Autopsie de la vie d’un flic - Eric Basset - E-Book

Autopsie de la vie d’un flic E-Book

Eric Basset

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Beschreibung

"Autopsie de la vie d’un flic" explore le parcours de l’auteur, remontant à son enfance pour comprendre ce qui l’a mené à devenir inspecteur de police. Bien que la musique, le dessin et l’écriture aient constitué ses premières passions, rien ne semblait le prédestiner à une carrière dans la police. Pourtant, il a su allier ses centres d’intérêt avec sa vocation d’enquêteur. Entre écriture de chansons, concerts, expositions d’aquarelles et résolutions d’enquêtes complexes, il partage avec vous son histoire, marquée par une première affaire de meurtre, survenue un vendredi 13.

 À PROPOS DE L'AUTEUR

Eric Basset, entré dans la police après un échec au bac littéraire, réussit le concours d’inspecteur quatre ans plus tard et rejoint un commissariat de province. Dans ce récit, il partage des événements marquants, des situations tendues, insolites et parfois surréalistes auxquelles il a été confronté. Avec un regard audacieux, il s’attache à déconstruire les clichés et à bousculer les idées reçues sur la police.

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Seitenzahl: 178

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Eric Basset

Autopsie de la vie d’un flic

© Lys Bleu Éditions – Eric Basset

ISBN : 979-10-422-6769-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À ma famille de sang,

à mes ami(es),

à mes frères

et sœurs de cœur,

à la famille Alcaline,

à mon groupe de musique

depuis plus de 20 ans,

à mes anciens collègues,

gradés ou moins gradés.

Par le biais de ce récit autobiographique, j’ai cherché à comprendre les raisons qui m’ont conduit à devenir inspecteur de police. En remontant le cours de ma vie, depuis ma naissance, j’ai trouvé plein de réponses. Entre mes souvenirs d’enfance et l’évocation de mes aventures et mésaventures, on en comprendra les liens.

Avec humour, autodérision, réalisme, j’évoque des épisodes marquants de ma carrière, plus ou moins dramatiques, retentissants, souvent tendus, cocasses, voire surréalistes. À la fois artiste peintre, musicien dans un groupe de rock, le métier d’enquêteur m’a plongé au cœur de la complexité des relations humaines.

Tous les faits relatés et les personnages ont réellement existé. Seuls les noms et les lieux ont été modifiés.

Je suis aussi l’auteur des quelques illustrations.

1

Noyades

Ma vie, elle a commencé comme ça : j’ai bien failli me noyer en sortant du ventre de ma mère, le cordon ombilical enroulé autour du cou. J’étais bien moi, au chaud. Sortir pour quoi faire ? Mes parents, ils préféraient une fille. Parce qu’ils avaient déjà eu mon frère. Lui, il est sorti tout de suite. Il n’a jamais aimé l’eau. Il sait à peine nager. Mon père a été déçu quand il m’a vu. En plus, il paraît que j’étais tout laid. Forcément, j’étais tout violacé, cyanosé. Je ressemblais plutôt à une crevette trop cuite. Un an et demi plus tard, ils ont fait ma sœur, plus jolie que moi. J’aimais l’eau. J’ai failli me noyer deux autres fois. La première, tête-bêche dans un ruisseau en allant à la pêche à la grenouille avec un chiffon rouge accroché au bout d’un bâton. La deuxième fois, j’avais douze ans. C’était à la piscine municipale. J’étais nageur au club. L’été, je passais mes journées à la piscine.

Pour épater les filles, j’allais dans le grand bassin de 50 mètres, dans lequel personne n’osait s’aventurer parce que l’eau était trop froide. On était une douzaine dans le grand bain. On avait tous à peu près le même âge. J’étais au beau milieu, quand quelque chose m’a soudainement brûlé les poumons. Je ne pouvais presque plus respirer. C’était un accident. Du chlore pur, envoyé par erreur dans les vannes par les techniciens. J’ai réussi à nager en apnée jusqu’au bord. Une fois sorti de l’eau, je m’écroulai sur le sol. Asphyxié, j’ai cru que j’allais mourir. Je voyais les autres qui avaient bu le « bouillon » en train de vomir. Moi, je n’y arrivais pas, je n’avais pas bu la tasse.

Ma mère, comme d’habitude, arrivait pour me récupérer, avant la fermeture.

Elle vit les camions de pompiers et l’attroupement de badauds tout autour. Par instinct, ignorant que j’étais sous oxygène sur un brancard, elle s’exclama : « Mais qu’est-ce qu’il a encore fait ? » Il faut dire que j’en loupais pas une.

