Citoyens paysans en Creuse - MARYSE BOUZET - E-Book

Citoyens paysans en Creuse E-Book

MARYSE BOUZET

0,0

Beschreibung

Après la vie d’un potier au XVIIIe siècle, se basant sur les archives, MARYSE BOUZET donne vie aux hommes qui ont fait l’apprentissage de la citoyenneté pendant la Révolution française et au cours des époques qui ont suivi.
À partir de 1789, le paysan passe de l’état de sujet à citoyen. Découvrant la démocratie, il apprend à gérer la commune en suivant les directives des dirigeants nationaux et départementaux. Les institutions sont en constante mutation dans une période où les aléas climatiques, gelées, canicules, grêles destructrices, provoquent d’importantes famines. Quelques décennies plus tard, les géomètres, chargés de l’établissement du cadastre, proposent des groupements de communes. La partie de la population qui espère le plus de ses unions, en attendant parfois des prodiges, est la plus rapidement déçue.


À PROPOS DE L'AUTRICE


Après une vie professionnelle au service des collectivités territoriales et de l’intercommunalité, MARYSE BOUZET se consacre entièrement à sa passion, l’écriture, maniant divers genres : théâtre, poésie, romans et documentaires en fonction de son inspiration. Le Baron potier est son dixième roman. Elle vit à Mortroux (23). 

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 222

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



www.gesteditions.com

© – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

Maryse BOUZET

citoyens paysans en creuse

Par le même auteur

Éditions Les 2 Encres

Sans moi, roman, 2009

La Hutte de Brigit, roman, 2010

Éditions Terriciae

Le Testament, roman, 2011

Des bleus au cœur, roman, 2012

Le cœur de Pandore, théâtre, 2013

Éditions Marine Elvin

La Mandragore, roman, 2014

Un contrat de mariage idéal, théâtre, 2015

Tribulations, nouvelles, 2015

Commune nouvelle – Vade-mecum, documentaire, 2016

Le mystère du saut de la Brame, roman, 2017

L’arbre de Sabine, théâtre, 2017

Le mari idéal de tantine, théâtre, 2017

Poly-tiquons, poèmes, 2017

Les filles de la Damone, roman, 2018

Ah musons-nous, versification, 2019

Melpomène, textes à chanter, 2019

… Et la femme créa Dieu, nouvelles, 2019

Il était une fois Mortroux, documentaire, 2022

Les Terrouses et les Terroux, documentaire, 2022

Éditions Encre Rouge

Vu avec la Présidente, roman, 2019

Éditions La Geste

Une vie pour un domaine, roman, 2021

Le Baron potier en Creuse au xviiie, roman 2022

« Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous,

demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays. »

John Fitzgerald Kennedy

Avant-propos

Les généalogistes amateurs sont de plusieurs sortes. Il y a celui qui demande à consulter un registre et refuse de s’asseoir « Non. Je n’en ai pas pour longtemps ! » et ceux qui savent qu’ils n’en auront jamais terminé, car un acte d’état civil, comme celui des registres paroissiaux, en dit beaucoup plus que le scribe n’en a noté. Madame Campretti était de la seconde sorte.

Lorsque je l’ai rencontrée, elle était déjà remontée jusqu’à son aïeul Simon Labernardière, né deux siècles avant elle. Elle en connaissait plus sur lui que s’il lui avait raconté sa vie au cours de longues veillées. Elle avait patiemment parcouru les archives creusoises, indriennes et même Loirétaines. Elle avait usé de patience et de perspicacité, car la date précise de la naissance de Simon est indiquée uniquement lors de son dernier mariage. La date et le lieu de son décès ne sont révélés qu’après une enquête minutieuse puisqu’il a déménagé quelques années avant de mourir.

