Because of you - Tome 1 - Laetitia Mahy - E-Book

Because of you - Tome 1 E-Book

Laetitia Mahy

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Beschreibung

Une croisière. Une semaine. 200 invités. Et autant de secrets cachés. Combien de temps tiendront-ils avant que tout ne vole en éclats ?

Audrey ne connait que ça : attaquer pour ne pas être déstabilisée. C'est d'ailleurs ce mécanisme de défense qui lui a permis de devenir une photographe renommée à Manhattan. Elle est fière d'avoir construit son parcours sans l'aide de ses parents riches, qu'elle n'a d'ailleurs plus vus depuis trois ans. Forcée de retourner dans le monde qu'elle a fui pour le mariage de son frère, elle demande à son meilleur ami de l'accompagner, pour ne pas les affronter seule.Tous les invités sont conviés une semaine en pleine mer sur un bateau de luxe, sans possibilité d'échappatoire. La croisière comptera autant d'invités que de secrets qu'ils cachent. Audrey arrivera-t-elle à continuer de faire semblant ? 

Laissez-vous embarquer pour une aventure où luxe, trahisons, faux-semblants et passions seront les capitaines à bord du yacht.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Laetitia Mahy, jeune trentenaire, diplômée en communication et secrétaire juridique, est surtout une passionnée des mots et une dévoreuse de livres depuis toujours. Addict aux voyages, elle écrit pour s’évader, voyager et partager ses histoires. 

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Chapitre 1 L’appel du large

Une jeune femme d’une vingtaine d’années poussa la porte d’un grand immeuble situé à l’angle de la rue et face à l’une des entrées du célèbre Central Park. Le New York Class était un nouveau bâtiment de haut standing qui louait des appartements spacieux, lumineux et agréables aux jeunes adultes issus de l’élite de Manhattan. Complètement insonorisé, des gardes de sécurité filtrant les entrées et sorties jour et nuit de tout un chacun, il offrait en outre une vue imprenable sur le parc le plus connu de la ville. Les locataires, pour la plupart d’entre eux, étaient les enfants de riches fonctionnaires et propriétaires influents sur les affaires de la Big Apple. Leur sécurité était donc une priorité fondamentale, surtout au prix qu’ils payaient pour vivre dans ce building.

Une fois hors du bâtiment, la jeune femme se sentit engluée dans la foule dense qui ne cessait de croître dans la rue. Déconcertée momentanément, elle regarda de droite à gauche, comme si elle avait oublié un instant la raison pour laquelle elle était sortie. Puis, reprenant ses esprits, regardant avec attention aux alentours, elle sembla enfin trouver ce qu’elle cherchait et traversa la rue bondée d’un pas pressé et nerveux.

De l’autre côté de la rue, dès l’instant où elle était sortie de l’immeuble, un homme n’avait cessé de la suivre du regard. Il l’attendait en souriant. Il avait une allure sportive mêlée à un charisme déconcertant. Musclé, les épaules larges et carrées, il était vêtu élégamment d’un costume bleu nuit et d’une chemise blanche. Accolé à sa BMW rouge décapotable, il la regardait se diriger vers lui. La jeune femme était une grande brune dont les boucles ondulaient le long de ses épaules jusqu’à la moitié de son dos avec malice et rébellion. Ses yeux bleus trahissaient sa nervosité actuelle et son inquiétude grandissante. Quand elle arriva à sa hauteur, il planta son regard dans le sien et lui sourit.

— Bonjour Audrey, lui lança-t-il. Quelle était l’urgence pour qu’on se voie si tôt ? attaqua-t-il sans surprise.

Audrey lui rendit son sourire et haussa les épaules, énigmatique.

— Et si on allait prendre un café, Bruno ? proposa-t-elle, sur un ton qui se voulait conciliant et qui lui permettrait de gagner du temps.

Il acquiesça d’un signe de tête et la suivit jusqu’à un petit troquet situé à l’entrée du parc. À cette heure de la matinée – il était à peine neuf heures –, l’endroit n’avait pas encore été assailli par les touristes et les New Yorkais l’avaient déjà déserté pour se rendre au travail. Ils prirent place à l’une des petites tables qui entouraient l’échoppe. C’était presque désert. Seules deux autres petites tables étaient occupées. Certainement par des habitués qui déjeunaient en silence. L’endroit était apprécié pour son côté « jardin intime » qui contrastait avec l’effervescence de la ville et de ses bars traditionnels.

Bruno n’avait pas quitté Audrey des yeux, un silence imperturbable s’étant emparé de sa folie habituelle. Il se doutait qu’elle avait quelque chose d’important à lui dire. Elle savait pertinemment qu’il n’était pas du genre matinal et que, même pour le boulot, il ne répondait présent qu’après onze heures.

— Je t’écoute…, commença-t-il. Dis-moi ce qui te préoccupe tant et, par la même occasion, ce que tu as à me demander ?

Il plongea son regard dans celui d’Audrey, tentant de décrypter ses pensées, en vain.

— Qui te dit que j’ai quelque chose à te demander ? dit-elle, en prenant un air outré.

— Oh… Tu sais… Juste le fait que si tu m’appelles à deux heures du matin pour qu’on se voie tôt dans la matinée, c’est pour une bonne raison. Alors quelle est-elle, je te le demande ?

— Eh bien…

Elle s’interrompit, repensant à ce qui l’avait poussée à l’appeler si tard dans la nuit, ou plutôt si tôt ce matin…

*

La veille, elle était rentrée tard et fatiguée. Toute la journée, elle avait dû faire des photos de mode pour un nouveau mannequin en devenir. Sauf que ledit mannequin s’était révélé non seulement capricieux et d’une énorme pudeur feinte, mais également doté d’un sarcasme qui avait donné des envies de meurtre à Audrey. Pour elle, c’était simple : le mannequin s’habillait sans faire d’histoire, prenait la pose qu’Audrey lui conseillait et le tout était très vite dans la boîte. Audrey n’était pas le genre de photographe à faire des chichis et à perdre un temps considérable. C’était ce qu’on aimait chez elle : son professionnalisme à toute épreuve. Elle savait ce qu’elle voulait, le résultat qu’elle désirait, comment le mettre en place. Mais le facteur humain était toujours celui qui faisait défaut et qui retardait les choses. Ainsi, cette séance qui aurait dû être bouclée en une matinée s’éternisa plus que de raison. Elle avait donc fini tard avec pour seule et unique envie : un bon bain chaud et une bonne nuit de sommeil. Mais sa mère l’avait appelée…

— Maman ? Mais pourquoi tu m’appelles si tard ?

— J’ai essayé de te joindre plus tôt, mais tu ne répondais pas. Je te réveille ? lui demanda sa mère à l’autre bout du fil.

— Non, tu ne me réveilles pas.

— Je t’appelle pour savoir si tu viens bien au mariage de ton frère ? Tu n’as pas donné de réponse depuis un moment. J’avais peur que tu oublies ! lui dit-elle sur un ton de reproche.

— Oui, maman, je viendrai.

— Ah, parfait ! Tu n’as pas oublié pour la croisière ? C’est déjà la semaine prochaine ! Et tu viendras accompagnée, n’est-ce pas ?

— Bien sûr que je n’ai pas oublié, maman… Et, oui, je viendrai avec quelqu’un…

— Fantastique ! Tu comprends, ce serait un comble que tu viennes seule au mariage de ton frère, ça ferait un désordre organisationnel, ça n’irait pas du tout !

— Bon, maman, je suis désolée mais je dois y aller. Au revoir, maman, insista-t-elle.

— Ah oui, oui. C’est vrai qu’il est tard. À dimanche alors ma puce.

— Oui, à dimanche… Au revoir.

