Bienvenue à Silent Hill - Damien Mecheri - E-Book

Bienvenue à Silent Hill E-Book

Damien Mecheri

0,0

Beschreibung

Un héros perdu dans une ville de cauchemar...

La série Silent Hill de Konami est certainement la première à être évoquée lorsque l'on pense aux jeux vidéo d'horreur les plus réussis. Mettant en scène un héros perdu dans une ville de cauchemar – la brumeuse Silent Hill, – la saga a fait frissonner de nombreux joueurs. Elle fut si populaire, et ses scénarios si profonds, que deux films hollywoodiens adaptèrent la licence.
Third Éditions consacre donc aujourd'hui un nouveau livre dédié au mythe de Silent Hill, retraçant avec précision la genèse de cette série remarquable, décortiquant son univers ainsi que ses inspirations, pour terminer par en révéler tous les secrets.

Frissonnez en découvrant une histoire inspirée d'une saga de jeux vidéo d'horreur !

EXTRAIT

Il se réveille dans son lit, étonné de ne pas voir Eileen à ses côtés. L’atmosphère de la pièce lui paraît beaucoup plus lourde. Il découvre que son appartement est hanté par des manifestations de la dimension de cauchemar, qui s’infiltrent petit à petit. Les lettres qu’il trouve régulièrement sous sa porte, signées par Joseph Schreiber, lui apprennent l’utilité des bougies pour exorciser les pièces et des sabres de l’Obéissance pouvant neutraliser les fantômes. Une lettre en particulier explique qu’ils vont devoir se rendre au plus profond de l’esprit de Walter pour mieux le comprendre et l’empêcher de nuire.Henry espère que ces informations vont pouvoir l’aider à trouver un moyen de sauver Eileen. Il retourne à l’hôpital où elle l’attend, terrorisée. Il l’interroge sur Joseph et elle lui révèle qu’avant de disparaître, il agissait bizarrement. Ils décident de suivre le conseil du journaliste et de s’aventurer plus en profondeur dans les souvenirs de Walter.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

[…]cet ouvrage de 296 pages propose une analyse poussée de la saga, un décryptage de son univers et de ses influences, avec en prime, tout un chapitre dédié à l'ambiance musicale et sonore qui accompagne avec brio chacun des épisodes de Silent Hill. - Kamisamabob, Jeuxvideo.com

À PROPOS DES AUTEURS

Passionné de cinéma et de jeu vidéo, Damien Meccheri intègre la rédaction du magazine Gameplay RPG en 2004 en signant plusieurs articles du deuxième hors-série consacré à la saga Final Fantasy. C’est avec cette même équipe que Damien poursuit son travail en 2006 au sein d’une autre publication intitulée Background, avant de continuer l’aventure sur Internet, en 2008, avec le site Gameweb.fr. Depuis 2011, en plus d’une expérience de journaliste radio, il écrit des articles consacrés à la musique pour de nombreux ouvrages édités par Pix’n Love, tels que Zelda.
Féru de jeux vidéo et de cinéma fantastique depuis sa plus tendre enfance, Bruno Provezza a occupé de 2002 à 2006 la fonction de rédacteur en chef du site officiel du magazine Mad Movies, avant d’intégrer la rédaction du mensuel papier. Il y a également dirigé le numéro hors série consacré aux jeux vidéo. Il œuvre par ailleurs en qualité de traducteur pour le compte des éditions Flammarion et Pix’n Love et a coecrit Resident Evil.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 628

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Bienvenue à Silent Hill. Voyage au cœur de l’enferde Damien Mecheri et Bruno Provezza est édité par Third Éditions 32 rue d’Alsace-Lorraine, 31000 TOULOUSE [email protected]

Nous suivre : @ThirdEditions - Facebook.com/ThirdEditions

Tous droits réservés. Toute reproduction ou transmission, même partielle, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans l’autorisation écrite du détenteur des droits.

Une copie ou reproduction par quelque procédé que ce soit constitue une contrefaçon passible de peines prévues par la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la protection des droits d’auteur.

Le logo Third Editions est une marque déposée par Third Éditions, enregistré en France et dans les autres pays.

Édition : Nicolas Courcier et Mehdi El Kanafi Textes : Damien Mecheri et Bruno Provezza Relecture : Zoé Sofer Mise en pages : Julie Gantois Montage des couvertures : Frédéric Tomé Couverture classique : Frédéric Tomé Couverture « First Print » : Jordan Grimmer

Cet ouvrage à visée didactique est un hommage rendu par Third Éditions à la grande série de jeux vidéo Silent Hill.Les auteurs se proposent de retracer un pan de l’histoire des jeux vidéo Silent Hill dans ce recueil unique, qui décrypte les inspirations, le contexte et le contenu de ces volets à travers des réflexions et des analyses originales.

Silent Hill est une marque déposée de Konami. Tous droits réservés. Le visuel de la couverture classique est inspiré du film Silent Hill.Le visuel de la couverture « First Print » est inspiré des artworks des jeux de la série Silent Hill.

Édition française, copyright 2016, Third Éditions. Tous droits réservés.

ISBN : 979-10-94723-38-8

SilentHill : préface

par

Roger Avary

Roger Avary est un réalisateur et scénariste Canadien. Il est notamment connu pour avoir cosigné le scénario de Pulp Fiction aux côtés de Quentin Tarantino, ce qui lui a valu l’Oscar du meilleur scénario original en 1995. Il est également le scénariste des films Silent Hill, Crying Freeman, True Romance et a réalisé Killing Zoe et Les Lois de l’attraction.

INT. MAISON D’AVARY - OJAI, CALIFORNIE - TÔT DANS LA MATINÉE

Tout a commencé, comme c’est souvent le cas, avec une sonnerie de téléphone. À l’autre bout de la ligne, il y avait SAMUEL HADIDA, qui avait produit mon premier film, Killing Zoe, ainsi que mon premier job de scénariste rémunéré, True Romance. Il va sans dire que je dois ma carrière à Sammy. Il m’appelait de son bureau à Paris et un rapide calcul me révéla qu’il était près de quatre heures du matin en France. Sammy, qui possède l’énergie d’un millier d’hommes, a tendance à faire trois journées en une (une pour l’Europe, une pour l’Amérique et une pour l’Asie), entrecoupées de micro-siestes. Mais en dépit du manque de sommeil, il était visiblement tout excité et, malgré L’ÉCHO sur la ligne internationale, deux phrases me sont parvenues avec la clarté du cristal :

SAMMY

(avec un fort accent français)

Christophe va réaliser Silent Hill ! Il veut que tu l’écrives.

CHRISTOPHE GANS et moi sommes amis depuis toujours. Nous sommes tous deux membres honoraires du clan Hadida et – comme la mafia dans Le Parrain – quelle que soit la distance que tu mets entre eux et toi, ils ne cessent de te replonger dedans.

ROGER

(sans hésiter)

Je vais le faire.

Je n’avais pas vraiment besoin d’entendre parler d’une quelconque quantité de dollars ou de détails de contrat. Je savais que Sammy me réservait quelque menue monnaie. Mais travailler avec lui et Christophe, c’était retrouver les délices et l’excitation de ces jours lointains où j’étais un jeune gars naïf aux yeux écarquillés, avec un sac sur le dos, et qui s’apprêtait à pénétrer ce business infesté de requins. Et puis, je suis un mordu de jeux vidéo, et le premier Silent Hill est sans discussion possible l’un des meilleurs jeux jamais faits. Quand j’y ai joué pour la première fois sur PlayStation, je me suis retrouvé dans un monde de grillages tordus, de ténèbres répugnantes et de brouillard impénétrable. Des sons angoissants s’échappent d’un bourbier et quand ils se révèlent provenir de formes monstrueuses qui émettent de longues plaintes de douleur, votre pouls s’accélère et vous retenez votre respiration. Je me rappelle y avoir joué durant des jours, et quand je faisais une pause pour assouvir quelque besoin trivial, comme manger ou dormir, un monde aussi réel que terrifiant m’attendait. C’était un de ces jeux qui rendaient le monde réel irréel.

SAMMY

Tu es devant ton ordinateur ? Je t’envoie le traitement de Christophe.

