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Un père champion d’Europe de catch qui a trouvé l’amour au bord d’un ring en Allemagne, une enfance modeste mais heureuse... Daniel Van Buyten l’a juré à ses parents quand il était gosse : « Je serai footballeur professionnel. » Pari gagné ! Le « fils du catcheur », comme il était surnommé dans la région de Chimay, est devenu successivement « Big Dan », ensuite le transfert le plus cher de notre football, enfin le joueur belge le plus titré de l’histoire via un bail de huit ans au Bayern Munich, un des plus grands clubs du monde aujourd’hui. Des distinctions individuelles, des titres en Allemagne et même la Ligue des Champions ont récompensé la puissance de travail unique de ce sportif qui a aussi crevé l’écran, partout où il est passé, par ses qualités d’homme. Celui qui se définit comme « une grande carcasse avec un tout petit cœur », allusion à sa sensibilité extrême, est présent en équipe belge depuis 2001 et se place dans le top 10 des Diables Rouges ayant disputé le plus de matches. Dans cette autobiographie poignante, truffée d’anecdotes et dotée d’un magnifique cahier photos de 48 pages, Daniel Van Buyten se lâche comme il ne l’a jamais fait. La pudeur, c’était hier ! « Il est temps que je déballe toute ma vie... »
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Seitenzahl: 340
Veröffentlichungsjahr: 2014
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BIG DAN
Pierre Danvoye
Daniel Van Buyten
Big Dan
Renaissance du Livre
Avenue du Château Jaco, 1 – 1410 Waterloo
www.renaissancedulivre.be
couverture: aplanos
photo de couverture et de quatrième : © reporters
mise en pages: cw design
Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays.
Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est strictement interdite.
PIERRE DANVOYE
DANIEL VAN BUYTEN
Big Dan
Préfaces
Daniel Van Buyten m’a impressionné dès qu’il est arrivé chez les Diables Rouges, en 2001. En tant que capitaine, mon rôle consistait notamment à faciliter l’intégration des nouveaux joueurs. J’ai vu débarquer un garçon droit, correct, respectueux, à l’écoute. Il s’est installé dans le groupe sans faire de bruit, il a surtout observé dans unpremier temps. J’ai connu des footballeurs qui se pointaient en voulant donner l’impression qu’ils savaient tout, qu’ils étaient plus malins que tout le monde. Rien de tout cela avec Daniel. Se prendre pour une star n’a jamais été son truc.
Dès nos premières rencontres, j’ai beaucoup parlé avec lui. J’ai vite compris qu’il avait une vraie culture sportive. Il m’a confié les secrets de son éducation, il m’a donné beaucoup de détails sur sa famille. C’est un émotif, un garçon extrêmement sensible.
Daniel a connu deux années fastes à ses débuts chez les Diables. Et il termine aujourd’hui sur deux années pleines. Pour le reste, l’équipe belge a surtout été un long chemin de croix pour lui ! Il y a eu le souci des résultats mais aussi des attaques parfois très virulentes dans la presse. Je peux comprendre : les types qui sont au-dessus de la montagne prennent plus de vent que ceux qui restent en bas ! Si tu as un nom et un palmarès, on te prend plus facilement pour cible. On attend énormément de toi. Il en a beaucoup souffert, c’est connu. Il aurait pu arrêter les frais, stopper sa carrière internationale. Il y a même pensé, il m’en a parlé, et j’aurais compris sa décision. Il avait tout dans ses clubs, et quand il revenait, il se faisait taper dessus. Mais il s’est chaque fois accroché, il est toujours parvenu à repartir vers l’avant. Il a joué un de ses matches les plus révélateurs en Turquie, en 2010, en marquant deux buts alors qu’il s’était fait descendre dans la presse trois jours plus tôt. C’était sa réponse. Cette réaction est typique de son caractère de battant, de sa volonté. Etre toujours en équipe nationale et dans un club comme le Bayern à 36 ans, ça n’a rien à voir avec le hasard.
Pendant la campagne qualificative pour la Coupe du Monde au Brésil, je savais que je pourrais compter sur lui aveuglément à tout moment. Il a assumé. Brillamment. C’est un profil rare pour un coach : un défenseur difficile à contourner qui marque des buts et qu’on peut carrément mettre devant en cas de besoin. On sait qu’il va toujours tout donner. Il aurait pu réussir dans n’importe quel championnat. Qu’on parle de lui en France ou en Angleterre, tous les commentaires seront positifs. Et ce qu’il a réussi en Allemagne est évidemment phénoménal. Il a trouvé là-bas la rigueur qui lui convenait, une société où tout est pro à l’extrême. Et le Bayern est ce qui se fait de mieux dans le monde. Arjen Robben est passé par Chelsea et le Real Madrid puis, une fois à Munich, il a dit qu’il ne voulait plus bouger. Ça résume bien les choses.
Marc Wilmots
Coach des Diables Rouges
Cette autobiographie est celle d’un homme très particulier et d’un sportif exceptionnel. En tant que président du conseil d’administration du Bayern Munich, je suis flatté d’avoir été sollicité pour la préfacer. Écrire quelques mots sur Daniel Van Buyten est un réel plaisir.
