Brocantes et camisoles - Véronique Schouten - E-Book

Brocantes et camisoles E-Book

Véronique Schouten

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Beschreibung

Galerie de personnages attachants

A mi-parcours de sa vie, Honoré, brocanteur de son état, est amené à jeter un regard critique sur ce qu'il en a fait jusque là. Son métier d'accumulateur d'objets anciens ne l'amuse plus. Peu à peu, sa vie change. Mais pas comme il le pouvait le penser.
Elena saura-t-elle balancer par dessus bord toutes ses vieilles plaies, résidus d'une enfance traumatisante ? Nestor oubliera-t-il travail et famille afin de se tourner résolument vers une nouvelle identité ?
Rodogune, Philastère, Goliath, Statler et Waldorf, pensionnaires de la clinique psychiatrique, cherchent la paix du cerveau sous la houlette d'un directeur torturé, Lothaire Rogaton. Affaire parfois compliquée...
Le goret d'Anatole, répondant au doux nom de Zippo et doté de talents extra-sensoriels ainsi que le livre-devin, qui prédit la vie d'Honoré, s'ingénient à pimenter le récit de ce roman en forme de conte philosophique.

Un ouvrage entre le roman et le conte philosophique qui vaut le détour !

EXTRAIT

Du premier vagissement au dernier souffle, nous emmagasinons, tels des mille-feuilles humains, moult souvenirs et vécus, mais aussi des objets. On thésaurise, on conserve quasi névrotiquement. Ces bibelots et gadgets supposés embellir notre quotidien ne font généralement que le polluer, mais en sommes-nous conscients ?
Gorgés de stimulations d'achat par les médias, inondés de mails publicitaires, nous voilà malgré nos réticences, les consommateurs d'objets de plus en plus futiles, de moins en moins utiles à nos vies confortables. Un proche disparaît, et nous voici affublés de ses joujoux, au nom de l'attachement qu'on lui portait. Peu à peu, nos maisons se remplissent presque à notre insu.
Est-ce que le bonheur est dans l'avoir ? Pression sociale qui incite à se comparer au voisin, lequel a peut être une demeure plus belle que la notre, (quand nous en avons une), une voiture plus puissante, le dernier smartphone doté des plus récentes applications à la mode... Et ensuite ?
Jusqu'où aller dans cette course infinie ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Un jour de 1954, un pianiste hollandais et une enseignante parisienne, tombés amoureux de la Côte d'Azur, ont interrompu un grand voyage en France dans le village de St Tropez, le temps de donner le jour à Véronique Schouten. Une vie tropézienne, bien loin des people, celle d'un village provençal plus vrai qu'il n'y paraît de prime abord.
Quand le métier de mère associé à celui de directrice d'école maternelle commencent à lui octroyer un peu de temps libre, Véronique découvre dès 1997 les joies de l'écriture.
Désormais retraitée, elle est riche des expériences de la vie qu'elle dépose dans un style qui lui est propre, sur la feuille blanche.

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" La raison du plus fou est toujours la meilleure."

Raymond Devos

" Proverbe porc : Ne faites pas aux truies ce que vous ne voudriez pas qu'elles vous fassent."

Coluche

À mes amies de plume pour leur soutien constant

À mes deux enfants et mon compagnon pour leur confiance et leur écoute

Avant les brocantes et les camisoles...

Du premier vagissement au dernier souffle, nous emmagasinons, tels des mille-feuilles humains, moult souvenirs et vécus, mais aussi des objets. On thésaurise, on conserve quasi névrotiquement. Ces bibelots et gadgets supposés embellir notre quotidien ne font généralement que le polluer, mais en sommes-nous conscients ?

Gorgés de stimulations d'achat par les médias, inondés de mails publicitaires, nous voilà malgré nos réticences, les consommateurs d'objets de plus en plus futiles, de moins en moins utiles à nos vies confortables. Un proche disparaît, et nous voici affublés de ses joujoux, au nom de l'attachement qu'on lui portait. Peu à peu, nos maisons se remplissent presque à notre insu.

