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En 2020, à la sortie du confinement, un licenciement brutal pousse l’auteure à un face-à-face avec elle-même. Plus de décor, plus d’excuses : juste la confrontation avec ses contradictions, ses doutes et ses élans de vie. Ces chroniques racontent un voyage intérieur – chaotique, drôle et parfois douloureux – qui fait émerger une femme plus libre et plus authentique, au milieu du vacarme des injonctions sociales.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Émilie Outalia a grandi dans un environnement où la performance primait sur les émotions et où le rêve était mis de côté. La lecture était son refuge, préservant son imaginaire face aux attentes extérieures. Écrire son histoire a été une rencontre avec elle-même, une réconciliation avec les parts d’elle enfouies. Aujourd’hui, elle choisit de les laisser s’exprimer pleinement.
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Seitenzahl: 241
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Émilie Outalia
Chroniques d’une pétasse accomplie
Roman
© Lys Bleu Éditions – Émilie Outalia
ISBN : 979-10-422-8987-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mon premier fils,
À Lucien,
À nos presque dix-huit années de vie commune,
Tu auras attendu l’arrivée de ton petit frère
pour lui passer le flambeau,
Merci pour tout cet amour,
pas toujours silencieux, que tu m’as offert.
Devenir la meilleure version de vous-même s’accompagne de nombreux adieux.
« Mais quel bel enfoiré ! »
Voici les premiers mots qui me traversent l’esprit lorsque la porte de l’hôtel dans lequel mon rendez-vous vient d’avoir lieu se referme lentement derrière mes pas.
Spectatrice de la pluie battante qui tombe depuis le petit matin, je profite de l’abri que me confère ce gigantesque porche d’entrée pour me rouler une cigarette qui, je l’espère, sera source de réconfort.
Alors que, les mains encore moites d’agacement, je fouille frénétiquement mon sac à main dernier cri, à la recherche de mon tabac, je tente d’évaluer la distance qui m’éloigne de ma voiture, garée sur le parking de l’hôtel, face à moi. Le nombre de mètres durant lesquels je devrai retenir ma respiration et courir avec l’agilité nécessaire pour éviter une chute au milieu des flaques d’eau, formées par la pluie.
Il me sera clairement impossible de passer entre les gouttes et de ne pas me mouiller. D’une part, car ces dernières sont bien trop nombreuses et d’autre part, car la téléportation n’existe que dans les films de superhéros.
C’est un jeudi. Le mois d’octobre est déjà bien entamé, il est presque onze heures du matin et je viens de vivre un échange aussi tumultueux que lunaire avec celui qui va bientôt devenir mon ex-boss.
Alors que, après deux mois de total confinement, le monde entier vient de traverser des temps difficiles suite au Covid, l’heure des restrictions budgétaires et de la coupe de masse salariale est venue.
Mon boulot consiste à piloter une quinzaine de magasins de fringues, appartenant à un puissant groupe emblématique français. Mon rôle est de manager les presque deux cents personnes qui y consacrent un temps précieux, en les ouvrant chaque matin et les fermant chaque soir, afin d’y accueillir une clientèle de plus en plus déchaînée et usée, par les nombreuses restrictions du moment.
En tant que bonne élève, et du haut de mes trente-quatre ans, j’ai donc sagement appliqué les décisions prises par ma hiérarchie, qui me valent aujourd’hui l’occasion d’observer le déluge qui s’abat sous mes yeux.
En effet, après presque deux ans de bons et loyaux services, on me reproche des failles dans mon organisation, ayant entraîné une baisse du chiffre d’affaires. Ce qui, au regard des grands manitous bien-pensants, justifie une convocation à un entretien préalable au licenciement.
Mais comme chaque histoire, celle-ci revêt deux versions et vous venez d’en connaître la première.
Au fur et à mesure que je m’évertue à remuer mon sac, les idées se bousculent dans ma tête et ma colère grandit. Avec agacement, je suis contrainte d’admettre que, dans la précipitation de ma préparation matinale et sûrement, la tête déjà ailleurs, j’ai oublié mon tabac chez moi.
C’en est trop.
Je décide alors d’agripper ma besace bien fermement, et de foncer vers mon SUV, sans me soucier du brushing que j’ai soigneusement réalisé quelques heures plus tôt, après avoir avalé mes œufs brouillés au petit-déjeuner.