Sammy sait que j’écrirais le script gratuitement - il sait que je ne peux pas résister. Bien sûr, il mettra de l’argent sur la table, seulement parce qu’il sait que j’ai des agents, des managers et des avocats dont le job est de me protéger de mes propres passions. Mais si Sammy obtient son deal – et il l’obtient toujours –, c’est parce qu’il rend tout le processus fun, et qu’il me rappelle l’époque où j’étais idéaliste et affamé.

Soudain, mon Powerbook émet un DONG, m’indiquant ainsi que j’ai reçu un e-mail.

SAMMY

J’ai entendu un bip ! Lis-le. Puis viens à Paris. On ira se faire un karaoké !

J’ouvre le document. C’est une traduction maladroite d’un traitement originellement écrit en français par Christophe et NICOLAS BOUKHRIEF, le réalisateur-scénariste du Convoyeur. Nicolas est un membre du BOBUN. Le bobun est un plat vietnamien, un assemblage d’ingrédients divers balancés dans une soupe. C’est aussi un collectif rassemblant l’élite des cinéphiles parisiens, et dont je suis membre honoraire. Le Bobun se rassemble chaque semaine dans un restaurant vietnamien du Triangle d’Or, un coin de Paris où l’on trouve les meilleures boutiques de BD, de jeux vidéo et de DVD. C’est là que se trouve Album, ma boutique de BD préférée sur la planète. Et voir que Nicolas est impliqué dans Silent Hill, c’est comme entendre l’appel de la nature. Il y aura de la bouffe vietnamienne, d’intenses discussions sur l’état du cinéma mondial et des échanges de trésors de geeks. Je ne peux, et ne veux, refuser ce job.

FONDU SUR :

INT. APPARTEMENT DE ROGER - RUE DES SAINTS-PÈRES - MATIN

Il pleut à Paris et, à travers la fenêtre de ma chambre, je contemple les toits de Saint-Germain-des-Prés. L’image pourrait aisément provenir d’un film de Polanski, et j’ai toujours une irrépressible envie de me balader de toit en toit, comme l’un de ses personnages. J’ai passé ma nuit sur Silent Hill 3, auquel je n’avais jamais joué auparavant, et chaque matin, j’ai l’impression de me réveiller d’un rêve où je me réveillerais d’un rêve.

Ma femme et moi prenons un rapide café au lait en bas et je retrouve mon chauffeur au point de rendez-vous habituel, juste en face de la maison couverte de graffitis de Serge Gainsbourg.

INT. MERCEDES S600 NOIRE - EN ROUTE - JOUR

La voiture est noire et luxueuse. L’un des termes de mon contrat avec Sammy stipule que je ne conduis pas dans Paris. Je ne conduis plus depuis que Quentin Tarantino et moi sommes presque tombés en panne d’essence en essayant de trouver une station-service en 1992, alors que nous nous rendions à Amsterdam pour écrire Pulp Fiction. Ça m’a tellement traumatisé que j’ai immédiatement revendu ma Caterham Super-7 et que j’ai décidé de ne plus jamais conduire en France. Mon chauffeur, MICHEL, ajuste son rétroviseur pour mieux me voir.

MICHEL

Vous avez bien dormi, Monsieur Avary ?

ROGER

J’ai fait des cauchemars.

MICHEL

Vous m’en voyez désolé.

ROGER

Non, c’est une bonne chose. Là, maintenant, j’ai besoin de faire des cauchemars.

Il acquiesce, pas très sûr de ce que je veux dire par là.

MICHEL

De quoi avez-vous rêvé ?

Dans mon rêve, j’avais une relation sexuelle torride avec une créature écorchée de sexe indéterminé, mais ce n’est pas ce que je raconte à Michel.

ROGER

J’étais... nu à l’école. C’était la période des examens et je n’étais pas allé en classe de toute l’année.

MICHEL

(il sourit et acquiesce)

Oui – moi aussi, je fais ce rêve.

Je regarde à travers la fenêtre de la voiture alors que nous passons devant le magasin Louis Vuitton situé sur les Champs-Élysées. Ça ressemble à un sac en cuir de quatre étages recouvert du logo LV. Je ferme les yeux et repense à l’orifice charnel sanguinolent de mon cauchemar. Je ne veux pas l’oublier. Mes rêves ont tendance à être intensément vivaces, et plus encore depuis que je travaille sur ce projet. J’ai besoin de les exploiter. De les utiliser. De les intégrer à l’atmosphère et à l’ambiance que requiert ce job. Après tout, s’ils sont là, c’est pour une bonne raison.

EXT. DAVIS FILMS – JOUR

Quand j’ai rencontré Sammy, ses bureaux se trouvaient dans un immeuble que l’on peut voir dans Le Samouraï de Jean-Pierre Melville. J’adorais rendre visite à Sammy parce que, alors que je m’approchais de ses bureaux, je marchais dans les pas de Jef Costello (incarné dans le film avec une élégance folle par Alain Delon). C’est grâce au Samouraï que j’ai appris comment un homme doit tenir un flingue - comment on doit approcher quelqu’un qu’on s’apprête à descendre. Tout ça a nourri l’imagerie de Killing Zoe et j’ai toujours pensé que le fait que les bureaux de Sammy se trouvent à cet endroit était la manifestation d’une destinée cosmique.

Mais les temps ont changé. Sammy n’est plus le producteur/ distributeur qui galérait pour imposer le cinéma de genre dans les salles obscures françaises. Aujourd’hui, Sammy est un titan, admiré au sein de la communauté hollywoodienne comme un anticonformiste qui fait ce qu’il veut quand il veut. La devise de Sammy, c’est : « On aime, on fait ! » Et ses récents succès l’ont placé dans une position où il ne peut plus jouer au pauvre petit producteur indépendant. Les nouveaux bureaux de Sammy sont situés dans une ancienne ambassade de cinq étages, dans le 16e arrondissement. La sécurité est draconienne, mais on m’a donné une carte qui me permet d’entrer sans difficulté.

INT. DAVIS FILMS – BUREAU DE SAMMY – JOUR

Sammy travaille dans une immense pièce pleine de dorures autrefois réservée à un ambassadeur. Son bureau, un truc authentique de l’époque Louis XIV, trône au centre de la pièce sous un plafond de 9 mètres de haut et sur un sol en parquet. Il est recouvert de piles de cassettes vidéo, de matériel promotionnel, d’accessoires de cinéma et de plus de scripts que je n’en ai lus durant toute ma vie. La fumée de sa cigarette l’entoure comme le souffle d’un dragon, mais il est d’humeur joyeuse et taquine, sautant dans tous les coins de la pièce tout en agitant ses mains pendant qu’il décrit un film quelconque qui met ses neurones en ébullition. Il possède l’énergie illimitée des deux frères Weinstein combinés et sous drogue. Chaque journée commence par une réunion.

SAMMY

(excité)

Comment ça se passe ?

ROGER

Fantastique. On a presque fini. Honnêtement, je ne pensais pas qu’on retravaillerait autant le matériau d’origine. J’espère que--

SAMMY

Il y aura de l’action ?

ROGER

Eh bien... heu, Silent Hill, ce n’est pas tant de l’action qu’une atmosphère.

SAMMY

(soudainement sérieux)

Hey, mec. Il peut y avoir de l’action dans l’atmosphère.

ROGER

Mais Christophe insiste beaucoup pour que le film soit fidèle à l’esprit du jeu, et dans le jeu--

SAMMY

On s’en branle de ça, mec. On fait un film, pas un jeu. Et les monstres ?

ROGER

Ben, on utilise des monstres issus de tous les silent--

SAMMY

(il m’interrompt)

C’est quoi : Red Pyramid ? Je comprends pas.

ROGER

Red Pyramid est l’une des créatures centrales du jeu. C’est une sorte de semi-démon...

Sammy acquiesce vigoureusement, il aime bien le mot « démon ».

ROGER

... il est issu des ténèbres, comme un bourreau qui--

SAMMY

OK, mais il ressemble à quoi ?

ROGER

Grand. Démoniaque. Avec une énorme épée. Il a un gigantesque casque rouge qui--

SAMMY

Ça sonne bizarrement. « Red Pyramid ». Les gars de Sony ne comprennent pas. On pourrait peut-être mieux le décrire ? Peut-être qu’ on pourrait changer son nom dans le script ?

ROGER

(réfléchit)

Bien sûr. Pourquoi on ne mettrait pas des images du jeu dans le scénario ? On pourrait--

Le téléphone de Sammy SONNE, et il décroche instantanément.