Notre hospitalisation durait huit jours. C’était dur de dormir sans presque pouvoir respirer. Vingt ans plus tard, j’ai retrouvé l’inspecteur de police qui fut dépêché sur place en urgence.

Je le revois encore avec des pipettes, effectuer minutieusement des prélèvements au bord du bassin. Nos parents avaient porté plainte. Il y eut une enquête.

Cet inspecteur était devenu inspecteur divisionnaire, patron de la Sûreté au Commissariat. Il allait devenir mon chef, bien des années plus tard, quand j’obtenais, à ma grande surprise, rapidement ma mutation dans ma ville natale, après huit ans comme flic dans la capitale et en grande banlieue, dans l’Essonne.

2

Au tableau !

Il y a plein de gens qui ont écrit leur vie… Alors, je me suis dit : « Pourquoi pas moi ? » Je pourrais le faire façon Forest Gump… Ou genre : Autobiographie d’une vie pas comme les autres, mais j’y passerai des années… Alors, autant faire simple. Je viens d’ouvrir la vanne… Quitte à me noyer. Pour de bon cette fois.

Finalement je préfère me la raconter. J’ai pas tout compris. Il y a des épisodes que j’ai dû oublier. Au début j’étais souvent malade. J’avais toujours des trucs bizarres… les médecins, ça les embêtait, ils ne trouvaient pas ce que j’avais. Moi, ça m’arrangeait bien. Et quand ma mère m’emmenait chez le docteur, j’étais content, parce que je n’allais pas à l’école. J’arrivais en classe avec des poupées plein les mains. Les poupées, c’étaient des pansements que ma mère enroulait autour de mes doigts après y avoir passé de la pommade, tenter de soigner un eczéma. Il se promenait du pouce à l’auriculaire. C’était l’hiver quand il faisait très froid, ou l’été, que ce truc me démangeait le plus. J’avais honte en classe. Pour écrire, pour lever le doigt aussi.

Le pire c’est quand j’étais appelé au tableau. Cela faisait tellement longtemps que j’avais cet eczéma, j’avais l’impression d’être né avec. Il disparaissait comme par enchantement la première fois que j’allais à la mer, j’avais treize ans. Des vacances en Espagne, dans la belle cité de Tarragone. Je passais mon temps à aller le plus loin possible du bord, et aller au plus profond. J’essayais d’attraper des trucs transparents et gluants. J’ai appris plus tard que c’était du lichen, champignon associé à une algue, poussant en bord de mer. Et que c’est certainement ce qui avait fait disparaître ma maladie de peau. À notre retour à la maison, c’était fini.

Cette maladie de peau m’avait gêné durant ma jeune scolarité. En plus je n’étais pas doué pour tout ce qui avait rapport aux chiffres, aux lignes droites, aux obliques ou aux angles droits. Je n’avais pas beaucoup de mémoire, surtout je n’aimais pas apprendre par cœur des poèmes que je ne comprenais pas, des épisodes de l’histoire de France ou des cartes de géographie. Il ne restait pas grand-chose à part le sport et le français. Là, c’était du naturel pour moi. J’avais parfois les honneurs quand le prof lisait ma rédaction devant toute la classe. Ou quand il me remettait 20/20 en dictée. Mes principaux concurrents, c’étaient les filles.

3

L’atelier d’Hector

Alors, si vous pouviez faire une moyenne chiffrée de mes capacités scolaires à une époque où les maths étaient à la mode, il n’est pas difficile à comprendre qu’à la sortie de la cinquième, j’étais nul. On voulait m’orienter dans la mécanique. Avec les pansements autour de mes doigts, ma mère se faisait déjà un sang d’encre à la seule idée de penser que je mettrai les mains dans des moteurs pleins de graisse et d’huile. Justement, elle a fait des pieds et des mains auprès de la direction de l’école afin que je reste au collège. Comme j’avais redoublé deux fois, je fus admis dans la classe supérieure.

Merci maman. Je me serais peut-être coincé les doigts dans un engrenage.... Ce qui serait certainement arrivé. J’ai encore des difficultés aujourd’hui pour desserrer un écrou, ou même planter un simple clou. J’étais pourtant plus doué pour le démontage.

Nos proches voisins c’étaient Hector et Gisèle. Ils avaient un fils de mon âge, Hector était mécanicien.