Elle avait raccroché avec soulagement. Les appels de sa mère avaient le don de la stresser depuis toujours. Elle avait soupiré longuement en pensant au prochain mariage de son frère. « Il allait se marier, félicitations à lui ! » pensa-t-elle, ironique. Elle détestait les mariages, peut-être parce qu’elle avait toujours pensé qu’elle n’y aurait jamais droit. Certes, la loi avait changé depuis, mais sa famille ne l’accepterait pas. Et de famille, ça, on ne pouvait en changer…

Que sa mère ait pu penser qu’elle ait oublié le mariage de son frère l’énervait. Certes, elle n’était pas très proche de sa famille depuis son adolescence, mais, quand même, elle n’aurait pas oublié. Depuis ces huit derniers mois, tout le clan familial était en émoi concernant ces futures noces. Le premier mariage dans la famille depuis vingt ans, tu parles d’un événement !

Depuis l’annonce du mariage, elle avait été assaillie par tous les membres de la famille, pour des questions futiles. Elle avait fui la question tant bien que mal. Elle était restée évasive concernant toutes les modalités de sa présence. Sa future belle-sœur avait insisté avec force pour qu’elle vienne accompagnée. Ainsi tout l’équilibre des invités était assuré. Avec Claudia, rien ne devait jamais être de mauvais goût ou de fausse note. Coincée comme elle l’était, Audrey s’étonnait qu’elle n’ait pas choisi d’épouser un riche bourgeois ou milliardaire au lieu du simple gosse de riche qu’était son frère. Même avec Baptiste, son frère, dont elle était autrefois proche, leur relation avait changé. Il acceptait tous les caprices et désirs de Claudia, ce qu’Audrey ne comprenait pas. Était-ce l’amour qui l’avait ainsi tant soumis ?

Le « couple parfait », comme disait avec agacement Audrey, s’était rencontré il y a trois ans lors d’un gala de charité dont Claudia assurait l’intendance. Pour le mariage, ils avaient l’art de lui compliquer la vie en plus ! Ils avaient décidé d’organiser une semaine de festivités exceptionnelles qui se concluait avec le Jour J, où ils échangeraient leurs vœux. Une semaine entière coincée sur un bateau, en compagnie de toute sa famille et de plus de deux cents invités de marque qu’elle ne connaîtrait même pas ! Pendant huit mois, elle avait évité le sujet, retardant les choses, mais maintenant elle se retrouvait au pied du mur. Elle ne pouvait pas éviter le mariage, qui aurait bien lieu contrairement à ce qu’elle avait espéré et elle n’avait rencontré personne susceptible de l’accompagner à cet événement. Enfin si, elle avait bien rencontré des tas de personnes qu’elle aurait pu inviter mais aucune d’entre elles n’aurait convenu. Il ne s’agissait pas seulement de venir avec quelqu’un à ce mariage. Il fallait que la personne soit un homme et qu’il convienne aux attentes de sa mère. Pas d’amie, pas de copine et, surtout, surtout, pas de petite-amie. Elle rit à cette idée. Sa mère n’aurait même jamais envisagé la possibilité qu’elle puisse venir accompagnée d’une femme ! Pour elle, il s’agissait juste de venir avec un homme riche, célibataire et qui soit un bon parti à inviter pour le mariage du siècle !

Audrey était tellement rebelle qu’elle avait même envisagé un moment de venir accompagnée d’un camionneur, d’un homme marié, voire même d’un SDF, juste pour voir la tête de sa mère ! Mais son éducation et sa bonne tenue l’avaient empêchée d’aller au bout d’un tel plan. C’était quand même le mariage de Baptiste, et elle ne pouvait pas lui faire ça. Maintenant, il ne lui restait plus qu’une seule solution pour résoudre ce problème : Bruno.

Audrey avait hésité et réfléchi un long moment puis, vers deux heures du matin, n’y tenant plus et ayant définitivement renoncé au sommeil, elle prit son téléphone et passa un coup de fil à Bruno, le réveillant à peine.

*

— J’attends ! dit Bruno sur un ton impatient, la sortant soudain de ses pensées.

— Oui, excuse-moi, j’étais ailleurs.

— J’avais remarqué, lui lança-t-il mi-sarcastique, mi-impatient.

— Voilà, mon frère se marie la semaine prochaine et il a décidé de convier tous les invités pour une semaine de « rêve » sur un bateau et j’ai pensé que… eh bien…, finit-elle par bafouiller, se rendant compte de ce qu’elle s’apprêtait à lui demander.

— Que je pourrais t’accompagner ? finit-il à sa place.

— Exactement ! s’exclama Audrey, avec soulagement.

Bruno la regarda avec une drôle de tête. Certes, il avait fini sa phrase à sa place, mais il n’en revenait pas qu’elle ose réellement le lui demander. Elle souriait, comme une enfant qui attendait qu’on lui tende son nouveau bonbon acheté sur un stand de fête foraine. Elle ne se rendait même pas compte de son grand sourire enfantin qu’il aimait tant voir sur son visage. Mais il la connaissait, alors il ne se laissa pas avoir si facilement.

— Quand comptes-tu enfin leur avouer la vérité ? enchaîna-t-il, avec gravité.

— Ils ne comprendraient pas, répondit Audrey, le sourire s’éteignant, sur un ton sans appel.

— Ce sont tes parents, ta famille.

— Oui. Et justement, c’est bien là tout le problème. Ils refusent même l’idée d’y penser alors l’accepter, pour leur propre fille, c’est complètement inimaginable !

— Il faudra bien qu’ils le sachent un jour.

— Je sais, mais je préfère attendre que le mariage soit passé. Je ne veux pas être cause de dispute alors que mon frère va célébrer « le jour le plus important de sa vie », dit-elle en mimant les guillemets.

— C’est bon, arrête ton mélodrame. On sait tous les deux que tu détestes les mariages, alors ne me sors pas la carte de l’enthousiasme romantique.

Audrey se raidit. Elle pensa alors qu’il la connaissait vraiment trop bien ! Elle était agitée, mal à l’aise, paniquée à l’idée qu’il déjoue son plan et refuse. Que ferait-elle alors ? Il fallait qu’elle reprenne la main, qu’elle garde le contrôle de la conversation.

— Ok, ok mais imagine le carnage de se supporter une semaine entière si je leur dis ça, maintenant ! répliqua-t-elle, tentant de lui faire gober cette fausse soumission d’un prochain aveu.

— Pas génial, c’est certain, admit-il.

— « Pas génial », c’est un euphémisme, Bruno !

Bruno resta silencieux, analysant la situation. Pesant le pour et le contre. Il détestait les plans d’Audrey et il n’aimait pas l’idée de mentir et de jouer la comédie à des gens lors d’un événement si important, intime et familial. Après tout, il n’était qu’un étranger pour eux.

— Alors, tu acceptes ? demanda Audrey avec des yeux de chiens battus.

— Tu sais, tu aurais dû faire une carrière d’actrice ou de négociatrice. Cela te serait allé à merveille !

— Je l’ai peut-être été dans une autre vie, dit-elle, tout sourire, en lui faisant un clin d’œil.

— Peut-être… Bon, c’est d’accord, dit-il en soupirant. Mais tu me le revaudras ! ajouta-t-il.

— Promis. Merci, Bruno ! s’exclama-t-elle en lui faisant un baiser sur la joue.

— De rien, ma belle. Alors, quand partons-nous ?

— Ce soir à vingt heures trente. On arrivera tard dans la nuit à Newport, dit-elle négligemment.

— Ce soir ?! Ah, toi, tu savais que je finirais par accepter ! lui lança-t-il, en souriant.

— Non, je n’étais sûre de rien, mais disons que je l’espérais fortement, répondit-elle avec douceur.

— Hum… oui…, fit-il, pas convaincu. Bon, je dois y aller, mais je passerai te chercher ce soir. Bye ! dit-il en se levant.

Cette fille arriverait décidément toujours à faire tout ce qu’elle voulait des gens. Et de lui en particulier. Il était bluffé. Elle était bien la seule avec laquelle il se laissait avoir à volonté. N’empêche, elle aurait pu lui dire plus tôt. Heureusement qu’il était son propre patron sinon pour obtenir un congé, ça aurait été raté…

— À tout à l’heure !

