Dark Souls: Par-delà la mort - Volume 2 - Damien Mecheri - E-Book

Dark Souls: Par-delà la mort - Volume 2 E-Book

Damien Mecheri

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Beschreibung

Alors que nous pensions avoir fait le tour du sujet dans le premier volume, ces deux jeux supplémentaires ont ouvert de nouvelles pistes de réflexion.

Dans ce deuxième volume consacré aux jeux passionnants que sont les Souls et Bloodborne, nous vous invitons à poursuivre l’exploration de leurs histoires cryptiques, à approfondir l’étude de leurs approches esthétiques et de leur philosophie ludique.
Les coulisses des développements, l’analyse des scénarios, les thématiques et les bandes-son de chaque jeu seront traitées dans cet ouvrage. Une dernière partie sera consacrée quant à elle au décryptage des deux titres, à la fois au regard de la série et sous l’angle de sujets transversaux n’ayant pas été abordés dans le premier volume, des influences esthétiques au marketing, en passant par des mises en perspective sur l’évolution des jeux.

Un livre indispensable pour tout aficionado de la série de jeux Dark Souls !

EXTRAIT

Durant l’été 2012, tandis que From Software achève de peaufiner le DLC du premier Dark Souls, « Artorias of the Abyss », le studio de développement est contacté par Sony. L’éditeur a retenu la leçon de Demon’s Souls ; le succès au long cours de l’œuvre de From Software est miraculeux. Souhaitant renouveler un partenariat aussi fructueux, Sony propose derechef un contrat d’exclusivité au studio. Dans le making of produit par IGN, Masami Yamamoto (responsable du développement externe chez Sony Japan Studios) évoque ces prémices : « D’habitude, ce sont les développeurs qui viennent nous présenter les idées. Bloodborne a été un cas particulier – on avait grande envie de travailler de nouveau avec Hidetaka Miyazaki, alors on est allés en parler directement à From Software. »
Dès le départ, pourtant, il n’est nullement question de réaliser un Demon’s Souls 2. Si la tentation est forte d’exploiter le filon d’une licence connue, l’attrait de la nouveauté l’est plus encore.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Adaptation de l’univers du jeu vidéo du même nom, cet album nous plonge dans un monde médiéval-fantastique, sombre et violent." - BulledEncre, Babelio 

À PROPOS DES AUTEURS

Passionné de cinéma et de jeu vidéo, Damien Mecheri intègre en 2004 la rédaction du magazine Gameplay RPG en signant plusieurs articles du hors-série n° 2 consacré à la saga Final Fantasy. Damien poursuit son travail avec cette même équipe dans une autre publication intitulée Background, avant de continuer l’aventure sur Internet en 2008 avec le site Gameweb.fr. Depuis 2011, il participe aux aventures de Mehdi El Kanafi et Nicolas Courcier, les deux fondateurs de Third Éditions.

Curieux de nature, rêveur contre nature, râleur chronique, mais également voyageur de passion, du réel à l’irréel, Sylvain Romieu explore aussi bien le monde que les univers virtuels, toujours à la recherche de découvertes enrichissantes ou de cultures hétéroclites. Développeur de métier, il a cependant attrapé sa modeste plume voilà quelques années afin de décortiquer au mieux les atouts et la richesse du monde merveilleusement créatif du jeu vidéo. Il écrit sur le site Chroniques ludiques, notamment sur le sujet des RPG, son genre de prédilection.

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Dark Souls. Par-delà la mort. Volume 2de Damien Mecheri et Sylvain Romieu est édité par Third Éditions 32, rue d’Alsace-Lorraine, 31000 TOULOUSE [email protected]

Nous suivre :  : @ThirdEditions  : Facebook.com/ThirdEditions  : Third Éditions  : Third Éditions

Tous droits réservés. Toute reproduction ou transmission, même partielle, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans l’autorisation écrite du détenteur des droits.

Une copie ou reproduction par quelque procédé que ce soit constitue une contrefaçon passible de peines prévues par la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la protection des droits d’auteur.

Le logo Third Éditions est une marque déposée par Third Éditions, enregistré en France et dans les autres pays.

Édition : Nicolas Courcier et Mehdi El Kanafi Textes : Damien Mecheri et Sylvain Romieu Relecture : Thomas Savary, Claire Choisy, Yves Choisy et Jean-Baptiste Guglielmi (préparation de copie) ; Zoé Sofer et Jérémy Daguisé (épreuves). Illustrations : Hubert Griffe Mise en pages : Julie Gantois Montage des couvertures : Frédéric Tomé Couverture classique : Jan-Philipp Eckert Couverture « First Print » : Hubert Griffe

Cet ouvrage à visée didactique est un hommage rendu par Third Éditions à la grande série de jeux vidéo Dark Souls.Les auteurs se proposent de retracer un pan de l’histoire des jeux vidéo Dark Souls dans ce recueil unique, qui décrypte les inspirations, le contexte et le contenu de ces volets à travers des réflexions et des analyses originales.

Dark Souls est une marque déposée de Bandai Namco. Bloodborne est une marque déposée de Sony Interactive Entertainment. Tous droits réservés. Le visuel de la couverture classique est inspiré des artworks des jeux de la série Dark Souls.Le visuel de la couverture « First Print » est inspiré des artworks du jeu Bloodborne.

Édition française, copyright 2017, Third Éditions.

Tous droits réservés.

ISBN 979-10-94723-76-0

PRÉFACE

SI DIRE aujourd’hui que la série des Souls a considérablement marqué les acteurs et les consommateurs du jeu vidéo sonne comme une tonitruante lapalissade, il peut être bon de se rappeler que tel n’a pas toujours été le cas. De se rappeler que nous avons été très nombreux à mesurer sa pleine ampleur avec un temps de retard. Ce n’est pas nécessairement que Demon’s Souls puis Dark Souls aient été mal aimés à leur sortie. En réalité, ils ont dans l’ensemble été plutôt bien reçus par le public et la critique... seulement ils l’ont souvent été comme de très bons jeux de niche réservés à des joueurs en manque de fessées et de désespoir. Mais les Souls ont toujours été plus que ça. S’ils n’avaient été « que » de très bons jeux, on n’écrirait sûrement pas de livres à leur sujet aujourd’hui.

Mais comment se reprocher tout à fait cette pleine appréciation à retardement, quand l’un des plus grands tours de force de la série est justement d’avoir osé le cryptique à une époque où le jeu vidéo se voulait toujours plus clair, toujours plus immédiat ? À la sortie de Demon’s Souls en 2009, et encore à celle du premier Dark Souls en 2011, nous n’étions tout simplement pas en mesure d’en appréhender correctement tous les aspects ni d’en découvrir tous les secrets. Il aura d’abord fallu assister à la merveilleuse mise en commun sur Internet des travaux de recherche de nombreuses personnes à travers le monde pour ne serait-ce que commencer à dessiner de façon à peu près nette les contours de l’histoire du premier Dark Souls. Il aura ensuite fallu constater son succès, puis voir de nombreux studios, indépendants et mastodontes réunis, en chanter les louanges ou s’en inspirer de manière plus ou moins directe et plus ou moins heureuse pour commencer à admettre son influence aujourd’hui indéniable sur l’ensemble de l’industrie. Il aura, enfin, fallu voir le jeu adoubé par la communauté du speedrun et du streaming pour finir par être assuré d’avoir affaire à un titre potentiellement immortel, qu’on verra encore longtemps aux côtés des traditionnels Zelda ou Castlevania chers aux GDQ1 et autres événements du genre.

