Corée du Sud - Sébastien Falletti - E-Book

Corée du Sud E-Book

Sébastien Falletti

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Beschreibung

Prenez une carte de l’Asie : la Corée du Sud est une blessure. Un pays divisé par la guerre et contraint de vivre, au quotidien, sous la menace de son frère ennemi du Nord. Et pourtant ! La pandémie l’a encore prouvé, les Sud-Coréens sont une preuve unique de résilience et d’inventivité. Oui, le pays du matin calme est aussi celui des miracles et des prouesses technologiques, à faire pâlir le Japon, la Chine et les Occidentaux. La Corée du Sud est un passeport pour le futur.
Ce petit livre, qui n’est pas un guide, révèle cet insatiable goût du miracle. Il est un regard avisé sur les prouesses d’un peuple. L’émergence de la Corée du Sud a chamboulé le monde. Preuve, s’il en était besoin, de la formidable flamme créative qui caractérise l’âme de ce pays. Un grand récit suivi d’entretiens avec Benjamin Joinau, Park Tae-Gyun et Fiona Bae.


À PROPOS DE L’AUTEUR
Agrégé d’histoire, correspondant depuis 2009 à Séoul et Shanghaï pour Le Figaro et Le Point, Sébastien Falletti couvre les convulsions de la péninsule coréenne et de l’Asie orientale.

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Couverture

Page de titre

L’ÂME DES PEUPLES

Une collection dirigée par Richard Werly

Signés par des journalistes ou écrivains de renom, fins connaisseurs des pays, métropoles et régions sur lesquels ils ont choisi d’écrire, les livres de la collection L’âme des peuples ouvrent grandes les portes de l’histoire, des cultures, des religions et des réalités socio-économiques que les guides touristiques ne font qu’entrouvrir.

Ponctués d’entretiens avec de grands intellectuels rencontrés sur place, ces riches récits de voyage se veulent le compagnon idéal du lecteur désireux de dépasser les clichés et de se faire une idée juste des destinations visitées. Une rencontre littéraire intime, enrichissante et remplie d’informations inédites.

Précédemment basé à Bruxelles, Genève, Tokyo et Bangkok, Richard Werly est le correspondant permanent à Paris et Bruxelles du quotidien suisse Le Temps.

Retrouvez et suivez L’âme des peuples sur

www.editionsnevicata.be

 (@amedespeuples)

 (@amedespeuples)

 (amedespeuples)

Pour mes parents, qui m’ont donné le goût

AVANT-PROPOS Pourquoi la Corée du Sud ?

Avant de décoller pour Séoul, mes camarades journalistes m’avaient mis en garde, un brin inquiets pour mon avenir. « Qu’est-ce que tu vas aller faire en Corée ? » m’avait lancé Jean Quatremer, chevronné correspondant de Libé à Bruxelles, en employant un terme moins châtié. Je quittais la veille Europe, un boulot, des amis, ma famille pour une péninsule inconnue, à la réputation grise et industrieuse. « Corée du Nord ? ou du Sud ? » telle était la question rituelle. Dans ces années 2000, Pyongyang la stalinienne résonnait vaguement dans l’inconscient occidental, mais Séoul était un angle mort de cette Asie lointaine, qui me hante depuis l’enfance, et mon choix de m’installer là-bas, jetant par-dessus bord ma carrière européenne, paraissait incongru. Moi-même je m’étais réveillé l’angoisse au ventre le premier matin dans cette mégalopole, aux massifs gratte-ciel crachant des volutes de vapeur blanche sous le soleil glacé de janvier, et où je ne connaissais personne. Allais-je survivre dans cet Orient Extrême ? J’étais suffoqué par les -15°, et les mystères indéchiffrables de cette cité tentaculaire.

Aujourd’hui, difficile de croire que Séoul était alors terra incognita, à l’heure ou la série Squid Game bat les records sur Netflix, et le groupe BTS domine les charts, consacrant la métamorphose stupéfiante du « pays du matin frais » en nouvel aimant de la pop culture planétaire. En une décennie, la « vague coréenne » a déferlé sur le monde, portée par les fans de K-pop, ou le triomphe aux oscars du film Parasite. La Corée du Sud déploie désormais sans complexe son soft power, ringardisant sa rivale du Nord, imposant les tendances, attirant les plus grandes marques sur les avenues rutilantes du quartier de Cheongdam. Armé de la toute-puissance de You tube, le « rêve coréen » conquiert la génération Z planétaire à Paris, Bangkok ou Los Angeles, dans un torrent de chorégraphies, remplaçant l’american dream de leurs aïeux, et offrant une nouvelle frontière à une jeunesse ultra-connectée.

