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Fils aîné de Frédéric, Georges Godet (1845-1907) a été la cheville ouvrière de la Bible annotée, cet ouvrage si utile aux chrétiens évangéliques. Sans lui, les commentaires de son père, et notamment celui sur l'Évangile de Jean, n'auraient pas non plus pris la forme si aboutie qui leur permet aujourd'hui de rester des références. Georges Godet a écrit de nombreux articles de revues théologiques, mais aucun ouvrage étendu, excepté ce commentaire sur la seconde épître aux Corinthiens. Encore n'a-t-il paru qu'après sa mort, grâce au savant et minutieux travail de Paul comtesse (1867-1936), professeur d'exégèse du Nouveau Testament à la faculté de Neuchâtel, et lui-même artisan de la Bible annotée. Après une notice biographique sur l'auteur (rédigée par Auguste Thiébaud), le livre contient une traduction originale, puis l'exégèse verset par verset, qui pour être profitable demande une connaissance minimale du grec biblique. Ce commentaire est probablement le plus fouillé jamais écrit sur la seconde épître aux Corinthiens. Cette numérisation ThéoTeX correspond à l'édition de 1914.
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Seitenzahl: 892
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322471300
Auteur Georges Godet. Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.ThéoTEX
site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]Lorsqu'il y a sept ans, Dieu nous prit Georges Godet, ce fut une vive douleur pour tous ceux qui l'avaient aimé. Ils se sentaient appauvris par le départ de cet ami si fidèle, et ils souffraient du vide qu'il laissait dans bien des cœurs et dans bien des œuvres. Mais à cette douleur s'en ajoutait une autre que nous ressentons toujours aussi vivement que la première. Il nous est difficile d'accepter que du labeur considérable de notre frère, de sa science si solide et si riche, il ne nous reste et ne reste à l'Église aucun monument durable. Sans doute nous n'oublions pas qu'il a beaucoup publié. Celui qui se donnerait la peine de collectionner ses écrits de circonstance, opuscules et brochures, en y ajoutant ses articles de revues — sans parler de son activité de journaliste — aurait déjà là le résultat d'un travail énorme, et posséderait la pensée de G. Godet sur nombre de problèmes de première importance. Mais enfin ce sont là des publications qui ne sont guère connues que des initiés et de ceux qui se donnent la peine de les chercher. N'est-il pas profondément regrettable que ce théologien de race, qui a dépensé tant de temps à réviser les derniers livres de son vénéré père, n'ait pas lui-même publié quelques-uns de ces ouvrages que l'on attendait de lui ? Cette science si sûre qu'il accumulait avec une persévérance inlassable doit-elle donc être perdue ? Ses cours en particulier, si consciencieusement préparés, reposant sur l'étude des meilleures sources, constamment tenus à jour par des lectures assidues, ne contiennent-ils pas la matière de volumes qui pourraient rendre d'inappréciables services ? Ce sont là des questions qui nous oppressaient.
Notre ami avait bien certainement l'intention de publier quelques-uns de ses cours. Il avait parlé parfois de son exégèse de l'Épître aux Galates. Mais il s'était décidé à commencer par la seconde Épître aux Corinthiens, qui fit l'objet de son enseignement dans la dernière année de son professorat. En cours de route, il s'était même avisé qu'il pourrait profiter de l'occasion pour mettre au net son manuscrit en vue de l'impression, et à cet effet, il avait dicté à un de ses étudiants l'explication de la seconde moitié du chapitre 12. Il rédigeait sans doute ses cours de manière à fixer sa pensée avec une netteté suffisante. Mais ce n'était pas encore la forme que réclame une publication. Il nous a dit lui-même qu'il ne concevait pas un cours d'exégèse lu par le professeur à ses étudiants. C'est dire assez que sa rédaction consistait plutôt en des notes, dont il usait avec une grande liberté. Ajoutez à cela que ces notes sont enrichies de retouches et d'adjonctions destinées à les mettre d'accord avec le mouvement de la science. Cela suffit pour qu'on comprenne la difficulté qu'ont éprouvée les amis de G. Godet quand ils ont voulu publier son cours. Ils hésitaient d'autant plus qu'ils savaient sa répugnance à publier quoi que ce fût d'inachevé. Il a fallu le dévouement intelligent d'un disciple devenu son successeur pour nous sortir de cette impasse !
Il nous sera bien permis de rendre hommage à la conscience et au désintéressement avec lesquels M. le professeur P. Comtesse a entrepris ce travail. S'effaçant complètement lui-même, il n'a pas eu d'autre ambition que celle de rendre la pensée de son maître aussi exactement que possible. La tâche lui a été facilitée sans doute par l'exactitude et la netteté que G. Godet avait apportées dans sa rédaction. Mais encore fallait-il ne pas trahir sa pensée, en laissant subsister des rugosités ou des imperfections inévitables dans un premier jet, et que lui-même n'aurait jamais tolérées. Cependant partout où la chose a été possible, on a préféré laisser le texte primitif plutôt que de viser à une élégance qui risquait de l'altérer, si peu que ce fût. Chacun comprendra dès lors que, par respect pour la pensée de l'auteur, bien des expressions, bien des tournures aient été conservées qu'il aurait certainement modifiées lui-même dans une rédaction définitive. Mais cette liberté, le rédacteur n'a pas voulu la prendre. Le lecteur peut donc avoir confiance. C'est bien la pensée de G. Godet qui lui est livrée. M. Comtesse a eu soin de marquer par des crochets les adjonctions et notes qui sont de lui, et qui ont essentiellement pour but de mettre le commentaire au point en indiquant les opinions des derniers commentateurs, MM. Bousset, Lietzmann et Bachmann. Cet apport essentiel du rédacteur mérite une attention cet une reconnaissance toutes particulières, puisque ainsi l'exégèse est tout à fait à jour. Or, c'est là un point auquel G. Godet attachait une très grande importance.
Nous avons dit les raisons qui nous ont amenés à choisir parmi les cours de notre ami celui sur la seconde Épître aux Corinthiens. Ce choix se recommandait encore à d'autres égards. Elle est une des lettres les plus importantes de l'apôtre Paul ; dans notre époque de psychologie religieuse, il serait même assez indiqué de la placer au tout premier plan. Mais elle est plus difficile à bien comprendre qu'aucune autre ; elle offre à l'interprète et même au traducteur des obscurités qui lui sont propres. Et malgré cela, nous ne possédons en français aucun commentaire scientifique de cet écrit. Sur la première Épître aux Corinthiens nous avons celui de Frédéric Godet. Le travail de son fils que nous publions répond ainsi à un réel besoin.
La méthode exégétique de G. Godet est essentiellement la même que celle de son vénéré père. Il serre le texte de près, l'étudiant dans tous ses détails, soumettant à un rigoureux examen toutes les opinions dignes de considération qui ont été émises, et ne se décidant pour une interprétation qu'après avoir réfuté les explications divergentes. Cette méthode n'est guère en faveur aujourd'hui. On pense qu'il vaut mieux ne pas tant s'inquiéter des opinions diverses et se contenter de reproduire la pensée de l'auteur avec autant de vie et de relief que possible. Mais il faut distinguer. S'il ne s'agit que d'édifier ou d'intéresser, il est clair que la discussion des autres interprétations ne peut qu'alourdir et nuire à l'effet. Mais une exégèse scientifique ne mérite ce nom que si elle pèse et compare les opinions en présence ; elle doit se frayer sa voie à travers les contradictions et les nuances d'interprétation. Qu'on vise à donner ensuite, sans faire mention des divergences, un exposé libre et suivi ; que, même dans un cours, il puisse y avoir parfois avantage à se contenter des résultats de l'étude personnelle et à réduire l'érudition à son minimum, nous sommes d'accord. Mais il y a un travail préparatoire nécessaire, une œuvre de déblaiement indispensable, si l'on veut arriver à pénétrer un texte dans sa richesse et sa complexité. Et nulle part un tel labeur n'est plus nécessaire que pour la seconde Épître aux Corinthiens. Il faut lutter d'abord avec les difficultés de détail, de style, de contexte et tenir compte des explications proposées, avant de pouvoir être maître de la conception de l'apôtre et la rendre fidèlement. Or, bien loin que Frédéric et Georges Godet aient perdu de vue le but à poursuivre, c'est au contraire en cela que se montre leur maîtrise en matière d'exégèse. Ils ont l'un et l'autre, chacun à sa manière, un don merveilleux pour étreindre la pensée biblique, en marquer les articulations et en reproduire la marche. Le père le fait avec plus de brillant, le fils avec plus de solidité ; mais tous deux mettent en saillie la suite des idées avec tant de bonheur que, si, l'on retranche de leur exposé la partie d'érudition, le reste fournit une vue d'ensemble qui répond aux exigences de la synthèse la plus rigoureuse.