SAMMY

Oui ?

(une pause)

Merde ! Trou du cul ! Le Canada fait partie de l’Amérique du Nord !

(une pause)

Pas sans le Benelux !

(une pause)

Eh ben tu peux aller te faire foutre !

Il colle le combiné contre lui et me regarde soudainement.

SAMMY

Cette négociation risque de durer un peu. Va prendre un expresso. On déjeune ensemble plus tard.

Il retourne à son appel et se lance dans un ASSAUT FÉROCE à l’encontre de la personne à l’autre bout du fil tout en s’allumant une cigarette, et je me demande... a-t-il dormi la nuit dernière ?

INT. DAVIS FILMS - CAFÉTÉRIA - JOUR

Il est désormais dix heures du matin, et c’est seulement maintenant que la moitié des employés arrivent. Je ne sais pas vraiment comment les gens qui bossent pour Sammy parviennent à faire leur taf, vu que le café du matin dure environ trois heures, suivi par un déjeuner de quatre heures. Pendant tout ce temps, ça parle cinéma, et quand je demande au réalisateur de documentaires DAVID MARTINEZ et au monteur SÉBASTIEN PRANGÈRE comment diable se fait le boulot, ils agitent tous deux la tête d’un air entendu.

DAVID

On se speede à la fin pour tout faire. Souvent à la dernière minute.

(en haussant les épaules)

À la française.

ROGER

Et ça ne met pas Sammy en colère ?

SÉBASTIEN

C’est le pire d’entre nous. C’est le roi geek – les films avant tout, même quand on en fait un.

J’essaye de comprendre cette dernière phrase quand CHRISTOPHE GANS entre dans la pièce, discutant avec passion de Collatéral, qu’il a vu la veille au soir. Je reconnais plusieurs fois le mot « chef-d’œuvre » durant son speech. Je parviens également à traduire « Dans ce film, Tom Cruise est le Terminator », et dans un coin de ma tête, je note qu’il faut que je voie ce film.

On m’a donné une carte magnétique qui me permet de prendre autant d’expressos que je veux à la machine à café, et ils sont étonnamment bons, du coup j’en avale une dizaine chaque matin. Christophe voit ma carte jaune et ses yeux sortent de ses orbites.

CHRISTOPHE

Ah ! On t’a donné une carte !

ROGER

Oui. Ils me l’ont filée l’autre jour. Je leur ai dit que j’avais besoin de café pour écrire.

Il affiche un sourire diabolique.

CHRISTOPHE

Maintenant, on est sûrs que le film va se faire ! C’est la preuve !

Visiblement, il est quasi impossible d’obtenir une de ces précieuses cartes, et la plupart des employés de Sammy doivent s’acheter leur propre café. Christophe y voit un bon présage. Sammy fera tout pour que le script soit terminé.

CHRISTOPHE

Ce soir, on va à la Cinémathèque, OK ?

ROGER

Bien sûr. Il y a quoi au programme ?

CHRISTOPHE

Une rétrospective des films de Jess Franco. Ils vont passer une version uncut de Geträumte sünden – le Necronomicon !

J’acquiesce, familier de certains films de Jesús Franco. J’ai vu Vampyros Lesbos.

ROGER

Cool.

CHRISTOPHE

Après, on ira dîner avec Jesús.

ROGER

Merveilleux. J’ai toujours eu envie de le rencontrer.

CHRISTOPHE

Hey. Le mec a travaillé avec le compositeur Bruno Nicolai sur Marquis de Sade : Justine.

Christophe est un peu le Quentin Tarantino français. Il a une connaissance encyclopédique sans pareille du cinéma. Sauf que, à l’inverse de Quentin, Christophe ne se limite pas aux films. Il consomme tous les médias. Livres, BD, journaux, critiques, et jeux vidéo. C’est la personne la plus lettrée que je connaisse. Quand Christophe joue à un jeu vidéo (et il les a tous faits), il ne se contente pas de l’essayer. Il s’acharne durant les quarante heures (voire plus) nécessaires pour le finir. Son logement, un peu en contrebas du mien dans la même rue de Saint-Germain-des-Prés, est une maison remplie à ras bord de DVD, LaserDisc, mangas, romans graphiques, CD, jeux vidéo, porno (son préféré est Buttman’s Ultimate Workout) - et de tout ce qui peut enrichir son cerveau en demande constante. C’est un homme robuste au torse imposant, et bien qu’il ressemble un peu à un diable, il a un côté enfantin qui révèle le gosse en lui. Il se moque toujours du fait que je suis marié depuis longtemps à la même femme et que je ne l’ai jamais trompée.

CHRISTOPHE

Pas moi. Le cinéma est ma maîtresse. Je lui donne tout mon amour. J’aime ma liberté.

J’acquiesce pendant qu’il parle, l’écoutant avec intérêt me dire à quel point il aime les femmes athlétiques – particulièrement les cascadeuses. Christophe est le genre de gars qui veut jouer de tous les instruments de la création. Il ne peut pas se limiter à en pratiquer un seul, même si c’est un Stradivarius.

INT. DAVIS FILMS – BUREAUX DE PRODUCTION DU GRENIER – JOUR

Christophe et moi avons tout le quatrième étage pour nous tous seuls. Son story-boardeur vient jouer aux jeux avec nous et dessiner les centaines de plans de story-board qui sont nécessaires pour concevoir le film.

Christophe est assis devant la PlayStation, baladant son avatar d’avant en arrière pour montrer le mouvement de caméra qui accompagne l’apparition des ténèbres qui recouvrent le monde de Silent Hill.

CHRISTOPHE

Regarde ! Tu vois ? Bordel, mec. Akira Yamaoka est un génie.

Il parle, bien sûr, d’AKIRA YAMAOKA, le réalisateur et compositeur du jeu Silent Hill, et il a raison – c’est un génie1.

CHRISTOPHE

On doit capturer le mouvement et les sensations de la caméra de Yamaoka.

ROGER

J’imagine, bien sûr, qu’on aura droit à ton plan-signature ?

Christophe se tourne vers moi avec un sourire diabolique.

CHRISTOPHE

Bien sûr.

Plus tard, alors que les vraies ténèbres du monde s’abattent sur Paris, Christophe se lance dans une longue diatribe sur l’état du monde.

CHRISTOPHE

Silent Hill est pour nous l’opportunité d’exposer la mentalité sectaire des États-Unis... de révéler Bush et son culte pour ce qu’ils sont : des pirates de la démocratie, qui ont délaissé la République au profit d’un empire fasciste. Des tombereaux d’ignorance et de xénophobie ont lavé le cerveau de la Bible Belt2 ; et comme les habitants de Silent Hill, ils vivent dans l’ignorance, avec une compréhension limitée du monde qui vit en dehors de leur bulle de réalité. Mais ces Ténèbres vont se refermer sur eux et la vengeance est le droit légitime des oppressés. Dans la scène finale, Sharon doit crier « VENGEANCE » !

Après avoir essayé de faire le tri dans cette diatribe, je fais mine de suggérer à Christophe que le pardon est une notion plus noble que la vengeance. Mais Christophe est déjà parti sur autre chose, suggérant que les habitants de Silent Hill devraient tous avoir des yeux d’un bleu brillant. Il ramasse la manette et balade son personnage dans le décor.

CHRISTOPHE

Tu vois ? Regarde comment les ténèbres se sont emparées du monde.

FONDU SUR :

INT. TAXI – SOIR

La journée est finie, et un vent froid amène des nuages de pluie sur Paris. Je grimpe dans le taxi qui doit m’emmener à la rétrospective Jesús Franco, même si je préférerais rentrer à la maison et regarder la Star Academy (une émission française qui mélange en gros American Idol et The Real World). Le chauffeur algérien se tourne vers moi, avec un air sérieux :

CHAUFFEUR DE TAXI

Américain ?

ROGER

(acquiesçant avec prudence)

Oui.

CHAUFFEUR DE TAXI

Vous avez voté pour Bush ?

J’hésite à lui dire en blaguant que je me suis encarté chez les Républicains.

ROGER

Non. J’ai voté pour Kerry.

CHAUFFEUR DE TAXI

Vous vivez à Paris ?

ROGER

Oui. Rue des Saints-Pères.

CHAUFFEUR DE TAXI

Pourquoi ?

