Calvin, cinq discours pour le tricentenaire de sa mort - Hugues Oltramare - E-Book

Calvin, cinq discours pour le tricentenaire de sa mort E-Book

Hugues Oltramare

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Beschreibung

Loin du panégyrique, ces discours prononcés par les meilleurs prédicateurs suisses à l'occasion du tricentenaire de la mort de Calvin, offrent chacun une évaluation originale de la personne et de l'oeuvre du réformateur. En nous laissant entrevoir son âme brûlante, sa soif de vérité, ses luttes, ses sacrifices, ses souffrances, sa fidélité, ils suscitent l'envie de se plonger plus avant dans la biographie et les écrits, d'une figure emblématique du protestantisme, qui reste souvent méconnue. Cette numérisation ThéoTeX reproduit l'édition de 1864.

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Seitenzahl: 180

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322485451

Auteur Hugues Oltramare. Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.

ThéoTEX

site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]
C A L V I N
cinq discours
prêchés à Genève pour le tricentenaire de sa mort
Oltramare, Coulin, Tournier, Bungener, Gaberel
1864
♦ ♦ ♦Thé[email protected] – 2014 –
Table des matières
Un clic sur ◊ ramène à cette page.
Note de présentation
Sermon de M. Oltramare
Sermon de M. Coulin
Sermon de M. Tournier
Sermon de M. Bungener
Sermon de M. Gaberel
◊  Note de présentation

Le Dimanche 22 Mai, le Mandement suivant fut lu, de la part du Consistoire, dans tous les temples de la ville et de la campagne :

Très chers frères en Jésus-Christ,

Dimanche prochain 29 Mai, dans tous les temples de la ville et de la campagne, auront lieu des prédications spéciales à l'occasion du troisième anniversaire séculaire de la mort de Calvin. Le Consistoire vous invite à vous y rendre avec empressement, et à vous associer ainsi à une solennité que la plupart des Eglises de la Réforme ont résolu de célébrer.

Est-il besoin de vous le rappeler ? Il ne s'agit nullement ici d'exalter un homme. — C'est une des gloires les plus pures de notre bienheureuse Réformation, d'avoir hautement proclamé avec l'Ecriture qu'il n'y a qu'un seul bon, qu'un seul saint, qu'un seul puissant, de qui seul procède toute grâce, et à qui seul appartient tout honneur en Jésus-Christ.

Mais l'apôtre nous dit : Souvenez-vous de vos conducteurs qui vous ont enseigné la Parole de Dieu, et imitez leur foi. — C'est dans l'esprit de cette parole que l'Eglise de Genève a voulu rappeler la mémoire de celui qu'elle considère comme un des principaux instruments dont le Père des miséricordes s'est servi pour la fonder. Nous tournerons donc en cette occasion solennelle nos regards vers le passé, mais uniquement dans l'intérêt de l'avenir, et pour apprendre, en imitant la foi de nos ancêtres, à faire notre œuvre aujourd'hui comme ils ont fait la leur en leur temps.

Ces lignes sont la meilleure préface que nous puissions mettre aux sermons contenus dans ce volume, et dont la publication nous a été unanimement demandée. Nous avons été fidèles à ce programme, tracé par le Consistoire, et d'ailleurs tellement conforme soit à l'esprit de notre Eglise, soit à nos propres vues, que nous n'avons eu nul effort à faire pour nous y renfermer.

Aucun de nous ne saurait avoir individuellement la prétention d'avoir été, en cette circonstance, l'organe de l'Eglise de Genève ; mais il nous paraît que ce volume, dans son ensemble, pourra être présenté, en toute confiance, aux amis et aux adversaires de la fête que nous venons de célébrer.

Mais ce n'est point aux adversaires que nous avons surtout songé. Notre premier, notre grand but a été l'édification de notre Eglise. C'est à elle que nous offrons ce volume comme souvenir d'une grande et belle journée, comme résumé d'impressions qui peuvent être fécondes en fruits de vie, et que nous prions le Seigneur d'accompagner de sa bénédiction.