Les cheveux trempés et sentant le chien mouillé, je roule abasourdie, déboussolée, repensant aux mots qui se sont échangés dans ce hall d’hôtel aussi gigantesque que froid.
La simple pensée de perdre mon boulot me traumatise. Je vais évidemment devoir renoncer à un salaire plus que confortable qui me confère une situation enviable de beaucoup. Mais je suis bien loin, à cet instant-là, d’imaginer le chamboulement qui va s’opérer en moi durant les prochaines semaines.
Quelques minutes plus tard, je pousse la porte de mon coquet appartement, situé dans un quartier quotté de la ville rose, Toulouse.
Parquet ancien, plafond haut, déco design et chaleureuse aux allures de cocon. J’ai aménagé cet espace quelques années auparavant et j’adore ce que j’en ai fait. Un havre de paix.
Alors que je prends place sur le canapé et allume machinalement la télévision, je laisse un mélange de sentiments angoissants prendre possession de moi : peur, colère, injustice, révolte. Je caresse le ventre bien rond et tout chaud de Lucien, mon fidèle compagnon couleur ébène âgé de quinze ans, champion toutes catégories confondues de ronrons, et meilleur anxiolytique du monde, en m’efforçant de garder mon sang-froid.
Les yeux dans le vide, la traduction de mes émotions se transforme peu à peu en larmes. Aussi nombreuses que les gouttes de pluie, que j’observe au travers des trois fenêtres qui ornent les murs de mon salon.
Incapable de penser objectivement, dépourvue de raison et noyée dans un mélange de détresse et d’impuissance, je me dirige en direction de la cuisine. J’ouvre une bouteille de vin et roule un joint d’herbe qui, je l’espère, vont me permettre d’y voir plus clair.
Il existe un mal bien présent lorsqu’on est une femme déterminée et de convictions au XXIe siècle, notamment depuis quelques années, que nous nommerons le besoin de prouver.
À cela, je prends le temps de retirer mon chapeau quelques instants, pour remercier celles qui ont eu le courage de s’asseoir là où bon leur semblait dans un bus, ou de défendre le droit de choisir ce qu’il pouvait naître ou pas à l’intérieur de nous.
Je ne sais pas vous, mais durant mon enfance, on m’a inculqué pas mal de notions : gagner de l’argent, être une femme indépendante, subvenir à mes besoins en toute autonomie…
En gros, ne pas finir caissière dans un supermarché, ce qui aurait été la honte ultime de mon père. Mais aussi ne pas dépendre d’un gros lard qui m’empêcherait d’être la personne que je suis. Ça, ç’aurait été ma honte à moi, mais les deux sont indéniablement liées.
Personne ne pourrait s’en douter en me voyant, mais pendant longtemps, j’ai agi en fonction de ces idéaux, de ces notions que l’on m’avait délicieusement introduites en tête.
J’ai accepté d’entrer dans les clous, quelquefois sans aucune résistance. J’ai renoncé à des bonheurs pourtant évidents, en me persuadant que la majorité l’emportait sur la conviction.
Pourtant, l’heure du réveil a sonné. Ce fucking entretien de licenciement me met clairement hors de moi et l’injustice que je ressens me laisse apercevoir l’extrémité d’un fil rouge qui se déroule depuis trop d’années.
On entend souvent dire qu’un battement d’aile de papillon peut engendrer des effets incroyables à l’autre bout du monde. Et je n’ai jamais trop pris le temps de projeter cette phrase, pour vraiment en comprendre tout le sens.
La journée pluvieuse, le hall d’hôtel glacial et l’état léthargique de ma personne qui s’en est suivi en revêtent tous les aspects.
Un souvenir me vient en tête qui illustre parfaitement cet effet papillon que je vous partage. J’ai appris à faire du vélo à l’âge de sept ans (il s’agissait là d’un vélo de grands, un de ceux sans roulettes), sur un terrain de pétanque, sur lequel mon père nous amenait ma sœur et moi.
Lui jouait avec ses amis pendant que nous nous exercions juste à côté, à trouver le meilleur équilibre qu’il soit pour filer en rythme de croisière sur nos bolides.
Les rares fois où je suis parvenue à me tenir droite, à avancer sans dandiner, et en me disant que ma réussite n’était pas un coup de chance, mais le résultat de longues heures d’entraînement, mon père ne les a pas remarquées.