Alors, aujourd’hui, effectivement, il devient un peu ridicule d’affirmer que les Souls ont marqué le jeu vidéo. Il s’agit du principe de la lapalissade : chacun le tient désormais pour une évidence, de sorte qu’il est devenu inutile de continuer à l’écrire. En quelques années seulement, la série est passée dans l’inconscient collectif du statut d’étrange entité obscure vaguement sadique à celui d’objet « hype » par excellence. Aujourd’hui il est de bon ton, et ce même si l’on n’y joue pas, de reconnaître l’importance des Souls et la manière impressionnante dont ils se sont dilués dans le média tout entier. Si c’est assurément plaisant à constater quand on apprécie la série depuis ses débuts, c’est peut-être aussi un peu injuste, d’une certaine façon. Parce qu’on passe tous, tout le temps, à côté d’énormément de choses. Des équivalents dormants de Dark Souls, il en existe sûrement aujourd’hui des dizaines, répartis dans autant de domaines culturels différents. Nos premiers jugements se montrent parfois si puissants qu’ils nous empêchent souvent d’apprécier correctement les objets qui savent proposer autre chose que ce qu’ils montrent en premier lieu. C’est une idée assez terrifiante, à laquelle les Souls ont simplement eu le mérite de donner corps en accédant rapidement à la reconnaissance publique.

Aussi, peut-être par culpabilité, peut-être par orgueil, et sûrement par un peu des deux, on veille désormais à ne plus rater une miette des différentes manifestations de l’importance de Dark Souls dans le jeu vidéo. Quitte, sûrement, à s’égarer un peu. On cherche - et on trouve toujours, quand on le veut vraiment - des références, des hommages ou des inspirations directes là où il n’y en a pas toujours. À tel point que la pratique est en passe de devenir un mème2. On évoque Dark Souls à la moindre occasion, au détour d’un Thumper3 s’il le faut, ou même d’un Zelda : Breath of the Wild, en oubliant en l’occurrence un peu vite l’immense héritage que les premiers Zelda ont justement pu transmettre à Dark Souls. Ce faisant, on ne rend justice ni à la série de From Software ni aux jeux qu’on essaie à tout prix de présenter comme ses rejetons. On simplifie à outrance des relations d’influence pourtant complexes et – c’est un comble ! – on prend le risque de passer une fois de plus à côté de nouvelles expériences qui ont autre chose à apporter qu’une simple et vague ressemblance avec les Souls.

Et, pendant ce temps, Hidetaka Miyazaki, père de la série, confie au magazine japonais Famitsu ne pas chercher à tout prix à créer de nouveaux jeux similaires à Dark Souls4. Quelque part, on lui souhaite effectivement d’arriver à s’émanciper de ses propres titres. Nous aurions sûrement tout à y gagner. Il pourrait se contenter de façonner des jeux qui lui plaisent, et de notre côté nous pourrions espérer découvrir de nouvelles recettes et de nouveaux univers marquants. En tâchant désormais de garder à l’esprit que le jeu vidéo (qu’il vienne de From Software ou d’ailleurs) sait aussi nous prendre par surprise, et qu’il convient donc de rester attentifs à tout ce qu’il nous propose. Car telle est bien la meilleure leçon à tirer de ce péché véniel d’inattention que nous avons pu commettre à l’égard de la série des Souls.

Mais, en attendant, quitte à vouloir à tout prix observer l’influence de Dark Souls, et puisqu’il est toujours intéressant de fouiller et de se poser des questions, peut-être aurions-nous tout intérêt à nous recentrer sur la série elle-même. Peut-être qu’au lieu de nous demander ce que Dark Souls a bien pu léguer au jeu vidéo, on pourrait laisser ses effets se distiller naturellement au fil du temps et commencer par nous demander ce que Dark Souls a bien pu laisser à Dark Souls. Autrement dit, essayer d’analyser et étudier les mutations plus ou moins subtiles de la série dans son propre périmètre.

Quelles conséquences a bien pu avoir ce succès fulgurant sur une série qu’ouvrait un premier jeu considéré comme foutu d’avance par From Software lui-même ? Comment Dark Souls III a-t-il abordé la conclusion d’un cycle narratif et ludique ? Comment Bloodborne a-t-il digéré une formule qui nous est désormais familière pour l’adapter à un univers entièrement différent ? Ces deux derniers jeux s’avèrent d’autant plus intéressants à analyser qu’ils marquent, après l’embryon Demon’s Souls, le premier-né Dark Souls, et surtout un Dark Souls II orphelin, le retour à la réalisation de Hidetaka Miyazaki, entre-temps promu PDG de From Software.

Et ça tombe très bien, puisque Damien et Sylvain se proposent justement de décortiquer maintenant pour nous ces deux monuments d’un cycle que l’on connaît désormais sous l’appellation de « Soulsborne ».

1 Les GDQ (AGDQ ou SGDQ pour Awesome/Summer Games Done Quick) sont des événements caritatifs américains où de nombreux joueurs et joueuses se succèdent pendant plusieurs jours d’affilée pour finir différents jeux en un temps record, tout en levant des fonds pour des organismes comme Médecins sans frontières ou la Prevent Cancer Foundation.

2 Sur le compte Twitter @xmeetsdarksouls notamment, qui, même s’il s’éloigne de plus en plus de son concept originel, s’attache toujours à compiler les comparaisons à Dark Souls abusives.

3 Jeu musical développé par Drool sorti en octobre 2016, souvent qualifié de « Dark Souls du jeu de rythme » au prétexte trop facile de sa difficulté et de son caractère oppressant.

4 Traduit depuis le japonais : http://gematsu.com/2017/03/dark-souls-iii-director-not-concerned-whether-not-next-game-resembles-dark-souls.

Kévin « Moguri » Cicurel

Après plusieurs années passées à travailler en tant que journaliste dans la presse spécialisée jeux vidéo pour des magazines comme Gameplay RPG, Role Playing Came et Consoles + ainsi que pour la chaîne de télévision Nolife, Moguri se demande toujours s’il a réussi à transformer une passion en travail, ou si c’est exactement l’inverse.

AVANT-PROPOS

TRAITER de Bloodborne dans un livre intitulé Dark Souls. Par-delà la mort peut paraître incongru. Quiconque se sera frotté au chef-d’œuvre gothique de From Software aura cependant noté les similitudes évidentes qu’il présente avec les Souls. Le lien de parenté est indéniable : ce n’est pas seulement que les œuvres affichent des traits communs, elles partagent un même ADN. Celui de Hidetaka Miyazaki, bien sûr, créateur pointilleux et obsessionnel qui pousse ses équipes à donner leur maximum et entend, dit-il, ne jamais se reposer sur ses lauriers.

Avec Bloodborne, le concepteur a conservé l’essence des Souls pour mieux s’en démarquer à l’aide d’un système de combat entièrement repensé et d’une atmosphère à la fois proche et très différente. Avec Dark Souls III, au contraire, il a préféré boucler la boucle en cherchant à atteindre une forme d’apothéose, aboutissement de sa série de dark fantasy, quitte à manquer d’idées neuves.

Dans le premier volume de Dark Souls. Par-delà la mort, nous avions de manière analogue inclus Demon’s Souls à notre analyse, dans la mesure où il ne s’agissait pas moins que de la matrice de la série. Inclure Bloodborne à cet ouvrage nous est apparu indispensable. Reprenant à son compte les éléments majeurs des Souls pour mieux les transformer, ce jeu témoigne de façon fascinante de l’évolution de la série. Il permet d’en remettre en perspective les éléments constitutifs et de mieux comprendre la réussite exceptionnelle de ces œuvres ainsi que l’impact qu’elles ont eu auprès d’un public avide de sensations inédites et d’expériences exigeantes, tant au niveau ludique qu’artistique.

Bloodborne et Dark Souls III marquent aussi pour la saga le saut de génération de consoles. Les performances des nouvelles machines ont libéré le talent des différents artistes à l’œuvre, en même temps que les plus gros moyens alloués à From Software ont définitivement fait basculer la série dans le domaine des productions dites AAA. Ces bouleversements logistiques et matériels ont été accentués par le recours généralisé à des studios sous-traitants, avec un impact évident sur la tenue technique des jeux, sans pour autant que ces derniers aient eu à pâtir de réels compromis artistiques.

Dans ce deuxième volume consacré aux jeux passionnants que sont les Souls et Bloodborne, nous vous invitons à poursuivre l’exploration de leurs histoires cryptiques, à approfondir l’étude de leurs approches esthétiques et de leur philosophie ludique. Par souci de clarté, Bloodborne et Dark Souls III seront traités dans un premier temps de manière séparée, dans deux « livres » distincts qui s’attarderont sur les coulisses du développement, l’analyse de l’histoire, les thématiques et la bande-son de chaque jeu. Le troisième et dernier « livre » de cet ouvrage sera quant à lui consacré au décryptage des deux jeux, à la fois au regard de la série et sous l’angle de sujets transversaux n’ayant pas été abordés dans le premier volume, des influences esthétiques au marketing, en passant par des mises en perspective sur l’évolution des jeux.

