Chasseurs de matières premières - Raf Custers - E-Book

Chasseurs de matières premières E-Book

Raf Custers

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Beschreibung

Sans carburant, les autos s’arrêtent. Vous le savez, je le sais, un petit enfant le sait. Mais vous êtes-vous déjà demandé comment serait notre vie sans matières premières ? Eh bien, c’en serait carrément fini des bagnoles ! Prenez le cuivre. Vous en trouvez un kilomètre et demi dans une voiture ordinaire. Et plein d’autres matières premières que nous allons chercher en Afrique.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Raf Custers est historien et journaliste. Chercheur au Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative (GRESEA). Depuis trente ans, il effectue des reportages sur des peuples qui prennent leur sort en mains. Co-auteur de Media-activisme. Don’t hate the media, be the media(2004).

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Chasseurs de matières premières

Raf Custers

Avec le soutien du Fonds Pascal Decroos voor Bijzondere Journalistiek

www.fondspascaldecroos.org

En collaboration avec le GRESEA, Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative

www.gresea.be

c Raf Custers - Investig’Action

Photo Auteur : Raf Custers

Traduction : Jean-Marie Flémal

Mise en page : Françcois Versbraegen, Simon Leroux (e-book)

Couverture :Emmanuel Balan

Corrections : Maxime Deroeux, Jean-Charles Baillet, Michel Collon

Editions : Investig’Action (Bruxelles), Gresca, Couleur Livres

Site web : www.investigaction.net

Diffusion : [email protected]

Avec le soutien du Fonds Pascal Decroos voor Bijzondere Journalistick www.fondspascaldecroos.org

En collaboration avec le GRESEA, groupe de recherche pour une strategie économie alternative www.gresea.be

Le GRESEA est soutenu par la Communauté française de Belgique

ISBN : 978-2-87003-642-6

Dépôt légal : D/2013/0029/32

Table des matières

Avant-propos

Introduction.

1. Les monuments de l’exportation

2. Le pillage de l’or au Mali

3. Une mine comme une météorite

4. Le shopping de l’électricité

5. Notre part du boom

6. Comment on affronte le marché avec le lithium

7. Des contrats corrects

8. Un dragon chancelant

9. Parties d’échecs simultanées autour du Congo

10. De la protection au protectorat

Epilogue. Au peuple de jouer !

Liste des abréviations

Avant-propos

Chaque année, les chaînes de montage sortent plus de voitures. Dans chacune d’elle, on trouve jusqu’à un kilomètre et demi de fils de cuivre. Ce cuivre est rare, en Europe. Les sociétés minières transnationales vont le chercher ailleurs.  Pour elles, il s’’agit d’un business particulièrement lucratif. Les firmes les plus grosses sont littéralement vautrées sur des montagnes de liquidités, avec lesquelles elles n’entreprennent rien. Entre-temps, voilà dix ans qu’elles sont impliquées dans une ruée vers de nouvelles mines, en Afrique et dans d’autres régions du Sud.

Mais l’Afrique reste sous-développée. Les gens survivent dans des bidonvilles, sous des toits en tôle ondulée. Ce n’est pas le fait d’une mauvaise administration ou de la corruption, mais des transnationales, qui s’en vont avec les matières premières. Ces transnationales dominent l’économie mondiale. Leur paradis est en cuivre. L’enfer qu’elles laissent derrière elle est en fer-blanc. Tel est ’le point de départ de ce livre.

L’économie mondiale se tient comme les maillons d’une chaîne. Nous l’avons tous vécu lors de cet hiver à l’ancienne, en 2010. « Il grêlait, il neigeait, il faisait si froid que les toits étaient gelés », dit un vieux chant de Noël flamand. Au bout de quelques jours, il n’y avait plus de sel à épandre et les routes étaient impraticables. Il fallait attendre le nouveau sel. Au bout de plusieurs semaines, il est venu par cargo… d’Amérique. Chez nous, le sel est rare. Trois mois plus tard, un raz-de-marée inondait le Japon. Le tsunami détruisait la centrale nucléaire de Fukushima. La tempête paralysait également les usines. Les lignes d’approvisionnement des grandes marques japonaises étaient à l’arrêt. Leurs filiales en Europe ne recevaient plus de pièces.

En effet, les maillons de la chaîne s’étendent sur toute la planète. Nous connaissons les biens de consommation qui proviennent des derniers maillons : les céréales de notre petitdéjeuner, les comprimés de nos médicaments, ou encore une hanche en titane, pour n’en citer que deux ou trois. Mais le premier maillon ?

A quelques carrières et sablières près, nous n’avons plus la moindre expérience du premier maillon de la chaîne. Chez nous, les minéraux sont épuisés. Le maillon qui produit les matières premières dont on fait les biens de consommation est parti. Les sociétés minières travaillent aujourd’hui au-delà de nouvelles frontières et avant tout dans le Sud. J’ai pris l’initiatived’aller voir de quoi il retournait. Ce que naguère on appelait le tiers monde est depuis longtemps mon terrain de travail. Et le charbon, on sait ce que c’est, aussi bien dans ma famille que dans mon cercle d’amis. Et même dans mon CV. Quand j’étais étudiant, j’ai travaillé tout un temps comme chargeur, au fond de la mine de Zolder. Trop peu de temps, certes, mais assez longtemps quand même pour comprendre ce qu’est la mine pour les gens qui y gagnent leur croûte et assez longtemps aussi pour les respecter infiniment.

Dans ce livre, je relate mon passage dans les zones d’extraction de minerais et de métaux. Les endroits que j’ai visités personnellement se situent surtout en Afrique. Mais, pour ce livre, j’ai également visité la Bolivie et la Chine, un arrêt obligatoire, actuellement, pour ceux qui veulent voir comment l’économie assure le développement. Notre économie ne crée plus de développement, elle vit en parasite, sur le dos du travail, de la nature, du Sud. « La classe dominante », dit Alain Badiou, « est une classe cynique. Elle ne s’occupe plus que de son propre intérêt. Elle ne peut plus conquérir que des choses qui existent déjà, mais est incapable d’encore en créer de nouvelles. »

Ce livre est aussi une chronique des cinq premières années de la crise. Je m’y suis mis durant l’été 2007. Les prix des matières premières atteignaient des sommets. Mais, en même temps, aux Etats-Unis, éclatait la crise des hypothèques(subprimes). En vacances dans les Balkans, hormis les journaux nationaux, je ne trouvais que des titres allemands. J’ai conservé les coupures. Sur le moment, elles étaient assez comiques. Aujourd’hui, elles sont carrément ridicules. Les bourses et les journalistes ont d’abord paniqué. Puis, ils se sont mis à apaiser les esprits. « Le secteur bancaire allemand est stable », titrait le Süddeutsche Zeitung,le 21 août 2007, et la crise n’était qu’une « correction » de brève durée. Entre-temps, nous en avons appris un peu plus. Fin 2012, la crise ne cesse encore de s’aggraver. Le Nord entraîne le Sud dans sa chute. Avec la crise, les points de vue sur les matières premières se cristallisent et se polarisent. Les principales puissances du Nord ne voient que leurs intérêts et tentent de les imposer en recourant à une diplomatie agressive et des campagnes militaires directes ou sournoises.

Le Sud en a assez. L’indignation le gagne de jour en jour. Mais il n’y a pas que cela : dans nombre de pays du Sud, des projets enthousiasmants s’accumulent, dont les matières premières sont souvent l’enjeu. Chez nous, ces projets ne sont pas connus. Nos faiseurs d’opinion n’en ont pas vent ou les écartent comme nuisibles pour les intérêts occidentaux. Le rankingannuel d’Ernst &Young affirme que l’autodétermination à propos des matières premières constitue aujourd’hui le principal risque pour le business minier. Ces rankingsfont aujourd’hui partie du marketing politique des pays nantis. Leur but est de perpétuer la tutelle coloniale sur le Sud. L’histoire des matières premières est plus complexe, mais elle interpelle bien plus aussi qu’on veut nous le laisser croire. Les confrontations violentes ne sont pas loin, entre les froids objectifs d’une poignée de transnationales et les millions d’indignadosdu Sud et ceux de chez nous qui n’acceptent pas cette politique de famine. Pensons à ArcelorMittal, qui ferme des hauts fourneaux chez nous mais qui, en Afrique, se lance dans l’exploitation de la houille et des mines de fer.

