Ce que j’aimerais vous dire - Dr Christian Thomsen - E-Book

Ce que j’aimerais vous dire E-Book

Dr Christian Thomsen

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Beschreibung

Un professeur de philosophie, tout juste retraité, entre en soins palliatifs pour un cancer du côlon métastasé devenu incurable. Durant les dix années qui ont précédé ce moment, il a tenu le journal de sa maladie, initialement présentée comme guérissable par les médecins. Mais le destin en a voulu autrement. À travers ce témoignage poignant, il retrace les étapes de sa fin de vie tout en explorant les souvenirs marquants de son existence : son enfance, sa jeunesse, ses amours, son métier, ses passions et ses déceptions. Ce récit, empreint de lucidité et de sagesse, invite le lecteur à une méditation intime et universelle sur le temps, la mémoire et le sens même de l’existence.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Le Dr Christian Thomsen, chirurgien viscéral depuis plus de quarante ans, s’est tourné en fin de carrière vers les soins palliatifs, obtenant à 72 ans un diplôme interuniversitaire. Parallèlement, il partage sa passion pédagogique à travers deux sites sur le langage médical, vocabulaire-medical.fr et dictionnaire-medical.fr. Son amour des lettres s’exprime également sur son blog propos-de-medecin.fr, où il mêle médecine et réflexion littéraire ainsi que sur son site web en préparation, destiné à donner envie de lire Proust.

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Seitenzahl: 179

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Dr Christian Thomsen

Ce que j’aimerais vous dire

© Lys Bleu Éditions – Dr Christian Thomsen

ISBN : 979-10-422-4890-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Pour connaître la vie de quelqu’un, il faut connaître ses rêves, ses rapports avec ses parents, ses états d’âme, ses désillusions, sa maladie et sa mort.

Etty Hillesum, Une vie bouleversée

Journal de ma maladie 2024

I – L’alternative

J’avais beau m’y attendre, je n’en suis pas moins bouleversé. Je suis en consultation chez mon oncologue, le Dr V, qui me reçoit avec les résultats de mes derniers examens d’imagerie. Son verdict est sans appel : la dernière ligne de traitement n’a pas fonctionné du tout, et mes métastases, si elles ne sont pas plus nombreuses, ont encore augmenté de volume.

L’alternative qu’il me propose est simple, du moins en théorie : soit nous tentons un ultime traitement, qui a peu de chance de fonctionner, et dont les effets indésirables quasiment inévitables seront pénibles, soit nous jetons l’éponge.

Ce type de décision est toujours difficile à proposer par tout oncologue qui se respecte, qui aura parfois tendance à considérer l’arrêt du traitement comme un abandon de son patient, voire comme un échec personnel.

Mais cette décision est surtout douloureuse à prendre pour le patient que je suis. En réalité pour tous les autres : quoi de plus difficile pour un individu que de renoncer à l’espoir, si minime soit-il, de guérir, et de choisir la certitude de ne pas guérir ? En effet si je prends la seconde option, cela signifie très clairement que je ne guérirai pas de ce foutu cancer, qui me fera mourir dans un délai que personne ne connaît, vraisemblablement dans un inconfort de plus en plus grand, marqué par de très probables douleurs de plus en plus difficiles à soulager. En clair, ce choix me fera rentrer de plain-pied dans l’univers mystérieux et angoissant des soins palliatifs, mais pas nécessairement dans la phase terminale de ma maladie.

J’aimerais faire ici une remarque d’ordre général : dans les fictions toujours, mais aussi dans la réalité parfois, les médecins s’avancent à « donner » à leur patient un temps qui leur resterait à vivre. C’est une escroquerie intellectuelle, car personne n’en sait rien, et nul ne peut donner ce qu’il ne possède pas, en l’occurrence ce savoir. J’en veux pour preuve une amie très chère de ma femme Marie, à qui un chirurgien parisien réputé, qui n’avait rien pu faire lors de son intervention, avait dit « vous en avez pour trois mois » ; elle a survécu plus de trois ans à cette prophétie absurde. De plus, si le délai au-delà duquel le patient est censé mourir est dépassé, il ne comprend rien à ce qui lui arrive. Passons…

Et moi, si je choisis d’arrêter tout traitement, combien de temps me restera-t-il à vivre ? Je n’en sais rien, pas plus que mon oncologue, à qui je ne pose pas la question. La vraie question est de savoir de ce que je ferai du reste de ma vie. Et la réponse, que je suis le seul à pouvoir apporter, est loin d’être évidente. Seraije capable de trouver un sens à la fin de ma vie ? Franchement, je n’en sais rien.

