Biologie de l'homosexualité - Jacques Balthazart - E-Book

Biologie de l'homosexualité E-Book

Jacques Balthazart

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Beschreibung

L'homosexualité au cœur des interrogations scientifiques.

Il est couramment admis que l’orientation hétéro- ou homosexuelle d’un individu est essentiellement, voire exclusivement, le résultat d’apprentissages et d’interactions sociales qui se déroulent dans la petite enfance. Sous l’influence de théories psychanalytiques freudiennes et postfreudiennes, un rôle tout particulier a été attribué aux interactions du petit enfant avec ses parents dans le développement de l’homosexualité. Cette dernière serait alors le résultat d’un blocage du développement de la libido à un stade immature. Ces opinions très répandues ne sont cependant pas soutenues par des études quantitatives contrôlées et ignorent une littérature scientifique abondante qui suggère fortement, voire démontre que l’homosexualité dépend largement de déterminants biologiques prénataux.

Vu la complexité de la personne humaine, ceci n’exclut pas qu’il puisse exister des homosexuels pour qui cette orientation constitue un choix de vie délibéré, éventuellement influencé par des expériences antérieures. Cependant, une large proportion des homosexuels naissent avec cette orientation sexuelle qui se révèle à eux de façon progressive au cours du développement et n’est souvent acceptée qu’au prix d’une souffrance psychologique importante. Une compréhension de ces mécanismes biologiques devrait conduire à une acceptation plus large de l’homosexualité dans la population et réduire la souffrance des personnes concernées. Ce livre a pour but de rendre accessible à un large public la littérature scientifique sur les bases biologiques de l’orientation sexuelle et donc de corriger les conceptions erronées très répandues au sujet des origines de l’homosexualité.

Cet ouvrage de référence apporte un éclairage sur l'homosexualité en reprenant les théories sociales, psychologiques et biologiques à son sujet.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

En homme de science, l’auteur s’adresse au lecteur dans un langage compréhensible. (...) Un hymne à l’acceptation. Un outil pour aider les homosexuels à s’assumer. - Eos, n°26

Il va de soi que ce livre bat totalement en brèche les propos pseudo-scientifiques du futur primat de Belgique qui appuye sa vision de l'homosexualité, une anormalité dans le développement de la personne, sur la théorie freudienne. Sa parution vient donc bien à point nommé ! - Gay Kosmopol

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jacques Balthazart dirige le Groupe de Recherches en Neuroendocrinologie du Comportement (GIGA-Neurosciences) et est Chargé de cours à l’Université de Liège (Belgique).

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À ma femme, Claire, et à ma belle-fille, Nathalie, qui par leurs encouragements mais aussi leurs critiques ont largement contribué à mener ce projet d'écriture à son terme.

Préface

« Nul n’a le droit en vérité de me blâmer, de me juger et je précise

Que c’est bien la nature qui

Est seule responsable si

Je suis un homo comme ils disent. »

Charles Aznavour, « Comme ils disent »

Tolérée dans de nombreuses régions et en diverses circonstances durant une grande partie de l’Antiquité et du Moyen Âge, l’homosexualité a dû faire face au cours des siècles suivants à une vague d’intolérance largement suscitée par la pensée judéo-chrétienne. Devenue tare, voire perversion, elle devait être combattue comme une maladie. Une maladie que divers courants de pensée d’inspiration freudienne ou post-freudienne au cours du XXe siècle ont eu peu de scrupules à attribuer à l’attitude des parents envers le jeune enfant en croissance. De quoi faire persister des conceptions qui considèrent l’homosexualité comme un mal résultant soit d’un comportement inapproprié des parents soit de décisions malsaines voire perverses de l’enfant en développement.

La culpabilisation des parents, du moins sous cette forme, est pourtant hors de propos comme nous le démontrerons au fil de cet ouvrage. Ni l’éducation qu’ils donnent ni leurs comportements (père faible ou absent, mère dominatrice) n’induit l’homosexualité de leur enfant. Il suffit pour s’en convaincre de considérer le fait avéré qu’il n’existe pas d’augmentation d’incidence de l’homosexualité chez les jeunes garçons qui ont été élevés dans une famille monoparentale (mère ou père seul), une situation sociale fréquente depuis la seconde moitié du XXe siècle et qui a donc pu être étudiée quantitativement.

Contrairement à ce que soutiennent des théories encore trop répandues, généralement on ne devient pas et on ne choisit pas d’être homosexuel: on naît homosexuel. L’origine de l’homosexualité est davantage à chercher dans la biologie des individus que dans l’attitude de leurs parents ou dans des décisions conscientes des sujets concernés. En tant que biologiste spécialisé en neuroendocrinologie du comportement, je suis en profond désaccord avec les thèses défendues dans de nombreux ouvrages publiés en langue française qui expliquent l’homosexualité presqu’exclusivement par des théories psychanalytiques post-freudiennes en complet désaccord avec la psychologie ou la biologie moderne. Reporter une responsabilité sur les parents ou sur les homosexuels euxmêmes qui ont souvent beaucoup de mal à assumer leur orientation sexuelle (le taux de suicide est particulièrement important dans ce groupe de personnes) est en contradiction avec une masse de données scientifiques récentes et a par ailleurs de graves conséquences au niveau social.

Une abondante littérature scientifique en langue anglaise confirme l’existence d’une base biologique à l’orientation sexuelle humaine. Selon ces études, cette orientation serait très probablement influencée par le milieu hormonal auquel est exposé l’embryon, en association avec des prédispositions génétiques plus ou moins pénétrantes 1. Il n’existe pas à notre connaissance de documents résumant ces données en langue française. Ce livre devrait pallier ce manque, du moins en partie. Nous espérons qu’il contribuera à déculpabiliser les homosexuels et leurs parents, et à leur faire prendre conscience de ce que les orientations homo ou hétérosexuelles sont probablement chez l’Homme comme chez l’animal sous le contrôle de phénomènes endocriniens ou génétiques embryonnaires dans lesquels la notion de choix individuel et, par conséquent, de responsabilité et culpabilité n’a que peu de place.

1. La pénétrance en génétique est la proportion d’individus porteurs d’un caractère génétique donné qui exprimeront le phénotype correspondant.

Chapitre 1

Introduction

1.1 POURQUOI CE LIVRE?

J’étudie depuis plus de 35 ans les mécanismes hormonaux et nerveux qui contrôlent les comportements dits instinctifs, c’est-à-dire exprimés spontanément par une espèce et typiques de celle-ci. Une grande partie de ces études a été consacrée à l’analyse du comportement sexuel mâle. Ce travail m’a conduit à m’intéresser aux différences sexuelles qui sont associées à ces comportements. Dans la plupart des espèces, mâles et femelles montrent en effet des comportements différents (e.g. montes et intromissions chez les mâles; postures de réceptivité sexuelle chez les femelles). De plus, ils dirigent majoritairement ces comportements vers des congénères différents (les mâles vers les femelles et les femelles vers les mâles). Ces différences de comportements exprimés et leur orientation sont clairement contrôlées chez l’animal par les hormones produites par les gonades, c’est-à-dire les testicules chez le mâle et les ovaires chez la femelle.

L’action comportementale de ces stéroïdes se situe principalement au niveau du cerveau et plus particulièrement de ses parties les plus anciennes évolutivement: l’hypothalamus et l’aire préoptique. Le but premier de ces recherches est de faire progresser, au niveau fondamental, notre connaissance du fonctionnement du cerveau. Il est cependant évident que l’application potentielle des connaissances ainsi acquises à l’espèce humaine est une question qui ne peut être éludée. Le comportement sexuel humain est-il sous la dépendance des hormones testiculaires et ovariennes ? … et corollairement ces hormones affectent-elles l’orientation de ce comportement ? Depuis de nombreuses années, j’ai été amené à consulter la littérature scientifique dans ce domaine. J’ai également côtoyé au cours de conférences scientifiques internationales de nombreux chercheurs actifs dans le domaine de la sexualité humaine.

