Cyrano de Bergerac - Edmond Rostand - E-Book

Cyrano de Bergerac E-Book

Edmond Rostand

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Beschreibung

Cyrano de Bergerac est une comédie héroïque écrite par Edmond Rostand en 1897. Elle raconte l'histoire de Cyrano, un homme brillant mais laid, qui tombe amoureux de Roxane, une belle cousine. Bien qu'il soit trop timide pour lui déclarer ses sentiments, il aide Christian, un ami plus beau mais moins intelligent, à séduire Roxane en lui écrivant des lettres d'amour. Cependant, lorsque Christian meurt au combat, Cyrano doit révéler la vérité à Roxane et se battre pour sa propre reconnaissance. Cyrano de Bergerac est considéré comme un classique de la littérature française et est souvent étudié en classe de littérature. Il est apprécié pour sa richesse linguistique, sa complexité psychologique et sa vision romantique de l'amour et de la vie. Il est souvent joué sur les scènes de théâtre à travers le monde et a été adapté à de nombreuses reprises au cinéma.


À  PROPOS DE L'AUTEUR


Edmond Rostand est un écrivain français talentueux et passionné, né en 1868. Il est surtout connu pour son célèbre drame romantique " Cyrano de Bergerac", publié en 1897. Ce livre raconte l'histoire d'un homme doté d'une grande intelligence et d'un grand talent poétique, mais doté d'un nez imposant qui le rend complexé. Il est amoureux de sa cousine Roxane, mais il se sent trop mal à l'aise pour lui avouer ses sentiments. Il décide alors de l'aider à séduire un autre homme, Christian, qui est lui-même amoureux de Roxane. Ce drame a été un grand succès à sa sortie et est considéré comme l'un des chefs-d'œuvre de la littérature française. Il est également devenu un classique de la scène théâtrale, joué dans le monde entier. Rostand était également un poète et un auteur de pièces de théâtre, il a été couronné par l'Académie française en 1901. Il est mort en 1918.

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Cyrano de Bergerac

Edmond Rostand

– 1897 –

 

 

C’est à l’âme de CYRANO que je voulais dédier ce poème.

 

Mais puisqu’elle a passé en vous, COQUELIN, c’est à vous que je le dédie.

 

E. R.

 

LES PERSONNAGES

CYRANO DE BERGERAC

CHRISTIAN DE NEUVILLETTE

COMTE DE GUICHE

RAGUENEAU

LE BRET

CARBON DE CASTEL-JALOUX

LES CADETS

LIGNIÈRE

DE VALVERT

UN MARQUIS

DEUXIÈME MARQUIS

TROISIÈME MARQUIS

MONTFLEURY

BELLEROSE

JODELET

CUIGY

BRISSAILLE

UN FÂCHEUX

UN MOUSQUETAIRE

UN AUTRE

UN OFFICIER ESPAGNOL

UN CHEVAU-LÉGER

LE PORTIER

UN BOURGEOIS

SON FILS

UN TIRE-LAINE

UN SPECTATEUR

UN GARDE

BERTRANDOU LE FIFRE

LE CAPUCIN

DEUX MUSICIENS

LES POÈTES

LES PÂTISSIERS

ROXANE

SŒUR MARTHE

LISE

LA DISTRIBUTRICE

MÈRE MARGUERITE DE JÉSUS

LA DUÈGNE

SŒUR CLAIRE

UNE COMÉDIENNE

LA SOUBRETTE

LES PAGES

LA BOUQUETIÈRE

 

La foule, bourgeois, marquis, mousquetaires, tire-laine, pâtissiers, poètes, cadets gascons, comédiens, violons, pages, enfants, soldats, espagnols, spectateurs, spectatrices, précieuses, comédiennes, bourgeoises, religieuses, etc.

 

(Les quatre premiers actes en 1640, le cinquième en 1655.)

 

PREMIER ACTEUNE REPRÉSENTATION À L’HÔTEL DE BOURGOGNE.

La salle de l’Hôtel de Bourgogne, en 1640. Sorte de hangar de jeu de paume aménagé et embelli pour des représentations.

 

La salle est un carré long ; on la voit en biais, de sorte qu’un de ses côtés forme le fond qui part du premier plan, à droite, et va au dernier plan, à gauche, faire angle avec la scène, qu’on aperçoit en pan coupé.

