Canada - Jean-Michel Demetz - E-Book

Canada E-Book

Jean-Michel Demetz

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Beschreibung

Le Canada est une odyssée continentale. Ce territoire majestueux, marqué par des climats extrêmes, relie bien plus que l’Atlantique au Pacifique. Il y a, oui, une utopie canadienne figée dans son immense géographie. Un ciment national que la modernité met à rude épreuve. L’utopie d’un peuple jadis déchiré par ses querelles linguistiques, mais aujourd’hui bousculé par l’émergence de ses nombreuses identités.
Le Canada est un livre dont les chapitres s’écrivent loin des clichés. Jean-Michel Demetz nous invite dans ces pages à comprendre le Canada tel qu’il est. Sans fard. Parce que l’âme canadienne est à l’unisson de la nature de ce pays-continent : à la fois si tranquille et si tourmentée. Un grand récit suivi d’entretiens avec Yvan Lamonde, Serge Joyal et Joan Vogelesang.

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Couverture

Page de titre

L’ÂME DES PEUPLES

Une collection dirigée par Richard Werly

Signés par des journalistes ou écrivains de renom, fins connaisseurs des pays, métropoles et régions sur lesquels ils ont choisi d’écrire, les livres de la collection L’âme des peuples ouvrent grandes les portes de l’histoire, des cultures, des religions et des réalités socio-économiques que les guides touristiques ne font qu’entrouvrir.

Ponctués d’entretiens avec de grands intellectuels rencontrés sur place, ces riches récits de voyage se veulent le compagnon idéal du lecteur désireux de dépasser les clichés et de se faire une idée juste des destinations visitées. Une rencontre littéraire intime, enrichissante et remplie d’informations inédites.

Précédemment basé à Bruxelles, Genève, Tokyo et Bangkok, Richard Werly est le correspondant permanent à Paris et Bruxelles du quotidien suisse Le Temps.

Retrouvez et suivez L’âme des peuples sur

www.editionsnevicata.be

 (@amedespeuples)

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 (amedespeuples)

Carte

AVANT-PROPOS Pourquoi le Canada ?

The world needs more Canada, « le monde a besoin de plus de Canada ». En découvrant ce slogan affiché dans la devanture d’une chaîne de librairies dans le downtown de Vancouver, en 2017, alors que je tentais de me protéger d’une nouvelle averse venue du Pacifique, quelle ne fut pas ma surprise ! Quoi, ce pays que je croyais un peu connaître, réputé pour la modestie, voire la discrétion de ses habitants, était saisi d’un désir de reconnaissance nouvelle ? Tout d’un coup, la vieille blague (« Comment reconnaître un Canadien dans une salle bondée ? C’est celui qui s’excuse quand vous lui marchez sur les pieds »), tant de fois ressassée, allait devenir dépassée ? Fallait-il mettre sur le compte des festivités du 150e anniversaire de la fédération cette poussée d’amour-propre si peu canadienne ? Ou devait-on lire dans cette exaltation patriotique un signe d’une normalisation en cours d’une société pour qui, longtemps, vivre heureux signifiait vivre caché et où le bonheur privé primait tout projet national ?

Ma perplexité était d’autant plus vive que je gardais à l’esprit la déclaration incroyable du Premier ministre Justin Trudeau au New York Times Magazine, en décembre 2015, un mois à peine après son élection : « Le Canada est le premier État post-national. » Partout ailleurs, des paroles semblables auraient provoqué une déflagration politique. Aucun homme d’État n’aurait osé utiliser de tels mots à propos du pays dont il a la charge, sauf à se suicider politiquement. Au Canada, la déclaration n’a suscité que de faibles remous. Trudeau (reconduit pour un troisième mandat à l’automne 2021) justifiait ainsi sa formule : « Il n’y a pas d’identité fondamentale, pas de courant dominant, au Canada. Il y a des valeurs partagées – ouverture, compassion, la volonté de travailler fort, d’être là l’un pour l’autre, de chercher l’égalité et la justice. Ces qualités sont ce qui fait de nous le premier État post-national. »

Ce débat sur les contours d’une personnalité politique collective a priori insaisissable n’est pas nouveau. Cinquante ans plus tôt, déjà, un autre Canadien, le sociologue Marshall McLuhan1, avait écrit : « Le Canada est le seul pays au monde qui sait comment vivre sans une identité. » Plus récemment, le romancier Yann Martel2 décrivait son pays comme « le meilleur hôtel du monde pour les écrivains ». Sous sa plume, la comparaison se veut un compliment. Mais un pays peut-il être ravalé à n’être qu’un hôtel ?