Soit dit en passant, je préfère parler de transnationales plutôt que de multinationales.En dehors de leur siège principal (souvent au Canada), pas mal de firmes n’ont qu’une seule exploitation minière à l’étranger. Avoir deux sites internationaux suffit pour être une transnationale, mais pas pour mériter le statut de multinationale. Un grand nombre de ces transnationales sont actives dans le secteur minier, où des entreprises dites de prospection reconnaissent au préalable le terrain avant que les géants ne se lancent dans l’exploitation.

Ce livre ne se veut pas exhaustif. Il parle principalement de métaux et d’autres minéraux non renouvelables indispensables dans l’industrie. Car, comme le disait un industriel allemand : sans carburant, les voitures tombent en panne mais, sans minéraux, il n’y a pas de voitures. Je parle à peine des ressources naturelles renouvelables comme l’eau, le bois, l’air et l’agriculture. D’autres chercheurs connaissent bien mieux le sujet. Nous échangeons toutefois des informations et des avis. Dans tous ces domaines, il s’avère que les intérêts privés imposent une saisie sur les produits de base afin de les commercialiser à l’extrême. Le Sud voit disparaître ses matières premières à des prix exagérément ridicules. Nous payons bien trop cher les produits finis. Dernièrement, il y avait encore une information de ce genre : chaque semaine, actuellement, on abat deux cents chevaux ; leurs propriétaires ne peuvent plus payer leur nourriture. Mais, chez les traders qui fournissent les matières premières de cette nourriture, le tiroir-caisse tinte sans arrêt.

La solidarité est nécessaire pour une’une économie progressiste :Low Carbon, Zero Colony(peu de carbone, pas de colonies), pour reprendre le slogan. Ainsi,les militants pour l’autodétermination dans les denrées alimentaires et les minerais collaborent avec le mouvement pour le climat et la transition ainsi qu’avec le monde syndical. Les alliances existent et plus la politique néolibérale se montre radicale, plus les échanges de vues sont intenses.

Tout cela a façonné mes conceptions sur le sujet. Cela m’a pris cinq années, mais c’est ainsi que ce livre s’est constitué. J’en ai élaboré la base chez IPIS, le service d’information pour la paix, à Anvers, qui, en 2009, a publié mon étude « Africa’s Natural Resources in a Global Context » (Les ressources naturelles de l’Afrique dans le contexte mondial), que l’on peut trouver sur Internet.

’’J’ai ensuite été encouragé par d’éminents chercheurs, tel l’économiste louvaniste du développement, Louis Baeck, le professeur Bonnie Campbell à Montréal, Magnus Ericsson,du Raw Materials Group,à Stockholm,des syndicalistes et militants de tous les continents. L’étude requérait une suite proposant des alternatives à la dépendance, surtout de l’Afrique. Cette suite, c’est le livre que voici. J’ai pu le réaliser auprès du Groupe de recherche pour unestratégie économique alternative (Gresea) à Bruxelles et avec le soutien du Fonds Pascal Decroos voor Bijzondere Journalistieke Projecten (Fonds de soutien Pascal Decroos à des projets journalistiques particuliers). A A toutes les personnes qui ont posé des questions, comblé certaines lacunes, exprimé des critiques, prodigué des encouragements ou émis des suggestions, merci de tout cœur. Et, quand vous aurez lu le livre, n’hésitez pas à me contacter !

Bruxelles, janvier 2013.

Introduction.

D’ici peu, les voitures tomberont en panne

Chaque année, les chaînes de montage sortent plus de voitures. Dans chacune d’elle, on trouve jusqu’à un kilomètre et demi de fils de cuivre. Ce cuivre est rare, en Europe. Les sociétés minières transnationales vont le chercher ailleurs. En Afrique, par exemple, où elles sont impliquées dans une ruée vers de nouvelles mines.

Top Gear ? Je ne puis m’empêcher d’avoir un sourire forcé, à la vue de ce show télévisé éhonté et incroyablement grotesque. Alors que nous ne faisons que ralentir, dans Top Gear, ils y vont à fond la caisse. Les présentateurs de cette émission britannique ne veulent qu’une chose : rouler à fond. Ils ont fait jadis un test avec la Bugatti Veyron, une voiture de course pour milliardaires. Coût : au bas mot, 2 millions d’euros. On n’en a construit que trente exemplaires. Les gens de Top Gear ont atteint 414 kilomètres/heure, avec cette Bugatti. Plus vite, ce n’était pas possible : « Mauvais pour les gommes. »

Top Gear ressemble beaucoup à l’industrie automobile. Celle-ci va aussi vite qu’elle peut également, pourvu qu’elle puisse produire. Mais elle produit tant qu’elle ne parvient plus à écouler ses voitures. Quand le secteur automobile a connu un krach, fin 2008, il y avait cinquante fabriques d’autos de trop. C’est du moins ce qu’a raconté Peter Leyman, à l’époque patron de Volvo, à Gand.1 L’Etat s’empresse d’aider les marques automobiles. Aux Etats-Unis, les trois grands – General Motors, Ford et Chrysler – ont reçu de l’Etat une injection de capital de 49,5 milliards de dollars (35 milliards d’euros).2 Ils ont liquidé des emplois, ont survécu à la crise et ont à nouveau réalisé des bénéfices fabuleux. C’est ainsi depuis des années. En 2010, General Motors fermait l’usine Opel à Anvers. Près de 2.400 travailleurs y perdaient leur emploi. Mais, entre 1995 et 2008, l’ensemble du groupe avait liquidé au moins 187.000 emplois en Amérique du Nord et en Europe (et, dans l’intervalle, avait distribué seize milliards de dollars de dividendes à ses actionnaires).3 Sabrer dans l’emploi ne résout pas la surcapacité, mais donne toutefois un joli coup de pouce à la marge bénéficiaire du constructeur. C’est d’ailleurs aussi sa seule intention. Car, voyez-vous, les constructeurs sortent à peine du gouffre qu’ils lancent aussitôt de nouvelles cibles de production.

Chaque marque veut être la plus grande. Renault veut vendre trois millions de voitures en 2013. Son concurrent Toyota veut en écouler un million sur le marché européen. Audi-VW nourrit l’intention d’être le premier constructeur de voitures de luxe. Dans la même catégorie, BMW vise la vente de deux millions de voitures de luxe en 2020. Dans leur course à la première place, vont-ils encore accroître leurs surcapacités ? Les experts évalueront la chose… après la prochaine crise.

Je n’ai rien d’un maniaque des chiffres, mais les statistiques expriment malgré tout une partie de la réalité. En avant donc. Chaque année, les chaînes de montage sortent plus de voitures. Elles étaient 71 millions en 2008 ; ce total est retombé à 62 millions en 2009, à cause de la crise, mais a grimpé à nouveau pour atteindre 78 millions en 2010. Mondialement, plus de 800 millions de véhicules sont enregistrés, dont 260 millions pour les seuls Etats-Unis. Certaines études disent que nous aurions déjà franchi le cap du milliard.4 Soit vingt ans plus tôt que prévu.5A l’avenir, il y aura de plus en plus d’autos. Les prévisions les plus optimistes parlent d’un doublement du parc automobile en 2030. Il y en aura donc 1,6 milliard, contre 800 millions aujourd’hui. Et, pour 2050, on prévoit un nouveau doublement duparc automobile..

S’endormir au volant…

Dieu merci, on ne fabrique pas que des voitures. Mais ces voitures en avalent, des matériaux ! C’est ce qui les rend si intéressantes pour mon argumentation. Pour la toute première automobile, le carrosse motorisé, on y est parvenu avec une demi-douzaines de matériaux : du bois, du verre, du caoutchouc, du cuivre, de l’acier et du cuir pour les sièges. Il y a belle lurette que ça ne suffit plus. Chaque nouvelle génération de voitures utilise plus de matériaux que la précédente.

