriture, son humour piquant et son esprit vif se sont attaqués à d’autres thématiques qui donneront leur titre à d’autres chapitres : l’art contemporain, l’éducation, etc.

 

Ce n’est pas une œuvre achevée que vous avez entre les mains : il fallait cependant décider d’arrêter le processus d’écriture pour pouvoir l’éditer, mais le choix du moment reste toujours arbitraire. Rafał est partagé entre le désir de laisser une trace pérenne de sa pensée et un sentiment d’urgence à écrire et à publier ce recueil, car le livre traite en partie de l’actualité : l’éditer trop tardivement le condamnerait à rater sa cible. Ces essais ne peuvent donc rendre de façon exhaustive et parachevée toute la complexité d’une pensée en perpétuel questionnement. Rafał pense déjà qu’il faudra republier ce livre dans une version recorrigée, augmentée de nouveaux aphorismes. Les thèses et hypothèses avancées dans cette édition sont et seront à nouveau travaillées par la raison et pourront se métamorphoser. À ce jour, certains aphorismes sont plus descriptifs qu’analytiques et demanderaient peut-être un approfondissement conceptuel pour se garder de toute tendance à la généralisation. D’autres, plus rares, expriment des opinions ou des intuitions personnelles : nous pouvons ne pas partager certaines de ses croyances, mais ce n’est pas un motif suffisant pour rejeter le reste des aphorismes qui sont le fruit d’une pensée rationnelle ou d’un élan poétique. Rafał méprise les préjugés et les falsifications en tous genres, et cela vaut également pour son propre travail sur lequel il revient sans cesse. Comme il possède une soif inextinguible de connaissances, chaque lecture, chaque rencontre, chaque expérience est pour lui une occasion d’apprentissage (apprenti-sage). Si vous possédez un esprit aussi aventurier que lui, je vous invite à lui emboîter le pas sur le long chemin de la pensée et découvrir que les pérégrins solitaires peuvent se rassembler et former un cortège d’esprits libres aspirant à un idéal commun, une nouvelle trinité : Vérité, Beauté, Liberté.

 

 

Si le temps nous est compté, laissez-le donc vous conter le temps…

 

Maïté Cardiel

 

 

 

 

 

 

Introduction

 

 

 

C’est du vide, du rien que la pensée prend vie. C’est l’extase de se constituer soi-même. C’est l’euphorie de se laisser happer par les tourbillons des sensations, des ressentis, de toutes les émotions et leurs paradoxes même, celui de notre existence et de notre non-existence, dans un ouragan qui ne veut pas se dissiper. C’est la jouissance de l’esprit, de l’âme naissant par hasard et s’illuminant, constituée ainsi de spontanéités multipliées à l’infini, seule cause réelle de l’expansion de l’univers. C’est au plaisir ultime d’être le maître d’œuvre de son idéal qu’un vivant se construit et façonne le monde.

 

Lorsque l’être s’éteint, l’âme se réveille. De l’être ne reste pour les vivants que les souvenirs devenant eux-mêmes immortels pour les générations suivantes. L’immortalité de nos âmes est la question si fluide qu’elle est le carburant de chacune des existences cosmiques ou terrestres sans même que nous en ayons tous conscience. Certes, nous craignons le rien, le vide « de l’autre côté ». Nous nous obstinons à laisser une trace au cas où cela soit vrai, qu’il n’y ait rien…

 

Néanmoins, nous naissons dans un corps limité si bien que, confrontés à la patience d’être perfectionnistes, nous dérapons bien à l’opposé de l’omniscience dont, nous gardons probablement un infime souvenir qui, place dans notre nature humaine, une certaine frustration.

 

D’un état de mort imminente, dans le coma où nous passons d’un état végétatif conscient à celui de semi-conscient, nous ne nous souvenons que d’une chose : la présence de cette omniscience troublante que nous ressentons qui – et quoique nous soyons. Nos idées naissent parfois quand nous cherchons à sortir des limites que le corps nous impose.

 

Obnubilé par mes pensées dans mes longues marches, je pourrais presque atteindre parfois cette sensation d’envol extra corporel, laissant ainsi mon corps continuer de marcher seul sans but, dans le centre-ville de Saint-Étienne – où je vis-tandis que, mon corps astral, s’agrippant aux tourbillons de mes pensées, se détache peu à peu pour aller chercher de la hauteur. L’omniscience est un état d’ivresse, car elle ne prend pas d’autre forme si ce n’est que des vies.