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Il est de bon ton de préférer au catholicisme des courants tels que le pentecôtisme, le bouddhisme, le développement personnel, le chamanisme, l’occultisme, etc. Or, ce parti pris conduit à s’aveugler sur des dangers et à se priver de grands trésors. Mieux vaut, par conséquent, opter pour une approche lucide des diverses traditions et pour une lecture attentive des mystiques catholiques. Ainsi, loin des théologies déviantes, des philosophies stériles, des démarches narcissiques, de l’exotisme naïf et du paranormal, nous nous intéresserons aux merveilles d’une spiritualité qui a fait ses preuves. Nous comprendrons que Dieu, la Vierge Marie, les anges et les saints ne sont pas des figures imaginaires, mais des êtres réels, et qu’ils interviennent concrètement dans nos vies. Avec eux, nous pourrons, « dans le secret d’un profond silence » , développer des relations épanouissantes, lesquelles nous transformeront et nous combleront.
Les mystiques catholiques nous paraissent parfois coupés de notre quotidien : trop parfaits, trop originaux, ou trop radicaux. Pourtant, ils sont actifs en nous et autour de nous : ils nous proposent de nous soutenir, de nous libérer, de nous protéger et de nous guider. À nous de les suivre comme eux-mêmes ont suivi leurs prédécesseurs.
Sainte Marie Guyart de l’Incarnation, dont les textes seront ici beaucoup cités, offre un témoignage autobiographique. La bonté, le courage, l’équilibre et l’efficacité qu’elle décrit correspondent à des vécus. Elle les a, nous dit-elle, « expérimentés » , et elle participe à leur transmission. (Extrait de l'introduction).
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jean-Michel Cosse est docteur en psychologie (Université de Franche-Comté), docteur en littérature française (Université de Californie), et diplômé en sciences de l’information et de la communication (DEA du CELSA, Sorbonne IV). Il a commencé sa carrière d’enseignant aux États-Unis. De retour en France, il fut longtemps professeur de civilisation française, d’interculturalisme et de communication interreligieuse dans un Centre universitaire privé américain (AUCP).
Jean-Michel Cosse a aussi travaillé pour la Police nationale, pendant dix ans, comme psychologue vacataire, dans le domaine du recrutement.
Il est l’auteur d’un Traité de psycho-spiritualité, paru aux Éditions Bénédictines en 2010, et d’un essai intitulé Au centre de l’âme, publié chez Domuni Press en 2020.
Par ailleurs, Jean- Michel Cosse a eu l’occasion d’intervenir sur Radio Maria et RCF.
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Seitenzahl: 496
Veröffentlichungsjahr: 2025
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ISBN : 978-2-38713-247-5
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Jean-Michel Cosse
Dans le secretd’un profondsilence
Un accompagnement psycho-spirituel fondé sur la sagesse des mystiques catholiques
« … la différence qu’il y a entre la vérité et la sagesse est que la vérité est une lumière toute simple, et la sagesse est une lumière onctueuse et qui se fait goûter. »
Dom Claude Martin
Il est de bon ton de préférer au catholicisme des courants tels que le pentecôtisme, le bouddhisme, le développement personnel, le chamanisme, l’occultisme, etc. Or, ce parti pris conduit à s’aveugler sur des dangers et à se priver de grands trésors. Mieux vaut, par conséquent, opter pour une approche lucide des diverses traditions et pour une lecture attentive des mystiques catholiques. Ainsi, loin des théologies déviantes, des philosophies stériles, des démarches narcissiques, de l’exotisme naïf et du paranormal, nous nous intéresserons aux merveilles d’une spiritualité qui a fait ses preuves. Nous comprendrons que Dieu, la Vierge Marie, les anges et les saints ne sont pas des figures imaginaires, mais des êtres réels, et qu’ils interviennent concrètement dans nos vies. Avec eux, nous pourrons, « dans le secret d’un profond silence »1, développer des relations épanouissantes, lesquelles nous transformeront et nous combleront.
Les mystiques catholiques nous paraissent parfois coupés de notre quotidien : trop parfaits, trop originaux, ou trop radicaux. Pourtant, ils sont actifs en nous et autour de nous : ils nous proposent de nous soutenir, de nous libérer, de nous protéger et de nous guider. À nous de les suivre comme eux-mêmes ont suivi leurs prédécesseurs.
Sainte Marie Guyart de l’Incarnation, dont les textes seront ici beaucoup cités, offre un témoignage autobiographique. La bonté, le courage, l’équilibre et l’efficacité qu’elle décrit correspondent à des vécus. Elle les a, nous dit-elle, « expérimentés »2, et elle participe à leur transmission.
Unis aux mystiques catholiques, aux anges et à la Vierge Marie, nous bénéficierons des lumières et des forces que Dieu leur communique. Nous ne nous contenterons pas d’acquérir un savoir théorique. Dans nos réussites et nos revers, nos joies et nos peines, tout ce dont nos âmes auront besoin nous sera insufflé, et nous deviendrons, nous aussi, des canaux du Bien. L’Amour3 nous envahira et, à travers nous, rayonnera : « Une âme désireuse de la véritable vie de Jésus agit par renoncement perpétuel à son raisonnement et à son propre jugement : Je suis comme une bête de somme devant toi (Ps 73, 72). Point d’ego, point de moi pour elle, ce qui fait venir l’ego de Dieu : Et moi, je suis toujours avec toi (Mt 28, 20) »4.
Enfin, Dans le secret d’un profond silence s’adresse à différents publics : des lecteurs simplement soucieux de s’informer, des personnes en recherche, ou désireuses de progresser, et des spécialistes de l’accompagnement psycho-spirituel5. Le mysticisme catholique est le cœur embrasé de l’Église romaine, son identité profonde, et le moteur de son apostolat. Approchons, sans préventions, de ce foyer, et nous obtiendrons des réponses éclairantes.
1. Marie de l’Incarnation (Sainte), « Les Relations d’oraison », Écrits spirituels et historiques, vol. 1, Paris, Desclée de Brouwer, 1929, p. 510.
2. Marie de l’Incarnation (Sainte), « La Relation de 1654 », Écrits spirituels et historiques, vol. 2, Paris, Desclée de Brouwer, 1929, p. 94, 104, 111.
3. Marie de l’Incarnation (Sainte), Écrits spirituels et historiques, vol. 1, « La Relation de 1633 », Paris, Desclée de Brouwer, 1929, p. 155-156 : « Etant une fois en oraison où elle parlait à Notre-Seigneur avec de profonds sentiments d’humilité et de respect, l’appelant son Dieu et son grand Dieu, il lui dit avec une grande douceur : Tu m’appelles ton grand Dieu, ton Maître, ton Seigneur, et tu dis bien, car je le suis. Mais aussi, je suis Charité : l’Amour est mon nom, et c’est ainsi que je veux que tu m’appelles. Les hommes me donnent bien des noms ; mais il n’y en a point qui me plaise davantage et qui exprime mieux ce que je suis à leur égard que celui-là. […] Cette façon de parler lui devint si familière que, quand elle s’entretenait de Dieu avec des religieux ou des personnes dévotes, elle ne l’appelait point autrement que l’Amour, et les personnes avec lesquelles elle conversait étaient si accoutumées à l’entendre parler de la sorte, qu’elles ne parlaient plus que comme elle. »
4. Barré, Père Nicolas, « Maximes spirituelles pour toutes sortes de personnes désireuses de la perfection », Œuvres complètes, Paris, Les Éditions du Cerf, 1994, p. 306.
5. Aucun ordre de lecture ne s’impose. Pour que chaque section ait une relative autonomie, certains points sont repris en divers endroits.
« Dans ce pays et dans l’air de cette nouvelle Église, on voit régner un esprit, qui ne dit rien qu’obscurité. Tous les événements qui nous arrivent sont des secrets cachés dans la divine providence, laquelle se plaît d’y aveugler tout le monde de quelque condition et qualité qu’il soit. J’ai vu et consulté là-dessus plusieurs personnes, qui toutes m’ont dit : je ne vois goutte en toutes mes affaires et néanmoins nonobstant mon aveuglement, elles se font sans que je puisse dire comment. Cela s’entend de l’établissement du pays en général, et de l’état des familles en particulier. »
Marie de l’Incarnation6
« On ne voit goutte, on marche à tâtons : et quoiqu’on consulte des personnes très éclairées et d’un très bon conseil, pour l’ordinaire les choses n’arrivent point comme on les avait prévues et consultées. Cependant on roule, et lors qu’on pense être au fond d’un précipice, on se trouve debout. Cette conduite est universelle tant dans le gros des affaires publiques, que dans chaque famille en particulier. »
Marie de l’Incarnation7
Nous aimerions tout savoir, tout comprendre et tout maîtriser. Mais la Providence nous voue à un aveuglement. En effet, ordinairement, elle nous dissimule le futur et elle nous rend le présent obscur.