Prenons le cuivre. Ses propriétés viennent vraiment à point. Il a une grande longévité, il ne « rouille » pas quand on le met au contact de l’oxygène et c’est un très bon conducteur de l’électricité et de la chaleur. La quantité de cuivre utilisée a connu une augmentation surprenante. Ala fin des années 1940, l’automobile est devenue progressivement accessible aux familles de la classe moyenne. Al’époque, on trouvait environ 55 fils de cuivre, dans une auto : en tout, une longueur de 45 mètres. R’idiculement peu, comparé à aujourd’hui. Une auto normale contient actuellement 1.500 câbles de cuivre qui, mis bout à bout, font un kilomètre et demi. Ce cuivre pèse environ 22 kilos, dont quelque 18 kilos en composantes électriques.6 Les véhicules électriques ou hybrides contiennent plus de cuivre encore - jusqu’à 12 kilos de plus - entre autres, pour les batteries. Les batteries lithium-ion, les plus utilisées, sont constituées pour un cinquième de cuivre.7

Les objets de consommation servent aujourd’hui bien plus qu’il n’y a cinq ou dix ans. Ils ne sont pas meilleur marché, au contraire, mais plus petits, plus rapides, plus économes et plus propres. Voyez les vitres des voitures. Les autos actuelles ressemblent à des serres sur roues. Les voitures particulières et les monospaces ont 15 % de surface de vitres de plus qu’une auto moyenne d’il y a trente ans. Le petit modèle A de Mercedes est doté de 14 vitres différentes. Si vous achetez une Jaguar, vous avez le choix entre dix-sept options de pare-brise différentes, selon l’épaisseur de votre portefeuille.8

Ces vitres requièrent une technologie adaptée. Elles sont teintées, elles sont dotées d’un coating pour régler la chaleur et on y a incorporé des miroirs ou des spoilers. Elles sont équipées d’antennes pour la radio et le système satellitaire GPS, ainsi que de senseurs pour la pluie et la chaleur. Ces gadgets ajoutent au confort et à la sécurité. Mais, souvent, ils ne constituent qu’un luxe extravagant. Celui qui en a les moyens peut se faufiler dans un habitacle semi-automatisé et n’a plus grand-chose à faire ensuite. L’air conditionné maintient la fraîcheur que vous préférez, le système de navigation retient votre itinéraire favori, votre siège garde votre position idéale et, au besoin, tout en roulant, vous fournit une séance de massage. Les phares se mettent en code pour les voitures qui vous précèdent ou viennent en sens inverse. Les marques de luxe proposent encore des options plus excentriques. L’attache-remorque automatique, par exemple, qui se replie vers l’intérieur quand vous détachez la remorque (avec le bateau). Ou le vitrage imperméable aux caméras infrarouges (si vous voulez circuler en toute discrétion). Ceux qui dodelinent facilement du chef derrière le volant font tout simplement installer un système Lane Departure Warning. Ce dernier est équipé d’une caméra qui filme le marquage routier et, à l’aide de vibrations, vous prévient quand vous vous écartez de votre trajectoire. Et le catalogue propose ainsi des dizaines d’options, parfois pratiques et utiles, mais souvent excentriques, visant à satisfaire le snobisme jusqu’à l’absurde. C’est ce qu’on appelle le luxe. Et le luxe, ça mange beaucoup de matériaux.

Astuce de vente

Les progrès les plus récents de la technique ont amené l’auto verte ou, du moins, la mode de la voiture hybride et électrique. Ce n’est pas un hasard si cette mode a succédé à la crise de 2008. Les constructeurs cherchaient une façon de relancer les ventes. Ils ont estimé que nous, les acheteurs, étions mûrs pour l’auto verte. Le prix de l’essence a continué à grimper et on nous a ressassé que nous devions rouler dans des voitures propres. Les constructeurs nous ont largué toute une panoplie de nouveaux modèles sous un feu roulant de publicité bien ciblée. Leurs dépliants étaient truffés de « sérénité », de « plaisir de conduire » et d’applications destinées à « réduire les émissions ». Dès le Salon de l’Auto de Francfort, en 2009, ils tiraient tous les registres de l’écologie. Le salon s’était tenu quelques mois avant le Sommet de Copenhague sur le changement climatique et les constructeurs automobiles voulaient montrer ce qu’ils faisaient contre le réchauffement de la terre.

Il faut savoir que Francfort n’est pas une vulgaire foire du pot d’échappement et de la carrosserie, c’est en fait LA foire. N’oubliez pas qu’en Europe, ce sont les marques allemandes qui, de loin, vendent le plus de voitures. En 2008, elles couvraient près de la moitié du marché.9A Francfort, elles jouent à domicile et elles en mettent donc plein la vue à leurs concurrentes et aux consommateurs. « Nous », dit Matthias Wissman, de la fédération allemande de l’automobile, « nous développons des véhicules modernes, sobres, sûrs, efficaces sur le plan du carburant et respectueux du climat. »10 Cette année-là, Francfort battit tous les records, avec 82 primeurs mondiales. Dont plus de la moitié dans les stands allemands. Des dizaines de modèles sobres et propres, des voitures consommant moins de 5 litres de carburant aux 100 kilomètres et qui rejettent moins de 130 grammes de gaz à effet de serre au kilomètre. Ingénieux, très rapide dans ses réactions et très fort, le marketing de ces Allemands ! Et quand ça roule à Francfort, ça suit à Bruxelles. Lors de l’European Motorshow de Bruxelles également, en janvier 2010, les grandes marques avaient misé astucieusement sur le vert. Pour une fois, moi aussi, j’étais allé m’extasier devant les voitures. Comme la Vision EfficientDynamics de BMW, une concept car au design invraisemblable, qui passe « de 0 à 100 km/h en 4,8 secondes ». Ou comme la gamme « Zero Emission » de Renault. Des modèles futuristes, sans émission ! Le toit de la Zoe ZE Concept est constitué d’une sorte de rayon de miel de cellules solaires. « Telle une membrane intelligente », il protège les occupants de la chaleur et du froid. Ce toit règle également le conditionnement d’air, qui ne consiste d’ailleurs pas qu’à le rafraîchir : il hydrate, purifie et secrète de délicats parfums. De la biotechnologie française, développée en collaboration avec les parfumeurs de L’Oréal. Le monde entier n’attendait que cela. Voici des années déjà que Toyota a mis la Prius sur le marché.Ce véhicule hybride possède à la fois un moteur à combustion classique et un moteur électrique et il peut fonctionner aussi bien à l’essence qu’au courant électrique. Un vendeur de Toyota me vante le Plug-in Hybrid, dont on peut charger la batterie en branchant directement une fiche sur le réseau d’électricité. « On va en mettre 150 exemplaires à l’essai en Europe », me dit l’homme avec enthousiasme, « dont trois en Belgique. » Le modèle Full Hybrid Prius de Toyota ne consomme que 3,9 litres de carburant aux 100 kilomètres et il rejette moins de 90 grammes de gaz de serre au kilomètre. Des prestations à volonté.

Toutes les marques rivalisent de performances et – afin de pouvoir écouler leurs produits – pratiquent des réductions insensées, jusqu’à un tiers du prix. La crise force les constructeurs à fabriquer des modèles plus petits. Mais ils espèrent surtout que la vague verte séduira. Ils ne s’épargnent ni les coûts ni les difficultés pour faire passer leur message. Un jour, je me suis rendu à Paris avec la presse belge. Renault a payé le voyage en TGV à toute la bande. A Paris, on nous a régalés d’un one-man-show de Carlos Ghosn, le grand patron de Renault. Ce n’est pas un artiste du stand-up, mais il sait à la perfection tenir son auditoire. Il a annoncé qu’en 2020, une voiture sur dix roulerait à l’électricité. Sans cesse, je vois cette information revenir dans les médias. Les chiffres ronds passent toujours facilement. Mais les spécialistes croient que Ghosn nous mène en bateau. Dieter Zetsche, par exemple, des marques allemandes Daimler et Mercedes, serait déjà très satisfait si on pouvait vendre la moitié des voitures vertes annoncées par Carlos Ghosn. Nous, les acheteurs, n’en sommes pas convaincus non plus : 35.000 euros pour une Nissan Leaf verte ! Même si j’étais un fervent automobiliste, je n’en ai pas les moyens.

