Belgique - François Janne d'Othée - E-Book

Belgique E-Book

François Janne d'Othée

0,0

Beschreibung

«Un peu des deux» répondra souvent le Belge lorsqu’on lui demande s’il est Flamand ou Wallon. Étrange pays où vivent ces communautés qui ne semblent plus partager une véritable unité de destin, mais qui ont pourtant bien plus d’affinités qu’on ne pense.

Guerres, invasions, crises politiques... La Belgique a subi tellement d’aléas au fil des siècles qu’elle a fini par avoir le cuir épais, baigné de légendaire autodérision. Faut-il y voir un début d’âme belge, de «belgitude», ce concept flou qui masquerait la non-identité ? Et si c’était ce creux en clair-obscur qui faisait à la fois son drame et son charme ?

Ce petit livre n’est pas un guide. Il nous invite à un parcours plein de surprises dans ce pays étriqué mais si varié, volontiers surréaliste et à l’humour caustique, qui sait cultiver son art de vivre.

Un grand récit suivi d’entretiens avec Vincent de Coorebyter (politologue), Els Witte (historienne) et Sam Touzani (comédien).


À PROPOS DE L'AUTEUR 

Journaliste spécialisé dans l’actualité internationale, François Janne d’Othée n’en oublie jamais sa Belgique natale, qu’il affectionne et dont il se joue de la frontière linguistique. Il est également l’auteur de "Bruxelles, ceci n’est pas une ville", dans la même collection.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 100

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Couverture

Page de titre

Carte

AVANT-PROPOSPourquoi la Belgique ?

« Vous êtes Flamand ou Wallon ? » est la question qu’on me pose souvent à l’étranger, lorsque je décline ma nationalité belge. À chaque fois, je réponds : « Un peu des deux », Liégeois par mon père, Anversois par ma mère, né en Flandre et citoyen de Bruxelles, qui n’est ni wallonne ni flamande. Cette identité peu claire est le lot de beaucoup de Belges, il suffit de voir le nombre de patronymes flamands du côté wallon, et inversement.

Il est vrai que Belges francophones et flamands se sentent de moins en moins engagés dans une communauté de destin, car chaque partie vogue de son côté et ignore ce que fait l’autre. Politiquement, la Wallonie penche à gauche et la Flandre à droite, ce qui a poussé un dirigeant nationaliste flamand à déduire qu’il existe deux démocraties en Belgique et que le confédéralisme est la meilleure façon de les laisser vivre.

Les Belges n’auraient-ils donc plus rien à partager que le roi, la bière, Bruxelles et les Diables Rouges, l’équipe nationale de football ? Peut-être. Mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître, les deux ou trois peuples (avec la minorité germanophone) ont plus d’affinités qu’on ne le pense. Ils se sentent bien plus proches, en tout cas, qu’avec les locuteurs de même langue des pays voisins. Défaire le pays ? Mais tout y est enchevêtré : les peuples, les histoires, les politiques, les territoires, à l’exemple de cette curiosité que sont les communes à facilités. Et puis il y a Bruxelles, ce verrou qui tient tout l’édifice debout.

Ce livre invite le lecteur à un parcours plein de surprises dans un pays étriqué mais si varié. Sa diversité se reflète dans ses paysages, car ce plat pays ne l’est pas tout à fait : quel pays aussi exigu peut se targuer de jouir à la fois d’un littoral où pratiquer le kitesurf et de « montagnes » où s’adonner au ski quand il neige encore ? D’être riche d’autant de villes qui, à elles seules, valent le voyage ? Anvers, fière et rebelle, Namur la placide (sauf lors des fêtes de Wallonie), Liège la francophile, où l’on se tutoie pour un rien, l’innovante et festive Gand, Bruges l’étape obligée, ou encore, face à la mer du Nord, la reine Ostende gâtée par le roi Léopold II grâce à l’argent du Congo.

La Belgique a subi tellement de chocs qu’elle a fini par avoir le cuir épais. Deux guerres mondiales, des attaques terroristes, des catastrophes… D’avoir été occupée par tant de puissances étrangères lui a donné un goût immodéré des libertés individuelles, une certaine défiance à l’égard de l’autorité et un grand esprit d’ouverture sur les avancées sociétales… « Notre diversité et notre complémentarité sont notre force, a déclaré Philippe, le roi des Belges. C’est comme cela que le monde nous connaît et c’est là qu’on nous attend. »

Faut-il voir dans l’autodérision un début d’âme belge, de belgitude, ce concept flou qui masquerait la non-identité ? Et si c’était ce « creux » qui faisait à la fois son drame et son charme ? Raillé par Baudelaire qui comparait la Belgique à un « bâton merdeux », moqué dans les « blagues belges », le petit pays a pris sa revanche. Ainsi, Bruxelles est devenue the place to be pour des milliers de Français, des champions ont émergé, des artistes font de brillantes carrières.