Et pourtant, cette farouche péninsule hérissée de montagnes altières a longtemps fait figure « d’étrangeté » aux yeux des rares voyageurs occidentaux qui l’avaient arpenté au cours des siècles, gagnant le surnom de « royaume ermite » sous la dynastie Joseon. Une « chambre close » selon Nicolas Bouvier, effleurant les mystères bien gardés de ce pays Finisterre, seul en Asie orientale, à avoir échappé au joug colonial occidental, avec le Japon, et le Royaume du Siam, toujours accroché à ses « codes enfouis », avais-je rappelé dans la première édition de ce livre, publié en 2016. Il y a une éternité.

Inconnue à l’orée du siècle, la Corée du Sud s’est fait un nom, grâce aux téléphones Samsung, ou voitures Hyundai, et conquiert maintenant nos imaginaires surfant sur ses idoles, et sa gestion diligente de la pandémie de Covid. Nation tellurique, parsemée d’usines fumantes, et hérissée de pics vertigineux où se blottissent des temples paisibles, cette pointe oubliée de l’Asie aimante désormais les voyageurs assoiffés d’avenir.

D’où vient cette métamorphose soudaine ? Le pays du matin calme et des nuits agitées colle à notre époque, nous interpellant comme un coup de poing surgi d’un film de Park Chan Wook. Comme un précipité de notre modernité, un tube à essai grandeur nature des contradictions qui hantent le vingt et unième siècle. Ultra-connectée, impatiente, matérialiste, elle est aussi mélodramatique, passant allègrement du drame au mièvre. Obsédée par l’apparence, elle remix des valeurs traditionnelles séculaires, mariant le nihilisme à la foi du charbonnier, proclamant l’entrée dans un monde post-occidental, résolument technologique. La Corée du Sud est le reflet aguichant, parfois surjoué, des interrogations vertigineuses de notre temps, amplifiées par ses dramas, films et artistes. Un cocktail de désirs qui s’entrechoquent, de contradictions, puisant son énergie insondable dans les blessures de l’histoire, pour se projeter vers l’avenir, coûte que coûte. Mais, derrière les succès et le look tendance des BTS, se camoufle toujours le carcan confucéen d’une société régimentée, à la hiérarchie longtemps implacable et que les nouvelles générations, en particulier les femmes, tentent de contourner, parfois par l’exil.

Une nouvelle fois, j’ai été pris de court par le volontarisme chevillé au corps de cette jeune démocratie de 50 millions d’habitants, tuméfiée par l’Histoire, dont la sanglante guerre de Corée, qui fit 3 millions de morts, et déchire toujours ce peuple à fleur de peau. La quatrième économie d’Asie vit chaque jour comme sa dernière chance, toujours en embuscade pour surfer sur la prochaine vague, dans une fuite en avant étourdissante. Des traumatismes de l’histoire, elle puise son énergie, animée par un instinct de survie viscéral que n’a pas émoussé l’accession à la prospérité, la propulsant vers demain, au nom du primat de la volonté. Au risque de piétiner son passé, comme les vieux quartiers de hanoks (maison traditionnelle) détruit par les bulldozers, où les rides effacées au bistouri, dans les cliniques de chirurgie esthétique d’Apgujeong.

L’énergie des Coréens est communicative et vous emporte, parfois jusqu’à l’épuisement. Elle aiguillonne votre vie à défaut de lui donner un sens. Elle ne laisse pas indemne. Après avoir désaxé ma boussole d’Occidental, la Corée du Sud m’a appris la force des liens tissés, défiant le temps, la distance et l’amertume. La puissance du jeong, ce capital mystérieux qui relie les êtres au fil des jours, précieuse ressource pour traverser l’existence.

Venir en Corée, c’est découvrir une histoire enfouie, mais aussi un plaisir des sens. Gober des ciels azur immenses, suer dans des bains brûlants ou sur des sentiers de randonnée ardus, comme connaître la délivrance de l’ivresse, puis l’âpreté vitale de l’existence, au réveil. C’est déguster goulûment une cuisine aussi infinie que relevée, la paix de la montagne comme la frénésie de la foule, agitée de néons fluorescents et de musique trépidante. Un kaléidoscope incessant d’émotions brutes, qui vous propulse vers demain, coûte que coûte, à un rythme pali pali (vite vite).

Le goût du miracle

J’avais sauté dans un vol de nuit KLM, destination Séoul. Et j’ai atterri sur la lune. À l’heure du petit-déjeuner ensommeillé, les eaux grises de la mer Jaune ont miroité sous les nuages, puis des îles rocheuses et verdoyantes, ajoutant au mystère. Enfin, le 747 s’est posé sur l’une d’elles, une immense plaine dépeuplée, surmontée d’une tour de contrôle solitaire, et plus loin un terminal aux lignes futuristes. L’aéroport d’Incheon, régulièrement élu le meilleur du monde, est la porte d’entrée high-tech de cette « île » qui ne dit pas son nom.

