Brésil - Patrice Montagu-Williams - E-Book

Brésil E-Book

Patrice Montagu-Williams

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Beschreibung

Le Brésil est en crise. La présidence de Jair Bolsonaro a allumé de nombreux incendies. Et rien ne garantit que Lula da Silva, de retour à la tête de cet immense pays, parviendra à les éteindre. Mais qui connaît les Brésiliens, orphelins de leur roi Pelé, sait que cette immensité géographique, source d’infinis métissages, leur colle à la peau comme une seconde nature. Musique, émotions, passions, football… Réussites, richesses, inégalités sociales, opportunités… Tout, sur cette terre conquise par une poignée de colons, se joue en dehors des cadres habituels. Sa miraculeuse renaissance, synonyme de développement économique et d’aspiration géopolitique, ne sera jamais linéaire. Ce petit livre n’est pas un guide. C’est un décodeur. Un voyage des rivages d’Ipanema aux profondeurs indigènes de la forêt tropicale pour mieux connaître les passions brésiliennes. Et donc mieux les comprendre. Un grand récit suivi d’entretiens avec Isabel Lustosa (écrivaine) et Claudio Frischtak (économiste et universitaire).


À PROPOS DE L'AUTEUR


Homme d’affaires et voyageur infatigable, auteur de romans policiers (dont la série Les enquêtes du commissaire Boris Samarcande aux Éditions Otago), Patrice Montagu-Williams vit depuis plus de cinquante ans avec le Brésil dans la peau et dans la tête. Ce Niçois pur jus a toujours gardé, rivée au cœur, la ville de son enfance. Il nous en ouvre les clés dans Nice, bien plus qu'une promenade.

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Couverture

Page de titre

Carte

Remerciements à

Laura Martins du Centre de documentation de la TV Globo, Rio de Janeiro.

Luis Carlos Freitas, écrivain, journaliste, chroniqueur politique au quotidien Diário Popular et auteur de nombreux romans (non traduits en français).

« Le Brésil est un pays d’avenir et il le restera »Déclaration attribuée au Général de Gaulle

À Esteban, mon petit-fils,lui aussi passionné par ce pays.

AVANT-PROPOSPourquoi le Brésil ?

Oubliez un instant les habituels clichés : le football, la samba et le carnaval, mais aussi la violence et la corruption. Chaussez de nouvelles lunettes et laissez-vous guider : comme le navigateur portugais Pedro Álvares Cabral en l’an de grâce 1500 sur le littoral bahianais, vous débarquez dans un pays immense et méconnu. Un pays à conjuguer au superlatif, celui qu’Amerigo Vespucci1 fut le premier à qualifier de « paradis terrestre », un pays « où l’on prend racine avec les yeux » comme le disait Blaise Cendrars.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le Brésil, c’est d’abord 8,5 millions de km². Cinquième pays de la planète par sa superficie, il représente la moitié de l’Amérique latine à lui tout seul !

Une très forte unité culturelle préserve toutefois la nation brésilienne des risques d’éclatement que l’on peut constater dans d’autres grands États où coexistent de nombreuses minorités. Une langue unique, le portugais. Une même religion, le christianisme, pratiqué selon les rites catholique ou évangéliste2, une absence notable de problèmes raciaux due au fort métissage de la population, largement composée de mulatos (métissage de Blancs et de Noirs), de caboclos, appelés aussi mamelucos (métissage de Blancs et d’Indiens) et de cafuzos (métissage d’Indiens et de Noirs). Tout cela constitue le socle de la nation brésilienne et permet à la population de cet immense territoire de cohabiter dans une relative harmonie, malmenée en revanche par des inégalités parmi les plus criantes au monde et une terrible violence urbaine.

Le sentiment d’appartenir à la même nation est, au Brésil, une indéniable réalité. Tous se retrouvent le soir devant les telenovelas de la TV Globo et le pays s’arrête de respirer quand l’équipe nationale de football, la Seleção, pénètre sur la pelouse lors d’une compétition internationale. Mais unité ne veut pas dire uniformité.

À la vérité, il n’y a pas « un » Brésil mais « des » Brésils. Quoi de commun en effet entre l’immense forêt amazonienne, aujourd’hui de plus en plus menacée, le polygone de la sécheresse du sertão décrit par les climatologues, et les mégalopoles du Sud, São Paulo et Rio de Janeiro ?

