Biographie des grands inventeurs dans les sciences, les arts et l'industrie - Gabriel Joret-Desclosières - E-Book

Biographie des grands inventeurs dans les sciences, les arts et l'industrie E-Book

Gabriel Joret-Desclosières

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Extrait : "Les aérostats (ballons) ont été inventés par les frères Montgolfier en 1783, et perfectionnés par le physicien Charles et le savant Nicolas Conté. Pilâtre de Rozier et le marquis d'Arlande furent les premiers qui osèrent, dès 1783, s'aventurer dans une nacelle suspendue à une montgolfière. Au nombre de nos contemporains qui depuis cinquante ans ont fait servir les aérostats à des expériences scientifiques, on doit citer : MM. Gay-Lussac et Arago."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Avant-propos de la quatrième édition

La biographie des grands inventeurs publiée pour la première fois lors de l’exposition universelle de 1855 est parvenue aujourd’hui à sa quatrième édition.

L’accueil déjà fait par le public à cet ouvrage prouve, mieux que tout ce qu’on pourrait dire, son attrait et son utilité.

Le but cherché n’a pas été de donner une nomenclature d’inventions, de machines ou d’appareils, mais de raconter, avant tout, la vie des grands hommes qui ont servi la science ou l’industrie. Faire connaître l’homme lui-même, ses qualités personnelles, montrer les mérites de patience, de courage et souvent d’abnégation héroïque dont il a fait preuve dans les luttes de la vie pour enrichir l’humanité de ses travaux et de ses découvertes ; voilà ce qui constitue un exemple par excellence.

Comme l’écrivait M. Gabriel Desclosières dans la préface de l’édition de 1857 : « Les notions si variées réunies dans ce volume, les preuves de grandeur d’âme données par les hommes illustres dont nous retraçons la biographie, font de cet ouvrage une lecture attrayante et profitable pour quiconque se préoccupe de soutenir sa vie par des idées élevées et de grands modèles.

Veut-on des enseignements ?

Le patriotisme, l’abnégation, les constants efforts des Conté, des Parmentier, des Vauban, des Prony, des Adanson, des Monge, des Jacquart, des Richard Lenoir, ne sont-ils pas à la hauteur de ce que l’antiquité peut nous offrir de plus digne de louanges ? »

En lisant ces biographies, il est impossible de n’avoir pas constamment à l’esprit cette parole de Franklin :

« Quant à ceux qui prétendent qu’on peut réussir en quelque chose sans travail et sans peine, ce sont des empoisonneurs. »

Les dons du génie ne peuvent appartenir à tous : amis il peut appartenir à chacun de cultiver son esprit, d’élever son cœur, d’acquérir l’amour de sa profession ou de la fonction, si modeste qu’elle soit, que la Providence lui assigne.

Nous ne craignons pas d’affirmer que la biographie des grands inventeurs, qui forme un bon choix de lectures pour les établissements d’instruction publique, est bien faite pour inspirer et entretenir de pareils sentiments.

Paris, 1er juin 1867.

AÉROSTAT
Aérostation

Les aérostats (ballons) ont été inventés par les frères MONTGOLFIER en 1783, et perfectionnés par le physicien CHARLES et le savant Nicolas CONTÉ.

Pilâtre de Rozier et le marquis d’Arlande furent les premiers qui osèrent, dès 1783, s’aventurer dans une nacelle suspendue à une montgolfière.

Au nombre de nos contemporains qui depuis cinquante ans ont fait servir les aérostats à des expériences scientifiques, on doit citer : MM. GAY-LUSSAC et ARAGO (voyez ces noms ci-après sous les sections Astronomie et Chimie). MM. Biot, Barral et Bixio ont également exécuté des ascensions dans un but scientifique. Des aéronautes d’une hardiesse merveilleuse et d’un savoir pratique consommé dans l’art de construire des ballons et d’assurer leur équilibre ont donné au public, depuis une vingtaine d’années, le spectacle toujours avidement recherché d’ascensions et de descentes opérées avec une remarquable précision.

Mais le problème de la direction des ballons reste toujours à résoudre.

Tout le monde connaît la théorie du plus lourd que l’air, affirmée par un artiste, M. Nadar, qui, après s’être fait un renom en collaborant avec le soleil, a conçu la noble ambition d’ouvrir à ses contemporains le chemin des nuages.

Ne crions pas à l’impossible, quiconque voudra lire l’ouvrage de M. Turgan (1850) intitulé : Histoire de la locomotion aérienne depuis son origine jusqu’à nos jours, pourra se convaincre par l’étude des perfectionnements déjà trouvés, que le dernier mot de l’aérostation n’est pas encore dit.

*

Montgolfier (Joseph et Étienne). – Le jeudi 5 juin 1783 l’assemblée des États du Vivarais était réunie à Annonay, autour d’un vaste sac de toile recouvert de papier, enveloppé d’un réseau de ficelle, le tout reposant sur un châssis de seize pieds de surface, attaché aux quatre coins par des cordes qui aboutissaient au réseau.

Sac, réseau et châssis pesaient environ cinq cents livres.

Cette machine était destinée à aller, au nom de la physique, prendre possession de la région des météores.

À la vue de cet appareil, la foule crut un instant que ceux qui l’apprêtaient étaient fous !

Cependant, au moyen d’un feu de paille mouillée, allumé sous le châssis, et de quelques ingrédients jetés dans la flamme, le sac se gonfla et s’arrondit en une sphère de cent dix pieds de circonférence. On coupa la corde qui retenait le ballon, et en moins de dix minutes il s’éleva à plus de mille pieds au-dessus de la tête des spectateurs ébahis.

Le problème d’Architas était résolu.

L’enthousiasme succéda à la stupéfaction ; on porta en triomphe les deux industriels que l’on traitait de fous un instant auparavant, et le monde savant apprit le nom des frères Montgolfier.

Nés tous deux à Vidalon-lès-Annonay, Joseph en 1740, Étienne en 1745, d’un fabricant de papier, les deux frères, après avoir fait leurs études aux collèges de Tournon et de Sainte-Barbe, furent placés à la tête de la fabrique de leur père. Ils y introduisirent des perfectionnements importants, simplifièrent la fabrication du papier ordinaire, améliorèrent celle des papiers peints de diverses couleurs, et créèrent plusieurs inventions utiles, entre autres celle du bélier hydraulique, qui enlève l’eau à soixante pieds, et une machine pneumatique à l’effet de raréfier l’air dans les moules de leur fabrique.

Mais la découverte qui porta littéralement leur nom jusqu’aux astres fut celle des aérostats… des montgolfières comme les appela l’Europe entière.

Après la séance du 5 juin, Messieurs des États du Vivarais dressèrent procès-verbal de l’expérience pour l’Académie des sciences de Paris.

Les frères Montgolfier furent appelés à Versailles, où ils lancèrent un second ballon devant toute la Cour réunie.

Le succès de la découverte produisit une sensation universelle. Les guerres d’Amérique passèrent de mode, et l’on ne s’inquiéta plus que de la navigation aérienne.

Des médailles furent frappées en l’honneur des deux frères ; ils furent nommés correspondants de l’Académie des sciences. Étienne présenté à la cour, fut décoré du cordon de Saint-Michel, et, cette faveur ne pouvant se partager, il obtint pour Joseph une pension de 1 000 francs, et pour son vieux père des lettres de noblesse qu’il avait refusées pour lui-même. 40 000 francs remis par Louis XVI aux Montgolfier les aidèrent puissamment à poursuivre leurs perfectionnements ; mais la Révolution fit bientôt passer la vogue des ballons.

Cependant, on se souvint, dans les guerres de la République, de l’invention des industriels d’Annonay ; à la bataille de Fleurus, on fit une heureuse application des aérostats pour observer les mouvements de l’ennemi ; et à l’expédition d’Égypte, il y eut une compagnie d’aérostiers. Étienne Montgolfier, qui s’était retiré, pendant la Terreur, dans sa papeterie, y mourut en 1799 ; Joseph, qui lui survécut, fut nommé administrateur du Conservatoire des Arts et Métiers, entra en 1807 à l’Institut, et ne termina sa vie qu’en 1810.