Le Bayern a transféré Daniel Van Buyten de Hambourg en 2006 après être tombé sous le charme de son excellent travail défensif et de ses qualités offensives au-dessus de la moyenne sur les corners et les coups francs. Sur chaque phase arrêtée, son jeu de tête est un danger pour l’adversaire. Mais il n’y a pas que sur le plan purement sportif que nous avons réalisé un excellent recrutement. Sur le plan humain aussi, Daniel Van Buyten a été un transfert parfaitement réussi. Il s’est directement intégré au Bayern. Le fait qu’il ait passé huit saisons dans le club qui a remporté le plus grand nombre de titres en Allemagne démontre que les deux parties étaient très satisfaites l’une de l’autre. Et donc que c’était un très bon choix, tant pour Daniel Van Buyten que pour le Bayern.
Daniel Van Buyten a toujours répondu à nos attentes, aux entraînements et dans les matches, par son engagement sans limite. En dehors du terrain aussi, son caractère exceptionnel nous a impressionnés. Et ce n’est pas un hasard s’il s’est toujours bien senti chez nous, à Munich, avec sa femme Céline et ses enfants. Le fait qu’il ait fait l’acquisition d’une maison aux portes de la ville confirme son attachement à la région. Nous avons été très heureux de faire un aussi long bout de chemin avec cet international belge et d’avoir pu célébrer autant de grands succès avec lui.
Indépendamment de ses talents de défenseur, Daniel Van Buyten m’a énormément impressionné par sa fiabilité, sa serviabilité et son grand cœur. Il a eu un grand mérite dans l’intégration de Franck Ribéry au Bayern et dans l’aide apportée à de nombreux jeunestalents repris dans notre noyau professionnel. Il remplit ce rôle d’intégration d’une manière exemplaire et le club lui en est grandement reconnaissant. Il fait tout simplement partie de la « Famille FC Bayern » et il en est un ambassadeur particulièrement sympathique.
Durant sa magnifique carrière, Daniel Van Buyten a presque tout gagné : la Coupe Intertoto, le championnat, la Coupe et la Supercoupe d’Allemagne, la Ligue des Champions, la Supercoupe d’Europe, la Coupe du Monde des clubs. Il faut y ajouter deux participations à la Coupe du Monde avec la Belgique. Je ne peux que le féliciter et lui souhaiter un avenir tout aussi brillant, sur le plan professionnel et dans sa vie privée.
Karl-Heinz Rummenigge
CEO du Bayern Munich
Une autobiographie… Voici pourquoi
« Je tiens mon premier contrat pro, mon père m’attend, on s’enlace, on fond en larmes, on repense à toutes les moqueries de mon enfance »
Je roule. Charleroi – Froidchapelle. Un trajet d’une demi-heure. Je suis seul et je pleure. Impossible de me retenir. Trop d’émotion. Trop d’images de ma jeunesse qui défilent. Je viens de signer mon premier contrat pro. Yes ! J’ai maintenant un métier : joueur de foot. Mon père m’attend. On s’enlace. On fond en larmes. On repense à toutes les moqueries de mon enfance. Tu peux avoir une grande carcasse, faire près de deux mètres, mais un tout petit cœur à l’intérieur. C’est bien moi, ça. Le football m’a plusieurs fois fait pleurer. Et cette scène qui remonte à la fin des années 90, je l’ai souvent revue.
Faire un livre, mon livre, j’y pense depuis longtemps. J’en rêvais, même. Une belle carrière mérite une bonne autobiographie, c’est la touche finale, la signature. Je veux expliquer tout ce que j’ai vécu. Et décrire ma fierté. Aujourd’hui, mon parcours se termine. Il est temps que je me confie. Comme je ne l’ai jamais fait. Temps que je sorte des souvenirs, des anecdotes que je n’ai jamais voulu révéler. Par pudeur, par timidité. Oui, Big Dan est un gars pudique et un grand timide, ça vous étonne ?… Je préférais attendre la fin de ma carrière pour tout raconter. Avoir du recul. Parce qu’on ne voit pas les choses de la même façon à 36 ans qu’à 25. J’ai les biographies de plusieurs légendes : Frank Leboeuf, Zinédine Zidane, David Beckham, Zlatan Ibrahimovic. Je ne les ai jamais lues ! Parce que j’avais ma propre bio en tête, et je ne voulais pas me laisser influencer. Je veux raconter mon histoire, je n’ai pas envie d’un copié-collé de Zizou ou de Zlatan. Ces bouquins sont donc dans un coin de ma bibliothèque, ils attendront… J’avais seulement commencé à feuilleter celui de Leboeuf, un pote de Marseille. Mais je ne suis pas allébien loin. À ce moment-là, déjà, je me suis dit que je ne pouvais pas m’encombrer la tête avec l’histoire d’un autre joueur, je voulais partir d’une feuille blanche au moment de faire mon livre. Les aventures de Leboeuf et des autres, c’est pour plus tard. Mes lectures tourneront toujours autour du foot, je m’y intéresserai toute ma vie, il ne me lassera jamais. Je l’aimerai toujours autant, je resterai connecté.