Sa femme, Gisèle, tenait les comptes. Au début, c’était un petit atelier, avec une pompe à essence plantée devant, au bord de la nationale 7, la route des vacances, bordée de platanes. L’A77 (l’autoroute de l’arbre) n’existait pas encore. C’étaient des files continues devant la maison, l’été. Avec mon frère, sur le perron, on s’amusait à compter les voitures. On choisissait chacun une couleur. Celui qui en avait le plus avait gagné. Hector travaillait le jour dans son garage. La nuit, il bricolait des moteurs dans son atelier. Il avait conçu un des premiers turbo-compresseurs, à courroie, sur un moteur Alfa-Roméo deux litres.

Son idée était d’envoyer le maximum d’air dans la culasse. Dans ma chambre, j’étais souvent réveillé par la montée en puissance du moteur qui s’arrêtait d’un coup sec au moment où la courroie se mettait à siffler de plus en plus fort, et finissait par casser. Certains week-ends, Hector pilotait des bolides sur les circuits du coin. Des prototypes ressemblants à ceux qui figuraient avec de belles couleurs dans les bandes dessinées de Michel Vaillant.

4

Une petite ville pas si tranquille

Quand je pris enfin mes fonctions chez moi, je pensais bien connaître la ville, un atout pour mon métier. Je la connaissais par cœur, mais seulement de l’autre côté du miroir. J’ai travaillé sur toutes les affaires du Code pénal, du petit délit aux crimes de sang, en passant par les cambriolages et les braquages, les stupéfiants, les escroqueries en tous genres, les violences, les incendies criminels, les affaires de mineurs victimes ou délinquants… Comme on était loin des grands centres de police, plus aptes à gérer des dossiers très complexes, il fallait souvent les traiter nous-mêmes. Je pensais que j’allais me la couler douce, je m’étais bien mis le doigt dans l’œil.

Dans ma vie de flic, je ne compte plus mes déplacements sur les lieux d’un suicide. Le drame qui survient à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Souvent, la famille n’accepte pas l’idée du suicide. On cherche une autre raison. On cherche un responsable. Et on échafaude alors avec force d’y croire des scénarios, des hypothèses, on suspecte aussi parfois des complots. La parole du policier va être remise en cause. On exige la réouverture de l’enquête. L’exception confirmant la règle, il existe évidemment des suicides qui n’en sont pas. Reprendre l’affaire à zéro à la demande d’un juge, et en arriver bien souvent aux mêmes conclusions, et en rendre compte de nouveau à l’entourage.

La police n’est pas une science exacte, même si elle a tendance à le devenir de plus en plus. Elle reste encore une grande aventure humaine. Le flic qui débarque en pleine nuit, extirpé de son sommeil par la sonnerie du téléphone. Il a bien le droit de rêver.

En quelques minutes il doit remettre les pieds au plus bas de la réalité. Personne ne peut dire vraiment ce qui se passe dans la tête d’un désespéré qui met fin à ses jours, à ce moment précis où il se supprime. Aucun spécialiste, médecin, psychiatre, ne peut apporter de réponse. Une énigme scientifique autant que philosophique.

Certains diront que la souffrance est tellement insupportable qu’en se supprimant c’est seulement une terrible douleur qu’on veut faire disparaître.

Mais j’avais un refuge : le restaurant situé à deux pas, où j’ai exposé deux ans plus tard mes premières aquarelles… où le patron de l’établissement faisait aussi avec mes tableaux une première expo sur les vieux murs de pierre.

Car aujourd’hui on peut encore y voir régulièrement des œuvres d’artistes d’ici ou d’ailleurs. Les collègues du commissariat, même s’ils en étaient fiers, n’en riaient pas moins lorsqu’ils disaient que je faisais des toiles… en effet ça m’est arrivé d’en faire quelquefois des toiles, dans mon boulot. Mais comme un chat, je retombais toujours sur mes pattes.

