Au-delà du Torii - Laure Allard d'Adesky - E-Book

Au-delà du Torii E-Book

Laure Allard-d'Adesky

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Beschreibung

Arriveront-ils à retrouver Joanna ? Quelle est la raison de sa disparition ? Le Japon regorge de secrets...

Joanna a disparu sans laisser de traces lors d'un voyage au Japon. Son meilleur ami, Alex, part à sa recherche et tombe par hasard sur Jade, sa jumelle qui est venue au pays du Soleil Levant pour la même raison que lui.
En se lançant dans cette quête ensemble, ils sont loin d'imaginer tomber au milieu d'une lutte ancestrale entre nature et progrès... une guerre opposant les Sentinelles de Sarutahiko aux Bushi d'Amaterasu.
Quel est le rôle de Joanna dans ce conflit ?
Avec les connaissances nippones d'Alex et le lien qui unit Jade à sa sœur arriveront-ils à retrouver la disparue et à percer ses secrets ?
Ensemble, ils pourraient accomplir des miracles, mais le destin va leur jouer un bien vilain tour.

Partez à l'aventure au pays du Soleil Levant en compagnie d'Alex et de Jade dans l'excellent Au-delà du Torii !


À PROPOS DES AUTEURES


Quand elle ne chausse pas ses rangers ou ne déguste pas un bon vin rouge, Laure Allard-d'Adesky nous raconte des histoires dans lesquelles les héros rêvent d’aventures et de voyages. Elle vit à Paris auprès de son mari, de son fils et de sa fidèle chienne. Après La malédiction des Atuas découvrez son nouveau 4 mains avec Morgane Scheinmeer : Au-delà du Torii, un roman fantastique qui vous mènera sur les traces d’une guerre millénaire au pays du soleil levant.

Passionnée de mangas depuis l’adolescence, Morgane Scheinmeer caresse l’espoir de partir un jour au Japon. N’ayant pu réaliser ce rêve-là, elle se console en dévorant des romans qui la font voyager dans d’autres mondes et découvrir le charme des mots. Depuis, elle couche sur papier les histoires qui la hantent, principalement des nouvelles. Écrire un second roman à 4 mains avec Laure fut un indéniable plaisir, situer le récit au pays du soleil-levant était une évidence. Cependant, elle était loin d’imaginer un tel périple, une aventure qui l’a menée aux confins du monde : Au-delà du Torii.


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Au-delà du Torii

Roman fantastique

Laure Allard-d’Adesky

Morgane Scheinmeer

Roman fantastique

Illustration graphique: DragonFly design

Images: Adobe Stock

Art en Mots éditions

Prologue : Joanna

Je note sur mon journal intime la date du 5 septembre 2005. Lundi, c'est la rentrée et je compte bien profiter de mon dernier jour officiel de vacances. Alex, mon meilleur ami, est enfin revenu de sa petite virée au bord de la mer et nous avons beaucoup de temps à rattraper. Je ne supporte pas d'être loin de lui, nous sommes comme les deux doigts de la main. Pour fêter nos retrouvailles, j’ai été chez Vidéo Futur louer l'intégrale de Ring ainsi que le DVD les deux sœurs que nous n'avons pas encore vu. Jade, ma sœur jumelle, entre dans ma chambre. Elle est indispensable à ma vie et à mon équilibre, mais bizarrement je n'arrive pas à la mêler au duo que je forme avec Alex. Je ne peux pas me l'expliquer, j’imagine que j’aime les garder tous les deux pour moi toute seule. Elle avise la collection de films et fait la moue. Dire qu'elle déteste les films d'horreur est un euphémisme.

— Tu abuses Jo, tu avais dit qu'on regarderait sept ans de séduction !

J'éclate alors de rire :

— Essaye de faire voir une comédie romantique à Alex, impossible !

— Ah, il sera là lui aussi ?

Jade paraît déçue, je ne sais pas si c'est parce que je ne fais pas d'efforts pour que nous passions plus de temps tous les trois, mais elle ne l'apprécie pas. Pour être totalement honnête c'est peut-être parce que malgré notre ressemblance frappante, nous n'avons pas grand-chose en commun. Si nous avons toutes deux un caractère fort, Jade a plus tendance à observer les gens, à se mettre en retrait. Elle a une seule grande passion dans la vie : la bouffe. Je ne serais pas étonnée qu'elle finisse chef d'un restaurant étoilé, même si pour l'instant, elle dit qu'elle n'a pas d'idées précises sur son avenir. Moi, je sais déjà que je m'engagerai au service d'une ONG pour la protection de l'environnement, j'ai encore vu récemment un documentaire qui montrait des massacres de phoques au Canada, ça m'a fait vomir.

La sonnette de la porte d'entrée retentit, c'est Jade qui va ouvrir car je suis encore en train d'installer les coussins et de fermer les rideaux dans la salle télé pour notre visionnage. J'entends Alex et ma sœur se saluer, et les pas de mon ami se rapprocher. Après m'avoir enlacée, il me demande :

— Tu n'as pas proposé à Jade de se joindre à nous ?