Pourquoi ce choix ? Dieu ne nous soutiendrait-il pas mieux en nous éclairant systématiquement, donc en nous permettant d’agir en connaissance de cause ? Ne laissons pas les apparences nous démoraliser. Car, dans le plan de Dieu, les brumes de la condition humaine prédisposent notre esprit à une sublimation. En perdant sous un rapport, nous gagnons sous un autre.
Pour se diriger dans le noir, on doit être attentif aux bruits et tâtonner : dépossédé du sens de la vue, on cultive l’ouïe et le toucher. De la même manière, quand les circonstances demeurent impossibles à décrypter, nous sommes appelés à développer notre intuition. Par conséquent, Dieu, pour que nous devenions plus perspicaces, nous maintient dans une incertitude globale, comme en suspens. Il nous prive de visibilité temporelle dans l’intention de favoriser en nous des perceptions spirituelles.
Une vie bien conduite ne dépend pas d’une accumulation de renseignements. L’essentiel est plutôt de se montrer avisé. Or, on ne peut accueillir pleinement la Sagesse qu’en progressant sous un voile. N’ayons donc pas peur de l’obscurité. Quiconque s’y résout voit plus clair qu’avec le génie humain :
« Car le Père qui ne savait rien des embûches des ennemis fit descendre à terre tous les Hurons, et par un mouvement secret, les fit ranger en bataille comme pour se battre. Quand ils furent en état, quoi qu’il ne vit personne, il se mit à crier et commanda à ses gens de crier comme lui, selon la coutume des guerriers de ces Nations ; au même temps, cette armée Hiroquoise parut, et sans dire un mot fit sa décharge sur eux. Mais étant animés par les exhortations de ce brave Père, ils se ruèrent si vigoureusement sur les ennemis, qu’ils les mirent en fuite, en tuèrent un grand nombre, emmenèrent dix-sept prisonniers, et enlevèrent tout leur butin. Sans ce bon instinct que Dieu donna au bon Père, les Hurons étaient détruits, et la traite de cette année perdue. »9
Nos propres initiatives, parfois, nous surprennent. De plus, il arrive que leur pertinence tarde à être confirmée. Nous en venons alors à nous reprocher des comportements irrationnels, voire regrettables. Puis, finalement, les événements prenant une tournure heureuse, notre étonnement et notre inquiétude se dissipent dans une action de grâce. Un tendre sourire de la Providence, une fois encore, a illuminé notre quotidien.
Dieu nous inspire des pensées que la raison humaine ne produirait pas. Inversement, il nous délivre de pensées que la raison humaine produirait : « Je crois que c’est le repos d’esprit que j’expérimente qui me rend aveugle à mes propres nécessités, quoique je vois bien clair en celles du commun. »10 Mais, qu’il nous aiguillonne ou qu’il nous inhibe, il n’aspire qu’à un but : nous faire quitter nos voies et nous entraîner. De notre côté, en le rejoignant, nous lui permettons de nous combler et de nous protéger : « Ne vous inquiétez donc pas en disant : Qu’allons-nous manger ? de quoi allons-nous nous vêtir ? Ce sont là toutes choses dont les païens sont en quête. Or votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela. Cherchez d’abord son royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît » (Mt 6, 31-33).
Il ne suffit pas d’être croyant. Il faut également garder confiance en la Providence. Mais, souvent, au lieu d’accepter une fructueuse obscurité, nous cédons à l’angoisse, à la panique ou à l’impatience. Nous n’y tenons plus : nous voulons à tout prix sortir de nos brouillards. Et cette fébrilité nous détourne du centre de notre âme. Elle nous désaxe.
Nous devons apprendre à considérer certaines perplexités comme des occasions de devenir plus sensibles et plus spirituels. Les refuser, c’est préférer des lumières secondaires – voire illusoires – à l’influence de Dieu. Pour échapper aux problèmes qui nous taraudent, nous nous enlisons dans un problème majeur : le manque de discernement.
Ainsi, ceux qui recourent aux arts divinatoires font fausse route. S’opiniâtrant à savoir, ils négligent leur potentiel. Divers périls, ici, méritent d’être soulignés :
1. Les arts divinatoires ont fréquemment pour représentants des charlatans.
2. Ces pratiques sont toujours susceptibles de charrier des erreurs aux conséquences gravissimes, ou des approximations néfastes.
3. Maintes prédictions, faute d’être fondées sur une connaissance de l’avenir lointain, motivent des décisions qui, à terme, apparaîtront catastrophiques.
4. Les affirmations rassurantes des arts divinatoires mobilisent notre prédisposition à l’optimisme ; elles ne l’augmentent pas. En cas d’épreuves intenses ou durables, nous risquons de nous effondrer. Les communications de Dieu, par contre, accueillies avec dévotion, nous apportent beaucoup plus que de simples encouragements. En effet, elles nous infusent une force, laquelle nourrit et soutient notre âme. Et il faut choisir : les arts divinatoires, contrariant notre réceptivité spirituelle, nous empêchent de nous aguerrir et de transcender la nature humaine.
5. Quand les voyants, les numérologues, les astrologues, etc., ne se trompent pas sur les faits, on doit craindre leurs analyses et leurs conseils. Comment croire, en effet, que ces praticiens soient qualifiés, d’un point de vue psychologique, moral et spirituel, pour nous guider ? L’information dont ils disposent passe par le filtre de leurs tendances et de leurs idées. Or, les personnes adonnées aux arts divinatoires, dans la mesure où elles ne valorisent pas l’obscurité de la foi, s’écartent des lumières de l’Esprit Saint.
6. Le démon, avec ou sans la complicité consciente des occultistes et des ésotéristes, peut se mêler à leurs activités : étant donné qu’elles prennent le contrepied de la foi, il s’infiltre aisément en elles. Mélangeant habilement des vérités et des mensonges, il nous déstabilise, nous tourmente, nous induit en erreur, nous éloigne du Bien et travaille à nous détruire.
7. Nous fier aux arts divinatoires, c’est introduire de nouveaux dangers dans notre vie et nous détourner du divin ; c’est donc, et simultanément, courir plus de risques et diminuer nos défenses.
8. Les arts divinatoires nous font renoncer non seulement à l’Esprit Saint mais aussi à des capacités humaines. Celles-ci, par suite, s’atrophient : il est à remarquer, en particulier, que nous laissons dépérir notre perspicacité et que nous nous déresponsabilisons. Ainsi, sous prétexte d’obtenir des atouts, nous nous amoindrissons.
9. Les adeptes des arts divinatoires cherchent à être confirmés dans leurs convictions et dans leurs espérances. Ils ont du mal à se remettre en question, et, partant, aboutissent fréquemment à des impasses.
10. Les arts divinatoires peuvent éteindre en nous tout sens de l’initiative. Employant notre temps, notre énergie et notre argent à recueillir des prédictions, nous temporisons quand il faudrait construire, donc nous ne concrétisons pas nos projets. Et si nous finissons par nous secouer, notre fatalisme foncier mine notre engagement. Nos résultats, par conséquent, sont à l’image de nos efforts : tardifs et médiocres.
11. Les arts divinatoires, en nous détachant de Dieu, sapent notre aptitude à utiliser sagement leur propre apport.
12. Si nous nous ouvrons à l’Esprit Saint, nous nous situerons, du fait de notre état intérieur, dans un axe idéal pour recevoir ou exercer des influences bienfaisantes, et pour établir des relations épanouissantes. Par contre, si nous persistons à vouloir connaître notre avenir, il sera celui d’une personne avide de prédictions : enlisés dans diverses aspirations égocentriques, nous ne bénéficierons pas de toutes les satisfactions que l’Amour souhaiterait nous apporter. Des événements favorables ne se réaliseront pas, des lumières ne jailliront pas, des joies ne se développeront pas. En s’ingéniant à sonder le futur, on le dégrade.