Marie m’accompagne, comme toujours, chez l’oncologue. Elle sait, comme moi, que cette décision est lourde, et qu’il faut que nous y réfléchissions ensemble. Je sors de chez le spécialiste en lui disant que je lui donnerai une réponse dans la semaine.

Journal de ma maladie 2024

II – L’entrée en soins palliatifs

Curieusement la décision n’a pas été trop difficile à prendre. Voilà maintenant dix ans que le diagnostic de cancer du côlon est tombé, avec tout ce que cela a pu impliquer de faux espoirs.

J’ai raconté tout cela dans le « Journal de ma maladie 2014 », que j’ai tenu tout au long de ce parcours assez chaotique, du moins lors des différentes étapes thérapeutiques. Pendant les périodes de rémission je n’avais aucune raison d’y écrire quoi que ce soit, puisque tout semblait aller pour le mieux et que j’étais persuadé que j’allais guérir, le cancer du côlon étant réputé être d’un assez bon pronostic. Je continuerai à tenir ce Journal tant que je m’en sentirai capable. Mais maintenant je suis fatigué à l’idée d’affronter tous ces traitements, et j’ai acquis la conviction que mon cancer aura ma peau, quoi que je fasse. Alors, autant opter pour les traitements dits « de confort ». Ce n’est plus la quantité de vie restante qui m’importe désormais, mais sa qualité. Selon la belle formule du Pr Jean Bernard, mon problème n’est plus d’ajouter des jours à ma vie, mais de mettre de la vie dans les jours qui me restent à vivre. Ce sera mon « projet de fin de vie ». Celui de Proust était d’apposer le mot « fin » à son manuscrit. Il y est arrivé. Et je me dis par avance que je connaîtrai mon entrée dans ce qu’il est convenu d’appeler la « phase terminale » quand je ne serai plus capable de rajouter un mot à ce Journal. Ce moment sera celui de la fin, non pas de ma vie, mais de mon existence. Mais je pense avoir encore un peu de temps devant moi. Heureusement Marie comprend parfaitement ma décision, comme toujours.

Je téléphone à mon oncologue pour lui annoncer notre décision commune. Il ne la commente pas, se contente d’en prendre acte. Je n’arrive pas à savoir ce qu’il pense de cette entrée en soins palliatifs. Regrette-t-il que j’aie rejeté sa dernière proposition thérapeutique ? Je l’ignore, et ne le saurai jamais… Il me dit qu’il va se mettre en rapport avec l’équipe mobile de soins palliatifs (EMSP) dont dépend notre domicile. Ce sera celle de Paray-le-Monial, la coquette petite cité où Marie et moi habitons, bastion d’une certaine spiritualité catholique. Il sera tenu informé, mais ne me reverra plus en consultation.

Contrairement à beaucoup de patients ou de leurs proches, je n’ai pas peur de l’adjectif « palliatif », qui est l’antonyme de « curatif », et je ne l’assimile pas à la mort, même si je sais pertinemment qu’elle m’attend au bout de ce chemin. J’ai trouvé dans un article une jolie définition de soins palliatifs attribuée à la palliativiste anglaise Thérèse Vannier : « tout ce qu’il reste à faire quand il n’y a plus rien à faire… » Pas mal !

J’attends, avec une impatience certaine, l’arrivée de cette équipe dite mobile. Mobile parce que c’est elle qui va à la rencontre du patient, qu’il soit à son domicile, comme moi, en EHPAD ou encore dans un service hospitalier.

Qu’aura-t-elle à me proposer ? Certainement un accompagnement, mais sous quelle forme ? Je vais bientôt le savoir.

Journal de ma maladie 2024

III – Présentation de l’équipe mobile

Marie et moi n’avons pas eu à attendre trop longtemps. L’équipe mobile de soins palliatifs (l’EMSP) de Paray-le-Monial a pris rendez-vous pour un premier contact avec nous. C’est un duo qui arrive à la maison, le médecin et une infirmière. Ils viennent en voisins, dans la voiture de fonction mise à leur disposition par l’hôpital. Ils se présentent à nous : le Dr Aurélien Thomas et Amélie, une des deux infirmières. L’équipe complète comprend une autre infirmière, Juliette, et une psychologue, Fanny, ainsi qu’une assistante sociale, Céline. Ils nous expliquent qu’ils se déplacent toujours à deux, parfois même à trois, avec comme membre permanent le médecin, le seul habilité à faire des prescriptions. La psychologue est susceptible de venir toute seule pour un accompagnement, soit du patient, soit de son conjoint, en l’occurrence Marie, qui semble intéressée par cette prestation qu’elle finira par accepter.