Cette passionnée d’histoire m’avait conseillé la lecture d’un livre écrit par Geneviève Millot À la conquête des cœurs et des boisselées, imprimé en mille neuf cent quatre-vingt-un dont le nom de l’éditeur ne figure nulle part, sous-titré « Un maçon de la Marche sur la terre Berrichonne (1734-1810) ». Quand, trois décennies plus tard, je me suis enfin décidée à l’acquérir, je l’ai trouvé sur un site de vente de produits d’occasion. J’ai choisi celui dont le prix était médian. Sur la première page figurait la dédicace suivante, datée du huit décembre mille neuf cent quatre-vingt-huit : « à madame Campretti qui a la Marche plein la tête… et plein le cœur. Je la comprends et partage. C’est pourquoi je lui dis ma fidèle amitié. »

C’est en pensant à cette femme dont l’esprit, où qu’il soit, communique avec le mien que j’ai décidé d’entreprendre la narration de la vie de Simon et de sa famille par alliance. Les faits historiques sont ceux figurant aux archives départementales. Les pensées, les conversations, la vie privée relèvent du roman, tout comme ses relations avec les cousins Renty.

Henri Renty et son fils, Jean-Baptiste, sont connus pour leurs poteries, dont les épis de faîtage qui ornent encore au xxie siècle les toits des maisons du nord du département de la Creuse et beaucoup d’autres pièces exposées au musée de Guéret. François et Silvain, dont la profession de potier est attestée dans les registres d’état civil, ont surtout laissé leur nom pour leurs fonctions électives.

Des hommes de ces deux lignées, plusieurs fois alliées par des mariages, ont été maires de la commune de Mortroux pendant près d’un siècle. Ce roman, spécialement dédicacé à la mémoire de madame Campretti dont je n’ai jamais su le prénom, traite de leur vie publique.

Dans cette partie du territoire français, située entre la langue d’oc et la langue d’oïl, les habitants s’exprimaient en patois et n’utilisaient pas le ne dans les négations. Pour faciliter la lecture et la compréhension, dans ce volume, les dialogues sont écrits en français et la forme négative est conservée dans son entier.

La généalogie des familles les plus importantes et la liste des personnes citées dans cet ouvrage sont reproduites en annexe, à la fin du livre.

1re partie

1 – Un remariage

Debout dans le cœur de l’église, Simon n’écoutait plus les psaumes du curé. Cette cérémonie lui en rappelait une autre célébrée dix ans auparavant, presque jour pour jour, dans cette église de Mortroux. Le premier février mille sept cent soixante-dix-neuf, il épousait Jeanne Coindat, fille d’un laboureur du village de la Marche.

Lui, Simon Labernardière, âgé de vingt-cinq ans, était déjà maître-charpentier. Il demeurait à la Brodière, paroisse de Lourdoueix-Saint-Pierre, avec ses parents et ses grands-parents maternels. Jean, son père, charpentier comme la plupart des garçons de sa lignée depuis plusieurs générations, avait quitté le hameau de la Bernardière, berceau de la famille à laquelle il avait donné son nom, pour aller vivre chez Marie Mercier, son épouse. Deux de ses frères avaient continué de travailler sur le domaine familial avec leur père.

L’hiver, quand Jean n’était pas sur les chantiers dans le Berry, il parcourait fréquemment la demi-lieue qui séparait les deux villages pour prendre des nouvelles des siens, les assister dans une tâche ou simplement échanger quelques informations. Simon l’y avait souvent accompagné, juché sur ses épaules ou son dos lorsqu’il était petit, puis marchant à ses côtés dès que ses jambes le lui avaient permis. Jean tenait à transmettre les connaissances et traditions familiales et surtout à faire connaître le nid d’origine de la famille afin que Simon n’oublie jamais ses racines. Le père y tenait d’autant plus que Simon était l’aîné des garçons. Deux filles étaient nées avant lui, la cadette ayant vécu seulement une année. Les filles ne comptaient pas. C’étaient les garçons qui donnaient leur patronyme à la descendance, qui travaillaient les champs ou partaient limousiner, qui commerçaient ou exerçaient une activité artisanale. C’étaient les garçons qui étaient importants.

Dès ses douze ans, Simon avait suivi Jean sur les chantiers et avait appris son métier. Chaque fois que le père était fier du travail du fils, aucune parole ne sortait de sa bouche, son regard suffisait à exprimer son contentement. C’était au retour de l’un de ces chantiers que Jean Labernardière et Gabriel Coindat, un compagnon maçon, étaient convenus de marier la nièce du second au fils du premier.