Les aérostats cherchent encore leur gouvernail… Cette longue enfance ferait-elle désespérer de la découverte ?… Assurément non, si l’on pense au temps qui s’est écoulé entre l’invention du télégraphe et son application, entre l’invention de la vapeur et son application ! Le plus sage est d’attendre et de dire, avec Franklin, en voyant se balancer dans l’air un de ces globes qui portent les Icares de notre âge : « C’est un enfant, l’avenir est à lui. »

*

Conté (Nicolas-Jacques), né en 1755 à Saint-Céneri, près de Séez en Normandie, reçut de son étoile le génie de la mécanique et l’esprit d’invention. Devenu, à l’âge de douze ans, chef de famille par la mort de son père, il résolut de joindre au petit héritage paternelle fruit de son industrie. Il apprit sans maître la mécanique et la peinture. À dix-huit ans, il fabriqua seul, et avec les outils imparfaits dont il disposait, un violon qui fut considéré comme un travail merveilleux ; et ses premiers coups de pinceau furent si heureux, que la supérieure de l’hôpital de Séez lui fit peindre divers sujets pour la chapelle de cet établissement.

L’intendant d’Alençon, qui s’intéressait au succès de Conté, l’engagea à venir étudier à Paris ; à peine s’y est-il établi que, par un bonheur bien rare au début d’un artiste, on lui adressa de nombreuses commandes de portraits. La peinture ne l’absorbait pas entièrement : tout en vendant des tableaux, il se perfectionnait dans la mécanique, il suivait des cours de physique, de chimie et d’astronomie. C’est ainsi qu’il construisit un instrument d’une grande simplicité pour lever des plans, et une machine hydraulique des plus ingénieuses, qui mérita l’approbation de l’Académie des sciences.

Il était question, à cette époque, d’employer les aérostats à la guerre ; Conté fut chargé de la direction d’une école d’aérostiers, formée à Meudon. Il y fit d’importantes expériences dans le but de fournir, par des procédés peu coûteux de grandes quantités d’hydrogène aux ballons. Il essaya de remplacer, dans la décomposition de l’eau, l’acide sulfurique par le fer. Les annales de la chimie rapportent, à cette occasion, un terrible accident qui faillit coûter la vie à Conté. Il cherchait un soir le degré d’altération que le gaz hydrogène peut produire sous l’enveloppe des aérostats, lorsqu’étant venu à enlever sans précaution le bouchon d’un matras, le gaz s’en échappa et s’enflamma au contact d’une lumière voisine ; Conté, atteint par les éclats du verre, tomba baigné dans son sang il en fut quitte pour la perte de l’œil gauche, et, peu de temps après, sa nomination au poste de directeur du Conservatoire des Arts-et-Métiers le récompensa de son zèle et de ses travaux.

Mais le repos n’était pas le fait de cet esprit investigateur. Il venait de fonder une manufacture de crayons dits de Conté, et s’occupait de trouver un genre de couleurs inattaquables aux agents connus, lorsqu’il fut appelé à taire partie de l’expédition d’Égypte comme commandant des aérostiers. Il s’y rendit utile par une activité infatigable, et créa des fabriques de tout genre pour l’armée qui manquait de tout. Organisateur du service à Alexandrie, il sauva cette place menacée par les Anglais en établissant en moins de deux jours des fourneaux à boulets rouges, et en reconstruisant les instruments tombés aux mains des Arabes après la révolte du Caire.

Forcé d’abandonner ses établissements lors du retour de l’expédition en France, Conté, par un dernier effort de son génie, trouva le moyen d’immortaliser les recherches scientifiques de ses collègues, en imaginant une machine à graver qui reproduisit avec une admirable facilité l’aspect des travaux, des plans et des monuments.

D’une simplicité de mœurs qui n’avait d’égale que son courage, Conté fit preuve dans toutes les circonstances de sa vie d’un désintéressement profond. Il fallut tout l’ascendant de ses amis pour le déterminer à reprendre le privilège de sa fabrique de crayons, qu’il conserva jusqu’à sa mort (1805).

La ville de Séez a élevé une statue à Conté : on ne saurait trop éterniser le souvenir d’une des existences les plus remplies que puisse enregistrer l’histoire de l’industrie.

*

Gay-Lussac (voyez ce nom à la section : Chimie.)

Agriculture

Le plus noble de tous les arts, l’Agriculture, devrait être aussi la plus sûre, la plus indépendante et la plus fructueuse des industries.

Malheureusement, trop longtemps négligée, victime des ravages de la guerre, des charges financières écrasantes qui lui étaient imposées, succombant à la peine en dépit de tout le bien que Sully, Henri IV, Colbert et Vauban lui voulaient, l’Agriculture n’a commencé a se relever et à se transformer que depuis une centaine d’années, grâce aux enseignements d’agronomes français et anglais, aux découvertes de la chimie, aux principes proclamés par la révolution française affranchissant les classes agricoles et enfin à la sollicitude constante des derniers gouvernements qui se sont succédé en France depuis un demi-siècle.

De meilleurs procédés de culture ont été introduits, l’outillage s’est perfectionné, la vicinalité a été améliorée, des fermes-écoles et des sociétés d’agriculture en grand nombre ont été créées, l’application du drainage s’est généralisée.

On ne peut oublier, parmi les écrivains qui ont servi les progrès de l’Agriculture, l’abbé ROZIER, dont la publication, commencée en 1780, exerça une salutaire influence en conviant les esprits à l’étude de la culture perfectionnée du sol.

Parmi les contemporains, on peut citer comme ayant, par de récents écrits, rendu des services à l’agriculture : MM. Thouin, Boussingault, Liebig, Moll, Payen, Barral, Hervé Mangon, Isidore Pierre. La création de la Société centrale d’Agriculture dont le siège est à Paris, l’existence de plusieurs publications spéciales, ont permis aux propriétaires et agriculteurs éclairés de se tenir au courant de toutes les améliorations qui intéressent la culture, l’élève du bétail, l’aménagement des bois et forêts, la culture industrielle, l’application des outils et machines, etc.

Sans rappeler ici les mesures législatives qui depuis la création d’un ministère de l’agriculture (1830) ont favorisé les progrès constatés aux expositions agricoles universelles de 1855 et 1857, qu’il nous suffise de dire que l’enquête provoquée en 1866 et celles qui suivirent depuis permirent de reconnaître les causes qui retardaient encore l’entier développement de l’agriculture en France, en même temps qu’elles firent connaître les vœux des populations rurales.

*

Serres (Olivier de), le patriarche de l’agriculture française, naquit en 1539 à Villeneuve-de-Berg, dans le Vivarais. Il était calviniste ainsi que son frère, Jean de Serres, le célèbre ministre de Nîmes.

Il explique lui-même sa vocation agronomique : « Mon inclination et l’estat de mes affaires m’ont retenu aux champs en ma maison, et fait passer une partie de mes meilleurs ans, durant les guerres civiles de ce royaume, cultivant ma terre par mes serviteurs, comme le temps l’a peu supporté. En quoi Dieu m’a tellement béni par sa sainte grâce, que m’ayant conservé parmi tant de calamités, dont j’ai senti ma bonne part, je me suis tellement comporté parmi les diverses humeurs de ma patrie, que ma maison ayant été plus logis de paix que de guerre, quand les occasions s’en sont présentées, j’ai rapporté le témoignage de mes voisins, qu’en me conservant avec eux, je me suis principalement adonné chez moi à faire mon ménage. Durant ce misérable temps-là, à quoi eussé-je pu mieux employer mon esprit qu’à rechercher ce qui est de mon humeur ? »

Ce fut donc par nécessité, par résignation, principalement pour se distraire du spectacle qui l’environnait, qu’Olivier de Serres se livra à la culture des champs et à l’étude des ouvrages agronomiques : « c’est ce qui m’a fait écrire, » dit-il. Il fut le premier à combattre le préjugé, encore trop enraciné de nos jours, que les livres d’agriculture sont inutiles, et que la pratique seule forme les vrais cultivateurs.

