On naît hétéro ou homosexuel, on ne choisit pas de l'être - Jacques Balthazart - E-Book

On naît hétéro ou homosexuel, on ne choisit pas de l'être E-Book

Jacques Balthazart

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Beschreibung

Cet ouvrage explique de manière scientifique l'orientation sexuelle de chacun dans le but de faire progresser la connaissance objective de la nature humaine.

Et si notre orientation sexuelle, quelle qu’elle soit, n’était pas un choix, mais était fixée dès la naissance ? Et s’il fallait plutôt chercher la réponse dans nos gènes ? La question de l’origine de l’homosexualité n’est pas nouvelle. Même si certains considèrent que l’éducation ou encore le comportement des parents influencent nos préférences.

Le Pr. Jacques Balthazart propose ici un nouvel éclairage sur cette thématique rarement abordée en langue française. Considéré comme une référence internationale en biologie de l’homosexualité, il explique quelles pourraient être les bases biologiques de notre sexualité. Il donne un point de vue complet sur les éléments pouvant impacter l’orientation sexuelle, comme le contrôle hormonal du comportement ou les effets des stéroïdes sexuels. Sans jamais tomber dans la propagande pour l’une ou l’autre explication, il rend ces notions accessibles à tous et montre comment la neurobiologie contemporaine pourrait, peut-être, changer notre vision de la sexualité.

Entre explications biologiques et conséquences sociales, cet ouvrage déconstruit nos préjugés sur la sexualité !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Dans On naît hétéro ou homosexuel, on ne choisit pas de l'être, Jacques Balthazart fait état des dernières avancées de la science, notamment la neuroendocrinologie" - Culture Hebdo

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jacques Balthazart dirige le groupe de recherche en Neuroendocrinologie du Comportement et est chargé de cours à l’Université de Liège (Belgique). Ses recherches se concentrent sur la différenciation sexuelle du cerveau et du comportement ainsi que sur l’activité de certaines régions du cerveau dans l’activation du comportement sexuel. Il est déjà l’auteur des titres suivants : Biologie de l’homosexualité (Mardaga, 2010), Quand le cerveau devient masculin (humenSciences, 2019).

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Couverture

Page de titre

Nul n’a le droit en vérité de me blâmer, de me juger et je précise

Que c’est bien la nature qui

Est responsable si

Je suis un homo comme ils disenta.

Charles Aznavour

Je ne vois que la psychanalyse pour concurrencer le christianisme dans l’amour des souffrances qui durentb.

Muriel Barbery

a Charles Aznavour, « Comme ils disent », Album : Idiote je t’aime, Barclay, 1972.

b Muriel Barbery, L’Élégance du hérisson, Paris, Gallimard, p. 176.

Introduction

Tolérée durant une grande partie de l’Antiquité et du Moyen Âge, l’homosexualité*a a dû faire face au cours des siècles suivants à une vague d’intolérance largement suscitée par la pensée judéo-chrétienne. Devenue tare, voire perversion, elle devait être combattue comme une maladie. Une maladie que divers courants de pensée d’inspiration freudienne ou postfreudienne au cours du XXe siècle ont eu peu de scrupules à attribuer à l’attitude des parents envers le jeune enfant en croissance. De quoi faire persister des conceptions qui con­sidèrent l’homosexualité comme un mal résultant soit d’un comportement inapproprié des parents, soit de décisions mal­saines, voire perverses de l’enfant en développement.

La culpabilisation des parents, du moins sous cette forme, est pourtant hors de propos, comme nous le démontrerons au fil de cet ouvrage. Ni l’éducation qu’ils donnent ni leurs comportements (père faible ou absent, mère dominatrice) n’induisent l’homosexualité de leur enfant. Il suffit pour s’en convaincre de considérer le fait avéré qu’il n’existe pas d’augmentation d’incidence de l’homosexualité chez les jeunes garçons qui ont été élevés dans une famille monoparentale (mère ou père seul(e)), une situation sociale fréquente depuis la seconde moitié du XXe siècle et qui a donc pu être étudiée quantitativement.

Contrairement à ce que soutiennent des théories encore trop répandues, généralement, on ne devient pas et on ne choisit pas d’être homosexuel : on naît homosexuel. L’origine de l’homosexualité est davantage à chercher dans la biologie des individus que dans l’attitude de leurs parents ou dans des décisions conscientes des sujets concernés. En tant que biologiste spécialisé dans la neuroendocrinologie du comportement, je suis en profond désaccord avec les thèses défendues dans de nombreux ouvrages publiés en langue française qui expliquent l’homosexualité presque exclusivement par des théories psychanalytiques postfreudiennes en complète discordance avec la psychologie et la biologie moderne. Reporter une responsabilité sur les parents ou sur les homosexuels eux-mêmes qui ont souvent beaucoup de mal à assumer leur orientation sexuelle* (le taux de suicide est particulièrement important dans ce groupe de personnes) est en contradiction avec une masse de données scientifiques récentes et a par ailleurs de graves conséquences au niveau social.

Une abondante littérature scientifique en langue anglaise confirme l’existence d’une base biologique à l’orientation sexuelle humaine. Selon ces études, cette orientation serait très probablement influencée par le milieu hormonal auquel est exposé l’embryon, en association avec des prédispositions génétiques plus ou moins pénétrantes*.

Il n’existe pas à notre connaissance de documents résumant ces données en langue française. Ce livre devrait pallier ce manque, du moins en partie. Nous espérons qu’il contribuera à déculpabiliser les homosexuels et leurs parents et à leur faire prendre conscience de ce que les orientations homo- ou hétérosexuelles sont probablement, chez l’homme comme chez l’animal, sous le contrôle de phénomènes endocriniens ou génétiques embryonnaires dans lesquels la notion de choix individuel et, par conséquent, de responsabilité et de culpabilité n’a que peu de place.

a Les termes suivis d’un astérisque (*) sont définis dans le lexique à la fin de l’ouvrage.

Préface à la deuxième édition

Bien des choses se sont passées au cours des dix années écoulées depuis la première publication de cet ouvrage, tant au niveau scientifique qu’au niveau du statut des personnes homosexuelles dans la société. Cette évolution m’a conduit à élaborer une seconde édition revue et augmentée.

Au niveau scientifique, pas mal d’études se sont accumulées, confortant l’idée que des mécanismes biologiques sont à la base de l’orientation sexuelle d’un individu. Il s’agit principalement d’analyses génétiques associant l’homosexualité à un certain nombre de gènes* (voir le chapitre 11), études rendues de plus en plus aisées par les progrès des techniques de biologie moléculaire. À un autre niveau, une étude a identifié pour la première fois une protéine spécifiquement masculine qui est associée à la réaction immunitaire des mères contre les fœtus masculins qu’elles portent en elles et qui explique l’augmentation importante de l’homosexualité masculine chez les garçons nés après des frères nés de la même mère (voir le chapitre 12). Diverses études ont également été publiées, raffinant notre connaissance de la relation potentielle entre la testostérone* périnatale et l’homosexualité (voir le chapitre 9). Ces nouvelles données sont bien entendu présentées dans cette seconde édition car elles renforcent encore le message qui était le but de la première édition, à savoir qu’il existe un faisceau d’arguments suggérant très fortement, s’ils ne le prouvent pas de façon irréfutable, que l’homosexualité est largement contrôlée, si pas déterminée, par des mécanismes biologiques indépendants de la volonté de l’individu concerné.

