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B22, sortie de crise ? est un titre étrange pour un homme « être-ange » ; c’est la vie cabossée de Nico, ses traumatismes qui le rendent fou et sa force pour rallumer la lumière éteinte dans son cœur. C’est l’exploration naïve de son enfance, ses dérives d’adolescent, ses doutes, ses voyages, ses rencontres amoureuses, sa passion pour son métier de grimpeur-élagueur. C’est également sa sombre descente jusqu’au couloir trop blanc de l’aile B22 de l’hôpital et, surtout, sa persévérance à remplir le verre à moitié vide pour enfin assouvir sa soif de vivre.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Psychologue et autrice d’un premier ouvrage intitulé
La Chute, cette belle envolée,
Amélie Dieudonné aime effleurer et rencontrer les âmes humaines. Sensible, elle met sur papier ce témoignage de Nicolas Deketelaere qui a choisi l’écriture comme exutoire.
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Seitenzahl: 184
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Amélie Dieudonné
B22, sortie de crise ?
Roman
© Lys Bleu Éditions – Amélie Dieudonné
ISBN : 979-10-377-5217-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Témoignage de Nicolas Deketelaere
Préface
Ce récit est le témoignage de Nicolas Deketelaere mais par respect et souci de confidentialité, les prénoms de toutes les personnes qui interviennent dans son histoire ont été modifiés afin de garantir leur anonymat.
Sans doute qu’habitent dans les adultes fâchés des enfants muselés qui continuent de crier.
Il est 10 heures du matin et il fait bon dans la chambre. Presque trop chaud pour certains qui transpirent sous leur blouse. Le ciel hivernal est bleu clair et semble glacer la ville. Mais d’ici, je ne crains rien. Je suis confortablement installé, la chaleur me berce et je n’ai pas la moindre envie de bouger. Je rêve de ne jamais quitter ces eaux brûlantes de douceur. Pourtant on m’appelle, on me presse. Les voix se font de plus en plus insistantes et je les ignore. Lucas, lui, décide d’y aller, sans doute pressé de prendre l’air et de s’aventurer vers l’inconnu. Moi je sais qu’on est en avance et qu’on aurait pu traîner ici un mois de plus alors il me faudra encore 35 minutes pour prendre mon courage à deux mains et suivre mon frère. Suivre c’est un grand mot. Je suis tellement décidé à ne pas bouger qu’ils finiront par venir me déloger de force. Ma première bataille. Le cordon ombilical m’enserre la gorge, je suffoque et le violet déforme mon visage. Je m’appelle Nicolas, nous sommes le 13 janvier 1985, cela ne fait que quelques minutes que j’ai touché la terre ferme et je ne le sais pas encore mais le ton est donné.
Mauvais départ qui me ralentit peut-être dans la course. J’ai deux ans et je ne parle toujours pas. Mon frère se débrouille et fait l’intermédiaire entre les parents et moi. Messager, il me traduit les informations qu’il reçoit. Mais je n’ai pas besoin de lui pour comprendre que papa et maman se déchirent. Papa est parti et nous laisse seuls avec maman. Nous, c’est mon grand frère Jonathan, mon jumeau Lucas et moi. Trois gars abandonnés par le quatrième.
Heureusement, il ne part pas très loin et nous garde parfois. Alors on joue, papa fait le loup et moi je m’échappe à travers les barreaux de l’escalier. L’idée n’était pas mauvaise mais la chute est longue depuis le deuxième étage. Sans doute que je supporte trop bien la douleur ou peut-être qu’ils n’ont pas les yeux en face des trous mais toujours est-il que les parents mettront deux semaines à réaliser que mon petit corps a besoin de soin. Clavicule cassée, bébé plâtré.
Je grandis et je commence finalement à parler. Je suis un enfant calme et doux. En colère par moment. Alors maman me donne parfois des douches froides ou quelques gifles. Méthode plutôt efficace qui me fait taire instantanément.
J’imagine que je me perds dans leurs attentes. La pression est grande sur mes épaules pour que je me mette enfin à prononcer mes premiers mots mais lorsqu’ils franchissent mes lèvres, ils sont détruits et les suivants sont contraints de rester enfermés derrière mes dents.