Son célèbre ouvrage, intitulé : Théâtre d’agriculture et ménage des champs, fut sa meilleure réponse aux raisonnements qu’on ne manqua pas de lui opposer. Quand la paix eut succédé aux troubles des guerres de religion, Olivier de Serres, en 1599, dédia au corps municipal de Paris son Traité de la cueillette de la soie, et proposa de planter des mûriers à Vincennes et au bois de Boulogne.

Le succès de ce livre détermina Henri IV à faire planter des mûriers blancs dans toutes les propriétés royales, et à en mettre 20 000 pieds dans le jardin des Tuileries. Dans l’orangerie de ce jardin, on éleva des vers à soie. Le roi Henri IV estimait tellement le Traité d’Olivier de Serres, qu’il se le faisait souvent apporter après dîner, et consacrait une demi-heure à le lire.

L’ouvrage publié en 1603 sous ce titre : Seconde richesse du mûrier blanc, n’eut pas moins de succès et contribua, comme le Traité de la cueillette, à naturaliser en France l’industrie de la soie. Olivier de Serres mourut à l’âge de quatre-vingts ans (1619).

Depuis la révocation de l’édit de Nantes, les presses catholiques n’osaient plus reproduire les œuvres de l’agronome calviniste. Ce ne fut que vers la moitié du XVIIIe siècle que l’attention des agriculteurs les tira de l’oubli.

La Société agronomique du département de la Seine consacra ce retour favorable en donnant, en 1804, une nouvelle édition conforme au texte du Théâtre de l’agriculture.

En tête du livre se trouve le portrait du père de l’agriculture française, d’Olivier de Serres, que Bernard de Palissy trouvait si sublime qu’il s’écriait en parlant de lui : « Je l’ai chanté toute ma vie, je le chanterai jusqu’à ma mort. »

*

Kirchberger (Nicolas-Antoine), baron de Liebistorf, naquit à Berne en 1739, d’une famille ancienne de l’Helvétie.

La première partie de sa vie fut très agitée. Il servit pendant quelque temps en Hollande, et commanda un détachement formant la garnison du fort Saint-Pierre, près de Maëstricht.

Au milieu même des camps, il se livrait avec ardeur à son penchant pour les lettres, et surtout pour les sciences philosophiques. Entre un ordre de bataille et l’assaut d’une place, il lisait les écrits de Leibnitz et de Wolf ; c’est ainsi qu’il conçut le plan d’un grand ouvrage qu’il n’eut même pas le loisir de publier. Il en confia l’idée et l’exécution à un de ses amis.

De retour dans sa patrie, en 1765, Kirchberger prononça dans une réunion de jeunes Bernois, un Discours en l’honneur des habitants de Soleure. On sait que les Soleurois, en défendant leur ville contre Léopold Ier, duc d’Autriche, ayant vu une foule de leurs ennemis tomber dans l’Aar, s’étaient empressés de voler à leur secours, étaient parvenus à les sauver, et les avaient renvoyés sans rançon. En célébrant ce trait de générosité, l’orateur excita l’admiration de tous ceux qui l’entendirent.

Kirchberger ne mérita pas moins l’estime de ses compatriotes, en s’élevant avec force contre une secte d’illuminants ou d’éclaireurs, qui se propageait en Allemagne. Le chef de cette confrérie d’esprits frappeurs du XVIIIe siècle était Frédéric Nicolaï, éditeur de la Bibliothèque germanique. Les mémoires que fit rédiger le baron contre ce novateur parvinrent à l’empereur Joseph II, et déterminèrent ce prince à s’entendre avec la cour de Berlin pour arrêter les progrès de ces dangereux sectaires. – Toute la seconde partie de la carrière de Kirchberger fut consacrée à l’agriculture et aux sciences qui s’y rapportent. En appliquant avec le plus grand bonheur ses études d’histoire naturelle à l’agronomie, il devint le bienfaiteur des campagnes suisses.

Les meilleurs procédés de culture répandus en Europe, il les institua dans son pays ; ses expériences sur le mélange des matières animales avec le gypse employé dans les prairies artificielles réussirent au-delà de toute espérance.

Les magnifiques résultats qu’en obtient universellement l’agriculture, sont des faits qui dispensent de tout commentaire. Entièrement stérile par lui-même, le gypse ne pouvait présenter les qualités requises pour la végétation ; Kirchberger démontra que, répandu en quantité convenable sur la terre végétale, il fournit les moyens de corriger ses défauts, accélère la pousse du semis, et devient un stimulant puissant pour la végétation.

Le baron de Liebistorf parvint dans sa patrie aux plus hautes charges. Il se délassait chaque année de ses importantes fonctions, en allant jouir du repos, de la nature et de ses livres, dans le sein de sa famille, à sa campagne de Morat.

Ce philosophe des champs visitait souvent le grand philosophe de la nature, Jean-Jacques Rousseau, retiré au fond de son île déserte : « Plusieurs Bernois m’étaient venus voir, dit Jean-Jacques dans ses Confessions, entre autres Kirchberger dont j’ai déjà parlé, qui m’avait recherché depuis ma retraite en Suisse, et que ses talents et ses principes me rendaient intéressant. »

Ces mots de Bernardin de Saint-Pierre : « Je suis père de famille, et je demeure à la campagne, » sont le résumé de la vie de Kirchberger, qui mourut, en 1800, au milieu de ses enfants et de ses paysans.

*

Parmentier (Antoine-Augustin), naquit à Montdidier en 1737.

Homme de noble caractère et de grand cœur, il offre un bel exemple de ce que peut sur l’enfance l’éducation maternelle. Restée veuve de bonne heure, Madame Parmentier, douée d’une âme élevée et d’un esprit fort cultivé, donna elle-même à son fils l’instruction littéraire, scientifique et morale que sa modique fortune ne lui permettait pas de lui faire obtenir dans un collège.

À dix-huit ans, Parmentier déclara à sa mère qu’il voulait désormais se suffire à lui-même, et se frayer son chemin dans le monde. Il entra chez un pharmacien de Mont didier, et passa, l’année suivante, dans la maison d’un de ses parents qui exerçait à Paris la même profession.

En 1737, il fut incorporé à l’armée de Hanovre. Dans ce poste, il se fit remarquer par son activité, sa grande intelligence du service, son zèle à soulager toutes les souffrances. Au retour de la guerre, il obtint le brevet de pharmacien en chef de l’hôtel des Invalides. Il remplissait cette honorable fonction, lorsque l’académie de Besançon proposa en prix le sujet suivant : Indication des substances alimentaires qui pourraient atténuer les maux d’une disette.

Parmentier, qui n’était préoccupé que du triste spectacle de l’humanité luttant contre le besoin, accueillit avec empressement le programme. Depuis longtemps, il recherchait avec assiduité tous les moyens propres à remédier aux calamités qui frappent le genre humain. Il se livra à des examens chimiques des principaux tubercules, et publia un mémoire sur la pomme de terre, qui fut couronné par l’Académie de Besançon. Ce succès détermina l’auteur à s’occuper d’une manière toute particulière de la culture de cette espèce de solanée.

Une prévention aveugle arrêtait en France la propagation de cette plante importée du Mexique en Europe. On accusait la pomme de terre de donner la lèpre et de causer la fièvre. Les fermiers les plus osés en cultivaient pour les pourceaux ; mais ils se gardaient bien d’en faire la nourriture des chrétiens.

Parmentier se prit courageusement corps à corps avec ces préjugés ; il s’attacha surtout à combattre par l’expérience la fausse croyance dans laquelle étaient les cultivateurs que la culture de la pomme de terre appauvrissait le sol. Des essais, tentés en grand dans les plaines des Sablons et de Grenelle, firent évanouir ces ridicules erreurs. Les efforts constants de Parmentier, son influence auprès de Louis XVI, tout favorisa le développement de la culture de ce précieux tubercule, auquel il serait temps de restituer de nom de Parmentière, que François de Neuf-château voulait qu’on lui donnât.

La pomme de terre prit le rang qui lui appartenait parmi les richesses agricoles de France. Bien plus, elle devint un mets royal : Louis XVI, pour donner l’exemple à son peuple, en faisait servir tous les jours à sa table.