Cela a cependant amorcé en moi un besoin latent, bien dissimulé derrière le sourire et l’insouciance de l’enfant que j’étais…
Quelques jours plus tard, je reçois la notification de mon licenciement. Une belle et grande enveloppe en kraft marron, remise en mains propres par mon facteur, un homme rondouillard et charmant, à qui j’aurais volontiers claqué le beignet à ce moment-là…
Je m’y suis préparée et ai eu tout le loisir d’envisager les changements que cela incombera durant mes fréquentes insomnies.
Étrangement, je suis plus préoccupée par la baisse de revenus qu’engendrera la perte de mon job, que par le chemin que je choisirai d’emprunter, une fois cette douloureuse page tournée.
Comme l’on dit souvent, c’est au pied du mur que l’on voit mieux le mur !
C’est ainsi que, toujours habitée par la peur, qui, pourtant, je le sais, est très mauvaise conseillère, je décide de prendre le temps de réfléchir à ce que je vais faire de ma vie. Exit le boss lâche et crapuleux et welcome à la découverte de nouveaux horizons. Sans avoir la moindre idée du comment, je choisis de partir à ma rencontre, de me découvrir, de m’accepter et de me réaliser.
Depuis trop d’années, je me suis adaptée à ce que chacun attend de moi, en faisant l’impasse sur ce qui m’anime vraiment. À tel point que je n’ai aucune idée de ce que j’ai envie de faire à présent.
En revanche, je décide que le moment est venu de troquer mon précieux et luxueux cocon pour un appartement en centre-ville, plus sombre, plus petit et dans lequel je dépense une énergie folle pour m’y sentir bien.
À grands coups de peinture et d’achats de petits bibelots aux fulgurantes allures de renouveau, je me façonne un nouveau nid qui, dans le plus grand des silences et en toute ignorance, va me permettre de couver le début d’une nouvelle histoire. Celle avec moi-même.
Les aurevoirs avec mon SUV signent le dernier acte de renoncement avec le matérialisme de ma vie d’avant. En effet, je fais l’acquisition suite à cela d’une toute petite voiture ressemblant à celles sans permis !
Il faut que vous sachiez que je me suis mise au footing quelques mois plus tôt, durant le confinement. Et courir dix kilomètres un jour sur deux est devenu un rituel que je ne manque jamais. Encore maintenant.
La plupart du temps le matin, après avoir avalé deux cafés accompagnés de deux clopes, le p’tit-déj idéal lorsqu’on ne s’appelle pas Marie-José Pérec ! J’enfile alors mes baskets et sors avaler ma chère ville rose.
Le terme « avaler » est cruellement parlant de réalisme. Sans savoir quel sera mon parcours, les écouteurs bien enfoncés dans mes oreilles, je laisse défiler aléatoirement toutes sortes de playlists. Je savoure la beauté de chaque rue, chaque arbre, chaque pont, en me nourrissant de ce que le dépassement de moi-même me procure : liberté, puissance et contrôle.
Lorsque je retrouve mon appartement, toute dégoulinante de sueur après l’effort, j’ouvre une bière, allume une clope et attrape mon PC afin de coucher mes pensées par écrit. Je ne ressens aucunement le besoin d’ingurgiter quelque chose de solide, car tel que mon vieil oncle disait : « une banane égale un bifteck, un bifteck égale une bière. Avec trois bières, j’ai fini de manger ».
L’air frais, le vent dans mes cheveux remontés en queue de cheval et me fouettant la nuque, ainsi que les endorphines que je libère à chaque foulée, font ressurgir en moi des pensées bien enfouies ces dernières années. Mon cœur se retourne et mon souffle s’accélère. Ça devient vital, il faut que ça sorte !
C’est alors que vous êtes apparues.
Tandis que l’automne s’affirme franchement, que la situation sociale dehors devient tendue et que la mienne prend un chemin aussi inconnu qu’inquiétant, je décide de me livrer à vous.
Je choisis de vous appeler « vous », car sans savoir qui vous êtes, j’ai aussi le droit de rester anonyme.
Anonyme donc honnête, sans rôle à jouer ni preuve à faire.
Alors voilà, je m’appelle Émilie, j’ai trente-quatre ans, et comme grand nombre d’entre vous, je suppose, je cherche ma place dans ce monde.
