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Le désert a toujours été l'endroit privilégié où l'imaginaire de l'homme et la création de Dieu se rencontrent pour engendrer des contes. Celui des environs de Phoenix, le désert de Sonora, a ses beautés particulières, roches et cactus, horizons infinis et couchers de soleil triomphants. Ses premiers occupants, les Hohokams, les Hopis, les Pimas, avaient leurs propres légendes. En grande partie la Bible a été aussi écrite par des hommes qui s'étaient arrêtés au désert, mais contrairement aux contes, ce qu'ils y ont appris n'est pas sorti de leur rêves mais leur est venu de Dieu. C'est pourquoi aujourd'hui, le chrétien qui va seul au désert ne s'y retrouvera pas seulement confronté à sa mémoire et à la nature, mais encore et surtout, à la Parole de Dieu.
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Seitenzahl: 155
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322485789
Auteur Pierre Roxanar. Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.ThéoTEX
site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]« Les songes, d'après Salomon, naissent de la multitude des occupations ».
Je me suis demandé si les contes, pour leur part, ne naissaient pas du temps qui passe, et du soleil qui frappe. Phoenix est une ville du grand ouest américain, au milieu de nulle part, où il fait chaud, très chaud l'été. Le désert qui l'entoure est certainement ce qu'elle offre de plus beau, il exerce un charme étrange sur tous ceux qui s'y aventurent durant quelques moments de solitude. Le lieu commun s'y révèle vrai, qui veut que la ville soit souvent un désert, et que le désert soit plus peuplé que la ville, parce que nous y retrouvons les êtres qui occupent nos pensées. Aussi, après réflexion, je crois que les contes naissent spontanément des comptes du passé ; c'est l'éternel besoin de rédemption qui les engendre, et par évidence, on ne peut racheter que le passé.
La Bible ne contient pas de contes ou de romans, parce que le salut est une question trop sérieuse pour se prêter à toute apparence de jeu. Néanmoins, elle laisse une large place au besoin d'imaginaire de l'homme, en le nourrissant de paraboles et d'allégories. Le conte prétend lui aussi enseigner une vérité sous l'apparence de la fable. Mais à la différence des paraboles bibliques qui révèlent et illuminent la pensée de Dieu, le conte ne fait que mettre en lumière la condition de l'homme et son besoin de salut, vus de son propre côté. C'est pourquoi le conte ne peut jamais atteindre à la gravité et à la sainteté des Écritures. Du reste, la sagesse du langage nous avertit : ce ne sont que des contes.
Si donc le conte est en résumé une connaissance de l'homme apportée par l'esprit de l'homme, il ne naît pourtant pas indifféremment n'importe où. La campagne lui est plus favorable que la ville. Roi de la création, l'homme a besoin, tel Salomon sur son trône, du spectacle de sa nombreuse cour, pour pouvoir écrire ses Proverbes. Les bois, la mer, le désert, leur flore et leur faune sont ses sujets naturels. Silencieux, il les observe par devers lui, les yeux mi-clos, avant de prendre le calame ou le clavier, pour consigner ce qu'il a découvert en eux, qui parle de nous.
Qu'on relise les écrits de Salomon, n'est-il pas de tous les écrivains de la Bible celui qui aurait été le plus susceptible d'écrire des contes ? et peut-être en a-t-il écrit, car nous ne connaissons pas toutes ses œuvres. Chacun de ses Proverbes, développé, produirait un conte. Ce bien-aimé de l'Éternel, reçut en cadeau une sagesse incomparable, pour sonder les choses terrestres et les hommes. Sonder les choses de Dieu et ses raisons est une autre affaire.
