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RÉSUMÉ : "Cyrano de Bergerac" est une pièce de théâtre en cinq actes écrite par Edmond Rostand. Cette oeuvre emblématique du théâtre français raconte l'histoire de Cyrano, un poète et soldat au grand coeur, mais affligé d'un nez proéminent qui le complexe. Amoureux de sa cousine Roxane, il n'ose lui avouer ses sentiments par peur du ridicule. Roxane, quant à elle, est éprise de Christian de Neuvillette, un jeune et beau cadet, mais peu éloquent. Cyrano, par amour pour Roxane, décide d'aider Christian en lui prêtant ses mots, devenant ainsi le porte-parole de ses propres sentiments. Ce triangle amoureux complexe soulève des questions sur l'apparence, l'amour et l'identité. La pièce est célèbre pour ses dialogues brillants et ses scènes émouvantes, notamment la scène du balcon où Cyrano, caché dans l'ombre, déclare son amour à Roxane à travers Christian. Au-delà de la romance, "Cyrano de Bergerac" est aussi une réflexion sur le courage, l'honneur et la fidélité à soi-même. À travers ses vers poétiques et son humour, Rostand offre une critique subtile de la société de son temps, tout en célébrant la beauté de l'esprit et du verbe. L'AUTEUR : Edmond Rostand, né le 1er avril 1868 à Marseille et décédé le 2 décembre 1918 à Paris, est un dramaturge et poète français. Issu d'une famille aisée, il s'oriente vers la littérature après des études de droit. Son premier succès, "Les Romanesques", est joué en 1894, mais c'est "Cyrano de Bergerac", présenté en 1897, qui le propulse au sommet de la scène littéraire française. Cette pièce, avec ses vers élégants et son héroïsme romantique, séduit le public et les critiques, consolidant la réputation de Rostand comme un maître du drame poétique. En 1901, il devient le plus jeune membre de l'Académie française. Bien que "Cyrano de Bergerac" reste son oeuvre la plus célèbre, Rostand a écrit d'autres pièces notables, telles que "L'Aiglon" et "Chantecler". Son style se caractérise par une langue riche et imagée, un goût pour le romantisme et une exploration des thèmes de l'honneur et de l'amour. Rostand a su marquer son époque par son talent à allier poésie et théâtre, laissant une empreinte durable sur la littérature française.
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Seitenzahl: 167
Veröffentlichungsjahr: 2022
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PREMIER ACTE : Une représentation àl’hôtel de Bourgogne
Scène première
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
DEUXIÈME ACTE : La rôtisserie des poètes
Scène première
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène III
Scène IX
Scène X
Scène XI
TROISIÈME ACTE : Le baiser de Roxane
Scène première
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
Scène IX
Scène X
Scène XI
Scène XII
QUATRIÈME ACTE : Les cadets de Gascogne
Scène première
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
Scène IX
Scène X
CINQUIÈME ACTE : La Gazette de Cyrano
Scène première
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
CYRANO DE BERGERAC
CHRISTIAN DE NEUVILLETTE
COMTE DE GUICHE
RAGUENEAU
LE BRET
LE CAPITAINE CARBON DE CASTEL-JALOUX
LES CADETS
LIGNIÈRE
DE VALVERT
UN MARQUIS
DEUXIÈME MARQUIS
TROISIÈME MARQUIS
MONTFLEURY
BELLEROSE
JODELET
CUIGY
BRISSAILLE
UN FACHEUX
UN MOUSQUETAIRE
UN OFFICIER ESPAGNOL
UN CHEVAU-LÉGER
LE PORTIER
UN BOURGEOIS
SON FILS
UN TIRE-LAINE
UN SPECTATEUR
GARDE
BERTRANDOU LE FIFRE
LE CAPUCIN
DEUX MUSICIENS
LES POÈTES
LES PÂTISSIERS
ROXANE
SŒUR MARTHE
LISE
LA DISTRIBUTRICE DES DOUCES LIQUEURS
MÈRE MARGUERITE DE JÉSUS
LA DUÈGNE
SŒUR CLAIRE
UNE COMÉDIENNE
LA SOUBRETTE
LA BOUQUETIÈRE
La foule, bourgeois, marquis, mousquetaires, tire-laine, pâtissier, poètes, cadets gascons, comédiens, violons, pages, enfants, soldats espagnols, spectateurs, spectatrices, précieuses, comédiennes, bourgeoises, religieuses, etc.