Est-ce que le bonheur est dans l'avoir ? Pression sociale qui incite à se comparer au voisin, lequel a peut être une demeure plus belle que la notre, (quand nous en avons une), une voiture plus puissante, le dernier smartphone doté des plus récentes applications à la mode... Et ensuite ?

Jusqu'où aller dans cette course infinie ?

Par ailleurs, nous vivons aussi de beaux moments et de foutus quarts d'heure, gravés à jamais dans les tiroirs de notre mémoire. A cet égard, l'enfance reste gravée dans le cerveau perméable de la jeunesse. Pas question pour autant d'en faire plus tard un argument nous autorisant à agir en fonction de maux vécus quelques quarante ans auparavant. La résilience, oui, qui nous permet de rebondir après un traumatisme plus ou moins important. Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort !

Reproche caché envers les complaisants qui acceptent de voir une quinqua ou quadra avouer ne jamais avoir digéré son enfance, et de ce fait être atteinte de troubles psy dûment répertoriés. Il y a un âge pour observer sa jeunesse, puis un âge pour vivre, être soi, traverser ses jeunes années ! A moins évidemment d'avoir subi des traumas excessivement graves, ce qui heureusement reste marginal. Laisser de côté son enfant intérieur et accepter de devenir enfin adulte, parfois déjà tard dans la vie.

Pas si simple de s'autoriser à oublier, jour après jour, évidemment. Cela en vaut la peine, pourtant. Libéré d'un passé difficile, quelle joie.

Au milieu de notre vie, l'on se surprend à poser un regard critique, sorte de flash-back. Nos vécus jusque là ? Nos rêves de jeunesse, réalisés, oubliés, différés ? Il est urgent de faire les bons choix.

L'on sent confusément l'arnaque du temps ne cessant jamais de s'écouler, certes, mais parfois sans oser franchir le pas d'un changement radical. Les jours et les années passent, et un jour, en face du miroir de la salle de bains, un regard désabusé, aigri, s'est installé sur le visage de l'ancien enfant plein d'espoir. Il est trop tard.

Et puis, quid de la normalité ? Où se situe la frontière entre un être équilibré et un dingue ? Qu'est-ce qui détermine un internement ? La notion de souffrance, de danger pour soi ou pour la société, ok. Cependant, force est de constater que ces idées évoluent considérablement avec l'avancée des connaissances en médecine psychiatrique. Un exemple : le regard posé sur l'autisme, jadis trouble psychique grave, désormais une maladie aux multiples aspects de mieux en mieux soignables. La notion d'internement suit cette évolution. Enfermer une personne dérangeante est enfin devenu moins simple à obtenir. Le droit à la différence passe aussi par là.

Plus jeune, j'étais autre, en ce sens que ma taille un brin hors norme dans ma génération, m'occasionna souvent des propos que je ressentais comme blessants. Vous êtes grande, vous ! Mais combien mesurez-vous ? Ah, quand même !..Je compris assez vite que la différence, quelle qu'elle soit, doit être digérée, tant par la personne autre que par son entourage.

Interner une personne est-elle une solution ? En huis clos, l'enfer devient les autres, comme Sartre l'a si bien écrit. Et si ? Une alternative, la thérapie par la responsabilisation. Se sentir investi d'une tâche même minime, donne du sens à sa vie et crée du lien avec les personnes concernées au quotidien. Le groupe comme outil de mieux-être, pas pire que de se gaver de médocs abrutissantes, après tout.

Faire table rase de nos brocantes personnelles, à la lecture de ce livre, afin de laisser émerger l'être vrai, heureux. Désencombrer nos maisons, délester nos têtes, de tout ce qui gêne toute tentative de bonheur. S'accepter et accepter l'autre même avec quelques bizarreries, car de la diversité peut naître la richesse.

C'est tout le bonheur que je souhaite à mes lecteurs, à travers les divagations de mes personnages.

Les Personnages

A toutes fins utiles, les personnages ont souhaité se présenter, en précisant au passage leurs liens de parenté et/ou d'amitié avec d'autres...