Pour cela, je décide d’écrire. De trouver une échappatoire plus intellectuelle que peuvent l’être ma bière et mon joint d’herbe, qui ne sont au final qu’un piètre refuge, mais qui, pour autant, restent bel et bien présents dans mon quotidien.
Je ne sais pas vous, mais je me dis souvent que chaque chose a une place et un rôle sur notre planète : les arbres, les animaux, les insectes, les humains.
Mais lorsque l’on dissèque chaque espèce, on s’aperçoit bien que certaines sont soit inutiles, soit antipathiques. Nous avons toutes été confrontées au cas d’une espèce de fourmi volante à six pattes, qui a fermement décidé de plonger dans notre décolleté, alors que nous dégustons un succulent cône pistache chocolat !
Pourquoi fait-elle cela ? En a-t-elle besoin ?
Ceci est exactement le sens de ma pensée. Pourtant, je suis bien loin d’être une philosophe. Qui de l’œuf ou de la poule est venu le premier, pour tout vous dire, je m’en fiche !
Tout comme vous certainement d’ailleurs, je ne fais que m’interroger.
Enfin ! Ce que je tente d’exprimer, c’est que, dans notre quotidien, c’est exactement la même chose. Nous faisons face à toutes sortes d’attaques indirectes, et il nous faut régulièrement choisir entre capituler ou lutter.
Quel est le rôle de la femme aujourd’hui ?
Pourquoi certaines d’entre nous agissent-elles avec la même fermeté que les hommes ? Et surtout, pourquoi cela n’est-il pas perçu du même angle de vue ?
Auparavant, nous le savions ! Faire en sorte que l’intérieur de monsieur et de sa progéniture soit propre et que le repas soit chaud lorsqu’il rentre de sa journée de boulot… Et surtout, mais surtout, que nous soyons enclines à satisfaire ses besoins. Les règles d’autrefois étaient clairement établies.
Notre société n’a cependant pas pensé aux dérives de ses desiderata.
Elle n’a d’ailleurs pas conscience de la vendetta interne qui risque de se jouer suite à une telle soumission.
Qu’allons-nous faire à présent des femmes issues de ce mood ?
Celles à qui il a gentiment été suggéré d’être obéissantes, tout en gardant le silence ?
Pour ma part, je ressens cette nécessité de ne pas me taire. Je n’ai jamais été battue, harcelée ou dans le besoin, mais, en dépit de cela, j’ai un paquet de choses à vous raconter, car des fourmis volantes à sixpattes, j’en ai croisé quelques-unes.
Laissez-moi vous expliquer…
Je suis née dans une famille dont le père est pied noir. Et bien que la religion n’ait jamais eu de place dans la tribu que nous formions, ma sœur, mes parents et moi, la position de la femme était tout de même toute vue. Mais ça, je ne l’ai réalisé que plus tard.
Enfant, il était tout à fait normal pour moi d’observer ma mère cuisiner pendant que mon père buvait son Pastis en regardant les infos locales. Ma sœur et moi mettions toujours la table et la débarrassions.
Ma mère faisait le ménage et repassait, alors que mon père s’occupait du bricolage. Chacun des deux s’obstinait à s’enterrer dans les rôles qu’ils s’étaient attribués, en ignorant qu’aussi inconsciemment que subtilement, c’était le modèle de vie qu’ils inculquaient à leurs deux filles.
Il faut aussi que je vous dise que, bien qu’ayant passé presque trente ans de leur vie ensemble, mes parents se sont séparés lorsque j’avais vingt-cinq ans, suite à de longues années de mépris et de silence l’un pour l’autre. Je n’ai aucun foutu souvenir d’un geste tendre, d’un sourire, d’un baiser ou du moindre élan de complicité les reliant l’un à l’autre. Avec du recul, je trouve cela carrément ouf !
De mon côté, enfant, j’ai développé un caractère sensible, extraverti et entier. Cela échappait à la toute-puissance paternelle qui a engendré tous les moyens possibles pour le diminuer, et le façonner en ce qu’il pensait être bon pour moi.
Ma mère, quant à elle, n’a jamais eu le courage de dire un mot face à cela. Elle s’est tue et a accepté l’injuste spectacle qui se jouait sous ses yeux.