Dans les pays occidentaux, l’attitude de la société vis-à-vis de l’homosexualité a également évolué depuis 2010. Ces évolutions sont bien documentées sur une page Wikipédia régulièrement mise à joura. Depuis 2014, l’homosexualité est entièrement dépénalisée dans tous les pays d’Europe et un certain nombre de pays, incluant la France en 2013 (c’était déjà le cas de la Belgique depuis 2003), ont autorisé le mariage entre personnes de même sexe. Ceci ne signifie cependant pas que l’homosexualité et les homosexuels sont uniformément acceptés. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler les démonstrations de masse qui ont eu lieu en France lors de la discussion autour du projet de loi sur le mariage homosexuel.

Par ailleurs, la situation reste beaucoup moins favorable dans le reste du monde. Dans 72 pays, les personnes LGBT (lesbiennes, gay, bisexuelles ou transgenre) sont encore punies de prison, de torture ou de travaux forcés et dans 11 de ces pays, l’homosexualité est encore punie de la peine de mort. La position des religions monothéistes reste également très négative vis-à-vis de l’homosexualité, qui est toujours considérée comme une déviance. Dans le meilleur des cas, elles considèrent qu’on ne doit pas blâmer un individu pour ses désirs homosexuels mais il est alors supposé ne pas avoir d’activité sexuelle. Ces attitudes ne sont cependant basées que sur des interprétations littérales des textes sacrés et rien ne s’opposerait à l’adoption d’approches plus libérales, mais celles-ci sont apparemment bloquées par la hiérarchie actuellement en place.

Il est bien entendu que toute personne devrait être libre d’aimer et d’exercer son activité sexuelle avec toute autre personne adulte consentante quel que soit son sexe et que cette liberté est indépendante des raisons qui justifient le choix d’une personne d’un sexe ou d’un autre. Ceci étant, il est clairement établi que, dans les faits, l’attitude politique des individus vis-à-vis de l’homosexualité tend à être corrélée avec leurs vues concernant ses causesb. Ceux qui ont une attitude plus positive (qui pensent qu’il n’y a rien de fondamentalement mal dans l’homosexualité et son expression) tendent à penser que l’orientation sexuelle dépend de causes non sociales, notamment de nature hormonale ou génétique. Par contraste, ceux qui ont une attitude négative (l’homosexualité serait indésirable ou immorale et son expression devrait être réprimée) pensent en général que l’homosexualité a des causes sociales liées notamment aux expériences précoces. Il est donc important, je pense, de continuer à diffuser les con­naissances scientifiques qui soutiennent l’idée d’un contrôle biologique de l’orientation sexuelle et donc de l’homosexualité. C’est la raison de cette deuxième édition.

L’analyse des bases biologiques de l’orientation sexuelle fait appel à de nombreux concepts et requiert l’utilisation d’un vocabulaire étendu qui n’est pas toujours connu du grand public. On m’a dit à de nombreuses reprises que, malgré mes efforts pour simplifier au maximum le texte, la première version de mon livre restait assez difficile à lire pour le non-spécialiste. J’ai tenté ici de minimiser ce problème de plusieurs façons. J’ai, d’une part, supprimé du texte tout le vocabulaire spécifique qui n’était pas absolument nécessaire. J’ai par ailleurs préparé un lexique qui est présent en fin de volume et qui reprend l’ensemble des mots plus ou moins techniques utilisés dans ce livre. La première occurrence de ceux-ci est marquée d’un astérisque dans le texte. J’ai également retiré du texte le chapitre consacré à un résumé de notions de neurobiologie, de biochimie, de génétique et d’endocrinologie qui avait été considéré par beaucoup comme trop rébarbatif. Les concepts utiles à la compréhension des résultats présentés ici ont été repris de façon simplifiée dans des encadrés placés dans les différents chapitres. Les notions les plus complexes mais non indispensables de ce livre ont également été placées dans des encadrés de manière à alléger le texte principal. Le lecteur moins féru de science pourra donc ignorer aisément ces sections. J’espère qu’ainsi, ce texte sera devenu plus abordable et pourra mieux contribuer à faire évoluer les esprits.

a Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Droits_LGBT_dans_le_monde.

b Bailey, J.M., et al., Sexual Orientation, Controversy, and Science. Psychol Sci Public Interest, 2016. 17(2) : p. 45-101.

Chapitre 1

Cadre conceptuel

1. Pourquoi ce livre ?

J’étudie depuis maintenant plus de quarante-cinq ans les mécanismes hormonaux et nerveux qui contrôlent les comportements dits instinctifs, c’est-à-dire exprimés spontanément par une espèce et typiques de celle-ci. Une grande partie de ces recherches ont été consacrées à l’étude du comportement sexuel mâle. Ce travail m’a conduit à m’intéresser aux différences sexuelles qui sont associées à ces comportements. Dans la plupart des espèces, mâles et femelles montrent en effet des comportements différents (par exemple : montes et intromissions chez les mâles ; postures de réceptivité sexuelle chez les femelles) et, de plus, ils dirigent majoritairement ces comportements vers des congénères de sexe opposé (les mâles vers les femelles et les femelles vers les mâles). Ces différences de comportements exprimés et d’orientation sont clairement contrôlées chez l’animal par les hormones* produites par les gonades*, c’est-à-dire les testicules chez le mâle et les ovaires chez la femelle.

Ces stéroïdes* activent les comportements en agissant principalement au niveau du cerveau et plus particulièrement de ses parties les plus anciennes évolutivement, l’hypothalamus* et l’aire préoptique*. Le but premier de ces recherches est de faire progresser, au niveau fondamental, notre connaissance du fonctionnement du cerveau. Il est cependant évident que l’application potentielle des connaissances ainsi acquises à l’espèce humaine est une question qui ne peut être éludée. Le comportement sexuel humain est-il sous la dépendance des hormones testiculaires et ovariennes ? Et corollairement, ces hormones affectent-elles l’orientation de ce comportement ? Depuis de nombreuses années, j’ai été amené à consulter la littérature scientifique dans ce domaine. J’ai également côtoyé au cours de conférences scientifiques internationales de nombreux chercheurs actifs dans le domaine de la sexualité humaine.

La recherche sur les bases neuroendocrines du comportement sexuel chez l’animal et chez l’Hommea est une discipline qui s’est développée de façon préférentielle dans les pays anglo-saxons, essentiellement les États-Unis et dans une moindre mesure la Grande-Bretagne. L’essentiel de la littérature scientifique dans ce domaine est, dès lors, publiée en anglais. Pour la même raison, il existe également en langue anglaise de nombreux ouvrages de synthèse et des livres de vulgarisation consacrés aux mécanismes biologiques qui con­trôlent la sexualité humaine en général et l’orientation sexuelle (homo- et hétérosexualité) en particulier1-7. Par contre, il n’existe pas à ma connaissance de document semblable en langue française. J’envisageais donc depuis pas mal de temps d’écrire un livre sur le sujet, mais c’est la publication en 2006 de l’ouvrage du docteur Stéphane Clerget intitulé Comment devient-on homosexuel ou hétérosexuel qui m’a finalement décidé à prendre la plume. Ce livre prétendait être une synthèse de toutes les données psychologiques et neurobiologiques disponibles pour expliquer l’orientation homo- ou hétérosexuelle chez l’Homme8. Cependant, cet ouvrage en réalité ne faisait que présenter une apologie d’explications essentiellement psychanalytiques de l’homosexualité tout en rejetant systématiquement toute explication biologique. Une telle distorsion avec la réalité scientifique m’est apparue intolérable, car les soi-disant explications psychanalytiques de l’orientation sexuelle n’expliquent en fait rien et se sont souvent révélées erronées, quand elles n’étaient pas frauduleuses9-11. Par ailleurs, le rejet des explications scientifiques basées sur l’endocrinologie et la neurobiologie8 était tout à fait hors de propos, car déjà en 2010, une masse de résultats indiquait clairement que l’homosexualité s’explique bien plus par des facteurs biologiques que par des facteurs sociaux, et les données ont continué à s’accumuler au cours de ces dix dernières années. Que ce soit par manque de compréhension des données ou par idéologie, le livre du docteur Clerget présentait donc une vue biaisée et partielle de ce que la neurobiologie moderne avait pu établir, ce qui était pour moi tout simplement inacceptable.