Il y a une réflexion que je n’ai jamais supportée : « Tu as de la chance. » De la chance ? Peu de gens sont conscients des efforts que j’ai faits, de tous mes sacrifices pour y arriver. Sans aucune garantie de percer. On ne m’a rien donné, je n’ai rien volé ! Et je ne sais pas exactement quelle image je donne mais je crois qu’on me connaît assez mal. J’ai été choqué quand un gamin m’a dit : « Mais tu es sympa, toi, c’est fou. Ça fait des années que j’avais envie de venir te parler mais je n’ai jamais osé. Tu me faisais trop peur. Je me disais que tu devais être trop méchant et que le jour où tu aurais des enfants, ça n’allait pas être cool pour eux ! » Quelle claque ! Mais je peux comprendre. Je suis un solitaire, je ne vais pas spontanément vers les gens, je reste plutôt dans mon coin, j’ai souvent le regard songeur et concentré, je fronce facilement les sourcils et ma taille impressionne. On peut avoir l’impression que je regarde les gens de haut et que je n’ai rien d’un comique. Ceux qui me connaissent rigolent de cette réputation, moi aussi.
Le grand public connaît très mal les joueurs, ses idoles qu’il voit à la télé et dans les journaux. Si je dois citer un exemple frappant, je dirais Franck Ribéry, un ami. Si on lit la presse en France, en Belgique ou ailleurs, on a l’image d’un gars froid, inaccessible, qui ne parle à personne, qui s’isole dans sa petite bulle. En Allemagne, c’est déjà différent. Après ses problèmes extra-sportifs, le Bayern lui a conseillé de ne plus se cacher, de donner des interviews, de s’expliquer, de révéler sa vraie personnalité. Il l’a fait, il a joué le jeu à fond et les Allemands ont entre-temps compris qui est le vrai Ribéry : un type sensible, très famille, qui déconne beaucoup. Il accepte de parler, dans les journaux et les magazines, de son enfance dans un quartier sensible autour de Boulogne-sur-Mer, de ses galères, des moqueries qu’il a subies. Directement, ça le rend plus humain et c’est pour ça qu’on l’apprécie. Autant que pour ses qualités de footballeur.
L’image d’un joueur dépend en bonne partie de son comportement en dehors des terrains et de sa relation avec les médias. On peut tromper le public, dans les deux sens. Se faire passer pour X alors qu’on est Y, ou l’inverse, ce n’est pas très compliqué. Je pense à des anciens coéquipiers qui avaient une réputation parfaite mais n’avaient rien d’exceptionnel quand on les côtoyait tous les jours dans un vestiaire, qui étaient même plutôt distants et antipathiques. Il suffit de jouer un petit jeu avec les journalistes. Tu peux les manipuler. Tu vas vers eux, tu soignes le contact, tu es toujours sympa, tu les invites éventuellement au resto, tu fais passer tes idées, tu leur donnes les infos croustillantes qu’ils cherchent, tu es autant journaliste que footballeur, tu te mets en avant et tant pis si tu dois enfoncer d’autres personnes pour y arriver, ton agent fait aussi le boulot, tout est calculé et c’est tellement facile : c’est un petit business. Ça ne m’a jamais intéressé. Les interviews n’ont jamais été ma came ! Je n’en ai jamais eu besoin. Je sais seulement que ça fait partie du métier. Tout refuser, c’est dangereux. Impossible de faire une carrière sans parler à la presse. Parce que tu es sûr, alors, de l’avoir un jour sur le dos. Elle ne va pas te lâcher. On va écrire n’importe quoi sur ton compte, ils vont inventer ce qu’ils ne savent pas et ça va te donner du stress en plus. Je n’oublierai jamais le jour où on m’a démoli après un match avec les Diables Rouges, où on m’a traité de traître à la nation parce que j’avais commis une erreur qui avait amené un but pour l’adversaire : ma famille a été fort touchée, donc moi aussi. Je n’en ai pas dormi pendant plusieurs nuits. Je ruminais en pensant à la tristesse de mes parents.
J’ai fait ma carrière dans l’ombre, à la limite en me cachant, mais j’ai toujours collaboré avec les médias. Après un match, il y a les joueurs qui sortent du vestiaire le plus vite possible parce qu’ils saventque tous les journalistes vont ainsi se ruer sur eux. Comme ça, ils sont sûrs d’être à une bonne place dans les gazettes du lendemain ! Et il y a ceux qui ne viennent en zone d’interview qu’en toute fin de soirée, simplement pour se faire désirer. Ils sont certains aussi qu’on va s’intéresser à eux puisque tous les autres sont déjà partis… Je n’ai jamais fait ces calculs : je sortais quand j’étais prêt. Si on m’arrêtait, je répondais. Si personne ne m’appelait, c’était très bien aussi. Il y a pas mal de footballeurs qui ne se sentent pas bien du tout si on ne leur demande pas une réaction sur leur match. Ils ont l’impression de ne plus exister et ça les effraie… Pour moi, ça n’a jamais été un souci. Et je n’ai jamais critiqué. Personne ! Jamais cité de noms quand ça n’allait pas. Parfois, j’aurais pu me lâcher, balancer, faire mal. Mais la misère, la méchanceté gratuite… pas pour moi. Secrets professionnels ! Respect de l’intimité du vestiaire. J’ai bien fait : le monde du foot ne m’a jamais attaqué non plus. On peut téléphoner dans tous les clubs où je suis passé, interroger des joueurs, des entraîneurs, des dirigeants, des employés : je serais vraiment surpris s’il y avait des commentaires négatifs sur mon compte. Je crois avoir laissé partout une bonne image.