(Les quatre premiers actes en 1640, le cinquième en 1655.)
La salle de l’Hôtel de Bourgogne, en 1640. Sorte de hangar de jeu de paume aménagé et embelli pour des représentations. La salle est un carré long ; on la voit en biais, de sorte qu’un de ses côtés forme le fond qui part du premier plan, à droite, et va au dernier plan, à gauche, faire angle avec la scène qu’on aperçoit en pan coupé.
Cette scène est encombrée, des deux côtés, le long des coulisses, par des banquettes. Le rideau est formé par deux tapisseries qui peuvent s’écarter. Au-dessus du manteau d’Arlequin, les armes royales. On descend de l’estrade dans la salle par de larges marches. De chaque côté de ces marches, la place des violons. Rampe de chandelles.
Deux rangs superposés de galeries latérales : le rang supérieur est divisé en loges. Pas de sièges au parterre, qui est la scène même du théâtre ; au fond de ce parterre, c’est-à-dire à droite, premier plan, quelques bancs formant gradins et, sous un escalier qui monte vers des places supérieures et dont on ne voit que le départ, une sorte de buffet orné de petits lustres, de vases fleuris, de verres de cristal, d’assiettes de gâteux, de flacons, etc.
Au fond, au milieu, sous la galerie de loges, l’entrée du théâtre. Grande porte qui s’entrebâille pour laisser passer les spectateurs. Sur les battants de cette porte, ainsi que dans plusieurs coins et au-dessus du buffet, des affiches rouges sur lesquelles on lit : La Clorise.
Au lever du rideau, la salle est dans une demi-obscurité, vide encore. Les lustres sont baissés au milieu du parterre, attendant d’être allumés.
Le public, qui arrive peu à peu, cavaliers, bourgeois, laquais, pages, tire-laine, le portier, etc., puis les marquis, Cuigy, Brissaille, la distributrice, les violons, etc.
On entend derrière la porte un tumulte de voix, puis un cavalier entre brusquement.
LE PORTIER, le poursuivant.
Holà ! vos quinze sols !
LE CAVALIER
J’entre gratis !
LE PORTIER
Pourquoi ?
LE CAVALIER
Je suis chevau-léger de la maison du Roi !
LE PORTIER, à un autre cavalier qui vient d’entrer.
Vous ?
DEUXIÈME CAVALIER
Je ne paye pas !
LE PORTIER
Mais…
DEUXIÈME CAVALIER
Je suis mousquetaire.
PREMIER CAVALIER, au deuxième.
On ne commence qu’à deux heures. Le parterre
Est vide. Exerçons-nous au fleuret.
Ils font des armes avec des fleurets qu’ils ont apportés.
UN LAQUAIS, entrant.
Pst… Flanquin !…
UN AUTRE, déjà arrive.
Champagne ?…
LE PREMIER, lui montrant des jeux qu’il sort de son pourpoint.Cartes. Dés.
Il s’assied par terre.
Jouons.
LE DEUXIÈME, même jeu.
Oui, mon coquin.
PREMIER LAQUAIS, tirant de sa poche un
bout de chandelle qu’il allume et colle par terre.
J’ai soustrait à mon maître un peu de luminaire.
UN GARDE, à une bouquetière qui s’avance.
C’est gentil de venir avant que l’on n’éclaire !…
Il lui prend la taille.
UN DES BRETTEURS, recevant un coup de fleuret.
Touche !
UN DES JOUEURS
Trèfle !
LE GARDE, poursuivant la fille.
Un baiser !
LA BOUQUETIÈRE, se dégageant.
On voit !…
LE GARDE, l’entraînant dans les coins sombres.
Pas de danger !
UN HOMME, s’asseyant par terre avec d’autres porteurs de provisions de bouche.
Lorsqu’on vient en avance, on est bien pour manger.
UN BOURGEOIS, conduisant son fils.
Plaçons-nous là, mon fils.
UN JOUEUR
Brelan d’as !
UN HOMME, tirant une bouteille de sous son manteau et s’asseyant aussi.
Un ivrogne
Doit boire son bourgogne…
Il boit.
à l’hôtel de Bourgogne !