1.1. Thèse principale développée dans cet ouvrage

Je montrerai dans ce livre que l’orientation homo- ou hétérosexuelle d’un individu est largement contrôlée par un ensemble de facteurs biologiques qui agissent de façon précoce pendant la vie embryonnaire et fœtale ou immédiatement postnatale. Ces facteurs biologiques semblent jouer un rôle déterminant, même si les détails des mécanismes impliqués ne sont actuellement pas compris de façon complète. Ils ne le seront probablement jamais, vu l’impossibilité d’expérimenter sur l’Homme, pour des raisons éthiques évidentes, et vu la latence très grande (> 20 ans) entre les événements qui probablement induisent l’homo- ou l’hétérosexualité (environnement du fœtus et son patrimoine génétique) et la mise en évidence de leurs effets (orientation sexuelle de l’adulte). Les études prospectives chez l’homme sont donc extrêmement difficiles, voire impossibles, si l’on considère en plus le nombre limité de sujets homosexuels qui apparaîtront dans une population étudiée. Les études rétrospectives restent par ailleurs moins convaincantes, car la sélection des sujets et de leurs contrôles, aussi bien appariés soient-ils, peut toujours être biaisée par un ou des facteur(s) non identifié(s).

Les études animales sont ici d’un grand support. Elles démon­trent l’existence chez l’animal de mécanismes neurobiologiques qui déterminent le comportement et l’orientation sexuelle et se retrouvent mutatis mutandis dans l’espèce humaine. Ces travaux expérimentaux, réalisés dans des conditions hautement contrôlées, apportent donc des arguments de poids pour interpréter les études largement corrélatives* réalisées chez l’Homme.

Si l’approche biologique n’a pas apporté à ce jour d’explication définitive, elle propose néanmoins un faisceau d’arguments convergents. Si on compare ce que l’on sait aujourd’hui sur l’homosexualité humaine à ce qui a été fermement établi concernant le déterminisme hormonal de l’orientation sexuelle chez diverses espèces animales, on est très logiquement con­duit à penser qu’il existe également chez l’Homme une composante biologique forte dans le développement de l’homosexualité. Ce déterminisme serait largement prénatal, ce qui, comme nous le verrons plus loin, ne veut pas nécessairement dire génétique.

1.2. Conséquences sociales

Divers courants de pensée d’inspiration freudienne ou post­freudienne ont attribué à l’attitude des parents envers le jeune enfant en croissance un rôle critique dans le développement de l’homosexualité (Œdipe pas ou mal résolu). Ces théories ont eu pour avantage de ne plus associer l’homosexualité à une perversion, mais plutôt de la considérer comme une variation dans le processus du développement de la personnalité sans y associer nécessairement de critère de valeur morale ou autre. Il faut cependant remarquer que, même pour des personnes qui acceptent ce type d’explications, il persiste une rémanence des conceptions judéo-chrétiennes qui continuent à considérer l’homosexualité comme un mal résultant soit d’un comportement inapproprié des parents, soit de décisions malsaines de l’enfant en développement. Par contre, dans la mesure où l’origine de l’homosexualité doit être recher­chée dans la biologie des individus et non dans le comportement de leurs parents ou dans des choix de vie faits par l’individu pendant son développement, la culpabilisation des parents ou des homosexuels eux-mêmes est évidemment hors de propos. Ce n’est pas l’éducation qu’ils ont donnée ni leur comportement (par exemple : père absent ou mère dominatrice) qui a induit l’homosexualité de leur enfant. Ceci est notamment étayé par le fait qu’il n’existe pas d’augmentation d’incidence de l’homosexualité chez les jeunes garçons qui ont été élevés dans une famille monoparentale (mère ou père seul(e)).

L’orientation homosexuelle recouvre probablement un phénomène à déterminismes multiples et il est fort possible que pour certains homosexuels, leur orientation relève d’un choix délibéré. Cependant, il s’agit probablement d’une minorité de cas et pour la vaste majorité des sujets, l’orientation homosexuelle du comportement s’impose à l’individu indépendamment de tout choix. Elle serait même en conflit avec les choix que voudrait faire l’individu. L’adolescent(e) réalise souvent contre son gré qu’il ou elle est homosexuel(le). Cette découverte est, chez de nombreux sujets, la source de souffrances morales importantes qui peuvent, dans les cas extrêmes, conduire à la dépression, voire au suicide (le taux de suicide chez les jeunes homosexuels est significativement plus élevé que dans les populations hétérosexuelles correspondantes)12, 13. L’accep­tation de son homosexualité par un individu se produit de façon très progressive – voire jamais – au cours de la vie. Ce qui contribue sans aucun doute à expliquer les soi-disant cas de changement d’orientation sexuelle (homosexuel ayant con­tracté un mariage hétérosexuel puis changeant apparemment d’orientation). La première orientation est souvent le résultat de pressions sociales que l’individu met parfois des décennies à vaincre avant d’accepter sa vraie nature. Si son origine était mieux comprise, l’homosexualité ne devrait pas, a priori, être associée à la souffrance qu’elle provoque encore trop souvent. L’interprétation psychanalytique de cette variation d’orientation sexuelle n’est pas étrangère à cette souffrance inutile.

Cette réflexion sur les conséquences sociales potentielles de l’une ou l’autre interprétation de l’homosexualité ne doit cependant pas influencer notre analyse de ses causes. Les con­clusions basées sur l’évidence doivent bien entendu prendre le pas sur les idées politiquement correctes ou simplement moins dérangeantes. Nous avons effleuré ce sujet dans le seul but d’indiquer que l’interprétation biologique, non contente de reposer sur une base expérimentale solide, a en plus pour avantage de repousser une forme de culpabilisation non justifiée.

2. Comportement sexuel et orientation sexuelle

La sexualité humaine est un phénomène complexe et multidimensionnel qui recouvre divers aspects du comportement et de la personnalité. On peut y distinguer au moins quatre dimensions plus ou moins indépendantes : 1) le type de patrons moteurs spécifiques qui sont exécutés par l’individu (performance) ainsi que la motivation sous-jacente à l’expression de ces comportements, 2) l’orientation de ces comportements et des fantasmes sexuels qui y sont associés vers un sexe ou vers l’autre (l’orientation sexuelle), 3) l’identité sexuelle (le genre) qui est ressentie par l’individu, et enfin 4) le rôle sexuel que joue l’individu dans la société.