Alors qu’elle approche de son 200e anniversaire, la Belgique n’est pas qu’un accident de l’histoire. Son art de vivre partagé du nord au sud, son esprit entrepreneurial souvent pionnier, son humour caustique car il en a tant vu, ses fulgurances surréalistes cachées derrière sa légendaire débrouillardise seront toujours plus résistants que l’arrogance des puissants et le corset des structures étatiques. En attendant, bienvenue dans ce territoire mal connu, et qui a plus d’un tour dans son sac.

L’histoire sans fin

C’est un village de 400 habitants perdu au milieu des champs, au nom évocateur : L’Écluse, à une trentaine de kilomètres à l’est de Bruxelles. Il est traversé par un cours d’eau minuscule, le Schoorbroek, et fait face à une ligne invisible : la frontière linguistique, celle qui sépare la Wallonie de la Flandre, les mondes latin et germain. Elle daterait du quatrième siècle et correspondrait à la ligne de démarcation entre l’Empire romain et les Francs. Le temps ne l’a jamais effacée.

Elle épouse le tracé de la principale rue du village, nommée rue de Gaët à droite, et Gaatstraat sur le trottoir côté gauche. Dépendant administrativement de deux communes différentes, l’une francophone (Beauvechain), l’autre flamande (Hoegaarden, connue pour sa bière blanche), les maisons se font face, mais c’est un monde qui les sépare. Distribution du courrier, ramassage des poubelles, services d’urgence : rien n’est unifié. Dans la rue de Gaët, on peut capter des chaînes télé qui ne sont pas accessibles dans la Gaatstraat. S’il neige, la pelleteuse flamande ne déblayera que « sa » partie. Plus cocasse encore, les dates de l’ouverture de la chasse ne concordent pas.

Et pourtant, nulle animosité, pas de Checkpoint Charlie, pas de drapeaux provocateurs. L’Écluse n’est pas un barrage. Les gens vivent dans une parfaite entente, sauf les inévitables conflits de voisinage, mais qui n’ont jamais la langue pour origine. À vrai dire, on ne croise pas grand monde dans les rues. On n’y trouve plus aucun commerce, ni café. L’école a fermé depuis longtemps, ce qui n’empêche pas quelques enfants francophones d’être scolarisés dans une école flamande proche. Pas de maison communale non plus : depuis la fusion des communes en 1977, les bourgmestres1 ont disparu de la plupart des villages et les services aux citoyens sont désormais regroupés dans la commune dominante. Ici, les bourgmestres de Beauvechain et de Hoegaarden ont donc autorité, en fonction des rues.

Chaque année, les villageois des deux côtés se rassemblent dans leur maison communautaire, financée par la commune francophone. Un barbecue et des bières locales comme la blanche de Hoegaarden accueillent les convives, un buffet est dressé avec des plats apportés par les voisins. À l’extérieur, un petit orchestre met de l’ambiance. À une table, on parle français, à l’autre néerlandais. Les bilingues, peu nombreux, passent de table en table. À L’Écluse, les francophones n’habitent pas forcément tous d’un côté et les Flamands de l’autre. Freddy, par exemple, est flamand, mais réside du côté francophone. Du coup, il reçoit sa carte d’identité et tous ses papiers en français, et est répertorié comme francophone, même s’il ne l’est pas. Il n’y a plus de recensement des Belges en fonction de leur langue.

À L’Écluse, tout le monde se connaît. Aucune raison de se chamailler : les gens ont intégré qu’ils vivent dans des « pays » différents, mais qu’ils partagent ce même sens de la fête, de l’autodérision, et ce même goût de la bonne chère, des bières d’abbaye et du bon vin. Avec cette distinction que le Flamand apprécierait davantage le vin de Bordeaux, qui arrivait par la mer jusqu’au port d’Anvers, tandis que le Wallon serait davantage amateur de Bourgogne, peut-être une réminiscence de son appartenance au duché éponyme… Quant au moules-frites, institution belge par excellence (même si les moules proviennent des Pays-Bas), ce plat a été érigé au rang d’œuvre d’art par Marcel Broodthaers (1924-1976), un des grands surréalistes.