En préparant la publication de ce commentaire, les amis de G. Godet ont ressenti très vivement une lacune qui devait être comblée. Sauf les articles de journaux, il n'a paru jusqu'ici aucune biographie de ce fidèle serviteur de Dieu. Ce fut un besoin de nos cœurs de publier une esquisse de sa vie et de son œuvre en tête de ce volume, qui doit être comme un monument à sa mémoire. M. le professeur Thiébaud, qui avait si excellemment caractérisé notre ami dans le Journal religieux, était tout désigné pour cette esquisse biographique. Il a su faire revivre cette personnalité avec une grande sobriété et une entière vérité, de sorte qu'il se dégage de ces pages une impression bienfaisante et tonique. On ne peut qu'admirer la puissance de travail de G. Godet et sa fidélité à l'œuvre du Seigneur ; mais ce qui ressort surtout de cette vie, c'est la puissance de la grâce de Dieu qui se glorifie en celui qui se livre docilement à son action.
Charles PORRET.
Lausanne, février 1914.
Georges-Edouard Godet naquit à Neuchâtel le 18 septembre 1845. Le lendemain, son père, Frédéric Godet, le théologien bien connu, annonçait en ces termes l'heureux événement à son ami Louis Bonnet, pasteur de l'Église française de Francfort : « Grâces soient rendues à notre bon Dieu ! Il a tout amené à bien ; un bon gros garçon, et ma chère Caroline aussi bien que possible… Ce premier cri ! Comment rendre l'émotion !… Je n'ai pu la soutenir… Notre petit est là bien dormant, dans d'autres moments bien criant, « avec une voix de major », dit notre releveuse ; « de ministre », rectifié-je tout bas, en ajoutant un « s'il plaît à Dieu… »
Dès lors, le nom de son fils aîné revient fréquemment dans la correspondance de Frédéric Godet :
Du 10 novembre 1846 : « Notre petit Georges est bien aimable. Il marche et court lestement, comprend tout (ou à peu près !) sans parler lui-même. Il est très observateur, attentif, gentil et aimant. »
Du 28 mai 1847 : « M. Georges entre déjà dans l'a priori de la propre volonté d'une manière très spéculative ; il aura des talents décidés en ce genre. »
Du 10 août 1848 : « Je reviens à mes moutons, à mon petit Georges, en particulier, qui me fait tant de plaisir. Il est si vif, et en même temps il a dans le regard quelque chose de si doux ; son expression est à la fois si aimante et si malicieuse ! Avant mon départ, j'ai commencé à lui apprendre le b a ba (il sait déjà les lettres isolées). Caroline a continué. Mais voici que M. Georges ne fait que rire et s'amuser pendant toute la leçon, et quand elle le gronde, il répond : « Mais les lettres font rire moi ! »
L'enfant qui épelait à l'âge de trois ans devait donner d'autres signes de précocité. Il avait à peine huit ans que son père trouvait déjà dans ses paperasses d'écolier des sermons écrits au crayon, avec texte, exorde, application. Ses études, au collège classique d'abord, puis dans les classes supérieures qu'on appelait les Auditoires, marchèrent rondement. Grand travailleur, richement doué, le jeune garçon ne pouvait que progresser sous la direction de maîtres distingués tels que le philologue Ch. Prince, le philosophe Ch. Secrétan et ce fin lettré qu'était Félix Bovet. A dix-sept ans, il terminait ses études classiques et se trouvait trop jeune d'un an pour être admis à la Faculté de théologie.
Georges Godet s'était donc décidé à devenir pasteur ? De quand datait cette détermination ? De bonne heure, nous l'avons vu, il avait pris plaisir à composer des sermons ; puis ce goût lui avait passé ; enfin, vers sa seizième année, il était revenu à ses premières ambitions. « Mon Georges, écrit F. Godet, à la date du 7 mai 1881, paraît prendre le chemin de la théologie, dont il s'était toujours déclaré très peu partisan jusqu'à présent. » A quoi attribuer cette décision ? A l'influence familiale sans doute et à l'intérêt qu'en grandissant le jeune homme avait pris aux travaux de son père. En effet, tout en poursuivant ses études, il était devenu le collaborateur de ce dernier qui s'était mis à lui dicter son premier grand ouvrage de théologie : « Nous sommes arrivés dans notre commun travail (mon Saint-Jean) à la fin du chapitre 19 : 900 pages presque toutes écrites de la main de ce cher enfant, au milieu de ses études, moi retenant, lui me poussant toujours… » (Lettre à Arnold Guyot, du 21 octobre 1882.)