Il a l'air sincèrement affecté. Il est le genre de personne à ne pas supporter de faire de mal à autrui. Je n'arrive pas à savoir s’il a pitié de Jade où s’il a vraiment envie de partager un moment avec elle.

— Si, réponds-je, mais elle m'a dit que ça ne lui disait rien. Désolée de te l'avouer mec, mais je crois que ma sœur ne t'aime pas beaucoup.

Mon ami hoche la tête, j'ai l'impression de voir un voile de tristesse passer brièvement sur son visage, l'aurais-je blessé ? Comme il se précipite sur les DVD, je n'ai pas le loisir d'y penser davantage.

Je m'installe confortablement à ses côtés, un bol de popcorns sur les genoux. Nous n'avons peut-être que quinze ans, mais je sais pertinemment que rien ne pourra jamais détruire ce lien qui nous unit. Dès qu'on aura passé notre bac, Alex et moi, nous irons parcourir le monde. On commencera par l'Asie, bien sûr. Mon meilleur ami étudie le japonais, il souhaite devenir interprète ou auteur de manga, ce qui est sûr c'est que, comme moi, il ne restera pas à se morfondre dans notre petite ville de province. Il n'y a qu'une seule ombre à ce tableau idyllique : je me demande si Jade survivra sans moi, si elle sera capable de prendre seule son envol, mais cela ne sert à rien de se prendre la tête maintenant, seul l'avenir nous le dira.

Alex

 

Maintenant que je me suis soigneusement savonné, lavé et rincé, je peux enfin me plonger dans l’eau chaude du bain. Toutes les tensions accumulées depuis ces dernières vingt-neuf heures commencent à me quitter. Les muscles de mon dos se dénouent progressivement.

Ç’aurait dû être un voyage d’agrément… un voyage fabuleux ! L’accomplissement de toutes ces années à économiser. Je rêve depuis si longtemps de pouvoir me rendre au Japon et maintenant que j’y suis, je ne peux même pas en profiter comme je l’aurais souhaité. Cela m’a pris deux années pour préparer ce périple. Si ça n’avait tenu qu’à moi, j’aurais uniquement réservé les billets et les hôtels puis je serais parti à l’aventure pour découvrir des lieux atypiques, loin des zones touristiques. Mais il était prévu que je ne m’y rende pas seul et celle qui devait m’accompagner, ma meilleure amie Joanna, aimait planifier ses voyages afin de profiter au mieux de chaque instant. Nous avons donc passé une année entière à prévoir chaque visite, à lister les endroits incontournables à voir. Pour ce faire, nous avions l’aide de Masahiro, un Japonais rencontré à la fac qui était venu faire des études en France et avec qui nous avons gardé les contacts. Nous discutions de longues heures sur Skype, nous réjouissant de le revoir enfin et de le laisser nous guider à travers le pays. L’année suivante, nous engagions une organisatrice de voyage afin qu’elle agence au mieux notre séjour. Cela s’annonçait parfait !

Nous devions partir au mois d’avril de cette année 2015, malheureusement, mon père est décédé peu avant notre départ et je me suis vu contraint de reporter mon voyage. Ce n’était plus ma priorité, j’ai dû faire mon deuil et ma mère avait besoin de moi… alors je suis resté. Joanna a refusé de remettre à plus tard : elle n’était pas sûre que ses activités professionnelles lui permettent par la suite d’entreprendre un tel périple. Elle est donc partie seule. Malheureusement depuis, nous n’avons aucune nouvelle d’elle. Elle a disparu. Cela fait deux mois. J’ai contacté Masahiro qui l’a vue tout le temps qu’elle était sur Tokyo, puis elle a continué son odyssée touristique comme prévu. Les autorités ont enquêté, et n’ont rien trouvé. Ils ont perdu sa trace à Miyajima.

Je suis donc venu au Japon afin de la chercher. Je n’ai rien d’un détective, pourtant, je mise sur le fait que je la connais… suffisamment pour savoir ce qui a pu lui passer par la tête, ce qui a pu l’inciter à changer ses plans, qui ou quoi que ce soit.

 

Je suis arrivé à Tokyo cet après-midi, après quatorze heures de vol. Masahiro m’attendait à l’aéroport. Il m’a accompagné jusqu’à l’hôtel afin que j’y dépose mes bagages, puis nous sommes repartis. Nous avons arpenté les rues pavées de Harajuku, zigzagant entre la foule et suivant le même chemin que Joanna : nous sommes entrés dans les magasins où elle a fait son shopping, interrogeant les vendeurs, malheureusement, cela remonte à trop longtemps et leurs souvenirs sont bien trop flous, ils voient constamment des étrangers passer et pour beaucoup de Japonais, rien ne ressemble plus à un gaijin1 qu’un autre gaijin.