Éduqué à la dure
« Alain et moi, on est les fils du catcheur, les malades qui tirent des pneus dans la prairie »
Mon père a été catcheur professionnel. Champion d’Europe. Il avait plusieurs surnoms étonnants dans le milieu. Captain Davies par exemple. Je ne connais pas… Il a calculé qu’il avait fait l’équivalent de deux tours du monde. Il a combattu en Afrique du Nord, au Canada, à Tahiti, au Liban, au Koweït, au Japon,… Et beaucoup en Allemagne, qui était à l’époque le pays du catch. C’est là-bas, dansla région de Hanovre, qu’il a rencontré ma mère. Il m’a raconté plusd’une fois leur coup de foudre, j’en ai encore la chair de poule quand j’y repense aujourd’hui. Je l’entends : « Ça cognait mais il y avait aussi une partie de show. Ce jour-là, je fais une prise exceptionnelle, très spectaculaire, mon adversaire est au sol et je me tourne vers la foule en faisant un geste de triomphe. Comme un king. Je chauffe la salle, ça fait partie du jeu. Et il m’arrive alors un truc extraordinaire. J’ai l’impression de voir une photo panoramique et tous les spectateurs sont flous, sauf une jolie fille. Elle est parfaitement nette, elle. Je la fixe, elle me regarde. Quelques minutes plus tard, même chose. C’est toujours brouillé, sauf cette fille. Ça ne m’était jamais arrivé. Après le combat, je prends vite une douche puis je retourne dans la salle. Je sens qu’il se passe quelque chose, je l’invite au restaurant, elle est avec sa mère. On va manger en ville. Tout a commencé comme ça. »
Mon père s’est tout cassé, ou presque, sur les rings. On lui a recousu les arcades, il a eu les pommettes explosées, il s’est déboîté plein de fois les genoux et les épaules, il a eu des dégâts à des ligaments à plusieurs endroits,… Il me disait : « Quand ton adversaire te fait une clé, tu l’arrêtes, tu lui dis : – C’est bon, c’est bon, tu m’as eu. Mais il est trop tard, le mal est fait, il t’a blessé. » Un jour, un malade lui a enfoncé volontairement la tête dans le plancher du ring, il a euune cervicale écrasée, il est resté paralysé pendant quatre mois et il en a eu pour trois ans de rééducation. Mais il a quand même fini par remonter sur les rings… C’était toute sa vie.
Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de sa période de gloire, j’étais trop petit. Je me rappelle quand même le soir où j’ai fait un petitscandale pendant un de ses combats. C’est la grosse baston et il se fait bien taper dessus. Je suis gosse, super proche de lui, c’est mon dieu, je commence à trembler, je suis en transe, je pleure, je hurle, je ne tiens plus sur ma chaise. Ma mère et mon frère essaient de me calmer mais ça ne s’arrange pas. Le type continue à frapper. Tout d’un coup, je me lève, je fonce, je monte sur le ring et je me mets à cogner de toutes mes forces sur le gars qui est occupé à lui faire une clé de bras. Je veux lui faire mal, je suis au maximum ! On doit me sortir de la salle. Au moment d’aller au lit, je surprends une conversation de mes parents. Mon père dit : « J’aime bien quand tu viens me voir avec Alain et Daniel, je suis fier quand vous êtes là, mais on arrête, ce n’est pas bon pour eux, ça les traumatise. »
Et pourtant, j’ai moi aussi rêvé de devenir catcheur. Ça s’explique. Mon père voyage beaucoup et revient à la maison avec des coupes, des médailles, des journaux où on parle de lui, des cadeaux. Il passe à la télé. Ceux qui suivent le catch sur Eurosport le connaissent très bien. On a des cassettes de ses combats, on les regarde en famille. On me parle de lui tous les jours. À l’école, dans le village, Alain et moi, on est « les fils du catcheur » et j’en suis vraiment fier. C’est le plus beau compliment. Quand il faut inaugurer la nouvelle salle de sport à Froidchapelle, les gens de la commune se demandent ce qu’ils vont pouvoir organiser. Ils veulent marquer le coup. Il y en a alors un qui sort : « Mais enfin, pourquoi se compliquer la vie ? On a Franz… » Ils programment un combat, ils font de la pub dans la région, à l’école, ils impriment un folder. Mes potes sont tout excités, ils me disent qu’ils ont vu une photo de mon père en catcheur et qu’ils vont aller le voir. Je suis aussi énervé qu’eux… Quand il y a une petite bagarre entre copains, c’est moi qu’on appelle pour calmer tout le monde. On me met sur un piédestal, ils ont peur de moi, toujours parce que je suis « le fils du catcheur ». Je suis respecté. On me prend pour une bête de combat ! Alors que je ne suis ni grand, ni fort, ni violent. Tout ça me donne envie de faire la même carrière. Moi aussi, je veux être musclé et connu dans le monde entier, passer à la télé, gagner des trophées et de l’argent grâce au catch.
