Cousin et cousine - Henry James - E-Book

Cousin et cousine E-Book

Henry James

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Beschreibung

Dans cet ouvrage peu connu d'Henry James, le narrateur s'immisce dans la vie d'un homme, il favorise sa rencontre avec une cousine lointaine. Une rencontre entre Cousin et cousine qui aurait pu être un souffle de vie pour l'un comme pour l'autre mais la force du destin va en décider autrement comme si les deux cousins étaient frappés d'une fatalité vieille comme leur famille... Extrait : "Comme je me proposais de retourner aux États-Unis vers le milieu du mois de juin, je résolus de profiter des six semaines qui me restaient pour visiter l'Angleterre, que je ne connaissais pas encore. Durant mon voyage en Europe, j'avais toujours donné la préférence aux vieilles auberges, qui, si elles sont parfois moins confortables que nos immenses caravansérails modernes, offrent à l'observateur des sujets d'étude plus fertiles en imprévu. À mon arrivée à Londres, je m'installai donc dans une antique hôtellerie, située assez loin du centre de la ville, au milieu d'un quartier qui me rappelait l'époque déjà classique du docteur Johnson. Le premier soir de mon séjour, je descendis dans la salle à manger, où je commandai mon dîner au génie même du décorum, personnifié par un serviteur."

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Sommaire

Chapitre I

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

I

Comme je me proposais de retourner aux États-Unis vers le milieu du mois de juin, je résolus de profiter des six semaines qui me restaient pour visiter l'Angleterre, que je ne connaissais pas encore. Durant mon voyage en Europe, j'avais toujours donné la préférence aux vieilles auberges, qui, si elles sont parfois moins confortables que nos immenses caravansérails modernes, offrent à l'observateur des sujets d'étude plus fertiles en imprévu. À mon arrivée à Londres, je m'installai donc dans une antique hôtellerie, située assez loin du centre de la ville, au milieu d'un quartier qui me rappelait l'époque déjà classique du docteur Johnson. Le premier soir de mon séjour, je descendis dans la salle à manger, où je commandai mon dîner au génie même du décorum, personnifié par un serviteur en cravate blanche aussi raide qu'obséquieux. À peine eus-je franchi le seuil de cette salle que je me sentis destiné à récolter une ample moisson d'impressions britanniques. L'auberge du Lion-Rouge , comme beaucoup d'autres choses que je devais rencontrer en Angleterre, semblait n'avoir résisté aux ravages du temps qu'en prévision de ma visite.

Je connaissais de longue date la taverne du Lion-Rouge . Les livres et mes visions me l'avaient montrée mille fois ; Smollett, Boswell, Dickens me l'avaient décrite. Elle était peu spacieuse et divisée par des paravens d'acajou en six compartimens, garnis de chaque côté de banquettes non rembourrées. Dans chacune de ces stalles se trouvait une table sans convives, car les beaux jours du Lion-Rouge étaient passés, ne laissant que des fantômes. Tout autour de la salle, à hauteur d'appui, régnait une superbe boiserie d'acajou noircie par l'âge et rendue si brillante par un frottement quotidien que je m'imaginai voir s'y refléter l'image de voyageurs en perruques et en culottes courtes. Une douzaine de gravures jaunies par la fumée du charbon et des pipes ornaient les murs, — le favori du Derby de 1807, David Garrick, deux boxeurs célèbres et sa majesté le roi George IV. Le parquet disparaissait sous un tapis de Perse aussi vieux que l'acajou et dont il eût été impossible de distinguer le dessin primitif.

Je me suis flatté en me vantant d'avoir commandé mon dîner. J'avais rêvé une côtelette d'agneau aux épinards et une charlotte russe, tandis qu'il me fallut accepter l'offre d'un beefsteak et d'un pudding au riz. Les pieds appuyés sur la traverse de ma table de chêne, j'opposai au paravent cette résistance dorsale qui, aux yeux des Anglais d'autrefois, représentait le repos. Le craquement de mes jointures m'apprit que la cloison possédait toute la solidité désirable.