13. Les arts divinatoires ne permettent pas d’échapper à la souffrance. Lorsque nous sommes en mesure, par suite d’une prédiction, d’éviter une épreuve, d’autres difficultés ou douleurs nous guettent. Si l’on pouvait se soustraire à toute peine, cela se saurait ! Or, en comptant sur les arts divinatoires, nous détériorons notre force mentale, donc nos ressources face aux souffrances qui s’avéreront incontournables.
14. L’expérience démontre que le recours aux arts divinatoires devient très vite addictif.
15. Une consultation de voyance consiste en un rapport : un psychisme se projette et l’autre s’ouvre. La lecture, méthodiquement invasive, comporte des risques de contaminations, voire d’emprise.
16. Une personne qui pratique la voyance s’introduit dans des âmes, mais aussi en est imprégnée. Souvent, influencée par ce qu’elle capte, elle s’identifie à ses clients ou à leurs entourages, et se montre partiale. Féconde en justifications inopportunes et en accusations infondées ou excessives, elle cause de terribles dégâts.
17. Certains professionnels de la voyance se disent catholiques. Mais, à cet égard, ils abusent leurs consultants, quand ils ne s’abusent pas eux-mêmes. S’ils étaient vraiment catholiques, ils ne conserveraient pas une activité qui détourne de la foi.
N’attendons aucune aide des débiteurs de prophéties. Nous cherchons des vaticinations pour calmer nos inquiétudes, et nous éprouvons le besoin d’être tranquillisés parce que nous avons des désirs personnels : les arts divinatoires exploitent notre égocentrisme, donc nous avilissent. Pour trouver le bonheur, visons plutôt à une sainte indifférence. Seul l’Amour sait ce qui nous convient et a le pouvoir de le faire advenir. Demeurer prisonnier du moi nous éloigne de notre bien et nous condamne à l’anxiété. Embrasser l’obscurité de la foi nous rend heureux et nous ancre dans la sérénité : Dieu demande de nos âmes « une si grande dépendance de sa pure providence que pour jouir d’une parfaite paix, elles doivent être disposées d’agréer de moment en moment les dispositions de ses desseins sur elles. »11
Les dons supranormaux, néanmoins, ne sont pas nécessairement mauvais. Parfois, ils viennent de Dieu. Quatre cas sont possibles.
Premièrement, le démon, quelquefois, fait accomplir des prodiges.
Deuxièmement, il existe une « vertu secrète de la nature »12, autrement dit, des facultés humaines supranormales non expliquées par la science. Vécues indépendamment de la foi, ces capacités présentent des dangers. D’une part, elles sont entachées de nos défauts. D’autre part, en tant que pouvoirs, elles favorisent l’orgueil. Une faculté naturelle hors du commun est corrompue par la personnalité de son détenteur et, réciproquement, risque de la pervertir. Par contre, dans le cadre de la foi, nous n’avons rien à craindre des dons supranormaux d’origine humaine. L’Esprit Saint, nous habitant13 et nous aiguillant, nous protégera. Soit il supprimera nos ressources extrasensorielles ; soit il les utilisera, donc les spiritualisera ; soit il les remplacera avantageusement, par exemple en substituant à des phénomènes de voyance une aptitude accrue au discernement.
Troisièmement, Dieu agit à travers des personnes qui ne vivent pas dans sa grâce. Saint Jean de la Croix, à ce propos, mentionne « l’impie prophète Balaam » et Salomon14.
Quatrièmement, Dieu accorde à une partie de ses fidèles des dons supranormaux. Signalons, notamment, que quand notre vocation requiert une prescience, il y pourvoit. Et cela n’implique aucune contradiction. Les charismes, chez un spirituel, outre qu’ils ont des limites, présupposent de tout attendre de Dieu15. Ils n’empêchent donc pas de marcher « à tâtons ». Dieu ne saurait être illogique. Les dons qu’il nous prodigue, loin de nous détourner de l’ascèse chrétienne, nous incitent à la cultiver. Marie était « pleine de grâce », mais elle vivait dans l’obscurité de la foi16 : au niveau de sa conscience, elle ignorait qu’elle enfanterait ; et, lors de la présentation de Jésus au Temple, elle reçut, de Syméon, une prophétie (Lc 2, 34-35)17.
Dévoiler le futur peut se révéler utile. Saint Bernard, soucieux de galvaniser une armée catholique, lui promit la victoire. De même, pour soutenir des personnes contre différentes tentations, il leur pronostiqua qu’elles en triompheraient18. Les vies des saints sont très riches en oracles. Mais, quand l’Esprit de Dieu produit ou anime ce don, la prédiction participe d’une prédication : considérée spirituellement, elle maintient dans l’obscurité de la foi, ou y amène. Elle ne favorise aucune allergie à l’incertitude et elle ne rend nullement dépendant de l’occultisme. Une prophétie inspirée par l’Amour nous rapproche de lui : grâce à elle, comme le dit saint Jean de la Croix, il « est connu et glorifié »19. Or, plus on va vers le Seigneur, plus on entre dans la confiance, donc moins on est attiré par les arts divinatoires.
Dieu, en nous éclairant, augmente notre capacité à nous passer d’éclairage. Sûrs de son amour, nous nous laissons emmener vers des sommets d’acceptation et d’abnégation, sommets qui, pour notre nature, restent inconcevables :
« J’eus une vue de ce qui me devait arriver en Canada. Je vis des croix sans fin, un abandon intérieur de la part de Dieu et des créatures en un point très crucifiant, que j’allais entrer en une vie cachée et inconnue. Il m’était avis que la Majesté de Dieu me disait, par une insinuante pénétration : « Allez, il faut que vous me serviez maintenant à vos dépens ; allez me rendre des preuves de la fidélité que vous me devez par la correspondance fidèle aux grandes grâces que je vous ai faites. » Je ne puis dire l’effroi qu’eut mon esprit et toute ma nature en cette vue. Toutefois, je satisfis en moi-même une si grande générosité pour faire et souffrir tout ce qu’il plairait à la divine Majesté, qu’à même moment je m’abandonnais pour acquiescer et suivre ses ordres en cette chose qu’humainement je ne pouvais entreprendre sans son secours. »20
Certains spirituels, d’ailleurs, bénéficient en permanence de prémonitions. Par anticipation, et systématiquement, ils perçoivent les développements de leur vie21. La lumière divine, traversant leurs âmes diaphanes, illumine leurs consciences et éclaire leurs pas :
« [Marie de l’Incarnation], écrit Dom Claude Martin, avait une parfaite et presque continuelle expérience (des paroles intérieures), car c’est en cette manière que Dieu lui parlait intérieurement, qu’il lui découvrait les choses à venir, qu’il lui déclarait les desseins qu’il avait sur elle et qu’il lui marquait même de quelle manière elle les devait exécuter, de telle sorte qu’elle avait dans le fond de son intérieur comme un oracle sacré qui, étant interrogé, donnait aussitôt une réponse claire et assurée. »22
6. Marie de l’Incarnation (Sainte), Correspondance, Abbaye Saint-Pierre, Solesmes, 1971, p. 353.
7. Ibid., p. 477.
8. L’appellation « arts divinatoires » aura, ici, un sens large : certaines des pratiques concernées présupposent un don, d’autres se réclament d’une science.
9. Marie de l’Incarnation (Sainte), Correspondance, p. 352.
10. Ibid., p. 431.
11. Marie de l’Incarnation (Sainte), Correspondance, p. 177.
12. Jean de la Croix (Saint), La montée du Carmel, Paris, Éditions du Seuil, 1947, p. 417.
13. Marie de l’Incarnation (Sainte), « La Relation de 1654 », p. 388.
14. Jean de la Croix (Saint), La montée du Carmel, p. 417.
15. Marie de l’Incarnation (Sainte), « La Relation de 1654 », p. 340 : « … j’attends tout de lui et tiens tout de lui… ».
16. Bérulle, Pierre de, « La vie de Jésus », Discours de l’état et des grandeurs de Jésus, tome 2, Œuvres complètes, vol. 8, Paris, Oratoire de Jésus – Les Éditions du Cerf, 1996, p. 227.
17. « La Vierge Marie savait donc tout dès l’origine ; il n’y a pas l’ombre d’un doute. Mais cette certitude devait s’expliciter peu à peu pour arriver dans sa conscience » (Journet, Charles, Entretiens sur Marie, Éditions Parole et Silence, 2001, p. 24).