Ils connaissent parfaitement les éléments essentiels de mon dossier, transmis par l’oncologue. Ils nous expliquent en quoi consistera leur intervention, que l’on peut résumer à la prise en charge la plus efficace possible des symptômes dits d’inconfort, au premier rang desquels les douleurs et l’angoisse. Ils s’assurent que nous sommes bien « au clair » avec ma maladie, autrement dit que nous ne sommes pas dans le déni. Nous les rassurons sur ce point. Tout est parfaitement clair pour nous deux, hélas ! Ils se proposent de venir à notre rencontre une fois par mois, ou plus souvent si nécessaire, en fonction de l’évolution de mes symptômes. Et ils nous accompagneront jusqu’à la fin.

Pour la suite, nous sommes informés de la possibilité, si nécessaire, de séjours dans l’Unité de soins palliatifs (USP) de Mâcon, qui comprend dix lits installés dans un bâtiment situé en dehors de l’hôpital, avec deux médecins femmes et tout le personnel soignant indispensable pour une prise en charge optimale.

Pour un premier contact, nous n’allons pas plus loin.

L’évolution de la maladie et ce qu’il est convenu d’appeler la phase terminale seront abordées lors d’une autre visite. Je sens surtout que Marie n’est pas prête à envisager les modalités de ma fin de vie. Cela viendra en son temps, j’en suis sûr.

J’ai entendu parler, dans une émission de radio, de la « biographie hospitalière ». Je leur demande si leur équipe peut mettre à ma disposition une biographe. C’est un de leurs projets, mais, pour l’instant, il n’est pas encore opérationnel. Le médecin me fait une suggestion que je trouve très généreuse. Comme il a la fibre littéraire, et que le sujet lui tient à cœur, il viendra à la maison une heure chaque samedi après-midi, pour que nous élaborions cette biographie sous forme d’entretiens informels, qu’il s’engage à retranscrire le plus fidèlement possible.

Il cite le philosophe J-B. Pontalis, qui préférait parler d’« autographie » plutôt que d’autobiographie. Il me dit habiter Charolles, la « Venise du Charolais », à un quart d’heure de Paray. Nous sommes pratiquement voisins.

Ce que j’aimerais vous dire

I – Premier entretien pour ma biographie

Comme promis, le Dr Thomas vient chez moi, un samedi en début d’après-midi, pour débuter la rédaction de ma biographie.

Voici ce que j’en attends, lui dis-je. J’ai étudié, pendant ma carrière d’enseignant de philosophie, l’œuvre de Paul Ricœur. Dans Temps et récit, il explique que chacun peut devenir le « scripteur de sa propre vie », et donner des significations diverses au chemin parcouru. Ce n’est qu’en racontant sa vie qu’on lui donne du sens. Il me reste encore un peu de temps pour donner, rétrospectivement, un sens à ma vie. Je propose à mon interlocuteur, que je ne tarderai pas à appeler Aurélien, que nous fonctionnions sous forme d’entretiens informels. Je me réserverai le choix des sujets, et lui m’interrogera sur la période de ma vie que je souhaiterai évoquer. Pour pouvoir m’écouter sans prendre de notes, il me propose d’enregistrer nos entretiens. Cela me convient.

Chaque séance commencera par la lecture de sa retranscription de l’entretien précédent. Et il lui reviendra, à la fin que j’espère malgré tout la plus tardive possible, de mettre tout cela en ordre chronologique. Pour respecter le principe de la biographie hospitalière, présenté par ses promotrices comme un « soin de support » pour des patients en soins palliatifs, il s’engage à ce que le cercle restreint de mes futurs lecteurs, à savoir ma famille et mes amis proches, puisse retrouver la façon de s’exprimer de la personne qu’ils ont connue (et, je l’espère, aimée…)

Cela dit notre projet sort un peu du cadre de la biographie hospitalière classique, le biographe (qui est en réalité le plus souvent une femme) n’étant pas censé être médecin. Mais Aurélien était le seul biographe disponible. Va pour un médecin. Nous respecterons en revanche le principe de ne pas évoquer la maladie. Le récit de celleci, je l’ai déjà fait sous forme d’un journal intime que j’ai tenu tout au long de ma maladie, du moins pendant les périodes de traitement.