Il l’embrassa affectueusement sur la joue et repartit vers sa voiture. Il fallait qu’il boucle plusieurs choses avant ce soir. Malgré son absence, le boulot continuait et son équipe devait être briefée au maximum. Qui sait s’il y aurait une connexion fiable sur ce paquebot ?

Audrey termina son café, à la fois satisfaite et nerveuse. Elle n’aimait pas mentir et jouer la comédie, encore moins à ses parents. Bruno avait soulevé un point sensible quand il lui avait rappelé ce détail. Mais quel autre choix avait-elle ? Elle savait qu’un jour ou l’autre, la vérité éclaterait, mais elle redoutait ce moment plus que tout et ne cessait de le repousser.

Elle quitta le café et se rendit à la station de métro la plus proche pour rejoindre son bureau. Christopher, son patron, était un ami de longue date et elle espérait qu’il n’avait pas oublié ses congés. Ce matin, en consultant son agenda, elle avait remarqué que des rendez-vous étaient apparus durant sa semaine de RTT.

— Salut, Diane ! lança-t-elle en pénétrant dans le Star Building.

La réceptionniste lui renvoya un signe de tête en guise de réponse. Diane, grande blonde aux yeux verts, ne parlait que lorsque c’était nécessaire. Lui jetant un dernier regard, Audrey grimpa dans l’ascenseur. D’un geste las, elle appuya sur le bouton du cinquième étage.

Dès que les portes s’ouvrirent, elle croisa le regard de Christopher qui discutait avec l’un de ses employés. D’un signe, elle lui fit comprendre qu’elle voulait lui parler et qu’elle allait l’attendre dans son bureau. Il lui répondit par un sourire rapide.

Le bureau de Christopher était le plus étroit de tous. Non pas parce que c’était le plus petit, au contraire, c’était le plus grand de tout l’étage. Mais il était si encombré par plusieurs armoires remplies à ras bord et par des caisses de papiers, des prototypes et autres dossiers divers que Christopher n’avait pas encore daigné ranger malgré les années passant, que l’on avait l’impression d’être dans un placard à balais. L’accès jusqu’au bureau à proprement parler était devenu un vrai labyrinthe parsemé d’embuches.

Enfin, elle se laissa tomber sur une chaise. Christopher rentra peu après et, habitué, la rejoignit en deux temps trois mouvements à son bureau. Il s’assit face à elle.

— Tu sais que faire un peu de rangement ne ferait pas de tort ? dit-elle après avoir jeté un énième regard circulaire à la pièce.

— Je sais bien, mais le temps me manque…

— Alors, arrête-le ! s’exclama-t-elle, en souriant.

Christopher sourit à sa remarque. Il savait Audrey pleine de surprises et l’humour n’était pas une de ses meilleures qualités, même si, là, elle avait raison.

— J’imagine que si tu veux me parler, ce n’est pas de l’ordre de mon bureau. Dis-moi donc ce qui t’amène ?

Christopher la regarda avec attention, en souriant. Lumineuse et belle, il avait toujours amèrement regretté de la savoir lesbienne. Il trouvait que c’était un pur gâchis qu’une femme comme elle le soit. Il aimait les femmes et Audrey en était une magnifique. Il aurait dû comprendre pourquoi elle aimait les femmes, comme lui. Mais il était surtout déçu que ça le mette hors-jeu.

— Je suis venue vérifier que tu n’avais pas oublié mes congés, dit-elle avec sérieux.

— Tes congés ? demanda-t-il, perplexe.

Pensant à une blague, il éclata de rire. Puis, devant son air sérieux et déterminé, il cessa. Elle ne plaisantait pas. Mince alors, avait-elle demandé des congés ? Elle ne prenait jamais de vacances et accumulait les heures supplémentaires. En cherchant son classeur, il retrouva notée sur une feuille volante sa demande de congés, et de sa signature, son approbation.

— Je suis désolé, j’avais complètement oublié. Tu pourrais les prendre plus tard ? Il y a un shooting important mercredi et ils te veulent absolument.

— Non, Christopher. Je dois absolument partir, c’est pour le mariage de mon frère, je ne peux pas manquer ça. Je t’ai prévenu il y a six mois !

Christopher était confus, mais il ne pouvait pas refuser maintenant de lui accorder son congé. Il contacterait lui-même l’agence pour repousser le shooting. Il n’avait pas d’autres choix. En soupirant, il lui confirma qu’elle pouvait partir.

— Merci, Christopher, lui dit-elle en l’embrassant sur la joue.

Ce simple contact les replongea des années en arrière. Ils s’étaient rencontrés à la faculté, en deuxième année. Ignorant, il l’avait draguée sans tact et elle s’était jouée de lui jusqu’à ce qu’il apprenne la vérité. Elle savait ce qu’il pensait de tout cela. Elle savait aussi qu’il l’avait toujours aimée et que, les premiers temps, il avait espéré un revirement de situation à son avantage, en vain. Ce qu’il ignorait, c’est qu’elle, si elle avait été hétéro, l’aurait sûrement aimé aussi. Grand, cheveux noirs et regard de braise, il semblait froid à première vue, mais était doux comme un agneau et tellement attentionné ! Oui, elle l’aurait sûrement aimé… Mais les choses étaient ce qu’elles étaient. N’empêche, certains jours, Audrey culpabilisait d’avoir tiré avantage de son coup de cœur pour obtenir un bon job et jouir d’un statut particulier. Mais c’était dans sa nature de jouer et de tourner les choses à son avantage. Certains l’auraient qualifiée de manipulatrice qu’ils n’auraient pas eu tort.

— Rappelle-moi combien de temps tu seras absente ? dit-il avec tristesse, son absence le minant déjà.

— Deux semaines.

— Deux semaines ! s’exclama-t-il, paniqué. Tu voulais ma mort ou quoi ?!

— Voyons, tu t’en sortiras très bien sans moi, tu l’as déjà fait.

— Non, avant c’était parce que tu ne travaillais pas encore ici, mais aujourd’hui c’est différent !

Il y a un an, Audrey avait quitté Paris où elle avait fait son master en communication spécialisé dans la mode pour venir travailler à New York. En cherchant du travail, elle était tombée par hasard sur Christopher qui l’avait engagée de suite. Il était devenu publicitaire et dirigeait une grande agence de publicité de mode. Aujourd’hui, elle était son meilleur élément et il n’imaginait pas l’idée de la perdre.

— Tu sais que je n’ai pas vu ma famille depuis trois ans et je n’ai jamais refusé aucun contrat, c’est pour ça que tu as accepté. J’enchaînerai à nouveau les heures à mon retour, dit-elle avec un sourire.

Il savait qu’Audrey avait raison. Elle était partie de Newport pour terminer ses études à Paris puis était venue s’installer directement à New York. Ses relations avec sa famille ne tenaient qu’à des coups de fil et des lettres échangées quand l’occasion se présentait.

— D’accord, d’accord, dit-il vaincu.

Elle s’éloigna en souriant, satisfaite. Sur le pas de la porte, elle se retourna et, devant son air songeur et miné, lui dit sur un ton enjoué que tout se passerait bien et qu’elle rentrait vite.

— Tu ne remarqueras même pas mon absence, assura-t-elle.

Christopher pensa que si, il remarquerait. Mais il lui sourit et la regarda partir. Elle était rayonnante. Sa bouffée d’air frais prenait des vacances pour deux semaines. Cela allait lui sembler être une éternité… Soupirant, il prit la pile de papier à ses côtés et commença à trier et ranger ce qu’il fallait. Audrey avait raison, son bureau était un réel foutoir.

Quelques minutes plus tard, Audrey ressortit du bâtiment, joyeuse. Elle remonta l’avenue puis descendit dans le métro. Celui-ci était désert et Audrey put même s’asseoir à l’intérieur de la rame. Il ne lui fallut que le temps minimal pour qu’elle se rende de son travail à son domicile.