Était-ce de la lâcheté de sa part ? Du manque de discernement ou simplement de la bienveillance parfaitement dissimulée ? Je n’en sais rien.
Mon père, au travers de sa dureté et de son exigence, croyait dur comme fer me pousser vers l’excellence en agissant ainsi.
En tant qu’ado, j’ai souvent souhaité autre chose que cet enfermement qui était mon quotidien, me sentant indéniablement incomprise de ceux qui m’avaient pourtant donné la vie.
J’avais besoin d’espace et de liberté. J’avais besoin qu’on me laisse l’opportunité d’être moi, de m’exprimer, tant dans les rires que dans les pleurs.
L’éducation que m’ont donnée mes parents m’en a hélas privé. Et les fois lors desquelles je me suis laissée aller dans la traduction de mes émotions m’ont valu les qualificatifs de folle, d’abrutie, débile ou de grosse vache.
Encore aujourd’hui, je ne sais pas si le problème résidait dans l’inadéquation de nos caractères, ou dans le manque de communication qui caractérise ma famille encore aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas convaincue que l’emploi de mots considérés de nos jours de « cailloux » soit bénéfique dans le développement d’un enfant.
C’est plus fort que moi, mais je reste persuadée qu’avec de la discussion, des arguments, des exemples, l’enfant que j’étais aurait fini par comprendre leur position et trouver comment s’adapter à leur éducation tout en conservant cette sensibilité débordante.
Puis j’ai toujours été cruellement utopiste, forcément, cela n’aide pas à faire preuve d’objectivité.
Pourquoi n’avais-je pas le droit, lorsque j’étais ado, de mettre du noir sur mes yeux ? De voir mes amis hors de l’école passer dix-huit heures ? De pleurer lorsque j’étais triste sans être moquée ? De rire aux éclats en public (oui, mon rire est plutôt bruyant) ? Enfin, d’être moi-même ?
Simplement, car j’étais une femme en devenir. Et que soucieux d’agir pour mon bien-être, mes parents m’ont élevée en pensant me protéger de cette société féroce, dans laquelle je me suis développée. Ils n’ont cependant jamais envisagé l’importance de me protéger de moi-même.
Il me semble que nous avons toutes un instinct de survie, plus ou moins développé, je vous l’accorde. Celui-ci se matérialise d’ailleurs de différentes façons.
Moi, à ce moment-là de ma vie, alors que je soufflais mes dix-huit bougies, j’ai choisi de me réfugier dans l’outrance. L’indépendance une fois gagnée, avec tous les travers qui l’accompagnent, les études, le travail saisonnier, la fête et les relations subjectives dans lesquelles je trouvais une délivrance.
Ce qu’il faut savoir, quand on est une jeune femme livrée à soi-même dans son développement, et que notre leitmotiv est la réussite, c’est qu’on oublie toute forme d’introspection.
On est en effet animée par une sorte de soif insatiable. Rien à voir avec celle du sportif qui rentre d’un entraînement, ou celle d’un routier polonais qui passe à table. Il s’agit de la soif de vivre.
Car la seule question qui vous taraude est de savoir si vous êtes réellement vivantes. Si vous vibrez de façon intense et continue, et si les conséquences des excès qui peuplent votre quotidien vous ramènent tellement fort à la réalité, qu’elles vous donnent envie de les refaire encore et encore.
C’est à ce moment-là que Milouch est née.
Attendez, je vous la présente !
Milouch, c’est le surnom que m’avait donné Sophie, une copine du lycée.
Ma mère la détestait d’ailleurs, et je ne comprenais pas pourquoi à l’époque.
À présent, les verres de mes lunettes sont bien propres et ma vision est claire. Je parviens donc parfaitement à comprendre les réticences passées de ma mère à l’égard de Sophie.
Petite brune aux cheveux courts, coupe garçonne agrémentée d’une barrette pour maintenir un délicat soupçon de féminité, elle était libérée.
Fille de parents séparés, piercings au nombril et au nez, fumeuse de pétards. Je l’admirais et elle me faisait me sentir forte.
Elle disait toujours ce qu’elle pensait avec un petit air narquois, mais accompagné des meilleures politesses du monde. Elle était maligne, audacieuse et jolie. Et j’avais envie de lui ressembler pour ça.