Les Coindat étaient reconnus depuis plusieurs générations pour leur activité de potier. Marc, le père de Gabriel, avait épousé Françoise Aléonard, fille de Georges, dont la réputation dans toute la Marche, le Berry et d’autres provinces encore plus éloignées, lui avait valu le surnom de « Baron potier1 ». Neuf enfants étaient nés de cette union. Pierre, l’aîné des garçons avait, comme le voulait la coutume, continué le métier de son père, Gabriel était maçon et Jean, le benjamin, était laboureur.

Simon se souvenait de son bonheur lorsque Jean lui avait accordé la main de Jeanne, sa fille unique, et du contentement encore plus grand lorsque devant le père Étienne Fayolle de Peyzat, la jeune fille avait prononcé timidement le « oui » qu’il espérait. Il avait alors tendrement serré la main de sa femme pour lui témoigner sa reconnaissance. Il était tellement heureux, en sortant de l’église au bras de son épouse, qu’il avait dû se retenir de crier sa joie.

Pierre, né en novembre de l’année suivante, n’avait vécu que quelques semaines. Jean, arrivé en octobre mille huit cent quatre-vingt-deux, se portait à merveille. Simon tourna la tête pour envoyer un signe complice à son fils qui se tenait droit entre ses deux grands-mères. Hélas, le bonheur ne s’attardait jamais durablement dans une famille, sur cette terre. Jeanne s’était envolée vers les étoiles en juillet mille sept cent quatre-vingt-quatre. Simon, limousinant les deux tiers de l’année, avait partagé seulement vingt mois de sa vie avec sa femme qui avait été inhumée sans qu’il puisse la revoir. Il n’avait pas songé, en la quittant au printemps, que leur au revoir était un adieu. Il avait tenté de l’oublier en s’appliquant à être le meilleur charpentier, tandis que ses beaux-parents élevaient l’enfant. L’effacement n’était pas venu. Si les souvenirs étaient plus lointains, le petit tiroir qui les contenait ne demandait qu’à s’ouvrir à la première occasion et à les déverser, laissant toujours un sentiment de mal être.

Les pensées de Marie Nicolas, la mère de Jeanne Coindat suivaient le même trajet que celles de son gendre. Elle se remémorait cette autre cérémonie, dix ans plus tôt. Pourquoi, eux, Jean et Marie n’avaient-ils eu qu’un seul enfant ? Pourquoi Dieu qui n’avait daigné leur envoyer pour progéniture qu’une fille la leur avait-il reprise si tôt ? Aussi loin que son regard se porte, Marie ne voyait que des familles nombreuses composées de garçons. Qu’avait-elle fait pour mériter cette punition ? Il ne lui restait que son petit Jean. Il faudrait en prendre soin de ce garçon. Elle lui serra fortement la main pour signifier à tous qu’il lui appartenait et qu’elle y tenait. Ah ! On lui prenait son gendre ! On ne lui prendrait pas son petit-fils !

Son gendre. On ne le lui prenait peut-être pas tout à fait puisqu’il venait de tourner la tête pour envoyer un clin d’œil à son fils.

Le sacristain agita la clochette ramenant Simon au temps présent, surpris de voir officier Pierre Baraudon, ce nouveau curé installé dans la paroisse depuis un peu plus de deux années. Son esprit s’évada à nouveau. L’ancien curé, qui desservait la paroisse jusqu’en mille sept cent quatre-vingt-six, pensait que ses paroissiens, surtout ceux du bourg, ne vivaient qu’en envisageant leurs intérêts, la plupart rusant avec finesse, flattant pour attraper l’autre, se moquant de lui ensuite et le ruinant s’ils le pouvaient. Les honnêtes gens sincèrement croyants et la grâce de Dieu le consolaient. Il avait connu des pères mauvais et leurs enfants bons. Il pensait que le temps et la patience provoquaient des changements heureux.

Simon n’avait pas remarqué de tels comportements. Son métier le tenait éloigné de la paroisse toutes les plus longues journées de l’année et ses compétences ajoutées à sa qualité de petit-gendre de Marc Coindat lui valaient un profond respect. Lorsqu’il était au pays, il n’hésitait jamais à prêter la main à ceux qui en avaient besoin, à la Marche, ce petit village de la paroisse de Mortroux qui se nommait comme la province, pour les mêmes raisons2. Il s’était lié d’amitié avec Étienne Renty, un voisin maçon, limousinant lui aussi, qu’il appréciait et avec lequel il partageait beaucoup de points communs. Au cours des veillées, ils échangeaient sur leurs réalisations professionnelles en tressant des paniers, réparant du mobilier, ou construisant des sièges, concourant amicalement à la plus extraordinaire et la plus rapide exécution. Simon estimait aussi beaucoup Gabriel Renty, le père d’Étienne.