Au moment où F. Godet écrivait ces lignes, son fils Georges n'était plus à Neuchâtel ; il était parti pour Francfort, où il devait passer un an : il y apprit très bien l'allemand et surtout y subit l'influence heureuse du pasteur Bonnet, ami intime de son père, qui lui avait ouvert toutes grandes les portes de sa demeure. G. Godet conserva toute sa vie le souvenir de son premier séjour en Allemagne ; il aimait à en parler, et, trente ans plus tard, à la mort de M. Bonnet (1892), il consacra à celui-ci, dans la Revue chrétienne un article ému, témoignage de sa reconnaissance et de son affection. Et c'est un peu son propre portrait qu'il a tracé quand il dépeignait ainsi le caractère de son ami vénéré : « Aux facultés morales les plus rares, il joignait une remarquable étendue d'esprit, une grande justesse de jugement, une mémoire admirable, enrichie par d'incessantes lectures et qu'il conserva intacte jusqu'à son dernier jour. Tout cela, sanctifié par une vie religieuse intense dont les traits caractéristiques étaient une grande intimité unie à une grande réserve : attitude filiale vis-à-vis de Dieu, confiance absolue en son amour de Père auquel il s'en tenait malgré tout, mais dont l'expression — fait digne de remarque chez un homme chez lequel le sentiment jouait un si grand rôle — fut toujours d'une extrême sobriété. »
Rentré dans sa ville natale, G. Godet fut admis le 25 juin 1863 à suivre les cours de la Faculté de théologie ; nous n'étonnerons personne en disant qu'il fut un brillant étudiant et obtint chaque année à ses examens la note « très satisfaisant ». En automne 1865, il reprit le chemin de l'Allemagne : il passa d'abord un an à Gœttingue, où il entendit quelques-uns des plus célèbres théologiens de l'époque, l'hébraïsant Bertheau, Ritschl, qui s'occupait alors surtout de la Théologie du Nouveau Testament, le dogmaticien Gess, pour qui son père avait une très haute estime, et le philosophe Lotze, qu'il compta toujours au nombre de ses maîtres préférés. Préparé comme il l'était, il tira un grand profit de ce contact avec tant d'esprits supérieurs ; il était du reste parfaitement à même de juger de la valeur de l'enseignement qu'il recevait. Il conserva longtemps dans ses papiers le récit d'une longue conversation théologique qu'il eut avec Albert Ritschl. Il lui apportait la brochure de son père sur les recherches récentes de la critique biblique relativement au quatrième Évangile : « Vous trouverez dans cette brochure, lui dit-il entre autres, la doctrine de la Kenosis. — Toute cette dogmatique dans un travail de critique ! — Oui, pour établir l'authenticité des discours de saint Jean. — La Kenosis est un expédient désespéré. — Elle est à mes yeux le seul moyen de sauvegarder l'humanité de Jésus-Christ tout en tenant compte des déclarations de Paul et de Jean sur la préexistence. » Mais Paul et Jean ont-ils cru à la préexistence ? Ritschl assure que le premier ne s'en est guère préoccupé, et quant à Jean, il est bien difficile de savoir à quoi s'en tenir à son sujet. Et voilà une longue discussion exégétique qui s'entame à propos de Jean.8.58 ; Georges Godet, qui paraît avoir été alors déjà un dialecticien de premier ordre, tient fort bien tête à son interlocuteur. L'entretien se termine par cette déclaration de Ritschl : « Il faut toujours se rappeler que les formules théologiques ne sont pas identiques aux déclarations bibliques. Elles ne les recouvrent pas. Il faut se garder de substituer aux intuitions bibliques des notions philosophiques (platoniciennes) ainsi que l'Église l'a fait en formulant ses dogmes. Nous sommes saturés de platonisme et nous devons revenir à la méthode théologique de Paul et d'Aristote. »
Georges Godet passa l'hiver suivant (1866-1867) à Tubingue, avec nombre de camarades suisses et français qui restèrent ses amis pour la viea, suivant avec enthousiasme et discernement tout à la fois les cours de Weizsäcker et de Jean Tobias Beck. Il entretenait naturellement une correspondance suivie avec son père et le mettait au courant de ce qu'il voyait et entendait. F. Godet, tout en approuvant son zèle, l'exhortait à cultiver la vie intérieure et à ne pas se griser d'intellectualisme : « J'espère que ton travail théologique se fondra plus complètement à Tubingue avec le travail intérieur. Ce qu'il y a de plus à craindre en théologie, c'est le pur intellectualisme. Tout l'homme doit concourir à la trouvaille, à la conquête de la vérité éternelle, de la vérité qui doit devenir la base de la vie personnelle. La vraie méthode, pour arriver à la connaissance, — telle est la pensée fondamentale de Saint Jean, — c'est de se sanctifier. » (Lettre du 24 octobre 1866.)
Un quatrième semestre passé à Berlin compléta les études de G. Godet à l'étranger ; il rentra à Neuchâtel en automne 1867 et passa les mois suivants à la maison, préparant ses derniers examens. Il reçut, le 10 juin 1868, le diplôme de licencié en théologie et fut consacré au saint ministère le 7 octobre suivant avec six de ses amis : MM. Alexandre Du Pasquier, Charles Porret, Louis Lagier, Edouard Rosselet, Jules Gindraux et Arnold Bovet. M. Frédéric Godet présida la cérémonie et prononça un sermon sur La Prière, âme du ministère, qui a été imprimé et qui est l'un de ses meilleurs discours.
Après sa consécration, G. Godet resta encore quelques semaines à la maison, travaillant avec son père à la rédaction du Commentaire sur saint Luc. Puis il alla passer l'hiver à Paris. Il n'était donc pas à Neuchâtel lorsque s'ouvrit la crise qui devait aboutir cinq ans plus tard à la fondation de l'Église évangélique neuchâteloise indépendante de l'État. Le 5 décembre 1868, M. Ferdinand Buisson, professeur de philosophie et de littérature française à l'Académie de Neuchâtel, faisait une conférence dans laquelle, sous prétexte de réformer l'enseignement primaire, il se livrait aux plus vives attaques contre l'Ancien Testament. Le scandale fut énorme : bientôt tout le pays fut en rumeur. Le 10 décembre, Frédéric Godet répondait à M. Buisson par une conférence intitulée : La Sainteté de l'Ancien Testament. La campagne de conférences se poursuivit tout l'hiver. Georges Godet n'en eut que les échos, par les lettres de son père et de ses amis. Il rentra cependant assez tôt en Suisse pour assister à la séance de discussion qui eut lieu en avril à Genève entre M. Buisson et M. le pasteur Edouard Barde.
L'heure avait sonné pour lui où, sans renoncer à ses études, il devait entrer dans la vie pratique. Alarmés de l'influence que pouvaient exercer sur la jeunesse studieuse les opinions de M. Buisson, les hommes qui dirigeaient le parti évangélique avaient décidé d'organiser un cours de philosophie parallèle au cours officiel : G. Godet fut chargé de cet enseignement bien qu'il eût à peine vingt-quatre ans et s'en acquitta à la satisfaction de tous pendant deux ans. Il fut aussi pendant l'été de 1870 suffragant de M. le pasteur Nagel à Neuchâtel. Nommé diacre à la Chaux-de-Fonds le 18 juin 1871, il se consacra vaillamment à sa nouvelle tâche à un moment et dans un milieu où le travail des pasteurs était loin d'être toujours facile. En septembre de l'année suivante, il eut le privilège de faire avec son père un voyage en Palestine. Vint l'année 1873, avec toutes les luttes politiques et ecclésiastiques dont elle fut marquée dans notre pays. Le projet de loi élaboré en février par Numa Droz pour ouvrir au christianisme libéral les portes de l'Église neuchâteloise n'eut pas d'adversaire plus convaincu et plus ardent que G. Godet ; ce fut de même sans hésitation et sans arrière-pensée qu'après le vote mémorable du 14 septembre il se joignit au mouvement qui eut pour résultat la fondation de l'Église indépendante. Ainsi prirent fin d'elles-mêmes ses fonctions à la Chaux-de-Fonds, où les trois pasteurs en charge suffisaient désormais aux besoins de la nouvelle paroisse. Il ne devait pas tarder, du reste, à retrouver une activité pastorale.
Parmi les paroisses récemment créées, l'une des plus faibles, au point de vue numérique, était celle de Cernier-Fontaines ; à vrai dire, il n'y avait pas encore dans ces localités d'église régulièrement constituée, mais seulement un groupe de personnes résolues à maintenir la foi au Christ-Sauveur et à qui ne suffisait pas « la morale du premier des. républicains », qu'un pasteur libéral était venu leur prêcher peu de temps auparavant. Le soin d'organiser ce groupe fut confié en juin 1874 à Georges Godet.