Sophie et moi nous sommes perdues de vue très rapidement, mais de ce qu’elle a fait naître en moi, Milouch est restée. D’année en année. Les études supérieures, le boulot, la vraie vie d’adulte. Celle qu’on envisage, mais pour laquelle on reporte en permanence l’entrée…
Jusqu’à aujourd’hui, Milouch est restée.
Ce que vous devez comprendre ici, c’est que la grande sensible que j’étais, la rêveuse, l’extravertie, l’enfant serviable et obéissante, celle qui devait répondre à ce que l’on attendait d’elle sans jamais tortiller du cul ni ouvrir la bouche… La petite Émilie a trouvé une alliée en Milouch, et a préféré lui faire de la place, car c’était moins dur ainsi.
Moins dur ou plus facile. J’hésite. Cela ramène à cette notion du fichu verre d’eau (perso, je préfère la bière !) que l’on choisit de voir à moitié vide ou à moitié plein.
Lorsque je repense à ces années, je ne suis pas très fière de la personne que j’étais. Et je ne sais pas si je la juge avec sévérité à tort ou à raison.
Car quand Milouch a pris le dessus sur Émilie, notamment durant ses trente glorieuses (oui, la décennie qui a suivi l’année de ma majorité revêtait pour moi les apparences de cette majestueuse période), je suis devenue une personne égoïste. Pas à première vue, car j’étais matériellement généreuse avec les autres, mais je ne savais cependant jamais rien donner de moi-même. De ce que j’avais réellement, au fond de moi.
Pourquoi Milouch agissait-elle ainsi ? Sûrement pour se protéger de tout investissement émotionnel qu’elle ne se sentait pas apte à gérer. Car le temps et les casseroles qu’elle traînait lui avaient appris à se couper des émotions qu’elle n’était pas en mesure de maîtriser, et/ou qui englobaient un sentiment non contrôlé. Tel que l’amour, la colère, la tristesse ou la déception.
Tout n’était alors qu’apparence. Je reproduisais le schéma dans lequel j’avais trouvé un modèle plus jeune, au contact des mots et des comportements qu’ont eus mes parents à mon égard. Et étant donné que je réussissais ainsi, je continuais sans me poser de questions. Jamais.
Avez-vous déjà été entraînées dans une spirale infernale ? Vous savez, le genre de truc dans lequel on plonge la tête la première, sans jamais vouloir s’arrêter tellement c’est enivrant ?
Mieux qu’un plateau de fromages avec du vin rouge, mieux que le Dragon Khan à Port Aventura, mieux qu’un pétard d’herbe avant d’aller se coucher après une soirée bien arrosée. Mieux qu’un 18/20 en sciences éco après avoir triché au contrôle, mieux que le grain de beauté de Cindy Crawford, mieux qu’une connexion 5G au milieu de la campagne, mieux qu’un orgasme. Mieux que tout.
Le sentiment de toute-puissance, c’est tout ça en même temps. C’est croire que la vie t’appartient. Que tu peux conquérir tous les royaumes de Game Of Thrones et t’en sortir indemne, car avec ta seule volonté, tout ce que tu souhaites finira forcément par se réaliser.
Je me demande à quel moment cela s’est arrêté ? Savez-vous à quel moment vous avez cessé de croire que tout était possible ? Est-ce d’ailleurs à ce moment-là que nous sommes devenues adultes ?
La vie est riche d’imprévus, tels que le licenciement que je suis en train de vivre ! Et seule compte la façon dont nous décidons de les traverser. Elle est également peuplée de bonnes rencontres évidemment, mais aussi de rendez-vous manqués.
J’imagine que vos profs d’histoire ressemblaient de près ou de loin à ceux que j’ai moi aussi connus. L’un d’entre eux répétait souvent « qu’avec des si, nous pourrions refaire le monde ».
Le truc, c’est que nous nous employons fréquemment à répéter cette image : si j’avais eu cela, si cela n’était pas arrivé, si je n’avais pas dit cela… » Mais, en réalité, les choses ne s’écoulent pas de façon si limpide.
À tort, mais de façon tout à fait inconsciente, nous pensons souvent qu’il n’existe qu’une seule et unique vérité. Celle que l’on qualifie d’universelle et qui colle parfaitement avec la bienséance que l’on a assimilée depuis l’enfance.
Mais la majorité l’emporte-t-elle systématiquement sur la conviction ? Existe-t-il des cas à part ? Un peu comme les exceptions qui justifient certaines règles ?