Depuis près de quinze ans, on rappelle dans les journaux que les frères Van Buyten tiraient des pneus dans leur jardin. C’est tout à fait vrai ! On n’a rien exagéré. Derrière la maison, il y a une prairie. Ma carrière commence là. Mon père est passionné par les documentaires à la télé. Sur le sport, sur l’espace, sur la nature, sur la diététique, sur plein de choses. Un jour, il tombe sur une émission qui explique le travail physique avec les jeunes de l’AC Milan. Ça le marque. Il voit qu’on oblige ces gamins à tirer une espèce de traîneau sur lequel on place des poids. Il n’a pas de traîneau, alors il cherche une autre solution. D’abord, il nous fait tirer des pneus de voiture. Très vite, il trouve que c’est un peu trop facile, trop léger, et ça devient des pneus de tracteur. Les pneus avant, parce que ceux de l’arrière, là, ce serait impossible… Au début, il nous les attache à la taille avec un câble métallique. Ça fait mal, ça rentre dans la peau, alors on met des petits coussins, des compresses, des mouchoirs, des morceaux de tissu. Puis,il trouve des sangles qui servent à remorquer les voitures. C’est moins douloureux que les câbles mais il faut encore mettre de la mousse ou un pull pour que ça nous blesse moins. Et finalement, le corps s’habitue. On a de moins en moins de petits vaisseaux qui pètent, on se fait à tout, on devient des hommes…
Cette prairie est un véritable camp d’entraînement miniature. Mon père, qui a toujours été possédé par le travail physique et reste super fit après sa carrière, a pensé à tout. Il a imaginé une piste d’obstacles, il faut passer au-dessus, en dessous, à gauche, à droite. C’est bon pour apprendre à slalomer. Il y a un petit banc qui sert à faire des une-deux : on a le ballon au pied, on le fait rebondir sur le banc puis on continue le parcours. On a les cônes pour marquer les portions sur lesquelles il faut jongler. Si la balle tombe, pas de cadeau : on recommence. Certains jours, c’est le supplice des sprints : on doit parfois en enchaîner une quarantaine, sur vingt ou trente mètres. Et ces exercices sont chronométrés. Il y a aussi tout ce qui se fait sans chrono. Comme le saut en longueur avec un minimum d’élan. Pour mon père, c’est la meilleure façon de travailler le démarrage. Il nous dit : « C’est mathématique, si vous partez vite, vous irez loin ! » Il estime aussi que ça nous aide à bien positionner nos pieds et que ça améliore la coordination de nos mouvements. Et il insiste beaucoup sur le timing des sauts : « Sauter haut, c’est bien, mais ça ne sert à rien de sauter dans le vide ou quand le ballon n’est pas à la même hauteur que la tête. » Il nous fait des séances de détente sans élan. Il a accroché un ballon avec une ficelle, il a fait des graduations sur une planche, et chaque fois qu’on touche la balle avec le dessus du crâne, il la monte de quelques centimètres, c’est la récompense. Quand je suis trop court, il me provoque : « Allez fiston, saute, qu’est-ce que tu me fabriques ? »
Tout est noté. Et quand on bat un record, mon père l’écrit en grosses lettres sur son tableau, avec un astérisque. La fin de la semaine est toujours un moment de stress, d’excitation, c’est le jour des tests. Il nous met la pression. On voit si on a progressé. Il ne nous surveille pas tout le temps. Certains jours, il nous laisse partir dans la prairie, Alain et moi. Mais il lui arrive de se cacher derrière un sapin, tout en nous montrant discrètement qu’il est là. Il veut voir si on ne triche pas. Donc, même quand il n’est pas là, on a peur qu’il y soit et on ne carotte pas ! Pour lui, c’est un jeu. Tous les jours, on fait quelque chose. S’il fait trente degrés, on n’y échappe quand même pas, il en faut plus pour qu’il nous donne congé. Dans ces cas-là, l’entraînement se fait simplement en soirée plutôt qu’en pleine journée. Je suis en permanence en compétition avec Alain. Parfois, des potes de l’école viennent s’entraîner avec nous. En général, ils ne le font qu’une fois : ils crachent leurs poumons et ils sont définitivement dégoûtés…
On a aussi des séances de musculation. Mon père a toujours des engins, des barres et des poids qu’il utilisait pendant sa carrière. Pas les modèles les plus sophistiqués ou les plus design, mais c’est lourd quand même… On fait du développé couché : on est allongé et on doit soulever l’haltère. Aussi du squat : on a la barre au-dessus des épaules et on fléchit les genoux jusqu’au moment où les fesses sont proches du sol. Puis on remonte. Et il y a, entre-temps, les abdos et les pompages. Le week-end, mon père nous prévient : « On passe à la caisse. » Il veut contrôler l’état de nos abdominaux, on doit contracter le plus possible et il nous met des petites pêches. Il dit : « Ça fait mal ? » Non, même pas mal, donc il frappe un peu plus fort et ça veut dire qu’on a bien travaillé. J’aime bien, ça m’amuse, je me sens fort. Je pense qu’il y a aussi du psychologique là-dedans : même si le corps souffre, on est tellement costaud dans la tête qu’on ne sent pas grand-chose. On sait que les voisins nous regardent et se posent sans doute des questions. Mais ils ne font jamais de remarques. On a de toute façon une réponse toute prête s’ils nous ennuient : « Occupez-vous de vos fesses… »
À ce moment-là, mon père combat encore de temps en temps mais l’essentiel de sa carrière est derrière lui. Il a gardé pas mal de contacts dans le milieu du catch. Il nous emmène un jour dans une salle de musculation à Charleroi. Il tombe sur un ami et lui parle de nos entraînements. Le gars répond : « Attends un peu, je vais voir de quoi ils sont capables, tes gamins. » Évidemment, ça nous intéresse, on a envie de savoir ce qu’on vaut par rapport aux enfants de notre âge qui soulèvent régulièrement des poids. Il nous teste. En squat et en développé couché, j’ai le niveau pour m’inscrire aux championnats de Belgique. On a aussi l’occasion de se tester en course à pied, vers 14 ou 15 ans. J’en fais quelques-unes avec Alain. Je me souviens d’une course à Walcourt, d’une autre à Chimay. On est heureux, on a notre dossard, un numéro, comme les vrais ! Alain a un an de plus que moi et il court mieux. Un jour, il bat le champion de Belgique de sa catégorie. Moi, je finis au sprint avec ce gars-là. Je suis donc dans les temps du meilleur coureur belge de la classe d’âge au-dessus de la mienne.
