Chantecler - Edmond Rostand - E-Book

Chantecler E-Book

Edmond Rostand

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Beschreibung

Jouée pour la première fois en 1910, "Chantecler" est une fable dramatique écrite par Edmond Rostand qui met en scène des animaux de basse-cour, de jardin ou des bois. 
Chaque matin, le coq Chantecler annonce la venue du soleil à ses congénères. Il est convaincu que son chant régit le soleil jusqu'au jour où l'intrusion d'une faisane lui fait oublier son devoir et où le soleil se lève néanmoins...

Une très belle fable poétique, lyrique et allégorique où par le truchement des animaux, tous les défauts humains sont raillés : la vanité, l’ambition, la jalousie, le cynisme, la prétention…
On croise, entre autres,  un vieux chat Matousalem, un gymkhanard, « une vieille insensible aux problèmes moraux et qui fait du footing en costume à carreaux », un paon modern-style, le Prince de l’Adjectif Inopiné… dans une garden-potager-party.  La pièce offre de multiples morceaux de bravoure : l’hymne au soleil, le chœur des oiseaux, le chant du rossignol ou la tirade du coq célèbre pour ses allitérations.  

Dernière grande œuvre dramatique d'Edmond Rostand, "Chantecler" déconcerta le public parisien, lors de sa première représentation. Satire à clefs des milieux littéraires et politiques, d'une construction et d'une dramaturgie irréprochables, la pièce se veut aussi une réflexion métaphysique sur les vanités du monde. L'écriture, brillante et légère, abonde en calembours et en jeux de mots ; mais le ton, parfois didactique, laisse trop percevoir le souci d'exposer une thèse.

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table des matières

CHANTECLER

PRÉLUDE

ACTE PREMIER: LE SOIR DE LA FAISANE

LE DÉCOR

SCÈNE PREMIÈRE

SCÈNE II

SCÈNE III

SCÈNE IV

SCÈNE V

SCÈNE VI

SCÈNE VII

SCÈNE VIII

ACTE DEUXIÈME: LE MATIN DU COQ

LE DÉCOR

SCÈNE PREMIÈRE

SCÈNE II

SCÈNE III

SCÈNE IV

SCÈNE V

ACTE TROISIÈME: LE JOUR DE LA PINTADE

LE DÉCOR

SCÈNE PREMIÈRE

SCÈNE II

SCÈNE III

SCÈNE IV

SCÈNE V

SCÈNE VI

ACTE QUATRIÈME: LA NUIT DU ROSSIGNOL

LE DÉCOR

SCÈNE PREMIÈRE

SCÈNE II

SCÈNE III

SCÈNE IV

SCÈNE V

SCÈNE VI

SCÈNE VII

SCÈNE VIII

CHANTECLER

Edmond Rostand

PIÈCE EN QUATRE ACTES, EN VERS

représentée pour la première fois au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, le 7 février 1910

À MON FILS JEAN

PRÉLUDE

On frappe les trois coups. Le rideau frissonne et commence à se lever. À ce moment, un cri éclate dans la salle : « Pas encor ! » Et

LE DIRECTEUR DU THÉÂTRE,

jaillissant de son avant-scène, saute dans l’orchestre. C’est un homme important et en habit noir, qui court vers la scène en répétant :

Pas encor !

Le rideau retombe. Le Directeur se tourne vers le public. Et comme il s’est appuyé un instant à la boîte du souffleur, il se met à parler en vers.

Le rideau, c’est un mur qui s’envole !

Et quand un mur va s’envoler, qu’on en est sûr,

On ne saurait avoir d’impatience folle ;

Et c’est charmant d’attendre en regardant ce mur !

C’est charmant d’être assis devant un grand mur rouge

Qui frissonne au-dessous d’un masque et d’un bandeau !

Ah ! le meilleur moment, c’est quand le rideau bouge

Et qu’on entend du bruit derrière le rideau !

Or, ce bruit, nous voulons que, ce soir, on l’écoute.

Et, pour se mettre un peu, déjà, dans le décor,

Qu’on rêve, en l’écoutant.

Penché, le Directeur tend l’oreille aux bruits qui commencent à venir de la scène.

Un pas… est-ce une route ?

Une aile… est-ce un jardin ?