 

Cette scène est encombrée, des deux côtés, le long des coulisses, par des banquettes. Le rideau est formé par deux tapisseries qui peuvent s’écarter. Au-dessus du manteau d’Arlequin, les armes royales. On descend de l’estrade dans la salle par de larges marches. De chaque côté de ces marches, la place des violons. Rampe de chandelles.

 

Deux rangs superposés de galeries latérales : le rang supérieur est divisé en loges. Pas de sièges au parterre, qui est la scène même du théâtre ; au fond de ce parterre, c’est-à-dire à droite, premier plan, quelques bancs formant gradins et, sous un escalier qui monte vers des places supérieures, et dont on ne voit que le départ, une sorte de buffet orné de petits lustres, de vases fleuris, de verres de cristal, d’assiettes de gâteaux, de flacons, etc.

 

Au fond, au milieu, sous la galerie de loges, l’entrée du théâtre. Grande porte qui s’entre-bâille pour laisser passer les spectateurs. Sur les battants de cette porte, ainsi que dans plusieurs coins et au-dessus du buffet, des affiches rouges sur lesquelles on lit : La Clorise.

 

Au lever du rideau, la salle est dans une demi-obscurité, vide encore. Les lustres sont baissés au milieu du parterre, attendant d’être allumés.

Scène I

Le public, qui arrive peu à peu. Cavaliers, bourgeois, laquais, pages, tire-laine, le portier, etc., puis les marquis, Cuigy, Brissaille, la distributrice, les violons, etc.

 

(On entend derrière la porte un tumulte de voix, puis un cavalier entre brusquement.)

 

LE PORTIER, le poursuivant.

 

Holà ! vos quinze sols !

 

LE CAVALIER.

 

J’entre gratis !

 

LE PORTIER.

 

Pourquoi ?

 

LE CAVALIER.

 

Je suis chevau-léger de la maison du Roi !

 

LE PORTIER, à un autre cavalier qui vient d’entrer.

 

Vous ?

 

DEUXIÈME CAVALIER.

 

Je ne paye pas !

 

LE PORTIER.

 

Mais…

 

DEUXIÈME CAVALIER.

 

Je suis mousquetaire.

 

PREMIER CAVALIER, au deuxième.

 

On ne commence qu’à deux heures. Le parterre

Est vide. Exerçons-nous au fleuret.

 

(Ils font des armes avec des fleurets qu’ils ont apportés.)

 

UN LAQUAIS, entrant.

 

Pst… Flanquin !…

 

UN AUTRE, déjà arrivé.

 

Champagne ?…

 

LE PREMIER, lui montrant des jeux qu’il sort de son pourpoint.

 

Cartes. Dés.

 

(Il s’assied par terre.)

 

Jouons.

 

LE DEUXIÈME, même jeu.

 

Oui, mon coquin.

 

PREMIER LAQUAIS, tirant de sa poche un bout de chandelle qu’il allume et colle par terre.

 

J’ai soustrait à mon maître un peu de luminaire.

 

UN GARDE, à une bouquetière qui s’avance.

 

C’est gentil de venir avant que l’on n’éclaire !…

 

(Il lui prend la taille.)

 

UN DES BRETTEURS, recevant un coup de fleuret.

 

Touche !

 

UN DES JOUEURS.

 

Trèfle !

 

LE GARDE, poursuivant la fille.

 

Un baiser !

 

LA BOUQUETIÈRE, se dégageant.

 

On voit !…

 

LE GARDE, l’entraînant dans les coins sombres.

 

Pas de danger !

 

UN HOMME, s’asseyant par terre avec d’autres porteurs de provisions de bouche.

 

Lorsqu’on vient en avance, on est bien pour manger.

 

UN BOURGEOIS, conduisant son fils.

 

Plaçons-nous là, mon fils.

 

UN JOUEUR.

 

Brelan d’as !

 

UN HOMME, tirant une bouteille de sous son manteau et s’asseyant aussi.

 

Un ivrogne

Doit boire son bourgogne…

 

(Il boit.)

 

à l’hôtel de Bourgogne !

 

LE BOURGEOIS, à son fils.

 

Ne se croirait-on pas en quelque mauvais lieu ?

 

(Il montre l’ivrogne du bout de sa canne.)

 

Buveurs…

 

(En rompant, un des cavaliers le bouscule.)