Nous avons toutes appris sur le bout des doigts que tous les mots au pluriel se terminaient par un S, sauf : choux, hiboux, genoux, cailloux, poux…
Alors, sommes-nous forcément des poux lorsque nous ne satisfaisons pas une règle commune ?
Plus vous restez longtemps dans le mauvais train, plus il vous coûtera cher de vous réparer.
Les journées raccourcissent au fur et à mesure que l’hiver pointe le bout de son nez. Les feuilles aux arbres ont adopté une couleur marron, et très peu d’entre elles restent accrochées à leur branche.
C’est surprenant de constater que, sans une activité régulière qui rythme mon quotidien et occupe mon esprit, je suis attentive aux petites choses que la nature nous offre en spectacle.
La nuit tombe de plus en plus tôt, pour finir par s’installer complètement un peu avant dix-sept heures, lorsque le temps est à l’orage.
Les fêtes de fin d’année arrivent à grands pas. Et le seul cadeau que je souhaite recevoir de la part du vieux barbu habillé en chaperon rouge est des réponses à mes questions, afin de trouver ma direction sur le chemin du reste de ma vie.
La digestion de mon licenciement vient à peine de débuter. Tous mes organes mettent du cœur à l’ouvrage pour en accélérer le processus. Tels les joueurs musclés et téméraires d’une équipe de rugby, se donnant à 1000 % pour franchir la ligne des vingt-deux dans une mêlée fracassante, chaque partie de mon être se débat pour trouver un peu de lumière au milieu des sentiments colériques qui habitent mon esprit.
Car il faut l’avouer, je suis sacrément remontée et très contrariée en constatant que, sans mon boulot, je rencontre des difficultés à envisager des perspectives factuelles. Ou en tout cas un semblant de ligne conductrice.
Mon boulot est devenu mon identité.
Cela fait dix ans que je me tue à la tâche. Évoluant et changeant de poste presque tous les ans, en déménageant aux quatre coins de la France afin d’enchaîner les promotions.
C’est ainsi et je dois l’admettre. Je viens de passer une décennie dans le rôle de la blondinette aux yeux bleus, brushing toujours impeccable, maquillage assorti à ses tenues vestimentaires, manucure irréprochable. La directrice régionale qui sillonne son secteur au volant de sa prestigieuse voiture, passant trois nuits par semaine à l’hôtel, et profitant de ses week-ends pour ingurgiter un maximum d’alcool, dans la bulle de décompression que lui offrent ses amis.
Pourtant, je ne suis à présent plus celle-ci et je l’ai, en partie, décidé.
Je crois d’ailleurs que c’est l’acceptation de cela qui me rend la tâche si délicate. Comment se créer de nouveaux rêves si l’on ne se reconnaît plus ?
Sommes-nous forcément condamnées à nous adapter, à nous transformer, à biaiser ce que nous croyons être authentiques en nous, pour nous conformer à une société tellement malade ?
D’autant que, je ne suis pas certaine que ce soit un signe de parfaite santé psychique, que de s’adapter aux desiderata d’un environnement bancal.
L’égoïsme de certains, de nos chers politiciens, de mes boss, de quelques membres de ma famille, me donne clairement la nausée. Je ne me retrouve pas au milieu de tout cela. Je ne souhaite y jouer aucun rôle et ne me sens concernée par rien. Rien du tout.
Quelquefois, cela me confère un sentiment de honte. Car je suis française et je suis aussi la fille de mes parents. Mais à bien y réfléchir, cela m’est égal. Et je ne veux plus me forcer ni enfiler de masque pour satisfaire les envies des uns et les autres.
Mais pourquoi, dans certains moments, ces mêmes pensées me remplissent-elles le cœur de tristesse et arrosent-elles mes joues de larmes ? Est-ce à nouveau le combat que mène Milouch face à Émilie qui se dispute à l’intérieur de moi ? Qui pointe du bout de son doigt, l’incroyable inadéquation entre vouloir et pouvoir ?
D’ailleurs, j’ai davantage l’impression que c’est Émilie qui se bat contre Milouch en ces moments, et non l’inverse. Car Milouch a su créer une dépendance vis-à-vis de certains raccourcis pour se sentir bien, et c’est son principal moyen de pression face à Émilie qu’elle invoque perpétuellement.
