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Corodysée - Voyages quotidiens d’un anesthésiste-réanimateur qui a attendu la vague… est le journal quotidien d’un anesthésiste-réanimateur lors de la première vague de Covid dans un « petit CHU de province ». Lors de cette marche à tâtons où le quotidien fut totalement chamboulé, la vie à l’hôpital et à la maison est devenue une énigme journalière avec un nouveau colocataire « Coro ».
À PROPOS DE L'AUTEUR
Avec
Corodysée - Voyages quotidiens d’un anesthésiste-réanimateur qui a attendu la vague…,
Yohann Rebollar a voulu dépeindre une vision quotidienne de ses ressentis, de ses questionnements qui allaient fondamentalement être modifiés, chamboulés, bouleversés au fur et mesure que le temps s’écoule, et que le monde connaîtrait mieux la Covid 19.
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Seitenzahl: 171
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Yohann Rebollar
Corodyssée
Voyages quotidiens d’un anesthésiste-réanimateur qui a attendu la vague…
Roman
© Lys Bleu Éditions – Yohann Rebollar
ISBN : 979-10-377-5173-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
On aurait dû s’en douter… On n’a rien vu venir.
Lundi 16 mars 2020, devant Yann Barthes et son Quotidien retransmettant une nouvelle allocution présidentielle… le couperet tombe : CONFINEMENT ! Bon, il faut l’avouer, dans notre sphère médicale, on s’y attendait un peu ! Quelle stupide cacophonie de demander aux gens de rester chez eux, après les avoir incités à aller voter… La veille, jour d’électoral, les gens boudèrent historiquement les urnes, mais n’oublièrent pas de profiter des premiers rayons du soleil, dans les parcs, en bord de berges et sur la plage. Cela contraria (d’un côté, on n’avait que l’autorisation d’aller voter les gars… pas de bronzer) la classe politique, et le président se fâche, moralise et finit par déclarer la guerre. L’ordre est intimé à quasiment tout le monde de rester chez soi… tout en permettant de courir autour de la maison. Il en coûtera 135 euros d’aller plus loin ! Mais bon, qu’est-ce que c’est « plus loin » ?
Avec un peu de recul, est-ce que tout cela n’est pas le résultat d’un imbroglio sanitaire mondial ? Cette dissonance présidentielle n’est-elle pas simplement une infime partie du tableau peint par ce nouvel arrivant dans le monde des « virus transmissibles à l’homme », le bien nommé : virus COVID-19 ? En tout cas, en ce dimanche, le corps médical hurle « restez chez vous ! » Personne n’y est, l’épidémie n’est pas là ! De plus, qu’est-ce qu’on risque ? Ce virus ne touche que les vieux et les personnes fragiles. Quelle erreur d’appréciation ! Covid 19 est invisible, probablement souvent asymptomatique, mais il serait extrêmement contagieux, effroyablement mortel, avec un temps d’incubation estimé entre 5 et 14 jours. Voilà, il est déjà trop tard !
Il faut avouer que celui-là… ce Covid-19, on ne l’avait pas vu venir. Enfin si, mais nous avons fermé les yeux, très fort, comme quand enfant, on espérait que le croquemitaine disparaîtrait. Pourtant, tout commence fin novembre 2019, un nouveau virus est de la partie. Le jeu revient en Asie, après l’épisode Ebola qui avait permis à l’Afrique de se rappeler à notre bon souvenir sanitaire. Encore une infection pulmonaire, visiblement gravissime, mais cela est loin, très loin, trop loin… Et puis pourquoi s’inquiéter ? On a déjà (sur)vécu au SRAS, à la grippe H1N1, sans aucune conséquence, sans aucun impact ! Du vent, du vent et du vent… Comble de l’ironie le fameux H1N1, si grave de l’autre côté du monde, avait fait l’outrage de muter en arrivant en Europe, pour devenir une banale grippe… le si méchant virus, destructeur de monde, avait alors juste pour conséquences de torpiller la carrière deBachelot et de se moquer de son stock de vaccins et de masques. Mais cette fois-ci, tout était différent et pourtant on n’a rien vu venir. Tous les voyants étaient au vert… enfin au rouge. On a été des amateurs…