Et comme le rideau palpite, il crie précipitamment :

Ne levez pas encor !

Penché de nouveau, l’oreille tendue, il continue, notant les bruits, vagues ou précis, mêlés ou distincts, qui ne vont plus cesser d’arriver à travers la toile.

Une pie, en jetant son cri, prend la volée,

Et l’on entend courir de gros sabots de bois :

C’est une cour… mais qui domine une vallée

Puisqu’on entend monter des chants et des abois.

Voici que peu à peu l’action se situe.

Rien ne crée aussi bien l’atmosphère qu’un son.

— Une vague clarine a tinté, puis s’est tue :

Puisqu’une chèvre broute, il y a du buisson.

Il doit même y avoir un arbre dans la brise

Puisqu’un bouvreuil dit l’air qu’il a dans le gosier.

Et puisqu’un merle siffle une chanson apprise,

Il faut bien qu’il y ait une cage d’osier.

Le bruit qu’en remuant fait une carriole…

Le bruit pesant d’un seau qui remonte trop plein…

Le bruit léger d’un toit qui joue à pigeon-vole…

Oui, c’est bien une cour de ferme ou de moulin.

De la paille s’agite ; un loquet se déclenche :

On est près d’une étable ou d’un grenier à foin.

La cigale : il fait beau. Des cloches : c’est dimanche.

Deux geais ont ricané : la forêt n’est pas loin.

Chut ! Avec tous les bruits d’un beau jour, la Nature

Fait une rumeur vaste et compose en rêvant

Le plus mystérieux des morceaux d’ouverture,

Orchestré par le soir, la distance et le vent !

Et tous ces bruits – chanson d’une fille qui passe, –

Rires d’enfants scandés au trot des bourriquots, –

Coups de fusil lointains, – notes de cor de chasse, –

Oui, tous ces bruits sont bien des bruits dominicaux.

Une fenêtre s’ouvre. Une porte se ferme.

On entend les grelots du vieux harnais frémir.

N’est-ce pas qu’on la voit, la vieille cour de ferme ?

Le chien dort, et le chat fait semblant de dormir.

Dimanche ! Les fermiers vont partir pour la fête.

Le vieux cheval piétine.

UNE VOIX RUDE, derrière la toile, parmi des piaffements.

Ho ! la Grise !

UNE AUTRE VOIX, comme appelant quelqu’un qui s’attarde.

Viens-tu ?

On rentrera très tard cette nuit.

UNE VOIX IMPATIENTE.

Es-tu prête ?

UNE AUTRE VOIX.

Mets la barre aux volets.

UNE VOIX D’HOMME.

Oui.

UNE VOIX DE FEMME.

Mon ombrelle !…

UNE VOIX D’HOMME, dans un claquement de fouet.

Hu !

LE DIRECTEUR.

La carriole, au bruit du vieux harnais qui sonne,

S’éloigne en secouant des chansons… Un tournant

Casse en deux le refrain… Il n’y a plus personne.

Nous pouvons commencer la pièce maintenant.

Malebranche dirait qu’il n’y a plus une âme :

Nous pensons humblement qu’il reste encor des cœurs.

Les hommes avec eux n’emportent pas le drame :

On peut rire et souffrir pendant qu’ils sont ailleurs.

Il prête encore l’oreille.

Un gros bourdon velu qui de bruit s’enveloppe

Tourne… et plus rien : il vient d’entrer dans une fleur.

Nous pouvons commencer. C’est la bosse d’Ésope

Qui remplace ce soir la boîte du souffleur.

Nos personnages sont petits, mais…

Criant vers les frises.

Alexandre !

Au public.

C’est mon chef machiniste…

Criant de nouveau.

Envoyez !

UNE VOIX, des frises.

Ça descend !

LE DIRECTEUR.

Entre la scène et vous nous avons fait descendre

L’invisible rideau d’un verre grossissant.

Il écoute encore.

Mais voici que déjà s’accordent dans la brume

Des stradivarius aux archets de cristal :

Chut ! Il faut maintenant que la rampe s’allume,

Car les petits grillons sont partis au signal

D’un chef d’orchestre brun qui se lisse une antenne !

— Frrrt ! Le bourdon ressort, secouant du pollen.