Bloodborne et Dark Souls III se révèlent à la fois différents et complémentaires. Ce qu’ils nous révèlent des créations de From Software, de la démarche de Miyazaki, mais aussi du marché du jeu vidéo et de la nature du médium apparaît comme enrichissant. Alors que nous pensions avoir fait le tour du sujet dans le premier volume, ces deux jeux supplémentaires ont ouvert de nouvelles pistes de réflexion. Nous espérons que l’ouvrage que vous tenez entre les mains saura attiser votre curiosité et votre soif de connaissance, mais aussi démontrer une fois de plus à quel point les Souls, ainsi que Bloodborne, ces action-RPG denses, terrifiants et mélancoliques, sont des œuvres vidéoludiques d’une richesse inouïe, dont la rigueur n’a d’égale que la confiance qu’ils placent dans le joueur.

Les auteurs

Damien Mecheri

Passionné de cinéma et de jeu vidéo, il intègre en 2004 la rédaction du magazine Gameplay RPG en signant plusieurs articles du hors-série n° 2 consacré à la saga Final Fantasy. Damien poursuit son travail avec cette même équipe dans une autre publication intitulée Background, avant de continuer l’aventure sur Internet en 2008 avec le site Gameweb.fr. Depuis 2011, il participe aux aventures de Mehdi El Kanafi et Nicolas Courcier, les deux fondateurs de Third Éditions. Damien est notamment l’auteur du livre Video Game Music. Histoire de la musique de jeu vidéo. Pour le compte de Third Éditions, il participe activement aux collections « Level Up » et « L’Année jeu vidéo ». Il a aussi écrit ou coécrit plusieurs ouvrages parus chez le même éditeur : La Légende Final Fantasy X, Bienvenue à Silent Hill. Voyage au cœur de l’enfer, L’Œuvre de Fumito Ueda. Une autre idée du jeu vidéo et, bien sûr, le premier volume de Dark Souls. Par-delà la mort.

Sylvain Romieu

Curieux de nature, rêveur contre nature, râleur chronique, mais également voyageur de passion, du réel à l’irréel, il explore aussi bien le monde que les univers virtuels, toujours à la recherche de découvertes enrichissantes ou de cultures hétéroclites. Développeur de métier, il a cependant attrapé sa modeste plume voilà quelques années afin de décortiquer au mieux les atouts et la richesse du monde merveilleusement créatif du jeu vidéo. Il écrit sur le site Chroniques ludiques, notamment sur le sujet des RPG, son genre de prédilection.

LIVRE PREMIER

BLOODBORNE

CHAPITRE PREMIER

CRÉATION

DURANT l’été 2012, tandis que From Software achève de peaufiner le DLC du premier Dark Souls, « Artorias of the Abyss », le studio de développement est contacté par Sony. L’éditeur a retenu la leçon de Demon’s Souls ; le succès au long cours de l’œuvre de From Software est miraculeux. Souhaitant renouveler un partenariat aussi fructueux, Sony propose derechef un contrat d’exclusivité au studio. Dans le making of produit par IGN, Masami Yamamoto (responsable du développement externe chez Sony Japan Studios) évoque ces prémices : « D’habitude, ce sont les développeurs qui viennent nous présenter les idées. Bloodborne a été un cas particulier – on avait grande envie de travailler de nouveau avec Hidetaka Miyazaki, alors on est allés en parler directement à From Software. »

Dès le départ, pourtant, il n’est nullement question de réaliser un Demon’s Souls 21. Si la tentation est forte d’exploiter le filon d’une licence connue, l’attrait de la nouveauté l’est plus encore.

Project Beast

From Software et Sony se mettent d’accord sur un point d’importance : le jeu sera destiné à la prochaine génération de consoles, en l’occurrence la PlayStation 4. Hidetaka Miyazaki, placé sans réserve à la tête du projet, y voit l’occasion de concevoir un jeu à l’âme proche des Souls, mais dans un univers différent, directement inspiré des romans gothiques – Dracula de Bram Stoker en tête – et des thématiques innervant les récits de Lovecraft. Depuis des années, Miyazaki rêve de donner vie à un décor s’inspirant des architectures gothiques et victoriennes. Le niveau de détail requis lui semblait toutefois ne pouvoir être atteint qu’avec une technologie supérieure, un confort que lui promet la PlayStation 4.

Le concept même du jeu trotte dans sa tête depuis longtemps, comme il le précisera à IGN en 2015 : « Les mécanismes du jeu ou la thématique gothique, par exemple, ce sont des concepts qui mûrissaient dans mon esprit et que j’ai toujours espéré mettre en œuvre dans ma carrière. » Cependant, il reconnaît aussi être en proie à une forte pression depuis le succès de Demon’s Souls et de Dark Souls – il sait que les fans l’attendront au tournant.

Le projet, baptisé Project Beast, débute réellement peu après la sortie d’« Artorias of the Abyss » en août 2012. En parallèle, From Software met en chantier Dark Souls II pour ne pas abandonner la poule aux œufs d’or. Miyazaki reste à l’écart de cette suite, confiée à Tomohiro Shibuya et Yui Tanimura, avec le soutien du président de From Software et créateur des King’s Field, Naotoshi Zin, qui supervise le système de jeu.

De son côté, Hidetaka Miyazaki constitue un cœur d’équipe de confiance avec des collaborateurs réguliers, comme le programmeur principal Jun Itô (déjà à ce poste dans Demon’s Souls et Dark Souls), le compositeur et responsable audio Tsukasa Saitô (les Armored Core) ainsi que la plupart de ses artistes habituels : Daisuke Satake, Masanori Waragai ou encore Hiroshi Nakamura. Le succès de Demon’s Souls et plus encore celui de Dark Souls ont aussi permis à From Software de grossir significativement ses rangs. Au total, ce ne seront pas moins de cinquante programmeurs qui prendront part au projet, auxquels s’ajouteront une vingtaine de concepteurs de systèmes de jeu et une cinquantaine de personnes affectées à la création visuelle (animation, décors, personnages...). Grâce à l’appui financier de Sony, de nombreux studios japonais, chinois et taïwanais travailleront en outre en sous-traitance durant la production, essentiellement pour apporter de l’aide en matière graphique et esthétique.

En somme, une équipe particulièrement volumineuse pour faire de Project Beast une exclusivité majeure de la PlayStation 4, comptant énormément sur la communauté des Souls pour lui assurer un minimum de succès, avec l’espoir aussi d’attirer des nouveaux venus par une licence et un univers inédits. Toujours enclin à superviser chaque détail de son œuvre, Hidetaka Miyazaki doit redoubler d’efforts et d’attention pour diriger une équipe aussi conséquente, d’autant que son statut au sein de l’entreprise va bientôt radicalement évoluer.

Autrefois détenu majoritairement par l’actionnaire Transcosmos, From Software est racheté à hauteur de quatre-vingts pour cent par Kadokawa Corporation en avril 2014. En résultent des changements majeurs au sein du studio, le plus important étant la nomination de Hidetaka Miyazaki au poste de président : une promotion qui récompense son investissement total dans l’entreprise depuis son embauche en 2004, et bien sûr l’argent qu’il a rapporté au studio grâce aux ventes des Souls. Toutefois, si Miyazaki accueille cette nouvelle fonction avec joie, son objectif premier a toujours été de faire œuvre de créateur : pas question pour lui d’abandonner son poste de directeur créatif. Ses conditions sont acceptées et il reste ainsi à la tête du Project Beast – tout en nommant au poste de concepteur principal Kazuhiro Hamatani (Ninja Blade, Metal Wolf Chaos) afin d’alléger sa charge de travail. Miyazaki est intronisé président le 21 mai 2014, date officielle du rachat de From Software, et période à laquelle les premières rumeurs autour du Project Beast atteignent le public. Les premières images laissent entrevoir d’importants points communs avec les Souls, notamment le mur de brume marquant l’accès à une salle de boss.