Chapitre 2 Rencontres

Un quart d’heure plus tard, elle passa la porte d’entrée de son building. Saluant Bern, le réceptionniste, elle le prévint de sa prochaine absence puis monta préparer ses valises. Bern était un homme à l’allure mince et élancée, les cheveux grisonnants. Sa tendresse apparente faisait de lui le confident secret idéal pour chacun des locataires de l’immeuble. C’était le papy de l’immeuble et tout le monde l’aimait. Audrey adorait discuter avec lui et elle savait qu’elle aurait toutes les infos manquées en son absence grâce à lui.

L’appartement d’Audrey était un endroit agréable à vivre et au design dernier cri. Sa porte donnait sur un large espace de vie composé d’un salon avec baie vitrée et vue sur Central Park agrémenté d’une petite terrasse, d’une cuisine équipée ouverte sur le salon et d’un petit couloir donnant accès à la chambre et à la salle de bain accolée ainsi que sur un dressing immense dont bon nombre de New Yorkaises devaient rêver. À peine arrivée, Audrey se dirigea vers ce dernier pour en sortir un gros sac de voyage en toile kaki. Pour une raison qui semblait absurde, elle adorait ces sacs de baroudeurs plutôt qu’une valise dotée de roulettes si maniable que tout le monde possédait aujourd’hui. Elle commença à faire son sac, attrapant divers vêtements. Ignorant leur destination précise et le temps qu’il ferait – la destination et le circuit de la croisière avaient été tenus secrets – elle prit un peu de tout : bikinis, pulls, tee-shirts, jupes, jeans, tailleurs et robes de soirée… Elle attrapa trois paires de chaussures neuves et les fourra sur les poches de côtés de son sac : escarpins, sandales et pantoufles en plus de ses fidèles baskets qu’elle avait déjà aux pieds. Une fois son bagage bouclé, elle appela l’aéroport et vérifia que ses deux billets d’avion avaient bien été réservés.

À vingt heures trente tapantes, comme prévu, Bruno passa la porte de l’immeuble. Audrey était déjà là, à l’attendre dans les fauteuils moelleux situés face au bureau de Bern, dans le grand hall. Elle savait qu’il serait ponctuel et qu’il ne la ferait pas attendre.

— J’aurais pu monter, tu sais ? dit-il en avançant vers elle dans le hall.

— Je sais, mais cela aurait été une perte de temps, répondit-elle en haussant les épaules. On y va ?

— Oui.

Bruno, d’un geste rapide, attrapa sa valise et la fit passer devant lui sans qu’elle ait le temps d’ajouter un seul mot. Galant, il lui ouvrit la portière de la voiture puis déposa son sac dans le coffre. Il savait que s’il l’avait laissée dire et faire, la féministe qu’elle était aurait refusé son aide et sa galanterie pour éviter d’être « à la merci de l’homme » comme elle le disait souvent. Mais Bruno était du genre galant et s’il devait lui rendre service, il n’allait pas non plus mettre sa nature de côté.

— Toujours pas décidé à changer de voiture ? lui dit-elle quand il s’installa derrière le volant.

— Pourquoi devrais-je en changer ? Elle est neuve…, répondit-il en roulant des yeux vers elle.

— Et elle est rouge et étroite.

Audrey parcourrait l’habitacle du véhicule d’un air réprobateur. Elle n’aimait pas cette voiture, si voyante, si « m’as-tu-vue ». Elle avait l’impression qu’une flèche clignotante la désignait avec l’étiquette « voiture pour gosse de riche ». Sans compter qu’elle la trouvait un peu dangereuse. Elle n’aurait plus su dire combien d’articles de presse rapportant des accidents avec des voitures similaires elle avait lus. À Manhattan, il n’était pas si aisé, au vu de la circulation majoritairement très dense, de la pousser à son apogée et de risquer un accident mettant en cause sa vitesse, mais Audrey savait que Bruno la conduisait beaucoup hors de la ville. Dans ces petites villes et campagnes à la périphérie de New York, où il était tellement facile et dangereux d’y circuler à pleine vitesse. Au fond, elle craignait juste qu’un beau jour, on lui téléphone pour dire que Bruno avait eu un grave accident au volant de cette tuerie. Mais ça, plutôt passer pour une peste que de le lui dire !

— Et elle me plait !

— Tu ne changeras jamais, Bruno ! répliqua-t-elle, sur un ton qui lui sembla être de reproche.

— Eh non ! Que veux-tu ? Mais franchement, tu me vois, moi, dans une voiture pour vieux ?

— Non, tu as raison… Celle-ci te va tellement mieux ! dit-elle, ironique.

Toujours ce même discours réprobateur quant à sa voiture de sport. Qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire de toute façon qu’il ait cette voiture ? ne cessait-il de se demander. Mais Audrey était comme ça, toujours critique, toujours quelque chose à redire. Ces derniers temps, chacune de leur conversation avait cette notion de tension. Chacun se retenait mais mourait d’envie de se lancer une pique. Mais parce qu’ils s’appréciaient et qu’ils avaient besoin l’un de l’autre plus qu’ils ne l’auraient jamais admis, ils restaient amis, coincés dans cette drôle de relation mêlant sarcasme, retenue et amitié. Pourtant, sans le savoir, ils en avaient un peu marre de tout ça et espéraient que cette escapade améliorerait leur relation naturellement.

— Tu sais c’est quoi le problème avec toi ?! attaqua-t-il après un moment de silence lourd. C’est que tu es toujours sûre de toi et quand on n’adhère pas à ce que tu penses, tu deviens ironique, limite blessante. C’est très énervant, tu sais ça ? ajouta-t-il, du tac au tac, fâché, les doigts crispés sur le volant, les lèvres serrées.

Il ne voulait pas se brouiller avec elle, mais, parfois, elle avait l’art de pousser le bouchon au point qu’il n’arrivait plus à se taire. En plus, elle pouvait faire un effort quand même, après tout, se dit-il, il prenait quand même sa voiture et des jours de congés pour la tirer d’embarras auprès de sa famille ! Il exultait de son manque de reconnaissance et de ses railleries. Audrey, touchée par sa remarque, se tue, blessée. Elle savait qu’elle avait l’art de pousser les gens à bout avec sa grande gueule, son arrogance et son égo disproportionné. Elle ne voulait pas toujours dire ou faire ça, mais quelque part, au fond d’elle-même, elle avait l’impression que c’était ce que les gens attendaient d’elle. Cela faisait partie de sa carapace. Pas d’émotions, pas d’attachement, beaucoup de sarcasme. Elle ne s’étonnait pas qu’elle ait si peu d’amis dans la vie. Elle n’était clairement pas du genre sociable. Mais, elle savait qu’elle ne pouvait pas se permettre de perdre Bruno. En plus, malgré son sale caractère, il avait accepté de l’aider et rien ne l’obligeait à ne pas l’abandonner sur la route en l’envoyant promener, lassé de son comportement irritable.

— Pourquoi me supportes-tu ? dit-elle, après un long moment de silence, l’air penaud et un léger sourire aux lèvres.

Il fallait qu’elle se rattrape et qu’elle prenne sur elle pour adopter un autre comportement. Au moins avec lui, au moins durant cette aventure. Bruno poussa un long soupir, lui jetant un coup d’œil rapide, puis sembla se détendre.

— Parce que tu es mon amie et que, même si tu m’agaces, tu es toujours là quand j’ai besoin de toi.

Il n’avait pas oublié qu’elle l’avait soutenu dans le lancement de sa compagnie ni qu’elle l’avait accompagné à plusieurs soirées mondaines durant lesquelles elle lui avait présenté des futurs clients potentiels. Ni qu’il pouvait toujours compter sur elle pour dégoter des bons plans pour sortir. Sans compter qu’elle lui faisait toutes ses campagnes publicitaires visuelles gratuitement.

— Tu m’aimes encore un peu alors ?! s’exclama-t-elle en souriant largement.

— Oh, mais oui que je t’aime encore, lui dit-il avec un demi-sourire. Mais je ne te le répéterai pas !

— Vraiment ?

— Vraiment. Et j’aimerais que tu arrêtes de critiquer ma jolie voiture neuve, aussi. J’emballe un tas de filles avec, je te rappelle.