Interroger l’expérience canadienne revient à poser quelques questions sur l’avenir d’un monde gagné par une globalisation croissante. Aucun autre pays occidental n’accueille volontairement et régulièrement autant d’immigrants chaque année en proportion de sa population. Comment gérer cette diversité identitaire de cultures et de religions au quotidien sans heurts pour la paix civile et pour la concorde ? La réponse canadienne intéresse un continent européen sous la pression démographique du Sud et incertain sur son avenir.

Le Canada est un nain politique, économique et militaire à côté de son gigantesque voisin, les États-Unis, dont les choix rejaillissent, à plus ou moins long terme, sur les modes de vie à travers toute la planète. « Pas facile pour une souris de dormir dans le lit d’un éléphant » avait un jour épilogué Pierre-Elliott Trudeau, le père de l’actuel chef de gouvernement. Comment éviter l’écrasement par l’hyperpuissance ? Là aussi, il y a une pratique canadienne qui est observée au-delà des frontières. Terre de grands espaces encore largement inviolée, ce pays n’en est pas moins particulièrement exposé aux défis du changement climatique. Son adaptation aux profondes mutations en cours a aussi valeur de test universel. Enfin, l’épineuse question du statut et du sort des Premières nations, longtemps un impensé de la culture politique démocratique canadienne, s’il trouve un jour un règlement acceptable, ne manquera pas non plus d’intéresser d’autres pays.

Le Canada est un pays que l’on croit facilement connaître, réductible à quelques clichés faciles (le sirop d’érable, le hockey sur glace, Céline Dion…), et que Français et Belges, en particulier, ont tendance à ramener naturellement au Québec francophone, si attaché à la survie de son particularisme. Mais les surprises ne manquent pas pour peu que l’on creuse un peu sous la glace. Sait-on que le français est aussi une langue officielle de la province du Nouveau-Brunswick ? Sait-on aussi que trois des dix plus grandes îles du monde (l’île de Baffin, l’île Victoria, l’île d’Ellesmere) se trouvent dans ce pays si formidablement continental ? Sait-on que l’hiver sur l’île de Vancouver (où ne se trouve pas la ville du même nom) est plus doux, en moyenne, avec des températures positives, qu’à Strasbourg, capitale européenne ?

Mal connue, cette terre excite toutefois les imaginations. Dans tous les sondages, le Canada est le pays qui arrive en tête des destinations étrangères où les Français aimeraient vivre et une destination de tourisme privilégiée des Européens. Classé au premier rang pour la qualité de vie par le US News and World Report, ce pays reste une terre d’opportunités, propice aux rêves d’aventure. « Vous qui avez pris ce qu’il y a de mieux aux États-Unis et ce qu’il y a de plus intéressant en Europe… » s’extasiait le président français Nicolas Sarkozy devant l’Assemblée nationale du Québec, le 17 octobre 2008. L’utopie canadienne a encore de beaux jours devant elle.

1 Herbert Marshall McLuhan (1911-1980), professeur de littérature anglaise et théoricien de la communication, est l’un des fondateurs des études contemporaines sur les médias.

2 Notamment connu pour son roman fantastique L’Histoire de Pi, plusieurs fois primé et adapté au cinéma (L’Odyssée de Pi) par Ang Lee en 2012.

Géographie de l’utopie

Quand ai-je pris la mesure de ce pays ? À l’été 2001, lors d’un road trip entre Edmonton, la capitale de l’Alberta où je venais d’atterrir, et Fort McMurray, à l’époque une ville-champignon en proie au boom des pétroles bitumineux de l’Athabasca ? La route filait droit vers le nord-est à travers une forêt ininterrompue de sapins et bouleaux. Peu de voitures, de rares et maigres bourgades. Juste quelques camions fous, monstres chromés lancés à toute allure malgré leurs remorques lourdes de bois vers la nouvelle frontière ouverte dans le nord. Était-ce lors de ma découverte des Territoires du Nord-Ouest, décor grandiose grand comme deux fois et demie la France pour 40 000 habitants à peine, où la forêt boréale encadre des lacs inconnus vastes comme la Belgique (le Grand lac de l’Ours, le Grand lac des Esclaves) ? À moins que ce ne soit à l’occasion d’un survol en hélicoptère des Rocheuses canadiennes, cette cordillère découpée sur 1 200 km, si prisée des preneurs de vue d’Hollywood depuis qu’y a été tourné Le secret de Brokeback Mountain, en 2004.