C’est ce que j’explique à Aurélien, à qui je suggère de lire ce journal, que je mets à sa disposition sous forme d’un résumé tapuscrit, dans lequel j’ai respecté la règle de concision que je souhaite lui imposer. Il comprendra par où je suis passé, bien qu’il s’en doute certainement, de par son expérience professionnelle.

Ce que nous ferons, lui et moi, sera le récit de ma vie avant la maladie. Je propose à mon interlocuteur de donner un titre à mon autobiographie. Nous retenons ensemble « Ce que j’aimerais vous dire… » qui nous semble bien résumer notre projet. Je lui demande de respecter un principe, celui de ne pas dépasser approximativement sept cents mots pour la retranscription de chacun de nos entretiens. Bien que grand admirateur de Proust, connu pour la longueur démesurée de certaines de ses phrases, je suis pourtant un fervent adepte de la concision et de la clarté (si chère à Jules Renard), qui ne sont pas des qualités que l’on prête habituellement aux philosophes. Et quand un philosophe se targue d’être clair, les esprits chagrins disent volontiers de lui qu’il n’est pas un vrai philosophe, juste un bon vulgarisateur.

Le philosophe Pierre Zaoui (un vrai, non contesté) écrit quelque part « … on peut trouver de la philosophie partout, chez n’importe quel interlocuteur et dans tous les ordres de discours : dans les discours théologiques, politiques, scientifiques, artistiques, amoureux, etc. » Et il ajoute « je crois que philosopher n’est jamais une perte ou un désespoir, une angoisse ou un souci, mais toujours une joie et une libération ; dès qu’on parvient à avoir une idée, à forger un concept, même tout petit et imparfait, c’est une joie. »

Journal de ma maladie 2024

IV – Pourquoi ce Journal ?

Avant de procéder à une sélection de « morceaux choisis » de mon Journal de 2014, je me demande ce qui a pu me pousser, au tout début de ma maladie, à le tenir au jour le jour. Et la réponse n’est pas évidente, dix ans plus tard. Voulais-je laisser un témoignage, comme le font nombre de gens connus ou totalement anonymes ? Je ne le pense pas. Je crois que j’avais depuis longtemps l’envie de tenir un journal intime. Mais je ne savais pas trop quoi raconter de ma vie, si peu intéressante à mes yeux. Et puis passer, même sans projet de publication, après des auteurs comme André Gide ou Julien Green, dont les Journaux sont des monuments de la littérature française du vingtième siècle, cela m’intimidait.

La maladie pouvait donc être un excellent sujet de récit autobiographique. D’autres l’avaient fait avant moi, notamment Fritz Zorn avec Mars. Mais, curieusement, ce livre ne parle que des troubles psychiques de son auteur, qui pense qu’ils ont été la seule cause de sa maladie, pratiquement absente du récit. Une autre raison m’incitait à tenir ce Journal, celle d’écrire quelque chose en temps réel, et non pas a posteriori. Ma tendance à la procrastination m’en avait toujours empêché. Et puis, dernière raison, la maladie laisse du temps pour réfléchir et pour écrire. Je me suis donc mis à tenir le Journal de ma maladie à destination de mes proches, pour qu’ils comprennent par quoi je suis passé. J’imaginais y écrire le mot « fin » lorsque j’aurais été guéri.

Je m’étais fixé un objectif, celui de respecter le plus possible le vocabulaire médical, lequel présente la particularité d’être un langage très technique destiné à la communication entre les professionnels de santé, mais qui doit aussi pouvoir être compris des patients concernés et de leurs proches, ce qui suppose, de la part des médecins, un effort de simplification et de pédagogie. Ils n’en sont pas tous capables, hélas… C’est aussi ce qui se passe avec le langage philosophique, qui est destiné en premier lieu à parler des concepts entre philosophes, mais qui doit aussi être compréhensible par les lecteurs de base, au prix de quelques efforts de leur part. Mais, différence essentielle, le lecteur d’un livre de philosophie peut cesser de le lire en cours de route, s’il ne le comprend pas, ou tout simplement s’il ne l’apprécie pas. Un malade n’a pas cette possibilité.

Comme je ne possède pas la maîtrise de ce langage, je me suis beaucoup servi de deux sites découverts sur Internet, mis en ligne par un médecin féru de terminologie médicale, « vocabulairemedical.fr » et « dictionnaire-medical.fr ». Ils m’ont beaucoup aidé à comprendre ce que les nombreux professionnels qui se sont occupés de ma maladie tentaient de m’expliquer.