La recherche sur les bases neuroendocrines du comportement sexuel chez l’animal et chez l’Homme 1 est une discipline qui s’est développée de façon préférentielle dans les pays anglo-saxons, essentiellement les États-Unis et dans une moindre mesure la Grande-Bretagne. L’essentiel de la littérature scientifique dans ce domaine est, dès lors, publiée en anglais. Pour la même raison, il existe également en langue anglaise de nombreux ouvrages de synthèse et des livres de vulgarisation consacrés aux mécanismes biologiques qui contrôlent la sexualité humaine en général et l’orientation sexuelle (homo- et hétérosexualité) en particulier (Agmo, 2007; Hines, 2004; LeVay, 1993, 1996; LeVay & Valente, 2006; Rosenzweig, Breedlove & Watson, 2004; Strong & DeVault, 1997). Par contre, il n’existe pas à ma connaissance de documents semblables en langue française. J’envisage donc depuis pas mal de temps d’écrire un livre sur le sujet, mais comme cela arrive trop souvent, ce projet a été postposé à plusieurs reprises.

En 2006, le Dr Stéphane Clerget a publié un ouvrage présenté comme une synthèse de toutes les données actuellement disponibles pour expliquer l’orientation homo ou hétérosexuelle chez l’Homme (Clerget, 2006). Tout en prétendant être exhaustif, ce livre fait en réalité l’apologie d’explications essentiellement psychanalytiques de l’homosexualité et rejette systématiquement toute explication biologique. Je n’ai pas d’objection à ce que le Dr Clerget expose ses vues psychanalytiques post-freudiennes de l’homosexualité, même si je pense, et ce avec d’autres, que ces soi-disant explications n’expliquent rien et se sont souvent révélées erronées quand elles n’étaient pas frauduleuses (Bénesteau, 2002; Dufresne, 2007; Van Rillaer, 1980). Cependant, lorsqu’il prétend que son livre contient une synthèse moderne basée sur l’ensemble des disciplines scientifiques actuelles, y compris l’endocrinologie et la neurobiologie (Clerget, 2006, p. 99), je suis obligé de m’insurger car cette affirmation est une usurpation. Ce livre est, en effet, une vue biaisée et partielle de ce que la neurobiologie moderne a pu établir. Que ce soit par manque d’information ou manque de compréhension des données, son résumé est tout simplement inacceptable. Il a donc servi de catalyseur et m’a poussé à prendre la plume.

1.1.1 Thèse principale développée dans cet ouvrage

Nous montrerons dans ce livre que l’orientation homo ou hétérosexuelle d’un individu est contrôlée par un ensemble de facteurs environnementaux et biologiques. Ces facteurs biologiques semblent jouer un rôle déterminant même si le détail des mécanismes impliqués n’est actuellement pas compris de façon complète. Ils ne le seront probablement jamais vu l’impossibilité d’expérimenter sur l’Homme, pour des raisons éthiques évidentes, et vu la latence très grande (> 20 ans) entre les événements qui probablement induisent l’homo ou l’hétérosexualité (environnement de l’embryon et son patrimoine génétique) et la mise en évidence de leurs effets (identité sexuelle de l’adulte). Les études prospectives chez l’Homme sont donc extrêmement difficiles, voire impossibles, si l’on considère en plus le nombre limité de cas homosexuels qui apparaîtront dans une population étudiée. Les études rétrospectives restent par ailleurs moins convaincantes car la sélection des sujets et de leurs contrôles, aussi bien appariés qu’ils soient, peut toujours être biaisée par un ou des facteurs non identifié(s).

Les études animales sont ici d’un grand support. Elles démontrent en effet l’existence chez l’animal de mécanismes neurobiologiques déterminant le comportement et l’orientation sexuelle qui se retrouvent mutatis mutandis dans l’espèce humaine. Ces travaux expérimentaux, réalisés dans des conditions hautement contrôlées, apportent donc des arguments de poids pour interpréter les études largement corrélatives réalisées chez l’Homme.

Si l’approche biologique n’a pas apporté à ce jour d’explication définitive, elle propose néanmoins un faisceau d’arguments convergents. Si on compare ce que l’on sait aujourd’hui sur l’homosexualité humaine à ce qui a été fermement établi concernant le déterminisme hormonal de l’orientation sexuelle chez diverses espèces animales, on est très logiquement conduit à penser qu’il existe également chez l’Homme une composante biologique forte dans le développement de l’homosexualité. Ce déterminisme serait largement prénatal ce qui, comme nous le verrons plus loin, ne veut pas nécessairement dire génétique.

1.1.2 Conséquences sociales

L’attitude des sociétés occidentales envers les homosexuels a grandement varié au cours des siècles. À une attitude assez tolérante qui a prévalu pendant une grande partie de l’Antiquité gréco-romaine et le Moyen Âge, a fait suite un temps de beaucoup plus grande intolérance largement inspirée par la pensée judéo-chrétienne. L’homosexualité a alors été considérée comme une tare ou une perversion qui devait être combattue et traitée (comme une maladie) dans la mesure du possible.

Divers courants de pensée d’inspiration freudienne ou post-freudienne ont attribué à l’attitude des parents envers le jeune enfant en croissance un rôle critique dans le développement de l’homosexualité (Œdipe pas ou mal résolu). Ces théories ont eu pour avantage de ne plus associer l’homosexualité à une perversion mais plutôt de la considérer comme une variation dans le processus du développement de la personnalité sans y associer nécessairement de critère de valeur morale ou autre. Il faut cependant remarquer que, même pour des personnes qui acceptent ce type d’explication, il persiste une rémanence des conceptions judéo-chrétiennes qui continuent à considérer l’homosexualité comme un mal résultant soit d’un comportement inapproprié des parents soit de décisions malsaines de l’enfant en développement. Par contre, dans la mesure où l’origine de l’homosexualité doit être recherchée dans la biologie des individus et non dans le comportement de leurs parents ou dans les choix de vie faits par l’individu pendant son développement, la culpabilisation des parents ou des homosexuels eux-mêmes est évidemment tout à fait hors de propos. Ce n’est pas l’éducation qu’ils ont donnée ni leur comportement (p. ex.. père absent ou mère dominatrice) qui a induit l’homosexualité de leur enfant. Ceci est étayé par le fait qu’il n’existe pas d’augmentation d’incidence de l’homosexualité chez les jeunes garçons qui ont été élevés dans une famille monoparentale (mère ou père seul). Cependant, même si on pouvait démontrer formellement que l’homosexualité est déterminée par des facteurs biologiques (génétiques ou hormonaux), le sentiment de culpabilité parentale risque d’être toujours présent. Les parents restent, dans cette explication, indirectement responsables de l’orientation sexuelle de leur enfant soit via les gènes qu’ils lui ont transmis soit via le milieu hormonal que la mère a « créé » pour son enfant lorsqu’il était embryon. Ce type de responsabilité est cependant complètement différent.

Certains homosexuels revendiquent le fait que leur orientation est le résultat d’un choix personnel, ce qui conforte la notion de responsabilité de l’homosexuel dans son style de vie et son orientation. Le terme d’homosexualité recouvre probablement un phénomène à déterminisme multiple et il est fort possible que pour certains homosexuels, leur orientation relève d’un choix délibéré que de nombreux systèmes sociaux et religions ont considéré comme une perversion. Il n’est donc pas à exclure qu’il existe parmi les homosexuels des individus qui pour des raisons diverses ont choisi leur orientation sexuelle. Il s’agit très probablement d’une minorité de cas et pour la vaste majorité des sujets, l’orientation homosexuelle du comportement s’impose à l’individu indépendamment de tout choix. Elle serait même en conflit avec les choix que voudrait faire l’individu.