La tâche du jeune pasteur n'était pas facile : fonder, consolider, rendre viable une église indépendante dans le centre rationaliste qu'était alors Cernier n'était pas une mince besogne. Mais Georges Godet possédait à un haut degré les dons et les qualités nécessaires pour faire face à la situation ; bientôt, grâce à la bénédiction de Dieu qui reposait visiblement sur l'activité de son serviteur, l'église, d'abord toute petite, devint une grande famille où florissaient l'amour fraternel, le dévouement, la générosité. Les sermons très riches de pensée du pasteur captivaient et édifiaient ses paroissiens, faisaient naître et fortifiaient les convictions. La construction d'une modeste chapelle assura définitivement l'existence de la paroisse indépendante de Fontaines-Cernier. L'édifice fut inauguré le 14 mars 1875 ; quatre cent cinquante auditeurs accourus de toutes les paroisses du Val-de-Ruz et d'autres parties du pays, se pressaient dans le petit temple destiné à contenir deux cent cinquante personnes environ. M. le pasteur Robert-Tissot, de Neuchâtel, prit d'abord la parole comme représentant des autorités synodales et prononça la prière de consécration. G. Godet, prêchant ensuite sur Es.66.1-2, et chercha à prévenir les malentendus que pourrait faire naître la construction du premier lieu de culte indépendant : « Ce n'est point, certes, dans le but d'accentuer encore la division qui afflige les Églises de notre pays ; ce n'est point pour nous séparer davantage de nos frères de l'Église nationale et de l'ensemble de nos concitoyens que nous avons bâti cette maison. Rien n'est plus loin de notre pensée. Nous aimons sincèrement nos frères, à quelque Église d'ailleurs qu'ils appartiennent ; nous nous intéressons à tout ce qui touche la vie de notre peuple ; nous voudrions pouvoir, selon les principes inscrits dans la constitution de notre Église, faire du bien à ce peuple tout entier, et nous avons la conviction que Dieu nous donnera de plus en plus la force et les moyens de le faire ! Non, nous ne sommes pas une secte orgueilleuse et indifférente à tout ce qui n'est pas elle. Ce temple, qui sera toujours ouvert à quiconque voudra venir s'y édifier avec nous, répond à une pensée plus élevée que celle qu'on nous prête parfois. Nous assurer les moyens d'entendre chaque dimanche cette prédication de l'Évangile de Jésus-Christ, pour le maintien de laquelle notre Église a été fondée, et nous assurer la liberté de consacrer au culte ces heures du dimanche qui y sont si naturellement destinées, voilà tout ce que nous avons voulu ! »
Si Georges Godet s'était donné sans réserve à son activité pastorale, celle-ci était loin d'absorber tout son temps. Il sut toujours se ménager quelques heures pour l'étude, et cela était d'autant plus nécessaire qu'il allait bientôt voir se multiplier les occasions d'employer au service de l'Église tout entière les beaux dons qu'il avait reçus d'En-haut et la solide culture qu'il avait acquise pendant ses années de préparation. L'année même de son installation à Cernier, la Commission synodale le chargeait de l'enseignement de l'histoire de la philosophie à la Faculté de théologie. Elle n'aurait pu faire un choix plus heureux. Non seulement G. Godet avait fait une étude approfondie des principaux philosophes modernes, mais grâce à la lucidité de son esprit, il trouvait moyen de donner un exposé lumineux des systèmes les plus abstraits et les plus compliqués ; près de trente-cinq « volées » d'étudiants ont profité de ces solides leçons dont le seul défaut était leur trop grande richesse, qui parfois les rendait un peu difficiles à digérer à des jeunes gens admis trop tôt à les suivre.
Puis ce fut le Comité de la Bible annotée, dont son père était président, qui fit appel au concours de Georges Godet en lui demandant de préparer une traduction et un commentaire du livre d'Esaïe. La tâche était passablement ingrate : « Il faut revoir en Comité le travail de Georges, écrit M. F. Godet ; on le lui renvoie ; il le refait ; on le revoit ; il rédige ; on le relit ; il corrige ; puis les épreuves, une, deux, trois. » (Lettre du 22 mars 1879.) Nul doute que la patience du pasteur de Cernier n'ait été mise souvent à une rude épreuve ; du moins son travail ne fut-il pas inutile : l'explication d'Esaïe — la question d'authenticité des chapitres 40 à 66 mise à part — est aujourd'hui encore l'une des parties de la Bible annotée que l'on peut consulter avec le plus de fruit.
Ce labeur achevé, Georges Godet entreprit la traduction de l'ouvrage alors très estimé de Thiersch sur les Origines de l'Histoire sainte. Ce volume parut en 1882, accompagné d'une substantielle préface où le traducteur avait consigné les résultats les plus récents des recherches archéologiques.
Georges Godet passa à Cernier huit ans et demi, s'imposant au respect de tous par son ardeur au travail, par sa largeur d'esprit, par sa franchise parfois un peu rude, et surtout gagnant toujours davantage la confiance et l'affection de ses paroissiens par l'intérêt qu'il leur témoignait, par le zèle qu'il mettait à les servir, par la sollicitude qu'il vouait aux malades et aux isolés. Aussi éprouva-t-on, dans la paroisse, une véritable consternation, quand on apprit, en novembre 1882, que l'Église de Neuchâtel avait appelé G. Godet à succéder à M. le pasteur Henri Junod ; ses amis ne pouvaient se faire à l'idée de le perdre ; cependant, comprenant que ce départ lui était aussi pénible qu'à eux-mêmes et qu'il s'y soumettait comme à un devoir, ils ne cherchèrent pas à le retenir et lui gardèrent toujours une vive et reconnaissante affection.
De son côté, G. Godet n'a cessé de donner à ses anciens paroissiens des preuves manifestes de son inaltérable attachement ; il est resté longtemps en correspondance avec beaucoup d'entre eux ; il retournait à Cernier pour y prêcher au moins une fois chaque année ; et quand l'église passait par des temps difficiles, elle pouvait compter sur son appui et sur ses judicieux conseils. C'est dans la chapelle de Cernier que, sauf erreur, il prononça son dernier discours, le 12 mai 1907. L'édifice, artistement restauré, était rouvert ce jour-là au culte public. Invité à prendre la parole, G. Godet, après avoir lu le Psaume 24, exhorta ses auditeurs à sanctifier et à rendre digne du Dieu qui y habite, non plus l'édifice extérieur, mais l'édifice spirituel qui s'y abrite. Rendre digne de Dieu l'édifice spirituel ! qu'à cela tende notre effort. Oui ! et que Dieu nous y aide tous ! « Il nous semble entendre encore, écrit M. le pasteur Clerc, la voix contenue et chaude de M. Godet s'écriant : Portes, élevez vos linteaux ! Laissez passer le Roi de Gloire. Quelques jours après notre fête, cette voix s'était tue pour toujours sur la terre et dans notre chapelle où retentirent si souvent les exhortations vibrantes, graves ou paternelles de notre ami. Il n'était plus, l'homme si zélé, si fidèle, qui avait fondé l'église indépendante de Cernier-Fontaines, et qui vint si souvent, de Neuchâtel, nous rendre visite. Si notre église a pu, autrefois, résister à bien des orages, c'est, après Dieu, grâce à celui qui a su la construire sur de solides fondements. Nous en remercions Dieu et nous lui demandons pour nous-mêmes cet esprit de fidélité, de zèle et de consécration qui animait notre frère et ami, M. le professeur G. Godet. »
Georges Godet fut installé en qualité de pasteur à Neuchâtel le 7 janvier 1883. Ici aussi son travail fut hautement apprécié et, après plus de trente années, bien des personnes en gardent le souvenir. Comme à Cernier, il eut l'occasion de déployer ses talents d'organisateur ; ceux qui l'ont vu à l'œuvre parlent encore avec étonnement de ce qu'il trouvait moyen de faire en une seule journée ; l'ouvrage, comme on dit, lui fondait dans les doigts ; il était partout, s'occupait de tout, ne perdant jamais de vue le plus petit détail, tenait en mains tous les fils du vaste organisme qu'il était appelé à diriger. Et certes il y avait à faire ! Le mouvement religieux auquel on a donné le nom de Réveil d'Oxford, tout en stimulant les chrétiens, en ouvrant leurs yeux à la possibilité d'une vie spirituelle plus riche, plus féconde, plus sanctifiée, avait aussi causé plus d'un remous malsain ; bien des gens acceptaient, les yeux fermés, les doctrines nouvelles, tombaient dans l'excentricité, et, par-dessus le marché, jugeaient de haut et sévèrement ceux qui refusaient de les suivre dans leurs exagérations. Puis, l'Armée du Salut était venue, et avec elle, de nouveaux désordres et de nouvelles discussions ; les pasteurs eurent à se défendre contre les salutistes qui les accusaient de tiédeur et d'indifférence, à défendre leurs paroissiens contre l'entraînement que plus d'un était tout disposé à subir, à défendre enfin les salutistes eux-mêmes contre les violences de la foule et contre les abus de pouvoir de l'autorité. On se représente ce que devait être la cure d'âmes dans ces conditions, et quel tact il fallait posséder pour guider les esprits, quelle discipline il fallait exercer sur soi-même pour garder son sang-froid ! Si cette crise pénible n'eut pas, pour la paroisse indépendante de Neuchâtel, des suites trop funestes, cela tient, en bonne partie, à la direction sage et ferme des pasteurs qu'elle avait le privilège d'avoir à sa tête.