De la cour, la pomme de terre passa sur sa table des riches, puis sur celle des pauvres ; elle devint universelle. On ne connut plus de famine : la précieuse fécule des parmentières remplaçait le froment, quand le pain était cher.

Aujourd’hui les populations de l’Europe n’ont qu’une crainte, c’est que la pomme de terre ne se venge des dédains qu’excita son apparition, en disparaissant totalement des campagnes.

Membre de l’Institut, président du conseil de salubrité du département de la Seine, administrateur des hospices, Parmentier mourut en 1813, après avoir apporté dans toutes ses fonctions un esprit de philanthropie qui le classe, à plus d’un titre, au rang des bienfaiteurs du peuple.

*

Dombasle (Mathieu de) naquit à Nancy le 26 février 777. Après avoir servi son pays, il se livra à l’industrie, puis il se rendit à cette parole que Sully ne cessait de répéter au bon roi Henri IV : « Le labourage et le pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée, les vraies mines et trésors du Pérou. »

Il résolut de justifier le grand ministre ; il se fit agronome. Ses succès lui méritèrent d’être appelé, en 1822, à diriger la ferme expérimentale et l’institut agricole de Roville, qu’une société d’actionnaires venait de fonder dans le département de la Meurthe.

Les résultats qu’il obtint sont merveilleux. Sous son habile direction, et grâce à l’influence qu’il exerça autour de lui, la commune de Roville changea rapidement d’aspect ; le nombre des habitants doubla ; les anciennes maisons, réparées et embellies, prirent un air d’aisance et de bonheur.

Au bout de deux années, le visiteur pouvait, en parcourant les deux cents hectares qui composaient la ferme, admirer des labours soigneusement exécutés, des récoltes superbes, et cela sur un terrain plus qu’ingrat. C’est que Mathieu de Dombasle avait dompté le sol à l’aide d’instruments aratoires inventés ou perfectionnés par son génie. Pour la charrue, par exemple, il reconnut que la direction du coutre devait former un angle de vingt-cinq degrés avec la verticale. Plus redressée, la charrue beurre ; plus inclinée, les herbes remontent trop facilement sans être coupées. Le coutre de Dombasle présentait encore cet avantage qu’il est plus solide et plus facile à forger que celui de Small, le plus voisin cependant, après le sien, de la perfection.

Aussi le système de Dombasle a-t-il conservé le nom de l’inventeur. En 1825, il n’y avait que quatre élèves à Roville ; sept années plus tard, le nombre des élèves suivant les cours de l’institut agronomique s’élevait à vingt-cinq.

L’instruction, que les futurs agriculteurs y recevaient, ne se composait pas seulement de notions d’agriculture pratique, elle comprenait aussi des cours de botanique, d’art vétérinaire et de comptabilité agricole.

En même temps, le savant agronome faisait, au prix de grands sacrifices, l’essai de toutes les nouveautés étrangères ; il fut un des premiers à tenter en France les machines à battre et le semoir des Anglais.

Le concours agricole, qu’il institua, exerça une immense influence sur l’agriculture du pays. Enfin Mathieu de Dombasle songeait à l’avenir ; non content de diriger l’établissement de Roville avec un mérite qui lui fait le plus grand honneur, il publia de bons ouvrages d’agriculture.

Outre les Annales agricoles de Roville, on a de lui la Théorie de la charrue, le Calendrier du bon Cultivateur, l’Agriculture théorique et pratique, traduite de l’anglais, Description des nouveaux instruments d’agriculture les plus utiles, traduite de l’allemand, etc.

L’agriculture perdit son bienfaiteur en 1843 ; depuis cette perte, l’établissement rural de Roville a été supprimé ; la fabrique d’instruments aratoires qui en dépendait a été transférée à Nancy.

Mathieu de Dombasle a réalisé ce que l’on regardait avant lui comme une chimère, – la véritable ferme modèle. Sa ville natale lui a érigé une statue ; puisse cet honneur ranimer le zèle des amis du labourage et du pâturage. « les deux mamelles dont la France est alimentée ! »

Architecture

En parcourant la biographie des architectes compris dans cette section, le lecteur apprendra l’origine d’un grand nombre de nos monuments.

La France contemporaine n’a rien voulu négliger pour assurer aux Dupérac, aux Perrault, aux Mansard, de dignes successeurs.

L’École des beaux-arts comprend une section d’architecture qui offre aux jeunes gens bien animés, tous les moyens d’étude ; des prix sont décernés chaque année, le grand prix obtient le titre de pensionnaire de l’Académie de Paris et est envoyé à Rome. L’Institut appelle dans son sein les architectes les plus distingués.

Enfin, une école spéciale d’architecture a été récemment créée sous la protection d’un haut patronage.

Quoi qu’il en soit, de toutes ces causes si capables d’entretenir les grandes traditions, on ne peut se dissimuler que, si l’architecture contemporaine à laquelle on doit de nombreuses et très remarquables restaurations est aussi ingénieuse que fidèle à reproduire le style des anciennes écoles, elle est moins heureuse lorsqu’elle se livre absolument à ses propres inspirations, le plus souvent le sentiment du goût et de l’élégance, le secret des heureuses proportions se font à peine jour au travers des énormes carrières de pierres qui surgissent de toutes parts.

Absorbés par l’immense développement des constructions privées, soumis à des exigences qui relèvent plus de l’économie domestique que de la libre pratique de l’art, entraînés vers la tendance au massif et aux lourdes ornementations, les architectes contemporains n’ont pas encore, à part de trop rares exceptions, affirmé le caractère de l’architecture française au XIXe siècle dans des monuments qui puissent être proposés à l’admiration et à l’imitation de l’avenir.

*

Montereau (Pierre de). – Le pieux roi Louis IX, ayant acheté de Baudoin, empereur de Constantinople, un morceau de la vraie croix, la couronne d’épines de Jésus-Christ et quelques autres saintes reliques de la Passion, transporta son précieux fardeau sur ses épaules depuis le faubourg Saint-Antoine jusqu’au Palais de Justice, marchant pieds nus, vêtu de laine et la tête découverte, parmi les acclamations du peuple, le chant des psaumes et le carillon des cloches. Mais il ne jugea pas la chapelle de Saint-Nicolas digne de servir de tabernacle à ces restes sacrés : il ordonna donc, dit un chroniqueur, que l’on commençât de bâtir une chapelle d’une merveilleuse beauté, qui méritât de renfermer de si grand trésors.

L’architecte choisi fut Pierre de Montereau, qui jeta les premiers fondements de la Sainte-Chapelle en 1245, et termina son œuvre au mois d’avril 1248. Cette église est double et se divise en haute et basse chapelle ; la haute chapelle, que l’on appelait encore Sainte-Couronne et Sainte-Croix, contenait les reliques. On y monte par quarante-trois degrés ; elle se compose d’une seule nef en ogives très hautes ; le corps de l’édifice, soutenu par des colonnettes minces, sveltes, de plus en plus rapprochées vers le rond-point du chœur, reçoit la lumière par des croisées fort longues.

La basse Sainte-Chapelle servait de paroisse aux gens du roi et des chanoines ; on y entre par une porte latérale. Cette seconde église, plus primitive, plus mystique encore que l’autre, est composée d’une nef en ogives fort larges entre deux demi-nefs, dont la moitié, de courbe ascendante, va toucher le mur, supportée par des piliers grêles et élégants, placés à l’intersection des deux branches d’ogives qu’ils soutiennent ensemble ; ces colonnes sont plus minces que celles de l’étage supérieur. On croit voir un édifice se soutenant tout seul et coupé par des piliers servant de simples ornements.

L’élégante flèche du monument, une dentelle de pierre qui s’élevait du sol comme une aiguille de filigrane, a été abattue quelques années avant la Révolution, parce qu’elle menaçait ruine ; nous l’avons vue, hardie et légère, se redresser de nos jours, comme au temps de saint Louis. La Sainte-Chapelle a été entièrement restaurée, et son sanctuaire rendu au culte n’est plus le réceptacle des paperasses du greffe.