Ces quatre dimensions sont souvent corrélées et liées au sexe morphologique et génétique, mais des discordances peu­vent survenir. Nous nous intéresserons exclusivement dans ce livre à l’orientation sexuelle, c’est-à-dire au phénomène par lequel un individu va considérer comme sexuellement attractives des personnes de son sexe ou du sexe opposé. On parlera en sexologie d’homosexualité lorsque l’orientation sexuelle d’un individu ne correspond pas à son sexe morphologique (et en général génétique, voir le chapitre 6.2) et qu’il est donc sexuellement attiré et/ou présente des fantasmes de nature sexuelle à propos de personnes de même sexe.

Le premier aspect de la sexualité humaine est lié à l’accomplissement des actes sexuels et à la motivation qui les sous-tend. On a montré, chez l’animal, que cette caractéristique est sexuellement différenciée et contrôlée par les stéroïdes sexuels tant pendant le développement (organisation) que pendant la vie adulte (activation) (chapitre 3). Le comportement sexuel humain n’est cependant pas limité à des actes moteurs sexuellement différenciés. Au lieu d’avoir une position d’accouplement stéréotypée comme c’est le cas chez le rat (monte et intromission du mâle, lordose* de la femelle), l’espèce humaine s’accouple dans une variété de positions. Souvent, une position est préférée dans une culture donnée (la position allongée, homme au-dessus de la femme, ou position « du missionnaire » dans les civilisations occidentales), mais d’autres positions sont couramment utilisées et la ou les position(s) favorite(s) varie(nt) d’une culture à l’autre14. L’homme et la femme ne jouent donc pas de rôle stéréotypé au cours de l’acte sexuel ; il n’existe pas de différence majeure entre les actes moteurs réalisés par les deux sexes et en conséquence, la littérature consacrée aux mécanismes qui con­trô­lent les dimorphismes* affectant cet aspect du comportement chez les animaux a peu d’intérêt pour comprendre l’espèce humaine.

La motivation qui conduit les êtres humains à avoir des relations sexuelles est par ailleurs forte dans les deux sexes. Des différences de modalité ont été signalées, mais elles restent mineures et souvent liées à la culture. Cette motivation, même si elle n’est pas très différenciée sexuellement, reste cependant chez l’homme, comme chez l’animal, en partie sous le contrôle des stéroïdes sexuels et nous passerons en revue les arguments qui soutiennent cette thèse (chapitre 7). Si les aspects moteurs du comportement sexuel sont assez semblables chez l’homme et chez la femme, les trois autres dimensions de la sexualité sont, elles, extrêmement différenciées.

uPour en savoir plus…

ENCADRÉ 1.1. LES STÉROÏDES SEXUELS

Les stéroïdes sexuels constituent une classe d’hormones particulièrement impliquées dans le contrôle de tous les phénomènes (morphologiques, physiologiques et comportementaux) liés à la reproduction. Comme tous les stéroïdes, ils sont dérivés du cholestérol* par une série de réactions enzymatiques qui peut se schématiser de la façon suivante :

Cholestérol → pregnénolone → progestérone* → testostérone → œstradiol*

La progestérone et l’œstradiol sont essentiellement produits par les ovaires chez les femelles (et femmes), la testostérone par les testicules chez les mâles (et hommes), mais comme nous le verrons, toutes ces hormones se retrouvent en fait dans les deux sexes.

L’orientation sexuelle, terme que nous préférons à « préférence sexuelle » à cause de sa neutralité par rapport à la volonté de l’individu (voir la section 1.3.), identifie le sexe des personnes vers lesquelles un individu dirige ses comportements mais aussi ses fantasmes sexuels. La plus grande partie des hommes et des femmes sont sexuellement attirés et excités par les individus de l’autre sexe. Ils sont hétérosexuels. Il existe cependant un pourcentage d’individus attirés par les personnes de leur sexe, ils sont homosexuels. Cette distinction n’est pas strictement qualitative et dès les études de Kinsey et ses collaborateurs à la fin des années 1940, il a été reconnu que tous les intermédiaires pouvaient exister. On considère que 3 à 10 % des hommes sont homosexuels dans toutes les cultures humaines, quelle que soit leur attitude vis-à-vis de l’homosexualité. Cette proportion varie cependant légèrement en fonction des méthodes d’études (voir la section 1.4). Les chiffres pour les femmes sont moins précis, mais devraient être du même ordre avec en plus une population non négligeable d’individus se considérant comme bisexuels (attraction pour les femmes aussi bien que pour les hommes, voir la section 1.4). Il existe donc dans toutes les populations humaines une proportion non négligeable d’homosexuels des deux sexes. Bien que tout à fait significative, cette proportion ne dépasse cependant jamais les 10 %, ce qui signifie que la majorité de la population est hétérosexuelle. L’orientation sexuelle est donc l’un des traits comportementaux qui présentent la plus grande amplitude de différence entre hommes et femmes.

Pour diverses raisons éthiques et techniques, l’analyse expérimentale des bases neurobiologiques de la sexualité est difficile chez l’Homme et l’on doit souvent se limiter à l’étude de cas cliniques. L’interprétation de ces données est cependant toujours problématique, car elles sont essentiellement corrélatives (existence d’une relation entre tel caractère comportemental et telle modification hormonale, par exemple). Il est donc impossible d’être certain que les corrélations observées sont bien dues à un effet d’une variable sur l’autre. La confirmation de ces interprétations ne peut donc venir indirectement que d’une comparaison avec des études réellement causales* réalisées chez l’animal. L’essentiel des études animales consacrées aux différences sexuelles affectant le comportement sexuel se sont malheureusement focalisées sur les différences relatives au type de comportement exécuté et sont donc de peu d’intérêt pour comprendre le comportement dans l’espèce humaine chez qui, comme nous l’avons dit, les aspects moteurs des comportements sexuels exprimés par les hommes et les femmes ne sont pas ou peu différents. Plus récemment, l’orientation sexuelle a aussi été étudiée chez l’animal et nous verrons que ces études jettent un éclairage important sur les origines de l’homosexualité humaine.

3. Faut-il parler d’orientation ou de préférence sexuelle ?

Les causes qui poussent un individu à développer une attirance sexuelle pour des partenaires de l’un ou de l’autre sexe sont probablement complexes. Deux terminologies sont couramment utilisées pour désigner cette caractéristique : on parle soit d’orientation, soit de préférence sexuelle. Ces deux dénominations ont, de façon consciente ou non, des connotations différentes. « Orientation sexuelle » implique en général que l’homo-/hétérosexualité résulte principalement de facteurs biologiques tandis que « préférence sexuelle » suggère plutôt que l’homo-/hétérosexualité représente un style de vie qui serait appris, voire choisi de façon plus ou moins délibérée au cours de la vie. Il est possible, voire probable que ces deux types de mécanismes soient effectivement impliqués à des degrés divers. Cependant, la thèse essentielle de cet ouvrage est que la plus grande partie du déterminisme résulte de facteurs biologiques prénataux et nous utiliserons donc préférentiellement le terme d’« orientation sexuelle ».