Honoré de Barocco, brocanteur repenti, ami d'Anatole et de Nestor. Amant de Guislaine Solien.

Nestor, alias Telson, ami d'Honoré et amant d'Elena, alias Erane.

Guislaine Solien, clerc de notaire, amante d'Honoré et de Riccardo. Amie d'Irma Satin.

Elena, alias Erane, fermière roumaine en psychanalyse en France ; amante de Nestor, alias Telson.

Anatole, ami d'Honoré et maître de Zippo, goret.

Riccardo, fils de Lassitie et Léandre, amant de Guislaine.

Lothaire Rogaton, chef de clinique psychiatrique.

Dagobert Satin, inspecteur de police, marié à Irma Satin.

Irma Satin, oisive, femme de Dagobert Satin et amie de Guislaine.

Rodogune, internée pour se croire devenue Jeanne d'Arc.

Philastère, résident volontaire de la clinique psychiatrique.

Zippo, goret d'Anatole.

Goliath, personnage d'« Impromptues fantaisies » en visite ici, demi-frère de Gontran, et interné.

Statler et Waldorf, deux célèbres vieux gâteux, internés.

Rosaria Sevilla, décédée mais qui dialogue.

Le livre-devin, entité capable de prédire l'avenir d'Honoré.

Figurants :

Onésime, souteneur roumain,

Gaston, garagiste,

Anténome, extra-terrestre,

Lassitie et Léandre, parents décédés de Riccardo,

Martine Cinzano, Marie Brisée, Anisette Duval, Bénédictine,

infirmières polonaises,

Philomène, ex-femme de Nestor,

Honorine, fille de Nestor,

Eléonore, spécialiste de la ratatouille.

Un vide-grenier de fou,ou les mésaventures d'Honoré de Barocco

Chapitre 1

La porte s'ouvre en grinçant. Il est vrai qu'elle n'a pas été actionnée depuis si longtemps. Depuis que... Mais cela est une autre histoire.

A demi-enseveli sous des toiles d'araignées dignes d'une déco halloweenesque, je l'aperçois. Le fauteuil. Tel que conservé en ma mémoire défaillante.

Souvenirs déficients ? Sans doute ce qu'on a voulu me faire croire, en allant jusqu'à m'interner, en compagnie d'hallucinés au regard satanique. L'infirmière au sourire de gorgone en était convaincue. Jusqu'au jour béni où je me suis échappé de ce nid de coucous, fuyant à grandes enjambées.

Tout cela pour une sombre histoire de trous de mémoire. Qui n'en a pas, après tout ? J'étais surmené, j'avais embrouillé plusieurs affaires différentes. Du coup j'avais livré un parchemin attribué à Napoléon à un collectionneur de figurines japonisantes. Facturé à une châtelaine ruinée l'achat de trente couvre-lits au style vintage ... J'avais dû ramer à contre-courant afin de trier objets et facturations.

De loin, le fauteuil ne me semble pas changé, toujours autant de racines ondulant en direction d'accoudoirs au tissu décoloré. Oserai-je m'y asseoir ? Pour l'instant, je l'observe. Et déjà, je sens poindre comme une sourde angoisse en moi. Le pouvoir de cet objet... capable de réveiller mes souvenirs.

Dans cette maison, habitait à l'époque un couple si uni que l'on ne pouvait imaginer possible leur malheur. Leur porte toujours ouverte pour les amis de passage ; lors de la belle saison, des rires, des sons, les échos de grandes tablées sous la pergola, il semblait que le temps s'arrêtait là, que sitôt franchi le seuil, seule comptait la joie partagée entre tous.

Et quand l'hiver revenait, ils se retrouvaient tous deux assis au coin du feu, évoquant l'été fugitif, élaborant moult projets festifs à venir.

C'est dans une brocante qu'elle avait dégotté ce fauteuil, adopté à l'unanimité, qui devint vite une sorte de trône installé au centre du séjour. C'était à qui s'y assoirait le premier. Dès que l'un d'eux s'y posait, il ou elle ressentait une douce chaleur l'envahir. Si agréable que l'autre n'avait de cesse de lui voler la place, sous des prétextes fallacieux.