Gabriel était décédé au cours de l’été mille huit cent quatre-vingt-cinq. Aujourd’hui, Simon épousait Marie, sa fille, née de son second mariage avec Marie Clérambeau. Il ne se mariait pas pour qu’une femme puisse élever son fils qui, à presque sept ans, aidait à nourrir les animaux et aux travaux des champs. Il n’était plus vraiment une charge pour sa grand-mère, veuve depuis deux ans. Simon se mariait parce que Marie lui plaisait beaucoup. Son petit visage rieur, ses bouclettes qui s’évadaient souvent de la coiffe qui s’obstinait à les couvrir, sa vivacité l’avaient séduit depuis plusieurs mois. Il avait préparé sa belle-mère à l’idée de partager un gendre avec la famille Renty. Ces familles de potiers, liées corporativement, qui mariaient souvent leurs enfants entre eux, ne se refilaient pas aussi facilement un gendre. Simon avait dû évoquer l’éventualité puis la possibilité de l’union, pendant plusieurs mois. Il sentait la Marie opposée à ce mariage, surtout parce qu’il se faisait dans le hameau. Il était d’usage qu’un veuf se remariât. Souvent dans le village. Mais là, d’un coup, la jeune voisine était devenue la voleuse du bonheur que sa fille aurait dû avoir. Elle en ressentait une injustice d’autant plus grande qu’elle n’avait aucun autre enfant sur lequel fonder l’avenir familial. Heureusement que le petit Jean était là. Le charpentier avait promis de continuer de lui remettre chaque année une compensation financière en contrepartie de la nourriture et du logement de son fils, et de participer aux corvées.

La famille et les voisins se réunirent dans la grange des Renty pour y partager le repas de noces. La présence des animaux dans l’étable de l’autre côté de la mangeoire et le nombre de personnes présentes donnaient une agréable tiédeur. Les convives mangeaient avec appétit et les hommes, encouragés par l’alc∞l, plaisantaient bruyamment. Simon s’en voulait : il ne réussissait pas à être totalement présent à l’évènement. Sa mémoire lui renvoyait constamment des images de son premier mariage qui l’entraînaient vers son veuvage et le regret d’avoir été absent au moment du décès de Jeanne. Il était allé dans le cimetière dès son retour, sa curiosité avait été frustrée. Il n’allait pas déterrer son épouse. Même s’il l’avait fait, qu’aurait-il vu ? Un cadavre qui avait commencé de nourrir les animaux peuplant le sous-sol ! Il se répétait que s’il avait vu une dernière fois sa femme, s’il avait pu lui faire ses adieux, il aurait mieux supporté son départ. Il ne savait plus distinguer s’il s’en voulait d’avoir été loin d’elle au moment où elle avait eu le plus besoin de lui ou s’il lui reprochait d’être partie en son absence. Il aurait voulu qu’elle ne soit pas morte, qu’elle ait quitté le domicile pour le taquiner, qu’elle réapparaisse tout d’un coup. Il comprit qu’il n’avait jamais vraiment cru à son décès, qu’il ne s’était pas remarié plus tôt, espérant son retour. Cinq longues années s’étaient écoulées depuis son veuvage. Il devait se rendre à l’évidence : Jeanne dormait définitivement dans le monde d’où l’on ne revient jamais. Pourvu que Marie puisse lui apporter l’apaisement.

Simon emménagea chez les parents de sa seconde épouse, laissant Jean aux bons soins de sa grand-mère maternelle qui, comme ils en étaient convenus, continueraient de s’en occuper pendant qu’il limousinerait. Les deux maisons n’étaient séparées que de cinquante pas et Simon pensa que si par étourderie, un jour, il se trompait de ferme, il pourrait prétendre être venu prendre des nouvelles de son fils. Avec l’enfant, Marie Nicolas se sentait moins seule. Il pouvait l’aider et lui donnait un motif de survie. Le charpentier savait qu’il faisait une bonne action en laissant son fils chez Marie.