L’adolescent réalise souvent contre son gré qu’il ou elle est homosexuel(le). Cette découverte est, chez de nombreux sujets, la source de souffrances morales importantes qui peuvent dans les cas extrêmes conduire à la dépression, voire au suicide… (le taux de suicide chez les jeunes homosexuels est significativement plus élevé que dans les populations hétérosexuelles correspondantes; Kourany, 1987; Lebson, 2002). L’acceptation de son homosexualité par un individu se produit de façon très progressive – voire jamais – au cours de la vie. Ce qui contribue sans aucun doute à expliquer les soi-disant cas de changement d’orientation sexuelle (homosexuel ayant contracté un mariage hétérosexuel puis changeant apparemment d’orientation). La première orientation est souvent le résultat de pressions sociales que l’individu met parfois des décennies à vaincre avant d’accepter sa vraie nature. Si son origine était mieux comprise, l’homosexualité ne devrait pas, a priori, être associée à la souffrance qu’elle provoque encore trop souvent. L’interprétation psychanalytique de cette variation d’orientation sexuelle n’est certainement pas étrangère à cette souffrance inutile.

Cette réflexion sur les conséquences sociales potentielles de l’une ou l’autre interprétation de l’homosexualité ne doit cependant pas influencer notre analyse de ses causes. Les conclusions basées sur l’évidence doivent bien entendu prendre le pas sur les idées politiquement correctes ou simplement moins dérangeantes. Nous avons effleuré ce sujet dans le seul but d’indiquer que l’interprétation biologique, non contente de reposer sur une base expérimentale solide, a en plus pour avantage de repousser une forme de culpabilisation non justifiée.

1.2 LES QUATRE DIMENSIONS DE LA SEXUALITÉ HUMAINE

La sexualité humaine est un phénomène complexe et multidimensionnel qui recouvre divers aspects du comportement et de la personnalité. On peut y distinguer au moins quatre dimensions plus ou moins indépendantes: 1) le type de patrons moteurs spécifiques qui sont exécutés par l’individu (performance) ainsi que la motivation sous-jacente à l’expression de ces comportements, 2) l’orientation de ces comportements et des fantasmes sexuels qui y sont associés vers un sexe ou vers l’autre (l’orientation sexuelle), 3) l’identité sexuelle que pense avoir l’individu et enfin 4) le rôle sexuel que joue l’individu dans la société.

Ces quatre dimensions sont souvent corrélées chez un individu donné et liées à son sexe morphologique et génétique mais des discordances majeures peuvent survenir. De manière à clarifier des points de terminologie importants, on parlera en sexologie d’ homosexualité lorsque l’orientation sexuelle d’un individu ne correspond pas à son sexe morphologique (et en général génétique, voir Chapitre 7.2), de transsexualité lorsque l’identité sexuelle est en désaccord avec le sexe morphologique et enfin de travestisme si le rôle sexuel joué par un individu ne correspond pas à son sexe morphologique. L’action des stéroïdes sexuels et des variables biologiques en général sur ces différentes composantes de la sexualité est extrêmement variable.

Le premier aspect de la sexualité humaine est lié à l’accomplissement des actes sexuels et à la motivation qui les sous-tend. On a montré que, chez l’animal, cette caractéristique est sexuellement différenciée et contrôlée par les hormones stéroïdes tant pendant le développement (organisation) que pendant la vie adulte (activation) (Chapitre 4). Le comportement sexuel humain n’est cependant pas limité à des actes moteurs sexuellement différenciés. Au lieu d’avoir une position d’accouplement stéréotypée comme c’est le cas chez le rat (monte et intromission du mâle, lordose de la femelle), l’espèce humaine s’accouple dans une variété de positions. Souvent une position est préférée dans une culture donnée (la position allongée, homme au-dessus de la femme ou position « du missionnaire » dans les civilisations occidentales) mais d’autres positions sont couramment utilisées et la/les positions favorite(s) varie(nt) d’une culture à l’autre (Nelson, 2005). L’homme et la femme ne jouent donc pas de rôle stéréotypé au cours de l’acte sexuel; il n’existe pas de différence majeure entre les actes moteurs réalisés par les deux sexes et en conséquence, la littérature animale consacrée aux mécanismes qui contrôlent les dimorphismes affectant cet aspect du comportement a peu d’intérêt pour comprendre l’espèce humaine.

La motivation qui conduit les êtres humains à avoir des relations sexuelles est par ailleurs forte dans les deux sexes. Des différences de modalité ont été signalées, mais elles restent mineures et souvent liées à la culture. Cette motivation, même si elle n’est pas très différenciée sexuellement, reste cependant chez l’Homme, comme chez l’animal, en partie sous le contrôle des stéroïdes sexuels et nous passerons en revue les arguments qui soutiennent cette thèse (Chapitre 8). Si les aspects moteurs du comportement sexuel sont assez semblables chez l’homme et chez la femme, les trois autres dimensions de la sexualité sont, elles, extrêmement différenciées.

L’orientation sexuelle, terme que nous préférons à préférence sexuelle à cause de sa neutralité par rapport à la volonté de l’individu, identifie le sexe des personnes vers lesquelles un individu dirige ses comportements mais aussi ses fantasmes sexuels. La plus grande partie des hommes et des femmes sont sexuellement attirés et excités par les individus de l’autre sexe. Ils sont hétérosexuels. Il existe cependant de façon très régulière un pourcentage d’individus attirés par les personnes de leur sexe, ils sont homosexuels. Cette distinction n’est pas absolument qualitative et dès les études de Kinsey et ses collaborateurs à la fin des années 1940, il a été reconnu que tous les intermédiaires pouvaient exister. On considère que 3 à 10 % des hommes sont homosexuels dans toutes les cultures humaines quelle que soit leur attitude vis-à-vis de l’homosexualité. Ces chiffres varient cependant légèrement en fonction des méthodes d’études (cf. Chapitre 1.4). Les statistiques pour les femmes sont moins précises, mais devraient être du même ordre de grandeur avec en plus une population non négligeable d’individus se considérant comme bi-sexuels (attraction pour les femmes aussi bien que pour les hommes, cf. Chapitre 1.4). Il existe donc dans toutes les populations humaines une proportion non négligeable d’homosexuels des deux sexes. Bien que tout à fait significative, cette proportion ne dépasse cependant jamais les 10 %, ce qui signifie donc que la majorité de la population est hétérosexuelle. L’orientation sexuelle est donc un des traits comportementaux les plus différenciés entre hommes et femmes qui ait été identifié.

Indépendamment du sexe du partenaire trouvé intéressant ou excitant du point de vue sexuel, chaque être humain est aussi persuadé d’appartenir à un sexe donné, masculin ou féminin. Cette conviction est souvent inchangeable et elle semble se développer très tôt dans la petite enfance. La majorité des individus pensent avoir une identité sexuelle qui correspond à leur morphologie génitale mais un petit nombre de personnes sont convaincues du contraire et pensent « être nées dans un corps qui ne correspond pas à leur sexe ». Ils sont appelés transsexuels par les sexologues. Cette identité sexuelle se développe très tôt dans la petite enfance, voire pendant la vie embryonnaire et, contrairement à ce que l’on pensait jusqu’il y a peu, il est en général difficile voire impossible de la modifier par la suite (voir l’histoire révélatrice de Joan/John au Chapitre 2.5). Des données cliniques suggèrent par ailleurs que l’organisation de cette identité sexuelle pourrait être sous la dépendance des stéroïdes sexuels prénataux. Cette idée est difficile à évaluer en partie parce qu’il n’existe pas de modèle animal qui permette d’étudier l’identité sexuelle. Il est en effet impossible de demander à un animal, quelle que soit son espèce, à quel sexe il pense appartenir et si ce sexe correspond bien à sa morphologie. En plus des difficultés de communication associées à une telle entreprise, cela impliquerait d’ailleurs que l’animal ait conscience de son propre corps et de son sexe, ce qui est loin d’être démontré même si les recherches récentes identifient chaque jour de nouvelles aptitudes cognitives très élaborées non seulement chez les primates mais aussi chez d’autres espèces plus éloignées de l’Homme, comme les dauphins voire même des oiseaux comme les perroquets ou les corvidés. Nous discuterons au Chapitre 13 les données essentiellement cliniques suggérant que l’identité sexuelle est au moins en partie déterminée par les conditions hormonales embryonnaires.