Mais comment prendre au sérieux une maladie transmise par un pangolin ?… un putain de pangolin. Tout le monde ne parlait que de ce Covid 19, sans pour autant l’estimer à sa juste valeur. Les réseaux sociaux avaient trouvé leur nouvelle star : jeux de mots avec la bière, pamphlets contre les « anti-vax », racisme primaire contre les Chinois. Tout y était, le bon comme le nauséabond… mais rien ne nous inquiétait. Pourtant la réponse à nos angoisses refoulées était là, sous nos yeux. Mi-janvier, tout le monde s’extasiait devant la vidéo du magnifique ballet des bétonneuses, telles des petites mains construisant un hôpital à la vitesse d’un château de sable à Wuhan, épicentre de la pandémie naissante. C’était ça la réponse ! Mais pourquoi n’avions-nous rien vu ? Pourquoi avions-nous tous cette fausse impression que ce ballet était une danse païenne ? La danse d’un peuple sous-développé, implorant le dieu de la guérison. Nous, qui devant ce spectacle, avions cru lire la superbe de notre société, nous n’étions que des marins admirant la vague dans la tempête qui fracassait la chaloupe voisine, faisant apparaître un sentiment euphorisant de vie. Cette euphorie qui causera notre perte… Une maladie qui naît sur un marché suite à une soupe de pangolin mal cuite… peut-elle vraiment être prise au sérieux ? Pourtant les voyants rouges étaient là. L’agglomération de Wuhan compte plus de 11 millions d’habitants. Des hôpitaux (et de qualité), il y en a ! Pourtant personne n’est inquiet, pas même notre ministre de la Santé. Tous les voyants étaient au rouge…
L’OMS ne tient pas le discours habituel, appelle à la fermeture des frontières et implore la mise en quarantaine. La Chine met son industrie à l’arrêt, ferme ses frontières et les compagnies aériennes ne volent plus. De plus, dans ce déni d’évidence, des questions se posent dans le bloc opératoire où je travaille. La Chine au point mort, le ballet des tractopelles, la mise à l’arrêt de l’aéronautique sont perçus comme des conséquences exagérées d’un pays encore sous le joug d’une gestion du SRAS trop obscure. Mais le décès le 7 février 2020, des suites du Covid 19, de Li Wenliang – un ophtalmologue-lanceur d’alerte – interroge. À l’annonce de son décès, son pays, enfin « son peuple », pleure au nom de la tragédie sanitaire mais aussi au nom de la liberté individuelle. Le peuple chinois demande des comptes au régime et cette recherche de vérité n’entraînera qu’un silence assourdissant. Pourquoi Li Wenliang est-il mort ? Il était jeune, à peine la trentaine (mon âge… merde) et pourtant personne n’évoque de comorbidité à cette défunte tragédie. Aucun petit terrain asthmatique, aucune vulgaire allergie aux poils de chat… Rien ! Dans ce contexte d’omerta chinoise balbutiante, l’absence de raison à ce décès dessine les prémices d’une violente et longue pandémie.
De nombreux cas commencent sporadiquement à éclore dans le monde, mais rien ne nous inquiète. Puis l’Italie met un genou à terre, envahie par le virus, mais rien ne nous inquiète. On se réfugie sous des excuses désastreuses, rétorquant à l’idée de confinement, un système de santé italien peu efficient, à deux vitesses entre le nord et le sud, ainsi qu’une trop importante place des grands-parents au cœur des familles. Quel manque de respect pour Coro.
Puis rapidement, trop rapidement, ça explose dans le Grand Est – ils sont cons ces évangélistes aussi –. La moitié du pays est sous cloche… personne ne le voit, personne n’est inquiet. Mais au sein de la communauté médicale, c’est le feu !
D’un coup, tout s’accélère, mais que cette histoire est difficile à concevoir. Au CHU de Poitiers, un seul cas répertorié en réanimation et il ne va pas si mal… Peut-être que Coro n’est pas si fort que ça finalement ? Pour autant pas de perte de temps, il faut tout préparer, le combat est pour bientôt : le mal arrive.
Quelques heures avant cette allocution présidentielle, on espère le confinement. Durant cette longue journée du lundi 16 mars, on se prépare, on se « conf-call » (mesures barrières obligent). On s’y attendait depuis la phase 2 de toute façon. La programmation des blocs s’annule. On réfléchit aux prochaines lignes de gardes qui vont se mettre en place pour combattre notre ennemi. Dans cette préparation, quasi militaire, orchestrée par notre chef et ses lieutenants, un espoir persiste encore… Et si Coro ne prenait pas l’A10 ? Pourquoi ne nous laisserait-il pas tranquilles ? Il n’y a rien à faire à Poitiers.