 

Bretteurs !

 

(Il tombe au milieu des joueurs.)

 

Joueurs !

 

LE GARDE, derrière lui, lutinant toujours la femme.

 

Un baiser !

 

LE BOURGEOIS, éloignant vivement son fils.

 

Jour de Dieu !

– Et penser que c’est dans une salle pareille

Qu’on joua du Rotrou, mon fils !

 

LE JEUNE HOMME.

 

Et du Corneille !

 

UNE BANDE DE PAGES, se tenant par la main, entre en farandole et chante.

 

Tra la la la la la la la la la la lère…

 

LE PORTIER, sévèrement aux pages.

 

Les pages, pas de farce !…

 

PREMIER PAGE, avec une dignité blessée.

 

Oh ! Monsieur ! ce soupçon !…

 

(Vivement au deuxième, dès que le portier a tourné le dos.)

 

As-tu de la ficelle ?

 

LE DEUXIÈME.

 

Avec un hameçon.

 

PREMIER PAGE.

 

On pourra de là-haut pêcher quelque perruque.

 

UN TIRE-LAINE, groupant autour de lui plusieurs hommes de mauvaise mine.

 

Or çà, jeunes escrocs, venez qu’on vous éduque.

Puis donc que vous volez pour la première fois…

 

DEUXIÈME PAGE, criant à d’autres pages déjà placés aux galeries supérieures.

 

Hep ! Avez-vous des sarbacanes ?

 

TROISIÈME PAGE, d’en haut.

 

Et des pois !

 

(Il souffle et les crible de pois.)

 

LE JEUNE HOMME, à son père.

 

Que va-t-on nous jouer ?

 

LE BOURGEOIS.

 

Clorise.

 

LE JEUNE HOMME.

 

De qui est-ce ?

 

LE BOURGEOIS.

 

De monsieur Balthazar Baro. C’est une pièce !…

 

(Il remonte au bras de son fils.)

 

LE TIRE-LAINE, à ses acolytes.

 

… La dentelle surtout des canons, coupez-la !

 

UN SPECTATEUR, à un autre, lui montrant une encoignure élevée.

 

Tenez, à la première du Cid, j’étais là !

 

LE TIRE-LAINE, faisant avec ses doigts le geste de subtiliser.

 

Les montres…

 

LE BOURGEOIS, redescendant, à son fils.

 

Vous verrez des acteurs très illustres…

 

LE TIRE-LAINE, faisant le geste de tirer par petites secousses furtives.

 

Les mouchoirs…

 

LE BOURGEOIS.

 

Montfleury…

 

QUELQU’UN, criant de la galerie supérieure.

 

Allumez donc les lustres !

 

LE BOURGEOIS.

 

… Bellerose, L’Épy, la Beaupré, Jodelet !

 

UN PAGE, au parterre.

 

Ah ! voici la distributrice !…

 

LA DISTRIBUTRICE, paraissant derrière le buffet.

 

Oranges, lait,

Eau de framboise, aigre de cèdre…

 

(Brouhaha à la porte.)

 

UNE VOIX DE FAUSSET.

 

Place, brutes !

 

UN LAQUAIS, s’étonnant.

 

Les marquis !… au parterre ?…

 

UN AUTRE LAQUAIS.

 

Oh ! pour quelques minutes.

 

(Entre une bande de petits marquis.)

 

UN MARQUIS, voyant la salle à moitié vide.

 

Hé quoi ! Nous arrivons ainsi que les drapiers,

Sans déranger les gens ? sans marcher sur les pieds ?

Ah ! fi ! fi ! fi !

 

(Il se trouve devant d’autres gentilshommes entrés peu avant.)

 

Cuigy ! Brissaille !

 

(Grandes embrassades.)

 

CUIGY.

 

Des fidèles !…

Mais oui, nous arrivons devant que les chandelles…

 

LE MARQUIS.

 

Ah ! ne m’en parlez pas ! Je suis dans une humeur…

 

UN AUTRE.

 

Console-toi, marquis, car voici l’allumeur !

 

LA SALLE, saluant l’entrée de l’allumeur.

 

Ah !…

 

(On se groupe autour des lustres qu’il allume. Quelques personnes ont pris place aux galeries. Lignière entre au parterre, donnant le bras à Christian de Neuvillette. Lignière, un peu débraillé, figure d’ivrogne distingué. Christian, vêtu élégamment, mais d’une façon un peu démodée, paraît préoccupé et regarde les loges.)