Genève, le 1er Juillet 1864.
◊  Sermon de M. Oltramarea
Pour moi, mes Frères,… je fais une chose : je laisse ce qui est derrière moi, et, me portant vers ce qui est devant moi, je cours vers le but…
Philippiens. 3.13.

Mes bien-aimés Frères en Jésus-Christ notre Seigneur !

Un souvenir nous rassemble aujourd'hui dans tes temples en nombre inaccoutumé : c'est le souvenir d'un homme dont le nom, jadis béni des uns, maudit des autres, a encore, après trois siècles, le privilège de remuer singulièrement les âmes et de passionner les hommes, tant est profond le sillon qu'il a creusé dans le champ de la religion et de l'histoire. Les Eglises d'Angleterre, d'Ecosse, de Hollande, de France et de la Suisse française, qui, toutes, sont plus ou moins redevables à Calvin, n'ont pas voulu laisser passer l'anniversaire triséculaire de sa mort, sans répandre quelques fleurs sur sa tombe et quelques paroles de bénédiction sur sa mémoire. Genève, qu'il a illustrée, eût été ingrate envers ce grand Réformateur, si elle n'eût pas élevé la voix pour se joindre à ce réveil des souvenirs. Un grand écrivain nous le rappellerait au besoin : « Quelque révolution, a dit Rousseau, que le temps puisse amener dans le culte, tant que l'amour de la patrie et de la liberté ne sera pas éteint à Genève, jamais la mémoire de ce grand homme ne cessera d'y être en bénédictionb. » — Dieu en soit loué : l'amour de la patrie et de la liberté n'y est point éteint !

Calvin était français, né à Noyon en Picardie, le 10 Juillet 1509.

Ce ne fut point de son propre mouvement qu'il choisit notre pays pour sa patrie ; notre cité le retint et l'adopta. Quand il passa pour la première fois dans notre ville, en Juillet 1536, il fallut toute l'éloquence, que dis-je ? les menaces de Farel pour l'arrêter, et deux ans ne s'étaient pas écoulés (Avril 1538), qu'à la suite de violents débats, il sortait chassé de nos murs, en laissant pour toute plainte cette noble parole : « Si j'eusse servi les hommes, je serais mal récompensé ; mais j'ai servi Celui qui, au lieu de mal récompenser ses serviteurs, leur paie ce qu'il ne doit point. » Plus tard, Strasbourg qui l'appréciait et en était fière, ne consentit pas à le donner ; elle nous le prêta. Quant à Calvin, ce ne fut qu'à la suite de sollicitations pressantes et réitérées, avec un secret frémissement et par devoir, qu'il rentra à Genève, et vint (en Septembre 1541) y reprendre sa place et son œuvre. Il ne les quitta qu'à l'heure où il fut rappelé de Dieu.

Son retour avait été une joie ; son départ fut un deuil public.