Oublié le fiasco des élections municipales, avec cette allocution, la guerre commence ! 15 jours sont annoncés, il faudra plus… bien plus. Vu la durée d’incubation et la durée de la contagion (avec ou sans symptôme)… c’est mathématique, il faudra plus ! Jean-Michel Blanquer aurait pu profiter de Coro pour demander aux professeurs de préparer les cours à la maison : « Si la durée d’incubation est de 5 jours et la contagion de 14 jours… combien faudra-t-il de jours d’isolement, si les égoïstes parisiens arrivent à J 2 du confinement ? Vous avez deux heures ! »
À cette question mathématique, il faudra bientôt répondre à une question philosophique « Si les Parisiens sont déjà malades et qu’ils infectent une région qui ne l’est pas… À quel moment faudra-t-il ne plus soigner ces Parisiens pour permettre aux locaux d’avoir une chance de survie ? » Ce qui est sûr, c’est qu’il sera cocasse dans quelques semaines de transférer des patients originaires de la côte Atlantique dans les réanimations parisiennes désertées.
Quoi qu’il en soit, ce soir, patriotiquement devant ma télé, l’allocution présidentielle le confirme, demain, mardi 17 mars, commencera ma vie mi-soldat, mi-confiné.
J 1 – Mardi 17 mars : « Un confinement pas si confiné »
Voilà, on y est… À vrai dire, je pense que je l’espérais depuis plusieurs jours, probablement martelé par ma collègue italienne – Maria Giovana – chirurgienne pédiatrique. C’est vrai qu’elle a hurlé et critiqué la politique sanitaire en France mise en place depuis plusieurs jours. Son petit accent italien résonnait dans les couloirs du bloc opératoire : « Vous allez droit dans le mur ! Vous pensez que nous, les Italiens, nous vivons au XIXe siècle ? Que nous en sommes encore à faire des saignées ? » Elle ironise, mais elle a raison… Et pourtant, l’ensemble des médecins italiens s’était regroupé pour écrire une lettre afin d’alerter les services publics français… Aucune réponse.
Mais pour être honnête, ce matin, sur mon vélo, je suis déçu. Encore trop de gens dans les rues… trop de gens… C’est probablement un sentiment égoïste de vouloir me sentir seul sur les routes. Cela conforterait mon égo. Je suis un soldat, je vais en guerre ! Les gens devraient être à leur balcon en train de me saluer, moi qui vais au front. Visiblement, ce matin tout le monde avait une bonne raison pour sortir… c’est une mascarade de confinement. À l’hôpital, cette mascarade a continué. Tous les programmes des blocs opératoires ont été annulés, mais tout le personnel de bloc estprésent. Coro a posé un problème administratif, en plus du problème sanitaire : comment ne pas payer du personnel soignant qui n’a pas (encore) de travail, sachant que la situation nécessite qu’il soit d’astreinte et mobilisable à tout moment ? Apparemment, la solution est simple, tout le monde vient aux horaires habituels pour faire semblant de travailler, mais attention, avec 1 mètre de distance entre chacun. Quelle hypocrisie…
De notre côté, le calme avant la tempête, que beaucoup illustrent comme la vague qui se retire avant la déferlante, nous a permis de nous préparer. Quelle chance ! Mais cette chance a un prix. On n’arrive pas encore à palper l’ampleur des dégâts,d’autant qu’il est difficile pour les gens de comprendre la nécessité du confinement, car ici c’est le village d’irréductibles Gaulois qui ne risquent rien. Et pourtant, si c’est comme à Mulhouse, on va prendre tellement cher. Mais il faut se préparer, même si nous avons la sensation de faire semblant. « Les vieux », notre population à risque, sont évincés. Les organisations des différents services sont modifiées. De nouvelles lignes de gardes sont créées. Tout cela a été fait sans aucune visibilité sur l’avenir. Quinze jours de quarantaine ce ne sera pas assez, mais combien de temps cela va-t-il durer ? Il faut se l’avouer, en ce premier jour de confinement, le plus important pour ma part a été d’écrire ma « To Do list » Confinement « temps partiel », car en dehors de l’hôpital, nous serons aussi confinés. Il est hors de question que je tourne en rond et c’est peut-être une aubaine pour pouvoir enfin se poser et faire ce que l’on repousse depuis trop longtemps. En fait, on pourrait presque croire que c’est un jour comme les autres… surtout quandla mesure sanitaire ultime ne commence qu’à midi. Nous sommes à J1 du confinement et je n’ai toujours pas fait de sport…
J 2 – Mercredi 18 mars : Ma vie mi-soldat, mi-confiné
Les nuits d’astreinte, c’est souvent le même rituel. Je dors mal, à l’affût inconscient d’un appel de l’hôpital. La moindre sollicitation matinale est alors synonyme de réveil. Ce matin, deux messages coup sur coup. Le téléphone qui vibre et le chat qui a senti que j’étais probablement réveillé, c’est trop pour que je puisse me rendormir. Dans cet état semi-conscient, une question scintille dans ma tête. Pourquoi autant de sollicitations matinales ? Bon le chat c’est facile, c’est un animal mi-chat, mi-loutre qui ne pense qu’à manger. Un début de réveil et mes défenses sont mises à mal. Il n’en faut souvent pas plus pour que cet ange démoniaque sonne la fin de la nuit et exige sa pâtée.