La quatrième et dernière dimension de la sexualité humaine concerne le rôle sexuel joué par un individu dans la société. Ce rôle sexuel est profondément influencé par la structure de la société dans laquelle vit l’individu concerné. Ainsi, les travaux ménagers étaient des tâches typiquement féminines en Europe occidentale jusqu’à la Première Guerre mondiale, mais sont maintenant largement (peut-être pas encore assez !) partagées par les hommes et les femmes. Les travaux agricoles par ailleurs sont des tâches typiquement masculines ou féminines selon la société considérée. Il serait donc probablement vain de rechercher des bases biologiques à ce type de différence sexuelle, même si la sociobiologie suggère que les pressions sélectives agissant sur nos ancêtres pourraient avoir sélectivement adapté hommes et femmes pour des tâches diverses. Il n’existe par ailleurs pas de modèle animal qui permette d’étudier ce rôle sexuel qui a peu ou pas d’équivalent dans les espèces non humaines. Les découvertes récentes sur les systèmes sociaux complexes des primates pourraient néanmoins nous amener à réviser cette idée dans les années à venir.

Les quatre dimensions de la sexualité humaine que nous venons de distinguer sont corrélées et en accord les unes avec les autres chez la majorité des individus. Cette corrélation peut être attendue tant sur base des apprentissages coordonnés qui les affectent que sur base d’une imprégnation hormonale prénatale qui jouerait un rôle sur leur organisation. Il est cependant important de les distinguer clairement car ces dimensions peuvent exceptionnellement être discordantes. Il est notamment critique de faire la différence entre orientation et identité sexuelles. Ce n’est pas parce qu’un sujet masculin (féminin) est homosexuel qu’il ne se considère pas comme un homme (une femme); son identité sexuelle reste masculine (féminine). En revanche, un transsexuel homme qui pense en fait être une femme (« transsexuel homme-versfemme » dans la littérature) peut être attiré sexuellement par les hommes ou par les femmes. Cette orientation devient alors difficile à qualifier car elle dépendra du sexe de référence considéré (le sexe génital et morphologique ou le sexe correspondant à l’identité sexuelles). À titre d’exemple, un transsexuel homme-vers-femme attiré par des hommes est homosexuel si on se réfère à son sexe morphologique mais hétérosexuel si on considère son identité sexuelle.

Pour diverses raisons éthiques et techniques, l’analyse expérimentale des bases neurobiologiques de la sexualité est difficile chez l’Homme et l’on doit souvent se limiter à l’étude de cas cliniques. L’interprétation de ces données est cependant toujours problématique car elles sont essentiellement corrélatives (existence d’une relation entre tel caractère comportemental et telle modification hormonale p. ex.). Il est donc impossible d’être certain que les corrélations observées sont bien dues à un effet d’une variable sur l’autre. La confirmation de ces interprétations ne peut donc venir indirectement que d’une comparaison avec des études réellement causales réalisées chez l’animal. L’essentiel des études animales consacrées aux différences sexuelles affectant le comportement sexuel se sont malheureusement focalisées sur les différences relatives au type de comportement exécuté et sont donc de peu d’intérêt pour comprendre le comportement dans l’espèce humaine chez qui, comme nous l’avons dit, les aspects moteurs des comportements sexuels exprimés par les hommes et les femmes ne sont pas ou peu différents. Plus récemment, l’orientation sexuelle a aussi été étudiée chez l’animal et nous verrons que ces études jettent un éclairage important sur les origines de l’homosexualité humaine. Les deux autres dimensions de la sexualité (i. e., identité et rôle sexuels) sont spécifiques à l’Homme et ne peuvent donc être étudiées à partir de modèles animaux.

1.3 FAUT-IL PARLER D’ORIENTATION OU DE PRÉFÉRENCE SEXUELLE?

Les causes qui poussent un individu à développer une attirance sexuelle pour des partenaires de l’un ou de l’autre sexe sont probablement complexes. Deux terminologies sont couramment utilisées pour désigner cette caractéristique: on parle soit d’orientation soit de préférence sexuelle. Ces deux dénominations ont de façon consciente ou non des connotations différentes. « Orientation sexuelle » implique en général que l’homo/hétérosexualité résulte principalement de facteurs biologiques tandis que « préférence sexuelle » suggère plutôt que l’homo/hétérosexualité représente un style de vie qui serait appris voire choisi de façon plus ou moins délibérée au cours de la vie. Il est possible voire probable que ces deux types de mécanismes soient effectivement impliqués à des degrés divers. Cependant, la thèse essentielle de cet ouvrage étant que la plus grande partie du déterminisme résulte de facteurs biologiques prénataux, nous utiliserons préférentiellement le terme d’« orientation sexuelle ».

Il importe de distinguer dans le discours trois aspects importants de l’homosexualité, à savoir: l’expression de comportements homosexuels, l’attirance/attraction homosexuelle et enfin la reconnaissance/acceptation de cette attirance vis-à-vis de la société. Le fait de présenter occasionnellement ou même plus régulièrement des comportements sexuels dirigés vers un individu du même sexe se retrouve fréquemment dans diverses espèces animales. Il est généralement associé à des conditions dans lesquelles les partenaires du sexe opposé ne sont pas (facilement) disponibles. On pense, par exemple, à des animaux captifs (zoo, ferme), à des sociétés animales où quelques mâles dominants monopolisent toutes les femelles et empêchent les mâles dominés de s’accoupler avec elles, ou enfin à des groupes animaux où le sex ratio (nombre relatif de mâles et de femelles) est fortement asymétrique de sorte que de nombreux individus ne peuvent pas trouver de partenaire du sexe opposé. Dans tous ces cas, les comportements homosexuels disparaîtront rapidement lorsque les partenaires de sexe opposé redeviendront disponibles.

Il en va de même dans l’espèce humaine où l’on observe assez régulièrement des comportements homosexuels dans des circonstances où les partenaires du sexe opposé ne sont pas disponibles. On pensera, par exemple, aux prisons ou aux institutions d’enseignement non mixtes où les activités homosexuelles sont fréquentes. Nous parlerons également dans ce livre de sociétés dites « primitives » où les relations homosexuelles sont la règle parmi les adolescents, voire sont encouragées, car l’accès aux filles est formellement interdit avant le mariage (Chapitre 9). Dans toutes ces conditions, on a pu observer que les comportements homosexuels régressent ou disparaissent lorsque les partenaires du sexe opposé deviennent accessibles. Il n’y a donc pas ici d’attraction homosexuelle préférentielle. L’activité homosexuelle sert simplement d’exutoire à la motivation sexuelle sans qu’elle soit nécessairement préférée à l’activité hétérosexuelle

L’attraction préférentielle ou exclusive pour les congénères du même sexe est par contre une caractéristique largement humaine qui ne se retrouve pas fréquemment chez l’animal mais peut y être induite par des modifications de l’environnement hormonal embryonnaire ou par des lésions d’une zone précise du cerveau. Une telle attraction homosexuelle exclusive spontanée a été identifiée dans certaines populations de moutons dont nous reparlerons plus loin (Chapitre 7). C’est de cette attraction exclusive ou préférentielle pour les individus de même sexe dont nous parlons principalement dans ce livre. Nous montrerons que cette attraction est conditionnée, au moins en partie, par des phénomènes biologiques prénataux qui échappent largement à la volonté de l’individu concerné.