A ce travail s'ajoutait la visite des malades et l'assistance des pauvres ; Georges Godet s'acquitta toujours avec un inlassable dévouement de cette partie si importante du ministère pastoral. Préoccupé de créer des liens personnels d'amitié entre les membres de la paroisse, il établit, dans son quartier, des réunions familières mensuelles qui ont subsisté jusqu'à ce jour et ont rendu de précieux services. Il y avait aussi l'instruction de la jeunesse, dont il s'occupa toujours avec plaisir et succès ; bien des années après avoir quitté le pastorat, il donnait encore chaque semaine une leçon de religion aux élèves du Gymnase cantonal.
Il y avait encore et surtout la prédication, à laquelle Georges Godet continuait à vouer tous ses soins. Il n'était point orateur, au sens que l'on donne d'ordinaire à ce terme ; ce qui caractérisait ses sermons, toujours soigneusement préparés, c'était moins l'éclat du style, la sonorité de la phrase, la fraîcheur ou le pittoresque des images que la solidité du fond. On sentait en lui un maître de la pensée : il s'adressait moins au sentiment qu'à la raison et à la conscience ; il instruisait et édifiait ; sa prédication était exégétique et dogmatique ; il aimait à porter en chaire les doctrines chrétiennes, mais sa manière n'avait rien d'aride ni de desséchant, au contraire : quand il avait élucidé son texte et déblayé le terrain, il savait s'emparer de l'attention des auditeurs ; sa voix prenait une ampleur inaccoutumée ; sa parole, grave et forte, après avoir gagné l'intelligence, trouvait le chemin du cœur. Nous nous souvenons de tel de nos camarades, étudiant en droit, peu porté de nature à s'intéresser aux choses religieuses qui, empoigné par un de ses discours, s'écriait en sortant du Temple du Bas : « Encore un sermon comme celui-là et je me convertis ! »
Avec tout cela, Georges Godet ne laissait point chômer sa plume. Déjà auparavant, diverses revues théologiques avaient fait appel à sa collaboration. Il avait retracé dans la Revue chrétienne, en 1873 et 1874, les étapes successives de notre crise ecclésiastique ; à la Revue théologique de Montauban, il avait donné la même année une longue étude sur la Philosophie de la liberté ; puis il avait repris le sujet de sa thèse de licence dans un article sur : La notion de l'Esprit dans le système de Rothe, publié par la même Revue ; en 1877, il avait présenté aux lecteurs de la Revue chrétienne le tome troisième du Commentaire de Bonnet sur le Nouveau Testament ; en 1881, il avait examiné dans le Chrétien évangélique les vues de MM. Ed. White et Petavel-Olliff sur le Châtiment à venir, et discuté avec le professeur C.-O. Viguet sur la place occupée par la Prédestination dans la théologie de Calvin. Enfin il avait envoyé d'assez nombreux articles au Journal religieux de Neuchâtel, en particulier une série d'articles sur la Bible qui l'entraîna à une polémique plutôt vive avec M. le pasteur Wissa (1882).
Une fois établi à Neuchâtel, G. Godet ne tarda pas à prendre une part toujours plus grande à la rédaction du Journal Religieux, dont il devint directeur à la mort de M. Robert-Tissot (1906). Nous aurons à revenir sur son activité de publiciste. Il nous suffira de dire ici qu'elle fit réellement partie de son ministère. G. Godet n'écrivit jamais dans le simple but de noircir du papier, mais parce qu'il avait quelque chose à dire ; et quoi qu'il eût à dire, il le disait nettement, simplement, en une langue alerte, souple et nerveuse. Pendant vingt-cinq ans sa collaboration au Journal religieux fut aussi variée que substantielle ; c'est lui qui a présenté à notre public la plupart des ouvrages théologiques de quelque importance publiés en langue française, du livre de Sabatier sur l'apôtre Paul (2me édition, 1882) à l'Essence du Christianisme de Harnack (1902) ; mourait-il quelque part un théologien de renom, c'est lui qui rendait compte de son œuvre, qu'il s'agît de Ritschl, d'Edmond Scherer, ou de Gaston Frommel ; il rendait compte des Assemblées annuelles de la Société pastorale suisse et des Congrès de l'Alliance évangélique universelle ; il cherchait à élucider dans ses « Notes bibliques » les passages importants et difficiles du Nouveau Testament ; s'élevait-il un débat sur un point quelconque de doctrine chrétienne, autorité de la Bible, personne du Christ, problème de la souffrance : fallait-il plaider devant l'opinion la cause d'une œuvre en détresse ou d'un peuple opprimé, il était l'un des premiers sur la brèche et sa parole, toujours attendue, était écoutée de tous avec respect.
Où Georges Godet prenait-il le temps d'accomplir tant de choses ? C'est une question que l'on s'est posée bien souvent. Sans doute, il avait le travail facile ; mais aussi il ne s'accordait guère de repos. Dès sa jeunesse, il avait contracté l'habitude de se coucher très tard et il n'était point rare que sa lampe demeurât allumée jusqu'à deux heures du matin. Il prenait d'ordinaire quelques semaines de vacances en été, et les passait dans les Alpes en compagnie de Mme Godet ; — il avait épousé en 1883 Mlle Cécile La Trobe. Parfois un congrès de l'Alliance évangélique l'engage à franchir la frontière, et il profite de l'occasion pour voir un peu de pays ; c'est ainsi qu'en août 1884 il visite avec son père les fiords de la Norvège. Ce voyage fut agrémenté de rencontres intéressantes. M. F. Godet n'eut-il pas la surprise de trouver dans le gardien d'un phare voisin du Cap Nord un lecteur assidu de son Saint-Jean Mais ces heures de relâche étaient courtes ; bien vite il fallait rentrer au pays et se remettre à la tâche.
En septembre 1887, M. Frédéric Godet, dont la santé paraissait gravement ébranlée, donna sa démission de professeur d'exégèse et de critique du Nouveau Testament à la Faculté de théologie de l'Église indépendante. Son fils paraissait tout désigné pour lui succéder ; il eut pourtant beaucoup de peine à renoncer à son pastorat ; enfin, il céda aux instances de ses amis, le Synode le nomma le 18 octobre et il entra en fonctions le 14 novembre. Si quelque chose pouvait consoler les membres de l'Église indépendante de l'appauvrissement qu'avait subi la Faculté de théologie par la retraite de celui qui en était le chef incontesté, c'était de le savoir remplacé par quelqu'un qui lui tenait de si près et qui s'était formé à son école. Et cet espoir ne fut point déçu. Dès ses débuts, G. Godet se révéla exégète de premier ordre ; sa science, à la fois vaste et minutieuse, ses convictions aussi larges que solides, la chaleur communicative avec laquelle il les exposait, lui conquirent d'emblée l'estime des étudiants, pour lesquels il n'était point un inconnu du reste. Ainsi s'ouvrit pour lui une nouvelle carrière, dans la quelle il ne tarda pas à se sentir très heureux et à laquelle il se livra tout entier. Et c'est probablement aussi dans cette carrière qu'il a donné toute sa mesure, qu'il a le plus largement utilisé les belles facultés que Dieu lui avait départies et qu'il avait lui-même développées par un labeur assidu. Qui n'a pas connu G. Godet professeur, ne l'a pas connu tout entier. Une comparaison avec son vénéré père serait oiseuse et hors de propos ; leurs dons étaient différents, mais leur science était égale ; égal aussi leur amour pour le texte sacré, égale encore l'humilité avec laquelle l'un et l'autre s'inclinaient devant l'autorité apostolique ; égal enfin leur attachement à la foi évangélique. Disons seulement que s'il y avait dans l'exégèse de F. Godet plus d'intuition, plus de génie, celle de son fils, plus sobre, avait aussi peut-être plus de solidité ; en tout cas la chaleur interne, l'âme, n'y faisait pas défaut. Nous avons gardé un souvenir très vivant des premières leçons que nous avons entendues de lui. Il expliquait l'Épître aux Galates ; avec quelle clarté, quelle netteté il élucidait les textes, les raisonnements souvent compliqués et parfois un peu tendus de saint Paul ! Surtout, comme il savait dégager de ces discussions, — mortes aujourd'hui — du grand apôtre avec les docteurs judaïsants, les principes supérieurs, permanents, de la foi chrétienne ; comme l'on sentait que ses affirmations venaient du fond même de son cœur et de sa conscience, qu'il ne disait rien dont il ne fût intérieurement persuadé et dont il n'eût fait personnellement l'expérience !