ROGER

Je suis scénariste. Je suis là pour bosser sur un film.

CHAUFFEUR DE TAXI

(acquiesçant, d’un air entendu)

Oh. Hollywood. OK. C’est bien.

Il fait démarrer la voiture et m’emmène à la Cinémathèque française. Alors que nous roulons, la pluie ruisselle sur la vitre du passager arrière, et Paris devient floue.

FONDU AU NOIR.

1 Note de l’Editeur : Akira Yamaoka est en fait devenu producteur à partir de Silent Hill 3, mais il s’agit bien du compositeur de tous les épisodes à l’exception de Downpour.

2 Note de l’Éditeur : Zone géographique des États-Unis qui abrite un nombre élevé de fondamentalistes chrétiens.

Chapitre premier Introduction à Silent Hill

Avant-propos

Silent Hill, un nom aux multiples évocations. En premier lieu une série de jeux vidéo d’horreur qui s’est distinguée par une approche radicale, éprouvante et fascinante de la peur. Une série qui a su innover et montrer un autre visage de l’épouvante vidéoludique, plus profond, onirique et troublant. Une série dont le prestige s’est délité au fil des années et des itérations moins convaincantes, malgré de belles tentatives et un chef-d’œuvre trop confidentiel - Shattered Memories. Une série qui s’est noyée alors même qu’elle s’apprêtait à se parer d’une nouvelle robe pleine de promesses, celle du projet mort-né Silent Hills, initié par le directeur créatif Hideo Kojima (Metal Gear Solid) en collaboration artistique avec le réalisateur Guillermo del Toro (Le Labyrinthe de Pan, Hellboy).

Avec huit épisodes « principaux », des annexes (le Book of Memories sur PSVita), des comics et deux films, la licence Silent Hill s’est épuisée dans sa propre originalité, ne devenant que l’ombre d’elle-même. Une marque déjà poussiéreuse, pleine de motifs qui, à force d’être usés, se sont vidés de leur substance première pour devenir des artifices. Un constat amer et partagé par la majorité des amateurs de longue date de la franchise. En vérité, ce jugement acerbe et cette aigreur des fans sont proportionnels à tout ce que la série a pu leur apporter en tant que joueur et en tant qu’individu.

Car Silent Hill, c’est aussi une ville. Un personnage à part entière, théâtre d’angoisses innommables et terrain de jeu à grande échelle pour des artistes dont le goût pour le macabre et le sordide confine à la poésie. Silent Hill, ce sont des souvenirs, des traumatismes, des instants d’intenses émotions. Un mélange étonnant de divers sentiments extrêmes, du dégoût le plus total à la tristesse la plus inconsolable.

Derrière ses mécaniques vidéoludiques forcées, héritières des codes du survival horror établis par Resident Evil, la série a toujours visé une expérience inédite, risquée, excessive, qui dépasse largement le spectre de la peur divertissante et rigolarde. L’amusement, le « jeu », n’ont guère leur place à Silent Hill. Bien sûr, pour apprécier le voyage, il faut accepter de se laisser terroriser, bousculer, surprendre. Les réfractaires aux sueurs froides et au morbide n’y trouveront qu’un parcours fatigant, ennuyant voire insupportable. La série a poussé l’horreur à son paroxysme et n’a jamais hésité à prendre à contre-pied les attentes - d’autant plus lorsque l’équipe originelle, la bien nommée Team Silent, était aux commandes, soit jusqu’au quatrième opus.

L’appréciation de Silent Hill touche à l’affect, à l’intime, tout autant qu’à l’intellect. Sujet de multiples théories analysant la dimension symbolique de ses histoires cryptiques et représentations graphiques expressives, la série a passionné de nombreux joueurs qui se sont pleinement investis dans ce travail de réflexion et de recherche. Comme si, en creusant plus profondément dans le corps et l’esprit de ces œuvres interactives monstrueuses, on pouvait y dénicher des vérités indicibles sur nous-même et le monde. C’est toute la force de cette série d’avoir su proposer un tel réseau de signes, de métaphores sous-jacentes, qui peuvent à ce point entrer en résonance avec le joueur.

De fait, comme bien souvent avec des franchises intéressantes à ce point essorées, chacun a sa propre définition de ce qu’est un bon Silent Hill. S’il est commun de considérer que le deuxième épisode est un chef-d’œuvre insurpassable et fondateur, les préférences peuvent varier. D’aucuns sont plus sensibles aux cauchemars rougeoyants de SH 1 ou 3, d’autres préfèrent le malaise dérangeant de The Room, certains ressortent bouleversés d’une session de Shattered Memories. Chaque épisode, même les moins aimés comme le quasi parodique Homecoming, a quelque chose à offrir, une identité qui lui est propre, serait-elle infime.

Le nom du projet annulé était on ne peut plus pertinent. Silent Hill est pluriel. Cet ouvrage va en dévoiler les nombreuses facettes, en expliquer les rouages, les audaces, tenter de déterminer ce qui en fait une œuvre à part, unique. Toutefois, pour mieux comprendre les raisons qui en ont fait une série capable de toucher si intimement les joueurs, il faut revenir à ses racines. Malgré sa personnalité si marquée et reconnaissable, Silent Hill est avant tout l’enfant d’un registre qui a fait les beaux jours de la littérature et du cinéma, « l’horreur psychologique ».

L’horreur psychologique : pourquoi se faire peur ?

Des histoires de fantômes aux invasions de zombies en passant par le folklore gothique, les abominations indescriptibles ou encore la terreur à visage humain, les genres de l’horreur et de l’épouvante ouvrent la porte d’une émotion désagréable : la peur. De fait, et notamment en France où les hautes instances critiques se sont toujours méfiées du fantastique et de tout ce qui a trait à un imaginaire trop éloigné du réel, l’horreur est souvent considérée comme un sous-genre un peu vulgaire, en littérature comme au cinéma. Faire peur serait de l’ordre du divertissement1 et non pas de l’art. Outre le non-sens de cette dichotomie qui pousse à mettre en opposition des approches tout à fait compatibles, la vérité est bien plus nuancée.

De base, il y a une distinction qui est souvent faite entre l’horreur et l’épouvante. Le premier genre est plus enclin à l’expression graphique, à dévoiler les contours des monstruosités voire à basculer dans le gore, c’est-à-dire une forme de violence extrême et visuelle qui n’épargne rien – chair, sang, viscères, etc. Le second est quant à lui un genre de la suggestion, de l’angoisse latente, de l’appréhension et du non-dit. Dans cette case, nous pouvons ranger notamment les récits de fantômes et de possession, mais aussi les thrillers psychologiques qui ne s’aventurent pas nécessairement dans le surnaturel.

En pratique, il n’est pas rare d’assister à un entremêlement de ces approches, qui viennent se compléter et se nourrir. Le principal problème avec la peur dans les arts narratifs est qu’elle demande un effort particulier de la part du spectateur ou lecteur. Tout le monde ne peut accepter d’éprouver cette émotion primitive et y trouver du plaisir. En soi, la quête du plaisir est la démarche traditionnelle et logique de celui qui va prendre la peine d’ouvrir un livre, regarder un film, lancer un jeu vidéo ou encore écouter une musique. S’il n’y a pas de plaisir ou de satisfaction au bout, à quoi bon se lancer dans une telle activité ?

Le sursaut, le dégoût, le stress et les sueurs froides ne sont pas les réactions physiques les plus agréables. Pourtant, la tristesse non plus, or elle est l’un des moteurs premiers des plus gros succès de la littérature et du cinéma. La fiction agit en effet comme un écran, un filtre des émotions, qui sont véritablement ressenties par la personne mais dont l’inconscient sait qu’elles ne se basent pas sur le « réel » et que, par conséquent, il n’y a pas de danger. En l’absence de péril, l’esprit peut avaler tout entier les émotions les plus variées, le positif et le négatif ne sont plus vus comme tels. C’est la force de la représentation. Bien sûr, il faut être un minimum réceptif à la « suspension d’incrédulité » que demande une œuvre narrative et il existe de surcroît des personnes qui n’aiment pas pleurer à la lecture d’un livre ou être effrayées à la vue d’un film.