Puis nous nous sommes rendus au parc Yoyogi. Cette fois encore, je n’ai pas vraiment pu profiter des lieux comme je l’aurais souhaité. Malgré la fatigue, mon esprit était à l’affût de la moindre chose qui aurait pu détourner mon amie de son planning : quelques animations de-ci de-là, mais rien qui aurait pu susciter son intérêt. À mesure que notre visite s’est prolongée, l’épuisement m’a gagné ; Masahiro m’a proposé de rentrer me reposer, mais j’ai refusé. Afin d’éviter que le décalage horaire ne me terrasse, il me fallait tenir jusqu’au soir. On a acheté des taiyaki, ces espèces de gâteaux japonais en forme de poisson fourré à la pâte de haricot rouge azuki. Puis on s’est assis au bord du lac, à l’ombre du feuillage d’un sakura2, non loin d’une vieille femme qui nourrissait les canards. Elle semblait être une habituée des lieux. Lorsqu’elle m’a souri, je n’ai pas pu m’empêcher de lui adresser la parole en japonais. Cela l’a étonnée et nous avons discuté un temps de tout : elle s’est montrée intéressée par mon parcours et ce qui m’a mené ici, de mon côté ses habitudes ont piqué ma curiosité.

Ma syntaxe est loin d’être parfaite, mais je me débrouille encore pas mal. Finalement je ne suis pas si rouillé. Cette conversation m’a fait un bien fou, je n’ai qu’un regret : que Joanna ne soit pas avec moi pour partager un tel moment. Peu avant mon bac, je me suis lancé dans des études de japonais que j’ai poursuivies en fac, malheureusement, j’ai été obligé d’arrêter après ma licence pour des raisons de santé. Pendant les vacances d’été qui ont suivi cette dernière année, j’ai été assez inconscient pour accepter un pari stupide avec des potes : me lancer dans un ride snowboard sur l’herbe alors que je débutais dans cette discipline. La chute a été violente, j’ai survécu mais le prix à payer a été élevé : je me suis fissuré une vertèbre lombaire et ai passé plusieurs semaines à l’hôpital. Les violentes migraines qui ont suivi et me paralysaient de douleur m’ont empêché de reprendre les cours. Si j’ai arrêté le snowboard et tout autre sport à sensation, je n’ai pourtant pas abandonné ma passion pour le japonais et j’ai continué toutes ces années à regarder des animés en V.O. afin de ne pas perdre. Et puis, les discussions sur Skype avec Masahiro retourné au pays du Soleil-Levant m’ont aussi aidé à m’améliorer.

En fin de journée, mon ami m’a emmené manger une okonomiyaki3à Shinjuku. Puis nous y avons arpenté les rues éclairées par des écrans immenses où défilaient des pubs, suivant les traces du passage de Joanna. Je n’ai rien trouvé qui aurait pu la détourner de ses plans. Je suis dépité, mais à quoi m’attendais-je ? À trouver un néon géant qui m’indiquerait la bonne direction ? Ridicule ! D’autant qu’elle était tout du long avec Masahiro, il aurait vu quelque chose.

Demain, j’ai deux solutions : continuer à marcher dans les pas de ma meilleure amie en espérant un miracle ou passer à la prochaine étape de son voyage, celle où elle était seule : Osaka. Le choix est vite fait. Lorsque je sortirai de mon bain, je regarderai les horaires de train.

Je ferme les yeux, m’imaginant visiter le temple Shitenno-ji avec sa pagode à quatre étages et son immense parc verdoyant, le quartier animé de Namba à la recherche d’amusement ou à monter tout en haut de l’immeuble Abeno Harukas, le plus haut du Japon. Je finis par m’assoupir et mon esprit vagabonde… je me sens aspiré vers le fond de la baignoire, mais je résiste inconsciemment. Quelque chose m’effleure la hanche, j’essaie de me réveiller… en vain. Des carpes koï m’entourent et volent au-dessus de la station de métro Umeda. Elles longent les rails qui serpentent comme des anguilles. Je les suis, j’ai l’impression d’être l’une d’elles. Elles se dirigent vers le sud et rejoignent la rivière Tosahori. Elles survolent son cours vers l’est tout en restant suffisamment haut pour pouvoir jouer avec les nuages, en traversant les cumulus floconneux. Elles bifurquent au pont Tenma et gagnent rapidement le château d’Osaka reconnaissable à ses murs blancs ornés de dorures et ses toits verts. Elles tournoient quelques minutes autour du donjon avant de se précipiter vers les douves et de plonger dans leurs eaux limpides. Des bruits de bulles me parviennent comme dans un songe. J’ai la sensation de glisser dans l’onde. Je perçois quelque chose à travers les flots. Une sorte de tête de taureau stylisée… non, c’est plutôt un H… rouge… À mesure que je remonte vers la surface, cela devient plus distinct. Lorsque je sors de l’eau, je me fige une seconde en découvrant ce que c’est. Ma jambe se lève alors dans un mouvement brusque, éclaboussant la salle d’eau et je manque me noyer en me redressant.