« Rares » ? C’est relatif

Ce qui est fou, c’est que si les techniciens font un pas en avant dans un domaine, ils doivent alors en faire deux dans un autre. Quelques exemples. Puisque le carburant est rare et cher, les autos doivent devenir plus sobres. C’est faisable en les allégeant. Mais c’est précisément le contraire qui se passe. Les autos deviennent plus lourdes. Elles prennent du poids supplémentaire avec les moteurs électriques (pour actionner les vitres ou pour régler des sièges), les nouveaux systèmes de freinage et de stabilisation, les catalyseurs pour filtrer les gaz d’échappement (et les caméras qui vous aident à garder votre trajectoire). Ce poids supplémentaire signifie un surcroît de consommation. Si le poids d’une voiture augmente de 100 kilos, sa consommation d’accroît de 0,3 à 0,8 litre aux 100 kilomètres. Et là se pose un nouveau défi pour la recherche. Les chercheurs doivent compenser ce poids supplémentaire. Au fil des années, ils ont remplacé une grande quantité d’acier par de l’aluminium, plus léger.C’est ainsi qu’Audi a pu alléger son modèle A8 d’environ 140 kilos. Il y a vingt ans, VW a intégré les premiers Tailored Blanks à ses carrosseries. Il s’agit de composantes dotées d’évidements ou de perforations. Tout le monde les utilise, aujourd’hui. Et, de la sorte, la carrosserie de n’importe quelle voiture se trouve allégée d’un quart.11 Afin de garantir quand même la solidité de ces composantes, on utilise de nouvelles sortes d’acier. Et la production d’acier, de ce fait, doit elle aussi progresser. On développe de nouveaux procédés de soudure et de nouveaux alliages dans lesquels le nickel (ou le cobalt, ou le manganèse) est mélangé au fer avant de le fondre en acier. Le secteur de l’automobile utilise aujourd’hui quelque 360 sortes d’acier différentes pour les carrosseries, les châssis et la propulsion.

Aujourd’hui, une voiture pèse aisément 1,3 tonne. Il n’y a pas que la quantité de cuivre qui a été multipliée, mais aussi le nombre d’autres matériaux et leur quantité. De nos jours, outre des matériaux végétaux et animaux (caoutchouc, coton, cuir), on utilise ou essaie des dizaines de minéraux divers.

Voici les minéraux que l’on rencontre dans une voiture normale :

Matière première

Poids (en kg)

Qualité et application

Fer et acier

963

Résistant et durable (châssis, moteur)

Aluminium

109

Léger (châssis, moteur)

Carbone

23

Ajoute à la résistance (pneus, autres composantes en caoutchouc)

Cuivre

19

Bon conducteur de l’électricité

Silicones

19

Intercalaires des couches de verre feuilleté des pare-brise

Plomb

11

Conducteur (dans les batteries)

Zinc

10

Galvanise, consolide les alliages métalliques

Manganèse

8

Durcit les alliages métalliques

Chrome

7

Résiste à la corrosion (ou « rouille »), durcit les alliages métalliques

Nickel

4

Reste résistant aux températures élevées, résiste à la corrosion (ou « rouille ») dans les alliages

Magnésium

2

Entre dans certains alliages, entre autres, avec l’aluminium

Soufre

0,9

Renforce les pneus en caoutchouc

Molybdène

0,45

Durcit et renforce les alliages

Vanadium

< 0,45

Léger, renforce les alliages

Platine

de 1,5 à 3 g

Bon catalyseur

Source : « Minerals, critical minerals and the US economy », NRC, Washington 2007.

Ici, il s’agit presque exclusivement de matières premières minérales non renouvelables : métaux usuels, métaux nobles, fer, métaux du groupe des terres rares, lithium, etc. A A l’instar du cuivre, on les utilise en raison de leurs propriétés particulières qui contribuent à améliorer les performances des produits finis.

Cette liste compte quinze métaux et matières premières minérales. Il ne s’agit que d’un échantillonnage d’un ensemble très vaste. Dans une voiture normale, on trouve bien d’autres minéraux, ne serait-ce que quelques grammes. Entre autres : phosphore, niobium, antimoine, baryum, cadmium, cobalt, fluorine, gallium, graphite, halite (une sorte de soude), chaux, mica, palladium, potasse, strontium, étain, titane, tungstène et toutes les matières synthétiques dérivées du pétrole. Avec le « passage au vert » des voitures, tout le groupe des « métaux du groupe des terres rares » s’y est ajouté, et il compte déjà dix-sept minéraux. Ces minéraux « rares » proviennent de partout sur l’écorce terrestre mais, sur le plan du profit, peu de sédiments de minéraux valent la peine d’être exploités. De là, le qualificatif de « rares ».

Disons donc qu’une voiture est constituée d’une soixantaine de matériaux différents, la plupart d’origine minérale.

L’évolution est d’ailleurs loin d’aller en ligne droite. Des matériaux s’ajoutent, d’autres disparaissent. Ainsi, longtemps, le plomb a été une matière première pour les batteries. Mais le produit est toxique et on a donc adopté des règles strictes pour son utilisation. D’autres matériaux gagnent en importance. Avec le carbone et le graphite, par exemple, les laboratoires développent de nouveaux matériaux ultra-résistants. Le magnésium est encore l’une de ces matières premières dites d’avenir. Son exploitation est encore onéreuse, de même que les coûts des traitements pour le rendre utilisable. Mais le magnésium peut être jusqu’à 30 % plus léger que l’aluminium et jusqu’à 80 % plus léger que l’acier. C’est pourquoi certains constructeurs automobiles l’utilisent déjà notamment sous forme d’alliage avec l’aluminium, dans le bloc moteur.

Ne tombez pas à court, SVP

D’autres secteurs engloutissent eux aussi des montagnes de matières premières. Le secteur de l’électronique a besoin de dizaines de matériaux pour fabriquer des ordinateurs, des téléphones portables, des écrans plasma, des consoles de jeux, etc. Cela vaut également pour les applications les plus diverses. L’aviation, la navigation spatiale, l’industrie des armements, l’agriculture (les engrais artificiels…), l’hygiène (les poudres à lessiver…), le secteur du luxe (montres et bijoux…), la construction de logements (de la pierre au conditionnement d’air…), les transports (navires, carburant…), l’énergie (le réseau à haute tension), les infrastructures (barrages…), et la liste est encore longue.

Toutes ces branches d’activités ont besoin de matières premières. Elles se cassent la tête à propos de leur approvisionnement. Les gros utilisateurs de l’industrie ont peur de tomber un jour à court de matières premières. L’Europe occidentale a vécu quelques aventures avec la Russie, qui peut couper le robinet du gaz. C’est pourquoi la classe supérieure européenne se rend compte à quel point elle est vulnérable, sur le plan de l’énergie. Mais cette conscience n’existe pas depuis longtempspour les métaux et les minéraux. L’Europe occidentale elle-même ne possède’ pratiquement plus de matières premières.

Il n’est pas étonnant que l’Allemagne ait été la première à tirer la sonnette d’alarme. Les grands patrons de l’industrie allemande l’ont résumé de façon succincte mais très claire en un slogan : « Sans carburant, les voitures tombent en panne mais, sans métaux de base, nous ne produirons tout bonnement plus de voitures. »12 L’Allemagne sans voitures ? Quel scénario catastrophe, pour les industriels allemands ! En 2005, la fédération des patrons allemands, la Bundesverband der Deutschen Industrie (BDI),mettait sur pied un groupe de travail qui allait se pencher sur la sécurité de l’approvisionnement (lasupply security, dans le jargon). Dans la pratique, la fédération des patrons de la métallurgie, la WirtschaftsVereinigung Metalle (WVM), se chargeait du travail d’étude. La question était celle-ci : comment veillerons-nous à disposer de matières premières en tout temps ? Les premières conclusions étaient prêtes au printemps 2007. Juste à temps pour donner une impulsion à la politique des matières premières du patronat allemand. Car, à l’époque, l’Allemagne n’occupait pas seulement la présidence de l’Union européenne, elle organisait également le sommet du G8 (les huit principales économies de la planète) à Heiligendamm.

Le retour à Jules Verne

L’étude allemande servit de modèle pour les consultations avec le reste de l’industrie européenne. Un an plus tard, la Commission européenne présentait la Raw Materials Initiative, le plan des matières premières pour l’industrie des Etats membres de l’UE.13 Depuis, son élaboration s’est poursuivie et, début 2011, elle était approuvée comme plan officiel de la Commission européenne en ce qui concerne les matières premières.