Pierre de Montereau ne suivit pas Louis IX en Palestine, comme l’avancent plusieurs écrivains qui l’ont confondu avec Eudes de Montreuil, architecte contemporain, dont le prince se fit accompagner dans sa première croisade et qui fut chargé par lui de construire les fortifications de Jaffa.

Devenu, par ses propres études, un grand artiste, Pierre de Montereau exécuta des travaux importants qui lui valurent une gloire, non pas aussi éclatante que celle qu’il devait à la Sainte-Chapelle, mais un renom parfaitement mérité.

Les divers édifices qu’on lui doit sont : La chapelle de Vincennes ; le réfectoire de Saint-Martin-des-Champs, enfin le dortoir de la salle capitulaire et la chapelle de Notre-Dame, à l’abbaye de Saint-Martin-des-Prés. Le réfectoire de Saint-Martin-des-Champs est encore aujourd’hui fort curieux à visiter ; c’est un des beaux monuments de ce genre échappés aux injures du temps et aux destructions révolutionnaires. On admire la science qui a présidé à sa construction et la hardiesse de ses voûtes, dont les retombées ont pour support des colonnes d’une finesse et d’une élégance extrêmes. On remarque aussi la chaire consacrée au lecteur, et dont l’escalier est pris dans l’épaisseur du mur.

Pierre de Montereau mourut le 17 mars 1266, et fut inhumé le lendemain dans le chœur de la chapelle qu’il avait construit à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. On le plaça près de sa femme Agnès, trépassée dix mois auparavant, et l’on voyait encore, avant la Révolution, sa tombe sur laquelle l’artiste était représenté tenant à la main une règle et un compas.

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Pise (Nicolas de), ainsi nommé de Pise, sa ville natale, florissait dans le XIIIe siècle.

À la fois sculpteur et architecte, il embellit sa patrie de monuments remarquables. Appelé à Bologne pour y travailler au tombeau de saint Dominique, il exécuta son chef-d’œuvre : il mit six ans à orner ce monument de bas-reliefs, dont les sujets sont tirés de la vie du saint, et qui passent pour l’ouvrage le plus parfait qui ait paru depuis la renaissance des arts.

En même temps l’artiste dirigeait les travaux de l’église des frères prêcheurs, dont il avait tracé le plan.

À son retour en Toscane, Nicolas de Pise entreprit aussitôt de nouvelles œuvres, et continua d’exercer son art avec génie. Des édifices, qui rappelèrent la beauté des proportions antiques, s’élevèrent par son inspiration à Pise, et à Florence. Le clocher de l’église des Augustins de Pise, la magnifique chaire en marbre du baptistère de cette ville, sont des titres impérissables de la gloire de l’illustre architecte. Que dire de l’église de la Trinité, à Florence ? ce bijou, cette perle, que Michel-Ange ne pouvait se lasser d’admirer, et que ce grand homme nommait sa dame favorite !… Nicolas de Pise a laissé encore l’abbaye de Taglia-Cozzo, près de Naples, que Charles d’Anjou fonda en mémoire de la victoire qu’il avait remportée sur Conradin. Il est aussi l’auteur d’une des inventions les plus importantes de l’art de bâtir. Chargé de construire un édifice sur un terrain marécageux, il lutta contre les difficultés du sol mouvant jusqu’à ce qu’il eut trouvé le moyen de les vaincre, en créant le mode de fondation sur pilotis.

Cette précieuse découverte est aujourd’hui d’une application universelle pour les constructions maritimes. Des travaux si utiles et si grandioses avaient attiré sur Nicolas de Pise les faveurs de tous les princes de la chrétienté ; il mourut à Sienne, plein de jours et comblé d’honneurs, en 1270, la même année que saint Louis.

Outre ses remarquables œuvres, Nicolas de Pise légua aux arts deux hommes célèbres, ses disciples et ses continuateurs : Jean, son fils et André de Pise qui forma les Donatello, les Ghiberti, – ces rénovateurs de l’art en Italie.

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Coucy (Robert de) naquit à Reims, vers la fin du XIIe siècle.

Or, en ce temps-là, un architecte fameux, nommé Hugues Libergier, avait entrepris à Reims la construction de la célèbre église de Saint-Nicaise.

Les bourgeois de la ville venaient religieusement visiter, chaque jour, les travaux, les chantiers et les ouvriers ; car ç’a été toujours un évènement pour une localité que l’édification d’un monument.

Parmi les visiteurs assidus de l’église qui s’élevait, se trouvait un brave père de famille qui, chaque soir, s’en retournait répétant son refrain favori : « Les édifices bâtis à la gloire de Dieu chantent la louange de ceux qui les édifient. »

Une belle après-midi le respectable visiteur arriva accompagné de son fils, jeune gars de seize à dix-huit ans, et il n’omit pas sa sentence accoutumée.

« Puisqu’il est si beau de bâtir, s’écria le jeune homme, je veux être architecte ! »

Qui fut dit fut fait, et voilà comment Robert de Coucy – car c’était lui-même – devint un artiste illustre.

Chose bizarre ! il fut appelé à continuer l’édifice, cause première de sa vocation. Libergier avait construit le portail, les tours, la nef et les deux bas-côtés de l’église de Saint-Nicaise ; de Coucy fit la croix, le chœur et les chapelles. L’histoire des beaux-arts a conservé la description de cette église démolie en 1796. Elle était composée de quatre corps d’architecture. Le corps qui servait de base, plus massif que les autres, s’élevait jusqu’au-dessous de la voûte des nefs collatérales, et présentait en devant trois portiques dont les frontons, au nombre de sept, s’appuyaient sur un grand nombre de colonnes de marbre. Le second corps s’élevait jusqu’au-dessus de la voûte de la nef, à cent pieds du rez-de-chaussée. Le troisième consistait en deux clochers d’une structure à jour et fort légère. On admirait surtout l’art et l’intelligence que les architectes avaient déployés, pour poser sur des appuis aussi délicats que l’étaient les deux tours, plusieurs pyramides dont quelques-unes avaient cinquante pieds de hauteur. Mais un phénomène dont aucun savant ni aucun artiste n’a pu se rendre compte, et qui excita au plus haut degré l’étonnement du czar Pierre, lorsqu’il visita Saint-Nicaise, en 1717, c’est le balancement du pilier-boutant, situé à dix pieds de distance de la tour des cloches et à quarante pieds plus bas que les cloches elles-mêmes. Pourquoi ce pilier était-il ébranlé et suivait-il toutes les oscillations de la cinquième cloche, tandis qu’il reprenait son immobilité quand on sonnait les autres ?…

L’église Saint-Nicaise ne fut pas le seul monument auquel ait travaillé Robert de Coucy, il fut aussi architecte ou maître des œuvres de la cathédrale de Reims.

Cette basilique ayant été incendiée en 1210, la reconstruction en fut commencée par Libergier, puis continuée par de Coucy, qui eut la gloire d’y mettre la dernière main.

La cathédrale de Reims passe pour un des plus beaux édifices dont s’honore la France : les ornements gothiques y sont étalés dans toute leur perfection et leur magnificence. Ce fut la dernière œuvre de Robert de Coucy, dont la mission artistique fut d’achever des travaux trop longs pour la vie de ses prédécesseurs. Il mourut centenaire, et fut enterré dans le cloître Saint-Denis à Reims, où l’on vit pendant longtemps sa figure sculptée en relief sur la muraille, avec cette inscription :

« Cy git Robert de Coucy, maistre de Notre-Dame et de Saint-Nicaise, qui trépassa l’an 1311. »

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Steinbach (Erwin de), habile architecte du XIIIe siècle, s’est immortalisé en élevant les Munsters de Strasbourg de Thann et de Freyburg.