Pourquoi ces deux messages ? Le timing est inhabituel, ce n’est pas très rassurant. Ma mère est obèse et asthmatique ; mon père a fait, il y a à peine un an, une infection pulmonaire postopératoire gravissime, avec séjour en réanimation ayant même nécessité quelques séances de décubitus ventral (le fameux) ; ma sœur est enceinte… Tout ça, sans parler de ma grand-mère que l’on vient de mettre en foyer pour personnes âgées… Parfait, nous sommes à J2 du confinement et je vois déjà toute ma famille en réanimation. Merci Coro !
À ma grande surprise, ce ne sont pas des messages pour m’annoncer un futur héritage, ce sont des manifestations amicales et pas des appels au secours (à la suite d’une histoire obscure d’éternuement ce matin, avec une notion probable de fièvre le mois dernier). Ce sont tout simplement des messages de soutien, des putains de messages de soutien ! Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui s’est passé dans la nuit ? Y a-t-il eu une vague meurtrière pendant que je dormais ? Aucunement pourtant.
Le premier à laisser quelques mots sur mon répondeur est mon meilleur ami, médecin généraliste à Bayonne, et le deuxième appel provient d’un ami d’enfance qui habite toujours sur ma terre natale : le bassin d’Arcachon. Tim me demande comment je vais dans cette trouble période et si notre organisation avance. Stan, hypocondriaque qui travaille dans le bâtiment, me propose des masques en concluant que s’il m’arrive malheur, personne ne pourra répondre à ses angoisses médicales ni signer son certificat pour le foot.
Je devrais me sentir touché par de telles attentions mais paradoxalement, je ressens un sentiment de culpabilité m’envahir. Non pas que les messages soient mal tournés, au contraire, ce sont de vraiesmanifestations de sympathie et de courage. Des attentions qui revigoreraient le cœur des troupes dans la boue des tranchées. Des messages dignes du discours de Steven Gerrard en 2007, à Istanbul, pour renverser le Milan AC et ses 3 buts d’avance lors de la finale de la ligue des champions. Mais rien n’y fait, je culpabilise… ici, c’est le calme plat, ce n’est pas véritablement la guerre. J’ai l’impression d’être réserviste. D’être loin du front et que malgré tout, les gens pensent à moi avant de penser à eux. Quelle ironique culpabilité !
Tim est généraliste, il voit 3O patients par jour. Son matériel est totalement désuet pour stopper cet ennemi invisible. Moi, je suis à l’arrière des troupes, non mobilisé pour l’instant. C’est comme si je gardais et nettoyais jalousement et précieusement mon tank pendant que lui se bat avec une vulgaire tapette à mouches. En fait, c’est lui le vrai héros. Un héros invisible qui mériterait de se réveiller tous les matins sous une pluie de messages d’encouragement. Nous sommes à J2 du confinement et même en temps de guerre le monde est injuste. Il ne veut pas reconnaître ses vrais héros.