L’horreur se met donc automatiquement à dos un certain nombre de gens. Mais à ceux qui prennent la peine de s’y plonger corps et âme, elle procure des sensations inhabituelles qui font tout l’attrait de l’expérience. Et il n’est pas rare qu’un rejet initial se transforme en succès populaire. Voir pour cela l’aura et l’impact encore vivaces de quantité d’œuvres. Des contes de fées - qui contiennent des éléments horrifiques évidents - aux grands succès de la littérature gothique (Frankenstein de Mary Shelley en 1818, Dracula de Bram Stoker en 1897), des chefs-d’œuvre de l’expressionnisme allemand (Nosferatu de Murnau en 1922) à l’étonnante vitalité du cinéma gore depuis les années quatre-vingt (et les épanchements ludiques d’Evil Dead de Sam Raimi ou Braindead de Peter Jackson), sans oublier le succès immense d’un écrivain comme Stephen King mais aussi la reconnaissance critique et publique totale d’un Psychose d’Alfred Hitchcock (1960), de L’Exorciste de William Friedkin (1973) ou de l’adaptation de Shining par Stanley Kubrick (1980), le genre s’est développé avec force.

Aujourd’hui, quantité d’œuvres – dont la qualité est parfois sujette à discussion - sont des succès commerciaux indiscutables, en témoignent par exemple des séries de films comme les Saw ou les Paranormal Activity. Le public adolescent, féru de frissons faciles et en quête d’expériences extrêmes, est certes la première cible de cette vague du cinéma d’horreur et d’épouvante, mais il est fort probable que les effets de mode se dissiperont. Pour mieux ouvrir d’autres horizons. Le genre horrifique, quand bien même il renvoie à des codes, des stéréotypes et des classiques, est loin d’être figé. Il se meut, prend des formes qui reflètent aussi son temps. Le cinéma de zombies, né à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix2 à travers les œuvres matricielles de George A. Romero (La Nuit des morts-vivants, Zombie), peut être vu au choix comme violent, contestataire, politique, écœurant ou encore délirant. Les histoires de fantômes et d’esprits démoniaques peuvent tétaniser ou émouvoir de par leur poésie sinistre.

Chaque œuvre répond de ses propres envies, de ses propres besoins. Finalement, le seul dénominateur commun véritable que l’on pourrait trouver entre toutes ces approches serait la capacité à générer l’angoisse. Mais les frayeurs elles-mêmes ne sont pas toujours une finalité. Parfois, elles naissent simplement d’elles-mêmes, portées par le sujet ou les choix stylistiques.

Dans ce contexte, ce que l’on appelle « horreur psychologique » ne tient pas tant d’un genre que d’une démarche. En soi, il ne serait pas erroné de dire que toute forme d’horreur est, par essence, psychologique. Qu’il s’agisse de l’expression de phobies primaires ou enfantines (l’obscurité, les insectes, la mort), d’une terreur « cosmique » comme dans les écrits de Lovecraft3 ou de créations contre-nature (les légendes de loups-garous, de vampires...), l’horreur a toujours pris racine dans les méandres de la psyché humaine et son instinct. Elle existe pour dévoiler et, dans l’idéal, combattre les pulsions refoulées, les angoisses inavouées et les appréhensions bien réelles. La catharsis4 pourrait ainsi être vue comme l’un des moteurs de ce genre qui nous confronte à notre part obscure. Peut-être y a-t-il un plaisir double dans le fait de se faire peur via une œuvre d’art : à la fois le goût du frisson, du choc émotionnel, la fascination pour le mal, mais aussi la sensation plus intime de regarder dans les recoins cachés de nous-même.

C’est cet aspect qui agit comme la source des récits d’horreur psychologique. Dans les histoires d’horreur et d’épouvante plus traditionnelles, les personnages se retrouvent aux prises, malgré eux, avec des évènements surnaturels ou inquiétants qu’ils doivent parfois combattre pour survivre. Dans les œuvres d’horreur psychologique, ce sont les personnages eux-mêmes qui sont la source du « mal », ou qui gravitent autour. Leur quête est alors celle d’une introspection, un voyage dans leurs propres cauchemars qui peuvent se matérialiser ou se manifester sous diverses formes. Ce sont des œuvres qui cultivent l’ambiguïté, le doute, et qui nécessitent de la part des personnages une prise de conscience s’ils veulent sortir du labyrinthe5.

Il n’est d’ailleurs pas rare que le spectateur ou lecteur soit lui-même perdu dans les fils du récit jusqu’au dénouement, qui peut apporter un nouveau regard sur les évènements qui l’ont précédé. C’est le cas de l’une des principales sources d’inspiration de Silent Hill, le film L’Échelle de Jacob (Adrian Lyne, 1990), dans lequel un ancien soldat de la guerre du Viêt Nam est victime d’hallucinations qui le font douter de sa santé mentale. Cela s’applique aussi à plusieurs cauchemars sur pellicules imaginés par le cinéaste David Lynch (Lost Highway, Mulholland Drive) et à bien d’autres longs-métrages qui ont joué sur la perte de repères et le flou entre rêve et réalité.

Silent Hill a pris à bras-le-corps cette approche en faisant de sa ville éponyme un miroir du désordre mental des personnages. Alessa, immolée dans l’histoire du premier épisode, fait basculer la bourgade dans une dimension de cauchemar rouillée et sanguinolente à l’image de son corps en souffrance. Walter Sullivan, dans le quatrième épisode, erre à la recherche d’une mère qu’il n’a jamais connue, dans des décors traversés de matière organique et de cordons ombilicaux géants. Et ainsi de suite, avec un catalyseur différent à chaque épisode. Le personnage qui cause ces transformations répugnantes n’est pas nécessairement celui que le joueur contrôle, mais il demeure le pivot du récit.

Silent Hill a ainsi concilié horreur graphique et épouvante intime dans un même mouvement, jouant sur cette ambivalence entre démonstration et suggestion pour glacer le sang du joueur et le transporter dans un univers malsain et déstabilisant, aux règles incertaines. Si le deuxième épisode a embrassé avec plus de ferveur encore l’horreur psychologique, grâce aux enjeux profondément touchants de son histoire, le premier a néanmoins apporté une nouvelle dimension aux jeux vidéo d’horreur. Loin de l’approche plus terre à terre et volontairement série B de Resident Evil, Silent Hill s’est démarqué par son atmosphère onirique et ses terreurs innommables, irrationnelles. Avec, comme fil rouge qui traverse une grande partie de la série en toile de fond, une utilisation pertinente d’une source de frayeur des plus inquiétantes : l’occultisme.

L’occultisme

Issu du mot latin « occultus », qui signifie « caché », l’occultisme renvoie à une quête de l’invisible, du secret des forces qui animent la nature. Par le biais de pratiques diverses - divination, alchimie, astrologie, magie noire, etc. -, la personne qui manipule les sciences occultes tente de dévoiler les vérités surnaturelles de l’existence. Le terme est parfois confondu avec l’ésotérisme6, qui désigne peu ou prou la même chose mais avec une démarche différente car l’ésotérisme est un savoir spirituel qui n’est transmis qu’à travers un enseignement réservé aux initiés.

Dans tous les cas, les manifestations les plus connues des sciences occultes sont par exemple ce qui a trait à la cartomancie ou à la sorcellerie. L’occultisme ouvre sur un réseau de symboles, de corrélations, d’interprétations du monde. D’un point de vue populaire, c’est le territoire des superstitions et du paranormal, la source de croyances hérétiques comme le satanisme.

L’être humain a de tout temps cherché à révéler l’invisible, à comprendre ce qu’il ne voit pas et n’arrive pas à appréhender. En force contraire de la religion, qui est une réponse censée être complète et adressée à tous, les arts occultes ouvrent une dimension plus inquiétante et incertaine, et donc plus facilement rejetée.

Dans cette optique, le versant malfaisant de l’occultisme a naturellement trouvé sa place dans les récits d’épouvante. Le mythe des sorcières, de par ses liens avec le registre du merveilleux mais aussi avec les heures sombres de l’Histoire, a nourri quantité de fantasmes qui offrent une matière de premier choix pour les conteurs de toute sorte. De même, la démonologie, avec ses rituels et ses symboles magiques hérités de cultes païens et de pratiques ésotériques, est un terreau idéal pour draper une histoire de forces obscures.