À côté du travail physique, on a les entraînements purement foot. On est affiliés à Froidchapelle. J’ai des souvenirs très forts de séances où il fallait faire parler la technique. Ce n’est vraiment pas mon point fort quand je commence le football. Quand j’ai neuf ou dix ans, le coach nous demande d’avancer en jonglant, du milieu de terrain jusqu’à l’entrée du rectangle. Et une fois arrivé là, on doit tirer au but. Si le ballon tombe en cours de route, on recommence. Je suis hyper stressé, il tombe chaque fois, et donc, pour moi, ça dure plus longtemps que pour beaucoup d’autres. J’ai plein de copains qui arrivent à faire l’exercice et ils me chambrent. Je suis furieux. Je m’en veux, je me provoque : « Tu veux devenir footballeur et tu ne sais même pas jongler de là à là ! » Mon père en remet une couche : « Mais fiston, le jonglage, c’est l’ABC du foot. Tu dois être capable de le faire. Et des deux pieds, hein ! » Quand il me lance ça, je suis choqué. Et je me mets à travailler les jonglages tous les jours pendant plusieurs heures. Je me fixe des objectifs. Je me promets par exemple que je ne quitterai pas la prairie avant d’avoir réussi cent jongles. Le ballon tombe après vingt-cinq, puis j’en fais quarante, mais je suis encore loin. Il commence à faire noir, j’ai les larmes aux yeux. Finalement, j’y arrive. Et je chiale encore. De bonheur… Un gros mois après l’affront à l’entraînement avec le club, je n’ai plus de problème. On pourrait me demander de monter dans ma chambre en jonglant, je suis certain que je pourrais le faire. L’entraînement est une drogue. Un matin, j’entends qu’on téléphone pour annoncer que des stères de bois vont arriver l’après-midi. Je n’aime pas ça. Je vais devoir les scier, les mettre dans la brouette, aller les ranger à trente mètres. Je prends mon ballon, je me sauve sans rien dire à personne, je passe chercher un pote et on va jouer. On fait surtout du foot, on chipote aussi à la rivière avec des têtards, on fait sortir des chevaux de leur enclos, des trucs de gamins… Quand je reviens en début de soirée, mon père est déchaîné : « Tu étais où ? » Je sais ce que je dois répondre : « Mais je suis allé m’entraîner, papa. » Alors, ça passe sans problème.
Il dit régulièrement qu’on ne peut pas faire un cheval de course avec un cheval de trait mais qu’on n’a pas ce souci, Alain et moi. Il sait qu’on a certaines qualités au départ. Le reste, c’est du travail. Pas simplement un entraînement de temps en temps. Il veut qu’on bosse tous les jours. Ça tombe bien, je n’ai que ça en tête. Le matin, avant de partir à l’école, je pense déjà à ce que je vais faire en fin de journée : la course d’obstacles, ou les haltères, ou du jonglage, ou une trentaine de sprints,… Je déteste l’école. Mais je réussis sans problème, en primaire puis au collège de Chimay. Parce que je suis perfectionniste dans tout ce que je fais. Et parce qu’il y a en permanence la menace de mes parents : si je reviens avec des mauvais points, je serai privé d’entraînement. Quand ça arrive, je ne suis pas fier et plus d’une fois, je pleure sur le trajet du retour. J’ai la pression. Je n’imagine pas un autre métier que celui de footballeur. Je n’aurais jamais pu devenir ingénieur. Parce que je n’avais pas la tête pour faire des études aussi compliquées, parce que je n’avais pas envie d’étudier énormément, et parce que le boulot ne m’intéressait pas, tout simplement. Après mes humanités, j’ai fait une spécialisation en électronique et mécanique. Je passais deux jours par semaine en entreprise. J’ai directement compris que ce n’était pas pour moi et que, si je devais rester ma vie dans un bureau, je serais terriblement malheureux.
