Au secours, je ne veux plus être instit ! - Caroline Peyras - E-Book

Au secours, je ne veux plus être instit ! E-Book

Caroline Peyras

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Beschreibung

« Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grande ? À cette question, je répondais toujours : “Maîtresse d’école ou écrivain.” J'étais loin de penser que ces deux rêves se concrétiseraient. Hélas, c’est la fin du premier qui a favorisé la réalisation du second. Ce livre, c’est mon témoignage, celui d’une professeur des écoles qui a embrassé son métier avec des rêves plein la tête, de l’enthousiasme et de la passion, et qui, au fil du temps, sera désillusionnée jusqu’à en devenir malade ! »


À PROPOS DE L'AUTEURE


Professeur des écoles, Caroline Peyras claque la porte en désespoir de cause après vingt-six ans de bons et loyaux services. Pour se remettre de cette terrible déception et parce qu’elle croit encore que l’école peut se relever des sables mouvants dans lesquels elle s’enfonce, elle décide de témoigner et de ne pas se résoudre à la fatalité. Elle expose donc les principales causes du déclin et propose quelques pistes de solutions dans Au secours, je ne veux plus être instit !

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Caroline Peyras

Au secours,

je ne veux plus être instit !

© Lys Bleu Éditions – Caroline Peyras

ISBN : 979-10-377-8017-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (articleL.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mes fils et à mon mari

Chapitre I

Une vocation

Je le regardais, il était assis sur le rebord de son bureau, un manuel dans la main. Je le trouvais grand, intelligent, charismatique, je l’admirais, il m’impressionnait et je le trouvais beau ! Il ressemblait à Roger Moore. Ce jour-là, je me suis dit : « Je serai comme lui, je serai instit ! »

J’étais une élève modèle, appliquée, studieuse et, je pense, assez douée, très scolaire, aucun instituteur n’eut à se plaindre de moi ! J’étais scolarisée dans un petit village de l’Hérault, l’école maternelle s’était résumée à une classe unique avec la même maîtresse pendant 3 ans et ensuite, je poursuivis l’école élémentaire avec trois autres maîtresses et une succession de cours doubles.

La révélation, c’est en classe de CM1 que je l’eus, ce fut alors une évidence, je serais institutrice !

De tous les enseignants qui ont jalonné cette période-là, il a été le seul qui m’a donné une telle envie de devenir à mon tour enseignante. Alors, je scrutais, décortiquais, notais tout ce qui pourrait me servir plus tard dans ma future vie professionnelle, je doutais, me disais que je ne me rappellerais plus, tellement il y avait de « choses » à retenir !

Oh ! J’ai dû en oublier des choses, c’est évident, mais je me souviens aussi de tant de petits bonheurs…

Je passais deux ans avec monsieur P., le CM1 et le CM2, comme j’étais petite, j’étais au 1er rang avec les « lunetteux » et les autres « petits ». J’avais donc une place de choix pour admirer mon mentor. Les choses ont bien changé, les places de devant ne sont plus réservées à ces élèves-là, mais plutôt à ceux qui ont des difficultés ou bien à ceux qui sont particulièrement pénibles. Plus personne n’imaginerait aujourd’hui qu’on puisse rester toute une année à la même place comme c’était le cas lorsque j’étais moi-même en classe.

Dans la classe de M. P., nous étions responsabilisés, notre condition de « plus grands » de l’école était quelque chose que nous prenions très au sérieux. À ce titre, à tour de rôle, nous devions sonner les sorties et entrées de récréation, et attention ! À l’heure exacte ! Notre classe, isolée du reste de l’école, était située à l’arrière et il fallait traverser une petite cour où nous faisions griller des châtaignes dans une grande poêle trouée en octobre. À chaque récréation, deux élèves de service restaient en classe pour s’occuper du rangement, de l’essuyage du tableau et du changement d’eau des poissons rouges. Ah ! Ces fameux poissons rouges ! Ils me procuraient tant de frayeur quand ils m’échappaient des mains et se tortillaient dans le grand évier blanc. C’était moi alors qui étais en apnée mais tout se terminait bien, le poisson dans son bocal et mon souffle retrouvé…

Comme nous avions une classe à cours double, lorsque mon travail était terminé, je regardais avec une curiosité gourmande ce qui se passait chez les CM2. Quand je le pouvais, j’essayais de résoudre leurs problèmes écrits au tableau et lorsque j’y arrivais, j’avais l’impression d’être aussi « forte » qu’eux et j’en étais très fière.