La vaste basilique de Strasbourg est bâtie sur trois plans : le chœur, commencé par Pépin et terminé par Charlemagne, est sans harmonie et de mauvais goût ; mais la nef, exécutée au XIe siècle par l’évêque Werner de Halsbourg, est d’une belle architecture, et fait regretter que l’on n’ait pas songé à reconstruire le chœur dans des proportions plus régulières et plus élégantes. Le portail et la tour de la cathédrale sont les œuvres de Steinbach ; il en jeta les fondements en 1275, et en dirigea la reconstruction jusqu’à sa mort (1318.) Notre-Dame de Strasbourg avait reçu de la main du célèbre architecte les trois portes, l’étage inférieur de la Tour du Nord et de la Tour du Midi, achevée jusqu’à la plateforme.

Steinbach laissa à son fils, Jean Erwin, et à ses successeurs les plans de l’ensemble qu’on peut voir encore dans la Frauenhaus. Jean Erwin mena les travaux jusqu’en 1339 ; à cette époque, Hültz de Cologne lui succéda. La tour fut terminée en 1365 ; mais le globe de fer et la croix qui le surmonte, ne furent placés qu’en 1439.

Aujourd’hui que le temps a rongé le sommet des pyramides d’Égypte, le Munster de Strasbourg est le plus haut monument élevé par la main des hommes. On monte aisément dans la tour jusqu’à la couronne. À la première galerie, ou plate-forme, on lit gravés sur les murs du clocher près de deux mille noms : Klopstock, Lavater, Voltaire, etc., etc. Au premier étage de la tour on voit les statues de Clovis, de Dagobert, de Rodolphe de Habsbourg, de Louis XIV ; au-dessus est une grande rosace en vitraux peints : éclairée par les rayons du soleil, cette rosace produit dans l’église des effets magiques. La flèche, admirable ouvrage d’architecture, une dentelle de pierre qui s’élève comme une aiguille de filigrane, compose le troisième étage de l’édifice ; au sommet se trouve la lanterne, puis la couronne, et enfin le bouton octogone, qui termine le monument et supporte une croix de pierre de un mètre vingt-deux centimètres de hauteur.

Il n’y avait qu’une époque de foi, capable d’élever à la religion une œuvre aussi colossale. L’architecte qui en conçut le plan avait, comme son époque, cette foi robuste qui triomphe de tout.

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Lescot (Pierre). – Tout ce qu’on a pu recueillir sur la vie de ce grand architecte, né à Paris en 1510, se borne à savoir qu’il était de la famille d’Alessy, abbé commendataire de Clagny, conseiller au parlement.

Il se rendit célèbre dans l’architecture sous les règnes de François Ier et de Henri II. Examinons donc ses travaux : à l’œuvre on connaît l’artisan.

Le Louvre ! le monument de France qui a subi le plus de réparations, de démolitions, de reconstructions, de changements, et qui ne devait être achevé que sous le règne de Napoléon III ! successivement prison, forteresse, arsenal, palais et musée, date de Philippe-Auguste qui fit élever, en 1204, une grosse tour ronde sur l’emplacement de la partie est de la cour actuelle. Mais le véritable fondateur du Louvre, c’est François Ier, qui fit raser la tour et élever le palais.

Les démolitions commencèrent en 1541. On était alors en pleine renaissance ; le goût de l’architecture antique, déjà universel en Italie, se répandait en France sous les brillants auspices de Jean Bullant, de Philibert Delorme, de Jean Goujon, de Pierre Lescot. Ce fut sur ce dernier que tomba le choix du prince. Pierre Lescot se mit à l’œuvre, et continua ses travaux sous Henri II, après la mort de François 1er. Mais, quand Henri II eut été frappé à mort par Montgommery, au milieu d’un tournoi, Catherine de Médicis vint s’établir au Louvre. On interrompit la reconstruction, et le plan de Lescot fut abandonné.

Toutefois, ce qui subsiste encore de l’ouvrage de l’illustre artiste, est au-dessus de ce qu’on a voulu depuis mettre à sa place. La façade intérieure de la cour, appelée Façade de l’Horloge, est un véritable chef-d’œuvre. À la pureté de l’architecture, à la perfection des profils, elle réunit les ornements du meilleur goût et de la plus grande richesse. C’est encore sur les dessins de Pierre Lescot, que fut construite la salle des Cent Suisses du Louvre, plus spécialement connue sous le nom de salle des cariatides, à cause de la belle tribune dont la sculpture est due au ciseau de Jean Goujon.

Cette salle, qui fait aujourd’hui partie du musée des antiques, est décorée d’un ordre dorique dont les colonnes sont accouplées et élevées sur un seul socle. L’élégance noble et simple de la décoration en fait le plus beau fleuron de l’édifice.

Un des ouvrages les plus renommés de Lescot, est la fontaine des Innocents, où le génie de Jean Goujon a si heureusement secondé celui de l’architecte. Les artistes du siècle de Louis XIV reprochaient à cette fontaine sa trop grande simplicité ; ceux du siècle suivant la dédaignèrent parce qu’ils n’y voyaient pas l’emploi de ces ornements recherchés et contournés de cette manière prétendue gracieuse, qui infestait alors tous les arts. Mais à mesure que le goût du simple et du beau s’épure, la fontaine des Innocents est de plus en plus appréciée.

Pierre Lescot mourut en 1571. La postérité, en admirant l’élégance et les justes proportions de ses œuvres, le proclame le restaurateur de l’architecture en France. Où trouver, dit M. Vitet, cet ensemble harmonieux, cette richesse sans confusion, cette symétrie sans roideur, cette imagination abondante et tempérée, toujours maîtresse d’elle-même, unissant constamment aux plus ingénieuses saillies la finesse du goût et la rectitude du bon sens ? C’est là le grand secret de cette renaissance française, dont le Louvre est la plus complète expression.

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Serlio (Sébastien), architecte du XVIe siècle, né à Bologne vers l’an 1500, annonça dès le plus jeune âge son penchant pour les arts.

Sans autre maître que son instinct, il étudia les principes de la perspective et de l’architecture. Plus tard, les écrits de Vitruve étant tombés dans ses mains, lui expliquèrent ce qu’il n’avait pu deviner, et l’examen des monuments compléta son instruction. C’étaient alors les beaux jours de la renaissance ; une noble protection s’étendait, en Italie, sur tous les artistes.

Les Médicis à Florence, les papes à Rome, le sénat à Venise, les ducs de Mantoue, de Ferrare et d’Urbin, faisaient élever de vastes et splendides palais, des édifices religieux et profanes.

Serlio, animé du désir de se faire connaître et de perfectionner son talent, se mit à voyager, à parcourir les villes de l’Italie. Il fit un assez long séjour dans les États Vénitiens : à Vérone, il mesure l’amphithéâtre et les ponts ; à Vicence, il bâtit une salle de spectacle ; à Venise, il fournit les dessins pour achever l’église de Saint-François, dont la construction avait été interrompue par les disputes des architectes. Honoré de la protection du doge et des nobles de la ville des lagunes, Serlio n’aurait pas manqué d’occasions de défier ses rivaux, si le désir de s’instruire ne l’eût emporté sur l’ambition de briller. Il se dirigea sur la Dalmatie, où il découvrit, le premier, les antiquités de Pola ; ensuite, il repassa la mer pour aller visiter les monuments d’Ancône, de Spolète et des autres cités de la Marche et de l’Ombrie. À Rome, il reprend le texte de Vitruve et se met à étudier les ruines de la ville éternelle dont il dessine et fixe les dimensions. En même temps, il recueille les recherches qu’il a faites dans ses voyages, et compose un traité d’architecture.

François Ier voulait reconstruire le Louvre, et attirait à lui les artistes les plus renommés ; il n’oublia pas Serlio. Il le fit venir en France, le nomma architecte de Fontainebleau et surintendant des bâtiments de la couronne, et le mit en concurrence avec Pierre Lescot. Mais Serlio était plus versé dans la théorie qu’habile dans la pratique ; il eut lui-même la générosité de préférer les projets de Pierre Lescot aux siens.

La mort de François Ier et les guerres civiles qui éclatèrent en France privèrent le savant architecte de toute protection.

Retiré à Lyon, plongé dans la plus affreuse détresse, il vendait ses manuscrits feuille à feuille afin de subsister au jour le jour. Le surplus de cette vente lui servit à payer ses hôtes et à regagner Fontainebleau, où, accablé de chagrins et de misère, il expira (1552).