Son exégèse minutieuse, laborieuse, s'attachant à chaque mot, à chaque particule, paraissait quelquefois un peu lente à ses étudiants, qui lui eussent volontiers fait grâce de l'opinion de quelques pères de l'Église ou de quelques docteurs allemands ; mais le souci du détail ne lui faisait jamais perdre de vue les idées générales, les lignes maîtresses de l'ouvrage qu'il était chargé d'interpréter. Lorsqu'il arrivait à un passage important, à une déclaration centrale, il aimait à interrompre son exégèse pour faire une incursion dans le domaine de la théologie biblique, consacrait une heure ou deux à résumer la pensée de Paul, de Jean ou de Jésus sur le péché, le pardon, la rédemption, la personne et l'œuvre du Christ, et ces reconstructions, reposant sur le fondement d'une étude attentive de tous les faits particuliers, faisaient jaillir la lumière dans l'esprit encore un peu confus de l'auditeur. G. Godet se souvenait aussi qu'il avait devant lui non de futurs théologiens seulement, mais des candidats au saint ministère, de jeunes chrétiens dont la vie religieuse avait besoin d'être fortifiée, éclairée, nourrie, pour qu'ils fussent un jour à la hauteur de leur tâche, et il leur montrait — discrètement– ce qu'ils pouvaient retirer pour leur âme de l'étude scientifique qu'ils faisaient avec lui.
Faut-il ajouter que G. Godet s'efforçait, à l'exemple de son père, d'entrer en contact personnel avec les jeunes gens qu'il avait mission d'instruire ? Il le faisait déjà dans ses cours en les incitant à se faire en quelque sorte ses collaborateurs ; il leur faisait remettre par le « modérateur » des questions autographiées portant sur le texte qu'il devait expliquer ; et l'étude de chaque morceau était précédée d'une discussion qui eût été plus intéressante et plus féconde encore si les étudiants avaient mis à s'y préparer la moitié ou le quart du soin qu'y prenait leur professeur. En outre, il aimait à les recevoir chez lui, à sa table, à s'entretenir avec eux, à s'informer de leur situation, même matérielle, à se rendre compte de leur développement ; et si, pour des raisons que nous indiquerons un peu plus loin, le lien était parfois un peu difficile à créer, si les rapports ne faisaient guère alors que de s'ébaucher, du moins frayaient-ils la voie à des relations plus intimes qui ne manquaient pas de s'établir plus tard quand l'étudiant, devenu pasteur, éprouvait le besoin de confier ses incertitudes ou ses peines à un conseiller sûr et à un ami éprouvé.
Rappelons, avant de passer à un autre sujet, qu'en 1894, la Commission des Etudes de l'Église indépendante, très embarrassée par la mort subite de M. le professeur Augustin Gretillat, pria Georges Godet de se charger de l'enseignement de la Théologie systématique. Le tour particulier de son esprit, sa forte culture philosophique, sa connaissance étendue de la Bible, la maîtrise avec laquelle il avait, en diverses occasions, traité les plus graves problèmes de la dogmatique tout paraissait le désigner au choix de la Commission. Plusieurs de ses amis, en dépit du surcroît de travail qu'ils lui imposaient ainsi, pensaient lui rendre service en lui ouvrant un champ d'investigation dans lequel il ne serait pas simplement le continuateur de son père et où il lui serait enfin possible d'employer tous ses dons, de manifester plus complètement encore que par le passé la richesse et l'originalité de son propre esprit. Georges Godet se soumit, et certes il accomplit sa tâche à la satisfaction de ceux qui la lui avaient confiée ; mais il ne se sentait pas à l'aise dans ce nouveau domaine ; le souci de l'exactitude et de la précision qui ne l'abandonnait jamais lui rendait très pénible la nécessité de prendre position sans avoir pu toujours faire de chaque question l'examen minutieux qu'il jugeait indispensable. Aussi fut-il heureux, six ans plus tard, à la mort de M. H. de Rougemont (1900), de reprendre la chaire du Nouveau Testament et de retourner à ses études favorites.
Georges Godet était donc devenu « Monsieur le professeur », mais on se tromperait en croyant qu'il allait désormais vivre entre ciel et terre et se contenter de la société des exégètes d'Outre-Rhin. Il n'était pas homme à cela. Incapable — ce fut peut-être un tort — de rien retrancher à son activité, en dehors de ce qui formait officiellement la tâche de son successeur, il l'était tout autant de refuser les « services » qu'on lui demandait sans cesse et, s'il récriminait parfois, il ne disait jamais non.
Il resta donc pasteur en continuant à s'occuper de quantité de gens avec lesquels son ministère l'avait mis en contact ; puis, comme il aimait à prêcher, il eut fréquemment l'occasion de venir en aide à ses collègues de la ville et de la campagne par des prédications ou des conférences ; il est plusieurs de nos églises où l'on comptait chaque année sur sa visite, et lui-même eût été bien surpris que l'on dérogeât à la tradition qu'il avait établie ; il fut pendant douze ans (1892-1904) auxiliaire du pasteur de Bôle-Colombier, présidant une fois par mois et d'une façon toute désintéressée le culte de Cortaillod ; inutile de dire qu'il ne cessa, jamais de porter le plus vif intérêt à son ancienne paroisse de Neuchâtel qui était pour lui comme une famille agrandie ; et ici encore, quand l'état de sa santé contraignit M. le professeur Monvert à se retirer de la présidence du Conseil d'Église, chacun fut d'avis que, seul, G. Godet était capable de le remplacer.
Bientôt aussi on sentit la nécessité de sa présence dans les corps directeurs de l'Église indépendante. Bien des choses contribuaient à faire de lui un administrateur des plus avisés. C'était d'abord sa grande expérience ; grâce à ses nombreuses relations personnelles, grâce aussi au fait qu'il avait successivement exercé le ministère à La Chaux-de-Fonds, au Val-de-Ruz et à Neuchâtel, il était probablement l'homme qui connaissait le mieux l'Église dans son ensemble et dans ses détails ; mieux que personne il pouvait apprécier les situations, voir les difficultés et trouver les moyens d'y remédier. C'était ensuite la promptitude et la solidité de son jugement : il possédait le don de se décider vite et bien, d'aller droit au fait, droit au centre des questions, sans que sa décision eût jamais rien de précipité ou d'incomplet, sans qu'il s'arrêtât jamais aux demi-mesures, aux arrangements boiteux qui esquivent les problèmes au lieu de les résoudre. C'était encore sa franchise et sa rectitude morale qui l'éloignaient d'instinct de cette diplomatie tortueuse qu'on a parfois si âprement reprochée aux hommes d'église C'était enfin son désintéressement complet, absolu : aucun amour-propre, aucune ambition personnelle n'obscurcissait sa vision ; ce qu'il cherchait, c'était non ce qui pouvait le mettre en évidence, augmenter son prestige, mais uniquement ce qui favorisait auprès et au loin le progrès des bonnes causes qui lui tenaient à cœur. La réunion de tant de qualités aussi rares que précieuses, faisait qu'on avait en lui une confiance illimitée : on savait qu'une fois qu'il s'était chargé d'une affaire, il la mènerait à bien, la suivrait dans tous ses détails, ne la compromettrait ni par témérité ni par excès de prudence. Il était, pour toutes ces raisons, l'un des orateurs les plus écoutés du Synode, où sa voix nette, claire, ne s'élevait jamais en vain. Nommé membre de la Commission synodale en 1890, il en a fait partie pendant douze ans, et y a rempli pendant quatre ans (1890-1894) les fonctions délicates et absorbantes de secrétaire.