Puis maman s’occupe beaucoup de Lucas, il était petit et fragile à la naissance alors que moi j’étais robuste. Alors, comme tous les enfants aux bouches muselées qui pensent comprendre que la priorité est ailleurs que sur eux, je m’efface. Je m’efface mais j’use de stratagèmes pour sortir de moi ce qui me touche, j’use de créativité pour demander une minute d’attention et je fais caca sur toutes les marches des escaliers de maman. Et elle nettoie sans se plaindre. C’est une battante, ma mère. Elle travaille à temps plein et quand elle rentre le soir elle commence son deuxième emploi, le plus intense sans doute : celui de mère au foyer. Nous sommes déjà trois petits gars et je n’imaginais pas à ce moment-là que, plus tard, je m’emmêlerais les pinceaux en citant les prénoms et les âges de mes petits frères et sœurs.
Maman rencontre un autre homme. Les images de lui sont floues mais mes deux petites sœurs sont bien nettes, elles. Deux bouilles joufflues aux cheveux d’ange. Il nous quittera juste après avoir déposé les deux petits paquets à la maison. Mais moi ça me va, on est mieux sans lui et je les aime bien mes deux nouvelles petites sœurs. Julie, la plus grande, dort dans la chambre à côté de la nôtre. Avec mes frères, nous partageons une petite pièce sous les toits. Je me sens bien dans le grenier. Je me plie en deux pour atteindre mon lit en hauteur et j’écoute la pluie marteler le velux. Je compte dans ma tête et je me dis que si je le fais assez lentement, la pluie se sera arrêtée à 100 et j’aurai disparu dans le sommeil en même temps qu’elle. Je crois que Jonathan fait semblant de ne pas être fatigué parce que je l’entends bâiller derrière sa bande dessinée. Il attend qu’on s’endorme, Lucas et moi. Ambre, comme c’est encore un bébé, elle dort dans la chambre de maman au premier étage. Des fois, j’aimerais encore être un bébé pour qu’elle me caresse la tête comme elle le fait sur le petit duvet de ma sœur. Et parfois, je suis fier d’être un grand, maman m’envoie faire des petites courses à l’épicerie au coin de la rue et sur le chemin je répète en boucle ses indications pour que tout soit parfait à mon retour. Un petit pain gris coupe carré, six gervais et une salade iceberg. Parfois, je prends Ugli avec moi. Ugli c’est notre chien, mais elle n’est pas très jolie alors je n’aime pas trop la prendre avec moi dans le quartier. Par contre, elle nous fait bien rire. Un jour, je ne sais pas comment, elle est arrivée à l’école et a commencé à jouer avec tous les enfants dans la cour. Je l’ai ramenée en vitesse à la maison et je l’ai attachée dans le jardin. Il a plu toute l’après-midi et je pensais à elle en regardant par la fenêtre de ma classe. Je me suis senti mal.
J’aime bien les week-ends parce qu’on peut regarder un peu la télévision. Pas longtemps alors je mets le volume très fort pour ne rien rater du « Club Dorothée ». Quand c’est fini, maman arrive et coupe directement l’émission, parfois même avant la fin du générique que je termine dans ma tête parce que c’est pas joli une musique coupée avant la fin. Et puis je rejoins mes frères dans la véranda et nous créons des histoires folles avec nos Playmobil. Et des fois, on fait des bêtises parce que ça nous fait rire jusqu’à faire quelques gouttes dans mon caleçon. Un jour Jonathan a mis le feu au sapin dans le parc, c’était drôle, même si maman n’était pas très contente. Une autre fois, on a mis nos poissons rouges sur le radiateur. On se disait qu’ils devaient en avoir marre d’être toujours mouillés. Et puis moi j’imaginais leurs nageoires toutes ridées comme nos doigts après un long bain et franchement je ne leur souhaitais pas ça, c’est très désagréable. On les a remis dans l’aquarium juste avant que maman ne rentre mais ils ont refusé d’aller au fond de l’eau. Ils flottaient bêtement à la surface.