Dès le premier vol de grues passé, il repartit dans le nord du Berry, à la limite de l’Orléanais où il devait travailler toute la saison, avant de revenir à l’automne avec les oiseaux migrateurs. Les femmes des artisans qui limousinaient avaient coutume de nommer les grues « oiseaux de malheur » au printemps parce qu’elles emportaient avec elles leur homme et « oiseaux du bonheur » à l’automne parce qu’elles le leur ramenaient.

1. cf. Le baron potier, Maryse Bouzet, éditions La Geste, 2022.

2. La Marche désigne une zone intermédiaire entre deux territoires. La province de la Marche se situait entre les possessions des ducs d’Aquitaine, les comtes du Poitou et celles du roi de France. Le village de la Marche était à la frontière entre le Berry où on levait la gabelle et la Marche pays rédimé.

2 – Les états généraux

Louis de Poyenne, seigneur de Mortroux, décédé au milieu du dix-huitième siècle, avait eu quatre enfants. Florentine et Marguerite nées de son premier mariage avec Marguerite Esmoing, Charlotte et François nés de sa seconde union avec Anne de Saint-Julien.

François était décédé sans descendance. Deux enfants étaient nés du mariage de Charlotte avec Fiacre de Fricon. Nicolas assassiné avant ses trente ans et Françoise qui avait donné naissance à un bâtard dont le père, prétendait-on, était le charron, un mauvais bougre3. Lorsqu’il avait été adulte, en fonction de ses humeurs, cet enfant se nommait « Jean de Poyenne » utilisant le patronyme de son grand-père, « Jean Mounicat » usant du nom du mari de sa mère, ou « Jean de Mortroux » prenant le nom de la seigneurie. Celui-ci étant mort sans héritier, la châtellenie était passée à la branche des descendants de Marguerite de Poyenne, qui avait épousé Charles de Biencourt4.

Les roues du carrosse du marquis de Biencourt s’abîmaient rarement dans les chemins de la paroisse. Il possédait tant de fiefs d’Ahun dans la Haute-Marche à Azay-le-Rideau dans le Berry que Mortroux lui apparaissait plus comme une charge que comme un avantage. Le château était en mauvais état et les terres avaient souvent manqué de soins. Seule Marie-Pierrette de Boueix de Villemort, veuve de François II de Biencourt, dit « Marquis de Biencourt », mère de Charles, y vivait quelques mois chaque année.

Charles II de Biencourt, petit-fils du petit-fils de Marguerite de Poyenne, avait été successivement page des écuries de la Reine, sous-lieutenant dans la compagnie de Villiers, au régiment des Gardes-Françaises, premier enseigne dans celle de La Tour, colonel d’infanterie au régiment de Champagne puis à celui du Berry, chevalier de Saint-Louis, mestre de camp commandant au régiment d’Austrasie-Infanterie, brigadier. Depuis mille sept cent quatre-vingt-huit, il était maréchal des camps et armées du Roi.5

Lorsque le royaume, en mille sept cent quarante-trois et quarante-quatre, avait été en guerre contre la reine de Hongrie et ses confédérés, le blé avait été à un prix tellement bas, dix, douze et même treize sols, le boisseau, et quatre à cinq livres le septier, mesure de Guéret, que le peuple le gaspillait. De mille sept cent quarante-huit à mille sept cent cinquante-deux, il avait augmenté jusqu’à atteindre vingt sols et même vingt-cinq et vingt-six sols le boisseau. Le bon temps avait recommencé, tout était en abondance et les bestiaux se vendaient assez bien ; on ne voyait presque plus de pauvres en dehors de ceux qui suivaient les confréries. L’année mille huit cent cinquante-cinq avait été des plus abondantes. La dîme du curé s’était élevée à mille deux cents boisseaux, mesure d’Aigurande6, ce dont il se réjouissait. À partir de ce moment, si le temps n’était pas très bon, si la récolte n’était que moyenne ici, elle était meilleure ailleurs. Le blé noir7, les châtaignes, les fruits et le vin étaient abordables, tout le monde vivait aisément et tout se passait bien. La période allant de mille sept cent soixante-neuf à la moisson de mille sept cent soixante-et-onze avait été encore très dure. Le blé avait valu de trois jusqu’à cinq livres presque toute l’année mille sept cent soixante-dix, les moissons se trouvant fort ingrates. Les céréales récoltées étaient si mauvaises qu’elles incommodaient ceux qui en mangeaient. Elles les rendaient tout étourdis, sans forces et obligés de s’aliter. Une grande quantité de grains était pourrie, pourtant le blé coûtait très cher. Il n’abondait plus dans les marchés puisque les années précédentes avaient épuisé les greniers. C’est ainsi que l’année mille sept cent soixante-et-onze avait été très dure pour le peuple sans blé, sans argent et sans crédit. La plupart des familles ayant vendu ou engagé ce qui leur restait, avait beaucoup souffert de la faim. Le pauvre peuple avait été énormément éprouvé.Dans chaque paroisse, moins de dix maisons pouvaient faire la charité. Sans le Berry voisin, la plupart de la population serait morte de faim. Dans le même temps, d’importants bouleversements se produisaient. Le peuple, accablé d’impôts et sans justice, ne se sentait plus protégé par le roi.