Je me souviens des expériences de sciences que nous mettions en place… Souvent l’occasion faisait le larron. Ce jour-là, à la récréation, nous avions une discussion très animée autour du vin. Dans notre village, la viticulture était l’activité dominante et chacun avait un avis dans ce domaine. Alors, lorsque nous rentrâmes en classe, le maître, qui avait compris le sujet de discorde, décida d’exposer à toute la classe notre sujet d’interrogation : « Y avait-il de l’alcool dans le vin ? » Comme nos avis étaient pour le moins partagés, pourtant il ne manquait pas d’enfants de viticulteurs dans la classe, il décida de nous mettre d’accord, non pas en nous donnant lui-même la réponse mais il nous proposa de fabriquer un alambic… Je ne sais plus très bien quelle fut l’expérience réalisée mais je me souviens du résultat qui me laissa interdite ! Oui, le vin contenait bien de l’alcool ! Et je faisais partie de ceux qui pensaient le contraire ! Donc mes parents buvaient du vin, j’avais moi-même goûté du vin, alors… Bon, rien de grave finalement.

Encore une bonne idée que j’allais mettre dans les tiroirs de ma mémoire : faire des expériences avec mes élèves, des protocoles d’expérimentation, des hypothèses, waouh ! Trop bien.

Nous fûmes la 1re école du département à expérimenter la classe de neige et 21 jours, pas un de moins ! Hors de question qu’un seul élève ne parte pas à cause d’un problème d’argent, M. P. mettait tout en branle-bas de combat pour aider les familles en difficulté : bourse aux vêtements ; aides diverses et variées et miracle, tous les ans, toute la classe partait dans les Pyrénées à Latour-de-Carol. Et si le moniteur était défaillant, comme ça avait été le cas la 2e année de classe de neige, qu’à cela ne tienne, M. P. savait aussi skier et se substituer au moniteur, quel bonheur que de slalomer derrière le maître…

Ce qui me plaisait par-dessus tout, c’était la préparation des fêtes de fin d’année, l’effervescence que cela entraînait dans notre classe était impressionnante, c’est que là encore, nous nous sentions un peu responsables de la réussite de cette fête. L’aboutissement d’une année…

En CM1, nous avions monté une pièce de théâtre nous-mêmes, les textes, les costumes et les décors, le metteur en scène étant bien sûr notre maître. C’était « La machine à voyager dans le temps ». Un savant fou venait d’inventer une machine qui, hélas, se détraqua et nous envoya dans la préhistoire, puis après une tentative de réparation, elle nous propulsa à la renaissance ! Nous avions donc construit la machine nous-mêmes, pour les costumes, les parents avaient été sollicités. Nous étions quelques-unes à faire de la danse donc nous avions apporté les robes à crinoline du gala où nous avions interprété « Violette impériale ». Quant aux décors, tout le monde s’y était mis, élèves bien sûr et parents. Il était impensable à cette époque de ne pas avoir quelques papas et mamans volontaires pour cette grande fête de l’école, les temps ont bien changé… Le choix des musiques et la chorégraphie étaient le fruit d’une réflexion collective maître – élèves.

