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De Deurt Yol à Paris retrace l’histoire d’une famille marquée par les conséquences du génocide arménien. Ce récit met en lumière le parcours du père, contraint de quitter son village asiatique en raison des exactions de l’Empire ottoman. Malgré les obstacles de l’exil, il devient écrivain et critique littéraire en arménien. Sa fille, élevée dans cet environnement livresque, rend hommage à son héritage et expose la contribution de la littérature pour la résilience familiale et la préservation de leur patrimoine.
À PROPOS DE L’AUTRICE
Séta Sopoglian, héritière d’une lignée d’écrivains arméniens, a acquis une solide culture littéraire. Impliquée dans des missions humanitaires dans son pays d’origine, elle considère l’écriture comme un moyen de préserver le lien indéfectible qui l’unit à son père. Elle honore ainsi une promesse formulée avant le décès de ce dernier.
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Seitenzahl: 155
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Séta Sopoglian
De Deurt Yol à Paris
© Lys Bleu Éditions – Séta Sopoglian
ISBN : 979-10-422-0386-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Lévon et Séta Sopoglian – Paris 1991-2022
Avant-propos
Lecteur, si tu veux bien me suivre, je vais te conter l’histoire de ma famille.
Compte tenu des événements historiques, son destin a complètement été bouleversé.
La vie aurait pu continuer à être paisible dans un endroit magnifique, mais comme des millions d’Arméniens, mes grands-parents et mes parents ont connu une tragédie.
Le chemin de vie calme et paisible s’est transformé en enfer.
Renaître dans un ailleurs inconnu, tel le phénix qui renaît de ses cendres, mon peuple après avoir subi les pires cruautés et barbaries a pu renaître, survivre et assurer une descendance qui peut témoigner de cette tragédie.
C’est un devoir filial de raconter cette histoire, car si le monde a passé sous silence ce génocide en 1915 et a fermé les yeux sur les millions de femmes, enfants et hommes massacrés par des barbares sanguinaires, il faut aujourd’hui ouvrir les yeux, lever le masque de l’indifférence et prendre conscience que la folie humaine n’a pas de limites et témoigner pour que plus jamais cela ne se reproduise. L’Empire ottoman a voulu nous effacer de la surface de la Terre, mais il n’a pas réussi. Notre peuple est ancien, il a subi tout le long de son histoire de nombreux conflits et guerres, il a connu des années de prospérité et de rayonnement, il a toujours survécu grâce au courage et à la bravoure de ses combattants.
L’histoire des Arméniens remonte dans la nuit des temps, descendants directs de Noé dont l’Arche s’est arrêtée sur le mont Ararat, symbole et pilier de notre culture. Premier peuple à adopter le christianisme en 301, les Arméniens se sont toujours battus pour conserver leur religion. C’est le second pilier de notre culture, car l’identité arménienne passe par sa religion qui, au-delà des différents partis politiques et des idées, rassemble le peuple.
Chaque famille arménienne peut témoigner des drames vécus par ses grands-parents. Chaque famille, ayant connu les mêmes événements, aura toujours une particularité et une façon de vivre les choses différemment. Des familles entières ont été disséminées, les survivants se sont dispersés dans le monde sous des horizons différents où leur seul but était de survivre et de s’intégrer dans un monde tellement différent de celui qu’ils avaient connu. Il fallait s’adapter à une nouvelle culture, à un nouveau mode de vie, apprendre une nouvelle langue tout en préservant sa propre culture et sa langue. S’intégrer certes, mais pas s’assimiler pour ne pas disparaître complètement comme le prévoyait le plan machiavélique de leurs agresseurs.
Je ne reviendrai pas sur les explications historiques et économico- politiques du génocide, des historiens ont effectué ce travail et continuent à creuser dans les abîmes obscurs des intérêts financiers et des alliances politiques de l’époque. À qui profite le crime ?
Je me contenterai d’écrire et de transmettre le parcours d’une famille parmi tant d’autres, de survivants résilients qui, par la seule force de leur instinct de vie, ont réussi à contrecarrer les plans d’un triumvirat d’officiers Talaat Pacha, Enver Pacha et Djemal Pacha, parti « jeunes Turcs » qui dirige l’Empire ottoman en 1915.
Je souhaite montrer en écrivant ce livre que face à la barbarie, la sauvagerie d’hommes sans conscience, nous avons survécu et avons fait rayonner notre culture à travers le monde.
Bonne lecture !
Livre I
Papa
J’avais à peine 5 ans mais je me souviens…
Je me vois en train de marcher au milieu d’un groupe de personnes pour la plupart des femmes, des enfants et des vieillards dans un désert au milieu de montagnes sur des chemins escarpés sous un soleil de plomb.