 

Scène II

Les mêmes, Christian, Lignière, puis Ragueneau et Le Bret.

 

CUIGY.

 

Lignière !

 

BRISSAILLE, riant.

 

Pas encor gris !…

 

LIGNIÈRE, bas à Christian.

 

Je vous présente ?

 

(Signe d’assentiment de Christian.)

 

Baron de Neuvillette.

 

(Saluts.)

 

LA SALLE, acclamant l’ascension du premier lustre allumé.

 

Ah !

 

CUIGY, à Brissaille, en regardant Christian.

 

La tête est charmante.

 

PREMIER MARQUIS, qui a entendu.

 

Peuh !…

 

LIGNIÈRE, présentant à Christian.

 

Messieurs de Cuigy, de Brissaille…

 

CHRISTIAN, s’inclinant.

 

Enchanté !…

 

PREMIER MARQUIS, au deuxième.

 

Il est assez joli, mais n’est pas ajusté

Au dernier goût.

 

LIGNIÈRE, à Cuigy.

 

Monsieur débarque de Touraine.

 

CHRISTIAN.

 

Oui, je suis à Paris depuis vingt jours à peine.

J’entre aux gardes demain, dans les Cadets.

 

PREMIER MARQUIS, regardant les personnes qui entrent dans les loges.

 

Voilà

La présidente Aubry !

 

LA DISTRIBUTRICE.

 

Oranges, lait…

 

LES VIOLONS, s’accordant.

 

La… la…

 

CUIGY, à Christian, lui désignant la salle qui se garnit.

 

Du monde !

 

CHRISTIAN.

 

Eh, oui, beaucoup.

 

PREMIER MARQUIS.

 

Tout le bel air !

 

(Ils nomment les femmes à mesure qu’elles entrent, très parées, dans les loges. Envois de saluts, réponses de sourires.)

 

DEUXIÈME MARQUIS.

 

Mesdames

De Guéméné…

 

CUIGY.

 

De Bois-Dauphin…

 

PREMIER MARQUIS.

 

Que nous aimâmes…

 

BRISSAILLE.

 

De Chavigny…

 

DEUXIÈME MARQUIS.

 

Qui de nos cœurs va se jouant !

 

LIGNIÈRE.

 

Tiens, monsieur de Corneille est arrivé de Rouen.

 

LE JEUNE HOMME, à son père.

 

L’Académie est là ?

 

LE BOURGEOIS.

 

Mais… j’en vois plus d’un membre ;

Voici Boudu, Boissat, et Cureau de la Chambre ;

Porchères, Colomby, Bourzeys, Bourdon, Arbaud…

Tous ces noms dont pas un ne mourra, que c’est beau !

 

PREMIER MARQUIS.

 

Attention ! nos précieuses prennent place.

Barthénoïde, Urimédonte, Cassandace,

Félixérie…

 

DEUXIÈME MARQUIS, se pâmant.

 

Ah ! Dieu ! leurs surnoms sont exquis !

Marquis, tu les sais tous ?

 

PREMIER MARQUIS.

 

Je les sais tous, marquis !

 

LIGNIÈRE, prenant Christian à part.

 

Mon cher, je suis entré pour vous rendre service.

La dame ne vient pas. Je retourne à mon vice !

 

CHRISTIAN, suppliant.

 

Non !… Vous qui chansonnez et la ville et la cour,

Restez : vous me direz pour qui je meurs d’amour.

 

LE CHEF DES VIOLONS, frappant sur son pupitre, avec son archet.

 

Messieurs les violons !…

 

(Il lève son archet.)

 

LA DISTRIBUTRICE.

 

Macarons, citronnée…

 

(Les violons commencent à jouer.)

 

CHRISTIAN.

 

J’ai peur qu’elle ne soit coquette et raffinée,

Je n’ose lui parler car je n’ai pas d’esprit.

Le langage aujourd’hui qu’on parle et qu’on écrit,

Me trouble. Je ne suis qu’un bon soldat timide.

– Elle est toujours à droite, au fond : la loge vide.

 

LIGNIÈRE, faisant mine de sortir.

 

Je pars.

 

CHRISTIAN, le retenant encore.

 

Oh ! non, restez !

 

LIGNIÈRE.