Et ces projets-là, évidemment bien rangés dans ma mémoire de petite fille pour plus tard bien sûr…

En CM2, nous avions étudié « Les lettres de mon moulin » d’Alphonse Daudet et nous préparâmes pour la fête de fin d’année « Le secret de maître Cornille ». Il y avait seulement trois rôles principaux dans la pièce : Maître Cornille, sa petite fille Vivette et le fiancé. Lors de l’attribution des rôles, à mon grand regret, je n’osai pas lever le doigt, trop timide, manque d’assurance… Hélas pour moi, nous avions une nouvelle élève depuis peu dans la classe et cette dernière, plutôt extravertie, n’hésita pas et le rôle me passa sous le nez ! Quelle déception ! Heureusement, le maître décida d’attribuer les rôles à trois remplaçants en cas d’absence d’un des rôles principaux ! Je fus donc désignée à ma plus grande joie, il ne restait plus qu’à souhaiter que la Vivette officielle soit absente ! Non loin de moi l’idée, pourtant c’est bien ce qui se passa ! Quelques jours avant le spectacle, j’endossai définitivement le rôle de Vivette car ma camarade tomba malade ! Un vrai bonheur ! Et malgré mon trac maladif, je fus tellement fière d’être sur scène, et je me promis de faire vivre ça à mes futurs élèves : le théâtre !

Nous nous sentions tellement écoutés, et la relation de confiance qui existait entre élèves et maître était si forte que nous ne rations pas une occasion d’essayer d’impressionner M. P. Que ce soit dans nos prises d’initiative, dans notre gestion de la classe et même dans nos projets. Je pense que certains élèves aujourd’hui sont encore dans cet état d’esprit mais ce qui me désole, c’est qu’ils ne sont plus que la minorité et faute de suiveurs, leurs projets restent le plus souvent lettre morte mais revenons à nos projets.

Avec mes camarades de CM2, nous adorions nous déguiser et créer des pièces de théâtre, donc nous décidâmes de jouer une pièce inspirée du célèbre jeu « CLUEDO ». Nous écrivîmes un petit scénario où madame Leblanc, la femme de ménage, tuait avec le chandelier un des invités de la soirée : le colonel Moutarde. La scène se passait dans le salon du docteur Olive qui avait également invité Mlle Rose, Mme Pervenche et le professeur Violet. Nous distribuâmes les rôles ainsi que les alibis, nous trouvâmes des costumes en sollicitant nos parents, du maquillage sachant que Mme Leblanc n’était pas une fille mais un garçon qui joua fort bien son rôle avec un plaisir non dissimulé ! Ce ne fut pas chose facile et je ne vous cache pas que ce fut l’objet de nombreuses discussions et même disputes mais nous parvînmes à l’aboutissement de notre projet. Ce qui ajouta à la difficulté c’est que nous avions décidé de le tenir secret pour faire une surprise à notre maître. Nous profitions des récréations pour répéter dans une salle qui se trouvait à côté de la classe et quand nous nous sentîmes enfin près, nous fîmes la surprise à notre maître !

Je me souviens de l’excitation qui régnait, nous étions tous dans un état d’euphorie, les fous rires fusaient surtout quand les « acteurs » sortaient des coulisses maquillés et comme aucun adulte n’était là pour mettre de l’ordre dans ce joyeux bazar, il était très difficile de s’autodiscipliner. Mais les « dominants » réussirent à installer un semblant d’ordre et la pièce put commencer. M. P. fut ravi et très ému, je pense qu’il était même fier de nous et nous de lui car c’est quand même grâce à lui que nous portâmes ce projet. Il nous proposa donc de jouer notre pièce devant tous les autres élèves de l’école.

Je continuais ma scolarité avec un objectif bien précis : je serai maîtresse d’école. J’enchaînais mes années collège sans me poser trop de questions, je rencontrais peu d’enseignants qui me rappelaient mon instituteur, ce qui me conforta dans l’idée que je serai enseignante en élémentaire. Ce fut même plutôt une déception, je compris très vite qu’au collège, il ne fallait surtout pas se distinguer par notre savoir et encore moins évoquer l’idée qu’on puisse aimer une matière ou pire encore un prof… Puis vinrent les années lycée. Je m’orientais naturellement dans une filière littéraire sans me poser de questions sur les débouchés de mon diplôme sachant que mon baccalauréat ne serait qu’un tremplin vers l’université. Et puis j’avais toujours aimé lire donc quoi de plus évident que de choisir cette voie et quand on me demandait ce que je voulais faire plus tard, toujours la même réponse : instit.

