Conté - Edme François Jomard - E-Book

Conté E-Book

Edme François Jomard

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Extrait: "S'il est vrai qu'un homme doit être loué surtout par ses travaux et par ses actions, jamais cette vérité n'aura été appliquée plus justement qu'à l'éloge de Nicolas-Jacques Conté. Le récit de sa vie n'a besoin d'aucun ornement ; ce n'est donc point un panégyrique qu'on va lire, c'est une modeste biographie, où doit se refléter la simplicité de ses mœurs et de son caractère."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

● Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
● Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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À MADAME VEUVE HUMBLOT NÉE CONTÉ

 

Hommage d’une ancienne et respectueuse amitié,

 

L’AUTEUR.

Conté

… Conté, qui était à la tête des aéronautes homme universel, ayant le goût, les connaissances et le génie des arts, précieux dans un pays éloigné, bon à tout, capable de créer les arts de la France au milieu des déserts de l’Arabie.

NAPOLÉON.

Conté a toutes les sciences dans la tête et tous les arts dans la main.

MONGE.

Conté est la colonne de l’expédition d’Égypte et l’âme de la colonie.

BERTHOLLET.

S’il est vrai qu’un homme doit être loué surtout par ses travaux et par ses actions, jamais cette vérité n’aura été appliquée plus justement qu’à l’éloge de Nicolas-Jacques Conté. Le récit de sa vie n’a besoin d’aucun ornement ; ce n’est donc point un panégyrique qu’on va lire, c’est une modeste biographie, où doit se refléter la simplicité de ses mœurs et de son caractère.

Peu de personnes de la génération présente l’ont connu ; mais ses travaux, ses découvertes, les services rendus à la patrie, les progrès qu’il a fait faire aux arts, l’heureuse impulsion qu’il a donnée à l’industrie nationale, tous ces titres sont encore vivants et signalent son nom et son heureux génie à la reconnaissance publique. Ingénieur, physicien, artiste, mécanicien, travailleur infatigable, inventeur fécond, il a marqué honorablement tous les pas de sa trop courte carrière, et il a été admiré dans un temps où les prodiges ne manquaient pas. Il suffit de dire ici la haute et affectueuse estime qu’il avait inspirée au général Bonaparte, aux généraux Kléber et Caffarelli, l’amitié de tous les hommes d’élite de cette mémorable époque, surtout de Monge, de Berthollet, de Chaptal, de Fourier, enfin les regrets qu’a fait éclater, à la nouvelle de sa fin prématurée, la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, composée des illustrations du pays.

Tous les instants de la vie d’un homme de cette trempe méritent d’être étudiés, l’enfance surtout où se développent les symptômes de facultés supérieures ; ce motif excusera les détails peut-être minutieux où il me faut entrer. Conté était né au hameau de Saint-Cénery, près de Séez (Appendice [ A ]), commune d’Aunou-sur-Orne, le 4 août 1755, de parents cultivateurs de leurs biens propres et propriétaires dans le même lieu depuis deux cent cinquante ans. Sa mère resta veuve très jeune avec trois fils et trois filles. L’aîné fit valoir le bien paternel ; le troisième prit un état ; le second, Nicolas-Jacques, est le nôtre. Deux filles se firent religieuses à l’Hôtel-Dieu de Séez ; la plus jeune resta avec sa mère.

Celle-ci était une femme de mérite, pleine de raison, d’esprit et de vertus, qualités héréditaires dans cette famille. On venait la consulter dans toutes sortes d’occasions ; elle consolait, et soulageait la misère, elle était le conseil et le médecin des pauvres

Le petit Jacques fut d’abord placé chez une de ses tantes, qui avait aussi l’habitude de la bienfaisance, et qui était en état de commencer son éducation.

Conté allait de temps en temps voir d’autres tantes religieuses à l’Hôtel-Dieu de Séez ; enchantées de ses dispositions, de son goût pour l’étude, elles soignèrent son éducation. Il apprit d’abord à lire et à écrire ; ses tantes lui donnaient des livres, des crayons, des compas, qui faisaient son bonheur ; en même temps, dès le bas âge, il manifestait de la dextérité et un certain goût pour les ouvrages de la main. L’idée lui vint de faire un violon, et il fit un violon sans autre outil qu’un couteau ; il avait alors neuf ans. Ce violon servit dans des concerts ; on prétend qu’il existe encore. Son frère aîné le grondait de perdre son temps avec des crayons et des livres ; mais plus l’enfant avançait en âge, moins il se sentait de goût pour le travail de la terre. On remarquait son attitude méditative et sérieuse. Il ne partageait pas les jeux des enfants de son âge.

L’Hôtel-Dieu de Séez, administré par des religieuses de l’ordre de Saint-Augustin, avait pour supérieure madame de Prémeslé, de famille noble très ancienne dans le pays, et, plus que cela, personne instruite et douée de grandes qualités. Elle eut occasion de voir l’enfant et s’attacha vivement à lui, le voyant plein des plus heureuses dispositions. Il fut attaché d’abord au jardin, mais il passait la plus grande partie du temps auprès de la supérieure pour se livrer à l’étude ; il dévorait les livres de physique qui tombaient sous sa main.