— Quelle modestie, macho que tu es !

— Absolument pas. Dois-je également te rappeler que je pourrais te laisser ici toute seule et retourner à ma balade de play-boy si tu continues ? la menaça-t-il, gentiment mais sur un ton qui se voulait sec.

— Ça va, ça va, j’arrête. T’as gagné ! dit-elle avec une moue vaincue, mais les yeux rieurs.

— Merci ! s’exclama-t-il, souriant.

Bruno se perdit dans ses pensées, tandis que la voiture égrenait les kilomètres tranquillement. Audrey adorait leurs taquineries plutôt que la tension chargée de simagrées dont certaines de leurs conversations regorgeaient. Elle était en train de regarder par la fenêtre puis, une idée ayant soudain germé dans son esprit, elle se tourna vers lui et l’appela. Il quitta les yeux de la route pour les tourner vers elle. Et, comme ça, sans prévenir, elle lui donna un baiser sur les lèvres. Bruno la regarda, déconcerté.

— Mais pourquoi t’as fait ça ?! s’exclama-t-il, jetant un coup d’œil vers la route avant de le reposer sur elle.

— Comme ça. Pour rigoler.

Elle lui fit une moue de petite fille sage qui ne voulait surtout pas être punie. Bruno soupira. Audrey et ses jeux le rendaient dingue. Elle pouvait passer de la fille stable, sérieuse et calme à sa version arrogante, sarcastique et manipulatrice. Dans tous les cas, il savait qu’elle aimait avoir le dernier mot, mener le jeu à sa guise, sans même penser que les autres n’avaient pas forcément envie d’y être entraînés. Quel idiot était-il, pour avoir pu penser une seule seconde qu’elle allait vraiment se calmer ?

— Tu ne peux pas t’en empêcher, n’est-ce pas ?

— De ? lui demanda-t-elle, sincèrement étonnée.

— D’avoir le dernier mot d’une façon ou d’une autre.

— C’est vrai, j’avoue.

Voyant qu’il ne rigolait pas et que sa blague ne l’avait pas amusé le moins du monde, Audrey se calma. Elle devait vraiment se contrôler et arrêter de jouer avec lui ou il allait vraiment l’envoyer paître.

— Je suis désolée. C’était juste pour s’amuser.

— Si tu veux que ce séjour se passe bien, il faudrait vraiment que tu sois un peu plus sérieuse et… concentrée, si je puis dire…, répondit Bruno, entre ses dents.

— Je sais. Désolée.

Sur ce, Audrey reporta son regard sur le paysage et se mura dans le silence le reste du trajet. Elle n’avait plus été elle-même depuis tellement longtemps. Elle passait tant de temps à faire semblant, à surjouer, que parfois, elle ne savait plus elle-même qui elle était.

Bruno alluma la radio et se concentra sur la route. Il regrettait presque d’avoir accepté cette mascarade. Comme si tout cela allait lui apporter une vraie amitié sincère avec Audrey alors que, depuis qu’il la connaissait, leur relation ressemblait à des montagnes russes en travaux.

Ils étaient amis depuis qu’Audrey était arrivée à New York. Elle l’avait rencontré dans un bar alors qu’il semblait faire la tête, l’air ennuyé et pourtant entouré d’amis. Elle était venue là pour rencontrer des gens grâce à sa coloc’ de l’époque. Une fille joviale, rousse et sympa avec qui elle avait vécu durant ses six premiers mois à New York, dans un quartier animé de Brooklyn. Elles n’avaient pas gardé contact après la fin de la colocation. Mais c’était grâce à elle qu’Audrey s’était retrouvée dans ce bar ce soir-là.

Audrey avait trouvé étrange qu’un gars comme Bruno, à l’allure d’un dieu grec, puisse s’ennuyer dans un tel endroit tandis que ses copains semblaient enchaîner les verres et les propositions de « bonne compagnie » à diverses filles présentes. Elle avait trouvé drôle de jouer avec lui, non seulement pour le mettre de bonne humeur – elle qui détestait voir des gens tristes – et aussi parce qu’elle-même s’ennuyait de tous ces gens sans couleur qui polluaient le bar.

Elle l’avait approché tandis qu’il était seul à sa table. Elle l’avait dragué pour rire, mais dès que leurs regards s’étaient accrochés, ils avaient perçu qu’il se jouait là le début d’une histoire incroyable. Bruno avait remarqué cette fille qui semblait étrangère à l’univers des bars de Manhattan, elle triturait ses mains avec nervosité et guettait chaque mouvement comme s’il s’agissait d’une horde de serpents prêts à l’attaquer. Le groupe de filles qui l’accompagnaient lui accordait peu d’importance et il était clair qu’elle n’était pas une des leurs. Il avait remarqué son regard posé sur lui de temps à autre. Et après une journée de travail lamentable, lui qui désespérait de pouvoir lancer son entreprise comme prévu, elle avait été un petit éclat d’ingéniosité et d’exotisme dans le bar. Elle s’était avancée vers lui, doucement, comme si elle était une prédatrice qui essayait d’anticiper les mouvements de sa proie et cela l’avait amusé. Ouvertement, elle l’avait dragué, or rien dans son comportement physique et inconscient ne semblait tendre vers cela. Elle était une contradiction née et cela l’avait troublée. Elle jouait un jeu, mais tous ses signaux indicateurs clignotaient dans un sens opposé. Elle portait une jolie robe rose fuchsia, trop courte, trop guindée pour un tel endroit. Sa queue de cheval haute retombait en vague sur sa nuque, ses talons n’avaient pas non plus leur place dans un tel lieu. Elle détonait et il avait adoré ça. Il était rentré dans son petit jeu, poussant lui aussi les choses, prêt à l’avoir à son propre piège. Il lui avait même proposé de sortir pour « faire un tour ». Elle ne s’était pas dégonflée une seule seconde.

Une fois à l’extérieur, il lui avait proposé d’aller se promener dans le petit parc situé à deux rues de là. Elle avait accepté. Et ils avaient parlé. Beaucoup. Le petit jeu de séduction avait fait place à une discussion sincère, naturelle. Comme si, à un moment donné, au cours de la promenade, ils avaient baissé les armes et arrêté de jouer. Ils s’étaient raconté leurs histoires respectives. Ils étaient devenus amis. Comme ça. Par hasard, un soir dans un bar…

Tandis que la voiture s’enfonçait dans la nuit, Bruno eut un sourire las en jetant un œil à Audrey, qui s’était endormie. Il l’avait toujours trouvée incroyable, avec son culot monstre. Elle n’avait pas fait que faire semblant de le séduire ce soir-là, elle avait changé sa vie. Si elle savait à quel point il l’adorait… Mystérieuse et insaisissable, véritable casse-pied au grand cœur, elle représentait la femme parfaite pour lui. Et tout autant agaçante qu’elle se devait de l’être, elle lui était inaccessible. À la fois belle, intelligente, drôle et sérieuse, leur petit jeu d’amour-haine avait pris place. Amenant avec lui une tension maladroite, parfois hostile, qui rendait chacune de leur conversation depuis, peu naturelle, avec des pincettes et un rapport de force qu’aucun ne gagnait jamais. Parfois, il regrettait de ne pas retrouver plus souvent la Audrey de leur rencontre. Celle avec qui il avait parlé jusqu’au petit matin de tout et de rien, comme s’ils se connaissaient depuis toujours…

Celle-là même qu’il recherchait, par dépit ou par amour, dans toutes les femmes qu’il rencontrait. Une femme qui lui ressemblerait un tant soit peu, qui le challengerait, qui le rendrait meilleur. Qui lui donnerait cette même certitude d’avoir trouvé la bonne personne qu’Audrey lui avait donnée ce soir-là. Pourtant, il savait à quel point Audrey était un modèle unique. Mais, par amitié et pour éviter toute souffrance inutile, il avait refoulé bon nombre de sentiments et d’émotions au plus profond de lui-même. Il s’interdisait d’aimer complètement Audrey, refusait les moindres faits et gestes un tant soit peu tendres et affectueux qu’elle pouvait lui donner afin de ne pas attiser une flamme de désir irréversible. C’est pourquoi ce baiser l’avait déconcerté. Il n’aimait pas qu’elle joue à ce petit jeu-là. Il l’avait déjà vue faire plusieurs fois, juste pour s’amuser ou pour obtenir quelque chose. Il avait vu, souvent, cette lueur de désir s’animer chez ses victimes, filles ou garçons, il n’y avait pas de limites. Sauf celles de son envie et de ses jeux. Même si leur rencontre reposait sur le même jeu malsain, il refusait de penser que leur amitié n’était pas sincère. Ses coups d’éclat spontanément sensuels, comme ce baiser, étaient un de ces jeux dangereux où l’on pouvait facilement se brûler les ailes et auquel il refusait de se livrer.