Il importe de distinguer dans le discours trois aspects importants de l’homosexualité que sont l’expression de comportements homosexuels, l’attirance/attraction homosexuelle et enfin la reconnaissance/acceptation de cette attirance vis-à-vis de la société. Le fait de présenter occasionnellement ou même plus régulièrement des comportements sexuels dirigés vers un individu du même sexe se retrouve fréquemment dans diverses espèces animales. Ces comportements sexuels dirigés vers un partenaire de même sexe ont été décrits chez des centaines d’espèces (voir Bagemihl15 et Poiani16) et il ne s’agit probablement là que de la partie émergée de l’iceberg ! Ces observations ont été utilisées pour propager l’idée que l’homosexualité était un phénomène répandu dans le monde animal17. Cependant, la présence de ces comportements homosexuels est généralement associée à des conditions dans lesquelles les partenaires du sexe opposé ne sont pas (facilement) disponibles. On pense par exemple à des animaux captifs (zoo, ferme), à des sociétés animales où quelques mâles dominants monopolisent toutes les femelles et empêchent les mâles dominés de s’accoupler avec elles, ou enfin à des groupes animaux où le sex ratio (nombre relatif de mâles et de femelles) est fortement asymétrique, de sorte que de nombreux individus ne peuvent pas trouver de partenaires du sexe opposé. En général, les comportements homosexuels disparaissent rapidement lorsque les partenaires de sexe opposé redeviennent disponibles.

Il en va de même dans l’espèce humaine, où l’on observe assez régulièrement des comportements homosexuels dans des circonstances où les partenaires du sexe opposé ne sont pas disponibles. On pensera, par exemple, aux prisons ou aux institutions d’enseignement non mixtes où les activités homosexuelles sont fréquentes. Nous parlerons également dans ce livre de sociétés non occidentales où les relations homosexuelles sont la règle, voire même encouragées parmi les adolescents, car l’accès aux filles est interdit avant le mariage (chapitre 8). Dans toutes ces conditions, on a pu observer que les comportements homosexuels régressent ou disparaissent lorsque les partenaires du sexe opposé (re)deviennent accessibles. Il n’y a donc pas ici d’attraction homosexuelle préférentielle. L’activité homosexuelle sert simplement d’exutoire à la motivation sexuelle sans qu’elle soit nécessairement préférée à l’activité hétérosexuelle. Elle ne recouvre donc pas nécessairement l’attraction homosexuelle dont nous parlons dans ce livre.

L’attraction préférentielle ou exclusive pour les congénères du même sexe est par contre une caractéristique largement humaine qui ne se retrouve pas fréquemment chez l’animal mais peut y être induite par des modifications de l’environnement hormonal embryonnaire ou par des lésions d’une zone précise du cerveau. Une telle attraction homosexuelle exclusive spontanée a été identifiée dans certaines populations de moutons dont nous reparlerons plus loin (chapitre 4). C’est de cette attraction exclusive ou préférentielle pour les individus de même sexe que nous parlons principalement dans ce livre. Nous montrerons que cette attraction est conditionnée, au moins en partie, par des phénomènes biologiques prénataux qui échappent largement à la volonté de l’individu concerné.

La reconnaissance face à la société de cette attraction homosexuelle est, enfin, un troisième aspect à considérer de façon indépendante. Il est clair que cette reconnaissance qui passe d’abord par l’acceptation personnelle de l’orientation homosexuelle puis par sa révélation au grand jour (le coming out) est, quant à elle, un acte conscient qui dépend largement de la volonté de la personne concernée, en interaction avec la plus ou moins grande tolérance de son entourage qui facilitera ou compliquera le processus. De nombreux homosexuels, dont certains très célèbres (Marguerite Yourcenar, Françoise Mallet-Joris, Françoise Sagan chez les femmes ; Gustave Flaubert, Marcel Proust, Paul Verlaine chez les hommes, pour n’en citer que quelques-unsb), ont historiquement vécu leur orientation sexuelle de façon plus ou moins cachée.

L’exécution de comportements homosexuels et la reconnaissance publique de l’homosexualité sont donc largement influencées par le contexte social et la volonté de l’individu. Il n’en va pas de même, pensons-nous, de l’attraction homosexuelle préférentielle qui, elle, se développe de façon essentiellement indépendante de la volonté de l’individu sous l’influence de facteurs biologiques qui agissent largement pendant la vie embryonnaire. C’est ce que nous tenterons de démontrer dans cet ouvrage.

Précisons néanmoins dès à présent que nous sommes bien conscients de ce que l’homosexualité, et l’orientation sexuelle en général, est un phénomène complexe qui ne doit probablement pas être le résultat d’une seule cause. De plus, homosexualités masculine et féminine n’ont peut-être (probablement ?) pas les mêmes explications. Enfin, à l’intérieur d’un même sexe, il est probable que (une combinaison de) différentes raisons (causes) puissent induire/expliquer une orientation homosexuelle. Nous mettrons en exergue tous les travaux qui démontrent que l’homosexualité, masculine ou féminine, a au moins en partie des causes biologiques de type hormonal ou génétique. Ceci n’exclut pas une contribution potentielle du milieu social et éducationnel, voire des choix de style de vie faits de façon plus ou moins consciente à l’âge adulte. Cependant, il faut remarquer que les études scientifiques disponibles actuellement ne montrent que peu ou pas d’influence de l’éducation sur le développement de l’orientation sexuelle, même si on ne peut exclure que des analyses plus approfondies puissent découvrir ces influences dans le futur. D’autre part, la littérature en langue française regorge d’ouvrages attribuant, essentiellement sur la base d’analyses de type psychanalytique, des origines éducationnelles ou sociales à l’homosexualité. Le but de ce livre est ouvertement de rétablir la balance des arguments.

4. Homosexualité et bisexualité masculines et féminines

L’hétérosexualité est l’orientation sexuelle majoritaire dans les sociétés occidentales et probablement dans toutes les sociétés présentes et passées. À cause des réactions plus ou moins négatives, voire hostiles de la plupart des sociétés, la prévalence de l’homosexualité et de la bisexualité a toujours été difficile à évaluer. Les premières tentatives de quantification objective ont été réalisées et publiées par le zoologiste Alfred Kinsey et ses collaborateurs au milieu du XXe siècle18. Kinsey était arrivé à la conclusion qu’environ 10 % des hommes étaient exclusivement ou presque exclusivement homosexuels alors que cette proportion était d’environ 1,5 % chez les femmes, celles-ci étant cependant plus fréquemment attirées sexuellement par les deux sexes19.

Des études plus récentes, basées sur des approches garantissant de manière plus efficace l’anonymat des personnes questionnées, ont abouti à des estimations légèrement différentes. Une étude américaine organisée par le National Health Statistics Center du Center for Disease Control (NHSC20) en 2005 indique par exemple que 7,1 % des hommes et 13,6 % des femmes ressentent une attraction sexuelle pour des personnes de leur propre sexe. Cependant, seuls 1,5 % des hommes et 0,7 % des femmes rapportaient une attraction homosexuelle exclusive (voir la figure 1.1).

Figure 1.1. Distribution de l’attraction sexuelle dans la population américaine des hommes et femmes âgés de 18 à 44 ans (d’après les données de Mosher et al.20).

Par ailleurs, une vaste étude analysant la prévalence de l’hétérosexualité, de la bisexualité et de l’homosexualité dans 28 pays répartis sur l’Amérique du Nord, l’Europe, l’Asie et l’Australie et utilisant les données de 191 088 participants vient récemment de confirmer l’ordre de grandeur de tous ces chiffres21. L’attraction d’homosexuelle préférentielle (mais non exclusive) serait présente en moyenne chez 7,2 % des hommes et chez 6,5 % des femmes. De façon importante, ces chiffres ne varient pas de façon significative d’un pays à l’autre, ni en fonction des religions majoritaires dans ces pays, ni de leur développement économique, ni de leur attitude moyenne vis-à-vis de l’égalité des sexes. Ces données suggèrent donc de façon indirecte que l’homosexualité est présente de façon constante en proportions identiques dans le monde et qu’elle est largement indépendante de facteurs sociaux.