Ce plan s’appuie sur trois piliers : tout d’abord, le recyclage ou la réexploitation des matières premières en provenance des déchets ; ensuite, une utilisation plus sobre et plus efficiente des matières premières, mais surtout des mines en Europe et à l’extérieur.

Maintenir les matières premières dans le circuit constitue une première solution. Au lieu de brûler des produits et des matériaux réutilisables ou de les jeter à la décharge, il faudrait les réexploiter. C’est ce qui se passe depuis des générations avec le « vieux fer », qui est collecté afin d’être réutilisé. Par « vieux fer », on entend le fer et l’acier, mais également d’autres métaux et alliages. Ils réintègrent assez facilement le circuit. En Europe, environ la moitié des métaux de base utilisés sont issus du recyclage de produits mis au rancart. Toutes sortes d’entreprises de formats divers s’en chargent. Plus les prix sont élevés, plus les marchands s’acharnent à racheter du « vieux fer ». Le cuivre et le nickel occupent une bonne place sur le marché du recyclage. Ceux qui voyagent souvent en train le savent. Bien des pannes dans les chemins de fer sont dues à des vols de cuivre. Aux chemins de fer, toutes les lignes électriques sont en cuivre. Elles transmettent le courant aux locomotives et permettent d’alimenter les signaux (9000), les aiguillages (12.000) et les barrières (2035). Le réseau belge couvre 3.500 kilomètres de voies et c’est l’un des plus denses au monde. Mais il est également automatisé jusque dans ses derniers recoins et cela le rend particulièrement vulnérable.14 Entre 2005 et 2007, on a volé aux chemins de fer au moins 252 kilomètres de câbles de cuivre. En 2008, la SNCB faisait état de 509 vols de cuivre.15 Si on vole tout ce cuivre, c’est que cela rapporte gros aux voleurs. Et cela vaut également pour le nickel. Ces dernières années, des bandes de malfaiteurs ont fait des coups spectaculaires. A A la firme Industeel, à Marchienne-au-Pont, ils sont partis avec 20 tonnes de nickel. Industeel utilise ce nickel dans la fabrication de plaques en acier inoxydable de haute qualité. Il est également utilisé en technologie de pointe dans les centrales nucléaires, dans les plates-formes de forage et dans le béton armé des tours gigantesques. Et, par des voies détournées, ce nickel et ce cuivre volés réintègrent finalement le circuit.

Fouiller dans les déchets

Ceux qui ont largement de quoi ne sont pas très regardants et jettent tout simplement ce dont ils n’ont plus besoin. Inversement, vous avez sûrement déjà vu aussi des photos d’enfants fouillant à pieds nus dans les déchets d’une mégapole du tiers monde. Un cliché. Mais le recyclage constitue un business largement répandu et couvrant le monde entier. Ce recyclage s’effectue souvent de façon artisanale (et malsaine).

En Europe, les entreprises découvrent qu’elles peuvent y gagner lourd. Elles se lancent à l’échelle industrielle dans le recyclage des décharges. Pour l’Union européenne, on compte entre 150.000 et 500.000 décharges. Les premiers à se reconvertir sont souvent les anciens barons des déchets. Comme, par exemple, Machiels, le baron limbourgeois des décharges. On collecte systématiquement aussi les produits de consommation truffés de précieux matériaux. Ça a débuté par les piles et bien d’autres « rebuts » électriques ont suivi. Et cela en vaut la peine. Les entreprises belges occupent ici le premier rang mondial, avec Umicore comme leader. Umicore descend d’une entreprise qui avait de vraies mines : la firme coloniale belge Union Minière. Aujourd’hui, Umicore récupère entre autres de l’or et du platine dans des rebuts électroniques. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les usines de recyclage produisent proportionnellement plus de métaux nobles que les mines d’or ou de platine. L’entreprise belge Umicore, ici à la pointe du progrès, a fait le calcul. Dans les mines, on trouve en moyenne 5 grammes d’or ou de platine par tonne de minerai brut. Mais jetez en vrac une tonne de tableaux de distribution d’ordinateur hors d’usage, et vous pourrez en récupérer entre 200 et 250 grammes d’or. Dans une tonne de téléphones portables, il y a de 300 à 350 grammes d’or et, dans une tonne de catalyseurs de voiture, 2 kilos de platine.16 De trois tonnes de vieux téléphones portables, on retire donc un kilo d’or. Ce kilo d’or (soir 35,3 onces) vaut aux alentours de 56.000 dollars, à 1.600 dollars l’once (le prix en juillet 2012). Le recyclage en vaut donc largement la peine. Et, manifestement, avec les nouvelles techniques, il fournit considérablement plus de métaux que l’exploitation minière classique.

Bien des appareils électriques usagés (e-waste) disparaissent d’Europe vers des ateliers en Afrique ou en Asie, où on les démonte complètement. Une partie de ce commerce est aux mains de la mafia des déchets. Les ateliers travaillent en sous-traitance pour des filières occidentales. Ils ne tiennent nullement compte des législations sur le travail et la santé et paient des salaires extrêmement bas. L’Union européenne essaie de lutter contre ce trafic afin de protéger le secteur du recyclage en Europe même.

Mais on est loin de recycler tout. Soit les techniques ne sont pas au point, soit les canaux de collecte des rebuts ne sont pas encore « étanches ». Soit le recyclage n’est pas encore rentable. Ceci vaut pour les métaux du groupe des terres rares.17 Mais, même dans un circuit complet, le recyclage ne fournit pas assez de matières premières pour l’industrie. Bien des matières d’une importance vitale pour l’industrie doivent donc être extraites des mines ou tirées des réserves pétrolières et gazières. Mais, en Europe, celles-ci se raréfient.

Les violettes calaminaires

Jadis, l’Europe avait assez de minéraux à portée de main. C’est ainsi que débuta la révolution industrielle. Elle s’appuya sur les capitaux ramenés des colonies par les puissances coloniales, mais fut alimentée par le charbon, le fer et d’autres minéraux en provenance d’Europe même. Le nom de La Calamine ne vous rappelle-t-il rien ? La Calamine vient évidemment de la calamine, une sorte de minerai de zinc. La calamine a également donné son nom à une espèce de plante qui ne pousse que sur les terrains à forte concentration de zinc, la Violeteacalaminariae, la violette calaminaire (« zinkviooltje » ou, textuellement, « violette de zinc », en néerlandais).Au printemps, elle fleurit encore abondamment dans les prés de La Calamine. La petite ville, à proximité d’Aix-la-Chapelle, au carrefour avec les Pays-Bas et l’Allemagne, est l’une des neuf communes germanophones de notre pays. Durant la totalité du dix-neuvième siècle, on a tiré du zinc de son sous-sol. Pour l’exploiter, on a fondé la société Vieille Montagne, avec de grands capitalistes belges comme Charles de Brouckère et un certain Davignon (déjà’ !) dans son premier conseil d’administration. Vieille Montagne allait devenir le plus gros producteur de zinc au monde.18Al’époque, il ne fallait donc pas courir bien loin pour trouver du zinc.

Avec le zinc, on fabriquait naguère des bassines et des gouttières. Aujourd’hui, il sert surtout à galvaniser des métaux et à les protéger de l’oxydation. Mais, du minerai de zinc, on extrait d’autres minéraux, comme l’indium, le gallium et le germanium. Tous trois sont d’excellents semi-conducteurs et, partant, sont très demandés. L’industrie électronique les utilise dans la fabrication de transistors, de détecteurs et de connexions. La mine de zinc de La Calamine a été fermée et la société Vieille Montagne a été absorbée par le groupe des non-ferreux Union Minière, du puissant groupe capitaliste belge Société Générale. Union Minière a émigré vers la colonie du Congo.

Désormais, le zinc ne provient donc plus de l’Europe. La firme belge Nyrstar, une descendante d’Union Minière/Vieille Montagne, établie à Balen, possède des mines de zinc entre autres au Pérou et aux Etats-Unis. La plupart des mines européennes ont été fermées, qu’il s’agisse des mines de charbon, d’étain et même d’or (comme à Salsigne, non loin de Carcassonne, en France, où, au fil du temps, on a extrait 110 tonnes d’or). Mais les fruits les plus accessibles, ceux des branches les plus basses, ont été cueillis ; les réserves les plus faciles à atteindre, au moindre coût, sont épuisées. L’Union européenne a fait fermer de nombreuses mines.Elle a d’ailleurs interdit à ses Etats membres d’allouer des subsides aux mines. Ceux qui désirent exploiter des minerais, du pétrole ou du gaz doivent littéralement se remuer les épaules et aller chercher bien loin, dans des environnements arides, inhospitaliers, voire hostiles.