LE BOURGEOIS, à son fils.
Ne se croirait-on pas en quelque mauvais lieu ?
Il montre l’ivrogne du bout de sa canne.
Buveurs…
En rompant un des cavaliers le bouscule.
Bretteurs !
Il tombe au milieu des joueurs.
Joueurs !
LE GARDE, derrière lui lutinant toujours la femme.
Un baiser !
LE BOURGEOIS, éloignant vivement son fils.
Jour de Dieu !
– Et penser que c’est dans une salle pareille
Qu’on joua du Rotrou, mon fils !
LE JEUNE HOMME
Et du Corneille !
UNE BANDE DE PAGES, se tenant par la main, entre en farandole et chante.
Tra la la la la la la la la la la lère…
LE PORTIER, sévèrement aux pages.
Les pages, pas de farce !…
PREMIER PAGE, avec une dignité blessée.
Oh ! Monsieur ! ce soupçon !…
Vivement au deuxième dès que le portier a tourné le dos.
As-tu de la ficelle ?
LE DEUXIÈME
Avec un hameçon.
PREMIER PAGE
On pourra de là-haut pêcher quelque perruque.
UN TIRE-LAINE, groupant autour de lui plusieurs hommes de mauvaise mine.
Or ça, jeunes escrocs, venez qu’on vous éduque :
Puis donc que vous volez pour la première fois…
DEUXIÈME PAGE, criant à d’autres pages déjà placés aux galeries supérieures.
Hep ! Avez-vous des sarbacanes ?
TROISIÈME PAGE, d’en haut.
Et des pois !
Il souffle et les crible de pois.
LE JEUNE HOMME, à son père.
Que va-t-on nous jouer ?
LE BOURGEOIS
Clorise.
LE JEUNE HOMME
De qui est-ce ?
LE BOURGEOIS
De monsieur Balthazar Baro. C’est une pièce !…
Il remonte au bras de son fils.
LE TIRE-LAINE, à ses acolytes.
… La dentelle surtout des canons, coupez-la !
UN SPECTATEUR, à un autre, lui montrant une encoignure élevée
Tenez, à la première du Cid, j’étais là !
LE TIRE-LAINE, faisant avec ses doigts le geste de subtiliser.
Les montres…
LE BOURGEOIS, redescendant, à son fils.
Vous verrez des acteurs très illustres…
LE TIRE-LAINE, faisant le geste de
tirer par petites secousses furtives.
Les mouchoirs…
LE BOURGEOIS
Montfleury…
QUELQU’UN, criant de la galerie supérieure.
Allumez donc les lustres !
LE BOURGEOIS
… Bellerose, l’Epy, la Beaupré, Jodelet !
UN PAGE, au parterre.
Ah ! voici la distributrice !…
LA DISTRIBUTRICE, paraissant derrière le buffet.
Oranges, lait,
Eau de framboise, aigre de cèdre…
Brouhaha à la porte.
UNE VOIX DE FAUSSET
Place, brutes !
UN LAQUAIS, s’étonnant.
Les marquis !… au parterre ?…
UN AUTRE LAQUAIS
Oh ! pour quelques minutes !
Entre une bande de petits marquis.
UN MARQUIS, voyant la salle à moitié vide.
Eh quoi ! Nous arrivons ainsi que des drapiers,
Sans déranger les gens ? sans marcher sur les pieds ?
Ah ! fi ! fi ! fi !
Il se trouve devant d’autres gentilshommes entrés peu avant.
Cuigy ! Brissaille !
Grandes embrassades.
CUIGY
Des fidèles !…
Mais oui, nous arrivons devant que les chandelles…
LE MARQUIS
Ah ! ne m’en parlez pas ! Je suis dans une humeur…
UN AUTRE
Console-toi, marquis, car voici l’allumeur !
LA SALLE, saluant l’entrée de l’allumeur.
Ah !…
On se groupe autour des lustres qu’il allume. Quelques personnes ont pris place aux galeries. Lignière entre au parterre donnant le bras à Christian de Neuvillette. Lignière, un peu débraillé, figure d’ivrogne distingué. Christian, vêtu élégamment, mais d’une façon un peu démodée, paraît préoccupé et regarde les loges
Les mêmes, Christian, Lignière, puis Ragueneau et Le Bret.