La conclusion des petits contes de nos vies ne peut que répéter celle que l'Ecclésiaste avait déjà donnée, il y a trois millénaires, après avoir beaucoup réfléchi sous le soleil :
Malgré le climat exceptionnel dont elle jouit, la ville de Phoenix produit hélas chaque mois, comme toute grande métropole, son contingent de dépressifs, de neurasthéniques, de psychotiques, bref de toutes les espèces de malades souffrant d'une des innombrables maladies de l'âme. La vie moderne est si dure, le mécanisme humain si complexe, que la cité qui ne compte aucun fou n'a pas encore été bâtie, sur aucun continent. D'ailleurs, est-ce vraiment la ville qui engendre la maladie mentale, ou bien les personnes fragiles qui ont une attirance particulière pour la ville ? Quoiqu'il en soit, il faut soigner les malades, c'est une question élémentaire d'humanité.
Sous ce rapport, Phoenix a su se doter d'excellentes cliniques, dans lesquelles la médecine officielle s'efforce d'appliquer, avec plus ou moins de succès, ses meilleures théories sur le fonctionnement de la psyché. Toutefois, aucun de ces établissements ne peut prétendre rivaliser aujourd'hui avec les résultats obtenus par un médecin indépendant et complètement atypique, le docteur Saguero.
Vous trouverez le cabinet du docteur Saguero non loin du croisement de la cinquante-cinquième avenue avec Happy Valley Road. C'est une grande et belle maison dans le style néo-hispanique de la région, aux murs ocres, flanqués de hautes arcades s'appuyant sur de larges piliers, au toit de tuiles roses, coiffé par une curieuse tour en forme de colonne dorienne, qui la distingue de toutes les habitations voisines. Sonnez ; poussez le battant droit de la porte d'entrée, qui est à elle seule un chef-d'œuvre de fer forgé, et vous voilà dans la salle d'attente. Ou plutôt, dans la splendide serre, le superbe musée du désert, qui sert de salle d'attente aux clients du docteur Saguero.
La lumière éclaire cette vaste pièce comme en plein jour, grâce à un plafond de verre octogonal situé à une bonne douzaine de mètres de haut, et qui semble être le sommet de la tour. Chacun des huit pans de mur qui la circonscrivent, est habillé d'une vitrine à armatures de laiton, d'environ un mètre cinquante de profondeur, et dont le fond est un miroir. Derrière ces vitrines, ont été artistement disposées toutes les espèces de plantes imaginables du désert de Sonora : ocotillos, prickle-pears, agaves, chollas, yuccas, jaboncillos, cereus, brittlebushes, marigolds, chuparosas… Au centre de la pièce, pavée de grandes dalles de travertin turquoise, trône un divan circulaire en cuir crème, dont vous ne songez pas même à tester le moelleux des coussins, tant vous êtes attirés par l'envoûtant kaléidoscope végétal qui résulte du jeu des huit miroirs. Vous êtes là encore debout, vous demandant si à tout hasard le docteur Saguero ne prétendrait pas vous soigner par les plantes, lorsque la porte de son bureau s'ouvre, et que lui-même vous invite à le suivre.
Le docteur Saguero est un petit bonhomme d'une soixantaine d'années, presque chauve, vêtu de pantalons trop larges, et d'un gilet à boutons, distendu par une légère bedaine. Une paire d'yeux très noirs, qui pétillent au milieu d'un visage hérissé de barbe grise, vous regarde affectueusement. Après vous avoir serré la main avec une singulière chaleur, il vous prie de vous asseoir, tandis que lui-même se renverse dans un grand fauteuil capitonné. « Racontez-moi votre histoire », chuchote-t-il en fermant les yeux.
Quelques regards jetés de droite et de gauche sur la petite pièce qui vous accueille, et qui contraste par sa sobriété avec la salle d'attente, puis vous commencez votre récit. Que ce dernier dure cinq minutes ou deux heures, sachez que le docteur Saguero ne vous interrompra pas. En réalité, au bout d'un moment, sa respiration régulière et sa bouche entr'ouverte, vous font soupçonner qu'il dort. Vexé, vous stoppez votre discours ; immédiatement, et sans ouvrir l'œil, le docteur vous demande ce qui s'est passé ensuite, avec un à-propos qui prouve qu'il a tout retenu. Cet étonnant Saguero semble posséder la faculté d'écouter et de réfléchir, tout en dormant ! Enfin parvenu au terme, vous vous arrêtez pour de bon, en attente des premiers commentaires.