Une poule survient, comme dans La Fontaine.

Un coucou chante au loin, comme dans Beethoven.

Chut ! Il faut maintenant que le lustre pâlisse,

Car le mystérieux avertisseur des bois

Dont l’appel semble fuir de coulisse en coulisse

A, pour nous avertir, chanté trois fois deux fois !

Et puisque la Nature entre dans notre rêve,

Puisque pour régisseurs nous avons les coucous,

Chut !… il faut maintenant que le rideau se lève,

Car le bec d’un pivert a frappé les trois coups !

Le rideau se lève.

ACTE PREMIER: LE SOIR DE LA FAISANE

LE DÉCOR

Intérieur d’une cour de ferme.

Les bruits nous l’ont décrit d’une façon exacte.

Portail croulant. Mur bas fleuri d’ombelles. Foin.

Fumier. Meule de paille. Et la campagne au loin.

Les détails vont se préciser au cours de l’acte.

Sur la maison, glycine en mauve cataracte.

La niche du vieux chien de garde, dans un coin.

Épars, tous les outils dont la Terre a besoin.

Des poules vont, levant un pied qui se contracte.

Un merle dans sa cage. Une charrette. Un puits.

Canards. Soleil. Parfois une aile bat, et puis

Une plume, un instant, vole, toute petite.

Des poussins, pour un ver, se disputent entre eux

Le dindon porte au bec sa rouge stalactite.

— Silence chaud, rempli de gloussements heureux

SCÈNE PREMIÈRE

T OUTE LA B ASSE-C OUR, P OULES, P OULETS, se promenant ou montant et descendant la petite échelle du poulailler, P OUSSINS, C ANARDS, D INDONS, etc. ; L E M ERLE dans sa cage qui est accrochée parmi les glycines ; L E C HAT endormi sur le mur : puis U N P APILLON sur les fleurs.

LA POULE BLANCHE, picorant.

Ah ! c’est exquis !

UNE AUTRE POULE, accourant.

Que croquez-vous ?

TOUTES LES POULES, accourant,

Que croque-t-elle ?

LA POULE BLANCHE.

C’est ce petit insecte appelé cicindèle

Qui parfume le bec de rose et de jasmin !

LA POULE NOIRE, arrêtée devant la cage du Merle.

Vraiment, ce Merle siffle avec l’art…

LA POULE BLANCHE.

D’un gamin !

LE DINDON, rectifiant avec solennité.

D’un gamin qui serait un pâtre de Sicile !

LE CANARD.

Il finit jamais son air…

LE DINDON.

C’est trop facile,

Finir !

Il chantonne l’air que siffle le Merle.

« Qu’il fait donc bon cueillir… cueillir… » Canard,

Sache qu’il faut savoir ne pas finir, en art !

« Cueillir… » Bravo !

Le Merle sort, et, posé sur une branche de glycine, salue.

UN POUSSIN, étonné.

Il sort ?

LE MERLE, saluant.

Oui, quand le public vibre.

Je suis apprivoisé !

Il rentre.

LE POUSSIN.

Mais sa cage ?

LE DINDON.

Il est libre

D’en sortir brusquement et d’y rentrer soudain,

Car la porte n’a pas de ressort à boudin.

« … Cueillir ! »… Ce n’est plus rien si l’on dit ce qu’on cueille !

LA POULE NOIRE, apercevant le Papillon posé sur les fleurs qui, au fond, dépassent le mur.

Oh ! le beau papillon !

LA POULE BLANCHE.

Où ?

LA POULE NOIRE.

Sur le chèvrefeuille !

LE DINDON, doctoral.

Ce papillon s’appelle un Mars.

LE POUSSIN, suivant des yeux le papillon.

Ah ! sur l’œillet !

LA POULE BLANCHE, au Dindon.

Un Mars ! Pourquoi ?

LE MERLE, passant sa tête entre les barreaux

Mais parce qu’il vient en juillet !

LA POULE BLANCHE.

Ce Merle… il est roulant !

LE DINDON, hochant la tête.

Mieux que roulant, ma chère !

UNE AUTRE POULE, regardant le Papillon.

C’est chic, un papillon !

LE MERLE.

C’est très facile à faire :

On prend un W qu’on met sur un Y.