CUIGY
Lignière !
BRISSAILLE, riant.
Pas encor gris ?…
LIGNIÈRE, bas à Christian.
Je vous présente ?
Signe d’assentiment de Christian.
Baron de Neuvillette.
Saluts.
LA SALLE, acclamant l’ascension du premier lustre allumé.
Ah !
CUIGY, à Brissaille, en regardant Christian.
La tête est charmante.
PREMIER MARQUIS, qui a entendu.
Peuh !…
LIGNIÈRE, présentant à Christian.
Messieurs de Cuigy, de Brissaille…
CHRISTIAN, s’inclinant.
Enchanté !
PREMIER MARQUIS, au deuxième.
Il est assez joli, mais n’est pas ajusté
Au dernier goût.
LIGNIÈRE, à Cuigy.
Monsieur débarque de Touraine.
CHRISTIAN
Oui, je suis à Paris depuis vingt jours à peine.
J’entre aux gardes demain, dans les Cadets.
PREMIER MARQUIS, regardant les
personnes qui entrent dans les loges.
Voilà
La présidente Aubry !
LA DISTRIBUTRICE
Oranges, lait…
LES VIOLONS, s’accordant.
La.. la…
CUIGY, à Christian, lui désignant la salle qui se garnit.
Du monde !
CHRISTIAN
Eh ! oui, beaucoup.
PREMIER MARQUIS
Tout le bel air !
Ils nomment les femmes à mesure qu’elles entrent, très parées, dans les loges. Envois de saluts, réponses de sourires.
DEUXIÈME MARQUIS
Mesdames
De Guéménée…
CUIGY
De Bois-Dauphin..
PREMIER MARQUIS
Que nous aimâmes…
BRISSAILLE
De Chavigny…
DEUXIÈME MARQUIS
Qui de nos cœurs, va, se jouant !
LIGNIÈRE
Tiens, monsieur de Corneille est arrivé de Rouen.
LE JEUNE HOMME, à son père.
L’Académie est là ?
LE BOURGEOIS
Mais… j’en vois plus d’un membre ;
Voici Boudu, Boissat, et Cureau de la Chambre,
Porchères, Colomby, Bourzeys, Bourdon, Arbaud…
Tous ces noms dont pas un ne mourra, que c’est beau !
PREMIER MARQUIS
Attention ! nos précieuses prennent place :
Barthénoïde, Urimédonte, Cassandace,
Félixérie…
DEUXIÈME MARQUIS
Ah ! Dieu ! leurs surnoms sont exquis !
Marquis, tu les sais tous ?
PREMIER MARQUIS
Je les sais tous, marquis !
LIGNIÈRE, prenant Christian à part.
Mon cher, je suis entré pour vous rendre service :
La dame ne vient pas. Je retourne à mon vice !
CHRISTIAN, suppliant.
Non !… Vous qui chansonnez et la ville et la cour,
Restez : vous me direz pour qui je meurs d’amour.
LE CHEF DES VIOLONS, frappant sur son pupitre avec son archet.
Messieurs les violons !…
Il lève son archet.
LA DISTRIBUTRICE
Macarons, citronnée…
Les violons commencent à jouer.
CHRISTIAN
J’ai peur qu’elle ne soit coquette et raffinée,
Je n’ose lui parler car je n’ai pas d’esprit…
Le langage aujourd’hui qu’on parle et qu’on écrit,
Me trouble. Je ne suis qu’un bon soldat timide.
– Elle est toujours, à droite, au fond : la loge vide.
LIGNIÈRE, faisant mine de sortir.
Je pars.
CHRISTIAN, le retenant encore.
Oh ! non, restez !
LIGNIÈRE
Je ne peux. D’Assoucy
M’attend au cabaret. On meurt de soif, ici.
LA DISTRIBUTRICE, passant devant lui avec un plateau.
Orangeade ?
LIGNIÈRE
Fi !
LA DISTRIBUTRICE
Lait ?
LIGNIÈRE
Pouah !
LA DISTRIBUTRICE
Rivesalte ?
LIGNIÈRE
Halte !
À Christian.
Je reste encor un peu. – voyons ce rivesalte ?
Il s’assied près du buffet. La distributrice lui verse du rivesalte.
CRIS, dans le public à l’entrée d’un petit homme grassouillet et réjoui.