Après deux heures de route, ils s’arrêtèrent à une station essence pour refaire le plein. Bruno en profita pour interroger Audrey quant aux détails de leur mensonge.

— Comment est-on censé s’être rencontré ? demanda-t-il.

— Hum… Grâce à des amis communs ?

— Ok… Et les détails ?

— Peut-être qu’on peut s’en tenir à la vérité. On s’est rencontré dans un bar, je t’ai dragué et voilà. Ce sera plus facile pour s’en souvenir.

— Sûrement… Et depuis combien de temps sommes-nous ensemble ?

— Six mois.

— Six mois ? s’étonna-t-il. Et cela ne va pas sembler suspect ?

— Pourquoi donc ?

— Eh bien… Si cela fait six mois, tu aurais pu leur dire par téléphone au moins.

— Ah… oui, sans doute. On va dire trois mois alors. Trois mois ça fait genre qu’on n’en parlait pas avant que ça ne soit plus sérieux.

— D’accord.

Ils discutèrent durant toute la seconde moitié du trajet, en particulier des modalités de leur mensonge. S’inventant des souvenirs communs, réaménageant des souvenirs existants. Dans quelques heures, ils seraient chez les parents d’Audrey. Sa mère avait apparemment insisté pour qu’ils y passent la nuit, refusant catégoriquement qu’ils logent à l’hôtel. Dès le lendemain, ils s’envoleraient pour rejoindre Miami et le bateau de luxe que le frère d’Audrey avait réservé pour la grande occasion. Bruno pensa qu’ils avaient vraiment vu grand et que ce serait sans doute la seule fois dans sa vie où il assisterait à une telle cérémonie.

Vers minuit et demi, la voiture de Bruno passa le portail de la résidence des Waterwell et se gara dans l’allée principale. La maison semblait immense avec son large porche, ses colonnades et sa balancelle sur la terrasse mais invitait à la quiétude. Bruno savait qu’Audrey était issue d’une famille riche mais s’étonnait quand même de voir cette immense bâtisse dans laquelle elle avait grandi. Il venait d’une petite famille de pêcheurs de homards d’une petite ville du Maine : Bar Harbor. Sa maison à lui était petite, rustique et pratique. Très loin de cette demeure.

— On ne va pas réveiller tes parents ? Il est quand même passé minuit, s’inquiéta Bruno.

— Ne t’en fais pas pour eux. Je te parie même qu’ils ne sont pas couchés, dit-elle, en enfonçant son double des clés dans la serrure.

Bruno l’arrêta d’un geste.

— Mais je ne suis pas prêt à rencontrer tes parents, moi ! s’exclama-t-il, inquiet.

— Ne t’en fais pas, tu allais devoir les rencontrer. Tu croyais que tu pourrais les éviter alors qu’on va passer une semaine entière avec eux !

— C’est juste que j’avais espéré un petit délai de répit jusqu’à demain. Tu vois, histoire de me préparer, de me mettre dans la peau du rôle.

Audrey explosa de rire devant la mine inquiète de Bruno. Il s’en faisait vraiment. Comme si c’était important, comme si c’était vrai. Mais ce n’était qu’un jeu et leur rencontre n’aurait aucune importance. Elle se devait de le lui rappeler.

— Écoute, ne t’inquiète pas. De toute façon, même s’ils ne t’aiment pas, ce n’est pas si grave, puisqu’on fait juste semblant.

— Je sais, mais eux ne le savent pas.

— Justement, c’est nous qui menons le jeu, lui dit-elle avec un clin d’œil complice et rassurant.

Bruno se détendit et retira sa main de celle d’Audrey qui tourna la clé et ouvrit la porte.

Au même moment, on alluma la lumière du hall d’entrée. Bruno pensa à un système détectant les mouvements jusqu’à ce qu’il vit deux personnes sortirent d’une pièce à droite, qui semblait être une cuisine, en souriant. Audrey avait eu raison, ses parents n’étaient pas encore couchés. Bruno pensa qu’il aurait préféré qu’elle se soit trompée pour une fois. Et devant la mine réjouie de ses parents, il regretta d’avoir accepté de venir avec elle et de mentir. Ils avaient l’air gentils et de tenir à elle ; pourquoi cette mascarade, alors ?

— Ma chériiiiiiiiiiiiiiiiiiiiieeeeeeeeeeeee !

Une femme d’une quarantaine d’années, plutôt bien conservée, poussa un petit cri aigu en enlaçant sa fille. Bruno, devant cet épanchement extravagant, dut reconnaître qu’il comprenait le manque d’enthousiasme d’Audrey à venir voir sa mère plus souvent. Néanmoins, il était forcé de reconnaître que mère et fille se ressemblaient : le même nez aquilin, le même regard azur et, à coup sûr, une même force intérieure similaire à celle d’un ouragan.

L’homme, son père, presque la cinquantaine, était encore en habit de travail. Certainement un ingénieur ou un bricoleur vu sa tenue. Il se tenait en retrait, derrière son épouse. Audrey avait la même couleur de cheveux et les mêmes boucles légères que son père, elle était presque aussi grande que lui.

Bruno, gêné et un peu mal à l’aise, se tenait à l’écart, ne sachant quoi dire ni faire. Il avait déposé leurs bagages à ses pieds et attendait. Quoi exactement ? Il n’aurait su le dire.

Soudain, la mère d’Audrey sembla le remarquer. Elle le fixa avec intensité et une certaine dureté dans le regard, puis elle tourna son regard vers sa fille.

— Eh bien, Audrey, tu ne nous présentes pas ton ami ? demanda-t-elle en la tenant encore par les épaules.

Audrey regarda son père en souriant, alla l’embrasser puis, seulement, elle sembla se rappeler que sa mère avait parlé. Cette dernière semblait outrée de l’attitude de sa fille. Qu’elle préfère saluer son père avant de lui répondre semblait être un sacrilège.

— Si, bien sûr, maman ! Je vous présente Bruno. Bruno, voici mes parents : Emily et John.

— Enchanté, dit Bruno en serrant la main du père d’Audrey.

Alors qu’il s’apprêtait à en faire de même avec sa mère, celle-ci le jaugea un long moment sans lui tendre la main à son tour puis s’en alla sans dire un mot, les laissant tous dans l’embarras le plus total. Audrey, déçue et en colère, lui emboîta le pas. Les deux hommes se sourirent, confus.

— Tu pourrais au moins te montrer aimable ! lança Audrey à sa mère.

Elle l’avait rejoint au salon et l’avait attrapée par le bras pour la confondre à la discussion. Audrey bouillonnait de rage intérieurement. Elle n’en revenait pas de la froideur et de la façon dont sa mère venait d’agir avec Bruno. C’était elle, pourtant, qui lui avait expressément demandé d’amener quelqu’un !

— Je serai aimable quand tu arrêteras de mentir et de me prendre pour une idiote !

— Je n’ai pas menti, répondit Audrey, troublée.

— Si ! Au téléphone ! Tu ne m’as jamais dit que tu avais quelqu’un !