UNE POULE, ravie.

Il dessine une charge en quatre coups de bec !

LE DINDON.

Il fait mieux que charger, il schématise ! Poule,

Ce Merle veut qu’on pense au moment qu’on se roule :

C’est un Maître qui se déguise en basochien !

UN POUSSIN, à une poule.

Maman, pourquoi le Chat déteste-t-il le Chien ?

LE MERLE, passant sa tête entre les barreaux.

Mais parce qu’il lui prend son fauteuil au théâtre !

LE POUSSIN, surpris.

Ils ont un théâtre ?

LE MERLE.

Oui. De féerie.

LE POUSSIN.

Hein ?

LE MERLE.

C’est l’âtre,

Où tous deux veulent voir la Bûche-au-Bois-Dormant

Rougir de s’éveiller près du Prince Sarment !

LE DINDON, lourdement ébloui de ces prétendues légèretés.

Comme il sait indiquer que les haines de races

Ne sont jamais, au fond, que des haines de places !

Il est très fort !

LA POULE BEIGE, à la Poule Blanche, qui picore.

Tu prends du piment ?

LA POULE BLANCHE.

Oui, beaucoup.

LA POULE BEIGE.

Pourquoi ?

LA POULE BLANCHE.

Ça fait rosir le plumage.

POULE BEIGE.

Ah ?…

ON ENTEND CHANTER, AU LOIN.

Coucou !

LA POULE BLANCHE.

Tiens !

LE CHANT AU LOIN.

Coucou !

LA POULE BLANCHE.

Le Coucou !

UNE POULE GRISE, accourant, fébrile.

Lequel ? Celui qui loge

Dans les bois, ou celui qui loge dans l’horloge ?

LE CHANT, PLUS LOIN.

Coucou !

LA POULE BLANCHE, ayant écouté.

Celui des bois.

LA POULE GRISE, respirant.

Ah ! je craignais d’avoir

Manqué l’autre !

LA POULE BLANCHE, se rapprochant.

C’est vrai, tu l’aimes ?

LA POULE GRISE, mélancolique.

Sans le voir !

Il habite un chalet pendu dans la cuisine

Au-dessus du fusil et de la limousine.

Dès qu’il chante, j’accours… mais je n’arrive, hélas !

Que pour le voir fermer son petit vasistas !

Ce soir, je vais rester sur le seuil.

Elle se met sur le seuil de la porte.

UNE VOIX.

Poule Blanche !

SCÈNE II

L ES M ÊMES, U N P IGEONsur le toit, puis C HANTECLER.

LA POULE BLANCHE, regardant autour d’elle par mouvements de tête saccadés.

Qui m’appelle ?

LA VOIX.

Un pigeon !

LA POULE BLANCHE, cherchant.

Où ?

LE PIGEON.

Sur le toit qui penche !

LA POULE BLANCHE, levant la tête et l’apercevant.

Ah !

LE PIGEON.

Bien que d’un billet pressé je sois porteur,

Je m’arrête. Bonjour, poule.

LA POULE BLANCHE.

Bonjour, facteur.

LE PIGEON.

Oui, puisque mon service aux Postes de l’Espace

Fait qu’en ce soir d’été par votre ciel je passe,

Je serais bien heureux de pouvoir…

LA POULE BLANCHE, qui aperçoit un grain.

Un moment !

UNE AUTRE POULE, courant curieusement vers elle.

Que croquez-vous ?

TOUTES LES POULES, accourant.

Que croque-t-elle ?

LA POULE BLANCHE

Du froment.

LA POULE GRISE, reprenant sa conversation, à la Poule Blanche.

Donc, ce soir, sur le seuil il faut que je demeure.

Elle montre la porte de la maison.

LA POULE BLANCHE, regardant la porte.

La porte est close !

LA POULE GRISE.

Oui, mais j’entendrai sonner l’heure,

Et pour voir le Coucou je passerai le cou…

LE PIGEON, appelant, impatienté

Poule Blanche !

LA POULE BLANCHE.

Un moment !

À l’autre poule.

Et pour voir le Coucou

Tu passeras le cou par où ?…

LA POULE GRISE, désignant le trou rond qui est au bas de la porte.

Par la chatière !

LE PIGEON, criant.