18. Guillaume de Saint-Thierry, Vie de saint Bernard de Clairvaux 1091-1153, continuée par Arnauld de Bonneval et Geoffroi de Clairvaux, Clermont-Ferrand, Éditions paleo, 2004, p. 178, 267, 282.
19. Jean de la Croix (Saint), La montée du Carmel, p. 416.
20. Ibid., p. 236.
21. Surin, Père Jean-Joseph, Questions sur l’amour de Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 2008, p. 118.
22. Marie de l’Incarnation (Sainte), « La Relation de 1654 », p. 387, note b.
« Je vis cette horrible glace. La brume nous empêcha d’en voir la cime. Ce que je vis me parut épouvantable, et je n’eusse jamais cru que la mer eût pu porter une si lourde masse sans couler à fond. C’est que nous avions été jetés par les tempêtes du côté du nord. Durant tout l’effroi de l’équipage, j’avais au fond de mon âme un sentiment que nous arriverions à bon port à Québec. Cela ne m’empêcha pas que je ne me tinsse dans les actes que Dieu voulait pour lors de moi. Lorsque cela arriva, nous nous étions confessées et communiées et venions de chanter les Heures de l’Office canonial. »
Marie de l’Incarnation23
Du fait de prémonitions, d’intuitions, de convictions, etc., il nous arrive de connaître l’avenir, ou de penser que nous le connaissons. Or, cela ne va pas sans péril. Notre gestion du présent risque d’en pâtir. Trois problèmes, notamment, peuvent la perturber :
1. Irréalisme. Certain que la réussite viendra, on néglige ou sous-estime les obstacles. D’où des complications épuisantes et des perspectives compromises.
2. Démission. Gagné par le défaitisme, on perd en motivation, donc en ardeur. On abandonne les efforts, ou on les relâche. Cette attitude a pour effet de multiplier ou d’aggraver les échecs et de rétrécir le champ des possibilités.
3. Anxiété. S’attendant à des problèmes ou à des malheurs, on se laisse oppresser par le pessimisme et la crainte. Un affaiblissement psychologique s’installe.
Hantés par des désirs ou des peurs, nous vivons l’esprit projeté dans le futur : aussi nous est-il difficile d’assumer correctement nos responsabilités, d’apprécier pleinement, au fil des jours, les bonheurs qui embaument notre existence, ou d’avoir des réactions pertinentes. Et, par-delà ces insuffisances, nous cultivons un problème de fond : notre enfermement dans l’égo. Focalisés sur les bienfaits dont nous pensons être un jour gratifiés ou frustrés, nous manquons de détachement, nous restons asservis à des aspirations humaines et à des passions. Un cheminement chrétien, par contre, consistant à s’ajuster aux circonstances en fonction de ce que l’Amour réclame, nous libère.
Certes, il faut savoir anticiper : prévoir, préparer, tenir compte de ce qui pourrait advenir. Mais, si nous sommes censés vivre le présent sans oublier l’avenir, nos idées sur l’avenir doivent nous aider à habiter le présent et non nous en abstraire. Les visées égocentriques ayant pour effet de nous détourner dangereusement du quotidien, la sagesse commande de chercher un épanouissement désintéressé. L’Amour éclaire, soutient et réjouit. Il montre en permanence la meilleure voie, il donne la force de s’y engager, et il ne déçoit jamais.
L’Amour, parfois, nous révèle des situations à venir. Il le fait soit directement, soit par des intermédiaires. Mais, quand nous sommes ouverts à son Esprit, de telles connaissances, au lieu de nous déconnecter, d’une part, nous arment pour le futur, d’autre part, nous inspirent une saine gestion de l’immédiat : « Durant tout l’effroi de l’équipage, j’avais au fond de mon âme un sentiment que nous arriverions à bon port à Québec. Cela ne m’empêcha pas que je ne me tinsse dans les actes que Dieu voulait pour lors de moi. » Inversement, quand nous ruminons des pressentiments et des certitudes sans avoir d’optique spirituelle, nous demeurons prisonniers de nous-mêmes : obnubilés par notre égo, nous perdons plus ou moins le contact avec la réalité.
23. Marie de l’Incarnation (Sainte), « La Relation de 1654 », p. 244-245.
« … croyez-moi, ne vous portez à rien qu’à suivre Dieu ; je veux dire que vous vous abandonniez à sa conduite avec une douce confiance, et que vous attendiez dans la paix du cœur ce que ses desseins auront projeté pour vous. Après cela ne vous mettez point en peine, il vous conduira par la main, car c’est ainsi qu’il se comporte envers les âmes qui cherchent à le contenter, et non pas à se satisfaire elles-mêmes. O qu’il est doux de suivre Dieu ! Je ne vous dis pas ceci afin que vous étouffiez son esprit, mais afin que vous le serviez dans une plus grande pureté, et que vous ne respiriez que dans l’accomplissement des desseins qu’il a sur vous pour sa gloire et pour la sanctification de votre âme. »
Marie de l’Incarnation24
Faire preuve de sagesse suppose de recourir à Dieu. Mais comment obtenir de lui les réponses dont nous avons besoin ? « Dieu », parfois, semble être une notion théorique, abstraite. Certes, la foi catholique nous convainc qu’il existe. Mais, en pratique, il peut paraître éloigné de notre réalité quotidienne, étranger à nos soucis et à nos détresses, inaccessible.
Ne perdons pas confiance ! L’Amour est diffusif de soi25. Il souhaite se donner. Donc, il nous appelle et nous parle. De notre côté, pour nous mettre à son écoute, nous devons renoncer aux sentiments, aux pensées et aux actes qui ne sont pas compatibles avec lui. En opérant ce tri, en embrassant cette ascèse, nous connaîtrons une illumination. Le Tout-Puissant accroîtra notre compréhension de sa nature et de ses attentes. Il ouvrira notre cœur, éclairera notre intelligence, et stimulera notre volonté. Dans la mesure où nous répudions les tendances égocentriques, l’Esprit Saint nous anime.
La spiritualité catholique implique une mobilisation. Se rendre réceptif à la bonté divine, et attendre, « dans la paix du cœur », les événements qu’elle a préparés, ce n’est pas rester passif ; c’est combattre notre moi pour ne se porter « à rien qu’à suivre Dieu ». Ce n’est pas se figer ; c’est permettre à l’Amour de nous prendre « par la main ». Ainsi, on se gardera de confondre abandon « à sa conduite » et démission.
Nous trouvons Dieu en cessant de nous gouverner : le trouver consiste à être gouverné par lui. Mais l’Amour, par définition, respecte notre liberté : pour qu’il nous entraîne, nous devons nous y disposer et y coopérer. Être chrétien n’abrutit pas. Nous sommes invités, au contraire, à combiner inspiration, lucidité et dynamisme : « Je ne vous dis pas ceci afin que vous étouffiez son esprit, mais afin que vous le serviez dans une plus grande pureté, et que vous ne respiriez que dans l’accomplissement des desseins qu’il a sur vous pour sa gloire et pour la sanctification de votre âme. »
24. Marie de l’Incarnation (Sainte), Correspondance, p. 185.
25. Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus (Bienheureux), Je veux voir Dieu, Venasque, Éditions du Carmel, 1988, p. 834.
« Pourquoi vous et moi aurions-nous soin de nous-mêmes pour vouloir ceci ou cela ? Tenons-nous toujours au dernier lieu et cachés dans notre poussière. Notre divin Maître qui nous trouvera là, nous en retirera si c’est pour sa gloire et pour notre bien, car il est si bon qu’en voulant sa gloire, il veut aussi notre bien et notre sanctification, je l’ai toujours éprouvé. Étudiez-vous à considérer ses saintes démarches et sa conduite sur vous dans tous les états de votre vie et vous connaîtrez cette vérité qui serait capable de faire fondre tous les cœurs d’amour pour un Dieu si libéral et si magnifique… »
Marie de l’Incarnation26
Malgré nos transgressions, n’avons-nous pas bénéficié, en diverses circonstances, d’une assistance tangible de la Providence ? Assurément, ses bienfaits et sa protection nous accompagnent.