De chaque côté de notre funèbre cortège, des hommes en uniforme à cheval, les carabines en bandoulière, allaient et venaient criant des ordres en turc pour maintenir les personnes dans le rang. Armés de fusil, de sabre et de fouet, ils n’hésitaient pas à frapper les retardataires, les laissant pour la plupart mourants sur le bord de la route ou jetant leurs corps dans des fossés à la merci des oiseaux de proie qui tournoyaient au-dessus de nous avec leurs cris sinistres.
Nous avancions péniblement affamés et assoiffés, harassés de ces longues journées de marche dans un désert qui n’en finissait pas, sans connaître notre destination…
Deurt Yol
Je suis né dans le plus joli village qui puisse exister dans le monde. Le paradis sur terre.
Deurt Yol est en Cilicie. La Cilicie est une plaine triangulaire bordée au sud par les rives orientales de la mer Méditerranée au nord et à l’ouest par le Taurus et l’Anti-Taurus et à l’est par l’Amanus. Elle est entourée de forêts de chênes, de pins, de hêtres, de tilleuls et la plaine est plus fertile que celle du Nil. (Description donnée par Paul du Véou dans la passion de la Cilicie.)
La vie y était douce, paisible au milieu de fleurs aux couleurs tout juste sorties de la palette d’un peintre et aux parfums enivrants et sucrés. Les abeilles s’affairaient d’une fleur à l’autre pour récupérer le nectar qui allait leur servir à fabriquer ce miel si délicieux qui s’offrait à nous sur la table du petit déjeuner.
Les différentes espèces d’oiseaux nous donnaient un concert joyeux dans le calme de cette campagne verdoyante.
Les papillons voletant dans un ballet incessant et coloré finissaient de compléter ce tableau idyllique.
Les vergers et les potagers alimentés par le moulin à eau offraient une multitude de fruits et légumes divers et variés.
Les branches des arbres fruitiers pliaient sous le poids des fruits abondants et gorgés de sucre.
Les potagers regorgeaient de légumes pouvant nourrir toutes les familles de notre village.
La terre tellement fertile donnait des fruits et des légumes d’une incroyable beauté et d’une saveur exquise.
Chaque graine ou noyau planté se transformait en quelques semaines en un légume ou un fruit juteux, goûteux et succulent.
Un paradis sur terre, un jardin aux saveurs multiples.
Notre famille avait une orangeraie, des ouvriers agricoles turcs travaillaient à l’entretien et à la récolte des oranges.
Dans mon souvenir, ces fruits étaient énormes et juteux et je me souviens que nous jouions au football avec les fruits qui étaient à terre éclatés par le sucre et le jus.
Mon père, prénommé Nazareth, surveillait ses ouvriers et vers le soir, habillé d’un costume impeccable, d’une chemise fraîchement repassée, et coiffé de son fez, il se rendait au café du village où il retrouvait ses amis pour boire un verre de raki et jouer au nardi.
En fait, je me rends compte que je n’ai que très peu de souvenirs de mon père.
La vie était paisible, l’abondance faisait qu’aucun villageois ne connaissait la pauvreté ou la faim, chacun avait son potager, son poulailler, ses brebis et ses moutons.
Les mûriers très nombreux dans le village permettaient l’élevage des vers à soie et le tissage de la soie. C’était l’occupation favorite de ma mère, prénommée Tamar, et de ma sœur aînée, Aghavni.
Elles passaient aussi beaucoup de temps à broder de la dentelle avec une fine aiguille, créant des merveilles avec leurs doigts fins et agiles, ainsi que leur patience d’ange. J’aimais les regarder travailler silencieusement très concentrées sur leurs ouvrages.
En dehors des heures d’école, je passais le plus clair de mon temps à courir dans les champs avec une bande de copains inventant des jeux ou essayant de pêcher dans les petites rivières alentour. Nous étions tour à tour des pirates à la recherche d’un trésor enfoui dans les eaux profondes des rivières ou de preux et valeureux chevaliers partant pour délivrer une jolie princesse prisonnière dans un château hanté rempli de pièges pour décourager les curieux.
Notre âme d’enfant débordait d’imagination et nos jeux nous entraînaient dans des contrées lointaines que nous avions découvertes lors de nos cours d’histoire ou de géographie.
Deurt Yol était considéré comme un village, car il n’y avait pas toute l’infrastructure des commerces et des places de marché. Le besoin ne s’en faisait pas ressentir non plus. Les marchés dans les villes voisines plus grandes étaient pour faire des achats exceptionnels ou pour passer le temps plaisamment.
Je ne sais pas si ce lieu avait été le siège d’une préfecture puisque, par le passé, on l’avait appelé Tchok Marzouan et c’est seulement plus tard qu’on lui avait donné le nom de Deurt Yol, ce qui signifie quatre chemins. Elle devait son nom au fait que d’un côté la route conduisait vers une ville islamique Gouzouloudjou, de l’autre côté une ville chrétienne très commerçante Eoselli et au centre de ce carrefour deux autres routes : l’une conduisant vers les montagnes de l’orient alors que l’autre conduisait à la ligne de chemin de fer et à la mer.