Il est temps de sortir du bain. Je m’essuie en réfléchissant à mon rêve. C’était étrange et terriblement réaliste. Je ne peux cesser de penser à la dernière image : un torii4 flottant, laqué de rouge. Et en arrière-plan, des montagnes… probablement le Mont Misen. Aucun doute possible, c’est le portail du sanctuaire Itsukushima à Miyajima. Le dernier endroit où les enquêteurs ont situé Joanna. C’est un signe ! Demain, je ne me rends pas à Osaka. Direction Hiroshima afin de gagner l’île Miyajima et si je ne trouve rien là-bas, je referai son parcours en sens inverse.

 

Le lendemain, je téléphone à Masahiro pour le prévenir de mon départ. Il ne peut malheureusement pas m’accompagner puisqu’il travaille. Je prends le Shinkansen5 jusqu’à Hiroshima. Je lutte contre mon irrépressible envie de visiter la ville. Je pourrais prendre un autre train jusqu’à la stationMiyajimaguchi, mais à la place, j’opte pour le tram. C’est plus lent, mais cela me permet de profiter un peu du paysage.

J’arrive sur l’île en fin d’après-midi, peu avant le coucher du soleil. Je pourrais me rendre immédiatement au ryokan6 où j’ai réservé, le même qui a hébergé Joanna lorsqu’elle est venue. Mais au lieu de cela, je préfère aller au sanctuaire Itsukushima afin d’y voir le torii de mon rêve. Il est bien plus beau en vrai. Le ciel et les nuages se nimbent de bleu tandis que le soleil se cache derrière les nuages. Je prends mon temps pour savourer ce spectacle, ça me change de ces derniers mois où je n’ai pas eu une minute à moi entre mon travail et les soirées passées chez ma mère à lui tenir compagnie.

Habituellement, je suis d’un tempérament zen, je souris constamment et j’essaie d’être optimiste le plus souvent, mais le décès de mon père a ébranlé ma vie et mes certitudes. J’ai perdu le roc sur lequel je pouvais m’appuyer quand ça n’allait pas. Il était présent pour rattraper mes conneries à l’adolescence, allant jusqu’à cacher à ma mère mes retours alcoolisés à la maison. Il était toujours là quand j’avais besoin de lui : il m’a appris à conduire et j’ai eu mon permis grâce à ses conseils et sa patience. Après mon accident de snowboard, il a pris sur son temps libre et ses congés pour m’emmener en consultation. Lors de mes déménagements, il était le premier à porter mes cartons chargés ou mes meubles, ne ménageant pas ses forces. Je ne compte plus les fois où nous nous sommes retrouvés tous les deux à discuter autour d’un verre : il écoutait inlassablement mes insipides histoires, en compatissant à mes malheurs ou en riant avec moi de mes aventures rocambolesques sans porter de jugement. Il est parti avant que je ne puisse lui rendre ne serait-ce qu’un centième de ce qu’il m’a donné. Je ne lui ai pas dit à quel point je tenais à lui… je le regrette tellement. Alors pour me rattraper, je suis resté auprès de ma mère et je l’ai soutenue du mieux que je le pouvais, mettant entre parenthèses ma vie, mes projets, mes amis…

La disparition de Joanna m’a un peu plus ébranlé. Depuis, j’ai l’impression d’être pris à la gorge, que le temps m’est compté, que rien ne fonctionne comme je le souhaite et qu’une boule d’angoisse est fixée depuis des mois au creux de mon ventre. Rien n’a pu soulager cette anxiété jusqu’à aujourd’hui.

Je contemple longtemps le paysage. Plus je regarde le torii au milieu des flots, plus il m’apaise, cela fait longtemps que je ne me suis pas sentie aussi bien. J’ai l’impression d’être à ma place ici. Lorsque je suis suffisamment détendu, je repars vers mon auberge. Il ne me faut qu’une vingtaine de minutes pour y arriver. J’admire le bâtiment avant d’y pénétrer, mais il fait trop sombre pour en apprécier toute la beauté. Les lanternes accrochées à l’extérieur laissent pourtant deviner des panneaux de bois à la place des fenêtres, typique d’une maison traditionnelle japonaise.

J’ouvre la porte coulissante d’entrée et lance un sonore konbanwa7. L’hôtesse vient à ma rencontre et m’accueille avec quelques phrases polies. Elle se tient devant moi en me tendant des chaussons. J’ôte mes chaussures, les range dans les casiers conçus à cet effet et prends les pantoufles avant de les enfiler. Nous réglons les formalités puis elle me guide jusqu’à ma chambre où m’attend un yukata8 qui me permettra, entre autres, de profiter des sources thermales de l’auberge. Je dépose ma valise, puis je me change. Quitte à être dans un hôtel traditionnel, autant revêtir les habits classiques japonais. Dedans, je m’y sens étonnamment à l’aise, bien plus que dans les jeans que je porte tous les jours. Je descends ensuite à l’accueil afin d’interroger l’hôtesse au sujet de Joanna.

