Danube - Maurice Botbol - E-Book

Danube E-Book

Maurice Botbol

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Beschreibung

Il est des lieux – des reliefs, des fleuves, des déserts, des mers – où souffle l’esprit. Des territoires qui ne sont pas délimités par des frontières. Le Danube fait partie de ces lignes de vie et d’histoire sans lesquelles l’Europe d’aujourd’hui ne serait pas ce qu’elle est devenue.

Comment raconter l’âme de ce fleuve sans brosser le portrait du continent qu’il traverse et a toujours irrigué ? Le Danube féconde les terres, il fut et demeure une artère commerciale et un enjeu diplomatique majeur.

Ce petit livre est le tableau d’un mythe. Car le Danube est aussi une source incomparable de légendes et d’histoires venues du fond des siècles. Ce delta de l’Europe nous a façonnés, jusqu’aux rivages de la mer Noire. Il est le trait d’union de notre continent. Et donc aussi celui de notre avenir européen.

Un grand récit suivi d’entretiens avec Birgit Vogel (ingénieure en hydrobiologie), Arpad Soltesz (journaliste et romancier) et Pal Hatos (historien).


À PROPOS DE L'AUTEUR

Maurice Botbol a créé Indigo Publications en 1981. Diplômé en 1973 du Centre universitaire d’enseignement du journalisme (CUEJ) de Strasbourg, il a travaillé dans plusieurs quotidiens régionaux français (Dernières Nouvelles d’Alsace, L’Est Républicain, Le Quotidien de La Réunion), et a été correspondant du Monde à La Réunion. Lorsqu'il a créé Indigo Publications, il s’est appuyé sur des principes toujours en vigueur aujourd’hui, destinés à assurer la totale indépendance économique et politique de la société : capitaux individuels, vente par abonnements, absence de publicité, éditions en deux langues (français et anglais). Président de la société et directeur des publications, Maurice Botbol a aussi assuré, au fil des années, la rédaction en chef de La Lettre de l'Océan Indien, de Intelligence Online et de La Lettre A. Il a préside également, depuis sa création en octobre 2009 et jusqu'en février 2015, le Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (SPIIL). Il en est aujourd'hui membre du bureau.

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Couverture

Page de titre

Carte

AVANT-PROPOSPourquoi le Danube ?

Existe-t-il une identité commune des pays traversés par le Danube ? Telle est la question que nous nous sommes posée avec mon ami artiste peintre Antonio Chiriaco, lorsque nous avons décidé de partir au printemps 2022 à la découverte de ce fleuve, « le plus international du monde ». Évidemment, lorsqu’on évoque le Danube, chacun pense croisière. Or, le Danube borde directement dix pays européens, tandis qu’avec ses affluents, son bassin englobe neuf autres États et s’étend sur 817 000 km2, soit 1,5 fois la superficie de la France.

Pour partir à la rencontre, non seulement du fleuve, mais aussi de ses paysages et de l’extraordinaire mosaïque de populations qui le bordent, nous avons donc choisi de prendre la route. La liberté de déplacement en voiture nous a permis de vivre intensément le fleuve à travers, comme nous le souhaitions, ses riverains, leur culture, leur histoire et… leur identité.

En fait, tout au long d’un parcours de 2 856 km vers l’est, depuis ses sources dans la Forêt-Noire en Allemagne, jusqu’à son immense delta sur la mer Noire, en Roumanie et en Ukraine, le Danube déploie une multitude d’identités : Donau, Dunaj, Duna, Donova, Dunav, Dunarea, Dunaï. Les noms varient d’une langue à l’autre ; chaque pays entretient une relation particulière avec « son » Danube. Mais l’étymologie du nom est commune. Aussi difficile à cerner soit-elle, il existe donc bien une « âme » du Danube, même si ses représentations sont diverses.

Fleuve mythique depuis la plus lointaine Antiquité, le Danube a servi de frontière orientale à l’Empire romain aux premiers siècles de l’ère chrétienne. Plus tard, Bonaparte l’a qualifié de « roi des fleuves de l’Europe ». Pendant plusieurs siècles, il a été le théâtre des affrontements entre les empires austro-hongrois et ottoman.

Plus qu’aucun autre fleuve, le Danube a connu et connaît encore mille vies. C’est le fleuve des invasions et de multiples migrations, creuset d’une incroyable diversité de populations, à l’origine de nationalismes exacerbés et de sanglants affrontements religieux.

Mais c’est également le fleuve de communautés ethniques et religieuses qui ont vécu longtemps en bonne intelligence, respectueuses les unes envers les autres, et qui furent à l’origine d’un incomparable bouillonnement culturel, artistique et politique.

Fleuve nourricier arrosant de grandes plaines céréalières, le Danube est, depuis des siècles, et toujours aujourd’hui, l’un des grands greniers de l’Europe. Il est aussi source essentielle d’énergie avec les cinq centrales nucléaires et les 19 grands barrages hydroélectriques qu’il alimente. Son gigantesque et magnifique delta aux multiples bras qui viennent doucement mourir dans la mer Noire constitue une fabuleuse réserve de biodiversité, unique au monde.