Ah ! Ragueneau !…
LIGNIÈRE, à Christian.
Le grand rôtisseur Ragueneau.
RAGUENEAU, costume de pâtissier endimanché, s’avançant vivement vers Lignière.
Monsieur avez-vous vu monsieur de Cyrano ?
LIGNIÈRE, présentant Ragueneau à Christian.
Le pâtissier des comédiens et des poètes !
RAGUENEAU, se confondant.
Trop d’honneur…
LIGNIÈRE
Taisez-vous, Mécène que vous êtes !
RAGUENEAU
Oui, ces messieurs chez moi se servent…
À crédit.
Poète de talent lui-même…
RAGUENEAU
Ils me l’ont dit.
LIGNIÈRE
Fou de vers !
RAGUENEAU
Il est vrai que pour une odelette…
LIGNIÈRE
Vous donnez une tarte…
RAGUENEAU
Oh ! une tartelette !
LIGNIÈRE
Brave homme, il s’en excuse !… Et pour un triolet
Ne donnâtes-vous pas ?…
RAGUENEAU
Des petits pains !
LIGNIÈRE, sévèrement.
Au lait.
– Et le théâtre, vous l’aimez ?
RAGUENEAU
Je l’idolâtre.
LIGNIÈRE
Vous payez en gâteaux vos billets de théâtre !
Votre place, aujourd’hui, là, voyons, entre nous,
Vous a coûté combien ?
RAGUENEAU
Quatre flans. Quinze choux.
Il regarde de tous côtés.
Monsieur de Cyrano n’est pas là ? Je m’étonne.
LIGNIÈRE
Pourquoi ?
RAGUENEAU !
Montfleury joue !
LIGNIÈRE
En effet, cette tonne
Va nous jouer ce soir le rôle de Phédon.
Qu’importe à Cyrano ?
RAGUENEAU
Mais vous ignorez donc ?
Il fit à Montfleury, messieurs, qu’il prit en haine,
Défense, pour un mois, de reparaître en scène.
LIGNIÈRE, qui en est à son quatrième petit verre.
Eh ! bien ?
RAGUENEAU
Montfleury joue !
CUIGY, qui s’est rapproché avec son groupe.
Il n’y peut rien.
RAGUENEAU
Oh ! oh !
Moi, je suis venu voir !
PREMIER MARQUIS
Quel est ce Cyrano ?
CUIGY
C’est un garçon versé dans les colichemardes.
DEUXIÈME MARQUIS
Noble ?
CUIGY
Suffisamment. Il est cadet aux gardes.
Montrant un gentilhomme qui va et vient dans la salle comme s’il cherchait quelqu’un.
Mais son ami Le Bret peut vous dire…
Il appelle.
Le Bret !
Le Bret descend vers eux.
Vous cherchez Bergerac ?
LE BRET
Oui, Je suis inquiet !…
CUIGY
N’est-ce pas que cet homme est des moins ordinaires ?
LE BRET, avec tendresse.
Ah ! c’est le plus exquis des êtres sublunaires !
RAGUENEAU
Rimeur !
CUIGY
Bretteur !
BRISSAILLE
Physicien !
LE BRET
Musicien !
LIGNIÈRE
Et quel aspect hétéroclite que le sien !
RAGUENEAU
Certes, je ne crois pas que jamais nous le peigne
Le solennel monsieur Philippe de Champaigne ;
Mais bizarre, excessif, extravagant, falot,
Il eut fourni, je pense, à feu Jacques Callot
Le plus fol spadassin à mettre entre ses masques :
Feutre à panache triple et pourpoint à six basques,
Cape, que par-derrière, avec pompe, l’estoc
Lève, comme une queue insolente de coq,
Plus fier que tous les Artabans dont la Gascogne
Fut et sera toujours l’alme Mère Gigogne,
Il promène, en sa fraise à la Pulcinella,
Un nez !… Ah ! mes seigneurs, quel nez que ce nez-là !
On ne peut voir passer un pareil nasigère
Sans s’écrier : « Oh ! non, vraiment, il exagère ! »
Puis on sourit, on dit : « Il va l’enlever… » Mais
Monsieur de Bergerac ne l’enlève jamais.
LE BRET, hochant la tête.
Il le porte, – et pourfend quiconque le remarque !