L’évolution qu’a connue ce pays cette dernière décennie ne peut cependant que laisser perplexe tout observateur un tant soit peu avisé. Fini ce Brésil dynamique qui faisait partie des fameux BRICS. Créé en 2011, ce groupe de pays censés tirer la croissance mondiale aujourd’hui mis en sommeil, comportait, en plus du Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Fini ce Brésil, vainqueur de cinq Coupes du Monde de Football, qui n’a plus remporté ce trophée depuis vingt ans. La mort, le 29 décembre 2021, du roi Pelé, l’un des plus grands joueurs de football de tous les temps, en est le symbole. Fini ce Brésil qui avait su tourner la page de la dictature militaire et porté au pouvoir des présidents de la République de premier plan, comme Fernando Henrique Cardoso, brillant sociologue élu deux fois à la tête du pays, et place à des dirigeants médiocres et corrompus, le pire ayant été atteint avec l’élection d’un modeste capitaine de l’armée de Terre, Jair Bolsonaro, populiste caricatural et climatosceptique avoué, responsable d’une déforestation effrénée de l’Amazonie et de la mort de près de 700000 personnes pendant la pandémie du Covid car il ne croyait pas aux vaccins !

Le Brésil, aujourd’hui profondément fracturé, saura-t-il vaincre ses démons ? Les émeutes du dimanche 8 janvier 2023 à Brasilia, provoquées par les partisans du président vaincu contre les symboles du pouvoir (Tribunal suprême fédéral, Congrès et palais présidentiel) qui ont bénéficié de la complicité d’une partie de la police militaire témoignent d’une division profonde du pays. S’il traverse actuellement une situation difficile et s’il n’est pas sûr que le retour à la présidence du pays pour un troisième mandat, après ceux de 2003 et de 2007, de Lula da Silva, permette de redresser la situation, le Brésil bénéficie tout de même d’atouts considérables, en termes de ressources naturelles notamment. Il est cependant desservi par une classe politique qui n’est incontestablement pas au niveau d’une nation qui est la dixième puissance économique mondiale. Il reste un élément d’espoir cependant : les institutions – et en particulier le Tribunal suprême fédéral, sorte de Cour suprême – ont tenu tout au long du mandat de Bolsonaro et pendant les événements dramatiques qui ont suivi sa défaite.

1 Amerigo Vespucci (1454-1512), marchand passionné de navigation, fut le premier à penser que C. Colomb n’avait pas découvert l’Asie mais un nouveau continent. À partir de son prénom, le cartographe allemand Martin Waldseemüller baptisera ces terres nouvelles America, en 1507.

2 En plein essor, les Églises pentecôtistes comptent à présent plus de 40 millions de fidèles. C’est la religion des exclus, des zones périurbaines sans services publics.

Les colères d’un géant

Je contemple par la fenêtre du taxi le Christ Rédempteur1 illuminé, gigantesque statue plantée au sommet du Corcovado, un impressionnant pic de granite qui domine Rio et la baie de Guanabara. De ses bras ouverts, il protège la ville et, malgré la violence qui gangrène les favelas, il continue, imperturbable et bienveillant, à rappeler au monde entier ce qui fait la force et le charme unique du Brésil : tolérance apparente, joie de vivre et convivialité.

À peine débarqué à Rio de Janeiro après quelques années d’absence, j’ai voulu retrouver le Bar Lagoa. Renouer avec les souvenirs, même récents, est, au Brésil, un défi permanent car ici, tout change et tout renaît en permanence. Le pays, entièrement tourné vers le présent, n’a pas le culte du passé comme en Europe. Mais le Bar Lagoa, immuable depuis son ouverture en 1934 sous le nom de Bar Berlim (Bar Berlin), un bar allemand qui dut changer de nom au moment de la guerre, est une exception. Posé sur la rive de la vaste lagune que bordent les quartiers chics de la zone sud de Rio, c’est une véritable institution.

Antônio Carlos Jobim, l’un des fondateurs de la bossa-nova, y tenait table ouverte. Certes, ce dernier fréquentait à peu près tous les établissements de la ville et ce n’est pas au Bar Lagoa mais au Bar Veloso, aujourd’hui rebaptisé, que lui vint l’idée, en voyant passer régulièrement sur le trottoir une superbe fille en route pour la plage, de composer avec son complice, le poète Vinícius de Morais, la célèbre Garota de Ipanema2.

La décoration intérieure du Bar Lagoa est art déco et fait une large place au marbre de Carrare. Assis sur la véranda devant une assiette de croquettes de viande et un verre de caïpirinha, tout me revient aussitôt en mémoire. À commencer par le nom de quelques étrangers célèbres tombés amoureux du Brésil.