Je discute quelques minutes avec elle des alentours et des lieux touristiques à visiter. Elle se montre affable. Lorsque j’aborde le sujet de ma meilleure amie, non pas de sa disparition mais de son court séjour au ryokan, je la sens réticente.

— Je suis navré de vous embêter avec cela, mais j’ai vraiment besoin de vos lumières. En avril de cette année, ma meilleure amie a réservé ici. Selon mes sources, elle est repartie sans même passer une nuit dans sa chambre.

— Je ne peux malheureusement pas vous aider, s’excuse-t-elle gênée.

— Je comprends que la discrétion due à votre métier vous empêche de m’en parler, mais je suis vraiment inquiet. Tenez, voici sa photo, ajouté-je en lui montrant l’image de Joanna sur l’écran de mon portable. Est-ce que vous vous souvenez de quoi que ce soit qui aurait pu la faire fuir ?

— Ce n’est pas cela, monsieur Domier. Les enquêteurs m’ont posé les mêmes questions et je n’ai pas pu répondre parce que je n’étais pas présente à cette période. J’étais en congé tout le mois afin de régler des problèmes personnels. Veuillez m’excuser pour l’embarras que ma réponse occasionne.

— Oh… gémis-je, dépité. Je… Est-ce que quelqu’un…

Je m’arrête, cherchant mes mots. L’hôtesse se montre prompte à m’aider et me précise :

— Vous devriez discuter avec madame Yagami, la gérante de l’hôtel. Elle pourra sûrement mieux orienter vos recherches.

— Je vous remercie pour le mal que vous vous donnez. Bonne soirée.

Au moment où je me détourne pour rejoindre ma chambre, elle m’interpelle :

— Monsieur Domier !

— Oui ?

— Je crois qu’il est bon que vous sachiez : vous n’êtes pas la première personne à m’interroger sur votre amie aujourd’hui.

— Vraiment ? Qui…

— Oui, c’était une femme. Elle a d’ailleurs loué une chambre pour la nuit et drôle de coïncidence : c’est elle qui est en train de sortir de l’auberge.

J’ai du mal à croire que je ne suis pas le seul sur la piste de Joanna. Je me retourne pour jeter un œil à celle qui passe la porte d’entrée. Sa silhouette ne m’est pas inconnue.

Mon cœur bat la chamade au moment où je la reconnais.

Jade

 

Une semaine. Une semaine que je suis au Japon sur les traces d’un fantôme. Je ne sais pas à quoi je m’attendais. J’avais envie de croire qu’en tant que sœur jumelle de Joanna, je la retrouverai facilement. Que le lien unique qui nous unit depuis le ventre de notre mère me permettrait de développer un sixième sens pour retrouver sa trace. Malheureusement il n’en est rien.

Il m’a fallu deux mois, deux longs mois avant de pouvoir rejoindre le pays du Soleil-Levant. J’aurais voulu partir plus rapidement, mais mon travail et la santé mentale de mes parents m’en empêchaient. Ma mère est atteinte de sclérose en plaque, elle ne peut donc pas prendre l’avion et, elle nous a interdit mon père et moi de partir. Elle était persuadée que Jo finirait par réapparaître. C’est vrai que ma sœur est quelqu’un de foncièrement indépendant. Elle a déjà fait de nombreux voyages seule avec son sac à dos, à dormir chez l’habitant. Sa beauté solaire, sa gentillesse naturelle et sa ceinture noire de karaté l’avaient jusqu’à maintenant tenue à l’écart du danger. Joanna est quelqu’un de réfléchi, pas du genre à foncer tête baissée. J’ai envie de croire que si elle avait été dans une situation délicate elle m’aurait contactée. Alors qu’est-ce qui a pu lui arriver ? Pourquoi a-t-elle disparu ? Est-ce que c'est à cause de ses activités un peu limites ces derniers temps ? Très active pour la cause environnementale et animale depuis quelques mois, elle traînait avec des gens un peu louches. J'ai cru comprendre que certains d'entre eux étaient même des éco terroristes. Elle m'a juré qu'elle avait cessé de les fréquenter. Ce périple était pour moi le signe qu'elle ne mentait pas.

 

Jo n’aurait jamais dû partir seule. Ce circuit, elle devait le faire avec Alex son meilleur ami, il a malheureusement perdu son père, mais je ne peux m’empêcher de lui en vouloir. Il aurait dû la convaincre d’attendre. Le Japon, c’était leur rêve à tous les deux. Ils se connaissent depuis le lycée. Ils partagent une passion pour les mangas et les cosplays9. Je n’ai jamais vraiment compris l’intérêt de dépenser son argent de poche dans des bandes dessinées qui se lisent à l’envers et des déguisements hors de prix, mais c’était leur monde, et je le respectais. J’ai longtemps cru que Jo finirait par succomber au charme d’Alex, elle ne pouvait ignorer ses traits harmonieux, ses magnifiques yeux gris et son adorable fossette quand il rit. Mais non, leur relation est restée platonique et elle a pris une importance qui a fini par me blesser.