C’est en juin 2014, à l’occasion de l’E3, que From Software révèle le jeu officiellement ainsi que son véritable titre, Bloodborne, par une vidéo en images de synthèse, que l’on retrouvera avec l’écran-titre de la version définitive du jeu. Quelques jours plus tard fuite une autre bande-annonce mettant en scène des phases de jeu, qui fait frissonner la Toile2. Plus dynamique et sanguinolent que les Souls, Bloodborne en est toutefois l’héritier direct et en partage l’imagerie horrifique.

Chasser les cauchemars

Le projet Bloodborne s’articule à ses débuts autour de deux concepts majeurs : « explorer l’inconnu » et « se battre pour sa vie ». Au premier abord, ces thématiques pourraient tout aussi bien définir n’importe quel épisode des Souls, mais ce nouveau jeu va en donner une illustration singulière. L’objectif de Miyazaki est de proposer des affrontements plus énergiques, qui réclament au joueur d’adopter une posture plus agressive que dans les Souls. Le poids des équipements n’est plus pris en compte, afin de favoriser les roulades et les esquives. Les armures font ainsi place à des tenues – le personnage est plus léger et rapide, mais cela renforce aussi chez le joueur le sentiment de la vulnérabilité de son avatar. Quant au bouclier, il n’est plus amené à jouer de véritable rôle3.

Pour pallier cette absence de protection, Bloodborne introduit les armes à feu. Miyazaki explique en 2015 ce choix difficile auprès de 4Gamer : « En réfléchissant à la manière dont je pourrais donner corps à cette idée de combats plus actifs, je me suis dit que les armes à feu pourraient se montrer efficaces. Cependant, je ne voulais pas faire du jeu un shooter. Je voulais que les armes à feu ne soient véritablement utiles qu’au corps à corps. » En permettant d’interrompre au moment propice les attaques ennemies par un tir bien choisi, puis d’enchaîner avec une contre-attaque dévastatrice (dite « viscérale »), les armes à feu suppléent le bouclier des Souls dans la fonction de « parade » – une possibilité à laquelle recourir avec parcimonie, néanmoins, en raison d’un nombre de balles très limité, ce qui permet à Bloodborne de ne pas entrer dans la catégorie des jeux de tir.

Bloodborne est en effet conçu avec la même philosophie que les autres jeux de From Software : le joueur est placé au cœur d’un environnement hostile parsemé d’épreuves particulièrement difficiles qui, surmontées, lui permettront de ressentir la joie et l’exaltation d’avoir triomphé de ces abominations. Pour Miyazaki, l’intérêt réside aussi dans la manière dont le joueur s’approprie l’expérience. Le choix des armes et des objets s’inscrit dans une logique de jeu de rôle et de personnalisation. Bloodborne propose pourtant moins d’armes qu’un Souls, choix assumé du créateur, qui en 2015 s’expliquait auprès de PlayStation Blog : « La variété est toujours là, mais on la retrouve plutôt au niveau de la customisation que dans la quantité d’armes4. » Les ressemblances avec les Souls n’en restent pas moins nombreuses : les fioles de sang remplacent par exemple les fioles d’estus pour le soin, avec un retour aux objets consommables comme dans Demon’s Souls et Dark Souls II ; similaire à celle des âmes, la fonction des « échos de sang » est de permettre de monter en niveau auprès de la poupée du rêve du chasseur, dont le rôle l’inscrit ainsi dans la lignée de la jeune fille en noir de Demon’s Souls ou de la messagère d’émeraude de Dark Souls II.

Les points de lucidité viennent quant à eux remplacer les points d’humanité de Dark Souls – ils servent de la même manière aux interactions en ligne, avec toutefois des différences notables qui sont propres à l’univers de Bloodborne.

Avec l’appui des studios de Sony, qui partagent leur expertise, From Software soigne chaque détail du système de combat pour proposer l’expérience qui se rapproche le plus de l’idée de « se battre pour sa vie ». Seulement, le fait de pousser le joueur à se lancer dans la mêlée accroît la difficulté des affrontements. En guise de récompense à la hardiesse que requièrent les combats, l’équipe imagine alors le système qui permettra au joueur de regagner de la vie durant un court laps de temps après s’être fait toucher en attaquant directement l’ennemi. Miyazaki reviendra sur ce point dans le guide officiel : « L’idée du système de regain nous est venue pour accroître ce sentiment de se battre dans une lutte pour la vie. Cela transforme le principe de défense en quelque chose de plus actif, et cela invite le joueur à adopter une approche plus fataliste du combat, accentuant ce sentiment de lutte pour la vie. C’est ce qui a servi à la fois d’inspiration et d’objectif à atteindre avec le système de regain de vie. »

Pour Miyazaki, la difficulté n’a jamais été une fin en soi, mais plutôt un moyen permettant de donner naissance au fameux sentiment d’accomplissement qu’il ne cesse de mettre en avant depuis l’époque de Demon’s Souls. De fait, lors d’un entretien pour PlayStationLifeStyle en octobre 2014, le producteur Masaaki Yamagiwa n’hésite pas à rappeler que la clef du succès se trouve dans la stratégie et la patience : « On veut être certain que notre message passe : quand on joue au jeu, il ne demande pas de super réflexes ni une grande dextérité. Du moment que l’on observe la situation et que l’on apprend les mouvements de l’intelligence artificielle, on peut vaincre les ennemis. » Un discours marketing évident pour rassurer les éventuels nouveaux joueurs, mais aussi le reflet d’une approche subtile de la difficulté.

Comme pour les Souls, Miyazaki a tenu à ce que les ennemis inspirent de la peur au joueur de Bloodborne. L’idée de combat à mort est accentuée par les nombreuses éclaboussures de sang qui rythment les affrontements, un choix esthétique risqué, car le directeur créatif voulait à tout prix éviter aux joutes de basculer dans le grotesque du fait de cette profusion, ce que permit d’éviter le soin apporté à la direction artistique et l’approche effrayante de l’univers.

Les dédales de la terreur

Auprès de PlayStation Blog, Hidetaka Miyazaki explique son attrait pour l’horreur : « Que ce soit la nature ou la société, notre environnement est souvent violent et cruel – c’est ce qui est retranscrit dans mes jeux. » Il tempère cependant ses propos en expliquant que son goût pour les terreurs lovecraftiennes soutient avant tout la démarche derrière le jeu : « Ce n’est pas qu’on cherche nécessairement à faire de l’horreur, mais c’est important de faire ressentir la peur et la terreur, car ces émotions sont directement liées à l’objectif d’amener le joueur à les surmonter pour éprouver une sensation d’accomplissement5. »

L’univers de Bloodborne, on l’a dit, puise sa source dans les écrits de Lovecraft et la littérature gothique, qui ont conduit les équipes de From Software à se rendre en Roumanie et en République tchèque pour s’inspirer des architectures locales. Quant à l’atmosphère victorienne, elle naît en particulier de petites touches apportées aux décors d’inspiration médiévale, comme ces lampadaires de rue typiques. Miyazaki, ici, n’a pas tant voulu évoquer le Londres du XIXe. siècle que des villes un peu éloignées de la capitale, en mêlant architecture de vieilles cités gothiques et celle de bourgades qui auraient pu exister à l’époque victorienne. La PS4 permet aux concepteurs d’atteindre un haut niveau de détail, ainsi que le souligne le programmeur en chef Jun Itô dans le making of : « Le processus de création n’a pas vraiment changé ; il est toutefois évident que les capacités de la mémoire et des processeurs se sont davantage accrues entre la génération de la PS3 et celle de la PS4 qu’entre la PS2 et la PS3. » Avec son équipe de programmeurs, il mettra l’accent sur les textures et l’aspect des vêtements : « On a utilisé une grande partie de la puissance du processeur pour le rendu des tissus, donc nos efforts en tant que programmeurs seront récompensés si le joueur ressent qu’il s’en dégage une certaine douceur. »

L’apparence des personnages renvoie aussi directement à l’ère victorienne à travers de nombreux détails vestimentaires. « En créant ces designs, j’ai réfléchi à la manière de concevoir ces chasseurs de différentes façons, en fonction de leur propre expertise et de leurs préférences personnelles », explique l’artiste Tetsu Takahashi dans le making of, soulignant l’importance de doter chaque faction du jeu d’attributs visuels à la fois facilement identifiables et cohérents.