Par ailleurs, prendre conscience des dons de Dieu n’est pas seulement un acte de notre intelligence. Il s’agit aussi d’un sentiment de profonde reconnaissance : ce regard sur le passé « fai[t] fondre tous les cœurs d’amour pour un Dieu si libéral et si magnifique… ». Or, nous chérissons le divin s’il nous divinise, et il nous divinise d’autant plus que nous le chérissons. La gratitude inhérente à la foi témoigne d’acquis spirituels et facilite de nouvelles élévations : « Il est bon, écrit le Père Nicolas Barré, d’avoir la crainte de l’enfer, mais on avance bien davantage, ordinairement, quand on agit par amour et par reconnaissance des biens reçus de Dieu. »27 Marie de l’Incarnation exprime la même conviction : « Dieu, précise-t-elle, ne m’a jamais conduite par un esprit de crainte, mais par celui de l’amour et de la confiance. »28 Et on ne soupçonnera, chez ces mystiques, ni insouciance ni présomption. La sérénité n’exclut pas l’humilité :
« Quand je pense néanmoins que je suis pécheresse et que par le malheur de cette condition je puis tomber en tel état que je serais privée de l’amitié de mon Dieu, je suis humiliée au-delà de ce qui se peut imaginer et je me sens saisie d’une crainte que ce malheur ne m’arrive. Si cette crainte était de durée, je ne pourrais ni vivre ni subsister, parce qu’elle regarde la séparation d’un Dieu d’amour et de bonté dont j’ai reçu plus de grâces et de miséricordes qu’il n’y a de grains de sable dans la mer. Mais la confiance par un seul regard dissipe cette crainte et, me détournant la vue d’un objet si funeste me fait abandonner entre les bras de mon céleste Époux pour y prendre mon repos. »29
Dans la spiritualité catholique, la peur de l’enfer est maîtrisée. Mais elle ne disparaît pas. De surcroît, elle garde un rôle non négligeable.
La crainte servile est intéressée et vaine. Ceux qui l’éprouvent n’aspirent pas à la vertu ; ils souhaitent échapper au châtiment. Ayant des mobiles égocentriques, au lieu de s’unir à l’Amour, ils s’écartent de lui et de son Royaume.
Mais une autre crainte existe, salutaire celle-ci. Notre ouverture à la lumière divine s’accroissant, nous comprenons de mieux en mieux quelles peines nous méritons, et nous percevons de plus en plus leur caractère redoutable. Un effroi nous traverse. Toutefois, il reflète des progrès et les stimule : nous pouvons donc l’utiliser pour nous aiguillonner.
D’aucuns, plutôt que de se réformer, comptent sur une purification post-mortem. Mais cette attitude est tragiquement déraisonnable. En accumulant les immoralités et en s’autorisant un manque d’amour, on se condamne à un purgatoire très dur. Certes, le Christ offre de partager sa force avec nous et d’assumer nos péchés. Néanmoins, pour recevoir son aide, il faut s’y disposer. Nous sommes tenus de nous rendre compatibles avec le Dieu sauveur et de nous associer avec lui, donc de pratiquer une ascèse et de coopérer à notre rédemption ainsi qu’à celle de nos semblables. Or, parfois, notre amour du Bien, suffisamment déterminé pour lutter, mais dangereusement déstabilisé par des tentations, devra convoquer la peur du purgatoire.
26. Ibid., p. 824.
27. Barré, Père Nicolas, « Maximes spirituelles pour toutes sortes de personnes désireuses de la perfection », p. 291.
28. Marie de l’Incarnation (Sainte), Correspondance, p. 826-827.
29. Ibid.
« Puisque vous vous êtes retiré de toutes les affaires du monde, qui ne sont que des épines propres à étouffer l’esprit de Dieu dans les âmes qui s’y portent avec empressement, quelle douceur ne serait-ce pas pour vous, après tant d’afflictions que sa Providence a permis vous arriver ? Car ce ne sont pas des choses arrivées par hasard, ce sont des moyens qu’elle vous a envoyés par une douce sévérité, afin de vous détacher de tout, et de vous attacher à lui seul. »
Marie de l’Incarnation30
La spiritualité franciscaine est connue pour avoir célébré magnifiquement la nature et les animaux31. Mais il faut savoir que saint François d’Assise, en donnant libre cours à cet aspect de sa sensibilité, exprimait une caractéristique de la tradition catholique et non une originalité personnelle.
Saint Bruno appréciait beaucoup les paysages enchanteurs. Leurs « agréments », lit-on dans sa lettre à Raoul le Verd, apportent « souvent un repos et un délassement pour l’esprit trop fragile, quand il est fatigué par une règle austère et l’application aux choses spirituelles »32.
La création dite inanimée, végétale ou minérale, nous aide à nous équilibrer. En outre, elle nous parle de Dieu : « Crois en mon expérience, écrivait saint Bernard à Henri Murdac : tu trouveras plus dans les bois que dans les livres. Les arbres et les pierres t’enseigneront une leçon que tu ne pourrais apprendre des maîtres »33. Saint Ignace de Loyola se montrait extrêmement réceptif au charme des fleurs. Il les admirait longuement, et louait la transcendance qui les avait conçues. Pendant ces moments, il était quasi extatique et versait des larmes34. Sainte Thérèse d’Avila, en tant que contemplative, puisait abondamment dans la nature : « Quant à moi, il m’était également favorable de voir la campagne, ou de l’eau ou des fleurs. Ces choses évoquaient pour moi le Créateur, je dis bien qu’elles m’éveillaient, me recueillaient, me servaient de livre ; et je me rappelais mon ingratitude et mes péchés. »35 Sainte Marie-Madeleine de Pazzi encourageait les postulantes à s’ouvrir aux messages des plantes. Une novice, pour s’y appliquer, désherba en sollicitant de la verdure arrachée « quelque instruction ». Elle confia ensuite avoir grandement bénéficié de cette pratique36.
En dehors de la civilisation occidentale, des témoignages similaires existent. Tel est le cas, par exemple, chez les indiens d’Amérique du nord :
« Saviez-vous que les arbres parlent ? Ils le font pourtant ! Ils se parlent entre eux et ils vous parleront si vous écoutez. L’ennui avec les blancs, c’est qu’ils n’écoutent pas ! Ils n’ont jamais écouté les indiens, aussi je suppose qu’ils n’écouteront pas les autres voix de la nature. Pourtant les arbres m’ont beaucoup appris : tantôt sur le temps, tantôt sur les animaux, tantôt sur le Grand Esprit. »37
Toutefois, si la nature s’adresse à tout le monde, tout le monde ne retire pas de la nature les mêmes enseignements. Nos convictions, philosophiques ou religieuses, modèlent notre sensibilité au langage des arbres. Parmi les communications de la nature, nous captons celles que nous sommes intellectuellement et spirituellement prédisposés à saisir. Et, en plus de sélectionner, parfois, nous déformons. Conclusion : ce n’est pas une approche exceptionnelle de la nature qui nous conduira au vrai Dieu ; c’est le vrai Dieu qui nous inspirera une approche exceptionnelle de la nature. Pour comprendre pleinement les arbres, nous avons besoin du Christ :
« [Un chrétien profondément dévot, explique saint Jean de la Croix, voit la] divine Sagesse resplendir dans toutes les créatures de l’ordre supérieur ou de l’ordre inférieur ; et chacune d’elles, selon les dons qu’elle a reçus de Dieu, redit à sa manière ce qu’il est et célèbre ses grandeurs ; et toutes leurs voix réunies font un concert admirable où se trouvent exaltées les grandeurs de Dieu, sa sagesse et sa science. »38
Bérulle distingue deux « sorte[s] de sainteté »39. Dans l’une, on perçoit « tout ce qui est beau sans s’y arrêter ». Dans l’autre, on monte de la créature au Créateur. Et Bérulle précise : « … la première est beaucoup plus excellente. » C’était celle de Marie de l’Incarnation : « Je le rencontrais en toutes les créatures et dans les fins pour lesquelles il les avait créées, mais si spirituellement que cette contemplation se rencontrait si épurée de la matière que ces créatures ne me distra[ya]ient point »40.
Le Dieu des évangiles, autour de nous et en nous, est la seule source de vérité. Présent partout, il s’exprime à travers tout, et il nous rend perspicaces. Par maints intermédiaires, et en dessillant notre âme, il nous transmet des savoirs, nous insuffle des sentiments agréables, nous injecte des énergies, nous apporte des soutiens, et nous prépare à de nouvelles grâces :
« J’ai dans cette retraite
Un très doux entretien,
Chaque chose en cachette
Me parle et fait du bien.