Ma vie de lycéenne coïncida avec mon entrée dans une vie sentimentale un peu houleuse qui me détourna légèrement de mon objectif. Je décrochai tout de même mon bac sans réel panache et en route vers l’université. Il me fallait une licence, je décidai donc de faire de l’italien. Mon DEUG en deux ans fut facile à obtenir, ce qui ne fut pas le cas de ma licence. À cette période, ma demande pour être surveillante d’externat fut acceptée et je menais de front boulot et études à 50 kilomètres de distance. À cela s’ajouta une idée folle : emménager avec mon petit ami. Tout cela enraya quelque peu la machine et m’obligea à faire une petite pause. Finalement, j’obtins le fameux sésame et même mieux, une maîtrise d’italien, ce qui aujourd’hui équivaudrait à un master 1.

Me voilà enfin prête à préparer le concours de professeur des écoles. Je pensais avoir fait le plus dur, mais non, je dus constater, hélas, qu’un concours n’est pas un simple examen, et surtout que mes connaissances littéraires et ma bonne orthographe ne suffiraient pas à son obtention d’autant que lorsque je me penchais sur les taux de réussite de l’académie de Montpellier, je fus prise d’affreux doutes concernant mon réel potentiel à devenir instit. Ce fut le premier réel écueil ! J’encaissai le choc, me ressaisis et décidai alors de passer par une préparation IUFM, ce qui ne m’avait pas semblé indispensable ! Je postulai donc dans la même académie, je fus admise à l’IUFM mais à celui de Perpignan à deux heures de route de chez moi… Et j’appris dans la foulée que… j’étais enceinte ! Je poursuivis tout de même mon objectif mais après deux mois de transport entre mon lieu de vie et mon lieu d’étude, le boulot de surveillante que je ne voulais surtout pas lâcher car nous avions un studio à payer avec mon petit ami et la grossesse… Je compris que ça allait être quand même plus compliqué que je ne le pensais !

En décembre, j’accouchai d’un joli petit garçon et en juin de l’année suivante, je fus admissible au concours de professeur des écoles mais pas admise ! Je ne vécus pas cet échec de la même façon, après tout, franchir le cap de l’admissibilité me donna l’espoir d’une promesse de réussite et puis j’avais réussi quelque chose cette année ! J’avais conçu un petit garçon magnifique alors je décidai de profiter des joies d’être maman, mon projet professionnel n’en était que retardé !

Cette année-là, je décidai de mettre toutes les chances de mon côté pour réussir mon concours, je changeai d’académie. J’étais séparée du père de mon fils donc plus rien ne me retenait. Montpellier : 11 % de réussite, Nice : 16 %, ni une ni deux, je passerai le concours à Nice ! Une fois la décision prise, je bossai comme une folle, j’avalai des annales de concours dès que mon emploi du temps me le permettait. Je mis le paquet sur les maths et les matières scientifiques et je me conditionnai : je me retrouvai seule avec un enfant et il fallait que je lui assure un avenir alors plutôt faire ce que je désirais plus que tout !

Je décrochais enfin mon concours ! Enfin pas sans mal… pour être plus précise, j’étais sur liste complémentaire, suffisamment bien placée pour ne pas espérer en vain. Je fus donc appelée assez rapidement (pas assez à mon goût…) et plongée directement dans le grand bain. Je dus organiser en catastrophe mon déménagement et surtout un changement d’école en cours d’année pour mon petit garçon ! Ce fut très compliqué pour la maman que j’étais d’arracher mon fils à sa petite école de trois classes et à ses copains pour le mettre dans une école inconnue, le seul réconfort que j’y trouvais était que nous serions dans la même école et que j’aurais un œil sur lui car c’était un petit garçon très timide. Je prenais donc mon courage à deux mains et forte d’une expérience de surveillante en collège avec des ados pas faciles, je ne m’inquiétais pas trop.