La reconnaissance face à la société de cette attraction homosexuelle est, enfin, un troisième aspect à considérer de façon indépendante. Il est clair que cette reconnaissance qui passe d’abord par l’acceptation personnelle de l’orientation homosexuelle puis par sa révélation au grand jour (le coming out) est, quant à elle, un acte conscient qui dépend largement de la volonté de la personne concernée, en interaction avec la plus ou moins grande tolérance de son entourage qui facilitera ou compliquera le processus. De nombreux homosexuels, dont certains très célèbres (e.g., Marguerite Yourcenar, Françoise Mallet-Joris, Françoise Sagan chez les femmes; Gustave Flaubert, Marcel Proust, Paul Verlaine chez les hommes, pour n’en citer que quelquesuns; voir http://homophob.free.fr/homoscelebres.htm pour une liste beaucoup plus longue) ont historiquement vécu leur orientation sexuelle de façon plus ou moins cachée.

L’exécution de comportements homosexuels et la reconnaissance publique de l’homosexualité sont donc largement influencées par le contexte social et la volonté de l’individu. Il n’en va pas de même, pensons-nous, de l’attraction homosexuelle préférentielle qui elle se développe de façon largement indépendante de la volonté de l’individu sous l’influence de facteurs biologiques qui agissent largement pendant la vie embryonnaire. C’est ce que nous tenterons de démontrer dans cet ouvrage.

Précisons néanmoins dès à présent que nous sommes bien conscients de ce que l’homosexualité, et l’orientation sexuelle en général, est un phénomène complexe qui ne doit probablement pas être le résultat d’une seule cause. De plus, homosexualité masculine et féminine n’ont peutêtre (probablement ?) pas les mêmes explications. Enfin, à l’intérieur d’un même sexe, il est probable que (une combinaison de) différentes raisons (causes) puissent induire/expliquer une orientation homosexuelle. Nous mettons en exergue dans cet ouvrage tous les travaux qui démontrent que l’homosexualité, masculine ou féminine, a au moins en partie des causes biologiques de type hormonal ou génétique. Ceci n’exclut pas une contribution potentielle du milieu social et éducationnel, voire des choix de style de vie faits de façon consciente à l’âge adulte. Cependant il faut remarquer que les études scientifiques disponibles actuellement ne montrent que peu ou pas d’influence de l’éducation sur le développement de l’orientation sexuelle même si on ne peut exclure que des analyses plus approfondies puissent découvrir ces influences dans le futur. D’autre part, la littérature en langue française regorge d’ouvrages attribuant, essentiellement sur base d’analyses de type psychanalytiques, des origines éducationnelles ou sociales à l’homosexualité. Le but de ce livre est ouvertement de rétablir la balance des arguments.

1.4. HOMOSEXUALITÉ MASCULINE ET FÉMININE: HOMO- ET BISEXUALITÉ

L’hétérosexualité est l’orientation sexuelle majoritaire dans les sociétés occidentales et probablement dans toutes les sociétés présentes et passées. À cause des réactions plus ou moins négatives voire hostiles de la plupart des sociétés, la prévalence de l’homosexualité et de la bisexualité a toujours été difficile à évaluer. Les premières tentatives de quantification objective ont été réalisées et publiées par le zoologiste Alfred Kinsey et ses collaborateurs au milieu du XXe siècle (Kinsey, Pomeroy & Martin, 1948). Kinsey était arrivé à la conclusion qu’environ 10 % des hommes étaient exclusivement ou presque exclusivement homosexuels alors que cette proportion était d’environ 1,5 % chez les femmes (Kinsey, Pomeroy, Martin & Gebhard, 1953).

Des études plus récentes basées sur des approches garantissant de façon absolue l’anonymat des personnes questionnées, ont abouti à des estimations légèrement différentes. Une étude américaine organisée par le National Health Statistics Center du Center for Disease Control (NHSC; Mosher, Chandra & Jones 2005) en 2005 indique par exemple que 7,1 % des hommes et 13,6 % des femmes ressentent une attraction sexuelle pour des personnes de leur propre sexe. Cependant, seul 1,5 % des hommes et 0,7 % de femmes rapportaient une attraction homosexuelle exclusive (voir Figure 1.1).

Ces données pourraient être une sous-estimation mais il est probable qu’elles sont plus proches de la réalité que les estimations de Kinsey et ses collaborateurs vu les précautions prises pour s’assurer autant que possible de l’objectivité des réponses des sujets et la représentativité des échantillons analysés. Malgré les biais potentiellement présents dans toutes les études de ce genre, il est intéressant de noter que les pourcentages d’homosexualité rapportés dans toutes les sociétés étudiées varient essentiellement entre deux-trois et une dizaine de pour-cents (voir Chapitre 9). Il faut également remarquer que, bien que de légères variations soient observées, ces pourcentages sont relativement identiques dans deux études réalisées à plus de cinquante années de distance. L’attitude de la société vis-à-vis des homosexuels ayant changé profondément au cours de cette période, on aurait pu s’attendre à une augmentation de leur nombre relatif. Or c’est plutôt le contraire qui est observé, en tout cas chez les hommes. Cette stabilité pose évidemment des questions concernant les mécanismes qui conduisent à une telle constance (voir Chapitre 12 pour plus de détails).

Figure 1.1Distribution de l’attraction sexuelle dans la population américaine des hommes et femmes âgés de 18 à 44 ans (d’après les données de Mosher et al. 2005).

Les travaux de Kinsey et collaborateurs utilisaient une échelle à 7 points pour caractériser l’orientation sexuelle des individus variant entre 0 (complètement hétérosexuel) et 6 (exclusivement homosexuel). Les recherches plus récentes du NHSC se basent sur une échelle limitée à 5 points qui paraît fournir des résultats plus reproductibles. Comme l’indique la Figure 1.1 ci-dessus, la grande majorité des individus des deux sexes présente une attraction exclusive ou préférentielle pour les individus du sexe opposé. De façon intéressante, la courbe décrivant la distribution des types d’orientation sexuelle est différente chez les hommes et les femmes. Chez les hommes, cette distribution est clairement bimodale: elle présente deux pics aux extrêmes (strictement hétéro- et strictement homosexuel) alors que chez les femmes on observe plutôt une décroissance progressive des pourcentages lorsque l’on passe de l’orientation exclusivement hétéro- à l’orientation exclusivement homosexuelle. On peut donc dire sur cette base que les catégories homo- versus hétérosexuel décrivent des populations relativement séparées chez les hommes alors que cette distinction serait plus subtile chez les femmes.

Corrélativement, la stabilité de l’orientation sexuelle serait plus grande chez l’homme que chez la femme. Les études longitudinales indiquent, en effet, que les femmes bisexuelles ou à préférence non exclusive pour un sexe donné changent plus fréquemment d’orientation que les hommes. La majorité des individus présentent cependant une orientation sexuelle stable dans le temps. On ne remarque qu’un faible pourcentage de sujets qui changent radicalement au cours de leur vie.