La Corée du Sud est coupée de l’Eurasie par les barbelés et les mines de la DMZ, la frontière la plus militarisée au monde, qui court à quelques kilomètres au nord des pistes d’atterrissage et déchire la péninsule le long du 38e parallèle de façon hermétique depuis 19531. De nuit, les images satellites dévoilent un tentacule de lumière orange s’étendant de la capitale Séoul, dans un océan d’obscurité, marqué par les mers à l’est, à l’ouest et au sud de Busan, la seconde ville du pays. Au nord, ce noir à peine tacheté de pâles lueurs jaunes à Pyongyang est celui de la Corée du Nord, sœur jumelle barricadée, qui hante toujours le destin de celle du sud « capitaliste » sur laquelle nous braquons le projecteur dans ce livre.

Le brouillard du décalage horaire accentuait une impression d’irréel. L’autobus a enjambé les plages boueuses de la rade d’Incheon, là où avait débarqué McArthur en 19502 pour s’enfoncer dans une mégalopole de béton grâce à une autoroute longeant le fleuve Han, aussi large qu’une embouchure. Mais ce qui me reste en mémoire de mes premiers instants à Séoul ne sont pas ces barres d’immeubles similaires empilés à l’infini, à l’architecture aussi massive que répétitive. Ni l’imposante Assemblée nationale aux lignes staliniennes, installée à la proue de l’île de Yeoido, au cœur de cette agglomération de 20 millions d’âmes. De cette première impression, toujours décisive, ma mémoire a gardé la vue du mont Namsan verdoyant, dominant le cœur de la ville surmontée de cette tour de télévision, qui est devenue le symbole de cette capitale méconnue, sa modeste « tour Eiffel ». De cet océan d’immeubles surgissaient pour mon ravissement des pics escarpés couverts d’épaisses forêts. Peu de mégapoles, comme Hong Kong et son Peak ou Rio et son Pain de sucre, offrent une telle verticalité naturelle au cœur du bitume.

Un attrait qui ne doit rien au hasard. Le site de Séoul fut choisi au quatorzième siècle sur les conseils des maîtres en géomancie afin d’offrir les meilleures énergies à la nouvelle capitale de la dynastie Joseon (1392–1910). Aujourd’hui encore, la Maison Bleue, le palais présidentiel, est blottie contre le flanc d’une montagne la protégeant des vents glacés du nord, sur une pente douce descendant vers le midi ensoleillé et la rivière Chongye.

Une forteresse naturelle entre les mers

Postez-vous sur le carrefour névralgique de Gwangwamun et observez la foule traverser au pas de charge cette large artère historique. Vous verrez des office girls élégantes cavalcader sur des talons aiguilles, le doigt sur le smartphone, des salary men en costume impeccable, exhibant leur gobelet de café Starbucks, des prêcheurs protestants ânonnant l’Évangile dans un porte-voix, des enfants échappant à la chaleur moite en se jetant dans des jets d’eau. Et peut-être un touriste occidental perdu dans cette masse de l’Orient extrême. Tout ce petit monde empressé court pour devancer le compte à rebours implacable fixé par le feu vert lumineux. Au loin, sous un ciel bleu intense, les montagnes escarpées se détachent au-dessus du palais royal de Gyombokung, couronnant le « couloir des étoiles », cet axe géomancien qui a donné sa colonne vertébrale à l’immense capitale. Au vingt et unième siècle, le pouls de la capitale bat toujours au rythme de cette énergie souterraine et mystérieuse. Avec près de 20 millions d’âmes, soit plus d’un tiers de la population de la Corée du Sud, Séoul domine le pays comme une tête trop grosse. Ici se concentrent la richesse, l’ambition, la technologie et les nouveaux modes de vie, chaque jour réinventés.

Vue du ciel, la Corée du Sud ressemble à une forteresse protégée par les mers et hérissée de pics aussi pointus que verdoyants. Des forêts épaisses s’accrochent à des pentes drues surmontées souvent de falaises roses comme dans les monts Thaebek, dans la province du Kangwondo au nord-est du pays.

À mes pieds coule une rivière baignée par le clair de lune.

Ce soir d’automne, les grues s’envolent vers le mont Gaya,

Et se perdent sur le faîte des pins auréolés de nuages.

Il en est ainsi depuis des millénaires :

Pourquoi chercher ailleurs le paradis ?3

Les sommets les plus élevés du pays, dans les monts Jiri au sud-ouest, frôlent les 2000 m, loin des Alpes, mais la verticalité compense cette altitude modérée. La Corée est terre de pics offrant des dénivelés conséquents au grimpeur qui démarre souvent sa randonnée près du niveau de la mer. Des dizaines de montagnes dépassant les 1500 m d’altitude parsèment le pays, repoussant les hommes dans les vallées et les rares plaines densément peuplées. Et les sentiers ne s’embarrassent pas de lacets, préférant attaquer la pente en frontal, se muant souvent en escalier. Les Coréens partent escalader ces monts, harnachés comme pour conquérir l’Everest, avec pour pique-nique une soupe de nouilles lyophilisée, en attendant le barbecue revigorant du soir, ponctuée de rasades de soju