Chapitre II

Mon plongeon dans le métier

Me voilà donc dans une école maternelle devant une classe de vingt-huit élèves de petite section. Jusque-là, la situation semblait sous contrôle, des petits chérubins, ça ne pouvait être que craquant ! Et bien pas du tout ! Je me retrouvai aux frontières du réel ! Vingt-huit petits sauvageons ! Un vrai zoo, dès que je sortais de ma classe pour aller dans la salle de motricité ou autre, je vivais un vrai cauchemar, mes petits élèves se transformaient en une meute de petits singes fous hurlant, sautant, riant, courant… grimpant sur tout ce qui pouvait se trouver en hauteur. Comment était-il possible d’imaginer que vingt-huit enfants de trois et quatre ans pouvaient devenir à ce point ingérables !

Je ne cessais de me dire que je n’y arriverais jamais et ce sentiment d’échec ne faisait qu’augmenter quand je voyais les « collègues » circuler dans l’école avec leur rang en chantant, ça avait l’air tellement facile !

Je n’allais pourtant pas baisser les bras, me laisser dépasser par 28 enfants, j’avais une fierté à défendre ! Je me sentais bien seule, et personne n’avait l’air de vouloir me donner quelques conseils. J’étais partagée entre la honte de ne savoir gérer et l’impuissance. Je captais bien les regards fuyants, pleins de jugements, de compassion… et ces regards-là, on en trouve beaucoup dans ce métier ! C’était sûrement une façon de dire : « Moi aussi, j’ai ramé, à toi ma vieille, chacun son tour ! » Je découvrais donc la « solidarité » de la grande famille de l’éducation nationale, j’exagère un peu, mais si peu ! Forte de tout ce qui se jouait à l’intérieur de moi, je décidai donc de prendre une résolution radicale : ne plus sortir de la classe avec mes élèves tant que je ne parviendrai pas à gérer les déplacements, à part lors des récréations, bien sûr ! Je n’allais pas me priver de trente minutes de répit dans une demi-journée, surtout quand je n’étais pas de service ! Je limitai donc mes activités uniquement dans l’espace de ma classe, oui mais quelles activités ? En maternelle, pas de manuel scolaire, en tout cas pas à ma connaissance… Et le silence de mes collègues était assourdissant, et internet me direz-vous ? Oui, mais à l’époque, internet en était à ses prémices et en plus je n’avais pas d’ordinateur !

Donc je tentai une approche vers la collègue de l’autre petite section. Je fus tellement impressionnée par sa gestion de classe qu’il me sembla que la barre était vraiment trop haute. Elle avait huit ans d’expérience en petite section quand même ! Elle menait sa classe comme une petite fourmilière. Chaque coin jeu accueillait un nombre maximum d’élèves et pour cela, il y avait par exemple, cinq charlottes accrochées dans le coin cuisine et chaque élève en mettait une consciencieusement sur sa tête lorsqu’il décidait de jouer dans ce coin-là. Quand il n’y avait plus de charlotte disponible, les autres ne s’imposaient pas, ils allaient voir ailleurs. Et il en était de même pour le coin déguisement et ses colliers, le coin voiture et ses gilets jaunes… Et le calme qui régnait, je n’en parle même pas ! Je pensais trouver du réconfort mais je m’enfonçais encore un peu plus. Comment avait-elle atteint un tel résultat ? Pourrais-je vraiment y arriver un jour ?