Silent Hill s’est approprié ces codes au sein de son univers, en déployant une mythologie qui lui est propre7 tout en l’appuyant en grande partie sur les sciences occultes. On retrouve ainsi le goût des Japonais pour le métissage culturel et les références étrangères. Dans l’histoire de la série, l’Ordre est une secte qui vénère des divinités démoniaques. Dès le premier épisode, plusieurs éléments clefs renvoient à l’occultisme. L’antagoniste Dahlia Gillespie évoque la gyromancie, une forme de divination qui demande de tourner au centre d’un cercle marqué de lettres tracées au hasard. Il est aussi fait état d’un Sceau de Métatron8, le sceau étant un objet considéré comme magique dans les arts occultes. Il y a par ailleurs des références à certains des sept esprits olympiens, mentionnés dans de nombreux livres de magie, Phaleg, Hagith ou encore Ophiel.

Le Dieu de l’Ordre a, dans Silent Hill 1, l’apparence de Baphomet, idole vénérée par les Templiers et dont l’image – en particulier la tête de bouc - est parfois utilisée en lien avec le Diable, comme le sceau de Baphomet qui orne la couverture de la Bible satanique (Anton Szandor LaVey, 1969). À partir de Silent Hill 3 apparaît le symbole principal de l’Ordre, le nimbe solaire, qui mélange et se réapproprie alphabet runique, signes alchimiques et divers motifs astrologiques, ainsi qu’une référence au célèbre « Œil de la Providence9 ». Le même épisode introduit aussi des cartes de tarot dont la signification est liée aux protagonistes.

Toute l’imagerie de la secte malfaisante, avec ses rituels, ses cérémonies et ses démons, se retrouve dans la série. Ce n’est pas nécessairement le point qui passionne le plus les admirateurs de Silent Hill, mais cette utilisation de l’occultisme confère aux jeux une dimension mystique pleinement assumée tout en apportant une forme de peur particulière, liée à la notion du sacré. En particulier pour les sociétés occidentales fondées sur des bases judéo-chrétiennes car, même chez les non-croyants, il y a une propension à ressentir une forme de terreur divine dans les histoires qui s’appuient sur le versant ténébreux du savoir religieux. L’idée d’un Dieu qui ne serait qu’une créature abominable, née de la souffrance, a de quoi effrayer.

L’occultisme reste toutefois secondaire dans certains épisodes (Silent Hill 2) voire inexistant dans d’autres (Downpour, Shattered Memories). D’un point de vue global sur la série, il sert avant tout de décorum, de point d’ancrage qui justifie les manifestations paranormales tout en s’appuyant sur l’horreur des dérives sectaires. Qu’il soit issu de l’inconscient ou d’incantations maléfiques, le Mal n’en est pas plus rassurant. Et au-delà des références exotiques piochées dans les sciences occultes, les créateurs de la série se sont avant tout inspirés de quantité d’œuvres d’art qui ont façonné leur imaginaire.

Les influences assumées

Malgré l’identité extrêmement forte et singulière dont fait preuve la série, Silent Hill trouve ses origines dans pléthore d’œuvres diverses provenant de la littérature, du cinéma ou encore de l’art pictural. Au point que les jeux fourmillent d’indices et de références directement citées. L’un des exemples les plus évidents n’est autre que les noms des rues et avenues, qui renvoient toutes à des écrivains ou cinéastes, plus ou moins connus, qui ont marqué les auteurs de la série. De fait, l’on retrouve pêle-mêle des allusions à Dan Simmons (Terreur, L’Échiquier du mal), Richard Bachman (l’un des alias de Stephen King), James Ellroy (L.A. Confidential), Ray Bradbury (Fahrenheit 451), Michael Crichton (Jurassic Park), Mary Shelley (Frankenstein), Dean R. Koontz (La nuit des cafards) ou encore Richard Matheson (Je suis une légende). L’épisode Homecoming pioche quant à lui plus volontiers du côté du cinéma pour les besoins de la ville fictive de Shepherd’s Glen, avec des rues portant le nom de Stanley Kubrick (Shining), John Carpenter (L’Antre de la folie), Wes Craven (Freddy) ou Ridley Scott (Alien).

Par ce biais, Silent Hill s’inscrit dans la lignée directe de ces grandes œuvres qui, pour certaines, ont tissé tout un pan de l’imaginaire horrifique. L’hommage est appuyé et clair. De plus, démarche finalement assez rare chez les artistes japonais, les créateurs de la série se sont à plusieurs reprises exprimés sur leurs influences, sans langue de bois et sans mettre de côté les évidences. Dans l’ouvrage officiel Book of Lost Memories, paru au Japon à la sortie de Silent Hill 3, la Team Silent a notamment dressé une liste des œuvres qui leur ont servi de sources d’inspiration, en agrémentant certains choix de commentaires explicatifs.

Sans surprise, parmi les références majeures est cité le film L’Échelle de Jacob. Au-delà des clins d’œil disséminés dans les jeux10, ce long-métrage, et plus précisément une scène d’hallucination dans un hôpital, a servi de matrice à l’esthétique du monde de cauchemar. Les murs ensanglantés, les grilles, les infirmes, les êtres humanoïdes sans visage qui bougent leur tête de façon frénétique, la musique rythmée par un martèlement industriel, le sentiment d’incompréhension, toute cette séquence sera le terreau d’où naîtra Silent Hill. Sans oublier, évidemment, l’approche même de la narration du film, la confusion entre rêve et réalité, le motif de la femme double, etc.

De même, Stephen King est cité parmi les sources d’inspiration originelles, en témoigne le scénario du premier jeu qui ressemble à un métissage du roman Carrie (la jeune fille dotée de pouvoirs psychiques, persécutée par ses camarades de classe et une mère fanatique) avec la nouvelle Brume (pour la ville plongée dans le brouillard et assaillie de créatures surnaturelles, notamment des monstres ailés directement référencés dans le jeu).

Les peintures dérangeantes et charnues de Francis Bacon font aussi partie des inspirations assumées. Il est par contre étonnant de ne pas voir cité le peintre et sculpteur Hans Bellmer, dont les poupées sans buste, combinaison de deux paires de jambes superposées, ont été reprises à l’identique pour l’apparence de l’une des créatures de Silent Hill 2, avec la même symbolique ouvertement sexuelle.

La liste fournie par la Team Silent n’en demeure pas moins très fouillée et intéressante, naviguant des romanciers Kôbô Abe (L’homme-boîte), Dean R. Koontz11, Masako Bando (Yamahaha) à la musique techno allemande (DAF, Klaus Nomi) et au rock industriel, en passant par les peintres Jérôme Bosch et Salvador Dalí, mais aussi de nombreux films. Parmi eux figurent en tête les longs-métrages fantasques de David Lynch comme Blue Velvet12, Eraserhead13 ou encore Lost Highway. Sont cités aussi les films expérimentaux et ésotériques d’Alejandro Jodorowsky (El Topo, La Montagne sacrée), le surréaliste Alice de Jan Švankmajer ou encore L’Exorciste III14. La liste est plus longue encore, avec quelques surprises comme la présence du film 37°2 le matin de Jean-Jacques Beineix, dont le final - le personnage étouffe son amante hospitalisée avec un oreiller - n’est autre que le postulat de base de Silent Hill 215. Il faut rajouter les œuvres qui ont inspiré les épisodes suivants de la série, comme le roman Les Bébés de la consigne automatique de Ryû Murakami qui, d’après le directeur artistique Masashi Tsuboyama, fait écho à l’histoire tragique de Walter Sullivan, abandonné dès sa naissance.

Chaque épisode réalise ainsi un grand écart entre de multiples références plus ou moins explicites, quitte parfois à s’aventurer dans des territoires inédits (et pas nécessairement bienvenus) pour la série, à l’image de Silent Hill Homecoming, dont la scène d’introduction et le contexte final renvoient à l’horreur humaine du film de torture Hostel d’Eli Roth.

Toutefois, Silent Hill – en particulier les quatre premiers épisodes fondateurs, conçus par la Team Silent – est bien plus que la somme de ses influences. Il s’agit là aussi d’une spécificité propre aux Japonais, due à leur histoire et leur culture16, à savoir une capacité étonnante à digérer une quantité impressionnante de références de tous types et de toutes approches, pour en faire émerger une œuvre inédite, unique. Avec une sensibilité qui n’appartient qu’à eux, et par le biais des possibilités immersives apportées par l’interaction, les créateurs de Silent Hill ont déblayé une voie dangereuse et délicieusement attractive. Un accès à l’enfer dans tout ce qu’il peut proposer de plus fascinant.