Il n'y en aura pas ! le docteur ouvre les yeux, se lève, et vous prend la tension. Ensuite il vous ausculte, vous fait tousser deux ou trois fois, puis il s'assied à sa table de travail, pour rédiger son ordonnance, toujours la même. Quel qu'ait été votre récit, le docteur marmonne en écrivant : « Je vois ce que c'est... Je vais vous prescrire une cure de grands cactus. »
Une cure de grands cactus ! N'allez pas croire qu'il s'agisse d'ingurgiter quelque décoction indienne de ces plantes du désert, aux vertus hypnotiques, ni même de les manger en salade. Non, le docteur Saguero, vous demande de vous procurer une chaise pliante, un bon chapeau, et une bouteille d'eau. Sur une carte affichée au mur, il choisit un endroit désertique près de chez vous : par exemple Lake Pleasant, si vous habitez au nord, ou Estrella Park si vous habitez au sud. Tous les matins vous devez vous rendre dans le désert, et là, repérer un spécimen de ces magnifiques carnegiea gigantea, les cactus emblématiques de l'Arizona. Il doit être le plus grand possible, et porter au moins deux branches. Vous allez vous asseoir auprès de lui, et y passer la journée. Mais quels effets le docteur Saguero peut-il bien espérer d'un traitement en apparence aussi fantaisiste ?
De l'avis des botanistes, les grands cactus d'Arizona sont des plantes tout à fait remarquables, d'abord par le fait qu'elles ne se trouvent sur terre que dans cette région, ensuite parce qu'elles démontrent un vrai miracle d'adaptation à un environnement pratiquement dépourvu d'eau. Non seulement ces monstrueux cornichons atteignent fréquemment la dizaine de mètres de haut, mais encore ils ont réussi à se reproduire très efficacement, jusqu'à coloniser d'immenses portions du désert, qu'ils peuplent à perte de vue. Ce n'est donc pas sans raisons que l'Arizona s'enorgueillit de ses cactus, et qu'elle les protège par sa législation : celui qui tente d'en détruire un, ou de l'abîmer, sera puni. Mais en vérité, face aux sages du désert, cette précaution paraît superflue. Car il émane d'eux une telle sérénité, une telle empathie, que le plus méchant enfant armé d'une batte de baseball, se trouve en leur présence brusquement radouci, et desserre les poings. La seule idée de frapper les gros végétaux bonaces et sans défense, fait presque ressentir la douleur qu'ils éprouveraient. Il y a là un premier fait psychologique qu'a su parfaitement exploiter le docteur Saguero : les excités qu'il envoie dans le désert, commencent par se calmer à la vue du cactus ; ils s'asseoient près de lui, et c'est un bon début. Mais qu'en est-il des mélancoliques, des asthéniques ?
Une deuxième vertu, la principale du caractère de la plante, se communique bientôt au malade : la patience ; patience de cactus qui n'est pas que métaphorique. Le docteur Saguero n'a pas manqué de fournir à ses malades un petit dépliant, sur lequel ils apprennent que les grands cactus croissent extrêmement lentement. Il ne leur faut pas moins de 75 ans avant de développer complètement une seule branche ! Les conditions climatiques sévères dans lesquelles ils séjournent, leur imposent cette lenteur. Leur racines, astucieusement imprégnés de sel, récupèrent avidement la moindre goutte de pluie ou de rosée ; ils arrivent ainsi à accumuler, à l'intérieur de leur chair, des centaines de litres d'eau, sur lesquels ils subsistent le reste du temps ; c'est-à-dire, presque toujours exposés à la course insensible d'un soleil ardent, à travers l'azur uniforme d'un firmament sans nuages. Eux qui ont su endurer un régime si rude, deviennent ainsi au fil des ans, de véritables monuments de patience, auxquels les hommes rendent hommage inconsciemment, quand bien même ils ignoreraient tout de la botanique.