 

Avant l’arrivée d’Alex dans nos vies, Jo et moi étions inséparables. Nous avions notre propre humour, notre propre langage. Nous nous ressemblions comme deux gouttes d’eau. Toutes les deux grandes, brunes avec des yeux en amande d’une couleur de jade, les yeux de ma mère comme l’espérait notre mère en me donnant mon prénom. Si nous ne partagions pas toujours les mêmes centres d’intérêt, nous restions la confidente l’une de l’autre. Peu à peu, Alex a pris ma place. J’ai pourtant refusé d’être jalouse, j’ai choisi de prendre un peu de distance. À la première occasion je suis partie faire mes études au Royaume-Uni pour retrouver mon indépendance.

Je devais prendre mon envol, vivre pour moi. Je devais apprendre qui j’étais, en dehors de la jumelle de Joanna. Je me suis coupé les cheveux, alors que nous nous étions toujours juré de les garder longs. Je ne pouvais pas continuer à vivre dans son ombre. J’avais en tête une coupe courte à la Inès de la Fressange, mais je n’ai pas eu le courage, je me suis contentée de les couper juste en dessous des épaules alors qu’avant, avec Jo, nous les avions jusqu’au creux des reins. Nos boucles naturelles étaient notre fierté, mais j’avais besoin de voir une autre femme dans le miroir, j’avais besoin que mon reflet ne ressemble plus autant à celui de ma sœur. Ça m’a plutôt réussi. Cette distance géographique nous a curieusement rapprochées. Nous avons recommencé à nous parler quotidiennement, à nous confier l’une à l’autre. Elle me racontait ses histoires d’amour passionnées et passionnantes, car Joanna ne sait pas faire les choses à moitié. Elle vit pleinement les choses, même quand il s’agit d’une histoire de cœur vouée à l’échec car elle se déroule au fin fond du Pérou et qu’elle devra quitter le pays quelques semaines plus tard.

 

Je me souviens encore de son regard lors de notre dernière conversation sur Skype. Elle venait d’arriver à Miyajima, une île à côté de Hiroshima, dans l’auberge où je loge aujourd’hui. Elle était heureuse. Ses yeux pétillaient de malice. Elle était déçue qu’Alex ne soit pas là, mais se consolait car ce voyage était au-delà de ses espérances. Elle m’avait décrit les paysages, les coutumes, les gens qu’elle avait côtoyés. Je l’avais taquinée sur sa fascination pour ce pays où les gens sont incapables de dire « non », sont trop polis et ne savent que très peu parler anglais. Anglophone jusqu’au bout des ongles, j’ai du mal avec la barrière de la langue, j’aime me faire comprendre partout où je vais. Elle m’avait alors répondu :

— Tu comprendrais si tu étais là avec moi. Tu ne peux être qu’envoutée par ce pays, je suis sûre que tu finirais par être séduite toi aussi.

Maintenant que je suis ici, je ne peux que lui donner tort. Le Japon me fait peur. Depuis que j’y ai posé les pieds, une sensation de danger imminent ne m’a pas quittée. Je me sens constamment épiée et j’ai beau me raisonner, me forcer à ne pas sombrer dans la superstition, je n’arrive pas à m’ôter l’idée que quelque chose de terrible est arrivé à ma sœur et que je suis la seule à pouvoir la sauver.

 

Je suis plongée dans mes idées noires quand j’entends une voix appeler mon prénom :

— Jade ! Jade !

J’étais sur le point d’aller voir le torii flottant du sanctuaire Itsukushima, bâti dans le sable et classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Il est connu pour subir les marées sans sourciller ou presque. C’est là que Joanna a été vue pour la dernière fois. Si je n’ai pas l’âme d’une poétesse, je me suis dit que sa vue pourrait peut-être apaiser les tourments de mon cœur. C’était sans compter sur la silhouette familière qui se dresse à présent devant moi : Alex.

— Je ne savais pas que tu étais là, dit-il avec un pâle sourire.

— Je n’ai pas de comptes à te rendre à ce que je sache, rétorqué-je amère.

Il hoche la tête ne sachant sans doute pas quoi répondre.

— Écoute, si tu es ici pour réparer tes erreurs ça ne sert à rien. Si Jo a disparu, c’est de ta faute, rentre chez toi ! Je n’ai pas besoin d’un boulet dans mes pattes, si on pouvait compter sur toi ça se saurait.

Sans lui laisser le temps de me répondre, je le bouscule pour sortir de l’auberge. Vu qu’il est déguisé avec un kimono, j’imagine qu’il ne me courra pas après, mais je presse quand même le pas au cas où.