À peine s’était-on remis de ces mauvaises années qu’on s’était vu réduit à la dernière misère. Les six premiers mois de l’année mille sept cent quatre-vingt-huit promettaient une heureuse récolte, quand un gros orage de grêle, en juillet, et des pluies continuelles sur la fleur du blé avaient anéanti la moisson. Le prix des céréales et du pain avait commencé d’augmenter lors des semis suivants. Les greniers étaient pleins, mais des blatiers attendaient une grosse élévation des prix avant de proposer la céréale dans les marchés où elle avait rapidement disparu, parce que d’autres l’avaient emmenée dans la province du Berry. En conséquence, le particulier ne pouvait pas, même avec son argent, s’en procurer.

L’année mille sept cent quatre-vingt-neuf avait été encore plus mauvaise que la précédente, elle avait débuté par un grand froid comme on n’en avait jamais senti, des neiges abondantes avaient recouvert le sol pendant plus de sept semaines. Le gel avait causé beaucoup de dommages aux ponts et aux arbres qui se trouvaient proches des rivières. L’épaisseur de beaucoup de glaçons approchait vingt-quatre pouces8, on en avait même vu de trente-deux pouces9. Ensuite étaient survenues des pluies mêlées de verglas qui avaient considérablement nui aux blés ensemencés ainsi qu’aux arbres fruitiers tels que les châtaigniers, les noyers… Au mois d’avril, le blé s’était encore une fois raréfié et enchéri. Le peuple souffrait énormément, ne trouvant ni grain ni crédit. Ce qui occasionna des rixes et des querelles qui troublèrent toutes les provinces du royaume. Le peuple s’attroupait et s’appropriait les céréales qu’il trouvait. Ni les honnêtes gens ni la justice ne pouvaient empêcher ces maux10.

Ces afflictions, survenant après les rigueurs des années précédentes, entraînèrent des mécontentements qui amenèrent la convocation des états généraux par le roi. Charles II de Biencourt fut l’un des deux représentants de la noblesse pour la sénéchaussée de la Haute-Marche, dans la généralité de Moulins, et Philippe-Sylvain Tournyol-Duclos, ancien président de l’élection11 de Guéret et receveur des fermes du roi, fut l’un des quatre représentants du Tiers état pour ladite sénéchaussée. Les pères des deux hommes étaient cousins et s’étaient longuement disputés pour un héritage.

Les paysans les mieux renseignés se demandaient si un descendant des Tournyol, possesseurs des seigneuries du Râteau et du Bois-Lamy, entre autres, conseiller du roi de surcroît, avait vraiment sa place au sein des représentants du Tiers état. Son plus grand défaut pour les Terroux12, plus que son activité de premier président receveur des fermes du roi et entreposeur des tabacs, provenait de son état de contrôleur du dépôt des sels à Guéret.

La gabelle, taxe royale sur la vente du sel, était impopulaire. La Marche était exemptée de cet impôt en compensation des sommes versées pour libérer le roi Jean II, prisonnier des Anglais. Une contrebande s’était organisée entre les pays de grande gabelle comme le Berry et les pays rédimés comme la Marche. Une brigade de douaniers appelés « gabelous » avait été mise en place par Louis XIV.