Pour immerger le joueur dans cet univers, l’exploration a été pensée dans la perspective de réunir les meilleurs aspects de Demon’s Souls et de Dark Souls. Du premier, Bloodborne a conservé la présence d’un « hub » (ici le rêve du chasseur) accessible à tout moment grâce à des téléporteurs disséminés dans le niveau ; du second, l’idée d’un monde où les zones sont pour la plupart interconnectées, et où il est possible de débloquer des raccourcis entre les lieux. En définitive, cet aspect reste toutefois moins prononcé que dans Dark Souls, en raison notamment des multiples niveaux de réalité présents dans Bloodborne, le rêve, le réel, le cauchemar...

Toujours aussi pointilleux sur la création des niveaux, Miyazaki a dessiné lui-même toutes les cartes des zones du jeu6. Sa méthode de conception et de supervision n’a pas changé, il veut s’assurer que le moindre détail est en place et répond à ses critères esthétiques, entre sophistication et élégance. En 2015, il expliquait à 4Gamer.net la philosophie actuelle de From Software : « En matière de conception, notre approche n’est pas d’avoir un designer en chef pour chaque division, mais plutôt un directeur créatif travaillant avec chacun des designers7. » La plupart de ses coéquipiers sont maintenant habitués à travailler avec lui et connaissent son approche, notamment les membres de la division artistique, qui ont appris à déchiffrer les mots-clefs qu’il leur fournit pour stimuler leur créativité.

Cette fois-ci, Miyazaki a choisi d’adapter la peur de l’ineffable qui sous-tend les histoires terrorisantes de Lovecraft. Un objectif qui a pu inspirer les artistes conceptuels, à l’image de Tetsu Takahashi : « J’ai essayé de décrire la peur ou la panique que les gens ressentent face à l’inconnu ou quelque chose qu’ils ne comprennent pas. [...] J’ai aussi essayé de représenter les ténèbres qui naissent d’une psyché abîmée. »

Une histoire tentaculaire

De fait, la méthode de narration cryptique de Miyazaki, qui nécessite d’être décodée par la lecture attentive des descriptions d’objet, l’écoute de chaque personnage et l’observation du décor, trouve ici sa pleine mesure. Dans le guide officiel de Bloodborne, il avoue d’ailleurs son goût des récits difficiles à déchiffrer : « J’ai un pendule virtuel dans ma tête. Généralement, quand je fais un jeu difficile à comprendre et basé sur l’interprétation, le jeu suivant est plus simple à comprendre. Armored Core 4 a été mon premier jeu en tant que directeur créatif, et il était très difficile à comprendre. Mais, ensuite, For Answer fut bien plus accessible. Puis Demon’s Souls se montra difficile à comprendre, Dark Souls plus accessible, et maintenant Bloodborne, qui est de nouveau complexe. »

Son souhait premier est de laisser aux joueurs une grande marge d’interprétation : il adore lire les différentes théories et analyses qui circulent sur Internet. S’il écrit lui-même l’ensemble des histoires, il demande néanmoins son avis à l’équipe8. Ainsi, au début du développement, il crée un forum sur lequel il expose toutes ses idées, qui sont ensuite discutées9.

Toute la thématique centrale du jeu tourne autour de la transcendance intellectuelle et de la répression des pulsions, comme il le précise dans le guide officiel du jeu : « L’envie irrépressible de se transformer en bête va à l’encontre de l’humanité élémentaire que nous possédons tous. Notre humanité agit comme une entrave à cette pulsion, qui empêche cette transformation en bête. Plus forte est l’entrave qui réprime cette envie, plus important sera le contrecoup lorsque cette entrave sera brisée. » Le créateur de Bloodborne s’inspire parfois de détails de son nouveau quotidien, comme il le révélait en 2015 avec humour au Guardian : « Maintenant que je suis président, je rencontre d’autres patrons. Ce sont des gens vraiment bizarres, ils me fascinent. Je suis parti de certains pour en faire des ennemis dans mes jeux. »

Cependant, même s’il dispose d’une entière liberté créative, Miyazaki retirera certains éléments du jeu définitif, jugés par son équipe beaucoup trop sombres, voire fous. Il n’hésite d’ailleurs pas à rendre hommage aux membres de From Software qui ont donné vie à des idées ayant marqué les joueurs. Ainsi précise-t-il dans le guide officiel que c’est au concepteur Masaru Yamamura que l’on doit les réponses de la poupée aux postures des joueurs.

Une expérience partagée

Là où le mode en ligne gratuit de la PS3 l’avait poussé à imaginer le multijoueur asynchrone révolutionnaire de Demon’s Souls, Miyazaki doit se creuser les méninges afin de trouver une nouvelle idée pour Bloodborne. Si les fonctionnalités en ligne ressemblent certes à s’y méprendre à celles des Souls (messages au sol inscrits par les autres joueurs, possibilité d’envahir ou risque de se faire envahir, factions...), les donjons Calice représentent une nouveauté notable.

Inspiré par la fonction « Share » (partage) de la PlayStation 4 et par l’effervescence croissante de la communauté Souls10, Miyazaki imagine le concept de ces donjons qui peuvent être générés aléatoirement et partagés entre joueurs. L’objectif est d’offrir la possibilité de continuellement renouveler le plaisir de la découverte procuré par le jeu. En donnant accès à un contenu « illimité », Miyazaki espère que les joueurs partageront le maximum d’informations et s’entraideront pour terminer les donjons. Pour lui, l’idée n’est pas tant de s’inspirer du genre des rogue-like (dont les donjons aléatoires sont l’une des composantes traditionnelles) que d’encourager les discussions entre joueurs. Dans la continuité du mode en ligne de Dark Souls II réalisé en parallèle, From Software répond ainsi aux nombreuses demandes des fans en facilitant dans Bloodborne les connexions entre joueurs.

Victoire et prolongation

Les derniers mois de la conception seront consacrés à de multiples sessions de tests pour dénicher les bugs, cependant qu’une équipe entière travaillera à l’équilibrage du niveau de difficulté. Les équipes de From Software et Sony vont faire leur possible pour optimiser le jeu en visant une moyenne de trente images par seconde pour obtenir le meilleur compromis entre la fluidité nécessaire aux combats et les nombreux éléments à afficher. Si au dire de Miyazaki la PS4 s’est révélée simple à programmer, leur offrant un confort certain dans l’élaboration d’architectures complexes et de riches animations, le résultat final n’est pas aussi parfait qu’escompté.

À sa sortie mondiale, comprise entre le 24 et le 27 mars 201511, Bloodborne accuse des temps de chargement beaucoup trop longs et quelques baisses occasionnelles du taux d’images par seconde — problème qui ternissait déjà certaines phases de Dark Souls. Rapidement, From Software fait son possible pour sortir des correctifs, situation qui déplaît à Miyazaki, mais qu’il juge indispensable : « Je suis sûr que les joueurs préféreraient qu’on sorte un jeu sans imperfections, et il est normal d’avoir une telle attente, mais, pour être réaliste, je considère que les correctifs sont nécessaires. »

En dépit de ces problèmes, le jeu reçoit un accueil critique et public quasiment unanime. Il s’écoule à plus d’un million d’exemplaires en moins d’un mois et franchit la barre des deux millions au cours de l’été 2015 : un joli succès qui dépasse les attentes déjà élevées de Sony et rejoint celui des Souls, imposant Bloodborne comme l’une des exclusivités majeures de la PS4, mais aussi comme l’un des jeux les plus appréciés de la nouvelle génération de consoles. De plus, pour la première fois dans l’histoire de la série, le jeu bénéficie d’un doublage en plusieurs langues (anglais, français, espagnol, japonais...), quand les précédents épisodes étaient uniquement en anglais.