À l’école, ce n’est pas facile. J’ai de mauvaises notes et je ne me lie pas trop d’amitié avec les autres élèves de la classe. Pourtant j’adore m’y rendre. Je suis consciencieux et ordonné. Tous les soirs, je prépare mon cartable pour le lendemain. Je mets ma trousse dans la poche de devant, puis mon journal de classe que j’ai recouvert de stickers dans la grande et ensuite, je glisse précautionneusement ma farde à glissière. Les coins sont un peu croqués mais je pourrai mettre du papier collant si ça se déchire. En fin de journée, quand je rentre de l’école, après avoir mangé des petits Prince trempés dans du lait, je m’applique à faire mes devoirs, mais je ne comprends pas. La grammaire, les calculs, ça ne me parle pas même quand je me concentre très fort. Le reste, ça va encore, mais ma mémoire n’est pas très bonne alors mes notes sont mauvaises aussi au final. Une chose entraînante une autre, je me retrouve confortablement installé dans le même panier que les autres en difficulté. On en sort difficilement de ce panier-là. Puis ça nous fait des points communs finalement alors on s’y accroche parce qu’on a que ça. Et sans rien dire, on se serre les coudes, d’un coup d’œil, on sait qu’on est lié dans ce fond de panier. Alors solidaires, on se soutient et on se défend pendant les bagarres à la récréation. Les filles n’aiment pas les garçons qui transpirent et qui pleurent rageusement ou frappent tristement, ni ceux qui sont bêtes parce qu’ils sont sûrement jaloux. Alors, blessés et n’ayant trouvé que cela pour garder la face à tout prix, on en rajoute encore une petite couche en ricanant de les voir nous craindre.
Avec mes copains de panier, sur le chemin de l’école, on s’arrête parfois chez Kira, l’épicière du coin. Elle me fascine et me fait un peu peur en même temps. Je n’ai jamais vu une autre femme comme elle. Elle n’a pas de sourcils mais deux traits noirs comme si elle l’avait fait au Magicolor et j’espère pour elle que ce n’est pas de l’indélébile. Je l’imagine sans les traits. Un grand front blanc et deux yeux perdus dans le bas, ça me fait rire. Elle a du rouge à lèvres très brillant et d’énormes seins. Comme elle est vieille, elle boite un peu et il lui manque une dent. Dans la boutique, je m’amuse à regarder quel fromage a l’air le plus pourri dans ce frigo éclairé au néon blanc. Il fait tellement sombre que des fois elle ne nous voit pas arriver alors on la surprend et on lui demande d’aller nous chercher des bonbons schtroumpfs en prétextant qu’il n’y en a plus en rayons. Alors d’un pas lourd et claudiquant, elle descend dans la réserve à la cave et pendant ce temps on remplit nos poches de « couilles de singe », de « tapis » au coca et de bubble gums.
L’après-midi, après l’école et le week-end, nous jouons dehors avec mes frères. J’adore ça, être à l’extérieur, monter sur mon BMX rouge et faire des tours dans le quartier. Nous roulons à vélo dans la forêt aussi et nous traînons dans le parc derrière la maison ou au cimetière.
Quand les copains nous rejoignent, on fait des bagarres de pétards et on sonne aux portes de la rue avant de fuir en courant pour nous cacher derrière les voitures. L’adrénaline me tord le ventre mais je pouffe de rire en voyant mes copains accroupis entre les pare-chocs, et puis je ris aux éclats quand nous sortons, soulagés et fiers, de nos cachettes. Pendant les mondiaux de football, nous ne manquons jamais de nous précipiter à la pompe à essence pour acheter les cartes des joueurs que nous collons dans les magazines. On s’échange nos cartes et je saute de joie quand je réussis à compléter le mien et à les avoir toutes ! On s’échange des billes aussi. Je vole quelques pièces de monnaie dans le pot en verre de maman pour m’en offrir et puis j’essaye de refiler les moins belles aux copains contre celles qui brillent dans leurs poches. Et franchement, je dois dire que je ne suis pas trop mauvais pour négocier. À force de traîner dans le quartier, nous fréquentons les autres enfants de la rue, des copains sympas et puis des jeunes un peu moins drôles. Une fois, Claude nous menace avec son couteau. Il aime jouer à nous faire traverser des épreuves. Un autre jour, il nous enferme dans un cabanon de jardin. J’ai peur et je me sens coincé. Il nous dit que si on essaye de sortir alors il nous pointera avec sa lame. C’est pas chouette les jeux violents. Alors je m’enfuis de la cabane et je cours à toute vitesse. Je n’ose pas me retourner pour vérifier que je lui ai bien échappé, j’entre dans la maison précipitamment et monte dans la chambre d’Ambre, ma plus petite sœur. Je me cache sous son lit et je m’endors. La peur m’a épuisé, le sommeil m’apaise. Les heures passent et je suis toujours là. À mon réveil, mes frères et sœurs regardent la télévision – probablement « Dorothée » – et maman est de retour du travail. Je descends et elle est dans la cuisine. Elle me salue, le visage souriant. J’ai disparu pendant plusieurs heures, personne ne savait où j’étais, mais pour autant, tout semble aller pour le mieux.