 

Je ne peux. D’Assoucy

M’attend au cabaret. On meurt de soif, ici.

 

LA DISTRIBUTRICE, passant devant lui avec un plateau.

 

Orangeade ?

 

LIGNIÈRE.

 

Fi !

 

LA DISTRIBUTRICE.

 

Lait ?

 

LIGNIÈRE.

 

Pouah !

 

LA DISTRIBUTRICE.

 

Rivesalte ?

 

LIGNIÈRE.

 

Halte !

 

(À Christian.)

 

Je reste encore un peu. – Voyons ce rivesalte ?

 

(Il s’assied près du buffet. La distributrice lui verse du rivesalte.)

 

CRIS, dans le public à l’entrée d’un petit homme grassouillet et réjoui.

 

Ah ! Ragueneau !…

 

LIGNIÈRE, à Christian.

 

Le grand rôtisseur Ragueneau.

 

RAGUENEAU, costume de pâtissier endimanché, s’avançant vivement vers Lignière.

 

Monsieur, avez-vous vu monsieur de Cyrano ?

 

LIGNIÈRE, présentant Ragueneau à Christian.

 

Le pâtissier des comédiens et des poètes !

 

RAGUENEAU, se confondant.

 

Trop d’honneur…

 

LIGNIÈRE.

 

Taisez-vous, Mécène que vous êtes !

 

RAGUENEAU.

 

Oui, ces messieurs chez moi se servent…

 

LIGNIÈRE.

 

À crédit.

Poète de talent lui-même…

 

RAGUENEAU.

 

Ils me l’ont dit.

 

LIGNIÈRE.

 

Fou de vers !

 

RAGUENEAU.

 

Il est vrai que pour une odelette…

 

LIGNIÈRE.

 

Vous donnez une tarte…

 

RAGUENEAU.

 

Oh ! une tartelette !

 

LIGNIÈRE.

 

Brave homme, il s’en excuse ! Et pour un triolet

Ne donnâtes-vous pas ?…

 

RAGUENEAU.

 

Des petits pains !

 

LIGNIÈRE, sévèrement.

 

Au lait.

– Et le théâtre, vous l’aimez ?

 

RAGUENEAU.

 

Je l’idolâtre.

 

LIGNIÈRE.

 

Vous payez en gâteaux vos billets de théâtre !

Votre place, aujourd’hui, là, voyons, entre nous,

Vous a coûté combien ?

 

RAGUENEAU.

 

Quatre flans. Quinze choux.

 

(Il regarde de tous côtés.)

 

Monsieur de Cyrano n’est pas là ? Je m’étonne.

 

LIGNIÈRE.

 

Pourquoi ?

 

RAGUENEAU.

 

Montfleury joue !

 

LIGNIÈRE.

 

En effet, cette tonne

Va nous jouer ce soir le rôle de Phédon.

Qu’importe à Cyrano ?

 

RAGUENEAU.

 

Mais vous ignorez donc ?

Il fit à Montfleury, messieurs, qu’il prit en haine,

Défense, pour un mois, de reparaître en scène.

 

LIGNIÈRE, qui en est à son quatrième petit verre.

 

Eh bien ?

 

RAGUENEAU.

 

Montfleury joue !

 

CUIGY, qui s’est rapproché de son groupe.

 

Il n’y peut rien.

 

RAGUENEAU.

 

Oh ! oh !

Moi, je suis venu voir !

 

PREMIER MARQUIS.

 

Quel est ce Cyrano ?

 

CUIGY.

 

C’est un garçon versé dans les colichemardes.

 

DEUXIÈME MARQUIS.

 

Noble ?

 

CUIGY.

 

Suffisamment. Il est cadet aux gardes.

 

(Montrant un gentilhomme qui va et vient dans la salle comme s’il cherchait quelqu’un.)

 

Mais son ami Le Bret peut vous dire…

 

(Il appelle.)

 

Le Bret !

 

(Le Bret descend vers eux.)

 

Vous cherchez Bergerac ?

 

LE BRET.

 

Oui, je suis inquiet !…

 

CUIGY.

 

N’est-ce pas que cet homme est des moins ordinaires ?

 

LE BRET, avec tendresse.

 

Ah ! c’est le plus exquis des êtres sublunaires !

 

RAGUENEAU.

 

Rimeur !

 

CUIGY.