Axe de communication stratégique, le Danube permet de réaliser un vieux rêve des grandes puissances occidentales européennes, en reliant depuis 1992, via le canal Rhin-Main-Danube, la mer du Nord à la mer Noire. Dans ce sens, la poussée politique de l’Union européenne vers l’est, jusqu’aux frontières avec la Russie, marque un bouleversement géopolitique majeur.

De 1945 à 1990, le Danube a été, dans la plus grande partie de son cours, sous emprise soviétique. La chute du rideau de fer a entraîné la « réunification » politique de ce fleuve, deuxième plus important du continent européen, après la Volga, en Russie. Aujourd’hui, sept des dix pays qui le bordent font partie de l’Union européenne, tandis que les trois autres (Serbie, Moldavie, Ukraine) sont candidats à son accession. Les deux États qui sont les plus actifs à impulser cette stratégie, à savoir l’Allemagne et l’Autriche, sont cependant loin de maîtriser les conséquences du basculement progressif du centre de gravité de l’Union européenne du Rhin vers le Danube. Les nouveaux entrants, intégrés dans le cadre de l’élargissement de l’Union européenne, souffrent presque tous des mêmes faiblesses structurelles : corruption à grande échelle, défaillance des pouvoirs publics, accentuation des nationalismes, fortes disparités de niveau de vie entre les villes et les zones rurales, émergence de micro-États aux faibles ressources.

En envahissant l’Ukraine en février 2022, la Russie a violemment manifesté sa détermination à stopper l’expansion occidentale, interrompant brutalement 75 ans de paix en Europe (hormis les guerres yougoslaves). De son côté, mettant à profit les difficultés économiques des pays les plus fragiles, la Chine impose les infrastructures qui renforcent sa route de la soie.

L’Union européenne est consciente de ces lignes de fracture et des dangers qu’elles représentent pour la stabilité de l’ensemble du continent. Les normes politiques, économiques et législatives qu’elle impose, ainsi que les investissements conséquents qu’elle accorde, essentiellement sous forme de subventions, jouent un rôle structurant dans tous ces pays. Paradoxalement, elles sont également source de frustrations et de désillusions au sein des populations locales.

Le delta de l’Europe

Le vieux phare de Sulina a longtemps marqué l’endroit où le fleuve se jette dans la mer Noire par l’un des multiples bras de son delta. Le symbole même d’un « far-est » européen, avec son lot d’aventuriers, d’espions, de brigands, de marins et de commerçants de toutes origines, ainsi que ses promesses de richesses éphémères, de gloires passées et de rivalités entre grandes puissances, aujourd’hui déchues.

Sulina est la ville la plus à l’est de l’Union européenne. Aucune route n’y mène. On y accède uniquement par trois heures de ferry sur le Danube, à partir de la ville roumaine de Tulcea. Ou par la mer. Ce port du bout du monde, au bord de la mer Noire, ouvre depuis des siècles la porte de l’Orient à l’Europe occidentale. Les empires ottomans, austro-hongrois, russe, anglais, français n’ont cessé de s’affronter pour en prendre le contrôle.

Sulina, dont le phare construit en 1870 marque le point zéro des 2 860 km du Danube. Abandonné, il surgit aujourd’hui en pleine ville, entre de grands arbres, des jardins en friche et les maisons délabrées qui l’enserrent. Monument historique, symbole de la ville, il est en cours de rénovation. Une deuxième vie l’attend, un avenir de petit musée, vestige d’un passé glorieux. Deux autres phares l’ont depuis remplacé, à chaque fois plus loin en mer Noire, tant les alluvions que charrie inlassablement le Danube font avancer les terres de 40 mètres chaque année.

Sulina, ce port qui n’est pas un port. On n’y voit ni grue, ni portique, ni chantier naval. Ici, on n’embarque ni ne débarque aucune marchandise. Les navires de haute mer glissent silencieusement le long de la grande avenue maritime autour de laquelle la petite ville s’est construite. Les clients des bars et restaurants de la rue principale, le long du quai, sont habitués à voir leur masse imposante surgir à quelques mètres d’eux.

Sulina assoupie, à la population et à l’activité déclinantes (3 600 habitants au dernier recensement en 2011). À la lisière de l’Europe, mais en première ligne depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février 2022.

Le port de Sulina est en fait un poste de douane. En temps ordinaire, il peut contrôler deux à quatre bateaux par jour. La guerre en Ukraine a tout bouleversé. Depuis le printemps 2022, 60 à 70 navires attendent en permanence au large avant de pouvoir entrer dans le canal. Car, comme aux autres postes frontières roumains, les effectifs douaniers n’ont guère augmenté. En outre, chaque navire de mer doit faire appel aux pilotes de l’administration fluviale du Bas-Danube pour rejoindre les ports de Galati (km 157) et de Braila (km 180), en amont de Sulina. Là aussi, le nombre de pilotes n’a pas évolué.