Je pense à Paul Claudel, qui profita de sa mission diplomatique en 1917 et 1918 à Rio, alors capitale du pays (« la plus intéressante de ma vie » devait-il écrire plus tard), pour continuer ses explorations dans le domaine musical et théâtral avec celui qui l’avait accompagné comme secrétaire, le compositeur Darius Milhaud. Sa pièce Le Soulier de satin porte les traces de son séjour brésilien. Quant à son compère, il créera Le Bœuf sur le toit, une œuvre inspirée d’une chanson brésilienne, O Boi no telhado, laquelle donnera plus tard son nom à un célèbre cabaret parisien de la rive droite, rendez-vous préféré de Jean Cocteau et de l’intelligentsia parisienne pendant l’entre-deux-guerres.

Je songe à Blaise Cendrars, qui fit ici plusieurs voyages et se lia d’amitié avec les poètes modernistes Oswald et Mario de Andrade, ainsi qu’avec la très belle artiste peintre Tarsila do Amaral, membre elle aussi du mouvement moderniste3. Bien plus tard, Cendrars publiera Le Brésil. Des hommes sont venus4,illustré par des photos de Jean Manzon, célèbre photographe français établi à Rio.

Je n’oublie pas non plus Roger Bastide, sociologue et anthropologue, qui occupa un temps la chaire de sociologie à l’Université de São Paulo et publia Les Amériques Noires et Brésil, terre des contrastes5 ainsi que Le Candomblé de Bahia6.

Je me souviens, bien sûr, des écrits de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss et de ses fameux Tristes Tropiques7, mélange de souvenirs de voyage et de méditations philosophiques.

Impossible de passer sous silence par ailleurs l’écrivain autrichien Stefan Zweig. Épuisé, revenu de tout, persuadé que les nazis allaient gagner la guerre, il se réfugia ici en 1942, avec sa femme Lotte, avant de se suicider à Petrópolis8, l’ancienne cité impériale, nichée dans les collines de la Serra dos Orgãos, non loin de Rio.

Plus près de nous, enfin, saluons la mémoire de Pierre Barouh, « le Français le plus Brésilien de France » comme il se présentait, l’homme qui nous fit découvrir la bossa-nova et qui sut communiquer sa passion pour la musique brésilienne à des artistes tels que Claude Nougaro, Georges Moustaki ou Bernard Lavilliers.

Droit au cœur

Tous ces intellectuels, tous ces artistes, m’avaient fait partager leur passion pour cet immense territoire. Les ayant lus, les ayant écoutés, je pensais tout connaître de l’âme de ce pays. Pourtant, en arrivant ici pour la première fois, l’année de mes 24 ans, ce que je découvris n’avait rien à voir, ou presque, avec ce que décrivait leur prose ou ce que racontait leur musique. Parce qu’on n’apprend pas le Brésil en lisant des livres, en écoutant des chansons ou en jouant les touristes9 : on le vit.

On le vit en prenant son cafezinho (petit café) debout dans un botequim (petit bistrot) ouvert sur la rue. On le vit en pénétrant dans l’enceinte du Maracanã10, l’un des plus grands stades de football du monde, lors du derby Fla-Flu, Flamengo-Fluminense, deux des principaux clubs de Rio. On le vit en assistant au carnaval, au Sambódromo ou dans les rues de Bahia. On le vit en contemplant les incroyables statues d’Aleijadinho, à Congonhas11. On le vit enfin en se promenant le long des plages de Rio ou du Nordeste tout en contemplant les silhouettes somptueuses de ces filles qui vivent dans un pays où l’on ne plaisante pas avec son apparence. Car le Brésil est le quatrième marché du monde pour les cosmétiques et les produits d’hygiène, hommes et femmes confondus, et la chirurgie esthétique y est une religion. Et pour cause : la séduction est partout. « Le péché n’existe pas au sud de l’équateur » écrivait si bien John Updike dans son livre Brésil12.

Le grand écrivain argentin Jorge Luis Borges traitait ses compatriotes « d’Italiens qui se prennent pour des Anglais ».

Rien de tel au Brésil où l’on est fier d’être Brésilien et où l’on a compris que, si le pays est devenu ce qu’il est aujourd’hui et a encore un si grand avenir, en dépit des crises récurrentes qu’il traverse, il le doit en grande partie au métissage de sa population.

« Mon » Brésil s’est bâti peu à peu, à l’occasion des très nombreux et très longs séjours que j’y ai fait, séjours marqués de rencontres parfois extraordinaires, toujours enrichissantes.

Le premier de ces séjours premier date de l’été qui suivit mai 1968. Le pays vivait des années de plomb. Soutenue par la CIA, une junte militaire avait pris le pouvoir13. Une censure imbécile muselait la presse. Les opposants étaient arrêtés, souvent torturés14 et certains disparaissaient pour toujours.

À peine débarqué, je rencontrai un homme qui changea ma vie. Jean-Marie Buffière était Français,