RAGUENEAU, fièrement.
Son glaive est la moitié des ciseaux de la Parque !
PREMIER MARQUIS, haussant les épaules.
Il ne viendra pas !
RAGUENEAU
Si !… Je parie un poulet
À la Ragueneau !
LE MARQUIS, riant.
Soit !
Rumeurs d’admiration dans la salle. Roxane vient de paraître dans sa loge Elle s’assied sur le devant, sa duègne prend place au fond. Christian, occupé à payer la distributrice, ne regarde pas.
DEUXIÈME MARQUIS, avec des petits cris.
Ah ! messieurs ! mais elle est
Épouvantablement ravissante !
PREMIER MARQUIS
Une pêche
Qui sourirait avec une fraise !
DEUXIÈME MARQUIS
Et si fraîche
Qu’on pourrait, l’approchant, prendre un rhume de cœur !
CHRISTIAN, lève la tête, aperçoit Roxane, et saisit vivement Lignière par le bras.
C’est elle !
LIGNIÈRE, regardant.
Ah ! c’est elle ?…
CHRISTIAN
Oui. Dites vite. J’ai peur.
LIGNIÈRE, dégustant son rivesaltes à petits coups.
Magdeleine Robin, dite Roxane – Fine Précieuse.
CHRISTIAN
Hélas !
LIGNIÈRE
Libre. Orpheline. Cousine
De Cyrano, – dont on parlait.
À ce moment, un seigneur très élégant, le cordon bleu en sautoir, entre dans la loge et, debout cause un instant avec Roxane.
CHRISTIAN, tressaillant.
Cet homme
LIGNIÈRE, qui commence à être gris, clignant de l’œil.
Eh eh !…
– Comte de Guiche. Épris d’elle. Mais marié
À la nièce d’Armand de Richelieu. Désire
Faire épouser Roxane à certain triste sire,
Un monsieur de Valvert, vicomte… et complaisant.
Elle n’y souscrit pas, mais de Guiche est puissant ;
Il peut persécuter une simple bourgeoise.
D’ailleurs j’ai dévoilé sa manœuvre sournoise
Dans une chanson qui… Ho ! il doit m’en vouloir !
– La fin était méchante… Écoutez…
Il se lève en titubant, le verre haut, prêt à chanter.
CHRISTIAN
Non. Bonsoir.
LIGNIÈRE
Vous allez ?
CHRISTIAN
Chez monsieur de Valvert !
LIGNIÈRE
Prenez garde :
C’est lui qui vous tuera !
Lui désignant du coin de l’œil Roxane
Restez. On vous regarde.
CHRISTIAN
C’est vrai !
Il reste en contemplation. Le groupe de tire-laine, à partir de ce moment, le voyant la tête en l’air et bouche bée, se rapproche de lui.
LIGNIÈRE
C’est moi qui pars. J’ai soif ! Et l’on m’attend
– Dans des tavernes !
Il sort en zigzaguant.
LE BRET, qui a fait le tour de la salle, revenant vers Ragueneau d’une voix rassurée.
Pas de Cyrano.
RAGUENEAU, incrédule.
Pourtant…
LE BRET
Ah ! je veux espérer qu’il n’a pas vu l’affiche !
LA SALLE
Commencez ! Commencez !
Les mêmes, moins Lignière ; De Guiche, Valvert puis Montfleury.
UN MARQUIS, voyant de Guiche qui descend de la loge de Roxane, traverse le parterre, entouré de seigneurs obséquieux, parmi lesquels le vicomte de Valvert.
Quelle cour, ce de Guiche !
UN AUTRE
Ff !… Encore un Gascon !
LE PREMIER
Le Gascon souple et froid,
Celui qui réussit !… Saluons-le, crois-moi.
Ils vont vers de Guiche.
DEUXIÈME MARQUIS
Les beaux rubans ! Quelle couleur, comte de Guiche ?
Baise-moi-ma-mignonne ou bien Ventre-de-biche ?
DE GUICHE
C’est couleur Espagnol malade.
PREMIER MARQUIS
La couleur
Ne ment pas, car bientôt, grâce à votre valeur,
L’Espagnol ira mal, dans les Flandres !
DE GUICHE
Je monte
Sur scène. Venez-vous ?