On était alors en l'an 1564. Le Réformateur, usé par les luttes, exténué par les veilles et un travail incessant, dévoré par la maladie, sentit qu'il s'affaiblissait chaque jour, et que la volonté de Dieu de le retirer de ce monde devenait de plus en plus manifeste. Il résolut de faire ses adieux aux magistrats de cette ville, sur laquelle il avait veillé pendant vingt-trois ans et qu'il allait laisser à ses destinées. Le jeudi, 27 Avril, les quatre Syndics et tous les Seigneurs du Petit Conseil se rendirent, selon leur ordre accoutumé, de l'Hôtel-de-Ville à la rue des Chanoines où logeait Calvin, pour recueillir ses derniers avis et sa bénédiction. Après les salutations d'usage, le malade s'excusa avec émotion d'avoir fait si peu pour cette ville, auprès de ce qu'il aurait dû, les remerciant de l'avoir supporté dans ses moments de véhémence auxquels il se déplaisait et dont il avait demandé pardon à Dieu. Faisant alors un retour sur le passé, il leur rappela de point en point les singulières grâces qu'ils avaient reçues de Dieu ainsi que les grands et extrêmes dangers dont Il les avait préservés… les assurant contre les tempêtes prochaines pourvu qu'ils suivissent un même train de bien en mieux… C'est Dieu, leur dit-il, qui maintient les Etats… et il veut qu'on lui rende hommage en reconnaissant qu'on dépend entièrement de lui. Il déclare qu'il honorera ceux qui l'honoreront, et, au contraire, qu'il mettra en opprobre ceux qui le mépriseront… » Enfin, après les avoir de nouveau priés d'excuser ses infirmités personnelles, il termina par ces mots : Je prie ce bon Dieu qu'il vous conduise et gouverne toujours, qu'il augmente ses grâces sur vous et les fasse valoir à votre salut et à celui de ce pauvre peuple

Tous les Seigneurs du Conseil avaient les larmes aux yeux. Ils contemplaient avec respect cette figure sévère, mais illuminée déjà des clartés de la mort et de l'éternité. Ils se retirèrent le cœur navré.

Quelques jours après, le 27 Mai, au coucher du soleil, le grand homme s'endormit paisiblement du sommeil de la mort, et, le Dimanche, à deux heures, le peuple entier, saisi d'une douleur profonde et tout en larmes, accompagnait au cimetière le cercueil de l'homme de Dieu. D'après son ordre, aucun monument ne devait marquer le lieu de sa sépulture, et l'on ignore la place où repose sa dépouille mortelle.

Pourquoi ces pleurs ? Pourquoi ce deuil ? Pourquoi cette morne tristesse dans toute cette cité ? — C'est que l'homme fort de Genève n'est plus, et tous sentent qu'il laisse un vide immense ; irréparable.

Par un contraste des plus frappants, tout était activité, énergie et force, dans cet homme à la face pâle, à l'apparence délicate et chétive. De nature sérieuse et réfléchie, mais sauvage, âpre et violente, Calvin posséda une volonté de fer dans un corps débile. Esprit intelligent, profond et logique, il était trempé pour la lutte, et il y fut préparé de bonne heure par une vie de privations, d'abstinence et d'austérité, ainsi que par des années d'étude, de travail opiniâtre, où il acquit une vaste érudition et une science solide. Converti aux idées évangéliques par la lecture de la Bible, il fut tellement saisi de la vérité du salut qu'elle annonce, qu'il ne songea plus qu'à s'en pénétrer profondément, à s'en rendre un compte exact, net et précis, et à consacrer son activité, ses études et sa vie, à propager la connaissance de Celui qui l'avait appelé à sa merveilleuse lumière. Il devint le plus grand théologien de son siècle. Malheureusement, on retrouve dans sa théologie le caractère trop exclusivement logique de l'homme. « Le fond de ce grand et puissant théologien était d'être un légiste. Il l'était de culture, d'esprit, de caractère. Il en avait les deux tendances : l'appel au juste, au vrai, un âpre besoin de justice ; mais d'autre part aussi l'esprit dur, absolu, des tribunaux d'alors, et il le porta dans sa théologiec. » Son Dieu est le Dieu de la justice, bien plus que de la grâce ; il ne semble connaître que le droit et ignorer les tendresses de l'amour divin pour sa créature ; tout au moins, par un arbitraire effrayant, il les tient en réserve pour ses seuls élus !