Pour l’énergie, ce fut différent. Le Nord-Ouest de l’Europe a bénéficié d’aubaines royales. Pour commencer, bien sûr, on a découvert du gaz naturel sur le continent. Dans la gigantesque bulle de gaz de Slochteren, découverte en 1959 dans le nord des Pays-Bas, il y aurait toujours du gaz pour des décennies.19 Vers 1970, Shell et Phillips Petroleum ont découvert du pétrole off-shore en mer du Nord. Ils ont découvert le gisement pétrolier de Brent, à l’est de l’Ecosse et le gisement d’Ekofisk, dans les eaux norvégiennes. La chose a entre autres fait du groupe britannico-néerlandais Shell l’une des plus puissantes sociétés pétrolières au monde. La Norvège a été suffisamment finaude pour confier l’exploitation de son pétrole à une entreprise d’Etat (Statoil) et verser les recettes sur un fonds national d’épargne (dans lequel, voici quelque temps, il y avait 350 milliards d’euros).20 Bien d’autres pays ont suivi cet exemple et fondé des fonds similaires, les sovereign wealth funds. Quant aux gisements pétroliers de la mer du Nord, leur production a entre-temps atteint son point culminant.

Les compagnies minières et les sociétés pétrolières cherchent donc frénétiquement de nouveaux sites minéraliers, en des endroits auxquels personne n’aurait pensé dans les années 1970. Face aux côtes de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, la firme américaine Nautilus teste des appareils commandés à distancequi peuvent racler le fond océanique à une profondeur de 1600 mètres.La firme Nautilus (dont le nom s’est inspiré d’un impressionnant récit de l’écrivain Jules Verne) prétend qu’elle « développe » les fonds marins. En Namibie, on est déjà plus loin, puisqu’on y tire plus de diamants de la mer que des mines sur la terre ferme. Le géant du diamant, De Beers, y a fait construire cinq « mines flottantes ». De Beers certifie à l’intention des âmes crédules que « le fond et la nature, en mer, se rétablissent d’eux-mêmes ». Certains développeurs de projets perdent la tête en pensant à des balles de manganèse ou de minerai de la grosseur d’une pomme de terre. Il paraît que le fond de la mer en est parsemé. Quel malheur, le jour où ils se mettront à l’exploiter ! Le problème – et, au fond, c’est peut-être une bonne chose – c’est que personne ne sait pour l’instant comment extraire de façon avantageuse le minerai de ces balles. Entre-temps, le secteur pétrolier fait d’impressionnants bonds en avant. Au large des côtes brésiliennes, opère la Cidade de Angra dos Reis, une installation flottante qui pompe et stocke le pétrole. De cette plate-forme part une canalisation de quatre kilomètres de long qui parcourt deux kilomètres dans l’eau, puis deux autres kilomètres à travers le sel gemme, avant d’atteindre les réserves de pétrole.

Aucune limite, aussi éloignée, profonde ou élevée qu’elle soit, ne les rebute. La grande course du moment, ce sont les régions arctiques. La course aux mers de glace du Grand Nord a débuté vers 2000. Le réchauffement de notre climat n’y est pas étranger. Il contribue à la fonte de la calotte polaire. D’ici peu, en été, des navires pourront emprunter des voies qui, aujourd’hui, tout au long de l’année, leur sont encore fermées par les glaces.La marine marchande escompte un énorme gain de temps pour naviguer du Groenland à l’Alaska, ou de la Norvège au Japon, via la mer de Barents.

Les grandes puissances ne comptent pas attendre. Elles savent qu’au pôle Nord se trouvent d’importantes réserves de minéraux. C’est la Russie qui a donné le signal de départ de cette véritable course aux richesses de l’Arctique. Le 2 août 2007, deux sous-marins de poche russes sont descendus jusqu’au fond de l’océan et y ont planté un drapeau russe en titane inoxydable, exactement sous le pôle Nord. Les concurrents en ont blêmi de jalousie. Par contrecoup, le Canada annonçait qu’il allait installer des bases militaires à ses frontières septentrionales.21

Cinq ans à peine se sont écoulés depuis.Aujourd’hui, quand on examine des cartes géologiques du Grand Nord, on découvre un enchevêtrement de blocs où les explorations vont commencer ou sont déjà en cours.Toute la côte autour du Groenland a déjà été répartie entre les sociétés minières et les compagnies pétrolières.22 Pour l’instant, il s’agit encore et surtout de firmes de prospection peu connues, mais quand celles-ci enregistreront des résultats, les grandes sauteront dans la danse. Le Canada octroie des autorisations les unes après les autres afin que l’on prospecte ses provinces septentrionales de Nunavut et du Nord-Ouest en vue d’y découvrir des minerais, du pétrole et du gaz.23 Les firmes courent après ces autorisations comme des toxicomanes après une ligne de coke. Shell peut se lancer dans des forages d’essai en mer de Beaufort, au nord de l’Alaska.Cela a coûté à Shell sang et eau, sept années de lobbying et au moins quatre milliards de dollars pour obtenir gain de cause. Fin 2010, le président américain Barack Obama était approché par Shell. Six mois à peine -notez bien - après l’impressionnante catastrophe de la plate-forme BP de Deep Horizon, dans le golfe du Mexique.24 Avec l’Arctique, c’est la dernière partie du monde encore intacte qui passe à la trappe.

Des rivaux partout

Le monde riche, uni au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), est habité par un sixième de la population mondiale. Ce club consomme près de deux tiers de la totalité du gaz naturel et une bonne moitié de tout le pétrole et des autres minéraux que la terre produit.25 C’est le centre du monde. Depuis des siècles, un flot ininterrompu de matières premières afflue ici. Mais attention : lorsque ça va mal ici, par exemple quand General Motors ne parvient plus à vendre ses voitures, alors, il licencie non seulement des travailleurs (rappelez-vous Opel Anvers), mais il achète également moins de matières premières et répercute la crise sur les pays qui en produisent. Et cela entre aussi en ligne de compte.

Cependant, les pays industrialisés ont constamment besoin de matières premières. Affamés, qu’ils sont ! De ce fait, la rivalité autour de ces matières premières s’accentue, entre la France et l’Allemagne, par exemple, mais aussi entre l’Union européenne, les Etats-Unis et le Japon. Tous sans exception ont élaboré des plans stratégiques afin d’assurer leur approvisionnement. Des pays comme la Chine et le Brésil qui, aujourd’hui, s’industrialisent à plein régime, ont aussi besoin de matières premières. En outre, ils disposent d’encore pas mal de réserves chez eux. Ils font partie des principaux producteurs de matières premières actuels, avec la Russie, l’Inde, l’Afrique du Sud et d’autres pays d’Afrique et d’Amérique du Sud. Le géant minier qu’est l’Australie, pourtant membre de l’OCDE, traite de plus en plus avec la Chine.

C’est ici que surgit une complication importante : la concentration au sein d’une poignée d’entreprises. En ce qui concerne le niobium, par exemple, trois entreprises (Iamgold, Anglo American et Moreira Salles) monopolisent toute sa production (99,5 %, en 2009-2010). Quant au palladium, 74,4 % de sa production est aux mains d’Implats, d’Anglo Américan et de Norilsk Nickel. Pour le lithium, les trois plus grandes entreprises (PotashCorp of Saskatchewan, FMC et Talison Lithium) se partagent une grosse moitié (51,3 %) de sa production. Près de la moitié de la production de titane est aux mains de BHP, Iluka Resources et Rio Tinto, etc.26 Pour ces trios d’oligarques, il suffit d’une simple conférence par téléphone pour constituer un cartel de circonstance et, au besoin, fermer le robinet. Ils détiennent donc un pouvoir énorme. Il y a aussi une concentration géographique. Quelques pays possèdent la majeure partie des réserves de matériaux stratégiques. Le Brésil a 88 % de tout le niobium. L’Australie, 62 % du tantale et 31 % du titane. La Chine détient 87 % du tungstène, 36 % des métaux du groupe des terres rares, 37 % de l’antimoine. L’Afrique du Sud possède 77 % du platine, 39 % du chrome, 38 % du palladium et 20 %% du titane.27 Tous matériaux indispensables. Le niobium sert à fabriquer des microcircuits électroniques et certains alliages avec le fer, l’antimoine réduit la propagation des flammes et sert également dans les batteries, le platine entre dans la fabrication des catalyseurs et des piles à combustible, le palladium sert dans les catalyseurs et dans le dessalement de l’eau de mer, les métaux du groupe des terres rares dans les catalyseurs et les aimants, le chrome dans la fabrication de l’acier, etc.