Vous me laissez le bec dans l’eau de la gouttière !

Hé ! la plus blanche des poules !

LA POULE BLANCHE, sautillant vers lui.

Tu me disais ?…

LE PIGEON.

Que je serais…

LA POULE BLANCHE, avec une révérence.

Quoi donc, le plus bleu des bisets ?

LE PIGEON.

Bien heureux si… – mais non, l’audace est indiscrète… –

Je pouvais voir…

LA POULE BLANCHE.

Quoi ?

LE PIGEON, ému.

Rien qu’un instant…

TOUTES LES POULES, impatientées

Quoi ?

LE PIGEON.

Sa crête !

LA POULE BLANCHE, aux autres, en riant.

Ah ! il veut voir…

LE PIGEON, très excité.

Mais oui, je veux voir…

LA POULE BLANCHE.

Calme-toi !

LE PIGEON.

J’attends en trépignant !

LA POULE BLANCHE.

Il abîme le toit !

LE PIGEON.

C’est que nous l’admirons !

LA POULE BLANCHE.

Tout le monde l’admire !

LE PIGEON.

Et j’ai promis à ma pigeonne de lui dire

Comment il est.

LA POULE BLANCHE, tout en picorant.

Superbe, on ne peut le nier.

LE PIGEON.

Nous l’entendons chanter de notre pigeonnier !

C’est Celui dont le chant tient plus au paysage

Qu’à la pente d’un mont la blancheur d’un village,

Car toujours au lointain sa voix se mêle un peu ;

C’est Celui dont le cri perce l’horizon bleu

Comme une aiguille d’or qui toujours enfilée

Coudrait au bord du ciel le bord de la vallée.

C’est le Coq !

LE MERLE, allant et venant dans sa cage.

Pour lequel tous les cœurs font toc-toc !

UNE POULE.

Notre Coq !

LE MERLE, passant sa tête entre les barreaux.

Mon, ton, son, notre, votre et leur Coq !

LE DINDON, au Pigeon.

Il va bientôt rentrer de sa ronde champêtre.

LE PIGEON.

Ah ! vous le connaissez, Monsieur ?

LE DINDON, important.

Je l’ai vu naître.

Ce poussin – car pour moi c’est toujours un poussin !

— Venait prendre chez moi sa leçon de buccin.

LE PIGEON.

Ah ! vraiment, vous donnez des leçons de ?…

LE DINDON.

Sans doute.

Je peux apprendre à coqueriquer : je glougloute !

LE PIGEON, avidement.

Où donc est-il né ?

LE DINDON, désignant un vieux panier à couvercle, usé et percé.

Dans ce vieux panier.

LE PIGEON.

Et la

Poule qui l’a couvé vit encore ?

LE DINDON.

Elle est là.

LE PIGEON.

Où ?

LE DINDON.

Dans ce vieux panier.

LE PIGEON, de plus en plus intéressé.

De quelle race est-elle ?

LE DINDON.

C’est une bonne, vieille et traditionnelle

Poule gasconne, née aux environs de Pau.

LE MERLE, passant sa tête.

C’est celle qu’Henri Quatre a voulu mettre au pot.

LE PIGEON.

Avoir couvé ce Coq… qu’elle doit être fière !

LE DINDON.

Oui, d’une humble fierté de maman nourricière.

Son cher poussin – c’est là tout ce qu’elle comprend –

Devient grand !… et quand on lui dit qu’il devient grand,

Sa raison presque éteinte un instant se réveille.

Il crie vers le panier.

Hé ! la vieille, il grandit !

TOUTES LES POULES.

Il grandit !

Aussitôt, on voit se soulever le couvercle du panier et surgir une vieille tête ébouriffée.

LE PIGEON, à la Vieille Poule, avec attendrissement.

Hé ! la vieille,

Ça vous fait donc plaisir qu’il grandisse ?

LA VIEILLE POULE, hochant la tête, et sentencieusement.

Pardi !

Le blé de mercredi fait honneur à mardi !

Elle disparaît. Le couvercle retombe

LE DINDON.

De temps en temps, elle ouvre, et, crac ! avant de clore,

Elle laisse tomber une fleur de folk-lore,

Un dicton qu’elle invente et qui sent le patois…

LE PIGEON, à la Poule Blanche.