 

Bretteur !

 

BRISSAILLE.

 

Physicien !

 

LE BRET.

 

Musicien !

 

LIGNIÈRE.

 

Et quel aspect hétéroclite que le sien !

 

RAGUENEAU.

 

Certes, je ne crois pas que jamais nous le peigne

Le solennel monsieur Philippe de Champaigne ;

Mais bizarre, excessif, extravagant, falot,

Il eût fourni, je pense, à feu Jacques Callot

Le plus fol spadassin à mettre entre ses masques.

Feutre à panache triple et pourpoint à six basques,

Cape que par derrière, avec pompe, l’estoc

Lève, comme une queue insolente de coq,

Plus fier que tous les Artabans dont la Gascogne

Fut et sera toujours l’alme Mère Gigogne,

Il promène, en sa fraise à la Pulcinella,

Un nez !… Ah ! messeigneurs, quel nez que ce nez-là !…

On ne peut voir passer un pareil nasigère

Sans s’écrier : « Oh ! non, vraiment, il exagère ! »

Puis on sourit, on dit : « Il va l’enlever… » Mais

Monsieur de Bergerac ne l’enlève jamais.

 

LE BRET, hochant la tête.

 

Il le porte, – et pourfend quiconque le remarque !

 

RAGUENEAU, fièrement.

 

Son glaive est la moitié des ciseaux de la Parque !

 

PREMIER MARQUIS, haussant les épaules.

 

Il ne viendra pas !

 

RAGUENEAU.

 

Si !… Je parie un poulet

À la Ragueneau !

 

LE MARQUIS, riant.

 

Soit !

 

(Rumeurs d’admiration dans la salle. Roxane vient de paraître dans sa loge. Elle s’assied sur le devant, sa duègne prend place au fond. Christian, occupé à payer la distributrice, ne regarde pas.)

 

DEUXIÈME MARQUIS, avec des petits cris.

 

Ah ! messieurs ! mais elle est

Épouvantablement ravissante !

 

PREMIER MARQUIS.

 

Une pêche

Qui sourirait avec une fraise !

 

DEUXIÈME MARQUIS.

 

Et si fraîche

Qu’on pourrait, l’approchant, prendre un rhume de cœur !

 

CHRISTIAN, lève la tête, aperçoit Roxane, et saisit vivement Lignière par le bras.

 

C’est elle !

 

LIGNIÈRE, regardant.

 

Ah ! c’est elle ?…

 

CHRISTIAN.

 

Oui. Dites vite. J’ai peur.

 

LIGNIÈRE, dégustant son rivesalte à petits coups.

 

Magdeleine Robin, dite Roxane. – Fine.

Précieuse.

 

CHRISTIAN.

 

Hélas !

 

LIGNIÈRE.

 

Libre. Orpheline. Cousine

De Cyrano, – dont on parlait…

 

(À ce moment, un seigneur très élégant, le cordon bleu en sautoir, entre dans la loge et, debout, cause un instant avec Roxane.)

 

CHRISTIAN, tressaillant.

 

Cet homme ?…

 

LIGNIÈRE, qui commence à être gris, clignant de l’œil.

 

Hé ! hé !…

– Comte de Guiche. Épris d’elle. Mais marié

À la nièce d’Armand de Richelieu. Désire

Faire épouser Roxane à certain triste sire,

Un monsieur de Valvert, vicomte… et complaisant.

Elle n’y souscrit pas, mais de Guiche est puissant.

Il peut persécuter une simple bourgeoise.

D’ailleurs j’ai dévoilé sa manœuvre sournoise

Dans une chanson qui… Ho ! il doit m’en vouloir !

– La fin était méchante… Écoutez…

 

(Il se lève en titubant, le verre haut, prêt à chanter.)

 

CHRISTIAN.

 

Non. Bonsoir.

 

LIGNIÈRE.

 

Vous allez ?

 

CHRISTIAN.

 

Chez monsieur de Valvert !

 

LIGNIÈRE.

 

Prenez garde.

C’est lui qui vous tuera !

 

(Lui désignant du coin de l’œil Roxane.)

 

Restez. On vous regarde.

 

CHRISTIAN.

 

C’est vrai !

 

(Il reste en contemplation. Le groupe de tire-laine, à partir de ce moment, le voyant la tête en l’air et bouche bée, se rapproche de lui.)