Amoureux de vérité plus que d'idéal, Calvin chercha le vrai et lui dévoua sa vie avec une abnégation et un désintéressement exemplaires. « Ce qui a fait la force de cet hérétique, disait Pie IV, c'est que l'argent n'a jamais été rien pour lui. » Il fut l'homme de la loi et du devoir, plus que de la grâce. Né timide, « très timide même », son premier mouvement le portait en arrière ; mais, dès que le devoir avait parlé à sa conscience ou qu'il croyait l'Evangile engagé, rien ne l'arrêtait, sa volonté était inflexible ; comme le soldat sur la brèche, on pouvait le tuer, il ne reculait pas. Sa parole était claire, nette, brève, parfois âpre et incisive, mais toujours vraie. « Certes cet homme n'a jamais menti, » a dit un critique moderne qui ne l'aime pasd. Son regard décelait l'énergie de l'idée, le feu de la pensée, mais non la douceur de l'affection ou la mansuétude du sentiment. Sa vue imposait par l'expression de l'austérité de la vie, de la sévérité du devoir, de la puissance de l'intelligence ; il lui manqua toujours cet attrait sympathique que le cœur répand sur la physionomie pour tempérer l'expression sévère de la vertu. Il fut un profond théologien et un grand caractère. Tel est l'homme. Voyons l'œuvre.

Que lui devait-elle, cette cité qui le pleurait ? Lui devait-elle son indépendance et sa liberté ? — Non. Lorsque les princes-évêques qui, dans notre ville, réunissaient dans leurs mains les deux pouvoirs, le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, se furent faits les persécuteurs et les bourreaux du peuple qu'ils avaient mission de protéger et de conduire ; lorsque, traîtres aux serments les plus sacrés, ils n'eurent plus qu'une pensée : fouler aux pieds les franchises et les immunités des citoyens, de nobles cœurs protestèrent, et, bravant les persécutions, l'exil et les échafauds, les Huguenots, de glorieuse mémoire, sauvèrent notre indépendance et notre liberté. Honneur et vénération aux Philibert, Berthelier, aux Lévrier, ces martyrs de la liberté genevoise !

Genève lui doit-elle l'Evangile et sa Réformation ? — Non, pas complètement. Froment, Farel et Viret furent nos premiers apôtres. C'est à leur piété et à leur courage que nos pères durent leur affranchissement de ces prêtres dissoluse, et de ces superstitions dégradantes, qui souillaient notre pays et avilissaient les âmes sous le joug romain. Bénédiction et grâces leur en soient rendues ! Quand Calvin mit pour la première fois le pied sur la terre genevoise, la Réforme avait triomphé ; la double tyrannie épiscopale avait été renversée, et les voûtes mêmes de ce temple avaient entendu les serments de fidélité de nos pères à Dieu et à sa Parole.

Qu'a donc fait Calvin ? — Ce qu'il a fait ? De sa main puissante, il a consolidé la Réforme en l'organisant ; il a gardé, maintenu, ces deux trésors si chèrement conquis : l'indépendance et la foi ; il les a sauvés du naufrage où les auraient infailliblement précipités l'anarchie et l'immoralité du dedans, les ambitions et les attaques du dehors. Sur ce sol, où l'indépendance et la Réforme avaient planté leur drapeau, mais qui n'était encore jonché que de ruines et de débris, comme Esdras et Néhémie, il a élevé les remparts et le Temple, et leur a donné, pour les défendre, un peuple dont la foi et le dévouement, furent à l'épreuve de tous les sacrifices et de toutes les morts. Comprenant que l'indépendance sans moralité et sans règle ne sert pas la liberté, mais la compromet ; qu'une réforme religieuse qui se borne à retrancher des abus et des superstitions, à renverser des autels ou des images, et à chasser des prêtres, ne saurait être une réforme durable ; qu'il faut à une ville libre des citoyens vertueux, et à une cité religieuse des hommes de foi, il entreprit l'œuvre magnifique mais ardue, redoutable et périlleuse, de les former et de les lui donner, et il les lui donna.