Laus Deo, etc.
L’une me fortifie
Et l’autre me nourrit,
Celle-ci m’humilie
Et cette autre m’instruit.
Laus Deo, etc. »41
Dieu agit sur nous doublement : de l’intérieur et de l’extérieur. Et, à propos de notre environnement, nous n’oublierons pas le rôle de la faune :
« L’oiseau, dans sa vitesse
Et son gazouillement,
M’accuse de paresse
Et de relâchement.
Laus Deo, etc. »42
L’Amour, par le truchement du règne animal, nous éclaire et nous attire : « Les animaux mêmes, en qui paraissent des marques ineffables de la bonté de Dieu par leur tendresse et tressaillements de joies vers l’homme, […] élèvent [les âmes ferventes] à la connaissance de leur céleste époux et leur fournissent des sujets de l’aimer. »43
La bénignité, à l’instar de la vérité ou de la beauté44, n’a qu’une provenance : Dieu. Ainsi, au sein de la création, toute bonté nous invite à vivre en contemplatifs : celle de la Vierge Marie, celle des anges, celle des êtres humains, et celle des animaux. L’affection dont les bêtes sont capables nous renvoie à son origine surnaturelle.
Certains attachements aux animaux domestiques s’avèrent désordonnés : ces compagnons ne doivent pas être considérés comme des membres de notre espèce, ni être l’objet d’attentions incongrues, voire délirantes. Mais pareilles dérives ne sont pas une fatalité. On s’en gardera ou on les corrigera.
Enfin, Dieu résidant en chaque personne, à nous de le reconnaître en tous nos semblables. Il est directement concerné par la manière dont nous les traitons : « En vérité, je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40).
L’ensemble de ce qui existe, de ce qui se passe, est voulu ou permis par le Tout-Puissant, et contient ses dons, ses promesses et ses demandes. Il n’y a pas de hasard. Les âmes pieuses ne sont donc pas désorientées : elles interprètent correctement la condition humaine et elles s’insèrent harmonieusement dans la dynamique du monde.
30. Ibid., p. 216-217.
31. Les animaux et les saints, la fraternité miraculeuse au fil des siècles, Anthologie préparée et présentée par le Comité Mirabilis, Éditions Claire Lumière, 2023.
32. Lettres des premiers chartreux, Paris, Les Éditions du Cerf, 1962, p. 69-70.
33. Bernard de Clairvaux (Saint), Lettres, tome 3, Paris, Éditions du Cerf, 2012, p. 113-115.
34. Daurignac, J.-M.-S., Vie de saint Ignace de Loyola, Paris, Ambroise Bray, Libraire-Éditeur, 1859, p. 249.
35. Thérèse d’Avila (Sainte), « Autobiographie », Œuvres complètes, Paris, Desclée de Brouwer, 1964, p. 61.
36. Cepari, Virgilio, Vie de sainte Marie-Madeleine de Pazzi, Clermont-Ferrand, Imprimerie de Thibaud-Landriot Frères, 1854, p. 241-242.
37. Tatanga Mani, indien Sioux (Pieds nus sur la terre sacrée, textes rassemblés par T.C. McLuhan, photos de Edward S. Curtis, traduit de l’américain par Michel Barthélemy, Paris, Editions Denoël, 1974, p. 29).
38. Jean de la Croix (Saint), Le Cantique spirituel, Paris, Éditions du Seuil, 1947, 1995, p. 109.
39. De Bérulle, Pierre, « Conférences et fragments, Notes et Entretiens, Ordonnances des visites canoniques », Œuvres complètes, vol. 5, Paris, Oratoire de Jésus, Les Éditions du Cerf, 1997, p. 404.
40. Marie de l’Incarnation (Sainte), « La Relation de 1654 », p. 95-96.
41. Grignion de Montfort, (Saint) Louis-Marie, « Cantique 99 », Strophes 19-20, Œuvres complètes, Paris, Éditions du Seuil, 1966, p. 1401-1402.
42. Ibid., p. 1402.
43. Surin, Père Jean-Joseph, Correspondance, Paris, Desclée de Brouwer, 1966, p. 913.
44. Marie de l’Incarnation (Sainte), « La Relation de 1633 », Écrits spirituels et historiques, vol. 1, Paris, Desclée de Brouwer, 1929, p. 205.
« Il nous a privées, comme il fit Job, de tout ce que sa bonté nous avait donné, et nous a réduites par ce revers de sa providence, sinon sur le fumier, au moins sur la neige : il nous avait tout donné il nous a tout ôté ; que son saint nom soit béni. Mais il commence à nous traiter comme il fit Job, nous relevant plus magnifiquement qu’il ne nous avait élevées : car nos bâtiments sont avancés, et nous commençons à les habiter. »
Marie de l’Incarnation45
Nous sommes redevables de nos réussites et de nos bonheurs : nous les tenons de l’Amour. Premièrement, Dieu, présent en chacun de nous, est à l’origine de nos qualités. Deuxièmement, sa Providence met en place les circonstances favorables dont nous bénéficions. Nous lui devons donc tout : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » (1 Co 4, 7).
Certes, nous exerçons notre libre arbitre : nous accueillons la Trinité et nous coopérons avec elle. Mais cette rencontre, et les bienfaits qui en découlent, nous sont offerts. Sans Dieu, nous n’aurions rien surmonté, développé, ou réalisé, et nous ne pourrions rien conserver ou obtenir. Ainsi, quiconque devient lucide renonce à la fierté et à l’esprit de propriété. Nous n’aurons jamais aucune raison objective d’être satisfaits de nous-mêmes et d’entretenir une mentalité de possesseurs. Il convient de tout rapporter à Dieu. Nos contentements n’ont de légitimité que dans la mesure où un sentiment de gratitude les imprègne.
La vie, évidemment, n’est pas sans aléas : souvent, Dieu, après avoir donné, reprend. Mais nous ne sommes pas fondés à nous en plaindre. D’une part, nous n’avons nul droit à faire valoir. D’autre part, l’Amour n’agit que par amour, et est tout-puissant : quoi qu’il décide, la sagesse réclame de rester reconnaissant et confiant.
Dieu retire ses dons pour plusieurs raisons :
1. Nous sevrer. En nous supprimant des béquilles, l’Amour nous invite à gagner en maturité et en détachement.
2. Nous convaincre de tourner une page, de franchir un seuil. Un vécu n’était qu’une étape. Il demandait à être traversé.
3. Nous conférer un rôle de témoin. En acceptant chrétiennement des privations, nous inspirons notre prochain.
4. Accroître notre sens du sacrifice. Et on se souviendra, ici, que la charité a des prolongements jusque dans l’invisible. En cultivant des solidarités, nous exploitons, consciemment ou non, des canaux supranormaux. Par des voies mystérieuses, non seulement nous procédons à des transmissions secourables, mais nous délestons autrui : « Portez les fardeaux les uns des autres et accomplissez ainsi la Loi du Christ » (Ga 6, 2). Nous injectons des énergies et nous aspirons des tourments. Chez les chrétiens, le bonheur de participer à l’œuvre rédemptrice se substitue à l’égocentrisme.
Après l’épreuve, Dieu nous relève. Il n’a qu’un but : dispenser ses grâces et nous attirer toujours plus à lui. Il n’impose – ou ne permet – de souffrances que pour assurer une amélioration matérielle ou relationnelle – voire les deux – et surtout spirituelle : « Ceux qui sèment dans les larmes moissonnent en chantant » (Ps 125).
Face aux aléas de la vie, nous aurions tort de compter sur notre force, sur notre indifférence, ou sur notre capacité à rebondir. Nous risquerions, avec la répétition des tribulations, ou leur intensification, de nous heurter à nos limites, et de nous briser. Pour ne pas être excessivement vulnérables, nous devons adhérer sans réserve aux volontés de Dieu. Une vie chrétienne implique des douleurs. Mais l’Amour, outre qu’il nous éprouve pour notre bien, dose tout et nous aide. Nous n’avons donc rien à craindre.