5

Terrain de jeux

Le terrain derrière l’atelier était vite devenu pour mon voisin et moi un terrain d’exploration. Il servait de casse dans laquelle s’entassaient des véhicules accidentés, ou en panne. Avec mon copain de jeux, nous étions parfois des mécaniciens en herbe, ou encore des pilotes de rallye, quand on arrivait à faire démarrer des épaves qui contenaient encore un peu d’essence. On roulait dans l’allée qui faisait le tour du terrain. On se chronométrait. On avait vite défini une moyenne à dépasser, à la mesure de cet espace qui était devenu le nôtre. Dans ce paradis de ferraille et de moteurs, on trouvait parfois de la place pour d’autres aventures. On avait fabriqué une cabane, qui, pour moi, allait devenir notre vaisseau spatial. On démontait les voyants électriques des tableaux de bord. Il y en avait de toutes les couleurs. C’était l’idéal pour l’élaboration de la cabine de pilotage. Je ne demandais pas plus que de pouvoir décoller. Hélas sans succès. Alors, on continuait nos courses folles dans le terrain. Le garage existe toujours. Hector aime toujours autant conduire vite. Ce qui lui a valu le record d’excès de vitesse dans le département flashé à 223 km/h. C’était l’année où Jacques Chirac fut élu Président. J’étais jeune policier à Paris quand je le rencontrais. Il était maire de Paris. Il marchait en faisant de grandes enjambées, lors d’une inauguration dans le Carré des antiquaires du Faubourg Saint-Honoré. On avait peine à le suivre. Il entrait et sortait des boutiques à toute vitesse après avoir salué et parlé à des tas de gens. Ça tenait plus d’un marathon que d’une promenade politique. Je me trouvais dans le dispositif de sécurité. Je ne sais plus à quelle occasion, il me serra la pince, de sa large et puissante main, m’écrasant un pied avec le sien d’un bon 47. Quand un futur président de la République vous dit bonjour de cette façon-là, on ne peut pas l’oublier.

6

La récré

Ma sœur aussi, elle avait des poupées. Ce n’était pas les mêmes. Elle eut même, en cadeau de Noël, une poupée qui parlait et qui marchait en même temps. Cela ne faisait pas très longtemps qu’il y avait la radio à la maison. C’était à la même époque que l’on entendait Polnareff (la poupée qui dit non) un peu comme la poupée de ma sœur. On entendait aussi les premières chansons de France Gall. Devinez le titre. Poupée de cire, poupée de son. Comment la poupée de ma sœur pouvait marcher et parler en même temps ? Je l’ouvris. C’est ma curiosité, mais plus encore, ma stupéfaction qui m’ont poussé à l’ouvrir. Je ne pouvais pas faire autrement. Au-delà même de la stupéfaction, l’incompréhension.

Il fallait que je vois ce qu’il y avait à l’intérieur. Alors, je la démembrais, et je la démontais. Horreur, déception ! Une fois qu’elle fût ouverte… et quelle honte aussi, de ne pouvoir la remonter… j’étais devenu un assassin. Ma sœur ne m’en a jamais voulu. Je n’aimais pas l’école. Je préférais les récrés.

Il se passait toujours quelque chose de nouveau pendant la récré. Les dames qui s’occupaient de nous, c’étaient de bonnes sœurs. Il y avait une dame qui n’était pas comme elles. C’était la maîtresse. Elle nous surveillait dans la cour.

Elle se posait toujours sous le gros marronnier planté au milieu. Je comprenais pas pourquoi elle n’était pas habillée comme les Sœurs. J’étais curieux. Je faisais semblant de tomber à ses pieds, comme ça, je pouvais voir ce qu’il y avait sous sa jupe. Il y avait toujours quelque chose de nouveau à la récré. J’aimais bien ça.

Une fois, la maîtresse a fait entrer un drôle de bonhomme dans la classe. Il n’était pas content. Il voulait savoir qui lui avait lancé un caillou sur la tête par-dessus le mur de l’école. Il n’avait pas dû avoir bien mal, parce qu’il portait un chapeau bizarre. C’était un policier qu’elle a dit la maîtresse.

Il y eut un long silence dans la classe. J’avais très peur que ce soit moi qu’il désigne coupable. Alors, je n’ai rien dit. Parce que j’avais pas envie qu’il m’emmène au cachot. Quand il est parti, j’étais drôlement content.

7

De la maternelle au service militaire

À la maternelle on nous faisait dormir l’après-midi dans un dortoir. Même quand on n’était pas fatigués. C’était une école catholique. C’étaient des femmes en robe noire qui s’occupaient de nous. D’abord elles nous nous apprenaient à nous habiller, c’était pas bien difficile… Mais quand on apprenait à lacer nos chaussures, là, ça devenait compliqué. On nous apprenait à faire ce difficile exercice sur les pieds du voisin. Du coup, encore maintenant, j’attache mes lacets à l’envers. Alors, pendant longtemps, j’ai mis des mocassins… c’était quand même plus simple pour marcher. En plus ça me faisait gagner du temps avant d’aller à l’école. Quelques précieuses secondes, que je pouvais consacrer à mes aventures enfantines. Alors, quand je me suis retrouvé au service militaire, je ne sais pas si vous pouvez vous rendre compte du supplice qui m’était infligé quand il fallait chausser les rangers…

Ils avaient des drôles d’idées, les militaires. Un jour, ils nous ont dit qu’ils nous réveilleraient en pleine nuit, et que, si on n’était pas tous réunis en treillis et arme à l’épaule dans la cour et dans les cinq minutes suivant le déclenchement de la sonnerie, rangers cirées et casque lourd, ça recommencerait. Quand les chefs nous ont passés en revue, j’ai bien ri. On ressemblait plus à des beatniks qu’à des soldats.