Assis près du grand cactus, les malades du docteur Saguero sentent leurs souffrances du passé s'amollir, leurs amertumes se diluer, leurs chagrins s'évaporer. Le bon géant témoigne muettement de l'amour et de la fidélité du Créateur, qui l'a gardé année après année, vivant et debout, dans le désert. Il semble leur dire : « Regarde ! quand une fournaise constante dessécherait ton âme, quand une solitude impitoyable l'écraserait, le Seigneur te conserve sa bonté et prend soin de toi. » Aussi, simple constatation objective, après un petit séjour passé dans le désert en appliquant la méthode du docteur Saguero, les âmes blessées vont mieux.
Mais qu'en pense le docteur lui-même ? En tant que médecin, il ne peut se borner à constater des effets, il lui faut expliquer : la médecine qui tolérerait que les malades guérissent sans explications et sans permission, ne mériterait plus d'être appelée une science. Là encore, Saguero reste un original, sinon un dissident, puisqu'il prétend appuyer sa méthode sur la Bible :
« N'avez-vous pas lu comment le prophète Jonas éprouva une grande joie, lorsque Dieu fit pousser durant la nuit un ricin, qui ombrageait sa tête ? Cet homme, qui était assurément en pleine dépression, reçut un soulagement inattendu par le voisinage d'une simple plante. Or Dieu voulait lui enseigner une leçon capitale, en l'éclairant sur l'état de son propre cœur ; il fit donc périr en une nuit le ricin de Jonas. Le prophète en fut si affecté qu'il préférait la mort, à cause de la perte de cet arbuste qui n'avait duré que quelques jours ! Mes cactus, pour leur compte, vivent jusqu'à deux siècles, pourquoi n'exerceraient-ils pas aussi bien une influence affective sur les hommes qui s'asseoient auprès d'eux ?
Ce n'est pas le seul endroit dans l'Ecriture ou Dieu se sert des plantes pour parler aux hommes. Ainsi il ordonne au prophète Esaïea : « Crie ! » Esaïe répond : « Que crierai-je ? »
« Toute chair est comme l'herbe, et tout son éclat comme la fleur des champs. »
Vous voyez, Dieu compare l'homme à une plante. Pour nous guérir, le premier article de Sa médecine, nous révèle d'abord ce que nous sommes par nature. Ma méthode, ne fait que reprendre son principe. Dans la solitude du désert, le malade est susceptible de rentrer en lui-même, il ouvre les yeux sur les déficiences de sa vie morale. Toujours muni de la clé biblique, qui met en correspondance la plante et l'âme humaine, vous comprenez le rôle des grands cactus. Ils sont semblables à ces personnes près desquelles on se sent bien, en toutes circonstances, et sans qu'on sache au juste pourquoi ; elles vous apaisent avant même d'avoir ouvert la bouche. N'en avez-vous jamais croisé ? Ce sont souvent des hommes et des femmes qui ont traversé victorieusement des épreuves douloureuses ; elles semblent porter ce fruit paisible de justice, dont parle l'épître aux Hébreux. Cher ami, je devine en vous une peine secrète ; allez donc essayer ma méthode. Dans le désert d'Arizona, le vent sent si bon, les pierres sont si chaudes, les grands cactus sont si patients, que Dieu vous guérira. »
Et touché par la sympathie, la chaleur, la bonté, qui se dégagent du petit homme, vous vous demandez si malgré sa taille, ce docteur Saguero ne serait pas lui-même un grand cactus incarné.
Mais M'sieur, c'est absurde ! Les oiseaux sont recouverts de plumes et n'ont pas de dents, comment descendraient-ils des reptiles, qui eux portent des écailles et des dents ! Qu'en dites-vous, M'sieur ?