Ces pourcentages pourraient être une sous-estimation, mais il est probable qu’ils sont plus proches de la réalité que les estimations de Kinsey et ses collaborateurs, vu les précautions prises pour s’assurer autant que possible de l’objectivité des réponses des sujets et la représentativité des échantillons analysés. Malgré les biais potentiellement présents dans toutes les études de ce genre, il est intéressant de noter que les pourcentages d’homosexualité rapportés dans toutes les sociétés étudiées varient essentiellement entre 2-3 et une dizaine de pourcents (voir le chapitre 8). Il faut également remarquer que, bien que de légères variations soient observées, ces pourcentages restent dans une fourchette relativement identique dans des études réalisées à plus de cinquante années de distance. L’attitude de la société vis-à-vis des homosexuels ayant changé profondément au cours de cette période, on aurait pu s’attendre à une augmentation de leur nombre relatif ; or, c’est plutôt le contraire qui est observé, en tout cas pour les hommes. Cette stabilité pose évidemment des questions con­cernant les mécanismes qui conduisent à une telle constance (voir le chapitre 11 pour plus de détails).

Les travaux de Kinsey et ses collaborateurs utilisaient une échelle à 7 points pour caractériser l’orientation sexuelle des individus variant entre 0 (complètement hétérosexuel) et 6 (exclusivement homosexuel). Les recherches plus récentes du NHSC se basent sur une échelle limitée à 5 points qui paraît fournir des résultats plus reproductibles. Comme l’indique la figure 1.1, la grande majorité des individus des deux sexes présentent une attraction exclusive ou préférentielle pour les individus du sexe opposé. De façon intéressante, la courbe décrivant la distribution des types d’orientation sexuelle est sensiblement différente chez les hommes et les femmes. Chez les hommes, cette distribution est clairement bimodale : elle présente deux pics aux extrêmes (strictement hétéro- et strictement homosexuel) alors que chez les femmes, on observe plutôt une décroissance progressive des pourcentages lorsque l’on passe de l’orientation exclusivement hétéro- à l’orien­tation exclusivement homosexuelle. On peut donc dire sur cette base que les catégories homo- versus hétérosexuel décri­vent des populations relativement séparées chez les hommes, alors que cette distinction serait plus subtile chez les femmes.

Corrélativement, la stabilité de l’orientation sexuelle serait plus grande chez l’homme que chez la femme. Les études longitudinales indiquent en effet que les femmes bisexuelles ou à préférence non exclusive pour un sexe donné changent plus fréquemment d’orientation que les hommes. La majorité des individus présentent cependant une orientation sexuelle stable dans le temps. On ne remarque qu’un faible pourcentage de sujets qui changent radicalement au cours de leur vie.

Quant à la bisexualité, définie comme l’existence d’un degré variable d’attraction simultanément pour hommes et femmes, elle semble être plus répandue que l’homosexualité stricte. Cette large définition de la bisexualité inclut cependant un grand nombre d’individus qui sont plus attirés par un sexe que par l’autre. Si l’on définit de façon plus restrictive la bisexualité comme une attraction plus ou moins égale pour les sujets des deux sexes, elle est alors présente de façon beaucoup plus rare chez les hommes. Certains sexologues contestent même qu’une telle bisexualité soit présente chez les hommes. Des mesures d’excitabilité génitale (tumescence et érection) chez les hommes à qui l’on présente des photos érotiques d’hommes ou de femmes ont en effet montré que les hommes qui se qualifient eux-mêmes de bisexuels montrent une excitation génitale bien plus grande pour un sexe (souvent les hommes) que pour l’autre22, voire une excitation exclusive pour les photos montrant des sujets masculins23. Levay5 note également que le terme de « bisexuel » est fréquemment utilisé par de jeunes hommes en train de prendre conscience et de révéler publiquement leur orientation homosexuelle (faire leur coming out). Certaines études montrent en effet qu’un pourcentage d’homosexuels pouvant atteindre 40 % se sont identifiés à un stade de leur vie de jeune adulte comme bisexuels avant de se qualifier plus tard d’homosexuels. La fréquence de bisexualité réelle chez l’homme pourrait donc être substantiellement sur­estimée.

La bisexualité féminine est par contre plus largement reconnue. Au niveau génital, la plupart des femmes seraient en fait bisexuelles et elles montrent des réactions d’excitation génitale en réponse à des vidéos érotiques montrant des hommes aussi bien que des femmes, indépendamment de leur attraction pour un sexe ou l’autre et de leur identification en tant qu’homo-, bi- ou hétérosexuelles24. Ces données n’excluent cependant pas l’existence d’une homo- ou hétérosexualité exclusive chez les femmes. Elles montrent seulement que l’excitation physiologique génitale peut être (partiellement) indépendante des déclarations verbales d’attraction sexuelle.

Il faut enfin distinguer clairement attraction physique sexuelle et désir d’intimité émotionnelle. Les deux ne sont pas toujours corrélés et une personne (femme souvent) attirée physiquement par un sexe peut être amoureuse de personnes de l’autre sexe, voire des deux sexes. Cette dichotomie complique évidemment la définition de la bisexualité. Elle affecte plus particulièrement les femmes dans les cultures occidentales, mais dans d’autres cultures, on observe aussi des amitiés passionnées entre hommes « hétérosexuels » sans qu’il n’y ait jamais d’élément physique sexuel5, 25.

uEn résumé :

1)La grande majorité des hommes sont sexuellement attirés par les femmes et vice versa. Ils sont hétérosexuels.

2)L’une des caractéristiques de la sexualité humaine, son orientation homo- ou hétérosexuelle, qui constitue le thème central de cet ouvrage, est donc sexuellement différenciée.

3)Il existe une minorité de sujets chez qui il y a discordance entre sexe morphologique (et génétique) et orientation sexuelle, ils sont homosexuels. Tenter de comprendre les origines de l’homosexualité revient aussi à se demander comment se développe l’hétérosexualité chez la majorité des individus.

a Nous utiliserons ici la notation « Homme » pour parler de l’espèce humaine alors qu’« homme » sera utilisé pour faire référence aux individus de sexe masculin par rapport aux femmes.

b Voir http://homophob.free.fr/homoscelebres.htm pour une liste plus longue.

Chapitre 2

Sexualité et orientation sexuelle : des bases biologiques ?

1. Rien n’est acquis, rien n’est inné, tout est interaction

La querelle entre l’inné et l’acquis (« Nature vs Nurture » en anglais) a fait rage pendant de nombreuses décennies, en particulier parmi les scientifiques qui s’intéressent au comportement et plus encore au comportement humain. Cette querelle a probablement connu son apogée au cours des années 1950, quand les éthologistes européens, qui s’intéressaient principalement aux comportements animaux largement innés, ont été confrontés aux psychologues expérimentaux nord-américains qui, dans la lignée des travaux de B. F. Skinner, focalisaient leur attention sur des comportements résultant d’apprentissages plus ou moins sophistiqués. La question a, pour beaucoup de scientifiques, perdu de son sens. Il est maintenant largement accepté que tout comportement est le résultat d’une interaction entre inné et acquis, la proportion de chaque type d’influence variant selon le comportement étudié. C’est la thèse que nous défendrons tout au long de cet ouvrage.