« Mon chéri, je boirais bien une bonne tasse de thé ! « Et sitôt l'homme dans la cuisine, frrrt ! La voilà assise.

Peu à peu, le susdit siège devint un enjeu tel qu'ils en oublièrent de s'aimer aussi fort qu'au premier jour.

L'été qui suivit fut moins animé, les amis plus rares autour de la grande table. Il est vrai qu'ils se lassaient de les entendre se disputer sans cesse au sujet d'un vulgaire objet.

Banal ? Pas tant que cela. Des excroissances se mirent à pousser du bas de l'un de ses pieds. Comme des lianes, qui augmentaient chaque fois que l'un d'eux s'y posait. De plus en plus attirant, on sentait, outre la chaleur, une sorte de communication, d'empathie avec soi. Un phénomène difficile à expliquer.

Pas très loin, une jolie statue de Giacometti se mit elle aussi à se métamorphoser, des filins lui poussèrent aux membres, en altérant ainsi la beauté. Jaloux, le fauteuil, de cette statue tricotant des pieds ?

De même, dans le jardin d'hiver devenu glacial même à la belle saison, les arbres blanchirent et se virent reliés entre eux au moyen de câbles les empêchant désormais de croître. Les végétaux blancs ajoutèrent encore à une atmosphère qui se tétanisait, s'endormant peu à peu d'un sommeil éternel.

Dans la maison, les disputes s'envenimaient, devenant dignes d'une guerre des Rose.

Je me souviens de ce fait divers, dont aucun inspecteur de police ne put comprendre les circonstances. On retrouva trois personnes endormies, entièrement nues. Amnésiques. Un homme et deux femmes. Une fois réveillés, ne se souvenaient absolument de rien. Inconnus du couple en question. Allongés dans le jardin, juste devant le séjour. Sous la gouverne silencieuse du fauteuil, aux pieds duquel de nouvelles racines avaient récemment poussé.

A l'évocation de cet épisode, mon angoisse grandit encore et j'ai surtout envie de rebrousser chemin, sortir de cette maison fantomatique.

Un ami du couple, venu leur rendre visite de manière impromptue, et sans doute plus avisé que d'autres, leur tint un soir ce discours :

« C'est triste de vous voir vous chicaner ainsi, le savez-vous ? Et depuis quand cette ambiance lourde ici ?

— ... Je crois que c'est depuis l'achat de notre fauteuil.

— Pourquoi donc tant d'enjeu autour d'un objet fort anodin ?

— Essaie-le, tu vas nous comprendre...

— Ce n'est pas le problème. Rien ne devrait être plus important que votre amour. Et surtout pas un meuble ! Qui de plus, a le défaut de moisir, regardez ces racines. Comme c'est laid ! »

Baissant le nez comme des enfants pris en faute, le couple se tut.

L'ami de passage regretta instantanément ses paroles, tenta de les atténuer, dédramatiser la situation. Mais il était trop tard.

Cette nuit-là, ayant joué un air de violon afin de leur redonner sourire aux lèvres et joie de vivre, il s'endormit sur le canapé du salon, brusquement lourd de fatigue.

Le lendemain, descendant prendre le petit-déjeuner, choc de découvrir le musicien figé, violon en main, pétrifié en une posture éternelle. Face à lui, au milieu de la pièce, le fauteuil.

Effrayés, ils comprirent enfin les pouvoirs malfaisants de cet objet de brocante. Et décidèrent d'un commun accord de s'en débarrasser au plus vite. Le brûler peut-être ? Pas une mauvaise option.

Chuchotant comme pour ne pas être entendus depuis le séjour, ils optèrent pour la hache. Le trancher menu, déchiqueter l'objet, la bonne idée ! Puis brûler les morceaux.

Assis l'un contre l'autre, enfin réunis en une gestuelle aimante, ils s'endormirent devant le feu, soulagés d'avoir trouvé la solution. Le fauteuil en face d'eux.