Les élèves avaient discuté ferme, cet après-midi d'avril, dans la classe de deuxième année de la Desert Wren Junior High School, située en bout de Verrado Way, à l'ouest de Phoenix. Il avait été question de la théorie de l'évolution. Quand on sait avec quel caractère passionnel les américains défendent leurs convictions sur le sujet, on ne s'étonnera pas des vives réactions manifestées par ces enfants d'à peine une dizaine d'années. Le maître, tout en se gardant de prendre apparemment parti, se contentait de présenter l'état actuel des théories scientifiques. C'est ainsi qu'il venait de signaler la croyance quasi unanime chez les savants, que les oiseaux actuels sont les lointains descendants des dinosaures.
Deux pré-ados en particulier intervenaient dans le débat. Duane, garçon timide, intelligent, curieux de tout, grand lecteur de revues scientifiques, s'emparait de la parole avec une fréquence et une assurance inhabituelles. Quant à Doris, elle était identifiée comme étant la fille du pasteur ; et quel que fût ce pasteur, il faut avouer qu'il avait plutôt réussi sa progéniture, en la dotant d'une taille svelte, d'un joli minois et d'un esprit vif. Doris répliquait coup pour coup aux arguments développés par Duane en faveur de l'évolution des êtres vivants ; chaque phrase de ce dernier était immédiatement suivie d'un papillotement des longs cils incurvés de Doris, puis un oracle biblique tombait de ses lèvres arrondies en une moue dédaigneuse.
Chose curieuse, si les yeux d'un observateur avaient pu accéder au champ visuel des deux jeunes gens, ils auraient constaté qu'en parlant, Duane regardait toujours Doris, tandis que Doris ne regardait jamais Duane. Ils avaient pourtant été d'excellents camarades, jusqu'à hier… lorsque brusquement Doris s'était retournée vers Duane, et lui avait envoyé à toute volée une gifle, sans aucune explication !
La science suppose à juste titre que dans le monde animal rien n'arrive sans cause : si le tigre se jette sur sa proie, ce n'est pas parce qu'il est cruel, comme nous nous plaisons à le qualifier, mais parce qu'il a faim et doit manger. Il en va autrement chez les humains : lequel d'entre nous, s'il est honnête avec lui-même, ne se rappellera pas avoir parfois commis le mal gratuitement ; avoir trouvé un plaisir étrange dans l'impulsion qui le poussait à faire le mal parcequ'il savait qu'il faisait mal ? Sans doute la psychologie qui veut trouver absolument des motifs à toutes nos actions, finit par en inventer ; seulement une méchanceté expliquée n'est plus une méchanceté gratuite ; hélas, nos âmes sont parfaitement capables d'une telle monstruosité. Doris ne s'expliquait pas plus son geste que Duane lui-même ; elle avait simplement décidé d'être désormais méchante avec lui, autant qu'elle avait été avenante auparavant, sans savoir pourquoi.
Derrière le jeu de ping-pong des raisons et des contre-raisons aussi objectives les unes que les autres, que s'échangeaient les deux jeunes gens, se jouait donc une autre partie, irrationnelle et subjective ; en réalité ce n'étaient pas deux cerveaux qui s'affrontaient, mais deux âmes. Et qui garantira que les disputes de vieux théologiens ne ressemblent jamais à des vengeances d'enfants méchants ? Quoiqu'il en soit le maître était sommé par les deux bords de se prononcer, puisqu'enfin il représentait l'autorité dans la classe, il lui fallait trancher, pour ou contre l'évolution : la neutralité n'allait pas être tolérée.
Il se tenait là debout sur l'estrade, la tête inclinée, l'air profondément absorbé dans ses pensées, caressant doucement sa joue mal rasée avec une longue plume d'oiseau qui rendait un petit crissement à chaque passage.
– Mes enfants vous me demandez mon opinion ; que peut-elle valoir ? je ne suis spécialiste de rien. A titre personnel et à mon âge, le fait de perdre des dents, ne m'étonne plus, dit-il avec un faible sourire. Puis d'une voix pénétrée :