En explorant l’école à mes moments perdus, je trouvais toute une série de petits magazines : « La classe maternelle », une vraie mine de documents pour préparer des séances et surtout pour commencer à organiser réellement une vie de classe. Je compris rapidement et par empirisme que les enfants de cet âge-là avaient peu de capacité d’attention, un quart d’heure tout au plus, donc il fallait que je varie les activités tout le temps, donc je programmais de multiples activités que je faisais tourner et que j’alternais avec des retours au calme, des comptines, des lectures à plusieurs voix, des jeux de doigts… Je devenais une vraie actrice, je bossais comme une dingue et mon imagination était très sollicitée, je voulais tout maîtriser pour ne plus vivre les premières semaines d’enfer ! Et mes élèves semblaient apprécier, ils étaient de plus en plus motivés, donc plus attentifs.

Je pensais encore que l’avantage d’avoir une petite section de maternelle c’est qu’une partie de l’après-midi était consacrée à la sieste et qu’au moins je pourrais souffler mais non ! Pas du tout, la directrice de l’époque, bien avant les réformes Darcos, nous avait inventé l’aide personnalisée. Incroyable ! Quelle avance sur son temps ! Donc, nous étions réquisitionnées, nous et seulement nous, les maîtresses de petite section, une fois que nous avions fait face avec courage aux pleurs des enfants récalcitrants qui n’aimaient pas la sieste. Et pendant que les autres enseignantes de moyenne et grande section faisaient un temps calme dans leur classe, nous étions, nous, de corvée de soutien scolaire en tout genre : graphisme, activités mathématiques et langagières… Loin de moi l’idée de ne pas aider les enfants en difficulté, quoiqu’il y aurait à dire sur la manière, le contenu et l’heure de ce sacro-saint soutien mais passons. Je trouvais tout de même un peu curieux que les maîtresses de petite section n’aient pas droit au temps calme alors que les petits, je vous assure, vous « pompent » bien plus d’énergie que les plus grands, parole d’instit qui plus tard eut les trois niveaux de maternelle !

Mais la cerise sur le gâteau, dans cette première expérience, ce fut la politique de notre super directrice : « pas d’ATSEM dans les classes ! » Vous savez ces aides maternelles qui accompagnent les enfants aux toilettes, qui donnent la collation, qui peuvent éventuellement surveiller un atelier jugé un peu dangereux comme le découpage… bref qui assistent la maîtresse et bien non ! Uniquement si c’était nécessaire ! Car selon les dires de cette directrice qui, semble-t-il, avait eu quelques problèmes, elles se mêlaient de tout, s’attribuaient des responsabilités, faisaient des remarques pas toujours à propos et j’en passe ! Oui mais moi, ça m’était égal, ça m’aurait bien aidée, rassurée au moins au début. Et bien non, personne n’eut pitié de mon inexpérience, et le seul moyen d’avoir de l’aide c’était de sonner, oui, comme quand on appelle un valet, et chaque classe était dotée d’une sonnette. Et quand on en faisait usage, on avait droit au soupir ou au : « Ouuuuiiiii j’arriiiiiive ! » avec le gros bruit du déplacement de chaise suivi des ricanements des autres ATSEM qui étaient contentes que ça ne tombe pas sur elles. Donc je sonnais avec parcimonie, puis en prenant de l’assurance, de moins en moins et finalement je ne m’en sortais pas si mal toute seule. Quoique l’atelier ciseaux sans ATSEM et mes trois secondes d’inattention aboutirent quand même à une coupe de cheveux assez originale sur une de mes élèves ! Mais rien de grave, alors je laissais ma gentille ATSEM se remplir de thé toute la journée en commentant les derniers potins de la presse people.