L’Union européenne a établi une liste de quatorze « minéraux critiques » qui sont absolument indispensables pour son industrie. Quatre pays à peine se partagent la part du lion de cette production. Ce sont la Chine, la Russie, le Brésil et la République démocratique du Congo.28Le Congo a d’importantes réserves de deux des minéraux critiques : le cobalt (pour les batteries lithium-ion et les carburants synthétiques) et le tantale (pour les microcircuits et la technologie médicale).

L’Afrique possède une position clé dans le flux mondial des matières premières.29 C’est pour cette raison que la course pour les mines s’y joue de façon si impitoyable. Voici la contribution de l’Afrique à la production mondiale de certains minéraux :

Part de la production mondiale

Pays

Cobalt

51 %

RD Congo, Zambie, Maroc & Sahara occidental

Diamant industriel

49 %

RD Congo, Boswana, Afrique du Sud

Chrome

38 %

Afrique du Sud

Manganèse

28 %

Afrique du Sud, Gabon

Phosphates

27 %

Maroc & Sahara occidental, Tunisie, Egypte

Or

22 %

Afrique du Sud, Ghana, Mali, Tanzanie

Uranium

18 %

Namibie, Niger

Pétrole

12 %

Nigeria, Angola, Algérie, Libye, Soudan

Bauxite

8 %

Guinée

Cuivre

8 %

Zambie, RD Congo

Ciment

5 %

Egypte, Algérie, Maroc & Sahara occidental, Afrique du Sud

Source : 2009 Minerals Yearbook Africa, US Geological Survey, septembre 2011.

On pourrait croire que ces pays sont forts, maintenant que les matières premières sont rares et les demandeurs nombreux. L’Afrique devrait en profiter. Ce serait on ne peut plus logique. Mais cette logique ne vaut pas pour l’Afrique. Depuis des siècles, le continent est considéré comme le jardin colonial de l’Europe. Aujourd’hui aussi, il reste à la traîne de l’économie mondiale. De sa propre faute, prêche-t-on souvent, car les présidents y sont corrompus. Mais cela ne vient qu’en second lieu. Les pays d’Afrique ne décident pas eux-mêmes de la destination de leurs matières premières. C’est ce qui provoque le sous-développement. Les pays riches en matières premières ont cédé l’exploitation de ces dernières à des entreprises étrangères. Ils dépendent également des caprices de l’économie mondiale. Cette situation, les pays d’Afrique ne l’ont pas choisie de leur plein gré. Ils y ont été forcés, prétendument parce que c’était une façon de rembourser leurs dettes.

Que les Africains soient associés à la richesse naturelle de leurs pays reste en attendant un rêve d’avenir. Mais ce rêve vit. Dans de nombreux endroits de son pays, l’artiste peintre muraliste sud-africaine Faith47 peint sur les murs blancs des slogans éloquents. Il s’agit d’axiomes et de principes tirés de la Freedom Charter (Charte pour la liberté) du mouvement de lutte contre l’apartheid. L’un de ces principes dit : The People Shall Share in the Country’s Wealth, le peuple participera à la richesse du pays.

Mais on n’y arrivera que si le peuple définit lui-même la politique des pays et des communautés dans leur ensemble. Nous en sommes encore bien loin. Cela ressort clairement de cet examen de la situation africaine. La classe dominante dispose des matières premières. Cette classe varie grandement, sur le plan de l’envergure et de ses membres. Cela va des cliques locales d’hommes d’affaires et de politiciens qui n’éprouvent que mépris pour le peuple jusqu’aux entreprises géantes derrière lesquelles on trouve des administrations gigantesques comme le gouvernement américain ou la Commission européenne. Mais les combats pour le bien-être sont effectivement en cours. Atous les niveaux et dans tous les maillons de la chaîne des matières premières. Toute la gamme sera passéeici en revue. Première étape : le Maroc. Un pays de poissons et de phosphates. Et d’exportateurs qui en veulent.

1 Introduction. D’ici peu, les voitures tomberont en panne

De Standaard, 22 novembre 2008.

2. Wall Street Journal, 18 novembre 2010.

3. Houben, H., Anvers, « jetés comme des vieux débris », GRESEA, 26 février 2010,

http://www.gresea.be/spip.php?article76.

4. Un journal d’entreprise américain a fait savoir en septembre 2011 que le chiffre d’un milliard de véhicules avait été dépassé. Le journal s’appuyait sur un rapport de Wards Auto. Mais ce rapport n’est pas public, il coûte cher et n’est donc disponible que pour les spécialistes (nantis). World Motor Vehicle Count Over 1 Billion, 5 septembre 2011.

http://oilprice.com/Energy/Crude-Oil/World-Motor-Vehicle-Count-Over-1-Billion-What-Does-This-Mean-for-Peak-Oil.html (consulté le 5 novembre 2011).

5. Shell affirmait en 2007 que le nombre de véhicules allait augmenter, de 630 millions en 2007 à 1 milliard en 2030. « Kraftstoff sparen in Deutschland. Datenund Fakten. Shell in Deutschland », dansRohstoffe fur Zukunfstechnologien, Einflussdes branchenspezifischen Rohstoffbedarfs in rohstoffintensiven Zukunftstechnologien aufdie zukünftige Rohstoffnachfrage, Fraunhofer-Institut für System- und Innovationsforschung

ISI, Stuttgart, 2009, p.31.

6. « Copper innovations and technology », dansCopper.org – consulté le 15 décembre

2009 ; Minerals, critical minerals and the US economy. Prepublication Version, National

Research Council, Washington, 2007.

7. Annual Report 2009, European Copper Institute, Bruxelles, 2010.

8. Custers, R., « Strategie achter het sterretje in de voorruit. De marketing vanCarglass » (La stratégie derrière le petit éclat du pare-brise. Le marketing de Carglass), dans in De Tijd, 23 mars 2005.

9. En 2008, la part allemande dans le marché ouest-européen était de 46,6 pour 100. Jahresbericht2009. Verband der Automobielindustrie (VDA).

10. Matthias Wissman, président de la Fédération allemande de l’industrie automobile. Cité dans : « Most important motor show points ways out of the crisis », dans perscommuniqué

VDA, Francfort-sur-le-Main, 2 septembre 2009.

11. Rohstoffe für Zukunftstechnologien. o.c., Stuttgart, 2009.

12. Comme on le voit, les grands industriels allemands (ou leurs conseillers en marketing) sont à même de manier des métaphores de choc. Ulrich Grillo, président du conseil d’administration de Grillo AG (Duisburg), mais surtout président de la fédération métallurgique WirtschaftsVereinigung Metalle (WVM) et du groupe de travail patronal BDI-Ausschusses Rohstoffpolitik, le disait en ces termes : « Wennuns das Benzin ausgeht, bleiben die Autos stehen. Wenn uns aber die metallische Rohstoffe fehlen, werden überhaupt kein Autos mehr gebaut. » (6 juillet 2007, dans http://www.europa.nrw.de/de/home/ mediadatabase/vortrag_grillo_070706.pdf, cité dans « Deutschlands Kampf um den letzten Tropfen », IMI-Magazin, Tübingen, février 2008) et, ensuite, en ces termes également : « Insofern sind Energiemangel und Rohstoffknappheit auch zwei Seiten der gleichen Medaille. Denn: Wenn wir kein Benzin mehr bekommen, fahren unsere Autos nicht mehr. Aber: wenn wir keine Metalle bekommen, produzieren wir keine Autos mehr. » (« Europa braucht eine strategische Rohstoffpolitik », dans Handelsblatt Jahrestagung Stahlmarkt 2008, Dusseldorf, 4 mars 2008). Mais Karl Heinz Dörner, de la fédération métallurgique WVM l’avait dit le premier : « Ohne den Import vieler metallischer Rohstoffe, stehen in unserne Land die Räder still. »(« Rohstoffpolitik strategischausrichten », communiqué de presse BDI, 30 mars 2006).