Je sais bien que sous les toiles d'araignées, leur éternelle statue est encore là, cette seule idée m'effraye tant que je repars rapidement de cette maison à la porte grinçante... L'état des lieux, une autre fois. Pas urgent finalement.

Retraverser la forêt aux arbres immenses, cathédrale végétale qui en d'autres circonstances, m'eût ravi. Troncs de large circonférence, s'élançant vers un ciel partiellement caché de hautes branches alourdies de feuillage dense. Le chemin serpente, longe parfois de sages végétaux alignés le long du fossé, découvre quelques clairières inondées de lumière, où l'on voudrait s'arrêter.

Comment je connais cette histoire ? Je ne sais si je dois le révéler...

Je suis brocanteur. J'adore battre la campagne à la recherche d'objets rares. La chance, ou le flair, font que je trouve souvent des objets d'exception. Ils ont parfois une histoire…

Ce fauteuil venait d'un château soi-disant hanté, dans lequel j'avais trouvé une mine de raretés. J'y avais organisé un vide-grenier. Comme souvent lors d'un décès, les héritiers avaient bradé ce qui ne les intéressait pas. Leur père, un magicien d'origine roumaine, venait de disparaître en laissant des dettes faramineuses. Il était donc vital de réaliser un maximum de ventes afin d'apurer la situation. Et ce fauteuil n'attirant personne, (de plus, les héritiers l'avaient sous-évalué) je l'acquis pour peu de frais. Je sentais du potentiel en lui. Du danger aussi, que je devinai l'unique fois où je m'y asseyais.

Je le vendis donc rapidement à cette femme attachante. Allai jusqu'à le livrer (afin d'être bien certain d'en être débarrassé, les affaires sont les affaires...) dans la maison perdue au milieu des bois.

Chaque dimanche matin, lors du vide-grenier, il m'était narré les derniers lamentables épisodes de la saga du fauteuil. Je compris assez rapidement que le magicien l'avait doté à la fois d'un pouvoir malfaisant et d'une sorte d'association avec le milieu végétal. Pour le moment, je ne m'inquiète pas trop car la maison est inhabitée depuis de longues années. Mais viendra le jour où leur fils unique rentrera d'Asie et là... Je ne veux même pas y penser.

Chapitre 2

Je préfère me souvenir du dernier vide-grenier de la saison... ou plutôt, en l'occurrence, un vide-mots, spécialité rarissime n'existant que dans un triangle défini par trois villages du Sud-Ouest, Carambar, Monteton et Condom. En vacances dans la région, j'avais envie de traîner dans ce coin-là.

Comme d'habitude en début de matinée, je me livrais à mon occupation favorite, visiter la concurrence. Bien étalés sur l'herbe grassouillette, les voilà. Les mots dont personne ne voulait plus. Liquidés pour un euro symbolique, tracés sur leur carton aux couleurs surannées. Ce vide-mots m'attirait, et je lus, l'un après l'autre, les candidats au rachat.

« Paletot » : Tiens, ma grand-mère l'utilisait souvent ; il se tenait discret sur un carton rose décoloré. Non, pas envie de celui-ci.

« Omnibus » : omnibus, omnibus... étymologiquement simple mais pas très agréable sur son carton bleu-nuit. Omnibus de nuit ? Je poursuivis ma lecture.

« Rutilant » : Sur son carton doré, trop clinquant à vouloir attirer le chaland. Non, pas celui-ci non plus !

« Chaland » : justement, ce que je feignais d'être en cette jolie matinée. Je parierais que bien peu de mes compatriotes soient capables de définir ce chaland déposé sur son carton jaune vif... Fuite de la belle langue française ?

Et puis... le voici, le mot que je souhaitai emmener chez moi. Elégamment tracé en calligraphie latine sur un carton blanc, il me jeta un coup d'oeil malicieux, me susurrant à l'oreille : « Achète -moi ! Achète-moi ! ». Côtoyant un « ensorcelé » sur carton rouge, le voilà, « grimoire » !