 

LIGNIÈRE.

 

C’est moi qui pars. J’ai soif ! Et l’on m’attend

– Dans les tavernes !

 

(Il sort en zigzaguant.)

 

LE BRET, qui a fait le tour de la salle, revenant vers Ragueneau, d’une voix rassurée.

 

Pas de Cyrano.

 

RAGUENEAU, incrédule.

 

Pourtant…

 

LE BRET.

 

Ah ! je veux espérer qu’il n’a pas vu l’affiche !

 

LA SALLE.

 

Commencez ! Commencez !

 

Scène III

Les mêmes, moins Lignière ; De Guiche, Valvert, puis Montfleury.

 

UN MARQUIS, voyant de Guiche, qui descend de la loge de Roxane, traverse le parterre, entouré de seigneurs obséquieux, parmi lesquels le vicomte de Valvert.

 

Quelle cour, ce de Guiche !

 

UN AUTRE.

 

Fi !… Encore un Gascon !

 

LE PREMIER.

 

Le Gascon souple et froid,

Celui qui réussit !… Saluons-le, crois-moi.

 

(Ils vont vers de Guiche.)

 

DEUXIÈME MARQUIS.

 

Les beaux rubans ! Quelle couleur, comte de Guiche ?

Baise-moi-ma-mignonneou bien Ventre-de-biche ?

 

DE GUICHE.

 

C’est couleur Espagnol malade.

 

PREMIER MARQUIS.

 

La couleur

Ne ment pas, car bientôt, grâce à votre valeur,

L’Espagnol ira mal, dans les Flandres !

 

DE GUICHE.

 

Je monte

Sur scène. Venez-vous ?

 

(Il se dirige, suivi de tous les marquis et gentilshommes, vers le théâtre. Il se retourne et appelle.)

 

Viens, Valvert !

 

CHRISTIAN, qui les écoute et les observe, tressaille en entendant ce nom.

 

Le vicomte !

Ah ! je vais lui jeter à la face mon…

 

(Il met la main dans sa poche, et y rencontre celle d’un tire-laine en train de le dévaliser. Il se retourne.)

 

Hein ?

 

LE TIRE-LAINE.

 

Ay !…

 

CHRISTIAN, sans le lâcher.

 

Je cherchais un gant !

 

LE TIRE-LAINE, avec un sourire piteux.

 

Vous trouvez une main.

 

(Changeant de ton, bas et vite.)

 

Lâchez-moi. Je vous livre un secret.

 

CHRISTIAN, le tenant toujours.

 

Quel ?

 

LE TIRE-LAINE.

 

Lignière…

Qui vous quitte…

 

CHRISTIAN, de même.

 

Eh ! bien ?

 

LE TIRE-LAINE.

 

… touche à son heure dernière.

Une chanson qu’il fit blessa quelqu’un de grand,

Et cent hommes – j’en suis – ce soir sont postés !…

 

CHRISTIAN.

 

Cent !

Par qui ?

 

LE TIRE-LAINE.

 

Discrétion…

 

CHRISTIAN, haussant les épaules.

 

Oh !

 

LE TIRE-LAINE, avec beaucoup de dignité.

 

Professionnelle !

 

CHRISTIAN.

 

Où seront-ils postés ?

 

LE TIRE-LAINE.

 

À la porte de Nesle.

Sur son chemin. Prévenez-le !

 

CHRISTIAN, qui lui lâche enfin le poignet.

 

Mais où le voir !

 

LE TIRE-LAINE.

 

Allez courir tous les cabarets : le Pressoir

D’Or, la Pomme de Pin, la Ceinture qui craque,

Les Deux Torches, les Trois Entonnoirs, – et dans chaque,

Laissez un petit mot d’écrit l’avertissant.

 

CHRISTIAN.

 

Oui, je cours ! Ah ! les gueux ! Contre un seul homme, cent !

 

(Regardant Roxane avec amour.)

 

La quitter… elle !

 

(Avec fureur, Valvert.)

 

Et lui !… – Mais il faut que je sauve

Lignière !…

 

(Il sort en courant. – De Guiche, le vicomte, les marquis, tous les gentilshommes ont disparu derrière le rideau pour prendre place sur les banquettes de la scène. Le parterre est complètement rempli. Plus une place vide aux galeries et aux loges.)

 

LA SALLE.

 

Commencez.