Rapidement, un DLC est mis en chantier pour tirer profit de cette réussite et offrir aux joueurs un prolongement de l’univers de Bloodborne. Au dire du producteur Masaaki Yamagiwa, ce sont au départ deux DLC qui sont envisagés, mais très vite From Software décide de les fusionner en une seule aventure, qui sera baptisée « The Old Hunters ». Miyazaki souhaite saisir l’occasion de dissiper certaines zones d’ombre du scénario, en suggérant notamment les origines de la poupée du rêve du chasseur, mais aussi en articulant le récit autour de l’un des Grands évoqués dans le jeu, Kos.

À l’écoute des joueurs, l’équipe de From Software ajoute aussi dans le DLC plus d’une dizaine de nouvelles armes aux propriétés très variées, en réponse aux reproches concernant le faible nombre d’armes que proposait le jeu d’origine. Une grande attention est portée à la confection de « The Old Hunters », qui introduit trois zones supplémentaires et cinq boss inédits. Grâce à l’appui de Sony, le DLC aura même disposé du budget nécessaire pour enregistrer avec un orchestre les nouvelles musiques, afin de ne pas créer de rupture avec la bande-son de Bloodborne12.

« The Old Hunters » sort le 24 novembre 2015 et reçoit des louanges similaires à celles ayant salué le jeu original, en dépit de quelques critiques concernant la difficulté un poil trop élevée de certains boss, ou la trop grande rareté d’objets permettant d’améliorer les nouvelles armes au maximum13. Des réserves qui restent secondaires, comparées à l’aura dont jouit Bloodborne. Hidetaka Miyazaki a réussi son pari, celui d’imposer avec succès une œuvre originale ne portant pas le nom de Souls, bien qu’elle en ait l’âme. Une réussite qui confirme les propos tenus à son sujet dans le making of par Masami Yamamoto (responsable du développement externe de Japan Studio) : « Peu importe qu’ils aient été créés au Japon et qu’il y ait des différences culturelles avec les autres pays, Miyazaki crée des jeux qui résonnent chez les gens du monde entier. »

1 Dans l’une des versions alpha de Bloodborne, un bug permettait aux joueurs d’affronter Gascoigne. Ce dernier utilisait l’expression « Umbasa » dans l’un de ses dialogues, référence directe à Demon’s Souls qui fit cogiter de nombreux fans.

2 Cette vidéo dévoile aussi des éléments qui ont changé au cours de la production : la présence d’armes inédites ou encore l’emplacement d’Ebrietas, qui se trouvait alors dans la grande cathédrale, là où l’on affronte Amelia dans le jeu définitif.

3 La description du bouclier de bois constitue une note d’intention évidente : « Bouclier en bois brut utilisé par les masses populaires qui ont rejoint la chasse. Les chasseurs n’utilisent généralement pas de bouclier, inefficace face à la puissance des monstres. Les boucliers peuvent être pratiques, tant qu’ils ne suscitent pas la passivité. »

4 Le système de jeu et la maniabilité changent grandement en fonction des armes, qui de plus sont chacune utilisables sous deux aspects aux coups et types de dégât différents, une capacité utilisable à volonté sur simple pression de la touche L1.

5 Une interview réalisée par IGN en 2015 démontre aussi que le créateur des Souls ne s’intéresse pas qu’aux univers morbides : « J’ai toujours eu envie de créer quelque chose de coloré ou chaleureux, mais personne ne me croit », précise-t-il avec humour. Toutefois, dans le guide officiel, il avoue être « jaloux des gens qui ont peur du noir ».

6 À l’exception de celles des donjons Calice.

7 Cela dit, dans les faits, il y a bien à chaque fois un « designer en chef » dans les divisions essentielles : son, graphismes, système de jeu... La différence vient du fait que Miyazaki donne lui-même les directives dans chaque secteur, il coordonne et vérifie tout.

8 Il en est de même pour les noms d’objet, qu’il adore choisir lui-même : « Je fais attention à l’étymologie des mots, à leurs sonorités, à leur cohérence culturelle, etc. » Il n’en demeure pas moins réceptif aux suggestions de son équipe et de Frognation, l’entreprise chargée des traductions anglaises depuis Demon’s Sou/s.

9 Pour l’anecdote, parmi ses personnages préférés se trouvent les érudits comme Freke le Sage de Demon’s Sou/s, Iosefka et Willem de Bloodborne ; il se dit triste que ces derniers ne soient pas vraiment populaires.

10 Le créateur de la série le confie à PlayStation Blog : « Je vais sur Internet et j’adore lire ce que la communauté écrit au sujet de mes jeux. » Il se dit même heureux à chaque fois qu’on le questionne sur les raisons qui l’ont poussé à créer des jeux difficiles. Quant au point qui l’a le plus surpris, il s’agit des speedruns, une approche qu’il n’avait pas du tout anticipée en concevant les jeux.

11 La date de sortie avait été initialement fixée au 6 février 2015, mais en novembre 2014 le jeu a été repoussé d’un mois et demi afin de régler certains détails et problèmes remarqués par les joueurs lors de la phase d’alpha fermée ayant eu lieu sous la forme de sessions de test de trois heures, les 1er, 3 et 5 octobre 2014.

12 Le DLC du premier Dark Souls, « Artorias of the Abyss », n’avait pas eu droit à une bande-son enregistrée avec de vrais instruments comme dans le jeu d’origine. Pour plus d’informations sur la musique de Bloodborne et les coulisses de sa création, lire le chapitre qui leur est consacré.

13 Le correctif 1.09 a permis de pallier ce problème, avec notamment la possibilité d’échanger un rocher de sang contre soixante points de lucidité.

CHAPITRE DEUX

UNIVERS

Introduction aux nouveaux thèmes

Si Demon’s Souls et les deux Dark Souls naviguaient sur la thématique de la mort et des âmes, Bloodborne change quelque peu l’approche en tissant son univers et son récit sur la trame d’autres thèmes, également universels et riches en symboles : sang, folie, lune, chasse (et par conséquent bestialité) se retrouvent cette fois-ci au centre de l’intrigue — une intrigue d’ailleurs complexe, bien plus que celles des Souls, notons-le, qui aborde un grand éventail de sujets, comme l’évolution de l’espèce ou l’évocation de différents plans d’existence, en passant par le désir, inassouvissable, de donner la vie. Cette complexité se trouve accrue par le recours à de nombreux noms propres aux graphies inhabituelles comme Byrgenwerth ou Pthumeru et, surtout, par le manque de précisions sur bon nombre d’éléments cruciaux propres à l’univers de Bloodborne. Mettre à plat l’histoire du jeu requiert de ce fait davantage encore de conjectures ou d’interprétations que le demandaient les Souls en leur temps. Qu’importe ! C’est précisément à cela qu’invite la narration singulière des jeux de Hidetaka Miyazaki. Les indices se nichent dans chaque recoin du décor, derrière chaque description ou le moindre dialogue, sur les vêtements que portent les personnages, parfois même dans leur voix ou leurs gestes, mais également dans la musique ou encore dans la disposition des différents objets. Ainsi est-ce avec brio que Bloodborne fait fructifier l’héritage narratif des Souls, que cette nouvelle création entend même transcender par ses thématiques.

Présentation des principes de l’univers

Avant de présenter l’histoire de Bloodborne, il convient de prendre connaissance des grands principes qui en régissent l’univers, tellement différent de celui des classiques du genre.

Humains et Grands

Il faut commencer par distinguer plusieurs formes de vie évoluant dans Bloodborne. Les humains constituent l’espèce principale du jeu, en tout cas celle au centre du récit. Ce dernier se concentre essentiellement sur la ville humaine de Yharnam et ses environs. Sont bien évoquées d’autres contrées lointaines, sans toutefois plus de précisions — l’on a du reste peu souvent l’occasion de croiser d’êtres humains qui en sont originaires.

Outre les habitants de Yharnam, l’histoire du jeu évoque les Pthumériens, sujets d’un très ancien royaume disparu. Des vestiges de leur mystérieuse civilisation furent jadis découverts au sein de labyrinthes enfouis sous Yharnam. Les recherches archéologiques permirent de démontrer que les Pthumériens possédaient d’étranges pouvoirs, empruntés à des entités divines appelées « les Grands ».