Grimoire et moi, c'est pour la vie ; solidement tenu dans la main, je le ramenai chez moi. Et le déposai sur l'appui de la cheminée.

Une exception car en général mes acquisitions restent dans le garage, bien plus simple pour ensuite les vendre. Ou les brader quand les objets débordent.

Cette nuit-là, mes rêves me transportèrent dans un univers de brouillard âcre, ceignant une chaumière moyenâgeuse où poules et canards régnaient en maîtres. Je prélevais plumes et bave de crapaud pour élaborer une potion censée stopper du temps les terribles outrages.

Puis le matin. L'un de ceux dont je me souviendrai longtemps. A côté du carton « grimoire » , une petite coupelle emplie d'un liquide saumâtre. Que je renifle, méfiant. Odeur de chocolat chaud à la cannelle, typiquement le genre de fragrance à laquelle je ne peux résister longtemps. J'avale le contenu du récipient.

Direction la salle de bains. Regard machinal à mon reflet dans le miroir. On ne peut être et avoir été, évidemment. Quoique... en y regardant de plus près, je me trouve le teint rose et la peau lissée de frais. Moral ragaillardi par cette constatation, je passe une journée fort joyeuse... Eh oui, l'on peut être brocanteur et néanmoins coquet, foi d'Honoré !

Cette nuit-là, mes rêves, un peu épais, me parlent de jeunesse retrouvée, d'un corps redevenu alerte grâce à une pâte à la recette maison faite d'excréments de canard colvert et de feuilles de saule écrasées.

Petite appréhension en ouvrant un œil... Lequel aperçoit une nouvelle coupelle sur la cheminée, à côté de « grimoire » le carton. La curiosité est la plus forte. Une étrange bouillie noire trône dedans. Va falloir se l'appliquer sur le visage ? L'ingérer ? Dans le rêve, elle était répandue en tant que gommage corporel. Je hume. Puissant arôme de vanille. Irrésistible !

Mais tout de même, elle est noire. La couleur des gousses, mais tout de même... Haussant les épaules, je pars derechef l'étaler dans la salle de bains. Pause de quinze minutes puis rinçage. Heureusement que je vis seul !

Un effet visible ? Pas vraiment, par contre j'ai très envie d'aller faire un petit jogging autour de l'immeuble. Le temps d'enfiler la tenue ad'hoc, et je suis parti.

Deux heures de footing plus tard, je rentre à peine essoufflé. Et maintenant ? Un p'tit cours de boxe française ? Je me rends dans une salle voisine de chez moi, non sans avoir pris rendez-vous via leur site internet ; leur coach veut bien me dispenser les bases de la boxe. Nous nous échinons de concert durant deux heures. Je rentre légèrement fatigué, très affamé cependant.

Ce « grimoire » commence à m'être bien sympathique, qui dynamise ma vie de nouveau jeune…

Est-ce l'effet du sport ? Cette nuit-là, pas de rêve ensorcelé. Juste un sommeil de plomb. Suivi d'un réveil de pierre. Pas la pêche, là. Et pourtant, une coupelle m'attend sur la cheminée. Emplie d'un liquide bleu lagon au parfum d'agrumes. Un jus d'orange matinal, voilà qui pourrait me faire du bien...

J'hésite. Aucune idée de l'effet possible de cette potion-cadeau. Que me réserve mon nouvel ami « grimoire » ?

Prudent, j'attends quelques heures. Le liquide bleu s'orne peu à peu d'une rondelle de citron, d'un petit palmier brillant et même d'un glaçon. Déguisé en cocktail des îles façon mojito.

Comme par un fait exprès, la température extérieure, en ce milieu de journée, a augmenté... Je l'avale rapidement, presque sans y penser.

Tout à coup mes ongles s'écartent de mes doigts, pour choir l'un après l'autre. Mes cheveux tombent un peu, puis par poignées. Cils et sourcils disparaissent aussi.

Je me sens épuisé, probablement envoûté par un grimoire calligraphié.

Ensorcelé... Ce mot côtoyait de près le « grimoire ». Ai-je eu raison de les séparer ? Ou fais-je l'objet d'une basse vengeance linguistique ?