Lorsque Odessa et les autres ports ukrainiens sur la mer Noire ont été soumis à un blocus russe début 2022, Sulina est devenue une importante voie de sortie maritime des céréales des grandes plaines d’Ukraine. Bouche centrale du Danube, elle permet aux navires céréaliers de remonter jusqu’à Galati, d’où ils empruntent la branche nord du fleuve vers les ports fluviaux ukrainiens de Reni et d’Izmaïl où ils peuvent charger leur cargaison et repartir vers Sulina et son débouché sur la mer Noire.

Depuis 2022, Sulina est de nouveau un goulet d’étranglement. Autrefois, à cause de l’ensablement de l’embouchure, des naufrageurs, de l’insécurité et des guerres. Aujourd’hui, du fait de lourdeurs administratives et de l’indolence du gouvernement roumain.

L’histoire de ce lieu mythique sur le Danube n’est qu’un tragique recommencement. Pendant la guerre de Crimée (1853-1856), Sulina était sous domination russe. En 1854, la marine britannique, alliée à la France et à la Turquie contre l’empire tsariste, avait attaqué la garnison qui y était basée, et détruit quasiment toute la ville avant d’en prendre possession. À cette époque, les ports russes sur la mer Noire – qui incluaient l’Ukraine – étaient soumis à un blocus par les alliés. Mais Sulina qui venait pourtant d’être détruite, avait retrouvé dès l’année suivante une vigoureuse activité, car il fallait évacuer d’urgence les produits agricoles roumains afin de compenser l’arrêt des exportations russes (ukrainiennes). Déjà !

Dans la rue principale de Sulina, le long du quai qui borde le Danube, se dressent deux grandes maisons jumelles à un étage, aux hautes fenêtres bordées de rouge et aux balcons en fer forgé. La peinture blanche est écaillée, mais la splendeur passée se laisse aisément deviner. Au fronton de la première, une date en partie effacée, 1899, indique l’année de construction. La fin du dix-neuvième siècle fut la période de gloire de Sulina.

Au rez-de-chaussée, une boutique capharnaüm. Dans une des vitrines trône un portrait de Eugeniu P. Botez (1874-1933) : un bel homme en uniforme d’officier de marine, moustache conquérante, double bouc bien taillé, regard déterminé. Il est la célébrité la plus connue de la ville, mais il l’est devenu sous son nom de plume, Jean Bart, qu’il a emprunté au corsaire français du dix-huitième siècle.

Son roman publié en 1933, Europolis, a donné vie à l’extraordinaire communauté cosmopolite qui peuplait Sulina au début des années 1900. L’ouvrage a connu de multiples éditions en Roumanie et a été traduit en plusieurs langues, dont le français.

Fils de général, diplômé de l’École navale de Galati, expert du Danube, journaliste et écrivain, Jean Bart est un témoin précieux de cette époque dont il a été l’un des acteurs. Représentant le gouvernement roumain, il a été commissaire maritime de Sulina pendant quatre ans, de 1909 à 1913, juste avant que n’éclate la Première Guerre mondiale.

Il vivait dans l’un des bâtiments jumeaux (probablement au-dessus de l’actuelle boutique) et travaillait dans l’autre, devenu un monument historique, la « Casa Jean Bart ». Celle-ci abrite aujourd’hui un restaurant et un petit hôtel, dénommé bien sûr Pensiunea Jean Bart.

Entre les deux bâtiments, une modeste maison sans étage, toute blanche, intrigue par les deux drapeaux qui l’ornent, roumain et grec. Au-dessus de la porte, un panneau orné de deux colonnes ioniques indique en deux langues : « Union hellénique de Roumanie – Communauté hellénique de Sulina ».

La communauté grecque de Sulina, très importante à l’époque, s’inscrit justement au cœur des intrigues d’Europolis. Roman populaire, à la fois épique et mélodramatique, il fourmille de scènes de la vie quotidienne de la ville au début du vingtième siècle, au moment où la Commission européenne du Danube était encore toute-puissante, mais où commençait à se dessiner son déclin, après la crise de 1929.

« Le blé en sort et l’or rentre. » En une seule phrase, Jean Bart résume tout Sulina. Et de préciser avec verve : « Cette cité ancestrale se développe ou décline selon la récolte annuelle. La population double les années d’abondance et baisse les années de vaches maigres. D’où vient tout ce monde bigarré ? Marins, commerçants, artisans, portefaix, escrocs, vauriens, femmes, femmes de toutes sortes. Oiseaux de proie assoiffés de gain se réunissent ici comme des sauterelles sur l’étroite langue terre entre le Danube et la mer. (…) Toute la nuit, à la lumière électrique, vrombissent les élévateurs par où le blé coule à torrents comme de la poudre d’or des chalands dans les bateaux qui l’emportent sur les mers, vers d’autres pays. » Il conclut : « Quelle époque féerique ! »