Je me retrouve vite face au monument rouge vermillon que l’on voit dans de nombreuses illustrations du Japon. C’est marée haute, il semble flotter sur l’eau. Il paraît qu’il est la frontière entre monde profane et sacré. Le soleil est en train de se coucher et je ne peux être que fascinée par le spectacle qui s’offre à moi. La silhouette du monument se détache comme des ombres chinoises dans le ciel rouge et or. Je sors mon téléphone de ma poche pour immortaliser ce moment. Les larmes coulent sur mes joues, je me sens d’un coup très proche de ma sœur, j’ai l’impression de sentir sa présence à mes côtés. Pour la première fois depuis des mois, le poids sur ma poitrine semble moins lourd à porter. Je me sens un peu plus légère. Mes jambes tremblent sous moi et je m’effondre sur le sable. Dans mon guide, j’ai lu que la couleur du torii éloigne les mauvais esprits. Je ne peux qu’y voir une étrange coïncidence.

 

La nuit est tombée, de nombreux touristes ont embarqué pour des croisières nocturnes partant de l’île pour passer sous le portail. Je les observe jusqu’à ce que je sente une main se poser sur mon épaule. Je sursaute, c’est encore Alex. J’avais tort, il porte toujours son kimono, comme quoi le ridicule ne tue pas sinon il serait mort foudroyé avant d’avoir pu me retrouver. C’est bien ma veine !

— Fous-moi la paix Alex, s’il te plaît !

— Non. Toi et moi nous sommes ici pour les mêmes raisons. Tu as raison, je suis en partie responsable de ce qui est arrivé à Joanna et crois-moi, il ne se passe pas une seule heure sans que le poids de la culpabilité ne se fasse plus intense, mais réfléchis une seconde ! Tu ne crois pas qu’on ne soit pas trop de deux pour la retrouver ? Nous sommes les deux personnes au monde qui la connaissent le mieux. Je ne te demande pas de me pardonner, je te demande juste qu’on fasse équipe.

Je distingue à peine ses traits dans la nuit, mais je sens qu’il est aussi inquiet que moi. Si mon cœur le déteste, ma raison flanche. Nous avons besoin l’un de l’autre. Pour toute réponse, je me contente de lui dire :

— On n’arrivera à rien le ventre vide.

 

Nous prenons la direction de la rue commerçante d’Omotesando.

J’ai beau être triste et en colère, je reste toujours gourmande. Cela peut paraître surprenant, mais quelle que soit mon humeur je ne peux résister à des effluves culinaires. Je sais que certaines personnes ne comprennent pas comment je peux garder l’appétit puisque je ne sais pas où se trouve ma sœur jumelle, alors, j’ai arrêté de me justifier. À une époque, j’ai sérieusement envisagé de faire des études de cuisine mais j’ai finalement opté pour des études de marketing. J’aime promouvoir des produits et rester dans l’ombre. Devenir chef m’aurait forcé à me mettre à nue et contrairement à Joanna, je n’aime pas particulièrement attirer l’attention. Je ne dors plus, j’ai quitté mon boulot, j’ai mis ma vie entre parenthèses : la nourriture c’est la seule chose qui me permette de fonctionner encore un peu normalement.

Nous nous retrouvons donc très vite attirés par les odeurs des stands de nouilles fleurant bon les épices. Certaines échoppes proposent des desserts typiques de l’île, des petits toriis flottants que les touristes prennent en photo avant d’avaler. Alex me suit alors que je flâne entre les vendeurs de brochettes et les vitrines où l’on confectionne des petits gâteaux fourrés à l’anko, une pâte sucrée de haricot rouge. Je finis par craquer pour une okonomiyaki, une crêpe originaire de la région, farcie aux fruits de mer. Alex en choisit une à la viande. Nous regagnons la plage pour dîner, assis dans le sable.

— Dis-moi, tu es en où dans tes recherches ? demandé-je en finissant ma dernière bouchée.

— Il faut que j’interroge madame Yagami, la gérante de l’hôtel, elle était présente au moment de la disparition de Joanna. Et toi ?

Je reste un moment silencieuse à observer les bateaux sur les flots avant de répondre :

— J’ai rencontré des enquêteurs mais cela n’a rien donné, je fonctionne à l’instinct. Je sais que ça peut paraître bizarre, mais j’ai l’impression que s’ils ont fait chou blanc c’est que ce qui est arrivé à Jo n’est pas explicable.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Que ce n’est pas rationnel. Tu vas me prendre pour une folle, mais il y a un lien extraordinaire entre les jumeaux. Il est sujet à tous les fantasmes, pourtant il est réel. Tu te souviens quand Jo a eu sa crise d’appendicite et que je me tordais moi aussi de douleur ? Certains disent qu’il ne s’agit que d’un mythe, néanmoins cela ne m’a jamais paru aussi vrai. Depuis que je suis arrivée ici, je ressens la présence de Jo. Je sais que je dois chercher au-delà du réel. J’ai l’impression qu’elle ne fait plus partie du monde des vivants, mais qu’elle n’est pas morte non plus.