Incapable de raisonner davantage. Cependant les jours suivants, « grimoire » me sert des breuvages colorés, chatoyants et odorants, coupelles alignées sur la cheminée. Que je refuse désormais de boire, plutôt à l'affût d'une repousse éventuelle des mes ongles et système pileux au grand complet. Si seulement… si seulement j'avais été moins confiant ! Cette seconde jeunesse ne pouvait pas durer.

Je décide, un beau jour de trop de coupelles, de me débarrasser de « grimoire ». Comment procéder ? Pas de vide-mots ni de vide-greniers à l'horizon. La poubelle ?

Je vais être radical. L'allumette lance sa flamme sur le carton déposé dans mon évier. Une combustion lente, comme si « grimoire » ne voulait pas s'en aller. Mais le petit tas de cendres finit tout de même par disparaître dans l'évacuation de l'évier. Soulagement.

Reste à espérer le retour de mes ongles et cheveux.

Qui ont fini par repousser, heureusement pour mes clients qui pendant quelques semaines, posaient sur moi un œil à la fois inquiet et dégoûté. Pas aisé de vendre quand le vendeur est lui-même devenu une brocante.

Chapitre 3

Demain, je vais visiter un hôtel-restaurant en liquidation judiciaire, du côté de Brunoy ; certains objets ont été proposés à la vente, vieilles soupières, assiettes de porcelaine peintes à la main. Je doute que ce soit très intéressant, mais je me couche avec cette pensée. Je me sens parfois comme un vautour des temps modernes, capable de faire de l'argent avec des objets au rebut.

L'endormissement difficile est souvent l'occasion de repenser à ses actes, flash-back sur sa vie. Ce soir-là, assez mal à l'aise ; des visages reviennent dans ma mémoire, comme ce vieux dans une situation financière catastrophique, qui vida toute sa maison peu à peu, afin de dégager des liquidités.

Son expression se crispait d'une angoisse intense, au fur et à mesure de la disparition de ses meubles et bibelots.

Se libéra avec le vide retrouvé chez lui.

Le regard redevint lumineux, sa gestuelle s'apaisa. Je l'observais avec étonnement.

Je pense souvent à lui... Les objets envahisseurs, qui empêcheraient d'être soi ?

Pourtant notre société du recyclage tous azimuts y encourage. Très fun de récupérer un objet afin de lui donner une seconde vie. Mes clients adorent acheter puis repeindre, customiser. Une manière de s'approprier leur meuble, leur objet déco. Et on est dans la mouvance. Justement, à propos de récup !...

Une cliente m'a narré cette anecdote étonnante, survenu l'été 2006 :

« Epaisse fumée, cet après-midi-là, au-dessus des têtes fréjusiennes. Nuage sombre, à l'odeur âcre de bois brûlé. Son rauque des premiers Canadair, en vols concentriques au-dessus de l'agglomération. Il faut rentrer rapidement chez soi, inquiétude vague, d'où vient cet énième incendie estival ? Une colonne de fumée vers l'Ouest, vers Puget sur Argens. Où tant de résidences secondaires et de campings se remplissent en été… Mais il faut aussi affronter la colonne de voitures, embouteillage interminable de campeurs rentrant vers leur tente. Le véhicule des gardes forestiers et celui des pompiers sillonnent les rues, enjoignant par haut-parleurs d'évacuer la zone devenue risquée. La majorité des voisins Pugétois résiste, préfère arroser ses murs que de fuir devant l'ennemi de feu. S'ensuit de longues heures d'angoisse, les Canadair tout proches, de plus en plus nombreux à tournoyer au-dessus de nous. Rapaces métalliques à l'affût d'une proie à arroser. La fumée approche perfidement, piquant les yeux, déposant son odeur de bois brûlé dans le jardin. Puis la nuit tombe, chacun va se coucher, dormir d'un sommeil léger, espérant ne pas devoir évacuer nuitamment.