Poule Blanche !

LE DINDON, en remontant

… Et qui tombe assez bien quelquefois !

LA VIEILLE POULE, qui a reparu un instant derrière lui.

Quand le paon n’est pas là, le dindon fait la roue.

Le Dindon se retourne : le couvercle est déjà retombé.

LE PIGEON, à la Poule Blanche.

Est-ce vrai que jamais Chantecler ne s’enroue ?

LA POULE BLANCHE, picorant toujours.

C’est vrai !

LE PIGEON, avec un enthousiasme croissant.

Vous êtes fiers d’avoir sous ces ormeaux

Un coq qui comptera parmi les Animaux

Illustres, dont le nom vivra dans plusieurs lustres !

LE DINDON.

Très fiers ! très fiers !

À un petit poussin.

Quels sont les Animaux Illustres ?

LE POUSSIN, récitant.

Le pigeon de Noé, le barbet de Saint-Roch,

Le cheval de Cali…

LE DINDON.

Cali ?…

LE POUSSIN, cherchant.

Cali…

LE PIGEON.

Ce coq,

Est-ce vrai que son chant rythme, active, guerroie,

Fait rire le travail et fuir l’oiseau de proie ?

LA POULE BLANCHE, picorant.

C’est vrai !

LE POUSSIN, cherchant toujours.

Cali… Cali…

LE PIGEON.

Poule Blanche, est-ce vrai

Que son chant, défenseur de l’œuf tiède et sacré,

Empêcha bien souvent l’onduleuse belette

D’avoir à son plastron des taches…

LE MERLE, passant sa tête entre les barreaux.

D’omelette ?

LA POULE BLANCHE

C’est vrai !

LE POUSSIN, cherchant toujours.

Cali…

LE DINDON, pour l’aider.

Gu ?…

LE POUSSIN.

Gu…

LE PIGEON.

Poule, est-ce vrai…

LE POUSSIN, bondissant de joie d’avoir trouvé.

Gula !

LE PIGEON.

… Que, pour chanter si bien, on suppose qu’il a

Un secret… un secret qui rend sa voix si rouge

Qu’à son cocorico le coquelicot bouge

Comme s’il s’entendait appeler par son nom ?

LA POULE BLANCHE, un peu fatiguée par ces questions.

C’est vrai !

LE PIGEON.

Ce grand secret, nul ne le connaît ?

LA POULE BLANCHE.

Non !

LE PIGEON.

Il ne le dit pas même à sa poule ?

LA POULE BLANCHE, rectifiant.

À ses poules !

LE PIGEON, un peu scandalisé.

Ah ! il en a plusieurs ?

LE MERLE.

Il chante. Tu roucoules !

LE PIGEON.

Même à sa favorite, alors, il ne dit rien ?

LA POULE DE HOUDAN, vivement.

Oh ! Rien !

LA POULE BLANCHE, aussi vivement.

Rien !

LA POULE NOIRE, aussi vivement.

Rien !

LE MERLE, passant sa tête entre les barreaux,

Silence ! un drame aérien !

Le Papillon, piaffant comme un petit Pégase,

N’a pas vu…

On aperçoit, dépassant le mur, un grand filet vert, qui s’approche tout doucement du Papillon posé sur une des fleurs.

UNE POULE.

Qu’est cela ?

LE DINDON, solennel.

C’est le Destin !

LE MERLE.

En gaze !

LA POULE BLANCHE.

Oh !… un filet !… au bout d’un bambou…

LE MERLE.

Ce bambou

Se termine par un bambin à l’autre bout !

À mi-voix, en regardant le Papillon.

Muscadin qui toujours vers d’autres roses cingles,

Tu vas être tiré ce soir à quatre épingles !

TOUT LE MONDE, suivant par-dessus le mur l’approche lente du filet.

Palpitant ! – Ça s’approche ! – Oui ! – Poco a poco ! – Chut ! – Prendra ! – Prendra pas ! – Prendra !…

Le Papillon va être pris. Mais on entend tout à coup au loin.

Cocorico !

Averti par ce cri, le Papillon s’envole. Le filet se balance un moment désappointé, puis disparaît.

PLUSIEURS POULES.