Certains mystiques, étant appelés à un degré de pureté exceptionnel, subissent des sevrages très rigoureux. Dieu leur supprime maints soutiens extérieurs et intérieurs. Dans cette situation, la tentation du suicide peut exister46. Mais l’Amour veille. Il œuvre pour que la sérénité, en dernière analyse, demeure et l’emporte : « Dans toutes ces dispositions affligeantes, j’avais le fond de l’âme dans la paix, et elle n’eut pas voulu pour un moment la diminution de ses croix ; et j’avais beau souffrir, j’avais toujours Dieu présent. »47 Cependant, parfois, l’état de privation sera plus drastique encore. Les mystiques, épisodiquement, ne ressentirons pas l’assiduité de Dieu. Ils seront plongés dans une « vacuité insupportable », dans « des ténèbres qui ne permettent aucune autre vue que ce qu’on pâtit, qui est d’être entièrement contraire à Dieu »48 : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27, 46 ; Mc 15, 34). Mais, même dans ce dernier cas, une protection persiste. Dieu, « par une secrète vertu »49, préserve les mystiques.
45. Marie de l’Incarnation (Sainte), Correspondance, p. 495.
46. Daurignac, J.-M.-S., Vie de saint Ignace de Loyola, p. 46 ; Marie de l’Incarnation (Sainte), « La Relation de 1633 », p. 321.
47. Ibid., p. 321-322.
48. Marie de l’Incarnation (Sainte), « La Relation de 1654 », p. 268.
49. Ibid.
« Il est certain que vous et nous souffrions persécutions ; mais si Dieu est pour nous qui sera contre (Rm. 8, 31) ? Le bien où nous aspirons ne mérite-t-il pas d’être acheté à grand prix ? Prenons courage, mon très-cher Père, l’amour du grand Jésus combattra pour nous qui ne désirons travailler que pour son amour, s’il nous veut dans la nouvelle France, ses desseins s’accompliront malgré tous les hommes. »
Marie de l’Incarnation50
Face aux obstacles que nous rencontrons, nous sommes tentés d’assumer une surcharge de responsabilités, ou de démissionner. Nous éviterons ces deux erreurs à une condition : nous appuyer sur Dieu. Mais l’idée peut sembler abstraite. Concrètement, que signifie-t-elle ?
Un comportement authentiquement spirituel, donc réellement fructueux, implique les trois points suivants :
1. Il faut se conformer au Christ. Quand nous adoptons ses vues et ses sentiments, nous nous unissons intimement à lui, donc nous jouissons de son soutien : une « énergie » (Col 1, 29) effective nous est insufflée51.
2. Il faut se considérer comme un intermédiaire de Dieu, et non comme le seul – ou le principal – agent du travail à accomplir. Souvenons-nous que nous n’avons qu’un devoir : faire de notre mieux. Grâce à cette perspective, nous ne connaîtrons ni fébrilité, ni accablement.
3. Il faut rester confiant : que nous réussissions ou pas, nos entreprises seront couronnées de succès. Le Bien qui nous habite ne manquera pas de se répercuter, car une profonde solidarité caractérise notre espèce. En effet, Dieu réside en toute âme : nul n’est dépourvu de la faculté d’aimer52. Par conséquent, en nous liant à la Trinité, nous nous relions les uns aux autres. Nous animons une communication humaine au-delà de notre environnement immédiat. Les chrétiens, connectés à Dieu, ont un rayonnement universel. Quand ils œuvrent dans l’axe de la charité, ils exercent, sur la totalité des personnes de bonne volonté, une action réelle :
« En agissant uniquement en Dieu, avec Lui et pour Lui, l’homme d’oraison se place au centre même des cœurs, il influe sur tous, il donne à tous de la plénitude de grâce dont il est informé. ‘Celui qui croit en moi, de son sein couleront des fleuves d’eau vive’, dit Notre-Seigneur. ‘Il disait cela, ajoute saint Jean, de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croient en Lui’ (Jn 7, 38-39) »53.
Une approche chrétienne de nos difficultés est toujours bénéfique. Avec ou sans issue favorable, elle irradie des forces bienfaisantes : il n’y a pas d’amour inefficace.
Ainsi, les adversités sont des occasions de nous transcender. Alliés à l’Amour, non seulement nous nous montrerons résilients, mais nous nous élèverons au-dessus de nous-mêmes :
« Diverses affaires qui suivirent cette séparation [le veuvage] m’apportèrent de nouvelles croix, et naturellement plus grandes qu’une personne de mon sexe, de mon âge et de ma capacité les eusse pu porter. Mais les excès de la Bonté divine mirent une force et un courage dans mon esprit et dans mon cœur qui me fit porter le tout. Mon appui était fondé sur ces paroles saintes qui disent : Je suis avec ceux qui sont dans la tribulation [Psaume 90, 15]. Je croyais fermement qu’il était avec moi, puisqu’il l’avait dit, de sorte que la perte des biens temporels, les procès, ni la disette, ni mon fils qui n’avait que six mois, que je voyais dénué de tout aussi bien que moi, ne m’inquiétaient point. L’esprit étant sans expérience humaine, l’Esprit qui m’occupait intérieurement, me remplissant de foi, d’espérance et de confiance, me faisait venir à bout de tout ce que j’entreprenais. »54
50. Marie de l’Incarnation (Sainte), Correspondance, p. 47.
51. Marie de l’Incarnation (Sainte), « La Relation de 1654 », p. 54.
52. Thérèse d’Avila (Sainte), « Le livre des fondations », p. 630 ; Marie de l’Incarnation (Sainte), Correspondance, p. 934.
53. Un chartreux, Trinité et vie surnaturelle, Paris, Desclée de Brouwer, 1975, p. 88.
54. Marie de l’Incarnation (Sainte), « La Relation de 1654 », p. 58-59.
« Cette crainte horrible, si elle frappait un jour ton âme de terreur, te suggérant sans le dire que ton service ne peut être accueilli par Dieu et que ta pénitence est sans fruit, parce que l’offense faite à Dieu, tu ne peux toi-même la réparer, n’accepte pas cela, même un instant, mais réponds avec confiance et dis : « Oui, j’ai mal agi, mais la chose est faite et ne peut plus ne pas avoir été faite. Qui sait si Dieu n’a pas prévu que cela me serait utile, et si, lui qui est bon, n’a pas voulu qu’un bien résulte pour moi du mal que j’ai fait ? Qu’il punisse donc le mal que j’ai commis, mais que demeure le bien qu’il a prévu. » La bonté de Dieu sait utiliser nos volontés et nos actions désordonnées, les mettant toujours, assurément, au service de la belle ordonnance voulue par lui, et souvent même, dans sa bonté, au service de notre propre intérêt. O bonté pleine de douceur, quand Dieu se souvient des fils d’Adam : elle ne cesse pas de répandre ses bienfaits, non seulement là où elle ne trouve aucun mérite, mais bien souvent même là où elle voit tout le contraire ! »
Saint Bernard55
Dieu est tout-puissant et bon. Il a les moyens et la volonté de préparer le triomphe du bien. Nous pouvons donc compter pleinement sur lui. Certes, nous commettons des fautes, parfois même des crimes. Mais Dieu organise tout, canalise tout. Si nous étions omniscients, le monde nous apparaîtrait comme un agencement grandiose, et nous contemplerions avec émerveillement l’indicible délicatesse de sa dynamique :
« La Sagesse atteint avec force depuis une extrémité jusqu’à l’autre, et elle dispose tout avec douceur. Rien n’est si doux que la Sagesse. Elle est douce en elle-même, sans amertume ; douce à ceux qui l’aiment, sans leur laisser aucun dégoût ; douce dans sa conduite, sans faire aucune violence. Vous direz souvent qu’elle n’est point dans les accidents et renversements qui arrivent, tant elle est secrète et douce ; mais, comme elle a une force invincible, elle fait tout insensiblement et fortement venir à sa fin par des voies inconnues aux hommes. Il faut que le sage soit, à son exemple : ‘suaviter fortis et fortiter suavis : doucement fort et fortement doux’. »56
Pour que les anges et les humains soient capables d’aimer, Dieu devait leur donner la possibilité de choisir entre le bien et le mal. En tolérant des violences délibérées, il permettait une non-violence réfléchie. Mais le monde n’est pas livré à lui-même. Dieu ne s’en remet ni à des forces autres que la sienne, ni au hasard. Il a créé avec un plan. Son amour imprègne et oriente l’univers. Ainsi, les âmes charitables seront sauvées, et le cosmos, perturbé, lui aussi, par la chute, connaîtra une restauration : « Nous le savons, en effet, toute la création jusqu’à ce jour gémit en travail d’enfantement » (Rm 8, 22).