Pendant que j'attendais, je vis entrer par la porte donnant sur l'intérieur de l'hôtel un des rares locataires de la maison qui, comme moi, avait dû se laisser imposer un menu, car le couvert se trouvait mis d'avance dans un compartiment voisin du mien. Il se dirigea vers la cheminée, tourna le dos au feu et consulta sa montre. Sa taille dépassait un peu la moyenne et il eût été difficile de préciser son âge. Il n'était plus jeune, bien qu'aucun fil d'argent ne sillonnât l'ébène de ses cheveux, dont la couleur, tout en s'harmonisant avec son teint maladif, ne s'accordait guère avec celle de ses yeux d'un gris pâle et trouble. Une longue moustache noire ombrageait ses lèvres. L'ensemble de la physionomie, malgré sa beauté régulière, annonçait un grand manque d'énergie ou un profond découragement. Sa mise était sinon élégante, du moins très soignée.

Le garçon s'approcha de lui et murmura d'une voix insinuante les mots xérès ? porto ? — puis d'un ton dédaigneux le mot bière ? qui provoqua un signe de tête affirmatif. Évidemment mon voisin de table ne roulait pas sur l'or. Je reconnus aussi que je n'avais pas affaire à un Anglais. Je fus tenté de le prendre pour un Russe auquel les chances du tapis vert n'ont pas été favorables ; il me rappelait certain type de joueur moscovite que j'avais rencontré sur le continent. Tandis que je me livrais à des hypothèses sur son compte, — car il commençait à m'intéresser, — elles furent soudain interrompues par l'arrivée d'un petit homme à barbe rouge dont la mine vulgaire n'était relevée que par un regard perçant d'une mobilité insaisissable. Mon Russe, resté seul, se tenait toujours debout devant le foyer et semblait plongé dans une triste rêverie. L'autre marcha droit à lui, armé de son parapluie, et le toucha entre les côtes avec le bout de cette arme inoffensive en s'écriant : — Parions dix dollars que je devine à quoi vous pensez !

Son ami poussa une exclamation, releva la tête et posa les mains sur les épaules du nouveau venu. Ce dernier dirigea de mon côté un regard scrutateur et prit ma mesure en un seul clin d'œil. Lors même que je n'aurais pas déjà été renseigné, ce coup d'œil eût suffi pour me révéler un compatriote. Ils causèrent un instant, mais je ne distinguai que quelques mots décousus. En homme pratique, mon Yankee proposa bien vite de se mettre à table. Dès qu'ils furent assis, je m'aperçus que, sans indiscrétion de ma part, j'assistais en intrus à leur entretien. Les voix que j'entendais appartenaient à deux Américains, ce qui me surprit et me dépita, car il est rare que je me trompe sur la nationalité des gens. L'individu à barbe rouge, qui m'inspirait fort peu de sympathie, dit à son commensal : — Vous auriez mieux fait de rester à New-York. Vous avez dû être joliment secoué en route.

— Un temps affreux ! répliqua son hôte. J'ai été malade depuis le moment où j'ai mis le pied à bord.

— En effet, je ne vous trouve pas bonne mine.

— Bonne mine ! C'est à peine si j'ai dormi six heures durant la traversée... Enfin j'ai franchi l'Atlantique pour la première et la dernière fois.

— Allons donc ! Est-ce que vous comptez rester éternellement ici ?

— Ici ou ailleurs, mon éternité sera de courte durée.

Il y eut un moment de silence.

— Toujours aussi gai, hein, Serle ? Nous allons mourir demain ?

— Je le voudrais presque.

— L'Angleterre ne vous plaît donc pas ? Eh bien ! tant mieux. On répétait sans cesse là-bas que vous avez l'air et les goûts d'un Anglais ; mais je connais maintenant les Anglais, vous ne leur ressemblez en rien, Serle, et vous ne réussirez pas parmi eux, aussi vrai que je m'appelle Simmons !

J'entendis le bruit d'un couteau et d'une fourchette qui retombaient sur la table.

— Ma parole d'honneur, Simmons, j'admire votre délicatesse ! Je me promène depuis ce matin dans cette maudite ville, en proie au mal du pays et à toute sorte d'autres maux, songeant faute de mieux à cette rencontre, et voilà ce que vous avez à m'apprendre !

M. Simmons parut sensible à ce reproche, car il répondit d'un ton plus doux :

— Voyons, ne vous démontez pas ainsi. Pensez au garçon. Je suis devenu assez Anglais pour respecter les convenances. Au nom du ciel, pas de sentimentalité ; cela fait rire les gens. Dites-moi en trois mots ce que vous attendiez de moi.