Les Grands sont les dieux de Bloodborne1, ou en tout cas sont considérés comme tels par les humains, qui se montrent fascinés par l’immortalité et le pouvoir de ces êtres supérieurs pourtant méconnus. Un pouvoir occulte auquel il est difficile et dangereux d’accéder, qui rendra fous ceux qui le frôleront trop. De leur côté, les Grands méprisent les humains, qu’ils envient toutefois pour leur fertilité, car les enfants des Grands viennent au monde systématiquement mort-nés. Les Grands regroupent en réalité plusieurs espèces, dont certaines se manifesteront auprès du joueur. Par exemple, espèce de Grand assez courante, les amygdalæ possèdent la forme insolite d’une araignée gigantesque associée à un squelette anthropomorphe. Ces êtres évoluent sur un autre plan d’existence, normalement invisible et inaccessible. Cependant, cette dimension cachée interfère avec celle des humains à l’occasion d’un événement rare : une pleine lune de couleur rouge, manifestation annonciatrice de malheur sur laquelle nous reviendrons. D’autres Grands se présentent en revanche comme des individus uniques, par leur forme ou leurs mœurs, tels la Présence Lunaire, Kos, ou encore Oedon l’Éthéré.

Plans d’existence

L’univers de Bloodborne s’articule autour de plusieurs plans d’existence. Si la plupart d’entre eux restent indépendants, il arrive que certains s’entremêlent, provoquant des apparitions inattendues ou des modifications de l’état mental, voire physique des habitants de l’un de ces plans. Par exemple, nous venons de le voir, l’apparition de la lune rouge révèle les multiples amygdalæ ; on les trouve ainsi tranquillement juchées sur les bâtiments de la ville de Yharnam. Pour peu que l’avatar du joueur possède plus de quarante points de lucidité2, il lui est alors possible d’apercevoir les monstruosités perchées sur les toits de la ville, bien avant l’apparition de la lune sanglante, détail qui prouve la présence de cet autre plan d’existence, invisible aux yeux de la plupart des mortels.

Il existe encore d’autres plans d’existence comme le cosmos, d’où plusieurs Grands tirent une partie de leurs pouvoirs, certains en étant même originaires. Ebrietas se voit ainsi surnommée la Fille du Cosmos. Lors de l’apparition du boss Celui qui renaquit, invoqué par le tintement de cloches agitées par des sorciers depuis les remparts, on a en outre le temps d’apercevoir une nébuleuse sur fond d’étoiles. Selon la description faite de la cloche du Chœur, « émettant un son ésotérique à travers les plans d’existence », il est possible d’établir une communication avec ces derniers grâce aux carillons, d’appeler d’autres joueurs, de les envahir, ou, comme dans le présent exemple de Celui qui renaquit, d’invoquer un être supérieur.

On mentionnera enfin une dernière catégorie de plan d’existence, se démarquant des autres : celle des rêves et des cauchemars, où résident les Grands les plus puissants.

Rêves et cauchemars

Quelques niveaux prennent place à l’intérieur de rêves et de cauchemars, où certaines lois universelles ne semblent pas s’appliquer de la même manière que dans le monde réel. Ainsi, le rêve du chasseur puis le cauchemar du chasseur (dans le DLC « The Old Hunters ») et le cauchemar de Mensis représentent les trois lieux oniriques connus de Bloodborne. Dans ces reflets déformés et fantasmagoriques d’environnements déjà visités, la physique habituelle s’applique pourtant, de sorte qu’on les parcourt comme d’autres endroits réels. Certains détails n’en rappellent pas moins leur appartenance au monde des songes. Par exemple, une fois vaincu le boss du lieu, ce n’est pas l’habituel « Proie abattue » qui apparaît à l’écran, mais « Cauchemar éliminé ». D’autre part, dans les rêves n’apparaissent pas les indices chronologiques liés à la quête principale du jeu, à savoir l’enchaînement du crépuscule avec la nuit et sa petite lune, puis la pleine lune, grande et majestueuse, avant de terminer sur la lune rouge sang. Rêves et cauchemars sont certes associés eux aussi à une lune, mais la lumière de cette dernière s’avère constante, quel que soit le stade du jeu, comme si le temps y demeurait figé. Dernière particularité, peu commune, les songes ont été créés par un Grand : le rêve du chasseur est l’œuvre de la Présence Lunaire ; on doit à Kos le cauchemar du chasseur, et le cauchemar de Mensis se termine au moment de la défaite de la Nourrice de Mergo. Certains Grands comme les amygdalæ sont absents des rêves, peut-être pour une raison de hiérarchie entre les différentes espèces de Grands. Le joueur devra tout de même en affronter un représentant dans un endroit éthéré et comme irréel par rapport au reste du monde, la frontière des Cauchemars. Nous reviendrons sur chacun de ces rêves et leurs auteurs dans notre présentation de l’histoire, mais il nous a semblé intéressant de noter déjà que cet univers de songes appartient plutôt aux Grands, tandis que le monde réel est essentiellement occupé par l’espèce humaine.

Il est probable que ces différents plans d’existence, incluant rêves et cauchemars, soient structurés en couches empilées les unes sur les autres. C’est en tout cas ce que laissent entendre quelques indices au cours de l’aventure. En effet, il est possible depuis certains endroits d’apercevoir des éléments d’autres zones. Par exemple, depuis le village de pêcheurs, on voit le sommet des bâtiments de la cité de Yharnam surgir des profondeurs de l’océan ; la ville n’a pourtant jamais été engloutie : il s’agit là d’un aperçu de la couche inférieure, où se situe le plan d’existence de Yharnam ! Autre exemple, au-dessus du village de pêcheurs (dans le cauchemar du chasseur créé par Kos), se trouve un endroit nommé la frontière des Cauchemars depuis lequel on peut discerner des mâts de bateaux s’entrechoquant au fond du vide vertigineux sur lequel semble flotter ce monde : évidemment, il s’agit là des embarcations des habitants du village de pêcheurs. Enfin, les contours du château du cauchemar de Mensis apparaissent au loin, en hauteur, dans la brume de la frontière des Cauchemars. Cette structuration verticale des plans apparaît plus manifeste encore lorsque des sons3 viennent profondément perturber certains habitants de ces mondes : le bruit d’un voisin directement situé au-dessus ou au-dessous de notre habitat sera forcément plus perceptible (et agaçant à la longue) qu’un vacarme lointain.

Sang et lucidité

Dernières notions à appréhender avant de se plonger dans l’univers fascinant de Bloodborne : le sang et la lucidité. Si les humains se servent de ces éléments pour accéder à la « vérité occulte », à savoir un stade supérieur de leur évolution, équivalent à celui des Pthumériens, sang et lucidité possèdent toutefois des propriétés complètement opposées. Le sang attise le côté bestial et par conséquent la puissance physique et l’habileté, tandis que la lucidité exalte à l’extrême l’esprit, le savoir, la connaissance, et donc les aptitudes cérébrales. Lorsqu’un humain ingère trop de sang, sa lucidité s’amenuise, et il finit par se transformer en « bête sanguinaire ». En revanche, en accumulant beaucoup de lucidité4, il s’élèvera au rang de luminarbre ou de céleste, état proche de la puissance occulte des Grands, dans lequel, malheureusement, il courra le risque de basculer dans la folie5. Les humains doivent donc maintenir un équilibre entre consommation de sang et celle de lucidité. À ceci près qu’ils se montrent nombreux à vouloir approcher le pouvoir des Grands, ce qui amènera le joueur à croiser le fer avec de nombreuses bêtes et autres célestes au cours de son aventure.

1 Les Grands s’apparentent aux Grands Anciens de l’œuvre de Howard Phillips Lovecraft, jusqu’à en reprendre le nom. Nous reviendrons plus loin sur les parallèles entre le jeu et les récits de l’écrivain.

2 La lucidité est une caractéristique un peu abstraite dans son fonctionnement, que l’on pourrait comparer à l’humanité dans Dark Souls. De la quantité de lucidité accumulée dépendra en effet la survenue de certains événements comme l’apparition des amygdalæ en l’absence de lune rouge, ou encore l’altération de certaines aptitudes dans le jeu (la lucidité a par exemple une incidence sur la résistance à la folie).