Jusqu’au fleuve Djihan, Deurt Yol était entouré de villages turcs.
Bien avant ma naissance, on disait que Deurt Yol avait connu de violentes agitations, mais le paradis était resté paradis. En revanche, après les massacres d’Adana en avril 1909, ordonnés par le sultan Abdulhamid, un massacre à nul autre pareil transforma le paradis en enfer.
Premier exil
Aujourd’hui, quand je repense à ce passé, que je force mes souvenirs à me ramener à cette période de ma vie d’enfant, je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi je suis né là-bas, pourquoi le voyage que nous avons entrepris dans ce désert n’était pas la route des vacances, mais la route de l’exil qui devait nous conduire loin de notre ville natale, vers la prison et vers le mouroir où mon père et mes deux petites sœurs jumelles allaient être exécutés.
J’étais enfant, mais une image est restée à jamais gravée dans ma mémoire : je vois sur la route de notre marche forcée le fez de mon père qui roule par terre devant moi. Avec le recul, je pense qu’il ne s’agissait pas seulement de son fez, mais de sa tête. Il avait été décapité, mais l’image était si violente pour le petit enfant que j’étais que le travail de l’inconscient a refoulé ce souvenir. À partir de cet épisode, je n’ai plus jamais revu mon père ni mes petites sœurs.
Retour d’exil
Quand je me rappelle ces années, il y a maintenant 70 ans, la première image qui me vient devant les yeux est l’image d’un ange nommé maman. Comment malgré la douleur et la souffrance endurées a-t-elle réussi à nous apporter des soins ? Car il fallait vivre et faire vivre le reste de la famille qui avait survécu à ce premier massacre. Il restait ma sœur aînée, Aghavni, et mon frère aîné, Assadour.
Je ne sais pas comment elle a réussi à amener à la maison une chèvre borgne qui nous donnait du lait tous les jours, nous permettant de nous nourrir de fromage.
En attendant la saison des oranges, elle a retourné la terre, semé et récolté des légumes.
Elle transforma les figues en pâte de fruits, les coings et les potirons en confitures.
Elle nourrissait les vers à soie avec les feuilles de mûriers et revendait le fil à soie avec beaucoup de peine à des petits ateliers de tisserands.
Son héroïsme était à l’égal de celui des femmes fedayin qui prenaient les armes.
Son sourire revint illuminer son doux visage quand les premières oranges encore vertes commencèrent à mûrir. C’était la principale source de profit de Deurt Yol.
Mais malheureusement, les soldats volontaires arméniens de l’armée française dévastèrent les jardins comme des sauterelles sans se soucier des supplications de ma mère qui leur disait entre deux sanglots :
« Laissez-en un peu pour nous ».
Ils étaient animés de leurs exploits héroïques et du prix du sang qui leur donnait un droit au vol.
Le dur labeur de ma mère partit en quelques jours en pillage. Son sourire disparut de son visage et le chagrin s’installa.
Les larmes de ma mère me serrent encore la gorge aujourd’hui, car à l’époque je n’étais qu’un enfant et bien impuissant à affronter ces monstres qui saccageaient le travail d’une femme qui ne voulait que nourrir ses enfants.
La vie n’était pas encore organisée suite à ce retour de premier exil.
Ceux qui avaient survécu à ce premier exode et étaient revenus au village étaient pour la plupart des veuves et des orphelins. Ils vivaient encore leurs vies d’exilés avec ce qu’ils avaient subi comme traumatisme. On pleurait les morts restés sans sépulture dans le désert, on pansait des blessures, on essayait de comprendre ce qui s’était passé, mais la plupart du temps, il n’y avait pas de réponses et on restait avec sa souffrance, sa douleur à essayer de faire un deuil impossible. Nous vivions au jour le jour, dans la peur, la crainte d’un retour possible des gendarmes turcs et un nouveau massacre.
Parmi tout ce chaos, le principal travail des organisations nationalistes arméniennes fut de construire des orphelinats : Sisvani, plus loin il y avait Kelekian, mais les capacités d’accueil de ces établissements étaient trop insuffisantes pour recevoir les milliers d’enfants et adolescents.
De plus, Deurt Yol était envahie par les populations des villes voisines également touchées par ces événements et qui affluaient de toute part pour s’implanter là, repoussant les frontières de la ville et rendant les conditions de vie encore plus difficiles. Les ressources n’étaient pas suffisantes pour satisfaire ces nouveaux venus.