Quant à la bisexualité, définie comme l’existence d’un degré quelconque d’attraction simultanément pour hommes et femmes, elle semble être plus répandue que l’homosexualité stricte. Cette large définition de la bisexualité inclut cependant un grand nombre d’individus qui sont plus attirés par un sexe que par l’autre. Si l’on définit de façon plus restrictive la bisexualité comme une attraction plus ou moins égale pour les sujets des deux sexes, elle est alors présente de façon beaucoup plus rare chez les hommes. Certains sexologues contestent même qu’une telle bisexualité soit présente chez les hommes. Des mesures d’excitabilité génitale (tumescence et érection) chez les hommes à qui l’on présente des photos érotiques d’hommes ou de femmes ont, en effet, montré que les hommes qui se qualifient eux mêmes de bisexuels montrent une excitation génitale bien plus grande pour un sexe (souvent les hommes) que pour l’autre (Rieger, Chivers & Bailey, 2005) voire une excitation exclusive pour les photos montrant des sujets masculins (Freund, 1974). Levay (LeVay & Valente, 2006) note également que le terme de bisexuel est fréquemment utilisé par de jeunes hommes en train de prendre conscience et de révéler publiquement leur orientation homosexuelle (faire leur «coming out»). Certaines études montrent en effet qu’un pourcentage d’homosexuels pouvant atteindre 40 % se sont identifiés à un stade de leur vie de jeune adulte comme bisexuels avant de se qualifier plus tard d’homosexuels. La fréquence de bisexualité réelle chez l’homme pourrait donc être substantiellement surestimée.

La bisexualité féminine est par contre plus largement reconnue. Au niveau génital, la plupart des femmes seraient en fait bisexuelles et elles montrent des réactions d’excitation génitale en réponse à des vidéos érotiques montrant des hommes aussi bien que des femmes, indépendamment de leur attraction pour un sexe ou l’autre et de leur identification en tant qu’homo-, bi- ou hétérosexuelle (Chivers, Rieger, Latty & Bailey, 2004). Ces données n’excluent cependant pas l’existence d’une homo- ou hétérosexualité exclusive chez les femmes. Elles montrent seulement que l’excitation physiologique génitale peut être (partiellement) indépendante des déclarations verbales d’attraction sexuelle.

Il faut enfin distinguer clairement entre attraction physique sexuelle et désir d’intimité émotionnelle. Les deux ne sont pas toujours corrélés et une personne (femme souvent) attirée physiquement par un sexe peut être amoureuse de personnes de l’autre sexe, voire des deux sexes. Cette dichotomie complique évidemment la définition de la bisexualité. Elle affecte plus particulièrement les femmes dans les cultures occidentales mais, dans d’autres cultures, on observe aussi des amitiés passionnées entre hommes « hétérosexuels » sans qu’il n’y ait jamais d’élément physique sexuel (Nardi, 1992, dans LeVay & Valente, 2006 p. 228).

EN RÉSUMÉ

Deux des caractéristiques de la sexualité humaine, l’orientation et l’identité sexuelles, qui constituent le thème central de cet ouvrage, sont sexuellement différenciées. Le rôle sexuel est lui variable en fonction de la société considérée, tandis que le type d’activité sexuelle et sa motivation sont peu ou pas différenciés.La grande majorité des hommes sont sexuellement attirés par les femmes et vice versa. Ils sont hétérosexuels. De même, plus de 99 % des individus ont une identité sexuelle correspondant à leur morphologie génitale.Il existe néanmoins une minorité de la population chez qui il y a discordance entre sexe morphologique (et génétique) et orientation ou identité sexuelle. On parle d’homosexuel(le)s dans le premier cas et de transsexuel(le)s dans le deuxième. Tenter de comprendre les origines de l’homosexualité ou de la transsexualité revient donc aussi à se demander comment se développent chez la majorité des individus les différences sexuelles qui affectent l’orientation et l’identité sexuelles.

1. Nous utiliserons ici la notation « Homme » pour parler de l’espèce humaine alors que « homme » sera utilisé pour faire références aux individus de sexe masculin (par rapport aux femmes) à l’intérieur de cette espèce.

Chapitre 2

Sexualité et orientation sexuelle: des bases biologiques?

2.1 RIEN N’EST ACQUIS, RIEN N’EST INNÉ, TOUT EST INTERACTION

La querelle entre l’inné et l’acquis (« Nature versus Nurture » en anglais et « nature versus culture » si l’on se focalise sur le contrôle des comportements) a fait rage pendant de nombreuses décennies, en particulier parmi les scientifiques qui s’intéressent au comportement et plus encore au comportement humain. Cette querelle a probablement connu son apogée au cours des années 1950 quand les éthologistes européens, qui s’intéressaient principalement aux comportements animaux largement innés, ont été confrontés aux psychologues expérimentaux nord-américains qui dans la lignée des travaux de B.F. Skinner focalisaient leur attention sur des comportements résultant d’apprentissages plus ou moins sophistiqués. La question a, pour beaucoup de scientifiques, perdu de son sens. Il est maintenant largement accepté que tout comportement est le résultat d’une interaction entre inné et acquis, la proportion de chaque type d’influence variant selon le comportement étudié. C’est la thèse que nous défendrons tout au long de cet ouvrage.

Il reste néanmoins de nombreux auteurs, souvent originaires de la psychologie ou de la psychanalyse, qui pensent que le comportement humain et les différences sexuelles qui l’affectent sont largement, voire exclusivement, le résultat d’apprentissages. Ces affirmations prétendent parfois se baser sur la neurobiologie moderne qui a démontré l’existence d’une plasticité remarquable dans la structure et le fonctionnement du cerveau humain pendant son développement et même à l’âge adulte. Il s’agit cependant là d’une compréhension incomplète des résultats récents de la neurobiologie. Il existe effectivement une grande plasticité du cerveau pendant son développement. Le cerveau humain est loin d’être complètement formé à la naissance et seul un très faible pourcentage de ses neurones sont connectés. Au cours des premières années de vie, la grande majorité des neurones présents à la naissance meurent et seul un petit nombre (un sur dix selon certaines estimations) survit et s’incorpore dans des circuits fonctionnels. Le cerveau humain est donc extrêmement plastique et cette plasticité est guidée par l’apprentissage. Le cerveau de l’adulte est largement le fruit des expériences acquises durant le développement. Ceci n’empêche cependant pas que de nombreuses prédispositions comportementales existent à la naissance et ne peuvent pas être modifiées par l’apprentissage.

Maintenant que le génome humain a été entièrement séquencé et dans une certaine mesure interprété, on sait qu’il ne contient que 25 000 à 30 000 gènes (séquences d’acide désoxyribonucléique ou ADN dirigeant la synthèse d’une ou plusieurs protéine(s), voir Chapitre 3). La quantité d’information contenue dans ces 25 000 à 30 000 gènes est largement insuffisante pour rendre compte de la complexité des tâches qui sont accomplies par un organisme humain et en particulier par son cerveau. Il est, par exemple, impossible d’imaginer que les différents concepts dont nous avons connaissance à l’âge adulte (les tables de multiplication pour prendre un exemple extrême) puissent être encodés de façon génétique. Ils doivent donc être appris, mais cet apprentissage est lui-même limité dans une certaine mesure par les structures nerveuses présentes qui, elles, dépendent de façon claire de notre patrimoine génétique. L’apprentissage est très limité voire impossible dans une autre espèce à la génétique différente (rat voire chimpanzé) ou chez un être humain souffrant d’une maladie génétique qui a modifié le développement de son cerveau (trisomie, p. ex.).

L’apprentissage se déroule donc en présence de contraintes biologiques spécifiques dont nous découvrons tous les jours de nouveaux aspects. Ainsi la linguistique moderne montre que toutes les langues humaines ont tendance à utiliser les mêmes sonorités pour désigner la mère et le père (maman, mama, papa, baba…), les deux premiers mots qui sont très souvent prononcés par les jeunes enfants. Certains voient là une survivance de structures linguistiques qui étaient présentes dans une langue originelle parlée par les premiers Hommes. Alternativement, sachant qu’un facteur important limitant le développement de la parole chez le jeune enfant est la mauvaise coordination motrice des muscles du larynx, on peut également penser que cette communauté de sonorité trouve, au moins en partie, son origine dans la facilité relative à prononcer ces sons. Le langage chez l’Homme est donc entièrement culturel et appris mais sa forme pourrait être limitée, partiellement au moins, par des contraintes anatomiques et physiologiques. On pourrat même penser que certains phonèmes des langues humaines sont contrôlés génétiquement même si une telle proposition restera probablement impossible à démontrer. L’apprentissage renforce donc des propriétés génétiques intrinsèques et inversement les gènes contraignent et limitent les apprentissages possibles. Selon le caractère morphologique, physiologique ou comportemental étudié, l’importance relative du contrôle par les gènes ou par l’environnement et l’éducation varie de façon majeure, mais on reste quasiment toujours face à une interaction. Pour certains traits morphologiques, la part de l’inné est évidemment beaucoup plus importante que pour des caractères comportementaux.