Laissant à l'Etat le domaine civil et politique, il s'efforça d'assurer deux points : la pureté de la doctrine et la moralité de la vie. Dans ce but, il organisa le religieux sur le modèle du civil. De la même manière que les Conseils font les lois et veillent à leur exécution, il établit la Compagnie des Pasteurs, pour élaborer la doctrine religieuse et veiller à sa pureté, puis le Consistoire, qui eut pour mandat de réglementer les mœurs, la tenue morale des individus et des familles. La doctrine religieuse, qu'on appelait alors le pur Evangile, se trouvait contenue tout au long dans une suite d'articles théologiques qui formulaient non seulement les principes de la Réforme, mais tout ce qu'il fallait croire pour être véritablement chrétien et sauvé ; ce formulaire s'appelait la Confession de foi. D'autre part, la réglementation des mœurs était exposée dans une sorte de Code moral, qu'on appelait les Ordonnances ecclésiastiques. C'était un Recueil de lois qui réglaient, d'une façon assez sévère, la conduite de chaque citoyen, non seulement dans ses traits principaux, mais jusque dans des détails intimes : vêtements, repas, chants, etc. On voulait que rien ne se commît, soit en public, soit en particulier, qui pût déshonorer l'Eglise et le beau nom de chrétien-réformé. Innovation profonde, chose inouïe à Genève, et dont le peuple, vu son état moral, avait grandement besoinf. La Confession de foi d'un côté, et les Ordonnances ecclésiastiques de l'autre, devaient être soumises à la sanction définitive du peuple pour avoir force de loi ; mais, une fois votées et acceptées par la majorité de la nation, elles devaient être exécutées tout aussi bien qu'une loi quelconque de l'Etat, et la peine était suspendue sur la tête des transgresseurs.

Enfin, dans la pleine conviction où était Calvin de n'enseigner que la vérité et de ne rechercher que la sainteté, il sentit qu'il fallait donner à ce peuple une instruction solide, des magistrats et des pasteurs savants. Il a horreur de l'ignorance, et la considère avec raison comme le fléau d'une nation et surtout d'une nation libre et évangélique. Ce que De Versonnay avait souhaité, ce que Farel a tenté, Calvin le réalise en l'étendant : il relève le Collège et fonde l'Académie. Et c'est, permettez-nous de le dire, à nous enfant du peuple, qui avons été élevé à l'ombre de ces antiques ormeaux, dans cette cour du Collège toute pleine encore des souvenirs de son fondateur, c'est un des plus beaux fleurons de sa couronne ; le temps n'en ternira jamais l'éclat.

Une logique parfaitement conséquente dicte toute cette organisation, et la pensée de Calvin s'en dégage avec clarté : Genève doit être une République chrétienne — et, sous l'impulsion de ce grand homme, elle le devint. Genève fut une cité religieuse et sainte, un asile, un refuge, une citadelle de la foi dont Calvin fut le héros. C'est notre immortelle gloire, — et les larmes que la nation répandit sur la tombe du Réformateur, étaient l'expression de son deuil, le juste et touchant tribut de sa reconnaissance et de ses regrets.

Tant de grandeur ne va point sans faiblesse. La vie et les pensées de l'homme sont toujours un mélange de lumière et d'obscurité. L'humanité n'a vu qu'une seule fois la Vérité et la Sainteté parfaite habiter sur la terre, et, à quelque hauteur que l'homme s'élève, il lui est bien difficile de se préserver des erreurs et des chutes. Calvin n'en fut point à l'abri. Plusieurs de ses institutions devaient passer, parce qu'elles reposaient sur des principes inconciliables avec le principe fondamental de la Réforme qu'elles voulaient sauvegarder, et elles ne purent fonctionner qu'au prix de luttes intestines où le Réformateur n'eut pas toujours le beau rôle. Malgré sa haute intelligence, Calvin n'eut pas assez de génie pour dégager les principes évangéliques des faux points de vue de son temps, et il apporta souvent, dans l'application de ses principes, une autocratie et une impitoyable rigueur que l'Evangile repousse et condamne. Il eut trop les défauts de ses qualités : la puissance logique de son esprit arrêta les impulsions de son cœur, et l'incarnation qu'il fit en lui de la Réforme y paralysa les saintes concessions de la charité.