Expérience(s) Silent Hill

Se lancer dans un Silent Hill implique une certaine disposition d’esprit. Outre les rituels qui peuvent renforcer l’immersion - casque sur les oreilles, lumière éteinte - et qui dépendent avant tout de la sensibilité du joueur et de son approche relationnelle avec un divertissement ou une œuvre d’art, cela demande une appréhension de certains points. Il faut être conscient que l’expérience ne sera pas confortable, dans tous les sens du terme. Les Silent Hill jouent avec les nerfs, perturbent et mettent mal à l’aise. La peur ne naît pas de simples sursauts mais d’une ambiance pesante, terrifiante, où l’incompréhension et l’impalpable génèrent l’angoisse. De plus, et c’est l’un des éléments qui fait que certains joueurs sont rebutés par la série, il faut bien avouer qu’elle n’est pas des plus agréables à prendre en main17.

Les premiers épisodes reprenaient notamment les grands traits du survival horror à la Resident Evil, jusque dans la maniabilité rigide, ici renforcée par le fait de contrôler des personnages peu habiles avec les armes. Les angles de caméra mobile n’ont guère arrangé le tableau, malgré une plus grande liberté de mouvements. Ainsi, d’un strict point de vue du système de jeu et en particulier des affrontements, les Silent Hill se sont souvent avérés frustrants18. Même Homecoming, qui s’est focalisé plus intensément sur l’action avec son protagoniste entraîné par un père militaire, n’a pas réussi à rendre les combats agréables. Au contraire, il s’est fourvoyé dans une difficulté embêtante. Shattered Memories a quant à lui supprimé toute forme de violence, mais les scènes de poursuite dans les cauchemars en ont énervé plus d’un, en raison d’une réponse parfois approximative des contrôleurs de la Wii19.

Passé ce cap des limites ludiques de la série, Silent Hill offre une plongée unique au Purgatoire et en Enfer, et quantité d’instants inoubliables. Mieux, c’est l’aura même des jeux qui reste dans les mémoires, leur atmosphère. Une impression cotonneuse, diffuse, une sensation de familiarité et d’« inquiétante étrangeté20 ». Les souvenirs d’une errance dans les rues désertes de la ville, jonchées de carcasses de véhicules et recouvertes d’un brouillard surnaturel, oppressant. Les rencontres avec des créatures hideuses, vagues silhouettes humanoïdes qui évoquent des émotions trop répugnantes pour être acceptées. Les instants de doute, de distorsion du rationnel et du réel, les couloirs infinis, la perte de repères progressive au sein d’une bourgade qui semble vivante, qui observe les joueurs, qui respire au gré de martèlements industriels et modifications scéniques. Les personnages à la fois ordinaires et dérangeants, porteurs d’un grain de folie qui sème le trouble. Et l’horreur et l’impuissance ressenties lorsque la ville bascule dans la dimension des ténèbres, garantie d’un malaise sans échappatoire pendant de longues dizaines de minutes.

Au fil des épisodes, Silent Hill s’est construit un réseau de symboles et de motifs récurrents. La brume, les sonorités inhabituelles et surnaturelles, les musiques enivrantes à mi-chemin entre ambient, rock et trip-hop, les chaises roulantes, les grilles, les corps emmitouflés dans des draps ensanglantés sur des brancards, les cadavres suspendus dans des cages, la dimension sexuelle, les énigmes tordues, les lieux emblématiques (les hôpitaux, les prisons), les choix de mise en scène et de direction artistique, les changements de dimension et l’alarme qui peut les accompagner, l’éclairage à la lampe torche, la radio qui grésille à l’approche des monstres, et plus encore.

Pourtant, certains épisodes n’ont pas hésité à se départir de plusieurs motifs emblématiques (nulle lampe torche ou radio dans Silent Hill 4, ni même de changement de dimension) ou à les réinventer (Shattered Memories), sans que cela ne nuise à leur essence ni ne remette en question leur appartenance à la série. En effet, ce qui fait le cœur de l’expérience Silent Hill, ou plutôt des expériences Silent Hill, tient à des considérations beaucoup plus profondes qu’un simple empilement de motifs récurrents.

Chaque épisode tente, à sa manière et avec sa propre approche, d’emmener le joueur dans un ailleurs vertigineux, un rêve suffocant qui tétanise, émeut et laisse une impression durable, ensorcelante. La magie de l’interaction a permis aux concepteurs d’expérimenter une approche fascinante de l’écriture vidéoludique dans son sens large. Une série faite d’audaces, de ruptures et d’essais, articulés autour d’une atmosphère pénétrante dont la part d’inconnu continue de hanter longtemps après avoir arrêté la partie.

Ainsi, il n’y a pas véritablement de vision absolue de ce qu’est Silent Hill. Il n’y a pas de forme invariable ou de recette miracle. Dans cette perspective, cet ouvrage va tenter de déchiffrer pas à pas cette franchise singulière, d’en dévoiler les coulisses, les secrets et d’en décortiquer les aspects les plus passionnants, y compris sa déchéance relative.

Que l’on se rassure, même en parcourant les tréfonds les plus obscurs de la série, il est impossible d’en déflorer les aspects les plus mystérieux et les plus inconscients, qui résultent de l’expérience elle-même. Ce livre peut apporter des clefs de compréhension, mais la finalité est inévitable : Silent Hill, comme toute œuvre d’art, ne peut qu’être vécu.

1 Aujourd’hui, il est commun de critiquer une œuvre d’horreur pour ses excès ou sa superficialité en la comparant à un train fantôme ou en la qualifiant de grand-guignolesque, en référence au théâtre du Grand-Guignol, ancienne salle de spectacle parisienne qui a marqué le début du XXe siècle par ses représentations macabres.

2 Le genre en lui-même est né principalement des films de Romero, mais la figure du zombie avait déjà été exploitée au cinéma. Citons Vaudou de Jacques Tourneur (1943) qui, comme son nom l’indique, puisait dans les racines vaudoues de la légende du zombie.

3 Souvent considéré comme l’un des fondateurs de l’horreur moderne, H.P. Lovecraft (1890-1937) a articulé nombre de ses récits autour d’une cosmogonie imaginaire, peuplée de divinités extraterrestres si abominables qu’elles dépassent l’entendement humain et dont les descriptions ne peuvent saisir que partiellement l’essence même de leur nature.

4 Selon la conception du philosophe grec Aristote, qui l’appliquait notamment au théâtre antique, il s’agit de la purification des émotions négatives à travers la représentation artistique.

5 Cf. article « Le labyrinthe », chapitre IV.

6 Du mot grec esôteros, qui signifie « intérieur ».

7 Cf. chapitre III.

8 Métatron est, entre autres, un ange de la Kabbale, la mystique juive.

9 L’œil de Dieu, souvent représenté à l’intérieur d’un triangle, que l’on trouve sur les billets d’un dollar ou au-dessus de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

10 Par exemple le passage dans le métro dans Silent Hill 3 est quasiment identique, jusqu’au nom de la rue Bergen Street.

11 Le scénariste Hiroyuki Owaku considère qu’il est l’un des maîtres absolus de l’horreur en littérature, et il le préfère à Stephen King.

12 Dans Silent Hill 2, la scène où James se cache dans un placard en assistant au viol des créatures par Pyramid Head est une référence à une séquence similaire de Blue Velvet.

13P.T., la « démo » jouable qui présentait le concept du mort-né Silent Hills, réutilise à sa manière le bébé monstrueux et criard d’Eraserhead.

14 D’après le designer des créatures Masahiro Ito, la mise en scène et certains détails visuels de L’Exorciste III (réalisé par William Peter Blatty, qui est l’auteur du roman original L’Exorciste) ont été cités à plusieurs reprises dans les trois premiers Silent Hill. La comparaison la plus évidente est celle de la tenue de l’infirmière en rouge et blanc dans le film, qui est la même que celle de Lisa Garland.

15 Comme le reconnaissent ses créateurs, le synopsis de Silent Hill 2 doit aussi beaucoup au roman Crime et Châtiment de Fiodor Dostoïevski, l’histoire d’un homme confronté à sa culpabilité et à la paranoïa après un meurtre prémédité (en vérité un double meurtre puisqu’une autre personne non envisagée se trouvait sur les lieux).