Dans notre prairie, il y a deux buts, mon père les a fabriqués lui-même. On invite parfois des copains du village ou de l’école pour faire des petits matches, à cinq contre cinq ou six contre six, mais il nous prévient : « Eux, ils viennent pour s’amuser. Pour vous, c’est un entraînement. Vous n’êtes pas ici pour pousser bêtement le ballon, je veux que vous soyez lessivés à la fin du match. Courez, défoncez-vous. » Il lui arrive de jouer avec nous. Je suis attaquant, il se met en défense et il n’a pas peur de me mettre des coups mais ce n’est jamais bien grave. Il me touche les chevilles, je boite un peu le lendemain, puis c’est oublié. Il y a des balles partout. Rarement en bon état. On en récupère à gauche et à droite, il répare les crevaisons, recoud le cuir quand la chambre à air commence à sortir. On n’a pas les moyens de s’offrir des marques, alors ça s’use très vite.
Les jours où on travaille les reprises, c’est quelque chose. Il envoie une centaine de centres d’affilée, parfois même plus. Il ne s’arrête que quand sa hanche ou son genou le lâche. Et à ce moment-là, il sait déjà qu’il va payer. Je l’entends encore : « Si je continue, demain je ne sais pas sortir de mon lit. » Je travaille très peu mon jeu de tête. Vu que je ne grandis pas beaucoup, mon père me dit que les reprises de la tête ne seront de toute façon jamais un de mes points forts. Il veut simplement que j’améliore mon timing et ça se fait avec les sauts et le ballon accroché à la ficelle. Ma taille, c’est mon complexe. Dans toutes les équipes où je passe, je suis le plus petit. Je suis le Shaqiri du noyau… J’en parle souvent à mon père, il essaie de me rassurer mais j’ai l’impression qu’il ne l’est pas lui-même : « Tu vas peut-être grandir. Ou peut-être pas. À ton âge, j’étais encore petit, moi aussi. J’ai eu une croissance lente. Ne t’inquiète pas trop, tu vois quand même que tout le monde est grand dans la famille : moi, maman, ton frère, tes cousins. Il y a de l’espoir. » Donc, quand il fait des centres, il se concentre sur autre chose que ma détente et mon jeu de tête, il veut que je maîtrise le mieux possible les reprises de volée, et aussi les têtes plongeantes. Il a été dans le noyau de l’Olympic Charleroi, comme gardien, ce n’est donc pas un problème pour lui d’expédier des centres précis.
Je suis un enfant assez colérique. Au moins, je sais de qui je tiens… Quand mon père se fâche, ça peut être terrible. Par exemple, il ne supporte pas qu’on passe des heures sur notre Nintendo ou l’ordinateur. Il nous menace : « En fin de journée, si vous n’avez pas fait ce que je vous ai demandé de faire, je vous l’explose à la hache. Je ne vous préviens qu’une fois. » Il le fait avec ma voiture téléguidée, il l’éclate en mille morceaux. Dans ces moments-là, ses yeux deviennent noirs, il fronce les sourcils, ses rides se creusent, il a deux ou trois veines du front qui commencent à ressortir, on a compris : il est temps de faire le boulot ou d’aller s’entraîner.
J’ai un toc, une déformation, une obsession : je suis un peu pyromane. Rien de grave. Je m’amuse à allumer des petits feux, puis je les éteins. Je prends tout ce que je trouve. Du petit bois, du papier, de l’herbe séchée. J’y mets le feu, ça m’amuse, et je l’étouffe après deux minutes. Parfois, je me fais quand même peur. Ça démarre très vite, ça fait des grandes flammes et j’ai du mal à éteindre. Je me dis alors que je ne suis pas raisonnable parce que la maison est près des bois… Mais ça reste une idée fixe. Un jour, je n’arrive pas à allumer, il y a du vent. Je regarde autour de moi, je vois des bonbonnes de gazdans la grange. Mes parents ont une friterie ambulante et il y a toujours des bonbonnes à la maison. Je vais en chercher quelques-unes, je les mets en cercle pour me protéger du vent puis j’allume mon feu au milieu. À ce moment-là, j’entends la camionnette des frites qui rentre ! Je panique. J’éteins tout de suite. Mon père vient dans le jardin, il sent une odeur de brûlé. Je le vois encore. Et je l’entends. Il est hors de lui : « Ne me dis pas que tu as fait du feu au milieu des bonbonnes… Mais tu veux faire exploser la maison ? » Et là, je prends la rame de ma vie ! Il va chercher un câble électrique et commence à me frapper sur les fesses. Quand il a terminé, je peux pour ainsi dire mettre mes doigts dans les fissures… C’est tout rouge, la peau est toute gonflée et je garde des traces pendant une bonne semaine.