En plus s’ajoutait à mes difficultés celles de mon fils qui s’adaptait très mal à sa nouvelle école. En effet, celle-ci se trouvait dans un quartier très « populaire », les enfants étaient très agités, bruyants, leur langage était plutôt « fleuri » pour leur âge et mon petit garçon était perdu au milieu de tout ça ! Il pleurait le soir, me demandait de retourner dans « sa vraie école », ne voulait pas se lever le matin. Je le trouvai un jour en pleurs au milieu de la cour. Lorsque je lui demandai ce qui lui arrivait, il me répondit qu’il avait fait tomber une pièce de sa poche et qu’un enfant l’avait ramassée et la lui avait prise ! C’était si injuste ! Je tentais une approche de sa maîtresse mais elle me dit que ça allait passer, que c’était normal, qu’il allait s’y faire ! Je fus tellement déçue de sa réponse que je me promis ce jour-là de ne jamais prendre à la légère la souffrance d’un enfant même si elle semblait légère pour un adulte et je m’occuperais de tous les enfants comme si c’était les miens ! Je décidai donc le soir en rentrant d’écrire sur le cahier de vie de mon fils. C’était un cahier que certaines maîtresses de maternelle mettent en place pour que les parents y consignent ce que font les enfants le week-end ou y relatent de simples anecdotes et ces histoires sont autant de possibilités de faire des séances de langages. J’écrivis donc en son nom propre une lettre destinée à sa classe où je relatai sa difficulté à s’adapter à sa nouvelle école, loin de sa ville que je présentais avec deux cartes postales, loin de ses copains, de son papa, de sa famille et je demandais de la compréhension de la part de ses camarades et par la même occasion de la part de la maîtresse. Ce fut une réussite, et un gros soupir de soulagement pour moi ! J’observai peu à peu que mon fils allait mieux et s’adaptait enfin à son nouvel environnement. Ouf !

En ce qui concernait ma classe à moi, peu à peu avec un travail acharné, je menais des ateliers dont j’étais relativement fière, les élèves adhéraient, progressaient et enfin je respirais. La journée était découpée au cordeau, ce qui me permit d’instaurer une certaine discipline. Les élèves étaient demandeurs, j’affichais le résultat de nos travaux, ainsi ils étaient fiers et moi aussi. Bizarrement, c’est à ce moment-là que les collègues ont été plus accueillantes… et elles me proposèrent même des projets, youpi, j’avais réussi mon bizutage. Bienvenue dans la grande famille de l’éducation nationale.

La vie dans la classe devenait de plus en plus facile au fil de l’année, et nous primes un rythme de croisière relativement agréable. Mais c’était sans compter le carnaval, oui, et cette idée pour le moins saugrenue de nous faire défiler tout autour du quartier ! Je gérais tout juste les sorties de ma salle de classe vers la salle de motricité que voilà qu’on me demandait, ou plutôt qu’on m’imposait carrément de sortir de l’école. Mon signal d’alerte rouge se mit à clignoter : la rue ! Avec vingt-huit petits de quatre ans et si j’en perdais un ! Inutile de dire que je tournais le problème dans tous les sens pour éviter les catastrophes ; les attacher les uns aux autres par des ficelles, leur faire faire le petit train… rien ne paraissait satisfaisant. Je décidais finalement de faire des grappes de quatre enfants qui auraient pour consigne de ne jamais se lâcher la main. Moi, je tiendrai quatre grappes, on arrivait à seize et l’ATSEM trois grappes, le compte y était. Avec tous ces tracas, la nuit précédant le grand jour fut courte et j’arrivai à l’école avec beaucoup d’appréhension. La consigne fut au moins répétée une bonne dizaine de fois et les groupes de quatre savamment composés. Nous voilà donc partis dans le quartier. Tout se passait bien jusqu’à ce que les parents, tout excités de voir leurs rejetons déguisés, commencèrent à leur mettre des confettis dans les mains. C’était tellement drôle de voir leurs petits s’arrêter, jeter les confettis, repartir et surtout se lâcher les mains ! Et j’avais beau leur dire : « Non ! Ne lâchez pas les mains des copains ! » Des dizaines de petits yeux me regardaient hésitants tandis que les parents leur fourraient de force les confettis ! La débandade ! Un vrai cauchemar, et c’est là que j’ai commencé à compter, à recompter, à re-re-compter et cela jusqu’à ce que le calvaire prenne fin au retour dans l’école. Et cette habitude du comptage permanent, je ne l’ai plus jamais perdue, une véritable obsession ! Malgré tout, cette première expérience se termina bien mieux qu’elle n’avait commencé et j’eus beaucoup de mal à quitter mes petits compagnons de route en cette fin d’année scolaire. Mais il fallut s’envoler vers d’autres cieux : j’allais enfin ouvrir la grande porte, j’allais accéder à la formation de professeur des écoles à l’IUFM (l’Institut universitaire de formation des maîtres).