Hein ? – Quoi ? – Qu’est-ce ?

UNE POULE, qui, sautée sur une brouette, suit le vol du Papillon.

Il est loin déjà dans la prairie !

LE MERLE, avec une emphase ironique.

C’est Chantecler qui fait de la chevalerie !

LE PIGEON, très ému.

Chantecler !

UNE POULE.

Sur le mur… il vient !

UNE AUTRE POULE.

Il est tout près !

LA POULE BLANCHE, au Pigeon.

Oh ! tu vas voir, c’est un beau coq !

LE MERLE, passant sa tête entre les barreaux.

D’ailleurs, c’est très

Facile à faire, un coq !

LE DINDON, plein d’admiration.

Ce Merle est d’une force !

LE MERLE.

Vous prenez un melon, de Honfleur, pour le torse.

Pour les deux jambes, deux asperges, d’Argenteuil.

Pour la tête, un piment, de Bayonne. Pour l’œil,

Une groseille, de Bar-le-Duc. Pour la queue,

Un poireau, de Rouen, tordant sa gerbe bleue.

Pour l’oreille, ô Soissons ! un petit haricot.

Ça y est. C’est un coq !

LE PIGEON, doucement.

Moins le cocorico !

LE MERLE, lui montrant Chantecler qui paraît sur le mur.

Oui. Mais sauf ce détail tu vois que ça ressemble ?

LE PIGEON.

Pas du tout !

Et regardant Chantecler d’un œil tout autre que celui du Merle :

Moi, je vois, sous un cimier qui tremble,

Venir le Chevalier superbe de l’Été,

Qui pour se draper d’or semble avoir emprunté

À quelque char du soir où la moisson vacille

Sa cape, qu’il retrousse avec une faucille !

CHANTECLER, sur le mur, dans un long soupir guttural.

Cô…

LE MERLE.

Quand il fait ce bruit dans sa gorge, en marchant,

C’est qu’il aime une poule ou qu’il médite un chant.

CHANTECLER, immobile sur le mur, la tête haute.

Flambe !… Illumine !…

LE MERLE.

Il dit des mots sans suite !

CHANTECLER.

Embrase !…

UNE POULE.

Il s’arrête, une patte en l’air…

CHANTECLER, avec une sorte de râle de tendresse.

Cô…

LE MERLE.

C’est l’extase !

CHANTECLER

Ton or est le seul or qui soit de bon conseil !

— Je t’adore !

LE PIGEON, à mi-voix.

À qui donc parle-t-il ?

LE MERLE, d’un ton gouailleur.

Au soleil !

CHANTECLER.

Toi qui sèches les pleurs des moindres graminées,

Qui fais d’une fleur morte un vivant papillon,

Lorsqu’on voit, s’effeuillant comme des destinées,

Trembler au vent des Pyrénées

Les amandiers du Roussillon,

Je t’adore, Soleil ! ô toi dont la lumière,

Pour bénir chaque front et mûrir chaque miel,

Entrant dans chaque fleur et dans chaque chaumière,

Se divise et demeure entière

Ainsi que l’amour maternel !

Je te chante, et tu peux m’accepter pour ton prêtre,

Toi qui viens dans la cuve où trempe un savon bleu,

Et qui choisis souvent, quand tu vas disparaître,

L’humble vitre d’une fenêtre

Pour lancer ton dernier adieu !

LE MERLE, passant sa tête entre les barreaux.

Nous n’y couperons pas, mes enfants : c’est une ode.

LE DINDON, regardant Chantecler qui, par les degrés d’un tas de foin, descend du mur.

Il avance, plus fier…

UNE POULE, s’arrêtant devant une petite pyramide de fer-blanc.

Tiens ! l’abreuvoir !

Elle boit.

Commode.

LE MERLE.

… Plus fier qu’un Toulousain qui chante : « O moun Païs ! »

CHANTECLER, qui commence à marcher dans la cour.

Tu fais tourner…

TOUTES LES POULES, courant vers la Blanche.

Que croque-t-elle ?

LA POULE BLANCHE.

Du maïs.

CHANTECLER.

Tu fais tourner les tournesols du presbytère.

Luire le frère d’or que j’ai sur le clocher,

Et quand, par les tilleuls, tu viens avec mystère,