Les dessins de Serlio manquent de noblesse et d’élégance ; aussi n’est-ce pas dans l’exécution qu’il faut chercher la valeur de son talent, mais bien dans ses œuvres écrites, qui furent traduites dans plusieurs langues et réimprimées plusieurs fois.

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Dupérac naquit à Bordeaux en 1560.

Il appartient à cette pléiade d’architectes français qui se rendirent en Italie, dans leur jeunesse, pour se former aux sources les plus pures de l’antique. S’il ne passa pas les monts comme Philibert Delorme, Ducerceau et tant d’autres, il doubla les colonnes d’Hercule et franchit la Méditerranée, – tout chemin mène à Rome.

Dupérac cultiva la peinture, la sculpture, l’architecture. Il dessina sur nature les plus belles antiquités de Rome, les grava dans le genre de Tempeste, et les publia dans un ouvrage ayant pour titre : Dell’antichità di Roma. Ce recueil, devenu fort rare, est très précieux en ce qu’il reproduit les ruines antiques dans l’état où elles étaient encore à cette époque, – état bien différent de celui où elles sont aujourd’hui.

À son retour en France, Dupérac dédia à la reine Marie de Médicis un ouvrage intitulé : Vues perspectives desjardins de Tivoli. Le mérite de cette offre valut à l’artiste les bonnes grâces de la reine et du roi Henri IV, qui lui confia la direction de plusieurs travaux importants.

Henri IV, ayant fixé sa résidence habituelle au Louvre, avait entrepris la construction d’une grande galerie qui, longeant la Seine, devait relier le Louvre aux Tuileries Trouvant la galerie du Louvre commencée par ses prédécesseurs, il la fit continuer d’abord jusqu’au guichet ouvert actuellement en face du pont des Saints-Pères.

Plus tard, il fit commencer l’adjonction de la partie attenante aux Tuileries. Le Béarnais désirait que la construction de cet immense corps de bâtiment fût poussée avec activité. « J’ai été bien aise d’apprendre, écrivait-il à Sully le 8 avril 1603, que l’on continue, avec la plus grande diligence qu’il se peut, mes bâtiments du Louvre. » Il faut reconnaître, dans les deux parties de la galerie du Louvre, l’intervention de plusieurs architectes : dans la première, on peut croire que les architectes de Henri IV ont été amenés à suivre les indications de leurs devanciers ; dans la seconde, au contraire, ils ont voulu évidemment s’en affranchir. On croit que la galerie attenante au Louvre, et commencée sous les derniers rois de la famille des Valois, fut continuée par Dupérac. Quant à celle qui se lie au pavillon de Flore, elle paraît être, ainsi que le pavillon, l’œuvre de Jean-Baptiste Ducerceau, qui, après la mort de Dupérac, devint l’architecte particulier de Henri IV.

Le bon roi, qui terminait le Louvre et le Pont-Neuf, employait aussi ses architectes, ses peintres, ses sculpteurs, ses décorateurs de toute sorte à l’embellissement du palais de Fontainebleau.

Dupérac ne fut pas oublié dans la répartition des travaux. Il peignit plusieurs tableaux pour la salle des Bains, et on lui attribue la décoration de la belle galerie de Diane, de la galerie des Chevreuils dans le jardin de l’Orangerie, enfin la galerie des Cerfs, où fut assassiné Monaldeschi, galerie détruite sous Louis XV, mais dont la quatrième fenêtre, témoin du meurtre royal, se voit encore, avec l’inscription suivante qui a remplacé la croix et la pierre où était gravé le mot DIEU : « C’est près de cette fenêtre que Monaldeschi fut tué par ordre de Christine, reine de Suède, le 10 novembre 1657. »

Dupérac mourut à Paris dans les premières années du XVIIe siècle. Cet habile artiste eut le malheur de ne mettre la main qu’à des œuvres collectives, exécutées en commun par des rivaux dont les noms ont effacé le sien.

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Bullant (Jean) a de commun avec son compatriote et successeur, Jacques de Brosse, que les dates précises de sa naissance et de sa mort sont restées inconnues. Maison sait que, s’étant adonné fort jeune à l’étude de l’architecture, il passa les Alpes vers le commencement du XVIe siècle, pour aller se pénétrer en Italie des règles de l’antique, et élever sa vive intelligence au niveau des modèles de Milan, de Florence, de Rome et de Naples.

De retour en France, l’artiste, encore inconnu trouva l’occasion de donner la mesure de son talent.

Le connétable Anne de Montmorency venait d’être disgracié, et, pour occuper les loisirs que lui laissait son éloignement des affaires politiques, il avait conçu le projet de faire construire un château à Écouen. Bullant fut choisi pour architecte ; et la manière dont il exécuta son travail lui acquit bien vite une réputation hors ligne.

La disposition du château d’Écouen est extrêmement simple : elle consiste en quatre corps de bâtiments élevés au pourtour d’une cour carrée, et flanqués, aux quatre angles, de pavillons plus élevés, qui doivent être considérés comme la transformation des tours du Moyen Âge. Le corps de bâtiment, où se trouve pratiquée l’entrée principale, est moins important et moins élevé que les trois autres : il se compose d’une simple galerie ouverte à l’intérieur de la cour et d’un étage secondaire au-dessus ; mais au milieu s’élève une sorte de portail dont la masse semble avoir eu pour but de reproduire l’effet de ces hautes tours qui dominaient les entrées des châteaux féodaux. Seulement ce portail est une composition architecturale purement décorative, dans laquelle l’art est hardiment intervenu pour en faire le frontispice de ce palais, l’un des plus somptueux dont puisse s’honorer la France.

La célébrité de l’artiste une fois établie, de grandes entreprises se succédèrent sous sa direction.

En 1564, Catherine de Médicis avait décidé de faire bâtir un palais sur l’emplacement où était située une maison que François Ier avait achetée de Nicolas Neuville pour la donner à sa mère, et des fabriques de tuiles ou tuileries. Cette reine chargea Bullant et Philibert Delorme de l’exécution du projet.

Les deux architectes se mirent à l’œuvre ; le palais fut élevé. L’isolement de cette habitation, qui se trouvait en dehors de l’enceinte de la ville, et le souvenir des anciennes fabriques qu’il remplaçait, lui firent donner le nom de Château des Tuileries.

Aujourd’hui, il serait assez difficile de distinguer, à travers les changements apportés depuis dans les décorations extérieures de l’édifice, les parties qui sont l’ouvrage particulier de chaque artiste ; on pense généralement que Bullant y prit moins de part que Philibert Delorme.

Une des constructions qui, au dire des historiens, faisait le plus d’honneur à Bullant, mais que le temps n’a pas épargnée, c’est l’hôtel de Soissons ou de la Reine. C’est dans ce palais, situé à l’endroit qu’occupe maintenant la Halle aux blés, que Catherine de Médicis se livrait avec Come de Ruggieri à ses études astrologiques.

Le visiteur, dans Paris, remarque encore avec surprise une colonne engagée dans les murs de la Halle aux blés, dernier vestige de la tour au sommet de laquelle la reine observait les astres.

Bullant ne fut pas seulement un architecte de grand talent ; il fut aussi sculpteur plein de goût et d’élégance. On lui attribue l’autel de la chapelle d’Écouen conservé dans le musée des Petits-Augustins ; et Henri III, qui l’avait confirmé dans les fonctions de contrôleur des bâtiments de la couronne, l’avait chargé de terminer le tombeau des Valois à Saint-Denis, commencé par Philibert Delorme en 1560, sous la direction de Primatice.

L’artiste déposait aussi quelquefois le compas et le ciseau pour la plume. On lui doit un traité intitulé : Reigle généralle d’architecture des cinq manières, à savoir : Tuscane, dorique, ionique, corinthe et composite, à l’exemple de l’antique.

On a dit de Jean Bullant que, seul de tous les sectateurs de Vitruve, il était demeuré dans les voies régulières tracées par le maître, en ce qui concerne les profils et les justes proportions des ordres. Sa manière dans la sculpture est mâle et grandiose ; en architecture, son style a de l’élégance, de la simplicité, de la grandeur.