Cette respectable dame allait de temps à autre à une maison de campagne qu’elle avait à Aunou. Jacques s’y rendait fréquemment et donnait de plus en plus des preuves d’une vive intelligence. Tout le monde s’attachait à lui parce qu’il se rendait utile par son esprit et son adresse ; au nombre de ces personnes était la sœur Saint-Jean en religion (née demoiselle Dufour d’Écoville), à qui la supérieure l’avait recommandé. On le voyait tracer sur les murailles toutes sortes de figures avec un charbon grossier ; il s’amusait aussi à préparer des couleurs, comme pour essayer de peindre un jour. Cependant ses fonctions étaient alors des plus modestes ; il n’avait pas voulu être laboureur, on l’avait fait aide-jardinier.

La supérieure ayant décidé de faire refaire les peintures de la chapelle de l’Hôtel-Dieu, fit venir du dehors un peintre appelé Couin. Il fut chargé de peindre les panneaux et le maître-autel. Après avoir peint deux ou trois panneaux il tomba malade ; l’ouvrage resta inachevé ; madame de Prémeslé, désolée de ce contretemps, allait appeler un autre peintre, lorsque le jeune Conté se présenta pour continuer l’œuvre. Jusque-là il n’avait fait que broyer les couleurs de l’artiste, que nettoyer ses pinceaux ; aussi la proposition de l’enfant de quatorze ans parut si téméraire que l’on en rit sans y faire aucune attention. Mais l’enfant persistait ; il dit : « J’ai vu travailler le peintre, j’ai bien observé comme il s’y prenait, et j’en ferai bien autant. Permettez que je m’essaye sur un panneau ; si je ne réussis pas, on en sera quitte pour effacer. » Il revint si souvent à la charge, il parut si sûr de lui-même, que la supérieure finit par consentir ; on donna à l’enfant des couleurs, une palette et des pinceaux, et il peignit de suite vingt panneaux. Ces tableaux, bien supérieurs aux premiers, représentaient les évangélistes, des saints en prière et d’autres sujets religieux, avec des fonds de paysage. On fut émerveillé du coloris brillant qu’il y avait mis et de la justesse d’expression des différents personnages ; on peut dire qu’il avait tout deviné d’un coup, dessin, couleur et perspective. Il n’avait que quatorze ans quand il fit cet ouvrage.

Un pareil coup d’essai devait obtenir et obtint un succès éclatant. Tout le monde, toute la noblesse du pays venait voir ces tableaux, et dans le nombre, une jeune veuve de dix-sept ans, demoiselle de Brossard, nom de sa mère, appartenant à une des plus nobles familles de Normandie (Appendice [ B ]). Conté commença alors à faire des portraits.

C’est vers ce temps que pour être agréable à un grand propriétaire du pays, depuis son ami, il s’occupa de lever le plan de ses possessions. Mais n’approuvant pas la routine des arpenteurs, il chercha un procédé plus expéditif et plus sûr, il imagina un instrument nouveau. L’intendant d’Alençon fit constater les résultats de la méthode et en reconnut l’exactitude. Il passa encore trois années à Séez occupé à se perfectionner, ne prenant de leçons que de la nature et faisant pour ainsi dire sa propre éducation ; mais sa tête fermentait, il sentait peut-être le besoin d’un plus grand théâtre, ou du moins désirait des exemples et le secours des maîtres de l’art. Or la jeune dame dont j’ai parlé, un peu plus âgée que lui, venait souvent chez madame de Prémeslé. Là elle vit le jeune peintre, elle apprécia chez lui les talents et les qualités du cœur ; ils s’aimèrent, et un mariage fut projeté ; mais la supérieure y mit une condition : c’est que Conté irait d’abord à Paris pour se perfectionner. Conté y passa seulement dix-huit mois, après quoi le mariage eut lieu. Pour mademoiselle de Brossard, fille d’un officier des chevau-légers, M. de Chompre, c’était déroger. Devenue madame Conté, elle fut déshéritée par un de ses oncles, et ses cousins cessèrent de la voir.

Par une coïncidence singulière, pendant que Conté commençait à Séez la peinture, Lesueur, notre grand compositeur, alors inconnu, débutait aussi à Séez en musique et touchait de l’orgue à la cathédrale.