Dernier point, je me suis amusé à retranscrire le plus fidèlement possible les échanges que j’ai pu avoir avec eux, notamment lors des consultations. J’avais l’impression, ce faisant, d’écrire en même temps un roman. Quelle prétention !

Les extraits de ce journal figureront sous le titre Journal de ma maladie – 2014.

Ce que j’aimerais vous dire

II – Le Dr Thomas et moi faisons connaissance

Le samedi suivant, le Dr Thomas est ponctuel, comme il le sera à chaque fois. C’est une qualité que j’apprécie. J’y attache peut-être une importance excessive. Il a commencé la lecture du Journal de ma maladie. Comme il saura bientôt tout de moi, je lui demande s’il serait d’accord pour lever un coin de voile sur sa propre biographie. Il accepte ma demande, ainsi que ma proposition de nous appeler par nos prénoms, comme de vieux amis. Il sait, grâce à mon dossier, que mon prénom est Charles, et que j’ai 73 ans. J’apprends que le sien est Aurélien, et qu’il en a 70. Nous sommes donc contemporains, ce qui devrait faciliter nos échanges.

Avant d’entrer dans les soins palliatifs (écrivant cela, j’ai l’impression de parler de quelqu’un qui rentrerait dans les Ordres !) il était dermatologue hospitalier à Chalon-sur-Saône, spécialiste des tumeurs cutanées. Quand est venu pour lui l’âge de la retraite, à 67 ans, il a souhaité aider à compenser la pénurie de dermatologues en faisant, depuis son domicile charolais, de la téléexpertise. Concrètement cela veut dire que les patients qui ont une ou plusieurs lésions cutanées, et qui ne trouvent pas de rendez-vous avec un dermatologue, se rendent dans un centre de téléexpertise ; une infirmière remplit une fiche de renseignements cliniques et prend des photos des lésions suspectes. Il reçoit tout cela et donne son avis sans voir le patient, ce qui est un peu frustrant, et surtout plus aléatoire qu’une vraie consultation, en « présentiel », selon la vilaine expression actuelle. Quand la lésion est suspecte, il oriente le patient vers un spécialiste, dermatologue ou chirurgien, pour en faire l’exérèse. Sinon, il propose un traitement. Cette occupation à temps très partiel lui permet de rester dans le circuit de la dermatologie, et lui laisse le temps d’exercer son activité de médecin « palliativiste » trois jours par semaine.

Cette reconversion tardive vers les soins palliatifs, il l’avait préparée dès l’âge de 65 ans, en suivant pendant deux ans les cours du diplôme interuniversitaire de soins palliatifs de sa région. Une fois le document en poche, il a facilement trouvé un poste dans l’équipe mobile de soins palliatifs de Paray-le-Monial, pas très loin de chez lui, à Charolles. Comme il est possible à un médecin hospitalier de travailler jusqu’à 72 ans, il s’est dit qu’il avait devant lui cinq ans pour exercer cette nouvelle activité, dont il attendait monts et merveilles. Et, pour l’instant, il n’est pas déçu.

On lui pose souvent la question de savoir ce qui l’a poussé vers la médecine palliative, choix qui peut sembler un peu morbide, et à vrai dire il n’est pas sûr d’en connaître la raison profonde. Ce qu’il sait, c’est qu’il aime la réflexion éthique, et que c’est dans la médecine palliative que ces questions se posent avec le plus d’acuité. Par ailleurs il a remarqué, au travers de ses lectures d’ouvrages consacrés à cette discipline, que celle-ci possède une forte empreinte littéraire, ce qui lui convient parfaitement. Et puis la médecine palliative fait peu appel à la technicité, et il s’estime trop âgé pour apprendre de nouvelles techniques. Se posait à lui la question de l’empathie nécessaire à cette activité : en aurait-il assez pour apporter un soutien efficace aux patients ? N’en aurait-il pas trop, ce qui pourrait être mortifère pour lui ? Il pense, avec l’expérience, avoir trouvé le juste milieu, si cher à Aristote.

Le Dr Thomas me dit qu’il fait partie de ces gens qui ont toujours besoin d’apprendre quelque chose de neuf. Maintenant qu’il a obtenu son diplôme de soins palliatifs, il se verrait bien approfondir l’éthique médicale, autre sujet qui le passionne, tout comme moi. Il aimerait ensuite pouvoir intégrer une instance de réflexion éthique, comme il en existe dans de nombreux hôpitaux. Mais il faut commencer par obtenir un diplôme.

Extraits du Journal de ma maladie 2014

I – Premiers symptômes