 

UN BOURGEOIS, dont la perruque s’envole au bout d’une ficelle, pêchée par un page de la galerie supérieure.

 

Ma perruque !

 

CRIS DE JOIE.

 

Il est chauve !…

Bravo, les pages !… Ha ! ha ! ha !…

 

LE BOURGEOIS, furieux, montrant le poing.

 

Petit gredin !

 

RIRES ET CRIS, qui commencent très fort et vont décroissant.

 

Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha !

 

(Silence complet.)

 

LE BRET, étonné.

 

Ce silence soudain ?…

 

(Un spectateur lui parle bas.)

 

Ah ?…

 

LE SPECTATEUR.

 

La chose me vient d’être certifiée.

 

MURMURES, qui courent.

 

Chut ! – Il paraît ?… – Non !… – Si ! – Dans la loge grillée. –

Le Cardinal ! – Le Cardinal ? – Le Cardinal !

 

UN PAGE.

 

Ah ! diable, on ne va pas pouvoir se tenir mal !…

 

(On frappe sur la scène. Tout le monde s’immobilise. Attente.)

 

LA VOIX D’UN MARQUIS, dans le silence, derrière le rideau.

 

Mouchez cette chandelle !

 

UN AUTRE MARQUIS, passant la tête par la fente du rideau.

 

Une chaise !

 

(Une chaise est passée, de main en main, au-dessus des têtes. Le marquis la prend et disparaît, non sans avoir envoyé quelques baisers aux loges.)

 

UN SPECTATEUR.

 

Silence !

 

(On refrappe les trois coups. Le rideau s’ouvre. Tableau. Les marquis assis sur les côtés, dans des poses insolentes. Toile de fond représentant un décor bleuâtre de pastorale. Quatre petits lustres de cristal éclairent la scène. Les violons jouent doucement.)

 

LE BRET, à Ragueneau, bas.

 

Montfleury entre en scène ?

 

RAGUENEAU, bas aussi.

 

Oui, c’est lui qui commence.

 

LE BRET.

 

Cyrano n’est pas là.

 

RAGUENEAU.

 

J’ai perdu mon pari.

 

LE BRET.

 

Tant mieux ! tant mieux !

 

(On entend un air de musette, et Montfleury paraît en scène, énorme, dans un costume de berger de pastorale, un chapeau garni de roses penché sur l’oreille, et soufflant dans une cornemuse enrubannée.)

 

LE PARTERRE, applaudissant.

 

Bravo, Montfleury ! Montfleury !

 

MONTFLEURY, après avoir salué, jouant le rôle de Phédon.

 

« Heureux qui loin des cours, dans un lieu solitaire,

Se prescrit à soi-même un exil volontaire,

Et qui, lorsque Zéphire a soufflé sur les bois… »

 

UNE VOIX, au milieu du parterre.

 

Coquin, ne t’ai-je pas interdit pour un mois ?

 

(Stupeur. Tout le monde se retourne. Murmures.)

 

VOIX DIVERSES.

 

Hein ? – Quoi ? – Qu’est-ce ?…

 

(On se lève dans les loges, pour voir.)

 

CUIGY.

 

C’est lui !

 

LE BRET, terrifié.

 

Cyrano !

 

LA VOIX.

 

Roi des pitres,

Hors de scène à l’instant !

 

TOUTE LA SALLE, indignée.

 

Oh !

 

MONTFLEURY.

 

Mais…

 

LA VOIX.

 

Tu récalcitres ?

 

VOIX DIVERSES, du parterre, des loges.

 

Chut ! – Assez ! – Montfleury, jouez ! – Ne craignez rien !…

 

MONTFLEURY, d’une voix mal assurée.

 

« Heureux qui loin des cours dans un lieu sol… »

 

LA VOIX, plus menaçante.

 

Eh bien ?

Faudra-t-il que je fasse, ô Monarque des drôles,

Une plantation de bois sur vos épaules ?

 

(Une canne au bout d’un bras jaillit au-dessus des têtes.)

 

MONTFLEURY, d’une voix de plus en plus faible.

 

« Heureux qui… »

 

(La canne s’agite.)

 

LA VOIX.

 

Sortez !

 

LE PARTERRE.

 

Oh !

 

MONTFLEURY, s’étranglant.

 

« Heureux qui loin des cours… »

 

CYRANO,