En cinquième primaire, j’ai 11 ans et mon jeu préféré est de me battre avec les autres garçons. On court, on s’attrape par le col, on se roule par terre, on serre les dents parfois. L’aventure, les affronts, les attaques surprises, je me sens vivre. La poussière salit nos chaussures, les chutes dans l’herbe verdissent nos mains et les 15 minutes de récréation passent trop rapidement. La sonnette retentit dans la cour et marque la fin du jeu et le retour aux ennuis. J’ajuste mon pull, essuie les quelques gouttes de transpiration sur mon front et rentre dans la classe la tête baissée. Je n’aime pas Nadine, la maîtresse, et j’ai de mauvaises notes. Lucas, mon frère, brille à côté de moi en récitant ses tables de multiplication qu’il connaît sur le bout des doigts. Il coche toutes les cases et plaît à Nadine. Elle le récompense de bonbons et de chocolats. Je salive, me réjouis tristement pour lui et rêve de toutes ces friandises que je ne reçois pas. Bonbons sucrés de reconnaissance, sucettes nappées d’encouragements, caramels enrobés de bienveillance. Confiseries chargées de mots qui nourrissent les élèves qui les dégustent d’estime de soi, de confiance et d’espoir. Comme dans les dessins animés et les publicités, je vois la bouche des bonbons articuler et crier des « je crois en toi, mon p’tit gars, tu vas y arriver ». Sans comprendre l’enjeu de leur absence, l’importance de leur portée et le fossé qu’ils étaient en train de creuser, je regarde s’envoler les mots qui ne m’étaient pas adressés. Qui dit bagarreur et mauvaises notes dit redoublement. Maman et moi décidons que je changerai d’école à la rentrée. Pendant l’été, nous passons du temps ensemble, elle et moi, dans notre endroit préféré. Nous nous installons dans cette cabane en ardoise de schiste située en dehors de la ville et elle me fait la lecture. Je regarde les images sans l’écouter. Je n’aime pas lire alors je m’évade en faisant semblant de l’écouter.
À la fin de l’été, je rentre donc dans ma nouvelle école. Je suis timide et je trouve que les élèves ont l’air ennuyeux, je préférerais rester seul mais je fais un effort parce qu’on dit que c’est mieux d’avoir des copains. Je rencontre Souleymane, Anthony et Valentin, ils sont sympas avec moi mais je continue de passer de longs moments seul.
En classe, je me rends compte très vite que je n’ai pas le niveau pour suivre. Je recommence l’année et pourtant je suis à la traîne. Madame Blanchard va trop vite, je ne comprends pas grand-chose et à nouveau je suis le cancre de la classe. Malgré tout, je m’accroche, je parviens à passer mon année avec des notes frôlant la moyenne et j’entre enfin en dernière année primaire.
Cette année-là aura été pauvre en apprentissage. Effectivement, à la rentrée nous accueillons un nouvel instituteur et de nouveaux élèves dont Chems et Junior et très vite, il devient impossible de travailler. Même les élèves les plus assidus n’arrivent plus à se concentrer. Nous sommes « dissipés » et je ne sais pas ce que cela signifie à ce moment-là mais je comprends que c’est un calvaire pour eux de se retrouver face à nous. Nous mettons des punaises sur la chaise de l’instituteur, nous lançons des boules puantes et nous nous cachons dans l’armoire près du tableau vert pour mettre le bazar pendant que le reste de la classe est en récréation. Bref, nous réinventons toutes les bêtises clichées de nos héros de bandes dessinées pendant les quatre premiers mois de l’année au bout desquels l’instituteur gifle Chems. Burn-out, mise à pied, au revoir et merci d’être venu.