En 1776, Conté partit pour étudier la peinture sous de grands maîtres ; il fut recommandé à Greuze. Greuze, dont le talent était renommé, apprécia le jeune artiste et lui fut très utile ; il lui donnait des conseils avec le plus vif intérêt. Tant qu’il vécut, Conté fut son ami ; le talent de l’élève, comme sa manière, avait beaucoup de rapport avec la manière et le talent du maître : naturel, naïveté, couleur se ressemblent en effet chez les deux artistes. Toutefois, Conté comprit que sa fortune ne lui permettait pas d’embrasser le genre de l’histoire où son goût le portait, et il résolut de se livrer au portrait de préférence. C’est pourquoi il alla trouver Hall, qui était l’Isabey du temps, et prit de ses leçons ; il devint très fort en miniature sous ce maître. Revenu à Séez, en 1779, il y peignit un très grand nombre de portraits à l’huile, au pastel et en miniature, tels que ceux de madame de Prémeslé, de M. Duplessis d’Argentré, l’évêque de Séez, de l’évêque de Limoges son frère, de M. Julien l’intendant d’Alençon, de M. Poimbœuf le secrétaire général de l’intendance, de M. Parseval et d’autres personnes de la bourgeoisie. Tous ces personnages marquants, M. Julien surtout, étaient autant de protecteurs pour lui. Il en faut dire autant de M. Lemaître, subdélégué de l’intendant d’Alençon, et de M. Despéreux, administrateur de la ferme des tabacs, qui allait être nommé fermier général au moment de la révolution.

À ces portraits on doit ajouter ceux de M. Lallemand, jurisconsulte, et de son épouse, de l’abbé Desfossé et de l’abbé Pierre Eghose, chanoines de la cathédrale de Paris. Le portrait de ce dernier passe pour être le premier qu’il ait fait. L’abbé Desfossé est celui qui l’avait initié aux lettres latines, étude qui dura deux ans et qui fut suivie de succès. La plupart de ces portraits sont à l’huile et dans le style de Greuse ; on les voit encore aujourd’hui avec plaisir dans différentes maisons de l’arrondissement d’Alençon ; ils brillaient par la ressemblance autant que par le charme de la couleur.

Les derniers et les plus beaux qu’il ait faits à Séez sont ceux du père et de la mère de M. Pichon-Prémeslé, le maire actuel de la ville, petit-neveu, à la mode de Bretagne, de madame de Prémeslé.

Mais au milieu de tous ces travaux, qui lui procuraient une honnête aisance, Conté était tourmenté par une autre pensée ; son génie inventif lui faisait découvrir de temps en temps des procédés nouveaux dans les arts. Il s’occupait de la chimie pour arriver à améliorer les couleurs, surtout de physique et de mécanique, par un goût inné. C’était le moment où les expériences sur l’électricité agitaient le monde scientifique. Observateur intelligent, expérimentateur habile, Conté prenait un vif intérêt aux nouvelles découvertes, et on le vit réaliser à Séez l’invention des ballons. Un jour il lança un grand ballon de papier du haut de la cathédrale ; ce ballon vint tomber près de Saint-Cénery et « fit bien peur aux hommes et aux bestiaux » : c’est le souvenir d’un respectable octogénaire cité dans les notes : je reviendrai sur cette circonstance. Aussi en venant s’établir définitivement à Paris, en 1785, avec sa femme et sa fille, songea-t-il à suivre des cours de physique, et notamment celui de Charles, qui, voyant sa sagacité, s’attacha beaucoup à lui.

Toutefois Conté ne négligeait pas la peinture. Sa réputation d’habileté lui fit confier le portrait de la duchesse d’Orléans, mère de Louis-Philippe, et cela à plusieurs reprises ; il fit aussi les portraits de M. d’Osmond, évêque, envoyé à Saint-Domingue où il périt d’une mort tragique, de l’amiral Bruix, de plusieurs fermiers généraux, entre autres M. de Boulogne. Les dames de la cour, sachant la vérité et la sûreté de son pinceau, venaient dans son modeste appartement se faire peindre. Les avantages qu’il retirait de cette espèce de vogue lui permirent de composer un beau cabinet de physique, avec des instruments de prix et un choix de machines. Le jour, il peignait ; le soir, il se livrait à la mécanique, à la physique et à la chimie. Il trouva dès ce temps des couleurs solides pour la peinture sur émail. Ses travaux chimiques le firent accueillir de Guyton de Morveau, Fourcroy et Vauquelin ; ses recherches de physique et de mécanique, de Leroy, Chartes et Vandermonde.

La révolution vint changer cette vie composée du travail de l’artiste et des méditations du savant, ou plutôt vint la concentrer tout entière sur les applications pratiques des sciences physiques et mécaniques. La ressource des portraits lui échappait, il avait heureusement une ressource plus féconde dans son esprit inventif. L’attention se porta sur lui, sous ce dernier rapport, à l’époque de l’Assemblée constituante.

Le comité des monnaies devait faire frapper une médaille commémorative ; on fit plusieurs essais infructueux. Conté fut mandé au comité, sur l’avis de M. Belzais de Courménil, qui connaissait le génie inventif de son compatriote.

« Je ne suis pas surpris, dit Conté, que vous ne réussissiez pas, il vous manque un outil. – Lequel ? – Je n’en sais rien, dit-il ; tout ce que j’aperçois en ce moment, c’est qu’un outil vous manque. »