3 Dans certaines conditions, il est possible d’entendre des pleurs de bébé. Nous y reviendrons au cours du récit.

4 Pour le joueur, il existe plusieurs manières d’obtenir de la lucidité. Par exemple, chaque rencontre d’un boss du jeu puis chaque victoire contre celui-ci octroient un certain nombre de points de lucidité, selon son affinité avec le savoir des Grands. Il est par ailleurs possible d’augmenter sa lucidité en ingérant des « objets » de type savoir du dément ou sagesse du grand.

5 Remarquons au passage que ce rapport entre lucidité et folie trouve une correspondance dans le gameplay du jeu. En effet, si le joueur possède beaucoup de points de lucidité, sa résistance à la folie va décroître en conséquence, et il deviendra beaucoup plus fragile face aux ennemis infligeant l’état « folie ».

Histoire

Si l’approche chronologique voudrait que l’on évoquât en premier lieu l’antique civilisation pthumérienne, puis la série d’événements qui en causa la chute, nous avons préféré adopter le point de vue de la ville de Yharnam pour retracer l’histoire du jeu. Les premiers événements rapportés dans Bloodborne sont de fait liés à la ville, ou plutôt à ses environs. Le récit commence avec l’étrange trouvaille faite par les chercheurs de Byrgenwerth...

Byrgenwerth, aux origines de la découverte

L’université de Byrgenwerth était un haut lieu d’érudition situé non loin du centre de Yharnam, entre l’orée des bois interdits et le rivage du lac Sélène. Les savants y menaient de fructueuses recherches, qui faisaient la renommée du lieu. Un jour, des archéologues de Byrgenwerth découvrirent sous Yharnam les vestiges d’une ancienne civilisation : les Pthumériens. L’exploration des premiers labyrinthes souterrains, puis des catacombes devait changer à jamais le sort des habitants de Yharnam, qui allait reposer à l’époque sur les épaules de trois individus, aux destins aussi variés que sombres.

Willem, Laurence et Gehrman appartenaient à l’origine tous trois à l’université de Byrgenwerth. Représentant respectivement la sagesse, la force et l’agilité, les trois compagnons, aux attributs si différents, partageaient pourtant un but commun : l’étude archéologique du peuple de Pthumeru. Qui étaient-ces gens ? Comment vivaient-ils ? Et comment expliquer la chute d’une civilisation aussi fascinante ? Des questions qui malheureusement restaient pratiquement sans réponse. Une nouvelle découverte cependant allait bientôt balayer tout le reste. Certains vestiges désignaient en effet les Pthumériens comme des êtres surhumains. Après cette révélation inattendue offrant à l’espèce humaine la perspective d’accéder à un stade supérieur, Pthumeru devint le principal sujet d’étude de Byrgenwerth.

La poursuite des excavations permit aux érudits de découvrir l’existence des Grands, entités supérieures que vénérait le peuple de Pthumeru, qui du reste se désignait lui-même comme le « gardien des Grands ». Les archéologues finirent par trouver un échantillon de sang ancien ayant hérité du pouvoir des Grands. De minutieuses recherches sur ce sang furent alors entreprises dans l’espoir d’y trouver un moyen d’élever l’espèce humaine présente au même niveau que les Pthumériens. À cette transcendance espérée fut donné le nom de vérité occulte.

À la suite de cette incroyable découverte archéologique, des créatures hostiles, les bêtes, avaient commencé à faire leur apparition de temps à autre. Ce fut Gehrman, versé dans l’art du combat (à la différence de ses confrères), qui se chargea d’éradiquer cette nouvelle menace. Il devint le premier chasseur, prenant par là quelque distance avec le monde savant de Byrgenwerth. À Yharnam, Gehrman s’établit dans l’Atelier, où il forma d’autres chasseurs à ses techniques spéciales de traque ainsi qu’à certains mouvements de combat efficaces contre la fureur sauvage de leurs ennemis. C’est toutefois Willem qui fut le premier à faire le rapprochement entre l’apparition des bêtes et les recherches menées sur le sang ancien. Il estima dès lors que le danger que faisaient encourir ces créatures était trop important pour que les recherches fussent poursuivies. Telle fut l’origine de la longue mésentente entre Willem et Laurence, ce dernier restant convaincu du bien-fondé des études sur le sang.

En quête d’autres sources d’information sur les Grands que cette mystérieuse mais insidieuse sève vermeille, Willem et ses disciples orientèrent leurs recherches vers d’autres sites que celui des cryptes pthumériennes, hors de Yharnam. Leur curiosité et leur travail assidu les menèrent à un village de pêcheurs, où ils découvrirent la trace d’un Grand différent de ceux que vénéraient les Pthumériens et dont les chercheurs de Byrgenwerth avaient eu connaissance jusque-là. Kos, le Grand en question, affichait un rapport intime avec l’océan, d’où il semblait provenir et tirer sa force. Les pêcheurs s’étaient mis à le vénérer, au point à la longue d’en perdre le contact avec la réalité : le village s’était refermé sur lui-même, et ses habitants avaient commencé à se métamorphoser en créatures difformes et pâles comme la lune.

Nul ne sait exactement ce qui eut lieu entre Willem et les pêcheurs, mais les propos accusateurs du prêtre du village de pêcheurs1 laissent penser qu’il commit à leurs yeux un sacrilège à l’égard de Kos (ou « Mère Kos », comme l’appellent les villageois), qui attendait un bébé. Les Grands toutefois ne réussissaient pas à se reproduire, accouchant systématiquement d’enfants mort-nés. Sur chaque cadavre de nouveau-né demeurait un tiers de cordon ombilical, qui bientôt serait appelé « Cordon de l’Œil2 ». Willem aurait ainsi dérobé à Kos le cordon. La découverte de ce dernier allait en tout cas changer radicalement l’approche du chercheur s’agissant du devenir de l’espèce humaine. Ce cordon était précisément ce qu’il recherchait depuis son renoncement aux expériences menées sur le sang ancien, soit un nouveau moyen d’atteindre la vérité occulte. Ainsi put-il découvrir l’aptitude de « lucidité » : l’accroissement considérable de sa propre sagesse et des capacités de son esprit, lui permettant de s’élever pour approcher le rang des puissants Grands. Le tiers de cordon ombilical lui permit d’obtenir des « yeux intérieurs » et de développer son esprit au-delà des limites humaines.

Fort de cette découverte, Willem regagna Byrgenwerth. Durant son absence, Laurence avait continué de superviser les recherches et expériences menées sur le sang ancien. La multiplication des bêtes au sein de Yharnam avait toutefois commencé à devenir un sérieux problème pour les habitants de la cité. Les érudits de Byrgenwerth redoutaient le sang autant que ce dernier les fascinait. L’un d’eux en subtilisa un jour un échantillon avant de s’enfuir jusqu’au château de Cainhurst, où il fonderait par la suite le clan des Vilsangs, constitué de nobles transformés en vampires, monstres immortels et avides de sang que ce monde n’avait encore jamais connus. Ainsi l’avancée des travaux sur le sang se traduisait-elle par une peur croissante au sein de la population.

« Redoutez le sang ancien. » Avant de devenir l’adage de Byrgenwerth, cette phrase avait été prononcée par celui que l’on appelait désormais maître Willem. Les travaux de ce dernier sur les yeux et la lucidité, a priori plus efficaces et plus sûrs que ceux conduits sur le sang avaient fini par faire de lui l’autorité incontestée de l’université. Laurence ne partageait pas cet avis. Et s’il avait conservé un profond respect pour cet ancien ami qu’était Willem, il finit par prendre la décision de quitter Byrgenwerth afin de reprendre les recherches sur le sang. À Yharnam, il fonda une nouvelle institution : l’Église du remède.

La fondation de l’Église du remède

L’Église du remède fut édifiée avec les mêmes ambitions que celles associées à Oedon3, dit le Grand Éthéré. De fait, cette nouvelle institution et le Grand en question partageaient le même dessein. L’une des églises construites fut nommée la chapelle d’Oedon, ce qui témoigne des liens étroits entretenus avec le sang par l’Église du remède. Dans le faubourg de la cathédrale de Yharnam, les ecclésiastiques commencèrent alors auprès des malades la distribution gratuite d’un sang thérapeutique :