Cela est frappant quand on considère son œuvre au point de vue des rapports de l'Eglise et de l'Etat.

On ne peut nier que l'idéal d'une cité chrétienne ne soit un magnifique idéal, et certainement celui qu'un législateur chrétien doit se proposer. La grande difficulté, le trait de génie, c'est d'imaginer une organisation qui conduise l'homme à cet idéal, tout en respectant les droits imprescriptibles de la conscience et de la liberté, car c'est de la persuasion que doit découler la foi, comme la moralité doit jaillir d'une conscience libre. Ce trait de génie, Calvin ne l'eut pas. Il ne conçut la cité chrétienne que comme une théocratie. C'était la pensée de son temps ; ce fut son erreur, erreur d'autant plus redoutable, qu'avec son esprit logique et une volonté tenace comme la sienne, il poursuivit la réalisation de cet idéal jusque dans les détails de la vie intime. A ses yeux, le pouvoir civil et le pouvoir ecclésiastique se doivent un mutuel appui, et l'Etat doit prendre en main la cause de la religion et des mœurs, qui est celle de Dieu même. L'homme qui professe des opinions religieuses opposées à la Confession de foi, type de la vérité religieuse, et celui qui viole les ordonnances ecclésiastiques, expression de la vie chrétienne, est tenu pour ennemi de la foi et de la morale. Il tombe nécessairement sous le coup de la loi. Toute hérésie est un crime, toute immoralité un délit. Il n'y a plus ni liberté de pensée, ni liberté d'action. L'Etat se fait le vengeur de Dieu ; il est fatalement entraîné à devenir persécuteur. Chose étrange ! Calvin s'engagea résolument dans cette voie frayée par Rome, et toute rougie du sang des martyrs réformés ! Le tort de Rome, à ses yeux, était de faire la guerre à l'Evangile en persécutant les Réformés ; il était convaincu, lui, que, pour sa part, il ne poursuivait que les ennemis de la Parole de Dieu. De là ces disputes incessantes que soutint le Réformateur contre tout ce qui ne pensait pas comme lui ; ces luttes, pour ainsi dire corps à corps, sur le terrain du dogme, au bout desquelles se trouvaient si souvent les inimitiés irréconciliables, les rétractations publiques, l'amende honorable, la prison, l'exil et même (j'ai honte de le rappeler) l'échafaud ! De là ce nom de Servet devenu fameux par son malheur. De là cette guerre acharnée faite au parti libéral genevois des libertins, qui comptait dans ses rangs les noms d'hommes honorables, qui s'étaient dévoués pour la Réforme, et où se joua le drame sanglant de la liberté de conscience comprimée par celui-là même qui avait joué sa vie pour professer l'Evangile en toute liberté. Quel aveuglement ! Pourtant, tout en reconnaissant le mal, soyons justes dans nos jugements, et sachons apporter dans nos appréciations les tempéraments que l'esprit du siècle réclame, en faisant la part des temps. N'oublions pas que, si la Réformation a donné à l'Europe la liberté de conscience, cette mère de toutes les libertés, elle ne s'est pas faite au nom de la liberté, mais au nom de la foi et du salut des âmes. Elle ne comprit pas dès l'abord le principe de liberté fécond, immense, qu'elle portait dans son sein, mais qu'elle n'avait pas moins saisi et proclamé à la face du monde, le jour où, devant l'autorité civile menaçante, elle avait dressé fièrement la tête, et que, répondant à ses sommations par ce cri de la conscience : « Nous ne pouvons ! » elle l'avait défiée jusque sur ses bûchers. Les Réformateurs pensaient n'installer dans le monde que la Bible et la foi ; ils ne songeaient guère à la liberté, et Calvin moins que tout autre. Ce point de vue explique bien des erreurs, et, s'il ne suffit pas à justifier les torts, du moins il les atténue.