Il reste néanmoins de nombreux auteurs, souvent issus de la psychologie ou de la psychanalyse, qui pensent que le comportement humain et les différences sexuelles qui l’affec­tent sont largement, voire exclusivement, le résultat d’apprentissages. Ces affirmations prétendent parfois se baser sur la neurobiologie moderne, qui a démontré l’existence d’une plasticité remarquable dans la structure et le fonctionnement du cerveau humain pendant son développement et même à l’âge adulte. Il s’agit cependant là d’une compréhension incomplète et largement erronée des résultats récents de la neurobiologie. Il existe effectivement une grande plasticité du cerveau pendant son développement. Le cerveau humain est loin d’être complètement formé à la naissance et seul un très faible pourcentage de ses neurones sont connectés. Au cours des premières années de vie, la grande majorité des neurones présents à la naissance meurent et seul un petit nombre (un sur dix, selon certaines estimations) survit et s’incorpore dans des circuits fonctionnels. Le cerveau humain est donc extrêmement plastique et cette plasticité est guidée par l’apprentissage. Le cerveau de l’adulte est largement le fruit des expériences acquises durant le développement. Ceci n’empêche cependant pas que de nombreuses prédispositions compor­tementales existent à la naissance et ne peuvent pas être modifiées par l’apprentissage.

Maintenant que le génome humain a été entièrement séquencé et dans une large mesure interprété, on sait qu’il ne contient que 22 000 gènes environ (séquences d’acide désoxyribonucléique ou ADN* dirigeant la synthèse d’une ou plusieurs protéine(s), voir l’encadré 2.1). La quantité d’information contenue dans ces gènes est largement insuffisante pour rendre compte de la complexité des tâches qui sont accomplies par un organisme humain et en particulier par son cerveau. Il est par exemple impossible d’imaginer que les différents concepts dont nous avons connaissance à l’âge adulte (les tables de multiplications, pour prendre un exemple extrême) puissent être encodés de façon génétique. Ils doivent donc être appris, mais cet apprentissage est lui-même limité dans une certaine mesure par les structures nerveuses présentes qui, elles, dépendent de façon claire de notre patrimoine génétique. L’apprentissage est très limité, voire impossible dans une autre espèce à la génétique différente (rat, voire même chimpanzé) ou chez un être humain souffrant d’une maladie génétique qui a modifié le développement de son cerveau (trisomie, par exemple).

uPour en savoir plus…

ENCADRÉ 2.1. L’ADN, L’ARN*, LES GÈNES ET LES PROTÉINES

L’ADN contient, sous la forme d’une longue séquence construite à partir de quatre types d’éléments distincts (les nucléotides), l’information requise pour la synthèse de toutes les protéines d’un organisme. Ces quatre nucléotides sont l’adénosine (A), la cytidine (C), la guanosine (G) et la thymidine (T) qui est remplacée par l’uracile (U) dans l’ARN. Dans l’ADN, ils sont associés en deux chaînes parallèles où chaque nucléotide d’une chaîne est associé par des liaisons chimiques à un autre nucléotide spécifique dans la chaîne parallèle, tout comme les barreaux relient les deux montants d’une échelle. Dans l’espace, cette échelle est également torsadée sur elle-même, d’où son nom de « double hélice ».

L’information de l’ADN est transférée, lors de la transcription, dans un ARN à un seul brin qui servira de modèle pour la synthèse de protéine. Elle constitue ce qu’on appelle communément le code génétique. La séquence des A-T-C-G contenue dans un des montants de la molécule d’ADN contient l’information qui sert au codage des protéines. Chaque groupe de trois nucléotides (ou codon) correspond à un acide aminé dans la protéine. Ainsi GCU correspond-il à l’alanine et CGU à l’arginine. Il existe également des codes à la signification particulière : AUG indique l’endroit où doit débuter la synthèse d’une nouvelle protéine et les codons non-sens UAG, UAA ou UGA marquent la fin de cette synthèse.

Il est intéressant de noter que ce code génétique est identique à quelques détails près chez tous les êtres vivants : bactéries, plantes, animaux ou êtres humains. Cette identité constitue l’un des arguments les plus forts soutenant la notion d’unicité de la vie.

Nous disposons depuis 2001 d’une lecture complète du génome humain. Le code génétique complet d’un être humain comporte environ 2,4 milliards de paires de nucléotides et contient environ 22 000 gènes, c’est-à-dire 22 000 segments d’ADN qui codent pour une protéine spécifique.

L’apprentissage se déroule donc en présence de contraintes biologiques spécifiques dont nous découvrons tous les jours de nouveaux aspects. Ainsi, la linguistique moderne montre que toutes les langues humaines ont tendance à utiliser les mêmes sonorités pour désigner la mère (maman, mama…), très souvent le premier mot prononcé par les jeunes enfants. Certains voient là une survivance de structures linguistiques présentes dans une langue originelle parlée par les premiers Hommes. Alterna­tivement, sachant qu’un facteur important limitant le développement de la parole chez le jeune enfant est la mauvaise coordination motrice des muscles du larynx, on peut également penser que cette communauté de sonorité trouve, au moins en partie, son origine dans la facilité relative à prononcer ces sons. Le langage chez l’Homme est donc entièrement culturel et appris, mais sa forme pourrait être limitée, partiellement au moins, par des contraintes anatomiques et physiologiques. On pourrait même penser que certains phonèmes des langues humaines sont contrôlés génétiquement même si une telle proposition restera probablement impossible à démontrer. L’apprentissage renforce donc des propriétés génétiques intrinsèques et, inversement, les gènes contraignent et limitent les apprentissages possibles. Selon le caractère morphologique, physiologique ou comportemental étudié, l’importance relative du contrôle par les gènes ou par l’environnement et l’éducation varie de façon majeure, mais on reste quasiment toujours face à une interaction. Pour certains traits morphologiques, la part de l’inné est évidemment beaucoup plus importante que pour des caractères comportementaux.

2. Le contraste entre cultures latine et anglo-saxonne

Comme nous le verrons plus loin (chapitre 5), il existe dans l’espèce humaine un grand nombre de différences interindividuelles et de différences entre hommes et femmes (différences sexuelles). Elles affectent notre morphologie, notre physiologie et aussi notre comportement. Le rôle de la génétique dans la genèse des différences morphologiques et physiologiques n’est en général pas contesté, mais il en va tout autrement lorsque l’on commence à s’intéresser aux différences comportementales.

Il semble exister à ce niveau une différence assez fondamentale d’attitude entre les sociétés anglo-saxonnes et les sociétés latines. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, l’influence des gènes sur le comportement animal et humain est largement reconnue et étudiée scientifiquement (voir par exem­ple1 pour une traduction française d’un traité sur le sujet). Cela ne signifie pas que les auteurs anglo-saxons considèrent que les différences entre individus ou entre sexes sont le résultat exclusif de différences génétiques, mais la possibilité d’une contribution génétique est largement reconnue même si, souvent, des différences à l’âge adulte ne sont le résultat que de différences minimes au départ qui ont été amplifiées par l’éducation et l’influence générale de l’environnement.