Chapitre III

La formation à l’IUFM

Paradoxe du système de recrutement, j’avais accès à la formation après avoir été parachuté sans tambour ni trompette devant une classe de 28 enfants de maternelle. J’imaginais à peine si les parents m’auraient confié leurs chérubins s’ils avaient su… Mais force est de constater que je ne m’en étais pas si mal tirée puisque j’eus un très bon retour des parents à la fin de l’année ! Je n’allais pas me plaindre, je voulais être instit par-dessus tout mais quand j’y pense… J’attendais donc beaucoup de cette année de formation, ma toute petite expérience me faisait avoir de grands espoirs. J’allais enfin concrétiser, j’allais pouvoir revenir sur mes pratiques et comprendre mes erreurs, j’avais soif d’apprendre, de connaître toutes les ficelles du métier, tout ce qui m’avait fait défaut avec mes petites sections, bref j’étais prête avec toutes les questions auxquelles j’allais enfin donner des réponses…

Les premiers cours de français furent consacrés à critiquer les manuels scolaires, je fus surprise mais pourquoi pas ! Finalement même un manuel est imparfait, mais ce fut quand même assez déroutant. Tout ça pour nous dire qu’un seul livre ne suffisait pas à préparer une leçon ! Du coup, lors de la préparation des premières séances, tous les élèves – enseignants se précipitaient dans la bibliothèque pour réunir le maximum de livres : la ruée vers l’or ! Et moi, comme la bonne élève que j’étais restée, je m’entourais d’une bonne dizaine de manuels et je comparais, disséquais, cherchais, « critiquais » à tel point que pour une séance de quarante-cinq minutes devant les élèves, je passais facilement deux heures dans la préparation ! Le rapport qualité temps était terriblement en ma défaveur, mais toujours très « scolaire », je m’acharnais avec mon goût du travail bien fait et je passais des soirées et même des nuits devant mes manuels. J’appliquais longtemps cette méthode à la sortie de l’IUFM et je passais un temps infini à préparer mes leçons. Je compris enfin, mais bien plus tard, lorsque je reconnus dans un nouveau manuel une de mes leçons d’histoire avec les mêmes documents utilisés, la même progression… personne ne m’avait copiée, évidemment ! J’eus une illumination, il était temps ! Hé oui, ces gens dont le métier était enseignant, chercheur, inspecteur, prof d’IUFM avaient eux-mêmes consacré du temps pour réaliser leurs ouvrages… donc pourquoi les remettre systématiquement en question ? Il était bien plus simple de choisir parmi le panel de manuels proposés, celui qui semblait le plus proche de ce que l’on recherchait. Quel gain de temps ! Et même d’efficacité, je ne m’épuisais plus à vouloir faire toujours mieux, je commençais à faire un peu plus confiance aux manuels qui existaient. Je comprenais l’idée de nous faire « critiquer » les manuels pour aiguiser notre curiosité mais passer la quasi-totalité de l’année sur ça, un peu exagéré… Malheureusement les cours de français se limitèrent à ça, à nous faire perdre confiance dans ce qui était fait pour nous aider : les manuels ! Pas de leçon sur la mise en place d’une séance sur la découverte du verbe par exemple, il ne manquait pas de chose à étudier ! L’idée était que tout devait venir de nous, cette même idée qui sera appliquée dans les écoles avec les élèves : partir des connaissances de l’enfant. Pas de connaissances qui viennent d’en haut, les élèves (nous) ne sont pas des déversoirs… Et pourtant on en aurait bien eu besoin de ces connaissances pour notre mise en confiance…

J’attendais sûrement trop de cette formation ! Que de désillusions, de la théorie, de la théorie et encore de la théorie !