Ça n’a pas recommencé. La fois d’après, je me suis couché tout habillé. Mais ça fait mal aux pieds pour arriver à s’endormir, les rangers. Les autres ont fait comme moi. Quand la sirène a retenti, ni une, ni deux, on était déjà tous alignés et immobiles, devant les camions. La lueur bleutée de la lune ricochait en reflets sur nos pompes cirées, nettes comme des miroirs. C’était la fête, et quand c’est la fête, ça fait du bruit. J’aimais pas le bruit.

8

La récré au commissariat

Quand c’était calme, on s’amusait bien dans les bureaux du deuxième étage. L’inspecteur divisionnaire disposait d’un bureau pour lui tout seul. Avec un flegme à l’anglaise, peu de choses ne semblaient pouvoir le perturber. Les yeux pétillants, une moustache à l’ancienne, un nez à faire rougir Cyrano de Bergerac, il fumait des roulées, et surtout la pipe, qu’il tenait à la manière de Sherlock Homes. Les volutes de fumée faisaient de grands cercles autour de lui, penché sur nos dossiers qu’il examinait. On l’appelait le grand Jacques. Comme il s’absentait régulièrement, laissant sa pipe encore chaude sur un coin de son bureau, on eut la malice idée d’y mettre une pincée de chichon, restes de nos prises de guerre.

À son retour, il se replongeait dans la paperasse, tirant de grandes bouffées de tabac. On attendait avec impatience, planqués au bout du couloir, jusqu’à ce que, soudainement, on l’entendait éclater de rire en lisant nos procédures. On rejoignait nos bureaux, en se marrant.

9

Bélinda

Mes parents habitaient au bord de la nationale. La nuit, j’avais l’impression que les camions traversaient ma chambre. Le bruit m’ouvrait la tête en deux… Mon père, ça l’énervait quand ça faisait trembler les plafonds de la maison. Il en avait tellement marre, qu’un jour il a pris son fusil, il est sorti sur le bord de la route, et s’est mis à engueuler les poids lourds qui passaient. Il venait d’avoir 60 ans. Moi j’ai jamais compris pourquoi il avait attendu si longtemps pour se décider à aller les dégommer.

À la maison, il y avait aussi des choses à l’envers. Comme le verrou de la porte des w-c. La première fois que ma petite sœur a voulu utiliser les toilettes toute seule, elle ne pouvait plus sortir. Ma mère fut obligée d’appeler un serrurier. Ma mère paniquait. J’avais peur pour ma sœur, j’avais peur que quelque chose de grave lui arrive, qu’une bête féroce sorte des tuyaux pour la manger. On n’avait pas encore le téléphone. Ma mère alla appeler un serrurier, chez la voisine. Elle était drôlement embarrassée de laisser toute seule ma petite sœur en danger.

Elle lui répétait plusieurs fois de ne pas bouger, qu’elle reviendrait bientôt. Moi, je me demandais bien ce qui se passait dans les toilettes. Ma mère lui répétait : « Tournes le verrou ma chérie, tournes le verrou ». Ma sœur répondait : « j’peux pas maman, j’peux pas » en chantant le refrain d’une chanson de Henri Salvador qui tournait en boucle à l’époque à la radio : « Le travail c’est la santé, rien faire c’est la conserver. » Elle essayait pourtant bien, mais la serrure avait été installée à l’envers. Mon grand-père aussi, il chantait bien. Il habitait avec nous depuis tout le temps. Le soir, j’aimais bien grimper sur ses genoux, quand il était assis sur le fauteuil, à côté du poêle.

J’étais bien. J’avais chaud. Il me chantait souvent en tapotant sa main sur sa cuisse, et en tapant du pied « Auprès de ma blonde, qu’il fait bon, fait bon fait bon. Auprès de ma blonde qu’il fait bon dormir. »

Il me racontait qu’avec les soldats, il chantait cette chanson-là en allant à la guerre. Du coup, bien des années plus tard, je pouvais pas imaginer me marier avec une femme qui ne soit pas blonde.

Alors, je me suis marié avec une femme blonde. D’ailleurs, j’ai rencontré Bélinda quand j’avais onze ans. Pas en vrai, évidemment. Ça confirmait bien la chanson de mon grand-père. C’était Claude FRANÇOIS qui disait :