13. On peut trouver une reconstitution du lobby allemand dans : Custers, R. & Matthyssen,

K., Africa’s Natural Resources in a Global Context, IPIS, Anvers, août 2009, pp.54-55.

14. « Het is niet alleen goud wat blinkt. Koperkoorts – De lucratieve handel in gestolen

metaal » (Il n’y a pas que l’or, qui brille – La fièvre du cuivre ou le commerce lucratif du métal volé), dansDe Standaard, 27 ocrtobre 2007.

15. « Twee koperdiefstallen per dag bij het spoor » (Deux vols de cuivre par jour, aux chemins de fer), dans De Morgen, 23 juin 2010.

16. Hagelüken, C., Recycling of technology metals. Opportunities and limitations, Umicore,

Precious Metals Refining Capital Markets Event on Recycling, 18-19 novembre 2010.

17. On peut trouver un aperçu de la capacité de recyclage de dizaines de minéraux de base et de métaux dans : Annex V to the Report of the Ad-hoc Working Group on defining critical

raw materials, The ad-hoc Working Group of the Raw Materials Supply Group,

Enterprise and Industry, European Commission, 2010.

18. Brion, R., Moreau, J.-L., De la mine à Mars. La genèse d’Umicore, Tielt, 2006, pp.11-58.

19. « Netherlands : your friendly gas supplier », dans Petroleum Economist, novembre 2009.

20. Sandbu, M., « Refined thinker », dans Financial Times, 29 août 2009.

21. Kopp, D., « Début de guerre froide sur la banquise », dansLe Monde Diplomatique, septembre 2007.

22. Exclusive Licences Map, Bureau of Minerals and Petroleum of Greenland, février 2012.

23. Map of Mineral Exploration Projects Northwest Territories and Nunavut, NWT &

Nunavut Chamber of Mines, 23 mai 2012.

24. Broder, J.M., Krauss, C., « New and Frozen Frontier Awaits Offshore Oil Drilling », dans New York Times, 23 mai 2012.

25. Bleischwitz, R., Bringezu, S., « Global Resource Management. Conflict Potential and Characteristics of a Global Governance Regime », dans Policy Paper 27 Development

and Peace Foundation, Bonn, 2007.

26. Angebotskonzentration bei Metallen und Industriemineralen – Potenzielle Preis- und

Lieferrisiken. DERA Rohstoffinformationen-10, DERA-Rohstoffliste 2012, Deutsche

Rohstoffagentur, Berlin, juillet 2012, pp.34-35.

27. Ces chiffres du service géologique allemand BGR (citation : « Rohstoffsicherheit

– Anforderungen an Industrie und Politik. Ergebnisbericht der BDI-Präsidialgruppe

Internationale Rohstofffragen », dansBDI Energie und Rohstoffe, 16 mars 2007) ne concordent pas tout à fait avec ceux mentionnés par la Commission européenne dans son rapport de 2010 : Critical raw materials.

28. Critical raw materials for the EU. Report of the ad-hoc Working Group of the Raw Materials Supply Group, Dg Enterprise and Industry, European Commission, 2010.

29. Pour une analyse détaille, voir : Custers, R. & Matthyssen, K., o.c.

1. Les monuments de l’exportation

1. Les monuments de l’exportation

Notre agriculture, elle aussi, utilise des matières premières. Prenons les phosphates : sans eux, pas de céréales ni de bétail. Les mines de phosphate les plus riches se trouvent au Maroc et dans le Sahara occidental occupé. Pourtant, la terre et le désert y restent arides. Le Maroc ne vise pas son marché domestique, il cible le monde.

C’est en voiture que nous entamons notre exploration. Le dimanche 29 juin 2008, à Sète, sur la Côte d’Azur, nous prenons le ferry pour Tanger, dans le nord du Maroc. La traversée dure deux nuits et un jour. Sur les petits coussins de la cabine sont brodés des bateaux à vapeur. La petite piscine sur le pont grouille d’enfants, telles des anguilles dans un seau. Nous sommes partis avec une Corolla d’occasion, datant de 1995. Elle venait d’être remise en circulation par la gendarmerie belge. Quand j’ai aspiré l’intérieur, j’ai retrouvé sous la place du mort des billets provenant d’un cinéma de Bruges. Les inspecteurs allaient-ils au cinéma pendant leurs heures de service ? Quand nous sommes partis, le compteur indiquait 153.243 kilomètres. Une caisse à la technique toute simple, sans complexe ni sophistications électroniques. Pas d’air conditionné, et des vitres à descendre à la main, tout simplement. Pour profiter de la brise de mer, nous suivons les côtes marocaines. Le dimanche suivant, nous arrivons à Sidi Ifni, un petit port à environ 1.200 kilomètresau sud de Tanger. Nous décidons de nous y arrêter un peu plus longtemps. L’auto doit aller au garage, il faut remplacer le thermostat. Sinon, il risque de surchauffer d’ici peu dans la chaleur du Sahara occidental et de la Mauritanie. Le lendemain, quelqu’un nous accompagne, depuis l’hôtel Suerte Loca jusque chez un mécano. Je sors quelques banalités – « Il fait calme, comparé avec les plages du Nord ! » - mais l’histoire qu’on me sert en guise de réponse est tout sauf banale.

Le blocage

Exactement un mois plus tôt, le 7 juin, une révolte a été réprimée ici, à Sidi Ifni. Les protestations avaient débuté fin mai, quand la commune avait proposé d’engager du personnel. Il y avait eu huit offres d’emploi. Mais, le jour de la sélection, 985 candidats s’étaient présentés à la mairie. Sidi Ifni compte plus d’habitants au chômage qu’au travail. Le rassemblement face à la mairie était donc déjà toute une manifestation en soi. Quand les candidats refusés avaient été renvoyés chez eux, quelqu’un a crié : « Au port ! » Vraisemblablement c’était l’un des jeunes diplômés. Ces jeunes ont fait des études mais ne trouvent pas d’emploi. Ils se sont affiliés à un syndicat, l’Association des jeunes licenciés. Immédiatement, la foule s’est mise en mouvement. Au port, ils ont barré le long mur de l’embarcadère, bloquant ainsi nonante camions réfrigérants. Ceux-ci venaient d’être chargés de sardines fraîches et se tenaient prêts à partir pour le nord. Ce n’était pas la première fois que les gens d’Ifni menaient des actions. Ils savaient comment s’y prendre. Ce jour même, ils faisaient parvenir leurs revendications aux autorités provinciales, à Tiznit. Ils voulaient du travail dans leur propre région et exigeaient que les sardines fussent mises en boîte sur place au lieu de les acheminer vers les usines d’Agadir ou de les exporter vers l’Espagne.

Sidi Ifni est pressuré. La région se situe au bord du Maroc et les villes du centre en emportent la richesse.Et la situation n’a pas changé depuis l’époque coloniale. Longtemps, Sidi Ifni a été une enclave espagnole.Jusqu’en 1969, la ville a été soumise à l’administration coloniale espagnole. Autour de la Plaza Espana, quelques bâtiments de style Art déco mauresque sont demeurés intacts. Certains habitants de la ville pensent avec nostalgie à cette époque coloniale, quand cela se bousculait à l’aéroport et que le commerce était florissant, entre autres avec un autre territoire espagnol comme les îles Canaries. Le commerce tournait autour du poisson. L’Espagne n’avait investi à Sidi Ifni que pour en emporter facilement le poisson. L’administration coloniale avait fait construire deux tours colossales en béton à l’entrée du port, sur des socles qui s’enfonçaient à 150 mètres de profondeur en mer. Les tours étaient reliées à la terre ferme par un téléphérique. La tour la plus proche du littoral est toujours plus ou moins intacte. Au pied des tours, on déchargeait les marchandises espagnoles et elles étaient amenées à terre par le téléphérique. Le poisson de Sidi Ifni faisait le trajet inverse pour être chargé dans les navires espagnols et être exporté, naturellement.