Je distinguai un nouveau mouvement, comme si le pauvre Serle se fût affaissé sur son siége.

— En vérité, Simmons, vous êtes inconcevable, répliqua-t-il enfin. Vous n'avez donc pas reçu la lettre où je vous annonçais mon départ ?

— Si, parbleu, je l'ai reçue et elle m'a causé une surprise fièrement désagréable.

— Que le diable vous emporte ! s'écria Serle ; après m'avoir amené ici, allez-vous m'abandonner, me trahir ?

— Allez toujours, répondit l'imperturbable Simmons ; lâchez l'écluse, je patienterai jusqu'à ce que vous ayez fini... Cette bière est exécrable, ajouta-til en s'adressant au garçon ; apportez-en d'autre.

— J'ai fini, reprit Serle, et il me semble que c'est à vous de vous expliquer.

Il y eut encore un moment de silence ; on reposa bruyamment sur la table un pot d'étain vide, puis Simmons répliqua :

— Mon pauvre ami, mon intention n'est pas de vous froisser. Je vous plains ; seulement permettez-moi de déclarer que vous avez agi comme un niais.

M. Serle paraissait avoir fait un effort pour se calmer.

— Soyez assez bon alors pour m'apprendre ce que signifiait votre lettre, ditil d'un ton moins irrité.

— J'ai commis moi-même une sottise en l'écrivant. Attribuons cette erreur à ma stupide bienveillance. J'aurais dû vous laisser tranquille. Pouvais-je me figurer que vous seriez assez optimiste pour vous mettre aussitôt en route ?

— Que vous figuriez-vous donc ?

— Que vous me donneriez le temps de prendre de plus amples renseignemens et de vous écrire de nouveau.

— Et vous avez pris des renseignemens ?

— J'ai obligé les hommes les plus compétens à me fournir, bon gré mal gré, des consultations gratuites.

— Et je n'ai aucun droit à cette propriété ?

— Aucun droit légal. Pourtant, au premier abord, la chose m'avait semblé très claire.

— Grâce à votre absurde bienveillance.

M. Simmons parut éprouver quelque difficulté à avaler sa bière.

— Décidément votre bière n'est pas buvable, dit-il au garçon, donnez-moi de l'eau-de-vie... Voyons, Serle, continua-t-il, pas d'ironie, — vous ne seriez pas le plus fort à ce jeu-là. Ma bienveillance y entrait vraiment pour quelque chose. Le gain de la cause n'aurait pas nui à ma réputation, et j'ai calculé que les honoraires se seraient élevés à un joli chiffre, — cela y entrait aussi pour quelque chose, bien entendu ; puis je vous assure que j'aurais été ravi de voir un Yankee jeter par la fenêtre les écus de ces bons Anglais ! Je sacrifierais volontiers une partie de mes honoraires pour vous procurer l'occasion de vous distinguer dans votre spécialité.

— Je ne jette plus rien par la fenêtre, Simmons.

— Bah ! vous ne demandiez pas mieux que de vous exercer sur moi tout à l'heure. C'est égal, je me suis donné assez de peine pour vous. J'ai consulté de force des légistes de premier ordre. Cela les a fait sourire. Je voudrais que vous vissiez le sourire négatif d'un gros bonnet du barreau anglais ; la cause la mieux établie n'y résisterait pas. J'ai sondé l'avoué de votre parent ; il se trouvait averti ; il paraît qu'il y a une vingtaine d'années, votre frère George a lancé un ballon d'essai, de sorte que vous n'avez pas même la gloire d'avoir effrayé l'ennemi.

— Je n'ai jamais effrayé personne, répliqua Serle, je ne commencerai pas aujourd'hui ; j'agirai toujours en gentilhomme.

— Eh bien, si vous tenez à vous conduire en gentilhomme, profitez de l'occasion et acceptez tranquillement ce mécompte.

J'avais achevé de dîner. Je m'intéressais assez vivement aux mystérieuses espérances qui avaient amené M. Serle à Londres pour regretter de ne pas voir se refléter sur son visage les émotions dont sa voix me renvoyait comme un écho. Je me levai donc de table et je me dirigeai vers la cheminée, après m'être muni d'un journal derrière lequel j'établis un poste d'observation.