Après les vacances de Noël, nous repartons à zéro une nouvelle fois et faisons donc la connaissance de madame Dubois. Nouvelle institutrice et nouveau local : nous sommes maintenant installés dans la classe la plus proche du bureau du directeur. L’idée des adultes est de nous maintenir à carreaux… Moi, je regarde la neige tomber dans la cour et nous sommes calmes à nos bureaux. Sans doute ont-ils pensé fièrement que leur méthode avait fonctionné. Mais je m’en fiche, moi, du bureau du proviseur et des menaces de punition. Je me souviens juste d’une classe lumineuse et du sourire de Madame Dubois. Elle est gentille avec moi et cela me touche. Mes notes continuent de raser la moyenne mais c’est suffisant pour ne pas inquiéter tout le monde. Puis je sens que certains professeurs remarquent mes efforts, alors je me concentre encore plus, je participe et je suis poli. Nous chahutons moins en classe mais je ne peux pas rester sans rien faire pendant la récréation. Je me sens responsable de protéger ma petite sœur, Julie, qui a rejoint l’école en début d’année. Elle ne se fait pas beaucoup embêter mais un jour j’ai vu un garçon la tenir au sol et ça m’a rendu fou. J’ai couru et me suis jeté sur lui, je lui ai mis des coups de poing et des coups de pied dans le visage. Il ne s’est pas relevé, j’avais la haine, je me suis vraiment déchaîné sur ce pauvre gamin… Le soir dans mon lit les petites voix se chamaillent dans ma tête, il l’avait bien cherché, oui mais personne ne mérite d’être frappé ainsi. Je sais que j’ai surréagi et je ne comprends pas ce qui m’arrive. Quand la colère s’enclenche, elle démarre en trombe et je ne contrôle plus rien. Comme si elle venait de loin, chargée de mille autres petites histoires injustes. Le soir dans le lit je n’arrive plus à compter jusque 100, le sommeil me fait faux bond et je me demande si j’ai un problème.
Jusque-là, je maîtrisais les batailles et contrôlais ma participation aux bagarres. Je frappe pour défendre Julie mais surtout pour me défouler avec les garçons que cela amuse. C’était un jeu auquel je décidais, ou non, de me mêler. Puis soudainement, je ne contrôle plus rien et je deviens la petite chose des amis de Junior. Ils me promettent des Fruitellas en échange d’un peu de monnaie. J’adore les Fruitellas mais ce sont leurs regards durs remplis de menace qui me font céder. La tension est palpable, je comprends que je n’ai pas le choix, et je vole dans le portefeuille de mon père pour ces brutes. Un jour, ils me rapportent un pantalon de skateur et je suis gêné de l’aimer autant. Il est large, noir, avec des poches latérales au niveau des genoux. J’ai de l’allure quand je le mets avec mes baskets Globe et mon t-shirt kaki. Je le porte presque tous les jours, honteux devant mes racketteurs, stratège devant les parents : évidemment, je raconte à papa que c’est maman qui me l’a acheté et inversement chez maman… Pour la première fois, j’aime mon style et il me colle à la peau. Ironie de cette triste et violente mascarade. Tenu par leur chantage, la peur, leurs gros bras et leur effrayante réputation, chaque week-end, j’attends le moment où papa s’installe dans le salon avec ma belle-mère. Il aime boire l’apéro à l’heure du journal télévisé. Le bruit du générique et la voix criarde du présentateur couvrent mes gestes. Puis il y a les enfants de papa et de sa nouvelle copine, des nouveaux petits frères et sœurs, qui prennent le relais en cas de pépin. À force de le faire, je suis devenu rapide : un coup de scratch pour ouvrir le portefeuille, repérer le butin, prendre assez pour donner à manger aux chacals, pas trop pour ne pas alerter mon père et fourrer le tout dans mon caleçon. Je remonte quatre à quatre les escaliers, transfère l’argent dans mon cartable et rejoins mon père avec une grenadine et l’air le plus détendu possible.
Mon allure a eu l’air moins décontractée le jour où Papa découvre que deux mille francs belges ont disparu de son portefeuille. Honteux, je lui avoue ma faute et raconte brièvement le manège dans lequel je suis engrené. Il me demande de le rembourser mais comme d’habitude, son discours ne tient pas la route : les règles changent et, finalement, je suis privé d’argent de poche pendant quelques jours. Par contre, hors de question d’en parler à l’école. Je me tais dans le bureau du directeur. Je n’ai pas envie de me faire tabasser à la sortie, puis les codes sont déjà bien ancrés en moi : je ne suis pas une balance. Codes ridicules qui tuent à petit feu le respect de soi mais peu importe du moment que t’es validé par les mecs, les vrais.