Moules-frites, surréalisme et autodérision, sont-ce là quelques ingrédients de la belgitude ? Pour les uns, ce terme recouvre une identité qui transcende les différences culturelles. Pour d’autres, il désigne une sorte d’identité en creux pour masquer que les peuples qui composent la Belgique partagent peu, sinon des éléments anecdotiques ou folkloriques. Ils reprochent aux tenants de cette belgitude de faire croire à une Belgique unitaire et révolue, et ajoutent que la Flandre, à l’identité bien plus affirmée, se reconnaît peu dans ce mot. C’est donc dans ce flou qu’il faudra débusquer l’âme belge.

Sur les traces de Simenon

Dans ce pays devenu État fédéral en 19932, rien de plus sensible que la notion de territoire. Repartons de L’Écluse et poursuivons vers l’est du pays en rejoignant la soporifique autoroute E40 qui relie Bruxelles à Liège sur une centaine de kilomètres. Elle joue à saute-mouton avec la frontière linguistique : des tronçons sont en Wallonie, d’autres en Flandre, et les panneaux indicateurs des villes sont libellés en français ou en néerlandais, jamais dans les deux langues. L’automobiliste doit donc jongler avec les deux appellations : Beauvechain/ Bevekom, Jodoigne/Geldenaken, Tirlemont/ Tienen, avant d’arriver à Liège. Si entre-temps on sort de l’autoroute, comment savoir si on est en Flandre ? À la couleur des feux de signalisation. Avant, ils étaient en rouge et blanc sur tout le territoire belge, jusqu’au jour où un ministre flamand a décidé, dans la partie nord, de les repeindre en jaune et noir, couleurs du drapeau flamand.

Située en bord de Meuse, Liège est surnommée la Cité Ardente, et pas seulement pour son glorieux passé sidérurgique. Son tempérament est du genre frondeur, railleur, irrévérencieux… un héritage de cette longue période de 800 ans où elle fut capitale d’une principauté et dut se battre pour préserver son indépendance et ses libertés. Ici, c’est la chaleur de l’accueil qui prévaut : on se tutoie pour un rien. À l’image du héros local Tchantchès, on ne prend pas l’autre de haut, même au sommet de la montagne de Bueren, un impressionnant escalier de 374 marches. La réputation festive du Carré, en plein centre, n’est plus à faire. Une quarantaine de cafés, restaurants, snacks (et un cinéma) sur une dizaine de rues piétonnisées, et c’est la grosse ambiance de jour et de nuit, toute l’année, avec les étudiants de l’université en acteurs principaux.

C’est justement en fréquentant un cercle d’étudiants, et dont l’un se donnera la mort au portail de l’église Saint-Pholien, que Georges Simenon, né à Liège en 1903, en est venu à écrire Le Pendu de Saint-Pholien, une des innombrables enquêtes de son commissaire Maigret. À deux pas, une librairie d’occasion, qui porte le nom du célèbre héros, a été fondée en 15 1984 avec l’autorisation du maître. Cet écrivain francophone parmi les plus lus au monde est devenu un argument touristique : on peut suivre sa trace tout au long d’un parcours qui passe du magasin où il a acheté sa première pipe à ses domiciles successifs, jusqu’au commissariat qui lui fournissait la matière pour la Gazette de Liège où il a tâté du journalisme. En 1922, Simenon met le cap sur Paris. « J’ai passé ma vie à partir, faute d’une ancre probablement, car je ne suis d’aucun pays », écrira-t-il. Une phrase très… belge.

La province de Liège est contiguë à la Flandre et aux Pays-Bas, avec la Meuse comme trait d’union. Depuis sa rive droite, à une vingtaine de kilomètres au nord, on accède aux Fourons, Voeren en néerlandais. Depuis la fixation de la frontière linguistique, en 1962, cet ensemble de villages verdoyants totalisant 4000 habitants se situe dans la province flamande du Limbourg. À la fureur des francophones majoritaires, qui ont vainement réclamé le retour dans la province voisine de Liège. Ce « porc-épic » fouronnais, comme on l’a surnommé, a fait chuter plus d’un gouvernement, mais la question est aujourd’hui réglée : les Fourons restent en Flandre.

Difficile d’imaginer que ces prés bucoliques qui s’étendent face à nous ont pris des allures de Belfast dans les années 1980. Le 9 mars de cette année-là, 2000 « promeneurs » flamands, la plupart affiliés à des mouvements extrémistes voire paramilitaires, déboulent sur la commune pour en découdre avec les francophones. Casqués et armés de bâtons, ils se retrouvent face à 500 membres de l’Action fouronnaise, dirigée par José Happart, un agriculteur aussi tenace que fort en gueule (et qui deviendra ministre quelques années plus tard). Les gendarmes à cheval chargent les manifestants à travers champs. Un francophone tire à la carabine depuis sa fenêtre, faisant deux blessés, et il s’en faut de peu que sa maison ne soit incendiée.

La salive coule plus que le sang