Le monde nous semble parfois être un non-sens ou un chaos. Mais notre désarroi reflète une vision étriquée du réel et un savoir superficiel. Ne nous laissons pas aller au pessimisme. Grâce à la Providence, les événements se combinent pour une issue heureuse. Cultivons nos bonnes intentions et ne craignons rien. Quels que soient nos errements et nos transgressions, Dieu rattrape tout. Il peut tirer un bien d’un mal : « La bonté de Dieu sait utiliser nos volontés et nos actions désordonnées, les mettant toujours, assurément, au service de la belle ordonnance voulue par lui, et souvent même, dans sa bonté, au service de notre propre intérêt. »
Il ne s’agit pas de nier, de minimiser, ou de légitimer nos inconduites. Il s’agit de les envisager du point de vue de la foi. Quand nous admettons qu’elles concourent à l’avènement du ciel nouveau et de la terre nouvelle (Ap 21), nous nous immunisons contre le découragement.
55. Bernard (Saint), Lettres, tome 2, Paris, Éditions du Cerf, Sources chrétiennes, 2001, Lettre 87.
56. Grignion de Montfort, (Saint) Louis-Marie, « L’amour de la Sagesse éternelle », Œuvres complètes, Paris, Éditions du Seuil, 1966, n° 53, p. 120.
« … il fallait que tout se passât de la sorte, et que les suites nous donnassent de véritables sujets de bénir Dieu. »
Marie de l’Incarnation57
Il faut considérer le passé avec gratitude, traverser le présent avec assurance, et envisager l’avenir avec optimisme. Dieu nous protège et nous amènera à bon port.
Certes, nous sommes exposés au mal et à la souffrance. Mais, en Jésus-Christ, nous trouverons une grande stabilité :
« Que rien ne te trouble
Que rien ne t’effraie
Tout passe,
Dieu ne change pas,
La patience
Obtient tout ;
Celui qui a Dieu
Ne manque de rien
Dieu seul suffit. »58
Si nous adhérons à l’Amour, nos tribulations joueront en notre faveur : « Toutes choses tournent au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rm 8, 18)59. Pour mieux comprendre ce point, nous pouvons méditer les vérités suivantes :
1. Souvent, c’est une difficulté, voir une épreuve, qui rendent possible un événement bénéfique. Une rencontre cruciale, une découverte utile, une réorientation fructueuse, etc., auront pour origine un incident, parfois même un drame.
2. Les problèmes, obstacles, échecs ou traumatismes qui parsèment notre parcours sont autant d’enseignements. Ces écueils nous éclairent sur des faits, sur des individus, et sur nous-mêmes.
3. Nos malheurs, pourvu que nous les vivions chrétiennement, diminuent – voire suppriment – notre temps de purgatoire. Pour entrer au paradis, il faut se dégager de tout égocentrisme. Or, durant cette évolution, la douleur est un atout : en éliminant un bien-être, des joies ou des perspectives, elle nous invite au désintéressement. Chaque souffrance représente une occasion de nous renoncer, autrement dit, de progresser. Quand nous optons pour des sacrifices, notre moi, étouffé, se dissout, donc s’efface devant notre générosité. Dieu nous veut dans « un véritable état de victime et consommation continuelle » qui « réduit la créature en la plus noble portion d’elle-même »60.
4. Le Seigneur, si nous nous ouvrons à son amour, répondra à nos négligences et à nos chutes par sa miséricorde, à nos peines et à nos tragédies par sa consolation, à nos efforts et à notre abnégation par ses récompenses. Là où les affres abondent, la félicité triomphera. Dieu – et lui seul – est en mesure de tout connaître, de tout agencer et de tout conduire vers un heureux dénouement. La sagesse requiert d’accepter les voies qu’il a choisies. Ce consentement n’est ni un fatalisme, ni une complicité avec le mal. Nous avons deux raisons de rester confiants : les promesses de l’Amour et sa toute-puissance.
Nous ne devons pas nous fier à un principe d’organisation inhérent au monde, ou à une simple énergie. Nous devons répondre à l’appel d’un Dieu transcendant et personnel, lequel nous insuffle une force effective et des sentiments. Les vrais chrétiens, par conséquent, ne laissent pas leur spiritualité dégénérer en théorie philosophique. La foi qui les anime procède d’une relation constante et profonde avec un être réel qui s’est révélé à nous et qui nous aime.
57. Marie de l’Incarnation (Sainte), Correspondance, p. 898.
58. Thérèse d’Avila (Sainte), « Poésies », Œuvres complètes, p. 1089.
59. Marie de l’Incarnation (Sainte), « Les Relations d’oraison », p. 430.
60. Marie de l’Incarnation (Sainte), « La Relation de 1654 », p. 341.
« Ne faites-vous point quelque peu d’oraison mentale ? Cela vous servirait beaucoup, même pour la conduite de votre famille et de vos affaires domestiques : car plus on s’approche de Dieu, plus on voit clair dans les affaires temporelles, et à la faveur de ce flambeau on les fait beaucoup plus parfaitement. On apprend à faire ses actions en la présence de Dieu, et pour son amour : on n’a garde de l’offenser quand on le voit présent : on s’accoutume à faire des oraisons jaculatoires qui enflamment le cœur, et attirent Dieu dans l’âme ; ainsi de terrestre on devient spirituel, en sorte qu’au milieu du tracas des affaires du monde, on est dans un petit paradis où Dieu prend ses plaisirs avec l’âme, et l’âme avec Dieu.
Dans les occupations néanmoins que je sais que cause votre négoce, Dieu ne demande pas de vous que vous fassiez de longues oraisons, mais de courtes, et qui soient ferventes. »
Marie de l’Incarnation61
Nous pensons souvent être trop occupés pour prier. Implicitement, nous considérons l’oraison comme un loisir, une activité accessoire, un luxe réservé à ceux qui ont du temps libre. Nous en faisons un aspect marginal de nos vies. Parfois, nous l’abandonnons. Or, cette perspective est erronée et nous nuit gravement. Nous devons installer – ou maintenir – la prière au cœur de notre vie. Il ne s’agit pas, en l’occurrence, d’adopter un point de vue légaliste. Il s’agit de comprendre ce qu’est l’oraison et ce qu’elle apporte. On ne s’adresse pas à Dieu pour remplir une obligation. On se tourne vers lui pour l’adorer62, pour solliciter des grâces temporelles ou spirituelles, pour se réformer, pour secourir autrui, pour contribuer à restaurer la création (Rm 8, 18-22), et pour entrer dans le Royaume des Cieux (Mt 7, 21).
L’Amour, diffusif de soi, mais respectueux de la liberté humaine, provoque notre désir de le recevoir, et nous exauce. Il suscite des prières et il y répond. Progressivement, il nous envahira et, finalement, il nous possédera. La charité, par conséquent, nous animera.
Afin d’attiser notre ferveur, prêtons attention aux points suivants :
1. Quand nous aimons, nous nous affranchissons des illusions du moi. Poursuivre le bonheur indépendamment de l’Amour, c’est entretenir une insatiabilité : on voudra toujours plus, ou toujours du nouveau63. Tout contentement égocentrique, qu’il relève d’une excitation ou d’un repos, est une décharge d’énergie, donc retombe. Aussi s’ingénie-t-on indéfiniment à le relancer. L’amour chrétien, par contre, ne cherchant nulle félicité autre que celle d’une bonté désintéressée, n’implique pas de joie périssable. Il ne s’épuise aucunement : « … qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle » (Jn 4, 14).
2. Quand nous aimons, nous échappons à maintes obnubilations. La convoitise nous rétrécit l’esprit. Absorbés en elle, nous ne saisissons plus qu’une part réduite de la réalité, nous sommes peu conscients de notre manque de dignité, et nous évaluons très mal les dangers qui nous menacent. L’Amour, au contraire, conjure toute fascination. Il élargit nos horizons, il nous dissuade de nous dégrader, et il rétablit notre lucidité.
3. Quand nous aimons, nous cernons mieux les besoins d’autrui. Cela stimule notre bonne volonté et nous inspire des choix judicieux.
4. Quand nous aimons, nous avons la satisfaction de nous comporter avec moralité. L’Amour est une force, mais il est également le Bien. Adhérer à lui permet de jouir d’une bonne conscience64, donc de connaître la paix et la joie.
5. Quand nous aimons, nous dédaignons le démon et ses suppôts. Leurs séductions nous répugnent.