16 De l’ouverture à l’Occident à l’ère Meiji (1868-1912) jusqu’à l’occupation américaine d’après-guerre, le Japon a assimilé des éléments de la culture occidentale au sein de sa propre culture.

17 Cela fait toutefois partie de l’expérience, cf. le chapitre V.

18 En contrepartie, les premiers épisodes proposaient plusieurs niveaux de difficulté, y compris pour les énigmes.

19 Même si, bien sûr, le sentiment d’inconfort et de panique de ces séquences est parfaitement voulu.

20 À l’origine un concept de psychanalyse théorisé par Freud qui évoque le malaise créé par une rupture avec le rationnel et le confort du quotidien.

Chapitre deux – Création

SILENT HILL 1

Une nouvelle vision de l’horreur

22 mars 1996, la société Capcom sabre le Champagne. La sortie de Resident Evil au Japon fait grand bruit et son succès ultérieur en Occident en fait l’un des titres majeurs de la PlayStation ; une révolution qui, sur les bases de Sweet Home et Alone in the Dark, pose les fondements du survival horror et apporte des émotions fortes alors inédites.

Le concurrent Konami y voit de belles opportunités. Le studio entend bien s’imposer dans le domaine de la 3D avec des expériences originales qui offrent de nouvelles manières de jouer. À cette époque, Metal Gear Solid est déjà en production depuis un an mais la société a besoin de défricher d’autres terrains. Plusieurs projets circulent, celui qui est finalement retenu est un jeu d’aventure et d’horreur en 3D, qui s’inscrira dans la lignée de Resident Evil, en réponse au jeu de Capcom.

Une équipe principale d’une quinzaine de personnes est alors composée1 et Keiichiro Toyama est placé à la tête du projet. Celui-ci a auparavant travaillé en tant que graphiste sur Snatcher et International Track & Field de Konami. Silent Hill est son premier poste en tant que directeur créatif et, non sans ironie, il n’est pas quelqu’un de particulièrement attiré par l’horreur en général. Toutefois, il est passionné d’occultisme et est un grand admirateur des films de David Lynch. De plus, de nombreux membres de l’équipe sont des consommateurs réguliers de littérature d’épouvante ou du cinéma d’horreur. Rapidement, ils en viennent à déterminer les points-clefs qui feront du jeu une œuvre à part.

Puisque les intentions de Konami sont de connaître un gros succès en Occident, où la PlayStation affirme sa toute-puissance, il est décidé d’ancrer Silent Hill dans un contexte américain, en s’inspirant des grands noms de la littérature horrifique. Cependant, contrairement à Resident Evil, l’approche souhaitée est la recherche d’une autre expression de la terreur, plus profonde et instinctive.

Un processus de création organique et collégial

Rapidement, le point d’ancrage du projet devient la nouvelle Brume de Stephen King, pour le contexte de la bourgade piégée dans le brouillard et en proie à des créatures surnaturelles. La brume offre à l’équipe un double avantage, celle d’une atmosphère onirique et inquiétante (l’impossibilité de voir au-delà de quelques mètres) en plus d’un grand secours technique. En effet, l’idée principale est de déployer l’action du jeu sur la ville entière, explorable à loisir pour une impression de réalisme unique.

Néanmoins, les capacités techniques de la PlayStation ne permettent pas non plus d’apporter à la fois une grande profondeur de champ et une exploration libre dans de grands espaces. Pour le programmeur principal, Akihiro Imamura, le brouillard devient donc la solution idéale pour masquer les graphismes en arrière-plan et limiter les chargements sans altérer le rendu visuel. L’autre point technique qui devient un élément central du système de jeu et de son ambiance réside dans l’utilisation de la lampe torche. Les créateurs sont d’accord sur la menace que représente l’obscurité et l’obligation d’avoir recours à une lampe torche leur apparaît être un bon outil immersif.

Keiichiro Toyama définit les grands traits du scénario en s’appuyant sur les éléments occultes qu’il affectionne, mais chaque membre de l’équipe apporte ses idées, en particulier Hiroyuki Owaku, qui écrit entre autres les énigmes2, Naoko Sato, qui est aussi l’une des designers des monstres et le graphiste Masashi Tsuboyama.

Ensemble, ils conçoivent les personnages et l’histoire, en partant du principe que les parts d’ombre et de mystère feront travailler l’imagination et donc la peur du joueur. Le personnage principal, Harry Mason, est créé comme quelqu’un d’ordinaire, relativement lisse, pour permettre au joueur de mieux s’identifier et de comprendre ses réactions. Au départ, il devait s’appeler Humbert Mason, en référence à Humbert Humbert, le protagoniste de Lolita (Vladimir Nabokov, 1955). De même, sa fille Cheryl devait s’appeler Dolorès, comme dans le roman. Ces noms ont été changés car jugés trop inhabituels3. C’est aussi le cas d’Alessa, qui avait pour premier nom Asia, en clin d’œil à Asia Argento, fille du célèbre réalisateur italien Dario Argento (Suspiria, Les Frissons de l’angoisse) et de Daria Nicolodi. De fait, cette dernière a inspiré le nom de Dahlia Gillespie4.

Implication artistique

Le vrai génie de Silent Hill va peu à peu prendre forme par le concours de plusieurs artistes à l’identité marquée. Pour l’apparence des monstres, Naoko Sato et Masahiro Ito cherchent à sortir des terrains connus et optent pour une approche organique. Les créatures semblent avoir la chair à vif et leur aspect s’inspire des peurs du personnage central de l’histoire, Alessa, pour mieux développer la dimension psychologique du récit et de l’aventure.

La contribution de Takayoshi Sato est aussi essentielle. Fraîchement arrivé chez Konami, il s’occupe dans un premier temps du portage du jeu d’arcade Sexy Parodius sur consoles de salon - Saturn et PlayStation. À l’aise avec la 3D, bien plus que la plupart des employés de Konami d’alors, il pousse les producteurs à lui donner une place au sein de l’un des projets en cours de développement. Metal Gear Solid nécessitant des vétérans, il est assigné à Silent Hill, initialement pour créer des vidéos de démonstrations et s’occuper de petits détails graphiques.

Rapidement, il en vient à donner des cours de 3D aux employés, pour la plupart plus âgés que lui. Au sein de Konami, son jeune âge est malheureusement considéré comme une marque d’inexpérience, mais Takayoshi Sato compte bien prouver ses capacités. Il réalise les premières cinématiques en images de synthèse du jeu de son côté, sans aide, et en profite pour déterminer l’apparence de chaque personnage mais aussi leur animation, les décors, les jeux de lumière, le cadrage, etc. Il soumet son travail à la production, qui l’accepte mais envisage toujours de lui assigner un superviseur. Ne considérant pas en avoir besoin, et n’ayant guère envie de se voir crédité « assistant graphiste » alors même qu’il a effectué le travail de lui-même, Sato tente le tout pour le tout, comme il le révélera à Gamasutra en 2005 : « Une dispute a éclaté avec [mon supérieur] qui a fini par me demander “ est-ce que tu peux tout terminer tout seul ? ”, ce à quoi j’ai répondu “ Ok, je vais le faire ! ”. Et c’est ainsi que j’ai dû réaliser absolument toutes les cinématiques sans aucune aide. »

Pendant près de trois ans, Sato travaille d’arrache-pied et ne rentre quasiment jamais dormir chez lui. La nuit, les bureaux sont déserts et il en profite pour avoir accès aux ordinateurs des autres employés de Konami, ce qui lui facilite la tâche pour charger les nombreuses données. Le style visuel qu’il impose à travers les scènes cinématiques devient une source d’inspiration très forte pour le reste du projet.

L’ombre de Résident Evil

Les jeux entièrement en 3D sont encore une nouveauté dans le monde des consoles. Plutôt inexpérimenté dans le domaine d’un point de vue de la construction et du système de jeu, l’équipe en charge de Silent Hill doit improviser une grande partie du travail5. Ils décident d’exploiter une caméra dynamique, qui sera la plupart du temps derrière Harry en vue à la troisième personne mais qui pourra, à des moments précis, se placer sur des points éloignés avec des angles et des mouvements inattendus pour surprendre et dérouter le joueur, à défaut de faciliter les déplacements. La maniabilité s’inspire en effet de celle de Resident Evil avec les inversions de direction en fonction de l’angle de caméra.