Partir à la découverte du Canada, c’est accepter l’humilité d’être ramené à la démesure de l’espace et à la rigueur des éléments. Un pari vertigineux.

Les côtes déchiquetées de Terre-Neuve, terre stérile battue par les flots et les bourrasques, où viennent mourir au début de l’été de gigantesques icebergs détachés de la banquise. L’infinie Prairie canadienne, à cheval sur trois provinces, où l’horizon se défile au regard au point que le ciel céruléen semble enserrer la terre comme un dôme d’azur. La rive sud du Saint-Laurent, « la plus grande rivière jamais vue » selon le premier Européen à explorer ses eaux en 1535, le Français Jacques Cartier, qui draine un quart des réserves d’eau douce de la planète et qu’il faut descendre au prix d’une infinie patience, jusqu’à ne plus voir la rive nord, au moment où l’estuaire s’élargit et où le fleuve devient golfe. Cette quasi-mer intérieure qu’est la baie d’Hudson, la moitié de la Méditerranée en taille, royaume des ours polaires et des bélugas, ces petites baleines blanches si promptes à chanter qu’on les surnomme « les canaris des mers ».

D’un océan à l’autre

A mari usque ad mare (D’un océan à l’autre, de l’Atlantique au Pacifique), la devise du Canada est un hommage à la géographie, même si, au passage, elle oublie son troisième océan, l’Arctique, aujourd’hui ouvert aux scientifiques avant, selon toute probabilité, demain, de l’être aux transporteurs maritimes et aux prospecteurs miniers.

Sur ce pays continent de 9,985 millions de km2, le deuxième en superficie de la planète après la Russie, étalé sur six fuseaux horaires, ce sont les reliefs et les rigueurs du climat qui ont façonné l’homme. C’est par les rivières que les premiers Européens ont pénétré à l’intérieur des grands espaces à la recherche de fourrures, puis de terres à défricher et à cultiver. C’est la brutalité de l’hiver qui impose un nouvel art de vivre, ou plutôt de survivre, à la saison froide : au premier hivernage à Québec de l’équipage de Jacques Cartier, les températures sont si basses que le vin gèle dans les barriques. « Despuis la my novembre, jusqu’au XVe jour d’apvril, avons esté continuellement enfermez dans les glaces, lesquelles avoyent plus de deux brasses d’espesseur, et dessus la terre, y avoit la hauteur de quatre pieds de naige et plus, tellement qu’elle estoyt plus haulte que les bors de noz navires » raconte le navigateur malouin. Plus de quatre siècles plus tard, lors de mon premier reportage à Montréal, en plein mois de février, je découvris à mon tour la violence d’un blizzard qui enferma, de longs jours, la cité dans une gangue blanche glacée au point d’abolir les perspectives dans l’espace et la notion du temps.

Ah, l’hiver… Sa rigueur surprend toujours l’immigrant. Son étirement sur de longs mois interminables désespère la plupart des Canadiens, psychologiquement épuisés juste avant l’arrivée du printemps. À chaque première bordée de neige, il faut retrouver les rites immuables du quotidien : pelleter les abords de son domicile en adoptant la position idoine qui vous empêchera d’attraper un tour de reins, prendre le temps de chauffer le moteur de son véhicule, finir de s’habiller de pied en cap par couches successives (« enfiler des pelures » dit-on au Québec) sans oublier d’attacher sa tuque1 avant de sortir, se déchausser dans l’entrée, colmater les fenêtres pour éviter la déperdition de chaleur, réapprendre pour les citadins des grands centres-villes à « magasiner » dans les galeries commerciales enterrées… À Montréal, le « Réso » compte ainsi pas moins de 32 km de voies souterraines bordées de commerces.

L’hiver, tout est plus lent. Consulter la météo devient le premier réflexe du matin : il ne faudrait pas être surpris sur la route par une tempête ou une vague de froid subite. Environnement Canada, le centre canadien des services climatiques, délivre des avertissements lorsque la température ou le refroidissement éolien chute sous -38°. Pour l’anecdote, la température la plus basse enregistrée au pays le fut à Snag (Yukon), le 3 février 1947. Ce jour-là, le thermomètre est descendu à -63°.

Tout un registre lexical ressuscite avec les premiers frimas. Si les Inuits sont crédités de 52 mots en inuktitut, selon l’anthropologue John Steckley2