Et ce n'est pas tout ; il est peu de nos œuvres religieuses ou philanthropiques dans le comité desquelles il n'ait eu sa place ; au fur et à mesure que des raisons d'âge ou de santé forçaient M. Frédéric Godet à restreindre son activité, c'était, tout naturellement, son fils qu'on priait de le remplacer ; bien habile qui comptera toutes les sociétés dont il a fait partie et dont il fut plus ou moins la cheville ouvrière : Alliance évangélique, Société des pasteurs et ministres neuchâtelois, Société biblique neuchâteloise. Comité neuchâtelois pour l'évangélisation de la France, Comité auxiliaire de la Société des Missions de Paris, Comité de l'Œuvre des diaconesses de Saint-Loup, Comité de Secours aux Arméniens, Comité auxiliaire de l'Union chrétienne de jeunes gens, etc., etc. Il n'était point nécessaire, pour qu'une œuvre l'intéressât, qu'elle eût beaucoup d'ampleur ou de notoriété ; il suffisait qu'elle fût utile et répondît à un vrai besoin ; même des entreprises minuscules trouvaient en lui un chaleureux défenseur une fois qu'il avait pu constater qu'elles étaient le fruit du dévouement et de la charité.
L'Alliance évangélique lui tenait tout particulièrement à cœur : il fut pendant vingt ans secrétaire du Comité neuchâtelois et était, à sa mort, président de la Branche suisse ; il a cherché à en faire connaître les principes par le moyen de conférences et d'articles de journaux dont quelques-uns furent réunis en brochure (L'Alliance évangélique, notice historique. Neuchâtel, 1893) ; il a pris part, à diverses reprises, à ses grandes assises internationales et y a présenté des travaux (Christ, fondement de l'autorité de l'Ecriture, rapport présenté à la conférence œcuménique de Florence, 1891) ; il s'est toujours inspiré de ses tendances dans ses rapports avec d'autres chrétiens ; et surtout, il a coopéré de toute son âme à l'œuvre qu'elle accomplit en faveur des victimes de la persécution religieuse.
C'est ainsi qu'il rédigea en 1890, au nom du Comité central de la Branche suisse, deux pétitions au Conseil fédéral pour obtenir le retrait des mesures d'exception qu'on avait prises dans plusieurs cantons contre l'Armée du Salut. Cinq ans plus tard, il plaide avec chaleur la cause des Stundistes dans le Journal religieux d'abord (1895) puis dans une émouvante brochure intitulée : Persécutions actuelles en Russie (Neuchâtel, 1898), qui se vend au profit des persécutés. Enfin, ce sont les Souffrances de l'Arménie qu'il révèle au public épouvanté dans une brochure dont quatre éditions se succèdent en l'espace de quelques semaines et dans des conférences plusieurs fois répétées dans les principales localités du pays. Ici, il ne suffisait plus d'écrire ou de parler, même avec éloquence ; il ne suffisait plus de faire frissonner d'indignation les immenses assemblées de Neuchâtel, de La Chaux-de-Fonds, de Berne ou de Genève. Il fallait agir, agir en Europe sur l'opinion publique et si possible sur la diplomatie pour obtenir la cessation des massacres, agir là-bas pour secourir les victimes des Turcs, qui se comptaient par centaines de mille, pour nourrir les affamés, soigner les blessés, recueillir les orphelins qui erraient sans défense et sans pain dans les campagnes désolées de la malheureuse Arménie.
Georges Godet fut l'un des plus en vue parmi les hommes de cœur qui, dans notre pays, prirent en mains la cause des opprimés. Nommé président du Comité suisse de secours aux Arméniens dès sa formation en 1898, — poste qu'il a occupé jusqu'à sa mort — il organisa l'envoi des premiers secours par les soins de l'ambassade anglaise à Constantinople ; puis vint la fondation des orphelinats, auxquels il fallut non seulement assurer les moyens d'existence pour plusieurs années, mais encore procurer des directeurs et des directrices capables et dévoués. G. Godet se consacra de toute son âme à cette œuvre qui l'occupa de façon intense pendant des mois, pour ne pas dire des années : personne ne saurait dire ce qu'elle lui a coûté de labeurs de toute nature, de voyages, de démarches, de correspondance, de temps et d'argent. Mais au moins eut-il la satisfaction de savoir que ses travaux n'avaient point été stériles et de constater de ses yeux le bien accompli par les Comités de secours qu'il avait contribué à créer. Un voyage en Arménie fait en automne 1905 avec son collaborateur et ami, M. Léopold Favre, de Genève, fut, comme on l'a dit, le couronnement et la récompense de ses multiples efforts.
Ces travaux absorbants auraient largement suffi à remplir la carrière d'un autre homme ; Georges Godet trouvait encore dans ses longues journées des heures pour étudier, lire, écrire. N'allez pas croire, par exemple, qu'une fois ses cours rédigés, il se contentât de les reprendre année après année, en se bornant à modifier un terme ici et là ou à y ajouter de temps en temps une réflexion ; ses manuscrits montrent qu'il les a constamment retravaillés ; les pages en sont, presque sans exception, raturées, corrigées, chargées de notes diverses, constellées de signes cabalistiques, au point qu'on se demande comment il parvenait à s'y retrouver et que, quand des amis se proposèrent d'en préparer un pour l'impression, ils eurent grand'peur un moment de n'y jamais réussir.
Puis, G. Godet n'avait jamais cessé de venir en aide à son père, principalement pour l'impression de ses ouvrages ; il n'est probablement pas un écrit de F. Godet — depuis ses simples brochures jusqu'à ses commentaires et à la Bible annotée dont il n'ait corrigé les épreuves de la première à la dernière page. Pendant de longues années on ne le vit jamais sans une liasse de papiers d'imprimerie sortant de la poche intérieure de son habit ; avait-il quelques minutes de loisir, vite il parcourait une page ou deux ; il avait acquis à ce métier une grande habileté : le prote avec lequel il avait affaire disait en riant qu'il avait manqué sa vocation et admirait le soin qu'il prenait, en remaniant une phrase, de compliquer le moins possible la besogne des ouvriers. M. Frédéric Godet qui, lui aussi, fut un travailleur acharné, laissa, en mourant, plusieurs ouvrages inachevés ; c'est encore à son fils aîné qu'incomba le soin d'y mettre la dernière main, et c'est à lui que l'on doit la publication de la quatrième édition (française et allemande) du Commentaire sur l'Évangile selon saint Jean (1903) et celle des dernières livraisons de l'Introduction aux trois premiers Évangiles qui forme le premier volume de l'Introduction au Nouveau Testament du même auteur.