J 3 – Jeudi 19 mars : « Top Confinement »
Visiblement, Coro a déjà des effets vraiment étonnants. À défaut d’attendre 9 mois, le prochain pic d’accouchements et de péridurales qui vont avec, ce début d’isolement sera synonyme de boom de natalité pictavienne… Quelle garde de merde ! Bonne ou mauvaise garde, de toute façon, le rituel du matin est toujours le même. Il faut ranger ses affaires de la chambre de garde, laisserle téléphone au collègue déjà au bloc, voir l’efficacité des dernières péridurales, souhaiter une bonne journée aux copains… mais une fois n’est pas coutume, aujourd’hui, je ne rentre pas directement dormir. Je suis de corvée « thèse »,il faut finir les inclusions de la thèse de « M ». Coro a beau avoir changé notre vie depuis quelques jours, il faut prévoir l’avenir et l’avenir c’est « M ». Sa thèse, il faut qu’il la passe avant novembre, sinon il ne pourra pas finir son internat…
Coro a bien illustré un problème chronique, depuis plusieurs années, on manque cruellement de médecins et, en aucun cas, il ne faut empêcher une nouvelle recrue. Et puis, vu la difficulté pour avoir accès à la salle de simulation, on ne va pas rater cette occasion. Déjà qu’habituellement tout est compliqué, l’organisation administrative de l’hôpital en ce moment, ressemble de plus en plus à la maison des fous dans « Les 12 travaux d’Astérix ». Pour autant, aucun risque n’est pris. Les internes passent un par un. Le matériel est scrupuleusement « kärcherisé » au virucide. La danse des mesures barrières est constante. Les quatre scénarios s’enchaînent. La thèse évalue la capacité à préparer les drogues d’urgence dans un contexte de stress. On pourrait presque croire que c’était fait exprès… Tout se passe bien, la préparation des drogues est optimale… Tremble Coro, nos internes sont prêts et j’ai presque envie de te remercier. Cependant et à ma grande surprise, aujourd’hui est un jour très spécial. Mon tout premier jour face à face avec Coro. Je ne parle pas de la matinée avec mon interne qui sera testée positive au Covid19 dans deux jours (True story), je parle d’un vrai face à face, comme dans les westerns.
Malgré le repos de garde, une petite patiente de réanimation pédiatrique a besoin d’une voie centrale et elle serait une victime de Coro. J’avoue qu’à ce moment-là, le monde s’écroule. Coro toucherait finalement les enfants ? Cette première rencontre est vraiment particulière. Tout d’abord, parce que je suis égoïstement rassuré (j’ai honte, mais je suis rassuré), la patiente qui a deux ans pèse 7 kilos. Coro l’a mise à terre, mais il a été aidé par un état clinique préalable. Je ne supporterai pas qu’il terrasse une petite pleine de vie. Cela voudrait dire qu’il devient fort, trop fort. Le duel commence. La préparation au combat méthodique : gel hydroalcoolique, surblouse, gel hydroalcoolique, masque FFP2, gel hydroalcoolique, charlotte, gel hydroalcoolique, lunettes, gel hydroalcoolique, gants. Je suis comme un chevalier du Zodiac. La pose de la voie centrale est rapide pour ne pas trop resteren présence du virus, puis place à la cérémonie du déshabillage. Tremble Coro, le gel hydroalcoolique coule à flots. Nous sommes à J3 du confinement et la tendance est au gel hydroalcoolique Louis Vuitton.
J 4 – Vendredi 20 mars : La vie continue
Nouveau jour de travail dans cette configuration bien particulière, finalement le confinement n’est pas si confiné… Mais ce matin, Coro provoque l’impensable : le staff chirurgical du vendredi matin est tout simplement annulé. Faut pas croire, c’est quand même un petit évènement au 9e étage. Le staff chirurgical du vendredi matin c’est sacré, quoi qu’il en coûte. Et à titre personnel, je me suis déjà cassé les dents à vouloir en oublier certains par le passé, notamment l’été quand tout le monde est en vacances, afin de m’octroyer une grasse matinée jusqu’à 7 h 30… À croire que l’ombre professorale plane au-dessus de la salle tous les vendredis matin. Mais pas de panique ! Depuis une semaine, nous avons mis en place un groupe WhatsApp pour faire les transmissions, notamment entre chirurgiens et anesthésistes. C’est un peu notre façon de faire du télétravail, car depuis une semaine toutes les réunions et tous les staffs sont tout simplement supprimés. Les consignes institutionnelles, les recommandations scientifiques, les avancées sur Coro apparaissent maintenant au rythme des notifications. L’absence de staff n’est pas synonyme pour autant de programme opératoire vide. Au programme ce matin : une pose de voie centrale. Cette fois, rien à voir avec Coro ! C’est un banal streptocoque !