Pour des raisons historiques et idéologiques, cette contribution génétique au contrôle des comportements humains est souvent rejetée en France, bien que de nombreuses équipes de chercheurs s’y soient illustrées dans des domaines tels que la génétique, la psychophysiologie et la neurophysiologie. Sous l’influence de théories égalitaristes d’inspiration souvent socialiste et marxiste et de la très puissante psychanalyse postfreudienne, la France défend en effet de façon acharnée l’idée de l’égalité des hommes (et des femmes) à la naissance, à tel point qu’elle a inscrit ce concept dans sa devise (Liberté, Égalité, Fraternité). Cette égalité devrait à notre sens être comprise comme une égalité de droits, comme inscrit d’ailleurs dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen proclamée par la Révolution française en 1789 (« Les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits »). Cette égalité de droits doit évidemment être défendue avec toute l’énergie possible. L’égalité de fait (morphologique, génétique mais aussi de statut social) est malheureusement un leurre. Les enfants nés en milieu défavorisé socialement (et financièrement) ont de grandes probabilités d’avoir une vie plus difficile que la moyenne, pour ne pas parler des enfants nés dans les pays du tiers monde. Le handicap physique ou mental est une autre forme d’inégalité de naissance, parfois d’origine génétique, qui de toute évidence bafoue cette notion d’égalité de fait. Les différences présentes à la naissance (handicap, différence sociale) n’empêcheront pas de nombreux individus de mener une vie heureuse et la société devrait certainement tout faire pour qu’il en soit ainsi en tentant de compenser les inégalités présentes au départ (fournir dans la mesure du possible une égalité de chances).

Ces notions sont largement acceptées tant que l’on se cantonne au domaine des différences morphologiques ou des handicaps comportementaux profonds. Cependant, si l’on s’intéresse à des différences comportementales plus subtiles entre individus ou entre sexes, une opposition farouche à l’idée d’une contribution génétique est souvent rencontrée dans de nombreux milieux intellectuels français. Cette résistance importante, comparée à ce qui est observé dans la culture anglo-saxonne, est probablement liée à l’absence en milieu latin d’une recherche développée en psychobiologie, la discipline qui analyse les bases biologiques des comportements humains. La majorité des départements de psychologie dans les universités américaines et britanniques incorporent en effet une division de psychobiologie (ou biopsychologie) dans laquelle des chercheurs formés à la psychologie ou à la biologie, voire à la médecine, étudient en commun les con­trôles biologiques des comportements humains en utilisant tous les outils de la neurobiologie contemporaine (imagerie médicale*, électrophysiologie, biochimie, neuroanatomie…). Ce type de recherche est quasiment absent des pays latins, bien que la recherche biomédicale ait conduit en France à de nombreuses découvertes importantes dans le domaine de la psychologie, de la neurophysiologie et de la neurochimie (voir par exemple les travaux de Boris Cyrulnik, Michel Jouvet, Jacques Paillard, Jean-Didier Vincent, Jean-Pierre Changeux, Jean-Pierre Chambon… et bien d’autres). L’étude de la relation entre processus neurophysiologiques et contrôle des comportements complexes a, de façon surprenante, été peu développée. Cette différence culturelle affecte particulièrement la recherche en neuroendocrinologie du comportement qui, comme nous l’avons déjà mentionné, s’est développée essentiellement aux États-Unis et dans la partie anglo-saxonne de l’Europe alors qu’elle n’est pratiquement pas présente dans l’Europe latine. Cette différence n’est probablement pas étrangère à l’absence de diffusion en France des recherches démontrant un contrôle au moins partiel de l’orientation sexuelle humaine par des facteurs endocriniens et génétiques.

Des ouvrages en langue française ont avancé que l’extra­ordinaire plasticité du cerveau humain en développement, les capacités d’apprentissage énormes de l’espèce humaine et le traitement différentiel que reçoivent les petits garçons et les petites filles depuis leur plus tendre enfance seraient la cause unique de toutes les différences de comportement entre hommes et femmes et entre individus. La biologie n’aurait aucun rôle à ce niveau.

Loin de nous l’idée de nier l’importance de ces facteurs culturels, éducationnels et environnementaux. Nous acceptons sans problème l’idée exprimée par Serge Hefez selon laquelle « le sexisme des enfants bat son plein entre deux et six ans, époque à laquelle ils subissent tous les stéréotypes2 ». Ce traitement différentiel joue sans l’ombre d’un doute un rôle déterminant dans la genèse de nombreuses différences comportementales entre hommes et femmes. L’évolution récente de la société occidentale dans laquelle les rôles sexuels sont moins bien définis est d’ailleurs associée à une disparition partielle de ces différences (voir Guiso et al.3 ; Hyde et al.4). Nous pensons néanmoins que ces différences ne se développent pas sur une tabula rasa. Le petit garçon et la petite fille ne sont pas identiques à la naissance. La présence d’un pénis chez l’un, d’un vagin et d’un clitoris chez l’autre est le signe d’une imprégnation hormonale profonde qui a déterminé la morphologie génitale mais a aussi, de toute évidence, modulé le développement de certains aspects du cerveau. Les recher­ches sur modèles animaux ont clairement démontré le rôle profond et irréversible des hormones embryonnaires sur le développement du cerveau et du comportement. On pourrait penser, et il a été écrit5-7, que l’espèce humaine s’était émancipée de ces influences hormonales, mais il n’en est rien. Ce n’est de toute évidence pas le cas au point de vue de la morphologie génitale ni de la physiologie de l’appareil reproducteur (voir le chapitre 6). Nos comportements restent également influencés par notre biologie. J’ai publié en 2019 un ouvrage qui résume de façon simple toutes les différences comportementales entre hommes et femmes et les mécanismes hormonaux et génétiques qui les expliquent en partie, à côté des influences sociales bien évidentes et non contestées8.

L’étude du cerveau humain révèle par ailleurs que les récepteurs* aux stéroïdes sexuels y sont présents aux mêmes endroits que chez l’animal. Enfin, de nombreuses observations cliniques et des études de corrélations démon­trent la subsistance chez l’Homme d’effets indiscutables des hormones sexuelles sur le comportement (voir le chapitre 7). Il reste donc au moins des traces des effets comportementaux des hormones chez l’Homme et une bonne partie de cet ouvrage s’attachera à rechercher la contribution respective des facteurs biologiques (hormonaux ou génétiques) et de facteurs environnementaux (éducation, apprentissage) dans le contrôle du comportement humain. Nous nous intéresserons particulièrement aux différences entre hommes et femmes. Nous tenterons de démontrer que la société joue certes un rôle important en ce qu’elle amplifie de façon extraordinaire des différences sexuelles préexistantes, mais que l’influence des mécanismes biologiques peut clairement se retrouver chez l’Homme. C’est tout particulièrement le cas si l’on s’intéresse à l’orientation sexuelle.

3. De l’unicité de la vie

L’espèce humaine résulte d’une longue lignée évolutive. D’êtres unicellulaires, les animaux sont peu à peu devenus multicellulaires, vertébrés, mammifères, singes… et Hommes. Conséquence : quelle que soit leur forme – Homme ou poisson –, tous les animaux vivants ont une partie de leur patrimoine en commun.

Au cours du XVIIe et du XVIIIe siècle, les zoologistes ont été fascinés par la diversité de forme des êtres vivants. Dans la foulée du naturaliste suédois Carl von Linné (1707-1778), ils ont entrepris de les classifier en focalisant leur attention sur les différences qui permettent de distinguer les groupes d’animaux (ou de plantes). Plus récemment, on s’est cependant rendu compte que les caractéristiques que les êtres vivants possèdent en commun sont tout aussi, voire bien plus, remarquables que leurs différences.