Au central téléphonique des pompiers, l'adjudant-chef se gratte la tête. Trois départs de feu quasi-simultanément, ce n'est pas ordinaire... L'un sur les collines des Issambres, un autre au Capitou, le troisième entre la Motte et Puget. Trois zones boisées et habitées. Un jour de mistral, de surcroît. L'œuvre d'un pyromane ? Devant la carte truffée de punaises de couleur, il réfléchit, soucieux. Les nouvelles arrivent par vagues successives ; les Canadair font le choix de protéger en priorité les Issambres, puis délestent quelques appareils sur la Motte. Tant pis pour le Capitou, zone plus industrielle qu'habitée. Le feu progresse, encouragé par un mistral au meilleur de sa forme. Le lendemain matin, les collègues de Roquebrune envoyés sur place découvrent, entre les braises encore tièdes, quelques mégots, un morceau de boîte d'allumettes. Le kit idéal de l'incendiaire décidé. Un feu à l'origine intentionnelle, pas un accident. Proche de ces détritus, des traces de pneus ; les enquêteurs s'en réjouiraient presque. Ces indices vont-ils les amener à une piste ?

Le spécialiste des empreintes arrive avec son appareil-photo. Puis confie les tirages papier à son collègue chargé de les interpréter. Chacun son job. Une semaine passe. L'adjudant – et la presse locale – attendent les résultats. Trop longs à venir, puis un coup de téléphone à l'inspecteur débloque la réponse. Urgence ! Le feu est éteint sur la garrigue, mais pas encore dans nos têtes. Qui a bien pu allumer tous ces feux ? Car d'autres traces de pneus sont repérées également, à proximité du Capitou. Et des mégots. Des pneus larges, aux dessins caractéristiques de... tous les véhicules de service de la caserne des pompiers. Apparemment l'un des plus grands. Stupéfaction, à la caserne. Mais les stries des pneus ne laissent aucun doute. La presse ayant eu vent de l'information, la place à la une ; les médias s'en emparent, au journal du soir.

Petite ambiance de méfiance dans la caserne, où chacun se surprend à voir en son collègue un candidat potentiel pour le rôle d'incendiaire récidiviste...

Une équipe d'inspecteurs de police spécialement chargée d'enquêter, démarre une série d'interrogatoires auprès de chaque pompier. Pyromane, et soldat du feu ?

Alibi de ce dimanche-là, fumeur ou non-fumeur ? Profil psychologique, situation familiale, les vidéos des interrogatoires sont visionnées plusieurs fois afin de détecter le petit geste,

l'intonation, le regard qui trahirait l'incendiaire en uniforme. Pris en étau par la presse, les médias, et les édiles locaux, les gendarmes multiplient les heures supplémentaires. Impossible de ne pas coffrer le responsable de tant de dégâts, tant de malheurs associés à ces gigantesques incendies. Il faut un coupable ! Les campeurs ayant tout perdu, repartis vers le Nord, l'âme en peine. Le viticulteur dont la source de revenu carbonisée, devenue inutile, n'intéresse pas les assureurs débordés de demandes d'indemnisations.

A force d'éliminer les cas trop limpides, seuls restent en lice cinq jeunes pompiers.

Les inspecteurs se rendent aux domiciles respectifs de chacun des suspects. Les quatre premières visites n'apportent aucun élément déterminant.

Lors de la cinquième visite, un appartement de « nouveau célibataire ». Des photos d'enfants, une photo de mariage déchirée, puis scotchée, trônent dans le salon. Sur la table basse, quelques canettes de bière vide, un cendrier plein. Les deux inspecteurs échangent un coup d'oeil rapide et discret.

L'homme arrive, les faits asseoir, leur propose une bière. Et décapsule une canette. Décidant de mettre en confiance leur interlocuteur, les inspecteurs démarrent sur des banalités d'usage, les touristes, la chaleur, la Côte d'Azur ; à la seconde canette, le pompier se détend, étire les jambes, faisant choir une photo. En la ramassant, il évoque son divorce récent, sa femme partie à l'autre bout de l'hexagone, leurs enfants avec elle.