Deux fois, je me suis pris ce câble électrique ! La deuxième, c’est un jour où mon père a rangé la remise. Il y a passé des heures. C’est nickel, on pourrait y manger par terre… Moi, je suis de mauvaise humeur parce qu’il m’a interdit un truc que j’avais envie de faire. Quand j’entre dans la remise, je suis dégoûté. Je me mets à shooter dans les sacs où il a mis tout ce qu’il doit jeter. J’éparpille au sol tout le travail de sa journée. Mais au moment où je vais exploser la dernière poubelle, j’aperçois sa tête. Il est bleu. J’essaye de m’enfuir, mais il a toujours une condition physique d’enfer, il m’attrape, prend le câble et ça recommence. Il n’y aura pas de troisième fois…
On pourrait croire que je suis traumatisé par certains épisodes de ma jeunesse, par l’éducation à la dure que j’ai reçue. C’est tout le contraire ! Si c’était à refaire, je choisirais à nouveau la même enfance, la même adolescence. Je suis très fier de la façon dont mes parents m’ont élevé, on en a souvent reparlé. Les épisodes avec le fil électrique, j’en ai rigolé plus d’une fois avec mon père : « Tu m’as défoncé, tu te souviens des marques que tu m’as faites sur les fesses ?… » On ne frappe pas ses enfants par plaisir, c’est contre nature, et s’il l’a fait, c’est parce qu’il était sûr que ça porterait ses fruits. Mon amour pour mes parents a toujours été énorme, je les ai remerciés des dizaines de fois pour tout ce qu’ils m’ont donné, pour ce qu’ils m’ont appris. Rien n’a changé quand je suis devenu professionnel, puis quand j’ai quitté la Belgique. La distance ne nous a pas éloignés. Mon père a toujours été mon meilleur ami. En début de carrière, il m’arrivait d’aller le rejoindre dans son lit, en rentrant de l’entraînement. Ma mère regardait ses séries dans le salon, il suivaitses documentaires dans leur chambre. Je me glissais sous la couette, contre lui, et on se rappelait des souvenirs. Je lui faisais mes petites confidences. Je lui parlais de mes copines, par exemple. Je n’arrivais pas à avoir les mêmes sujets de discussion avec ma mère, il y avait une espèce de barrière. Je pense qu’une relation entre un fils et son père est différente.
On n’est pas riches ! Mon père a travaillé dans une verrerie de la région de Charleroi avant de devenir catcheur professionnel. Il a très bien gagné sa vie sur les rings pendant sa période de gloire mais il a mal investi. Jusqu’à son dernier jour, il regrettera de ne pas avoir placé une bonne partie de ses économies dans des lingots d’or. Il m’en parle encore, il dit qu’il a commis une erreur monumentale : « Si j’avais investi là-dedans, on aurait eu une autre vie. » C’est quand le catch a commencé à ne plus leur rapporter grand-chose que mes parents se sont mis à vendre des frites. Par exemple sur les marchés de Couvin et de Chimay, et aussi dans les ducasses, les grandes fêtes que les villages de la région organisent pendant l’été. Avec Alain, on donne régulièrement un coup de main. Il y a une machine, une espèce de grande lessiveuse, qui pèle les patates. Après cela, il faut les découper en frites, et souvent, je tiens la presse… J’aime bien, je fais des bonnes grosses frites bien belges ! Mes parents ont tous les deux un côté artiste, je ne les aurais pas imaginés dans un ministère. Mon père est aussi passionné par la musique. Il a découvert l’accordéon avec mon grand-père, qui était un virtuose. Il a appris l’harmonica au service militaire. Il s’est mis à la guitare dans la caravane où il logeait pendant ses tournées de catcheur. Plus tard, il s’est lancé dans le synthé. Ma mère était sur le point de devenir mannequin quand ils se sont rencontrés. Elle a tout plaqué pour venir s’installer en Belgique. Rien de très banal…
Quand je suis au collège, c’est déjà la folie des marques : pour les sportifs, c’est Reebok, Nike, Adidas,… Moi, je n’ai que des sous-marques. Mais ça ne me perturbe absolument pas. Normal, puisque je n’ai jamais connu le luxe. Je ne sais pas ce que je rate, et quand tu n’as jamais rien eu, tu ne souffres pas si on te prive de plein de choses ! Bien sûr, je regarde parfois comment mes copains sont habillés, je vois ce qu’ils ont aux pieds, mais mes parents nous ont bien expliqué qu’ils n’ont pas les moyens de suivre et qu’il y a d’autres choses importantes dans la vie. On a compris. Un jour, mon père revient d’une longue tournée à l’étranger avec deux paires de Reebok Pump, des baskets hautes magnifiques, pour Alain et moi. On n’y croit pas, c’est Noël avant l’heure. Le plus beau jour de l’année. Un truc de fou ! J’ose à peine les toucher, je caresse les lacets, je les mets sur mon bureau, je veux les garder près de moi pendant la nuit, je ne les porte pas directement… C’est tellement unique. Au réfectoire du collège, il y a tous ceux qui s’achètent un sandwich tout fait ou un repas chaud. Moi, je déballe les tartines que ma mère m’a préparées. Sans gêne, pas de problème. Je n’ai pas non plus d’argent pourprendre une gaufre ou un chocolat au distributeur. Pas grave. Encoreune fois, je n’ai jamais connu tout ça, je n’ai donc pas l’impression qu’on m’enlève quelque chose. C’est bien simple, je n’ai jamais d’argent de poche. Mais on ne se moque pas de moi, on ne me fait pas de remarques sur mon habillement. Il ne faut pas oublier que je reste « le fils du catcheur »… On ne m’ennuie pas non plus quand j’ai l’âge de sortir. Mes copains s’amusent beaucoup, ils ne voudraient