Il se dirige suivi de tous les marquis et gentilshommes vers le théâtre. Il se retourne et appelle.
Viens, Valvert !
CHRISTIAN, qui les écoute et les observe, tressaille en entendant ce nom.
Le vicomte !
Ah ! je vais lui jeter à la face mon…
Il met la main dans sa poche, et y rencontre celle d’un tire-laine en train de le dévaliser. Il se retourne.
Hein ?
LE TIRE-LAINE
Ay !…
CHRISTIAN, sans le lâcher.
Je cherchais un gant !
LE TIRE-LAINE, avec un sourire piteux.
Vous trouvez une main.
Changeant de ton, bas et vite.
Lâchez-moi. Je vous livre un secret.
CHRISTIAN, le tenant toujours.
Quel ?
LE TIRE-LAINE
Lignière…
Qui vous quitte…
CHRISTIAN, de même.
Eh ! bien ?
LE TIRE-LAINE
… touche à son heure dernière…
Une chanson qu’il fit blessa quelqu’un de grand,
Et cent hommes – j’en suis – ce soir sont postés !…
CHRISTIAN
Cent !
Par qui ?
LE TIRE-LAINE
Discrétion…
CHRISTIAN, haussant les épaules.
Oh !
LE TIRE-LAINE, avec beaucoup de dignité.
Professionnelle !
CHRISTIAN
Où seront-ils postés ?
LE TIRE-LAINE
À la porte de Nesle.
Sur son chemin. Prévenez-le !
CHRISTIAN, qui lui lâche enfin le poignet.Mais où le voir ?
LE TIRE-LAINE
Allez courir tous les cabarets : le Pressoir
D’Or, la Pomme de Pin, la Ceinture qui craque,
Les Deux Torches, les Trois Entonnoirs, – et dans chaque,
Laissez un petit mot d’écrit l’avertissant.
CHRISTIAN
Oui, je cours ! Ah ! les gueux ! Contre un seul homme, cent !
Regardant Roxane avec amour.
La quitter… elle !
Avec fureur, Valvert.
Et lui !… – Mais il faut que je sauve
Lignière !…
Il sort en courant. – De Guiche, le vicomte, les marquis, tous les gentilshommes ont disparu derrière le rideau pour prendre place sur les banquettes de la scène. Le parterre est complètement rempli. Plus une place vide aux galeries et aux loges.
LA SALLE
Commencez !
UN BOURGEOIS, dont la perruque s’envole au bout d’une ficelle, pêchée par un page de la galerie supérieure.Ma perruque !
CRIS DE JOIE
Il est chauve !…
Bravo, les pages !… Ha ! ha ! ha !..
LE BOURGEOIS, furieux, montrant le poing.
Petit gredin !
RIRES ET CRIS, qui commencent très fort et vont décroissant.
Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha !
Silence complet.
LE BRET, étonné.
Ce silence soudain ?…
Un spectateur lui parle bas.
Ah ?…
LE SPECTATEUR
La chose me vient d’être certifiée
MURMURES, qui courent.
Chut ! – Il paraît ?.. – Non ! – Si – Dans la loge grillée. –
Le cardinal ! – Le cardinal ? – Le cardinal ! –
UN PAGE
Ah ! diable, on ne va pas pouvoir se tenir mal !…
On frappe sur la scène. Tout le monde s’immobilise. Attente.
LA VOIX D’UN MARQUIS, dans le silence, derrière le rideau.
Mouchez cette chandelle !
UN AUTRE MARQUIS, passant la tête par la fente du rideau.Une chaise !
Une chaise est passée, de main en main au-dessus des têtes. Le marquis… la prend et disparaît, non sans avoir envoyé quelques baisers aux loges.
UN SPECTATEUR
Silence !
On refrappe les trois coups. Le rideau s’ouvre. Tableau. Les marquis assis sur les côtés, dans des poses insolentes. Toile de fond représentant un décor bleuâtre de pastorale. Quatre petits lustres de cristal éclairent la scène. Les violons jouent doucement.
LE BRET, à Ragueneau, bas.
Montfleury entre en scène ?
RAGUENEAU, bas aussi.
Oui, c’est lui qui commence.
LE BRET
Cyrano n’est pas là.
RAGUENEAU
J’ai perdu mon pari.
LE BRET
Tant mieux ! tant mieux !