Ah, enfin, Audrey comprit qu’elle mentionnait toutes ces conversations durant lesquelles elle ne lui avait pas parlé de qui que ce soit. Pas même de Bruno. Mais sa mère ne lui avait jamais posé la moindre question directement. Pour elle, c’était une insulte même de prononcer de telles phrases !

— Ce n’est pas mentir cela. Tu ne m’as jamais posé de questions ! Et je te rappelle que c’est toi qui as insisté pour que je vienne accompagnée au mariage !

— Certes. Mais tu aurais pu me prévenir. Ou venir accompagner d’une personne que j’avais approuvée au préalable !

En plus de cela, elle faisait allusion à la liste ! Audrey n’en revenait pas. Deux mois plus tôt, sa mère, la sachant célibataire, lui avait envoyé une liste de prétendants intéressants avec lesquels Audrey pouvait assister au mariage. À aucun moment, Audrey n’avait envisagé cette grotesque liste. Et elle n’avait jamais pensé que lorsque sa chère mère lui disait de venir accompagnée, elle avait l’obligation de choisir quelqu’un de la liste. C’était tellement « vieux jeu » !

— Je suis venue et accompagnée. De la personne de MON choix ! cria presque Audrey en appuyant bien sur ses mots. Alors, tu pourrais faire un petit effort et au moins te montrer polie envers lui, tu ne crois pas ?

Emily Waterwell exultait elle aussi. De l’audace de sa fille, de son culot à répondre. De cette rébellion qui ne l’avait jamais quittée. De son manque de conformité à ces règles de bienséance qu’elle s’était pourtant efforcée de lui faire avaler durant son enfance. À quel moment sa fille était-elle devenue cette « sauvageonne » désobligeante ? À quel moment avait-elle perdu la main ferme sur elle ? À quel instant la douce petite fille docile s’était-elle transformée en cette jeune femme revêche et désobéissante ? Comme elle s’en voulait de l’avoir laissé prendre ses distances, d’avoir pensé que ce ne serait qu’une crise d’adolescence passagère ! Elle aurait dû l’envoyer en pension ! Mais elle restait sa fille et, après avoir caché ses frasques pendant des années, elle espérait qu’Audrey ferait bonne figure et se tiendrait à carreau durant le mariage et devant ses précieux amis. Pour cela, elle devait prendre sur elle pour reprendre les cartes en main. Elle se devait donc d’accepter l’ami d’Audrey. Elle soupira. Au moins elle était venue accompagnée et pas d’un camionneur ou d’un plombier, pensa-t-elle. Elle avait obéi. Plus ou moins…

— Très bien, soupira-t-elle. Tu as gagné. Je ferais un effort avec ton ami…

— Merci, maman. On va aller se coucher…, répondit Audrey d’une voix lasse.

Elle s’apprêtait à repartir vers le hall d’entrée quand elle pensa à quelque chose :

— Où est-ce que j’installe Bruno ? demanda-t-elle à sa mère en se retournant vers elle.

— Dans ta chambre, évidemment ! lui répondit-elle. Quelle question idiote ! Où veux-tu qu’il aille dormir ?

— Mais… Je pensais que tu ne voulais pas de ce genre de situation à la maison ? répondit Audrey, plus que surprise.

— Aujourd’hui c’est différent, tu es grande. On se doute bien que les mœurs ont changé…, répliqua-t-elle avec une moue horrifiée.

Audrey, décontenancée, ne répondit pas et partit rejoindre les deux hommes. Ces derniers, entre temps, avaient migré dans la cuisine et discutaient tranquillement autour d’une tasse de chocolat chaud. Audrey sourit en les voyant ainsi parler, comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Elle embrassa son père sur la joue en enroulant ses bras autour de son cou et le remercia à l’oreille. John Waterwell était un homme bon, franc et travailleur. Audrey savait qu’elle pouvait toujours compter sur lui pour dédramatiser la situation et mettre les gens à l’aise. John avait directement apprécié ce jeune homme que sa fille avait ramené à la maison. Il sentait que c’était quelqu’un de bien. Et il pensait rarement cela des amis de sa fille chérie. Devant le malaise apparent de Bruno tandis que mère et fille se disputaient au salon, il lui avait proposé de boire un verre et l’avait rassuré quant à ce genre de tension entre elles. Bruno s’était détendu devant cet homme bienveillant dont Audrey lui avait souvent parlé.

— On va aller se coucher maintenant, papa, dit Audrey avec tendresse.

— Oui, bien sûr, les enfants. Vous devez être fatigués.

— Oui, c’était un long trajet. Merci, monsieur Waterwell, dit Bruno.

— Bonne nuit, les enfants.

— À vous aussi.

Et sur ces paroles, Bruno prit les bagages et suivit Audrey dans l’escalier menant à l’étage. L’escalier donnait sur un hall carré constitué de quatre petits couloirs menant chacun à diverses pièces. Audrey prit celui de droite, son « aile » comme elle lui dit, et alla jusqu’à la dernière porte. Elle ouvrit celle-ci et il découvrit sa chambre : des murs peints d’une couleur rosée, un grand lit à baldaquin, une petite salle de bain attenante, un bureau strict et une immense penderie, une petite commode blanche à côté du lit. Un joli tapis au sol. Cosy mais peu personnelle. Comme si on avait voulu épurer la personne qui y vivait. Bruno déposa son sac sur le sol et resta debout, sans bouger, son sac à lui à la main. Puis, voyant qu’elle ne disait rien, il troubla le silence :

— Excuse-moi, mais tu ne m’as pas dit où je dormais ?

— Ici, répondit-elle sans le regarder.

— Quoi ? Mais je pensais que…

— Que mes parents étaient trop coincés pour ça ? Moi aussi, mais apparemment je me suis trompée.

— C’est bien la première fois, ne put-il s’empêcher de s’exclamer.

— Il en faut bien une à tout…, dit-elle, fatiguée.

— Si tu le dis… Ne t’en fais pas, je vais dormir par terre.

— Ne fais pas l’idiot ! Le lit est assez grand pour nous deux et puis, si tu dors sur le plancher, je ne te dis pas dans quel état tu seras demain matin ! lui dit-elle, souriante et d’une voix douce.

— D’accord. Si ça ne t’embête pas…

— Cela ne me dérange pas, t’en fais pas. Je vais prendre une douche, mais ne te gêne pas. Fais comme chez toi !

Bruno acquiesça d’un sourire timide tandis qu’elle se dirigea d’un pas fatigué vers la salle de bain. Bruno la regarda partir puis s’approcha du lit. S’asseyant sur le bord, il ôta ses chaussures et s’allongea, juste pour un instant. Il se dit que ce serait certainement la plus longue nuit de toute sa vie. Ce serait bien la première fois qu’il passerait toute une nuit en compagnie d’une femme qui certes lui plaisait, mais avec qui il ne se passerait rien.

À peu près un quart d’heure plus tard, Audrey ressortit de la salle de bain. Elle sourit en voyant Bruno qui s’était assoupi sur le lit pendant qu’elle prenait sa douche. Sans trop oser bouger ni faire du bruit, elle se glissa sous les couvertures, remontant, par la même occasion, un plaid sur Bruno. Elle le regarda un moment, laissant son esprit vagabonder.

Quand il dormait, Bruno ressemblait à un gros bébé. Audrey repensa à tout ce qu’il avait fait pour elle : quitter son job à l’improviste pendant une semaine, venir avec elle, mentir et affronter sa famille, et tant d’autres choses encore. Pour elle. Rien que pour elle. Audrey le regarda en se demandant pourquoi diable il acceptait de faire tout cela alors qu’il n’avait rien à gagner en contrepartie. Elle se demanda quel bénéfice il pouvait en tirer et puis elle se dit que si cela avait été lui qui lui aurait demandé un tel service, elle n’aurait pas hésité un instant à accepter. Et elle se demanda pourquoi.