Mais les circonstances amenaient aussi assez souvent Georges Godet à intervenir personnellement auprès du public religieux ou théologique. Tous les quatre ans, environ, revenait son tour de prononcer le discours d'ouverture à la séance de rentrée de la Faculté de théologie ; il profitait généralement de l'occasion pour donner son avis sur la question du jour. C'est ainsi qu'en 1890, alors que l'on agitait dans nos Églises le problème de l'autorité religieuse, il lut un travail intitulé : Sur quoi repose notre foi ?b qui est peut-être le meilleur de ses écrits et qui fut très largement répandu. En 1900, il étudiait dans Messianisme et Évangile les tendances du Christianisme social en s'attachant principalement aux conceptions de M. Wilfred Monod. Quatre ans plus tard, il consacrait une étude approfondie à la comparaison de l'enseignement de Paul avec celui de Jésus. Il assistait très régulièrement aux Assemblées annuelles de la Société pastorale suisse et y prit plusieurs fois la parole sinon en qualité de rapporteur, du moins en qualité de premier votant ; il était passé maître dans l'art de la discussion et l'on garda longtemps le souvenir de sa rencontre avec le professeur Auguste Bouvier, dont il attaqua vigoureusement les vues sur l'origine et la nature du péché ; il eut ce jour-là pour allié M. Edmond de Pressensé, et le professeur genevois sortit, dit-on, assez mal arrangé du débat. Il fut également chargé de donner la réplique à M. Paul Chapuis, professeur à Lausanne, qui avait présenté à la réunion de Neuchâtel, en 1894, un travail sur ce sujet : Quels sont, dans la personnalité de Jésus, les caractères essentiels qui autorisent et expliquent la foi qu'il réclame ? La discussion porta essentiellement sur la croyance à la divinité essentielle de Jésus et à sa préexistence ; G. Godet, champion de la droite évangélique, ne déçut point, ce jour-là, l'attente de ceux qui comptaient sur lui pour mettre en lumière et faire valoir les données bibliques. A Bâle aussi, il remplaça au pied levé un rapporteur empêché et montra avec sa compétence accoutumée la conformité de vues qui existait, selon lui, entre Paul et Jésus.
La propagande intense à laquelle se livrèrent un moment les « Adventistes du septième jour » et la perturbation jetée par eux dans bien des esprits l'amenèrent à publier d'abord une série d'articles dans le Journal religieux, puis une brochure de soixante-douze pages sur Le bon droit du dimanche (Neuchâtel, 1893). En 1902, lors de la première tournée en Suisse de l'orateur anarchiste Sébastien Faure, il donna sous ce titre : L'Hypothèse Dieu, Lettre ouverte à Sébastien Faure, (Neuchâtel) une vigoureuse réfutation des sophismes du propagandiste athée.
Ses communications aux revues théologiques, par contre, se firent plutôt rares. La Revue chrétienne publia en 1893 sa captivante notice sur Louis Bonnet et son œuvre ; il fournit à la Revue de Théologie de Montauban en 1896 un article sur Notre Bible et quatre articles à Foi et Vie (1898-99) sur Évolution et surnaturel, Miracle et surnaturel, La Prière-demande est-elle légitime, Auguste Sabatier théologien. La notice sur Arnold Bovet (1903) et celle, plus étendue, sur Gaston Frommel (1908) sont tirées du Journal religieux.
Ajoutons qu'il y aurait une regrettable lacune dans notre tableau de l'activité de Georges Godet, si nous ne faisions mention de la vaste correspondance qu'il entretenait avec une foule de gens, et surtout avec ses anciens catéchumènes et ses anciens étudiants. On lui écrivait pour tout au monde et de tous les coins de l'univers ; il y avait toujours sur sa table une pile de lettres auxquelles il se faisait un devoir de répondre, et non par de simples billets, mais longuement, affectueusement. C'étaient généralement ces messages tout remplis de cordialité qui révélaient aux jeunes gens dont il avait été le pasteur ou le maître, tout ce qu'il y avait de bonté, de dévouement dans le cœur de cet homme à l'accueil un peu réfrigérant et pas toujours d'humeur communicative. Dans ce correspondant jovial et bon enfant qui couvrait à leur intention quatre ou huit pages de son écriture serrée, ils se découvraient tout à coup un ami insoupçonné ; l'intérêt très vif et évidemment sincère qu'il leur témoignait, le souci qu'il prenait de s'informer de leur situation, le soin qu'il mettait à leur donner les renseignements ou les conseils demandés, tout leur montrait qu'ils n'étaient point oubliés et qu'ils pouvaient compter sur son attachement. Souvent encore un hasard leur apprenait qu'un mot bienveillant de sa part, une recommandation discrète, leur avait frayé la voie et ouvert des portes qui, sans lui, fussent restées fermées devant eux.
Pendant toute sa vie, Georges Godet avait fui les discussions et démêlés ecclésiastiques. C'était pourtant par là qu'il devait terminer sa carrière. Les luttes de l'année 1906 sont encore trop fraîches dans le souvenir de tous pour que nous ayons besoin de les décrire et de rappeler comment notre peuple se trouva appelé à se prononcer à nouveau sur la question épineuse de la séparation des Églises et de l'État. Quelques années auparavant, G. Godet, qui avait tant travaillé à l'établissement et au maintien des bonnes relations entre nos deux principales Églises, se fût sans doute tenu à l'écart de ces polémiques ; mais la mort de M. le pasteur Robert-Tissot, en décembre 1905, avait fait passer dans ses mains la direction du Journal religieux. L'organe des Églises indépendantes de la Suisse romande ne pouvait ni ignorer le débat qui passionnait la population tout entière, ni se contenter du rôle de spectateur en se bornant à marquer les coups. Il fallait descendre dans la mêlée : et Georges Godet y descendit, non de gaîté de cœur, certes, mais parce qu'il s'agissait de défendre une cause juste, une cause qui, dès longtemps, lui était chère, et parce qu'il était certain de pouvoir le faire sans aucune animosité, ni contre l'Église nationale, ni contre les hommes qui plaidaient pour son maintien. Il fit la campagne vaillamment, discutant de la façon la plus serrée les arguments de ses adversaires d'un jour, dissipant les malentendus, rectifiant les erreurs, montrant tour à tour ce que l'Église perd à rester unie à l'État et ce qu'elle gagne à recouvrer son entière liberté ; tout cela fermement, nettement, sans réticences ni sous-entendus, mais aussi avec une courtoisie, un respect pour l'opinion et la personne d'autrui, une dignité et une hauteur de vue que l'on rencontre rarement en pareilles circonstances. Ceux-là mêmes qu'il combattait se sont plu à le reconnaître.
La question semi-politique du rapport entre l'État et les Églises ne fut au reste pas seule à occuper les esprits. Les Églises libres, leur organisation, leurs méthodes, furent mises plus d'une fois sur la sellette et sévèrement critiquées ; le reproche qui leur fut le plus souvent adressé fut celui d'étroitesse dogmatique : en inscrivant dans leurs principes une déclaration de foi, elles s'érigent en juges des consciences, elles prétendent opérer parmi les croyants un triage que le Chef de l'Église a interdit de la façon la plus expresse ; en réduisant l'Évangile à une série de formules, elles faussent le caractère de la foi dont elles font une croyance purement intellectuelle, une simple adhésion de l'intelligence à des dogmes qu'on déclare intangibles et qui, pourtant, se modifient sans cesse ; elles éloignent du Christ les âmes sincères qui ne demanderaient pas mieux que de le servir, mais qui ne peuvent souscrire à des symboles surannés. C'est pour répondre à ces objections que G. Godet écrivit sa brochure sur L'Église et la Confession de foi, dans laquelle il montre avec la dernière clarté qu'une action commune des chrétiens ne peut avoir pour base que la conformité des affirmations morales et religieuses ; une Église ne peut vivre sans foi, et cette foi, elle ne peut pas ne pas la confesser. Ce beau travail ne fut peut-être pas suffisamment remarqué au milieu du déluge de publications de toute nature qui virent alors le jour. Mais le moment n'est sans doute pas éloigné où il retrouvera toute son actualité et où les membres de l'Église indépendante seront reconnaissants envers G. Godet de le leur avoir légué.