2.2 LE CONTRASTE ENTRE CULTURES LATINE ET ANGLO-SAXONNE

Comme nous le verrons plus loin (Chapitre 6), il existe dans l’espèce humaine un grand nombre de différences interindividuelles et de différences entre hommes et femmes (différences sexuelles). Elles affectent notre morphologie, notre physiologie et aussi notre comportement. Le rôle de la génétique dans la genèse des différences morphologiques et physiologiques n’est, en général, pas contesté, mais il en va tout autrement lorsque l’on commence à s’intéresser aux différences comportementales.

Il semble exister à ce niveau une différence assez fondamentale d’attitude entre les sociétés anglo-saxonnes et les sociétés latines. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, l’influence des gènes sur le comportement animal et humain est largement reconnue et étudiée scientifiquement (voir p. ex. Plomin, DeFries, McClearn & Rutter, 1998 pour une traduction française d’un traité sur le sujet). Cela ne signifie pas que les auteurs anglo-saxons considèrent que les différences entre individus ou entre sexes soient le résultat exclusif de différences génétiques mais la possibilité d’une contribution génétique est largement reconnue même si souvent des différences à l’âge adulte ne sont le résultat que de différences minimes au départ qui ont été amplifiées par l’éducation et l’influence générale de l’environnement.

Pour des raisons historiques et idéologiques, cette contribution génétique au contrôle des comportements humains est souvent rejetée en France bien que de nombreuses équipes de chercheurs s’y soient illustrées dans des domaines tels que la génétique, la psychophysiologie ou la neurophysiologie. Sous l’influence de théories égalitaristes d’inspiration souvent socialiste et marxiste et de la très puissante psychanalyse post-freudienne, la France défend, en effet, de façon acharnée l’idée de l’égalité des hommes (et femmes) à la naissance à tel point qu’elle a inscrit ce concept dans sa devise (Liberté, Égalité, Fraternité). Cette égalité devrait à notre sens être comprise comme une égalité de droits, comme inscrit d’ailleurs dans la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen proclamée par la Révolution française en 1789 (« Les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits »). Cette égalité de droits doit évidemment être défendue avec toute l’énergie possible. L’égalité de fait (morphologique, génétique mais aussi de statut social) est malheureusement un leurre. Les enfants nés en milieu défavorisé socialement (et financièrement) ont de grandes probabilités d’avoir une vie plus difficile que la moyenne, pour ne pas parler des enfants nés dans les pays du tiers-monde. Le handicap physique ou mental est une autre forme d’inégalité de naissance, parfois d’origine génétique qui, de toute évidence, bafoue cette notion d’égalité de fait. Les différences présentes à la naissance (handicap, différence sociale) n’empêcheront pas de nombreux individus de mener un vie heureuse et la société devrait certainement tout faire pour qu’il en soit ainsi en tentant de compenser les inégalités présentes au départ (fournir dans la mesure du possible une égalité de chances).

Ces notions sont largement acceptées tant que l’on se cantonne dans le domaine des différences morphologiques ou des handicaps comportementaux profonds. Cependant, si l’on s’intéresse à des différences comportementales plus subtiles entre individus ou entre sexes, une opposition farouche à l’idée d’une contribution génétique est souvent rencontrée dans de nombreux milieux intellectuels français. Cette résistance importante comparée à ce qui est observé dans la culture anglo-saxonne est probablement liée à l’absence en milieu latin d’une recherche développée en psychobiologie, la discipline qui analyse les bases biologiques des comportements humains. La majorité des départements de Psychologie dans les Universités américaines ou britanniques incorporent en effet une division de Psychobiologie (ou Biopsychologie) dans laquelle des chercheurs formés à la psychologie ou à la biologie voire à la médecine étudient en commun les contrôles biologiques des comportements humains en utilisant tous les outils de la neurobiologie contemporaine (imagerie médicale, électrophysiologie, biochimie, neuroanatomie…). Ce type de recherche est quasiment absent dans les pays latins bien que la recherche biomédicale ait conduit en France à de nombreuses découvertes importantes dans le domaine de la psychologie, de la neurophysiologie ou de la neurochimie (voir p. ex. les travaux de Boris Cyrulnik, Michel Jouvet, Jacques Paillard, Jean-Didier Vincent, Jean-Pierre Changeux, Jean-Pierre Chambon et bien d’autres). L’étude de la relation entre processus neurophysiologiques et le contrôle des comportements complexes a, de façon surprenante, été peu développée. Cette différence culturelle affecte particulièrement la recherche en neuroendocrinologie du comportement qui comme nous l’avons déjà mentionné, s’est développée essentiellement aux États-Unis et dans la partie anglo-saxonne de l’Europe alors qu’elle n’est pratiquement pas présente dans l’Europe latine. Cette différence n’est probablement pas étrangère à l’absence de diffusion en France des recherches démontrant un contrôle au moins partiel de l’orientation sexuelle humaine par des facteurs endocriniens et génétiques.

Des ouvrages en langue française ont proposé que l’extraordinaire plasticité du cerveau humain en développement, les capacités d’apprentissage énormes de l’espèce humaine et le traitement différentiel que reçoivent les petits garçons et filles depuis leur plus tendre enfance soient la cause unique de toutes les différences de comportement entre hommes et femmes et entre individus. La biologie n’aurait aucun rôle à ce niveau.

Loin de nous l’idée de nier l’importance de ces facteurs culturels, éducationnels et environnementaux. Nous acceptons sans problème l’idée exprimée par Serge Hefez dans son dernier ouvrage (Hefez, 2007) selon laquelle « le sexisme des enfants bat son plein entre deux et six ans, époque à laquelle ils subissent tous les stéréotypes ». Ce traitement différentiel joue sans l’ombre d’un doute un rôle déterminant dans la genèse de nombreuses différences comportementales entre hommes et femmes. L’évolution récente de la société occidentale dans laquelle les rôles sexuels sont moins bien définis est d’ailleurs associée à une disparition partielle de ces différences (voir Guiso, Monte, Sapienza & Zingales, 2008; Hyde, Lindberg, Linn, Ellis & Williams, 2008). Nous pensons néanmoins que ces différences ne se développent pas sur une tabula rasa. Le petit garçon et la petite fille ne sont pas identiques à la naissance. La présence d’un pénis chez l’un et d’un vagin chez l’autre sont les signes d’une imprégnation hormonale profonde qui a déterminé la morphologie génitale mais a aussi, très probablement, modulé le développement de certains aspects du cerveau. Les recherches sur modèles animaux ont clairement démontré le rôle profond et irréversible des hormones embryonnaires sur le développement du cerveau et du comportement. On pourrait penser, et il a été écrit (Clerget, 2006; Vidal, 2007, 2000), que l’espèce humaine s’était émancipée de ces influences hormonales mais il n’en est probablement rien. Ce n’est de toute évidence pas le cas au point de vue de la morphologie génitale ni de la physiologie de l’appareil reproducteur (voir Chapitre 7). L’étude du cerveau humain révèle par ailleurs que les récepteurs aux stéroïdes sexuels y sont présents aux mêmes endroits que chez l’animal. Enfin de nombreuses observations cliniques et des études de corrélations démontrent la subsistance chez l’Homme d’effets indiscutables des hormones sexuelles sur le comportement (voir Chapitre 8). Il reste donc au moins des traces des effets comportementaux des hormones chez l’Homme et une bonne partie de cet ouvrage s’attachera à rechercher la contribution respective des facteurs biologiques (hormonaux ou génétiques) et de facteurs environnementaux (éducation, apprentissage) dans le contrôle du comportement humain. Nous nous intéresserons particulièrement aux différences entre hommes et femmes. Nous tenterons de démonter que la société joue certes un rôle important en ce qu’elle amplifie de façon extraordinaire des différences sexuelles préexistantes, mais que l’influence des mécanismes biologiques peut clairement se retrouver chez l’Homme. C’est tout particulièrement le cas si l’on s’intéresse à divers aspects du comportement sexuel tels que l’orientation ou l’identité sexuelles.