Le premier juillet mille sept cent trente-quatre, huit gabelous de la Celle-Dunoise13 conduisaient à Bourges14 un groupe de faux-sauniers condamnés aux galères. Près de Mortroux, ils avaient été attaqués par une bande d’hommes armés voulant délivrer les prisonniers. L’un des gabelous, blessé, avait été dépouillé de ses armes, de son argent et de ses vêtements. Cet évènement avait marqué la mémoire des paysans de toutes les paroisses environnantes.

Les villages du nord de la paroisse voisinaient avec ceux du Berry dont les habitants étaient des amis, souvent des membres de la famille. On pouvait être tenté d’échanger un peu de sel contre d’autres denrées. Les gabelous sillonnaient fréquemment le territoire. L’un d’entre eux, Jean-Louis Lécubain avait épousé Françoise, l’une des filles de défunt François Rondeau, cabaretier et charpentier au bourg.

La population espérait beaucoup de la réunion des États généraux qui, s’ils n’avaient aucun pouvoir sur le gel, la grêle et toutes les intempéries dont étaient victimes les cultures, pouvaient réduire grandement, à défaut de les supprimer, les droits seigneuriaux.

L’assemblée des états généraux commença au mois de mai. Bientôt, elle prit le nom d’Assemblée nationale. Le mois de juillet connut la prise de la Bastille, et les semaines suivantes l’alarme qu’éprouva la France entière, causée par la peur des brigands imaginaires. Aussitôt, on forma des gardes nationales dans tous les endroits. Le Royaume fut divisé en quatre-vingt-trois départements, dans chacun d’eux, il y eut des districts divisés en cantons et dans chaque paroisse une municipalité. Au mois d’août, les droits de l’homme furent décrétés par l’Assemblée.

Les informations arrivaient au pays souvent tardivement, parfois fausses ou tronquées. La peur s’immisçait partout et persistait.

3. cf. Le baron potier, Maryse Bouzet, éditions La Geste, 2022.

4. https://gw.geneanet.org/jfga Descendants de Marguerite Esmoing, Ascendants et descendants de Louis de Poyenne - Arbre en ligne : Jean-François Gazeau.

5. cf. Seigneur de Biencourt par Étienne Pattou dernière mise à jour : 13/03/2019 sur http://racineshistoire.free.fr/LGN.

6. Paroisse du Berry.

7. Sarrasin.

8. 24 pouces égalent environ 65 centimètres.

9. 32 pouces égalent 86 centimètres.

10. cf. registre des baptêmes, mariages et sépultures de la commune de Mortroux pour les années 1760-1791.

11. Circonscription financière de la France sous l’Ancien Régime.

12. Habitants de la paroisse de Mortroux.

13. Paroisse de la Haute-Marche.

14. Ville du Berry.

3 – L’abandon du limousinage

Un homme devenant indispensable à la culture des terres de la famille Renty, les évènements liés à la révolution et son intérêt pour la vie de la commune nouvellement mise en place conduisirent Simon Labernardière à l’abandon du limousinage.

Il repartit en mars à Pierrefitte-es-Bois, commune du nouveau département du Loiret, où il résidait pour ses campagnes afin de vendre son matériel. L’acte indiquait : « Le vingt-trois mars mille sept cent quatre-vingt-dix, devant le notaire en la justice de Beaulieu-sur-Loire15 a comparu Simon Delabernardière16, entrepreneur de bâtiment de la paroisse de Mourtroux17 en Basse-Marche résidant pour sa campagne au Bourg et paroisse de Pierrefitte-es-Bois.

« Lequel a vendu… et livré à Martin Johannet, maître-charpentier de la paroisse de Chéniers aussi en Basse-Marche18, résidant également pour son travail au Bourg et paroisse de Pierrefitte-es-Bois acquéreur présent et acceptant,

“Tous les outils de charpentier : ensemble le peu de mobilier appartenant au vendeur tant dans la chambre qu’il habite au Bourg de Pierrefite que celle qu’il occupe parfois au Bourg de Barlieu19 ; ces outils consistant en cinq grandes auges à blanchir, quatorze auges à tête, huit besaiguës, six scies de travers, deux passe-partout, les tarières ciseaux, et autres choses généralement quelconques qui peuvent se trouver dans les deux chambres ; à la charge pour ledit Johannet de représenter ledit Delabernardière pour cette campagne seulement.