Celui qui est affamé ne fait aucune distinction aux conditions dans lesquelles il vit. Ainsi le renard s’attaque au poulailler, le loup et les hyènes sortent de leur tanière et s’élancent sur la première proie venue. Chacun pour soi pour essayer de survivre.
L’émigration de Deurt Yol s’étendit sur les villages turcs alentour. Jadis, ces villages avaient profité de nos biens, maintenant c’était à eux de payer !
Malheureux peuple !
Derrière leurs forteresses dorées, des hommes assis tranquillement conçoivent des plans d’extermination dont la faute devra être expiée par un peuple innocent. Ainsi, en l’espace d’une journée, trois villages turcs furent ravagés.
À peine l’immeuble Sissouan fut-il érigé et les fournitures scolaires distribuées, qu’à nouveau la diplomatie retomba sur la place publique. L’Angleterre et la France faisaient les comptes et nous, nous devions réfléchir aux résultats de ces calculs, les additions et les soustractions diplomatiques.
Notre première leçon « Run, mouse run » se transforma en « Allons enfants de la Patrie » et un beau jour, face à la colère du Général Brémond et de son officier Paul du Véou, la Cilicie fut cédée aux Turcs. La dette de guerre allait être payée par le pauvre allié, toute la richesse de la Cilicie.
Je n’entrerai pas dans les détails de la politique et des accords économiques entre grandes puissances, je laisse cela aux spécialistes, mais ce que je retiens de notre histoire et de nos malheurs, c’est que notre région riche et prospère a été la proie et l’enjeu d’échanges entre États : successivement la France, l’Angleterre, l’Allemagne, la Russie pour finir aux mains de la Turquie et au massacre des miens.
L’art de la politique ou comment sacrifier un peuple pour en tirer des bénéfices financiers, des enjeux économiques et une puissance militaire dans des territoires stratégiques sans aucune considération pour les hommes vivant sur ces terres.
La politique et l’humanisme ne font pas bon ménage.
Second exil
En 1921, suite à l’accord d’Angora entre la France et la Turquie kémaliste, une nouvelle vague de migration forcée commença pour les Arméniens. Nous laissions derrière nous nos maisons, nos biens, les splendides établissements Sissouan et Kélékian.
Les orphelins de L’UGAB (Union Générale Arménienne de Bienfaisance) furent envoyés dans les monastères d’Achkoudi et Zmar émigrant à Beyrouth.
Le Liban devint l’annexe de la Cilicie et l’orphelinat, les élèves, les enseignants et la direction, Deurt Yolais.
Ce que je garde comme souvenir de ce second exil, c’est une tempête : je me souviens m’être éveillé un matin dans un lit, les murs de la chambre se sont mis à tourner, j’étais pris de vertiges dès que je mettais le pied par terre. Un état de mal être profond, une envie de vomir, des cris qui résonnent dans ma tête, des gens qui tombent sous les coups de fouet de soldats, un épuisement total, l’impression d’être dans un autre monde, irréel, barbare, primitif où violence et mort se côtoient. Puis le noir total, la chambre s’assombrit, je ne vois plus rien, je n’entends plus rien.
Je sors de ce cauchemar un matin, je ne sais pas comment et je me retrouve dans un lit avec de la nourriture et plein d’autres enfants comme moi.
Suis-je en sécurité ? Va-t-on encore m’emmener et me faire marcher des heures durant au milieu de gens qui pleurent, qui prient et qui meurent ?
Des images me reviennent, je suis assis sur un âne au milieu d’une foule qui avance, j’ai les pieds en sang. Nous arrivons dans un endroit ombragé et avec un point d’eau. Nous voulions boire et rafraîchir nos pieds endoloris, mais des soldats armés nous intimaient l’ordre de marcher. Ceux qui s’étaient avancés près de l’eau étaient immédiatement transpercés par des sabres et leurs corps roulaient dans l’eau qui commençait à devenir rouge du sang de ces morts.
Je ne comprenais pas si c’était mon père ou le père de Baghdassar qui gisait devant moi ensanglanté et inanimé. Je voulais crier, mais aucun son ne sortait de ma bouche. Ma gorge était nouée et ma vue se brouillait par mes larmes. Je voulais attraper le fez de mon père et me jeter sur le soldat qui avait commis ce meurtre sous mes yeux, mais je ne pouvais pas bouger, j’étais figé, une statue, bousculé par des femmes qui se précipitaient sur les corps qui s’amoncelaient devant nous. J’étais piétiné, bousculé, je tombais au milieu des cadavres. Une femme près de moi fut éventrée à coups de sabre et l’enfant qu’elle portait dans son ventre fut embroché par la baïonnette d’un soldat qui riait aux éclats. J’étais sidéré, je pleurais, impuissant à venir en aide à ceux qui mourraient autour de moi, une vision d’apocalypse, de fin du monde.