2.3 DE L’UNICITÉ DE LA VIE

L’espèce humaine résulte d’une longue lignée évolutive. D’êtres unicellulaires, les animaux sont peu à peu devenus multicellulaires, vertébrés, mammifères, singes… et Homme. Conséquence: quelle que soit leur forme – Homme ou poisson –, tous les animaux vivants ont une partie de leur patrimoine en commun.

Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, les zoologistes ont été fascinés par la diversité de forme des êtres vivants. Dans la foulée du naturaliste suédois Carl von Linné (1707-1778), ils ont entrepris de les classifier en focalisant leur attention sur les différences qui permettent de distinguer les groupes d’animaux (ou de plantes). Plus récemment, on s’est cependant rendu compte que les caractéristiques que les êtres vivants possèdent en commun sont tout aussi, voire bien plus, remarquables que leurs différences.

Cette similitude a d’abord été identifiée au niveau morphologique. Ainsi, les vertébrés, le grand groupe animal auquel nous appartenons et qui regroupe les poissons, amphibiens, reptiles, oiseaux et mammifères, possèdent tous une même organisation générale du corps. Tous sont organisés autour d’un système nerveux dorsal sous lequel on trouve une colonne vertébrale puis un système digestif ventral. De même, tous les vertébrés terrestres sont munis de membres dont la structure de base est restée identique au fil des millions d’années qu’a duré l’évolution menant de la grenouille à l’Homme. Le membre est composé d’un os long, l’humérus ou le fémur, de deux os longs qui le prolongent, le radius et le cubitus ou le tibia et le péroné, d’un tarse ou carpe et enfin d’un métatarse ou métacarpe. Que ce soit l’aile de l’oiseau, celle de la chauve-souris, la nageoire antérieure du dauphin ou le bras de l’Homme, cette série d’os est parfaitement homologue.

De même, comme nous le verrons dans la section suivante, le cerveau de tous les vertébrés se forme de pareille façon et est constitué de parties semblables chez l’Homme, le singe, le rat, le batracien et poisson. Il traite aussi l’information venant du monde extérieur et contrôle l’expression des émotions et du comportement par des mécanismes cellulaires identiques. Cette constatation est d’une importance extrême pour la thèse que nous développons dans cet ouvrage. L’étude du comportement animal et de ses mécanismes forme donc une base logique sur laquelle peut s’appuyer l’explication du comportement humain et, peut-être, de l’homosexualité. Dans ce contexte, il importe néanmoins de rester conscient de la plus grande complexité des mécanismes dans l’espèce humaine.

La similitude entre les êtres vivants ne se limite toutefois pas à leur organisation anatomique. Avec les progrès des techniques microscopiques aux XIXe et XXe siècles, on s’est rendu compte que tous les organismes vivants – hormis les bactéries – sont constitués de cellules qui ont une organisation interne semblable. C’est la biochimie et plus encore la biologie moléculaire qui au cours de la deuxième moitié du XXe siècle nous ont démontré de la façon la plus formelle que toutes les formes de vie connues sur terre possèdent des caractéristiques communes qui indiquent que la vie est un phénomène unique.

Toutes les formes vivantes incluant l’Homme, tous les animaux (et non plus seulement ici les vertébrés), les plantes et même aussi dans beaucoup de cas les bactéries et les virus ont un fonctionnement basé sur des cascades de réactions biochimiques identiques ou très semblables. Toutes ou presque (il existe évidemment des exceptions liées à des adaptations particulières) produisent par exemple l’énergie nécessaire à leur fonctionnement par des chaînes biochimiques semblables qui « brûlent » des sucres pour en faire un composé identique (appelé ATP, l’acronyme de Adénosine Tri-Phosphate) capable de fournir cette énergie à toutes les parties de la cellule qui en ont besoin.

Tous les organismes vivants possèdent également en commun un système d’encodage de l’information génétique qui permet de construire un individu complet à partir d’une cellule unique. Dans le cas de la reproduction sexuée, adoptée par la plupart des animaux multicellulaires, y compris l’Homme, cet individu adulte résultera de la fécondation d’unœuf par un spermatozoïde. L’information génétique est portée par des molécules particulières appelées acides nucléiques qui existent sous deux formes: l’acide désoxyribonucléique (ADN) et l’acide ribonucléique (ARN). Comme nous l’expliquerons un peu plus loin, la structure de l’ADN et de l’ARN est identique (à quelques détails près) chez tous les êtres vivants: de la bactérie à l’Homme en passant par les plantes, la mouche ou la truite. Chez tous, le système d’encodage de l’information est basé sur les quatre mêmes composants (adénine, thymine, guanine et cytosine) organisés en paires (les « échelons » qui relient la célèbre double hélice de l’ADN, voir Chapitre 3.2). Toutes ces similitudes ne sont pas superficielles. Elles attestent de l’unicité de la vie sur terre et de la filiation de l’espèce humaine par rapport aux autres vertébrés et plus directement aux mammifères. Cette unicité de la vie permet aux chercheurs en sciences biomédicales d’extrapoler les études menées sur les animaux et ainsi d’en tirer des conclusions pour l’Homme.

Mais avant d’entrer dans les méandres de ces recherches animales, que nous utiliserons pour montrer que l’homosexualité humaine ou animale possède des bases biologiques profondes, et pour mieux en comprendre les implications, quelques notions philosophiques et scientifiques s’imposent.

2.4 CES NEURONES QUI NOUS GOUVERNENT: MONISME VERSUS DUALISME

Avec le développement des neurosciences1, l’idée que l’activité du cerveau est à la base de toute activité mentale a pris le dessus sur la thèse dualiste développée par Aristote ou Platon. La thèse dualiste, popularisée au cours des temps modernes par Descartes, affirmait que les phénomènes mentaux (« la chose pensante », du latin res cogitans) possèdent des caractéristiques qui sortent du champ de la physique et, par conséquent, que « l’intelligence » de l’Homme (une faculté de l’esprit ou de l’âme) ne peut pas être assimilée ni expliquée par son corps matériel, et donc par sa biologie. Les neurosciences contemporaines sont au contraire monistes en ce qu’elles considèrent que le comportement, les émotions et la pensée devraient pouvoir s’expliquer entièrement par l’activité d’une structure certes très complexe mais éminemment matérielle, le cerveau. Si monisme et dualisme cartésien ont toujours cohabité, et cohabitent encore aujourd’hui, de nombreuses preuves sont venues étayer la thèse que le cerveau est le support de notre pensée et de nos comportements. Ces preuves sont essentiellement de trois ordres différents qui s’organisent dans un même ordre logique tant du point de vue historique que du point de vue de leur pertinence.

En premier lieu, l’analyse anatomique du cerveau de patients ayant connu au cours de leur vie des traumatismes cérébraux suite à un accident mécanique (accident de la route, blessure par objet contondant ou accident vasculaire cérébral) a permis dès le XIXe siècle de montrer que les déficits non seulement moteurs mais aussi comportementaux ou cognitifs montrés par le patient au cours de sa vie pouvaient être corrélés de façon précise à la localisation de la lésion détectée postmortem. C’est cette approche qui a notamment permis d’identifier les