Elle avait toujours tendrement apprécié Bruno, mais était-ce pour cela qu’elle aurait été prête à lui rendre n’importe quel service ? L’amitié reposait sur des choses que nous faisions sans contrepartie, juste par égard pour l’autre. Mais était-ce suffisant d’invoquer l’amitié comme raison à cela ? Pouvait-on justifier de mentir à tant de personnes, d’affronter des remarques désobligeantes de la part de personnes qu’on ne connaît pas, juste par amitié ? Elle n’en savait rien…

Il était mignon – que disait-elle ! –, il était beau ! Ses yeux noisette, ses cheveux brun court en bataille – quand il ne mettait pas une tonne de gel –, sa carrure d’athlète, ses muscles saillants… Elle l’aimait tendrement. Il était le genre de gars qui lui faisait regretter de préférer les filles. Elle serait volontiers tombée dans ses bras si les choses en avaient été autrement. Elle comprenait facilement comment il pouvait séduire tant de filles qui, après une nuit d’amour, se retrouvaient abandonnées et sans nouvelles. Elle aurait pu être l’une d’elles. Voir Bruno comme ça était terriblement attendrissant pour elle, si bien que d’un sourire, elle se retourna, éteignit la lampe et ferma les yeux pour l’oublier.

La nuit était froide et le chauffage n’avait pas été rallumé dans la pièce. Audrey gigota tellement pour tenter de se réchauffer qu’elle finit par réveiller Bruno après lui avoir décoché un énième coup de pied par inadvertance.

— Mais qu’est-ce que tu fabriques ? lui dit-il, se redressant sur un coude.

— Oh ! Excuse-moi, je t’ai réveillé…, dit-elle d’une voix navrée. J’ai froid, c’est tout. Mes parents n’ont pas pensé à rallumer le chauffage et rien de ce que je porte la nuit n’est assez chaud.

— Tu n’as rien emporté de plus chaud que ça ? dit Bruno, la regardant pour la première fois.

Elle portait un pyjama à bretelles d’une matière légère, une sorte de soie. Sur le haut, un petit pingouin avec une limonade et un parasol était dessiné. Remarquant ce détail, il sourit, à la limite d’éclater de rire. Audrey roula des yeux et frissonna à nouveau. Bruno la regarda et, souriant, tapota la place du lit qu’il avait pris soin de laisser libre entre eux deux.

— Allez viens !

Elle se rapprocha et il la serra dans ses bras. Leurs deux corps n’avaient jamais été si proches… Très vite, les derniers frissons d’Audrey disparurent, et enveloppée dans ses bras, ils s’endormirent.

Dans leurs rêves, leurs sensations se retrouvèrent. Ils pensaient tous les deux à quel point il était bon d’être dans les bras de l’autre…

Chapitre 3 En plein vol

Il n’y avait presque aucun bruit dans la maison le lendemain matin. Dans la chambre d’enfant d’Audrey, Bruno et celle-ci dormaient paisiblement enlacés. Les rayons du soleil percèrent très vite les rideaux, pénétrant dans la pièce avec force. Ce fut Bruno qui se réveilla le premier. Audrey dormait toujours, contre lui, l’un de ses bras le tenant fermement. Bruno, qui avait dormi sur le côté exprès pour la réchauffer toute la nuit, son bras droit sur son corps à elle, sa main accrochée à la sienne, la regarda en souriant. Il se dit qu’elle était vraiment très belle et, s’il n’en avait pas encore pris conscience auparavant, il s’en rendait bien compte à cet instant. Endormie, elle semblait calme, sereine, paisible. Une petite fille naïve, ou rêveuse, peut-être même les deux, pensa-t-il. Il n’osait pas bouger, même s’il en avait envie, de peur de la réveiller.

Puis, comme ça, par enchantement ou tout simplement parce qu’inconsciemment elle avait senti son regard sur elle, Audrey s’éveilla. Il lui sourit et elle le regarda tendrement, avec attention.

— Salut…, souffla-t-elle au bout d’un instant, son regard accroché au sien.

— Salut, lui sourit-il en retour.

Elle se redressa et l’embrassa sur la joue, affectueuse. Elle n’avait toujours pas lâché son bras. Il fit une grimace réprobatrice, peu habitué aux élans affectueux d’Audrey.

— Eh ben ! T’en fais une tête, s’exclama-t-elle. Pourtant, ce n’est pas la première fois qu’on…

— Que l’on quoi ? l’interrompit-il. Qu’on dort ensemble ? Bah si !

— Qu’on s’embrasse pour se dire bonjour ! corrigea-t-elle, surprise de sa réaction si enflammée. Qu’est-ce que tu as ? enchaîna-t-elle. T’es bizarre !

— Je ne suis pas bizarre, lui répondit-il, soudain sur la défensive.

— Ok. Ok. Je ne savais pas que tu étais du genre grognon le matin…

— Je ne suis pas grognon ! assura-t-il sur un ton qui faisait penser le contraire.

— Ça va, ça va, j’ai rien dit. Mais pourquoi tu t’énerves comme ça ?

— Pour rien. Je peux récupérer mon bras maintenant ?

— Bien sûr ! dit-elle en le lâchant.

Elle ne s’était même pas rendu compte qu’elle continuait de lui tenir le bras. Mais cette animosité dès le matin la mit de mauvaise humeur. « Sérieux, c’est quoi son problème à Bruno pour faire un tel cinéma pour juste un bras ?! », pensa-t-elle, agacée. Elle se leva et, attrapant ses affaires, se faufila dans la salle de bain.

Une longue journée faite de faux-semblants, de mensonges, de sourires et gestes hypocrites s’annonçait. Audrey espérait que cette tension entre eux disparaîtrait bien vite.

Quelques minutes plus tard, Bruno se leva à son tour et, tout en se changeant, il se demanda pourquoi il s’était énervé de cette façon sur elle. Il n’y avait aucune raison… Il l’entendit chantonner sous la douche et il rit. Elle le surprenait sans cesse, et qu’elle soit d’humeur aussi joyeuse que pour chanter le fit se sentir coupable de son comportement au réveil.

— T’es déjà prêt à ce que je vois, lui lança-t-elle de l’entrée de la salle de bain.

Perdu dans ses pensées, il ne l’avait pas entendu couper l’eau. Ses cheveux mouillés tombaient en cascade sur sa peau. Bruno la trouva magnifique. Il prit soin de la regarder avec attention. Ses longues jambes semblaient incroyablement douces au toucher. Elle avait des fesses fermes sans être trop rebondies. Juste ce qu’il fallait pour qu’un mec dise d’une fille qu’elle avait un « cul d’enfer ». Son ventre plat, que recouvrait à peine sa blouse blanche flottante, laissait entrevoir son tatouage au nombril. C’était un faux qu’Audrey se faisait refaire à l’identique tous les mois, laissant toujours une semaine d’intervalle entre disparation et réapparition. C’était pour afficher son petit côté rebelle, mais elle n’était pas assez « folle » et aussi sûre d’elle que pour penser à se le faire graver sur sa peau de façon définitive. Il connaissait tout de ce tatouage vu que c’était lui qui lui servait d’excuse à chaque fois qu’au lieu de bosser elle allait se le faire refaire. Il le trouvait parfaitement adapté à la personnalité d’Audrey : un soleil. Elle était ce soleil qui illuminait sa vie et qui de temps à autre se voyait obscurcir de manière abrupte par les nuages de leur relation.

Bruno avait toujours trouvé dommage qu’elle ne se le fasse pas faire pour de vrai avec le corps qu’elle avait. Et puis Audrey était d’une stabilité alimentaire étonnante. Il ne risquait pas d’être déformé suite à une grossesse non plus.

Il continuait de la regarder. Ses seins fermes et bien ronds, d’après l’idée qu’il pouvait s’en faire à travers les formes de son haut, l’attiraient particulièrement. À force de la regarder avec tant d’attention, il se rendit compte qu’il la désirait. Un raclement de gorge de la part d’Audrey le sortit de sa torpeur. Il croisa son regard et remarqua la gêne qu’il lui causait à la fixer de la sorte.

— Désolé, tu disais ?

Il enfouit son désir au plus profond de lui-même et reprit sa légendaire contenance.

— Je te demandais si tu étais déjà prêt.