Alex ne dit rien, je crois qu’il se demande comment me faire interner au plus vite, pourtant lorsqu’il reprend la parole, je ne le sens pas du tout inquiet, bien au contraire :

— Tu sais que nous sommes dans un endroit particulier. Les Japonais disent souvent que les hommes et les dieux y cohabitent. Ce n’est pas pour rien qu’elle fascine et attire autant. Le sanctuaire sur lequel nous sommes a été établi pour rendre hommage à la déesse gardienne des mers. Sur cette île, on n’a pas le droit de naître, de mourir ou encore d’abattre un des arbres qui y a poussé. Ça peut faire rire, on peut se dire que ce n’est que du folklore, mais j’ai suffisamment étudié les coutumes locales pour savoir que parfois, il n’y a qu’un pas entre le mythe et la réalité. Cette aura qui nous entoure, je la ressens aussi.

Je suis sous le choc. C’est la première fois que je formule tout haut ce que j’éprouve depuis mon arrivée à Miyajima, jamais je n’aurais cru que quelqu’un me comprendrait, surtout pas Alex. Je suis émue, pourtant, je refuse qu’il ressente mon trouble alors je toussote.

— Malheureusement, cela ne nous avance pas beaucoup, me sens-je obligée de dire.

— Au contraire, c’est notre première piste sérieuse, répond-il en sautant sur ses pieds. Viens, rentrons, nous devons nous reposer. Nous n’arriverons à rien si nous nous épuisons trop vite.

Je saisis sa main et j’accepte de le suivre. Je réalise que je suis soulagée de pouvoir enfin partager ma quête avec quelqu’un et surtout que le contact de sa paume avec la mienne me perturbe beaucoup plus qu’elle ne le devrait.

Lorsque nous nous séparons dans le hall de l’auberge, il se penche vers moi pour me dire :

— Je suis content que tu sois là Jade, en faisant équipe je suis sûr qu’on la retrouvera plus vite.

Alors que son regard sonde le mien, cherchant sans doute à être rassuré, une profonde angoisse m’étreint, mais je préfère la garder pour moi et je me contente d’un petit sourire et de dire :

— Je l’espère, n’oublie pas que c’est de ta faute.

Les épaules d’Alex s’affaissent, sa bouche se tord dans une moue bizarre. Tristesse ou amertume, je n’arrive pas à le savoir. Il tourne alors les talons et je le suis des yeux quand il regagne sa chambre. Je me sens coupable de le blâmer, mais je crains que si j’arrête de le juger, la culpabilité m’assaille à mon tour, et je serais incapable de fonctionner correctement. Je rejoins aussi ma chambre. La gouvernante a sorti un futon. L’odeur du thé embaume la pièce et apporte un peu de chaleur à mon cœur meurtri.

Je sors de ma valise le doudou de mon enfance. Nous avions le même avec Jade, elle en bleu, moi en rose, je ne sais pas pourquoi je l’ai emporté, j’ai l’impression qu’il me rattache à elle et en le serrant contre mon cœur j’ai la sensation qu’elle n’est pas si loin et qu’elle va bien.

Alex

 

Je me réveille au petit matin, fourbu. J’ai adoré dormir sur un futon, c’était dépaysant et agréable, mais je ne me sens pas reposé pour autant. J’ai eu beaucoup de mal à m’assoupir hier soir. J’ai tourné et retourné la conversation que j’ai eue avec Jade. Je n’en reviens pas qu’elle soit ici, au Japon. Elle qui déteste ce pays ! J’ignore si je dois me sentir soulagé d’avoir un tel soutien avec moi – je sais qu’elle fera tout ce qui est humainement possible pour retrouver sa sœur – ou anxieux à l’idée de la côtoyer tous les jours – elle ne m’a jamais aimé.

Je ne peux pas lui en vouloir, Jo et moi n’avons pas toujours été sympas avec elle : sous prétexte qu’elle n’avait pas les mêmes passions que nous, nous l’avons souvent exclue de nos conversations. Enfin, pas au début. Dans les premiers temps, elle se montrait renfrognée chaque fois que nous tentions de l’incorporer à nos jeux, à nos discussions, de lui faire découvrir les mangas que nous aimions. Pour moi, c’était un prétexte pour l’avoir à mes côtés, je la trouvais plus jolie que Jo et elle me plaisait bien du haut de mes quinze ans et demi, mais ce n’était pas réciproque. Chaque fois que je lui adressais la parole, elle se montrait agressive et ne loupait jamais une occasion de me lancer des piques, même quand je restais silencieux. J’ai mis le temps à comprendre que le problème n’était pas vraiment moi, mais mon amitié avec Jo. Jade était jalouse. J’aurais dû arranger les choses, mais j’étais blessé qu’elle me rejette et par vengeance, j’ai sciemment attisé la rivalité qui nous liait, augmentant davantage le fossé qui nous séparait. Son départ pour l’Angleterre a anéanti Jo qui n’a pas compris la raison d’un tel éloignement. J’ai consolé ma meilleure amie, lui cachant au mieux ma peine : j’ai pleuré avec elle, et elle n’y a vu que de l’empathie alors que la tristesse me submergeait. Je vivais mon premier chagrin d’amour. Ces retrouvailles, aussi peu joyeuses soient-elles, nous permettront peut-être de faire la paix.