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Delorme (Philibert), né à Lyon, vers le commence du XVIe siècle, fut, dès sa première jeunesse, attiré par le désir de franchir les Alpes, dont les hautes cimes se dressaient devant ses yeux.

Il passa en Italie, et se livra à l’étude de l’architecture en présence des sublimes modèles de cette terre de l’art monumental. Ses talents précoces méritèrent de fixer l’attention bienveillante de Marcel Cervin, le même qui porta la tiare sous le nom de Marcel II.

Rentré dans son pays en 1536, Delorme entreprit différentes constructions dont l’exécution fut, pour les ouvriers et les chefs d’ateliers, une source de révélations, surtout en ce qui concerne les voûtes et les escaliers… Mais le point de départ de sa renommée fut le portail de Saint-Nizier.

Le cardinal du Bellay fut si enthousiasmé du style élevé de l’artiste qu’il le présenta à Henri II. Aussitôt Philibert Delorme reçut la mission d’exécuter le Fer-à-Cheval du palais de Fontainebleau ; puis il traça les plans des châteaux d’Anet et de Meudon.

Le château d’Anet, destiné à Diane de Poitiers, devait être, selon le vœu du roi, digne de la dame de ses pensées. Tout ce que l’art et la galanterie peuvent imaginer de noble et de gracieux, Delorme le fit entrer dans son plan : il produisit un monument, grand dans l’ensemble, précieux par les détails, riant par la situation, pittoresque par la variété des mouvements qu’il sut donner à son architecture. Henri désirait que son amour pour sa maîtresse fût imprimé sur la pierre ; l’artiste grava sur le fronton du bâtiment, dans les devises royales, un carquois, un arc et des flèches, en un mot les attributs de… la déesse. Ces emblèmes, dictés par l’amour, ont seuls survécu à la ruine du château d’Anet, dont la façade principale est conservée dans la cour du palais des Beaux-Arts.

Le château de Meudon, tel que Philibert Delorme l’avait bâti d’après les ordres du cardinal de Lorraine, n’existe plus. Il consistait en un principal corps de bâtiment, avec deux ailes en retour du côté de l’entrée, réunies par cinq pavillons flanqués de tourelles. Le bâtiment du fond était décoré, au rez-de-chaussée, d’un portique d’ordre dorique. L’ensemble de l’édifice accusait l’emploi des ordres grecs, et portait le cachet de la renaissance.

À la mort du roi, Catherine de Médicis confia à Philibert Delorme l’intendance de ses bâtiments. Le célèbre architecte commença, en 1564, sa grande œuvre, le palais des Tuileries ; mais les finances ne permirent pas de donner alors au monument un développement qu’il ne devait atteindre qu’aujourd’hui.

Tant a coûté de peines
Le long enfantement des grandeurs parisiennes !

Les travaux de Philibert Delorme furent royalement récompensés par le don des abbayes de Saint-Eloi, de Noyon et de Saint-Serge-d’Angers ; à ces munificences, la reine joignit la qualité de conseiller ordinaire du roi. Ces faveurs aigrirent l’esprit des jaloux ; le poète Ronsard se fit remarquer entre les plus ardents par son acrimonie, et il publia contre Delorme une satire intitulée : la Truelle crossée. Il y eut de part et d’autre échange de procédés blessants ; la reine blâma son architecte de son orgueil, son poète de ses vers, et fit tant bien que mal la paix entre ces deux vanités.

Philibert Delorme mourut dans la plénitude de sa gloire, en 1577. – Il léguait à l’architecture, outre ses beaux modèles, une espèce de charpente qu’il avait inventée et qui porte son nom ; plus, différents écrits, parmi lesquels on remarque : Nouvelles inventions pour bien bâtir et à petits frais ; Préceptes sur la coupe des pierres. Il légua encore à l’architecture française : « Le bienfait de l’avoir dépouillée de ses habillements gothiques pour la revêtir de ceux de l’ancienne Grèce. »

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Ducerceau (Androuet), comme presque tous les architectes du XVIe siècle, passa les monts pour aller se former aux meilleures sources de l’art monumental.

Il était originaire de Paris, ou d’Orléans, selon d’autres ; toujours est-il que ce fut à la protection du cardinal d’Armagnac qu’il obtint la faveur de visiter l’Italie.

À son retour en France, l’influence du même protecteur le fit nommer architecte du roi Henri III : Ducerceau prouva, par ses œuvres, qu’il avait su étudier les grands modèles, et qu’il était digne de sa haute situation.

Déjà, dans les dernières années du règne de Henri II, on avait commencé à s’alarmer sérieusement de l’étendue excessive de Paris. Des mesures même avaient été prises pour remédier à cet accroissement, et un édit du mois de novembre 1549 avait fait défenses à toute personne, de quelque qualité qu’elle fût, de bâtir à neuf dans les faubourgs, à peine de confiscation du fonds et du bâtiment. Sur les deux rives de la Seine, et presque en regard l’un de l’autre, s’élevaient deux grands quartiers habités par l’élite de la société parisienne et destinés à rivaliser de puissance et de richesse. Par cela même, les relations de l’un à l’autre étaient devenues plus fréquentes, et les moyens ordinaires de communication en bateau ou par le pont Saint-Michel ne pouvaient plus suffire. Il fallut songer à en créer d’autres. C’est alors que fut conçu le projet d’un pont appuyé sur la pointe de l’île de la Cité, et portant par ses deux extrémités, d’un côté, sur le quai des Augustins, de l’autre, sur celui de la Mégisserie.

L’honneur de cet établissement appartient au règne de Henri III. Le samedi 31 mai 1578, le roi Henri III, accompagné de sa mère, Catherine de Médicis, de Louise de Lorraine-Vaudemont, son épouse, du duc de Nevers et autres princes, seigneurs et dames de la cour, ainsi que des principaux magistrats de la ville, se rendit en grande pompe sur la rive gauche de la Seine, et là, dans un endroit creusé entre le couvent des Augustins et l’hôtel de Nevers, fut posée la première pierre du Pont-Neuf.

L’exécution de cette grande entreprise fut confiée à Androuet Ducerceau.

À la fin de la première année, les quatre piles du côté des Augustins étaient à fleur d’eau, les fondements des autres étaient jetés, et déjà l’on pouvait entrevoir l’époque où, sous la conduite de l’habile architecte, l’œuvre serait complètement terminée, lorsque les guerres civiles de la Ligue suspendirent les travaux.

L’activité d’Androuet se porta alors sur des constructions particulières : il bâtit, avec un goût supérieur, les hôtels de Carnavalet, des Fermes, de Sully, de Mayenne, etc.

Sous le règne suivant, lorsque Henri IV, après avoir désarmé les partis et fait la paix avec l’Espagne, se trouva paisible possesseur de la couronne, on reprit les travaux du Pont-Neuf. Mais Ducerceau avait disparu. Son attachement à la religion réformée l’avait forcé à chercher un refuge à l’étranger, où il mourut. Ce fut une perte très sensible pour la France ; mais le Béarnais voulut que les travaux fussent poussés néanmoins : il en confia la conduite à Guillaume Marchand qui suivit et acheva le plan de son prédécesseur.

Le vieux Pont-Neuf était considéré comme la huitième merveille du monde. Il est, en effet, des ponts plus vastes dans leur développement, plus élégants dans leur forme, plus solides dans leur construction ; mais aucun ne réunit à un plus haut point les trois conditions nécessaires à un monument de ce genre : l’utilité, le caractère et l’aspect. Le Pont-Neuf, en se rajeunissant sous Napoléon III, a reconquis son vrai nom et sa vieille réputation.

Pour en terminer avec Androuet Ducerceau, disons que ce savant architecte fut doublement utile à son art ; car après ses constructions, il publiait d’excellents traités, tels que : Livres d’architecture, Leçons de perspective, etc.

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Brosse (Jacques de) est du nombre de ces artistes français sur lesquels l’histoire ne possède aucun détail biographique. On ne connaît ni la date de sa naissance ni celle de sa mort. On sait qu’il florissait au commencement du dix-septième siècle : voilà tout.